vendredi, janvier 29, 2016

Marthe Robin et la beauté du diable



par Jean Guitton

Née le 13 mars 1902 dans un village de la Drôme, Marthe Robin est morte le 6 février 1981 dans la maison paternelle qu'elle n'avait jamais quittée. Pendant trente années, cette fervente chrétienne simple et humble n'a pris aucune nourriture, aucune boisson.

Marthe faisait presque chaque jour une expérience étrange : il serait infidèle à sa mémoire de cacher ces choses. Pour parler avec exactitude et réserve, comme un observateur impartial, je me borne à dire qu'il y avait près d'elle un élément qui la contrecarrait ; qui, selon sa parole, « gâchait tout ». Tantôt d'une manière enfantine, comme un gosse en colère, il déplaçait les objets, il empêchait d'ouvrir la porte, il faisait tomber l'ampoule, mais toujours sans brisure, ni cassure, comme s'il était furieux et inoffensif. Tantôt il lui semblait susciter des obstacles au-dehors, machiner des aventures, des incidents, tenter, comme elle disait encore, de « démolir le Foyer ».

Je ne suis pas psychiatre, ni chargé d'enquêter sur le « Malin ». Je me borne à décrire les apparences et les impressions. Ce qui m'a frappé dans ces témoignages, c'est que celui que Marthe appelait tout simplement Il n'avait sur elle qu'une action extérieure: il n'atteignait pas son intimité. Et il la portait plutôt à sourire. Avec ce maître d'ironie elle luttait en se servant des mêmes armes d'ironie. Elle m'en parlait laconiquement, miséricordieusement, comme une épouse parle d'un mari ivre, comme le soldat nomme le capitaine féroce.

"Il". Qui était cet "Il" ? On comprend que je pensais à celui que l'Évangile dans le Pater nomme « le Malin ». Nous préférons traduire par : « délivrez-nous du mal », ce qu'il faudrait traduire par : « délivrez-nous du Malin ». Et les exégètes, qui sont si susceptibles sur l'exactitude, qui n'ont plus accepté dans la traduction du Gloria le mot aimé de Jules Romains : les hommes de bonne volonté, ont dégradé le Malin pour le réduire au mal. Et sans doute ont-ils contenté ce compagnon subtil qui adore le déguisement et qui est si heureux de persuader aux sages de ce monde qu'il n'existe pas ? Ce qui m'a surpris en causant avec Marthe de cette lancinante et journalière épreuve, c'est que, comme les Évangiles de la Tentation, elle ne dépréciait pas son gentil Belzébuth. Descartes avait lui aussi, dans la nuit du 10 novembre 1579, cru voir ce Malin : il devait l'appeler un « malin génie » et lui faire jouer un grand rôle dans sa dialectique. Marthe disait qu'il était fort intelligent et elle ajoutait qu'il était beau.

Depuis ce temps, je n'ai plus jamais pu me représenter l'Adversaire sous des formes baroques, hideuses et grimaçantes. En Lucifer, quand je tente de l'imaginer pour le mieux peindre, je me figure un merveilleux visage de douteur. Je vois deux mains longues et fines, jointes par de beaux ongles comme dans la prière, mais sans cet entrelacement des doigts qui est le signe de l'amour. En somme, je conçois un être châtié d'avoir mal ou trop aimé la créature par une éternelle impossibilité d'aimer. Lorsque Marthe parlait de lui, disais-je, elle ne le méprisait pas. Elle l'apercevait dans sa noblesse, qui pour être déchue demeurait une noblesse. Caïn était protégé par Yahvé, qui ne permettait pas qu'on le touchât. Il était aux yeux de Marthe, comme le frère d'Abel, un prince déchu et sans espérance, qui avait reçu le pouvoir de tout « saccager ». Lorsqu'il s'attaquait à son corps virginal, qu'il le déportait, le frappait contre le mur, le jetait à terre (comme il fit à son dernier jour), elle n'était pas blessée : elle n'était pas même découverte. L'Impur respectait sa pudeur. Si, à son dernier moment de vie sur la terre, il l'a terrassée, j'ose croire que c'est par une dernière discrétion, pour lui permettre de s'évader solitaire hors de ce monde, sans déranger personne par une agonie.

En somme, le triomphe du Malin aux yeux de Marthe était un triomphe déjà défait : son pouvoir était un pouvoir impuissant. C'était aussi l'idée de Goethe : dans Faust, Méphistophélès parle en désespéré, comme un vainqueur vaincu.


Télécharger gratuitement le livre de Jean Guitton "Portrait de Marthe Robin" :
http://www.pdfarchive.info/pdf/G/Gu/Guitton_Jean_-_Portrait_de_Marthe_Robin.pdf

Chacun est un éveillé qui s’ignore

Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...