jeudi, août 27, 2015

Amour & états égotistes




L'amour, l'altruisme et l'Ego selon la « psychologie » traditionnelle du Chan/Zen

Résumé de la « psychologie » Chan 

« Au centre de moi, en ce centre encore inconscient aujourd'hui, réside l'homme primordial, uni au Principe de l'Univers et par lui au tout de l'Univers, se suffisant totalement, Un principiel, ni seul ni non seul, ni affirmé ni nié, en amont de tout dualisme. C'est l'Etre Primordial, sous-jacent à tous les « états » égotistes qui le recouvrent dans ma conscience actuelle.

Parce que je suis ignorant aujourd'hui de ce que sont en réalité mes états égotistes, ces états constituent une sorte d'écran qui me sépare de mon centre, de mon Moi réel. Je suis inconscient de mon identité essentielle avec le Tout et je ne me considère qu'en tant que distinct du reste de l'Univers. L'Ego, c'est moi en tant que je me considère comme distinct. L'Ego est illusoire, puisque je ne suis pas en réalité en tant que distinct ; et tous les états égotistes sont également illusoires.

Dans l'état égotiste fondamental, je me sens comme Moi opposé au Non-Moi, un organisme dont l'« être » est opposé à l'« être » des autres organismes. Dans cet état fondamental, tout ce qui n'est pas mon organisme est Non-Moi. J'aime mon Moi, c'est-à-dire que je veux mon existence, et je hais le Non-Moi, c'est-à-dire que je veux la disparition de son existence. Je suis avide de l'affirmation de mon Moi en tant que distinct et de la négation du Non-Moi en tant qu'il prétend « être » en marge de mon Moi distinct. Dans cet état égotiste fondamental, « vivre » c'est affirmer mon Moi en vainquant le Non-Moi : victoire matérielle par l'acquisition de biens matériels, victoire subtile par l'acquisition de la renommée (reconnaissance par le Non-Moi de l'existence du Moi ; acquisition de la gloire qui « immortalise » le Moi distinct).

L'état affectif fondamental de l'homme ordinaire est donc simple ; cet homme aime son Moi en opposition avec le Non-Moi, et il hait le Non-Moi en opposition avec son Moi.

Sur cet état fondamental égotiste-égoïste peuvent se construire cinq états égotistes-altruistes comportant des apparences d'amour d'autrui.

1. — Amour apparent d'autrui par projection de l'Ego.

C'est l'amour idolâtrique, où l'Ego est projeté sur un autre être. La prétention à la divinité « en tant que distinct » a quitté mon organisme et se trouve maintenant fixée sur l'organisme de l'autre. La situation affective ressemble à celle de tout à l'heure, à ceci près que l'autre a pris ma place dans mon échelle de valeurs. Je veux l'existence de l'autre-idole, contre tout ce qui lui est opposé. Je n'aime plus mon propre organisme qu'en tant qu'il est le fidèle servant de l'idole ; à part cela je n'ai plus de sentiments envers mon organisme, il m'est indifférent, et, s'il le faut, je puis donner ma vie pour le salut de mon idole (je puis sacrifier mon organisme à mon Ego fixé sur l'idole tel Empédocle se jetant dans l'Etna pour immortaliser son Ego). Quant au reste du monde, je le hais s'il est hostile à mon idole ; s'il ne lui est pas hostile et si ma contemplation de l'idole me comble de joie (c'est-à-dire d'affirmation égotiste), j'aime indistinctement tout ce reste du monde (nous verrons plus loin pourquoi, avec la 5ème variété d'amour apparent).

2. - Amour apparent d'autrui par extension localisée de l'Ego.

Par exemple : l'amour attaché d'une mère pour son enfant, l'amour attaché d'un homme pour sa Patrie. etc...

C'est l'amour possessif. Dans l'amour idolâtrique, il y avait d'abord projection de l'Ego, et ensuite besoin de posséder l'Ego projeté dans une possession matérielle ou subtile de l'idole. Ici il y a d'abord possession de l'autre (il se trouve fortuitement que cet enfant est mon enfant, ce pays mon pays). La situation affective qui en résulte ressemble beaucoup à celle de l'amour idolâtrique : cependant les joies y sont moins conscientes, et on voit souvent dominer la crainte de perdre. L'amour idolâtrique donne ce que l'homme appelle « un sens » à sa vie ; l'amour possessif aussi, mais c'est souvent un sens moins positif, moins rassasiant.

3. - Amour apparent d'autrui parce que cet autrui nous aime de l'un des deux amours précédents.

L'autre aime son Ego en moi, niais il me donne l'impression qu'il aime mon Ego. Aussi je veux son existence comme je veux l'existence de tout ce qui veut mon existence.

4. - Amour apparent d'autrui parce que mon image idéale de moi-même le comporte ou parce que mon amour idolâtrique le comporte.

J'aime autrui parce que j'ai besoin de me voir esthétique pour m'aimer et qu'aimer autrui est esthétique.

Ou bien j'aime autrui parce que j'aime mystiquement une image divine sur laquelle mon Ego est projeté, que je considère cette image divine comme voulant que j'aime autrui, et que je veux ce que veut cette image divine (identifiée à mon Ego).

5. - Amour apparent du Non-Moi parce que mon Ego est momentanément rassasié.

L'homme que comble momentanément une intense affirmation égotiste aime tout l'univers. Cet amour sans particularisme ne correspond pas à une apparition momentanée de l'amour primordial universel, mais à une inversion momentanée de la haine fondamentale égotiste envers le Non-Moi à l'occasion d'une détente de la revendication égotiste. Cet état ne dure d'ailleurs que peu de temps. C'est comparable à la sensation voluptueuse de ne plus souffrir ; cette volupté n'est que comparative et elle cesse dès que disparaît le terme de comparaison.

Ces cinq sortes d'apparent amour d'autrui représentent autant de jouissances de mon Ego ressenties dans des situations qui m'affirment en tant que distinct. A toute diminution d'une de ces situations correspond l'apparition de l'angoisse et de l'agressivité.

Plus un homme donné est appelé à la réalisation intemporelle, plus il a besoin de vivre ces sortes d'amour : ces états ressemblent en effet plus ou moins à l'état affectif de l'homme réalisé (qui aime tout) en paraissant le relier à quelque chose d'autre que lui-même.

Plus cet homme pourtant avance dans la connaissance de lui-même, plus ces amours se dévalorisent à ses yeux et perdent leur efficacité compensatrice. Cet homme perd peu à peu ses sentiments « positifs », « altruistes ». Sa compréhension perce à jour ces habiles simulacres et le ramène, bon gré mal gré, vers l'état fondamental égotiste où il a toujours haï ce qui n'est pas son Moi ; état de « nuit » et de solitude. Il éprouve l'angoisse, à cause de son refus de combattre le Non-Moi.

Cet homme, dépouillé peu à peu de toute possibilité de tricher intérieurement, se voit traqué vers le travail réalisateur. Il s'adressera de plus en plus souvent à sa pensée impartiale pour remettre en doute la légitimité de la revendication égotiste, de cette prétention à « être » distinct qui engendre la solitude et la peur. L'Ego se trouve contracté de façon de plus en plus pure, de plus en plus comprimé dans ses derniers retranchements. Il y a une limite à cette compression, limite au delà de laquelle l'Ego explose dans le satori. Alors l'Ego se diffuse dans le tout, s'accomplissant et s'anéantissant à la fois. »


Hubert BENOIT, « La doctrine suprême ».



La version anglaise de « La doctrine suprême », « The Interior Realization », est téléchargeable gratuitement :




La doctrine suprême



D'après le prix, le livre en français est devenu rare.


Commentaire d'un lecteur :

"Si je ne devais emporter qu'un seul livre dans une île déserte, ce serait celui-ci. Que je sache, rien n'a été écrit d'aussi clair sur le Zen que ce magnifique livre qui n'aurait peut être pas dû s'intitulé "La Doctrine Suprême" car n'est en rien doctrinal, mais plutôt "l'Eveil de l'Intelligence Indépendante". Ce livre étudie l'homme "normal", l'état de l'homme qui, à travers l'expérience du Satori est devenu normal et renferme un certain nombre de notions essentielles visant à améliorer notre compréhension de la condition humaine. Ce n'est certainement pas un "Digest" exposant "ce qu'il faut savoir sur le Zen", mais une sorte d'autobiographie d'un penseur occidental, psychanalyste de surcroit, qui pendant de longues années réfléchit au problème de la destinée humaine, développant devant nous une doctrine métaphysique traditionnelle."

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Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...