vendredi, décembre 19, 2014

Pratiques évocatoires & influences spirituelles



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De la tablette spirite en bois (oui-ja) aux EVP, phénomènes de voix électroniques (Electronic Voice Phenomena) qui s'entendent dans le « bruit blanc » d'une télévision ou d'une radio, les pratiques de communication avec les défunts ne manquent pas.

« De toutes les pratiques magiques, écrit René Guénon, les pratiques évocatoires sont celles qui, chez les anciens, furent l’objet des interdictions les plus formelles ; et pourtant on savait alors que ce qu’il pouvait s’agir d’évoquer réellement, ce n’étaient point des « esprits » au sens moderne, que les résultats auxquels on pouvait prétendre étaient en somme de bien moindre importance ; comment donc eut-on jugé le spiritisme, à supposer, ce qui n’est pas, que les affirmations de celui-ci répondissent à quelque possibilité ?

On savait bien, disons-nous, que ce qui peut être évoqué ne représente point l’être réel et personnel, désormais hors d’atteinte parce qu’il est passé à un autre état d’existence, que ce sont uniquement ces éléments inférieurs que l’être a en quelque sorte laissés derrière lui, dans le domaine de l’existence terrestre, à la suite de cette dissolution du composé humain que nous appelons la mort. C’est là [...] ce que les anciens Latins appelaient les « mânes » ; c’est aussi ce à quoi les Hébreux donnaient le nom d’ob, qui est toujours employé dans les textes bibliques quand il est question d’évocations, et que certains prennent à tort pour la désignation d’une entité démoniaque.

En effet, la conception hébraïque de la constitution de l’homme concorde parfaitement avec toutes les autres ; et, en nous servant, pour nous faire mieux comprendre à ce sujet, de correspondances empruntées au langage aristotélicien, nous dirons que non seulement l’ob n’est point l’esprit ou l’ « âme rationnelle » (neshamah), mais qu’il n’est pas davantage l’ « âme sensitive » (ruahh), ni même l’ « âme végétative » (nephesh). Sans doute la tradition judaïque semble indiquer, comme une des raisons de la défense d’évoquer l’ob, qu’un certain rapport subsiste entre lui et les principes supérieurs, et ce point serait à examiner de plus près en tenant compte de la façon assez particulière dont cette même tradition envisage les états posthumes de l’homme ; mais, en tout cas, ce n’est pas à l’esprit que l’ob demeure lié directement et immédiatement, c’est au contraire au corps, et c’est pourquoi la langue rabbinique l’appelle habal de garmin ou « souffle des ossements » ; c’est précisément ce qui permet d’expliquer les phénomènes [...] (spirites).

Ainsi, ce dont il s’agit ne ressemble en rien au « périsprit » des spirites, ni au « corps astral » des occultistes, qui sont supposés revêtir l’esprit même du mort ; et d’ailleurs il y a encore une autre différence capitale, car ce n’est nullement un corps : c’est, si l’on veut, comme une forme subtile, qui peut seulement prendre une apparence corporelle illusoire en se manifestant dans certaines conditions, d’où le nom de « double » que lui donnaient alors les Egyptiens. Du reste, ce n’est véritablement qu’une apparence sous tous les rapports : séparé de l’esprit, cet élément ne peut être conscient au vrai sens de ce mot ; mais il possède néanmoins un semblant de conscience, image virtuelle, pour ainsi dire, de ce qu’était la conscience du vivant ; et le magicien, revivifiant cette apparence en lui prêtant ce qui lui fait défaut, donne temporairement à sa conscience réflexe une consistance suffisante pour en obtenir des réponses lorsqu’il l’interroge, ainsi que cela a lieu notamment quand l’évocation est faite pour un but divinatoire, ce qui constitue proprement la « nécromancie ». Nous nous excuserons si ces explications [...] ne paraissent pas parfaitement claires ; il est fort difficile de rendre ces choses en langage ordinaire, et on est bien forcé de se contenter d’expressions qui ne représentent souvent que des approximations ou des « façons de parler » ; la faute en est pour une bonne part à la philosophie moderne, qui, ignorant totalement ces questions, ne peut nous fournir une terminologie adéquate pour les traiter. Maintenant, il pourrait encore se produire, à propos de la théorie que nous venons d’esquisser, une équivoque qu’il importe de prévenir : il peut sembler, si l’on s’en tient à une vue superficielle des choses, que l’élément posthume dont il s’agit soit assimilable à ce que les théosophistes appellent des « coques », qu’ils font effectivement intervenir dans l’explication de la plupart des phénomènes du spiritisme ; mais il n’en est rien, quoique cette dernière théorie soit bien probablement dérivée de l’autre, mais par une déformation qui prouve l’incompréhension de ses auteurs. En effet, pour les théosophistes, une « coque » est un « cadavre astral », c’est-à- dire le reste d’un corps en voie de décomposition ; et, outre que ce corps est censé n’avoir été abandonné par l’esprit que plus ou moins longtemps après la mort, au lieu d’être essentiellement lié au « corps physique », la conception même de « corps invisibles » nous apparaît comme grossièrement erronée, et elle est une de celles qui nous font qualifier le « néo-spiritualisme » de « matérialisme transposé ».

Sans doute, la théorie de la « lumière astrale » de Paracelse, qui est d’ailleurs d’une portée beaucoup plus générale que ce dont nous nous occupons présentement, contient au moins une part de vérité ; mais les occultistes ne l’ont guère comprise, et elle a fort peu de rapports avec leur « corps astral » ou avec le « plan » auquel ils donnent le même nom, conceptions toutes modernes, en dépit de leurs prétentions, et qui ne s’accordent avec aucune tradition authentique.

Nous joindrons à ce que nous venons de dire quelques réflexions qui, pour ne pas se rapporter directement à notre sujet, ne nous en paraissent pas moins nécessaires, parce qu’il faut tenir compte de la mentalité spéciale des Occidentaux actuels. Ceux-ci, en effet, quelles que soient leurs convictions religieuses ou philosophiques, sont pratiquement « positivistes », en grande majorité du moins ; il semble même qu’ils ne puissent sortir de cette attitude sans verser dans les extravagances du « néo spiritualisme », peut-être parce qu’ils ne connaissent rien d’autre. Cela est à un tel point que bien des gens très sincèrement religieux, mais influencés par le milieu, tout en ne pouvant faire autrement que d’admettre certaines possibilités en principe, se refusent énergiquement à en accepter les conséquences et en arrivent à nier en fait, sinon en droit, tout ce qui ne rentre pas dans l’idée qu’ils se font de ce qu’on est convenu d’appeler la « vie ordinaire » ; à ceux-là, les considérations que nous exposons ne paraîtront sans doute pas moins étranges ni moins choquantes qu’aux « scientistes » les plus bornés. Cela nous importerait assez peu, à vrai dire, si les gens de cette sorte ne se croyaient parfois plus compétents que quiconque en fait de religion, et même qualifiés pour porter, au nom de cette religion, un jugement sur des choses qui dépassent leur entendement ; c’est pourquoi nous pensons qu’il est bon de leur faire entendre un avertissement, sans trop nous illusionner pourtant sur les effets qu’il produira.

Nous rappellerons donc que nous n’entendons nullement nous placer ici au point de vue religieux, et que les choses dont nous parlons appartiennent à un domaine entièrement distinct de celui de la religion ; d’ailleurs, si nous exprimons certaines conceptions, c’est exclusivement parce que nous savons qu’elles sont vraies, donc indépendamment de toute préoccupation étrangère à la pure intellectualité ; mais nous ajouterons que, malgré cela, ces conceptions permettent, mieux que beaucoup d’autres, de comprendre certains points concernant la religion elle-même. Nous demanderons par exemple ceci : comment peut-on justifier le culte catholique des reliques, ou encore le pèlerinage aux tombeaux des saints, si l’on n’admet pas que quelque chose qui n’est pas matériel demeure, d’une manière ou d’une autre, attaché au corps après la mort ? Cependant, nous ne dissimulerons pas que, en unissant ainsi les deux questions, nous présentons les choses d’une façon trop simplifiée ; en réalité, les forces dont il s’agit dans ce cas (et nous employons à dessein ce mot de « forces » dans un sens très général) ne sont point identiques à celles dont nous nous sommes occupé précédemment (phénomènes spirites), quoiqu’il y ait un certain rapport ; elles sont d’un ordre bien supérieur, parce qu’il intervient autre chose qui est comme surajouté, et leur mise en œuvre ne relève plus aucunement de la magie, mais plutôt de ce que les néo-platoniciens appelaient la « théurgie » : encore une distinction qu’il convient de ne pas oublier. Pour prendre un autre exemple du même ordre, le culte des images et l’idée que certains lieux jouissent de privilèges spéciaux sont tout à fait inintelligibles si l’on n’admet pas qu’il y a là de véritables centres de forces (quelle que soit d’ailleurs la nature de ces forces), et que certains objets peuvent jouer en quelque sorte un rôle de « condensateurs » : qu’on se reporte simplement à la Bible et qu’on y voie ce qui est dit de l’arche d’alliance, ainsi que du nous voulons dire.

Nous touchons ici à la question des « influences spirituelles », sur laquelle nous n’avons pas à insister, et dont le développement rencontrerait d’ailleurs bien des difficultés ; pour l’aborder, on doit faire appel à des données proprement métaphysiques, et de l’ordre le plus élevé. Nous citerons seulement un dernier cas : dans certaines écoles d’ésotérisme musulman, le « Maître » (Sheikh) qui fut leur fondateur, bien que mort depuis des siècles, est regardé comme toujours vivant et agissant par son « influence spirituelle » (barakah) ; mais cela ne fait intervenir à aucun degré sa personnalité réelle, qui est, non seulement au delà de ce monde, mais aussi au delà de tous les « paradis », c’est-à-dire des états supérieurs qui ne sont encore que transitoires.

On voit assez combien nous sommes loin ici, non plus seulement du spiritisme, mais même de la magie ; et, si nous en avons parlé, c’est surtout pour ne pas laisser incomplète l’indication des distinctions nécessaires ; la différence qui sépare ce dernier ordre de choses de tous les autres est même la plus profonde de toutes.

Nous pensons maintenant en avoir dit assez pour montrer que, avant les temps modernes, il n’y eut jamais rien de comparable au spiritisme ; pour l’Occident, nous avons surtout envisagé l’antiquité, mais tout ce qui se rapporte à la magie est également valable pour le moyen âge. Si pourtant on voulait à toute force trouver quelque chose à quoi l’on pût assimiler le spiritisme jusqu’à un certain point, et à la condition de ne le considérer que dans ses pratiques (puisque ses théories ne se rencontrent pas ailleurs), ce qu’on trouverait serait tout simplement la sorcellerie. En effet, les sorciers sont manifestement des « empiriques », encore que le plus ignorant d’entre eux en sache peut-être plus long que les spirites à plus d’un égard ; ils ne connaissent que les branches les plus basses de la magie, et les forces qu’ils mettent en jeu, les plus inférieures de toutes, sont celles-là mêmes auxquelles les spirites ont ordinairement affaire. Enfin, les cas de « possession » et d’ « obsession », en corrélation étroite avec les pratiques de la sorcellerie, sont les seules manifestations authentiques de la médiumnité que l’on ait constatées avant l’apparition du spiritisme ; et, depuis lors, les choses ont-elles tellement changé que les mêmes mots ne leur soient plus applicables ? Nous n’en croyons rien ; mais vraiment, si les spirites ne peuvent se recommander que d’une parenté aussi suspecte et aussi peu enviable, nous leur conseillerions plutôt de renoncer à revendiquer pour leur mouvement une filiation quelconque, et de prendre leur parti d’une modernité qui, en bonne logique, ne devrait point être une gêne pour des partisans du progrès. »

René Guénon, « L'erreur spirite ».

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