mercredi, janvier 30, 2019

Activité traditionnelle et travail moderne

Le corporatisme, une solution d'avenir...





"(...) on verra le monde revenir à l'état social du temps de
l'Empire romain, qui connut lui aussi les siècles de l'Usure ;
l'esclavage aura pris la forme du prolétariat, la ploutocratie
tiendra la place de l'aristocratie, et tout idéal aura disparu..."




Activité traditionnelle et travail moderne


(...) dans la conception traditionnelle, ce sont les qualités essentielles des êtres qui déterminent leur activité ; dans la conception profane, au contraire, on ne tient plus compte de ces qualités, les individus n’étant plus considérés que comme des « unités » interchangeables et purement numériques. 

Déshumanisation de l'activité professionnelle

Cette dernière conception ne peut logiquement aboutir qu’à l’exercice d’une activité uniquement « mécanique », dans laquelle il ne subsiste plus rien de véritablement humain, et c’est bien là, en effet, ce que nous pouvons constater de nos jours ; il va de soi que ces métiers « mécaniques » des modernes, qui constituent toute l’industrie proprement dite, et qui ne sont qu’un produit de la déviation profane, ne sauraient offrir aucune possibilité d’ordre initiatique, et qu’ils ne peuvent même être que des empêchements au développement de toute spiritualité ; à vrai dire, du reste, ils ne peuvent même pas être considérés comme d’authentiques métiers, si l’on veut garder à ce mot la valeur que lui donne son sens traditionnel.

Si le métier est quelque chose de l’homme même, et comme une manifestation ou une expansion de sa propre nature, il est facile de comprendre qu’il puisse servir de base à une initiation, et même qu’il soit, dans la généralité des cas, ce qu’il y a de mieux adapté à cette fin. En effet, si l’initiation a essentiellement pour but de dépasser les possibilités de l’individu humain, il n’en est pas moins vrai qu’elle ne peut prendre pour point de départ que cet individu tel qu’il est, mais, bien entendu, en le prenant en quelque sorte par son côté supérieur, c’est-à-dire en s’appuyant sur ce qu’il y a en lui de plus proprement qualitatif ; de là la diversité des voies initiatiques, c’est-à-dire en somme des moyens mis en œuvre à titre de « supports », en conformité avec la différence des natures individuelles, cette différence intervenant d’ailleurs d’autant moins, par la suite, que l’être avancera davantage dans sa voie et s’approchera ainsi du but qui est le même pour tous. 

Éveiller les possibilités latentes que l’être porte en lui

Les moyens ainsi employés ne peuvent avoir d’efficacité que s’ils correspondent réellement à la nature même des êtres auxquels ils s’appliquent ; et, comme il faut nécessairement procéder du plus accessible au moins accessible, de l’extérieur à l’intérieur, il est normal de les prendre dans l’activité par laquelle cette nature se manifeste au dehors. Mais il va de soi que cette activité ne peut jouer un tel rôle qu’en tant qu’elle traduit effectivement la nature intérieure ; il y a donc là une véritable question de « qualification », au sens initiatique de ce terme ; et, dans des conditions normales, cette « qualification » devrait être requise pour l’exercice même du métier. Ceci touche en même temps à la différence fondamentale qui sépare l’enseignement initiatique, et même plus généralement tout enseignement traditionnel, de l’enseignement profane : ce qui est simplement « appris » de l’extérieur est ici sans aucune valeur, quelle que soit d’ailleurs la quantité des notions ainsi accumulées (car, en cela aussi, le caractère quantitatif apparaît nettement dans le « savoir » profane) ; ce dont il s’agit, c’est d’« éveiller » les possibilités latentes que l’être porte en lui-même (et c’est là, au fond, la véritable signification de la « réminiscence » platonicienne).

Activité professionnelle, voie de réalisation intérieure


On peut encore comprendre, par ces dernières considérations, comment l’initiation, prenant le métier pour « support », aura en même temps, et inversement en quelque sorte, une répercussion sur l’exercice de ce métier. L’être, en effet, ayant pleinement réalisé les possibilités dont son activité professionnelle n’est qu’une expression extérieure, et possédant ainsi la connaissance effective de ce qui est le principe même de cette activité, accomplira dès lors consciemment ce qui n’était d’abord qu’une conséquence tout « instinctive » de sa nature ; et ainsi, si la connaissance initiatique est, pour lui, née du métier, celui-ci, à son tour, deviendra le champ d’application de cette connaissance, dont il ne pourra plus être séparé. Il y aura alors correspondance parfaite entre l’intérieur et l’extérieur, et l’œuvre produite pourra être, non plus seulement l’expression à un degré quelconque et d’une façon plus ou moins superficielle, mais l’expression réellement adéquate de celui qui l’aura conçue et exécutée, ce qui constituera le « chef-d’œuvre » au vrai sens de ce mot.

Esclavage de la main-d'œuvre 

On voit sans peine par là combien le véritable métier est loin de l’industrie moderne, au point que ce sont pour ainsi dire deux contraires, et combien il est malheureusement vrai, dans le « règne de la quantité », que le métier soit, comme le disent volontiers les partisans du « progrès », qui naturellement s’en félicitent, une « chose du passé ». Dans le travail industriel, l’ouvrier n’a rien à mettre de lui-même, et on aurait même grand soin de l’en empêcher s’il pouvait en avoir la moindre velléité ; mais cela même est impossible, puisque toute son activité ne consiste qu’à faire mouvoir une machine, et que d’ailleurs il est rendu parfaitement incapable d’initiative par la « formation » ou plutôt la déformation professionnelle qu’il a reçue, qui est comme l’antithèse de l’ancien apprentissage, et qui n’a pour but que de lui apprendre à exécuter certains mouvements « mécaniquement » et toujours de la même façon, sans avoir aucunement à en comprendre la raison ni à se préoccuper du résultat, car ce n’est pas lui, mais la machine, qui fabriquera en réalité l’objet ; serviteur de la machine, l’homme doit devenir machine lui-même, et son travail n’a plus rien de vraiment humain, car il n’implique plus la mise en œuvre d’aucune des qualités qui constituent proprement la nature humaine. Tout cela aboutit à ce qu’on est convenu d’appeler, dans le jargon actuel, la fabrication « en série », dont le but n’est que de produire la plus grande quantité d’objets possible, et des objets aussi exactement semblables que possible entre eux, et destinés à l’usage d’hommes que l’on suppose tous semblables également ; c’est bien là le triomphe de la quantité, comme nous le disions plus haut, et c’est aussi, et par là même, celui de l’uniformité. 

Cités concentrationnaires

Ces hommes réduits à de simples « unités » numériques, on veut les loger, nous ne dirons pas dans des maisons, car ce mot même serait impropre, mais dans des « ruches » dont les compartiments seront tous tracés sur le même modèle, et meublés avec ces objets fabriqués « en série », de façon à faire disparaître, du milieu où ils vivront, toute différence qualitative ; il suffit d’examiner les projets de certains architectes contemporains (qui qualifient eux-mêmes ces demeures de « machines à habiter ») pour voir que nous n’exagérons rien ; que sont devenus en tout cela l’art et la science traditionnels des anciens constructeurs, et les règles rituelles présidant à l’établissement des cités et des édifices dans les civilisations normales ? 

Il serait inutile d’y insister davantage, car il faudrait être aveugle pour ne pas se rendre compte de l’abîme qui sépare de celles-ci la civilisation moderne, et tout le monde s’accordera sans doute à reconnaître combien la différence est grande ; seulement, ce que l’immense majorité des hommes actuels célèbrent comme un « progrès », c’est là précisément ce qui nous apparaît tout au contraire comme une profonde déchéance, car ce ne sont manifestement que les effets du mouvement de chute, sans cesse accéléré, qui entraîne l’humanité moderne vers les « bas-fonds » où règne la quantité pure.

René Guénon

Chacun est un éveillé qui s’ignore

Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...