jeudi, juin 14, 2018

Le monothéisme, la métaphysique des imbéciles





L'illusion monothéiste est l'une des caractéristiques des religions du Kali Yuga. 

par Alain Daniélou


Le principe du monde est indéfinissable, mais toute existence implique la multiplicité. Le Principe est au-delà de la manifestation, au-delà du nombre, au-delà de l'unité, au-delà du créé. « Il n'est saisissable ni par l'œil, ni par la parole, ni par les autres sens, ni par l'ascèse ou les pratiques rituelles. » (Mundaka Upanishad, III, I, 8.)



La métaphysique des imbéciles 

Le divin est défini, dans la philosophie shivaïte, comme « ce en quoi les contraires coexistent ». Nous trouvons la même définition chez Héraclite. « L'union des contraires » (coincidentia oppositorum) était pour Nicolas de Cusa la définition la moins imparfaite de Dieu.

L'homme, faisant partie du créé, ne peut concevoir ou connaître que les aspects multiples de la divinité. Le monothéisme est une aberration du point de vue de l'expérience spirituelle.

Issu d'une conception cosmologique qui aboutit à l'idée d'une cause première, ou d'ailleurs d'un dualisme premier, le monothéisme ne saurait s'appliquer à la réalité de l'expérience religieuse. On ne saurait communiquer avec la cause première de l'univers, au-delà des galaxies, pour recevoir des instructions personnelles d'ordre pratique. Une telle simplification fait partie de ce que les Hindous appellent « la métaphysique des imbéciles » (anadhikâri védânta). [...]



Conquête, génocide, destruction de l'ordre naturel 

La simplification monothéiste semble issue d'une conception religieuse de nomades, née chez des peuples qui cherchent à s'affirmer, à justifier leur occupation de territoires et leurs conquêtes. Le dieu est imaginé à l'image de l'homme. Il est réduit au rôle d'un guide qui accompagne la tribu dans ses migrations, donne des instructions personnelles à son chef. Il ne s'intéresse qu'à l'homme et, parmi les hommes, qu'au groupe des « élus ». Il devient une excuse facile à la conquête, au génocide, à la destruction de l'ordre naturel, comme nous pouvons l'observer tout au long de l'histoire. A l'origine, il n'exclut pas les dieux des autres tribus, les « faux dieux », mais uniquement pour les opposer, les détruire, et imposer sa domination et celle de « son peuple ». Nous pouvons suivre ce passage du polythéisme à l'exclusivisme, puis au monothéisme dans l'évolution de la religion du peuple hébreu. [...]

Ce sont les soi-disant « prophètes », qui prétendent communiquer directement avec un dieu personnel et unique, édictant des règles de conduite qui ne sont en fait que des conventions sociales et n'ont rien à voir avec la religion ou le domaine spirituel, qui ont été les principaux artisans des déviations du monde moderne. Le monothéisme est contraire à l'expérience religieuse des hommes ; il n'est pas un développement naturel, mais une simplification imposée. La notion d'un dieu, qui, ayant créé le monde, attendrait quelques millions d'années pour enseigner aux hommes, avec un retard difficilement excusable, la voie du salut, est évidemment une absurdité.

La perversion religieuse du monde sémitique 
et judéo-chrétien 

Les religions monothéistes ont toujours pour point de départ la pensée, l'enseignement d'un homme, qu'il se dise ou non le messager, l'interprète d'une puissance transcendante qu'il appelle dieu. Ces religions s'expriment en dogmes, en règles concernant la vie de l'homme. Elles deviennent inévitablement politiques et forment une base idéale pour les ambitions expansionnistes de la cité. Parmi elles, le Judaïsme, le Bouddhisme, le Christianisme et l'Islam sont théistes, le Jaïnisme et le Marxisme sont athées.

Adopté par le Judaïsme - qui ne fut pas monothéiste à l'origine - , le concept du « dieu unique » à figure humaine est en grande partie responsable du rôle néfaste des religions ultérieures. Moïse, influencé probablement par les idées du pharaon Akhaténon, fit croire au peuple juif en l'existence d'un chef de tribu qu'il appelait le « dieu unique » et duquel il prétendit recevoir des instructions. Mohammed devait plus tard se comporter de même. Ces imposteurs sont à la source de la perversion religieuse du monde sémitique et judéo-chrétien.

Avilir et asservir 

Ce « dieu », dont tant d'autres après eux ont prétendu interpréter les intentions jusque dans les domaines les plus relatifs, a servi de prétexte et d'excuse à la domination du monde par divers groupes d'« élus » et à un orgueilleux isolement de l'homme par rapport à l'œuvre divine.

L'impertinence et l'orgueil avec lesquels les « croyants » attribuent à « dieu » leurs préjugés sociaux, alimentaires, sexuels, qui d'ailleurs varient d'une région à l'autre, seraient comiques s'ils n'aboutissaient pas inévitablement à des formes de tyrannie, de caractère purement temporel. L'obligation de se conformer à des croyances et des modes d'action arbitraires est un moyen d'avilir et d'asservir la personnalité de l'individu, dont toutes les tyrannies, religieuses ou politiques, de droite ou de gauche, ne savent que trop bien se servir.

Le problème chrétien


Il faut distinguer le Christianisme des autres religions monothéistes, car, bien qu'il soit devenu un exemple typique des religions de la cité, il n'est pas certain qu'il représente l'enseignement réel du Christ lui-même dont il se réclame. Le message de Jésus s'oppose à celui de Moïse et, plus tard, de Mohammed. Il semble avoir été un message de libération et de révolte contre un Judaïsme devenu monothéiste, desséché, ritualiste, puritain, pharisien, inhumain. Sous sa forme romaine, le Christianisme s'opposa d'abord à la religion officielle de l'Empire comme il s'était opposé au Judaïsme officiel, à la religion d'État. Nous ne savons pas grand-chose des sources de l'enseignement de Jésus, de son initiation, de son séjour « dans le désert » vers l'Orient. Le mythe chrétien apparaît très lié aux mythes dionysiaques. Jésus, comme Skanda ou Dionysos, est fils du Père, de Zeus. Il n'a point d'épouse. Seule la déesse mère trouve place auprès de lui. Il est entouré de ses fidèles, de ses bhaktas qui sont des gens du peuple, des pêcheurs. Son enseignement s'adresse aux humbles, aux marginaux. Il accueille les prostituées, les persécutés. Son rite est un sacrifice. C'est dans la tradition orphique que la passion et la résurrection de Dionysos occupent une place centrale. C'est à travers l'Orphisme que nombre de « miracles » de Dionysos furent attribués à Jésus. Divers aspects de la légende du Dionysos orphique se retrouvent dans la vie de Jésus. Le parallèle est évident entre la mort et la résurrection du dieu et celle du Christ. [...]

Instrument de la domination impériale

Le Christianisme n'est devenu une religion importante qu'à partir du moment où il servit d'instrument à la puissance impériale de Rome. Longtemps, le Dionysisme et ses variantes lui disputèrent la primauté. N'oublions pas que les "Dionysiaques" de Nonnos datent du Ve siècle,de notre ère. C'est à partir du IVe siècle que Constantin décida d'utiliser l'Église comme moyen d'unification de l'Empire. L'histoire religieuse du monde et l'évolution du Christianisme lui-même auraient été tout autres si ce choix politique n'était pas tombé sur cette foi nouvelle.

Etat de dépendance morale et rituelle 

Le Christianisme devint un instrument de conquête et de domination du monde comme le Bouddhisme l'avait été pour les empereurs indiens. Cette forme d'action s'est perpétuée jusqu'à nos jours, permettant d'éliminer les cultes et les dieux autochtones de l'Europe et du Moyen-Orient, et plus tard d'étendre cette action au monde entier, privant les peuples de leurs dieux, donc de leur force, de leur personnalité, les réduisant à un état de dépendance morale et rituelle, prélude de leur complète annexion et assimilation. L'Amérique « latine » en est un exemple récent. L'Islam, puis le Marxisme ont aujourd'hui pris la relève.

Si nous séparons l'Évangile de l'Église, celui-ci devient fou

Les missionnaires chrétiens, souvent mandatés par des gouvernements athées, comme ce fut le cas pour la France – qui par ailleurs, sous la IIIe République, avait banni les congrégations religieuses - , ont été l'élément le plus puissant de la dépersonnalisation des peuples conquis et de leur asservissement au conquérant. L'excuse religieuse permit l'extermination des éléments réfractaires qui restaient attachés à leur culture, à leurs traditions, à leurs dieux. Le Christianisme ultérieur, « religion typique du Kali Yuga » (J. Evola, "Le Yoga tantrique", p. 19), est à peu près l'antithèse de ce que nous savons des enseignements du Christ. Il représente essentiellement la religion de la cité, de caractère social et moraliste. « Si nous séparons l'Évangile de l'Église, celui-ci devient fou », écrivait Jean Daniélou dans son dernier livre, montrant à quel point l'Église s'est éloignée du message de Jésus, qu'elle ignore et rejette en fait.

La domination de l'Inde par les musulmans, chrétiens et autres

L'Islam a utilisé le même monothéisme primaire et le même puritanisme agressif comme moyens de conquête et de domination. Dans l'Inde, soumise à la domination islamique, puis chrétienne, le Sikhisme d'inspiration musulmane, puis l'Arya Samâj de Dayânanda Sarasvati et le Brahmo Samâj de Dévendranâth Tagore (père du poète), et enfin le Gandhisme avec ses tendances monothéistes, son puritanisme, sa sentimentalité, inspirée des missionnaires chrétiens, sont des manifestations récentes de ces mêmes tentatives d'adaptation de la religion traditionnelle en se conformant aux préjugés sociaux des conquérants afin soi-disant de mieux pouvoir les combattre. Cela toutefois devait aboutir à des tragédies culturelles et humaines. Le culte marxiste, qui tend aujourd'hui à se substituer au Christianisme, ne s'intéresse qu'à l'homme social et empêche son épanouissement individuel. Il représente l'aboutissement de cette tendance. Il est l'antithèse absolue du Shivaïsme et du Dionysisme.

Le dogmatisme aberrant des Chrétiens 

Le message de Jésus est-il récupérable ? Ce n'est pas impossible. Il faudrait pour cela un retour à un Évangile moins sélectif et la redécouverte de tout ce que l'Église a soigneusement caché et détruit de ses sources et de son histoire, y compris les textes évangéliques soi-disant apocryphes dont certains sont plus anciens que les Évangiles reconnus par l'Église. Cela permettrait de revenir à ce que l'enseignement du Christ a pu être en réalité, c'est-à-dire une adaptation pour un monde et une époque particulière de la grande tradition humaine et spirituelle, dont le Shivaïsme et le Dionysisme représentent l'héritage. Le Christianisme originel ne s'est complètement séparé de ses sources que tard. Il a longtemps abrité des sectes initiatiques et mystiques continuant les pratiques dionysiaques. Il n'est pas absolument exclu qu'il puisse retrouver son sens primordial. Dépouillée des fausses valeurs dont, depuis saint Paul, on a entouré son enseignement, la personne du Christ peut éventuellement être réincorporée dans la tradition shivaïte-dionysiaque. Cela évidemment ne peut se faire qu'en dehors de ceux qui osent prétendre être les représentants de « Dieu » sur la terre et les interprètes exclusifs de « Sa » volonté. Une religion véritable ne peut être fondée que sur un humble respect de l'œuvre divine et de son mystère. Il est étrange que ce soit aujourd'hui la science athée, dans son effort pour comprendre sans préjugé la nature du monde et de l'homme, qui soit moins éloignée d'une religion véritable que le dogmatisme aberrant des Chrétiens. 



L'esprit moderne est anti-chrétien

« On dit que l'Occident moderne est chrétien, mais c'est là une erreur. L'esprit moderne est anti-chrétien parce qu'il est essentiellement anti-religieux... L'Occident a été chrétien au Moyen Âge, mais ne l'est plus. » (René Guénon, La "Crise du monde moderne", p.111-112.) C'est en effet à partir des environs de l'an 1000 qu'apparaît l'idée que l'homme est capable de dominer le monde, de rectifier la création, de donner en quelque sorte un coup de main à Dieu. Cela représente une transformation profonde dans l'attitude du monde chrétien. C'est donc en dehors des églises que le Christianisme pourrait redevenir, en se rattachant à ses sources, une religion véritable, c'est-à-dire universelle, religion de l'homme tout entier, de l'homme qui retrouve sa place dans le monde naturel et rétablit ses rapports avec le monde des esprits, de la nature et des dieux. Le dernier à le comprendre dans le monde chrétien fut saint François d'Assise. Une religion est en principe une méthode, une manière de se rapprocher du divin. Une religion vraie ne peut pas être exclusive, ne peut pas prétendre détenir la seule vérité, car la réalité divine a de multiples aspects, et les voies qui mènent au divin sont innombrables.




Pour Alain Daniélou, l'Occident a perdu sa propre tradition et éloigné l'homme de la nature et du divin. 


Ce sont les religions relativement récentes du monde aryen et sémitique, Judaïsme, Christianisme, Islam et Communisme qui ont éloigné l'homme du reste de la création et de l'expérience religieuse et mystique multimillénaire dont la tradition s'est préservée dans l'Inde jusqu'à nos jours et que l'Occident, s'il veut survivre, devra retrouver.

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