mercredi, octobre 19, 2016

Le mythe du Tibet



par Cécile Campergue


A
près l’exil de plusieurs milliers de Tibétains (80 000 à 100 000) en Inde en 1959 sous la protection du Dalaï-lama (certains maîtres avaient déjà quitté le Tibet à partir de 1951), le gouvernement tibétain, installé à Dharamsala, a choisi le bouddhisme comme fondement de son nationalisme. Comme l’écrit Fabienne Jagou : « Depuis sa fuite du Tibet, le XIVe Dalaï-lama et son gouvernement en exil véhiculent l’idée que la religion tibétaine est unique, qu’elle unit tous les Tibétains et qu’à ce titre elle doit être préservée » et, de ce fait, être diffusée. L’élite tibétaine en exil a adopté une représentation mythique d’un « Tibet sacré », national et spirituel, indispensable pour maintenir la vision d’un combat pour un « Free Tibet ».

Cette construction se superpose à la représentation mythique occidentale du Tibet, véritable paradis terrestre, un « Shangri-La ». La littérature occultiste et magico-ésotérique du XXe siècle a mis en avant des lamas tibétains aux pouvoirs et aux savoirs extraordinaires. Le Tibet est ainsi devenu la terre bénie des cercles occultes, spirituels et ésotériques. Ce mythe a connu plusieurs évolutions et s’est amplifié au cours du temps, ce qui a créé un décalage entre le bouddhisme tibétain tel qu’il est fantasmé et la réalité. On peut mentionner l’ouvrage phare « Le Troisième Œil » de Lobsang Rampa ou les récits d’Alexandra David-Néel, grande vulgarisatrice du bouddhisme tibétain, sans parler de « Tintin au Tibet »… Ce mythe a facilité l’exportation, puis l'adoption (somme toute assez rapide) par « l’Ouest » de cette religion, l’imaginaire occidental concernant le Tibet étant empreint de représentations positives : l’idée selon laquelle le Tibet abrite des maîtres réalisés pouvant sauver l’Occident est répandue par les pratiquants et sympathisants ; une supériorité spirituelle, voire morale est alors attribuée aux Tibétains.

Ce mythe est favorisé par les Tibétains eux-mêmes, qui ont bien compris que ces représentations idéalisées et mythifiées de leur terre ne pourraient que leur servir. La cause tibétaine s’est transformée en « cause universelle » : le Dalaï-lama se sert de la doctrine de l’interdépendance des phénomènes pour faire prendre conscience que chaque être humain porte en lui une part de responsabilité (d’où l’universalité de cette cause). Le mythe d’un Tibet hautement spirituel, au peuple bienveillant et pacifique par nature, va être opposé à la barbarie des communistes chinois qui ont détruit le dernier « bastion de l’humanité », un pays aux ressources humaines et écologiques inépuisables. La cause tibétaine va être commune à une grande majorité d’associations nouvellement créées, qu’elles soient à vocation religieuse (« centres du dharma »), culturelles, humanitaires ou politiques (associations militantes pour un « Free Tibet »). Elle va servir les premiers maîtres tibétains arrivés en France, bénéficiant ainsi d’une image positive de leur identité culturelle et religieuse.

Contrairement à d’autres formes de bouddhisme, qui remplissent le rôle d’une religion « ethnique », comme le Mahayana vietnamien ou chinois, le bouddhisme tibétain en dehors du Tibet n’est pas un bouddhisme à vocation identitaire, mais un bouddhisme essentiellement missionnaire. En Occident (mais également dans des pays asiatiques où le bouddhisme tibétain se propage), seules les élites religieuses sont tibétaines. En France, la « diaspora » tibétaine est faiblement représentée, puisqu’il n’y aurait pas plus de 150 Tibétains dans le pays, alors que l’auditoire est occidental. Les liens avec l’Inde, le Tibet et les camps de réfugiés sont omniprésents, participant à la construction, à la reconstruction, au financement des complexes matériels, aux institutions bouddhiques et aux différents projets des maîtres en Asie.


Cécile Campergue est docteur en ethnologie de l’Université Lyon II ; elle a soutenu en 2008 une thèse intitulée : « Le "maître" dans la diffusion et la transmission du bouddhisme tibétain en France ». Elle est chercheuse associée au Centre d’Etudes et de Recherches Anthropologiques de Lyon II.

La France est le pays d’Europe qui dispose du plus grand nombre de centres bouddhistes tibétains, ce qui mérite une attention particulière quant aux modalités de diffusion et de transmission du bouddhisme tibétain dans un nouveau contexte social et culturel.

Depuis une quarantaine d’années, plusieurs maîtres tibétains y sont venus pour fonder des « centres du dharma ». Le bouddhisme tibétain y jouit d’un statut particulier (la figure emblématique du Dalaï-lama joue un rôle important) et a bénéficié relativement tôt de reconnaissances institutionnelles que peinent à acquérir d’autres religions alors même qu’on lui préfère les termes de spiritualité, de philosophie ou de sagesse. Mais comment une religion hiérarchisée et ritualisée, culturellement marquée, en provenance d’un pays largement mythifié et idéalisé, où le politique et le religieux sont liés, a pu trouver un si large écho dans notre société ?

Les maîtres (lamas) sont à la fois la clé de voûte de l’édifice religieux et la clé de la compréhension de l’intensive diffusion du bouddhisme tibétain au niveau mondial car c’est autour d’eux que les fidèles s’agrègent en formant une communauté (sangha), le lama étant l’intermédiaire obligé qui donne l’accès à l’éveil.


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