mardi, septembre 10, 2019

Révolte contre le monde moderne




Le monde contemporain

par Julius Evola

(...) Dans les démocraties parlementaires, républicaines ou nationales, la constitution des oligarchies capitalistes exprime alors le passage du pouvoir de la seconde caste à l'équivalent moderne de la troisième : le pouvoir passe du guerrier au marchand. Les rois du charbon, du fer, du pétrole, prennent finalement la place des rois du sang et de l'esprit. L'antiquité aussi avait parfois connu, sporadiquement, ce phénomène : à Rome et en Grèce, l'"aristocratie du cens" a souvent forcé l'appareil hiérarchique, en accédant à des charges nobiliaires, en minant les lois sacrées et les institutions traditionnelles, en pénétrant dans l'armée et jusque dans le sacerdoce ou le consulat. 

Plus tard, on a vu la révolte des Communes et l'apparition, sous des formes diverses, d'une puissance commerciale. La proclamation solennelle des droits du "Tiers Etat", en France, constitua l'étape décisive à laquelle succédèrent les diverses variétés de la "révolution bourgeoise", c'est-à-dire précisément de la troisième caste, à laquelle les idéologies libérales et démocratiques servirent d'instruments. Parallèlement, la théorie du contrat social est caractéristique de cette ère : on ne trouve même plus à présent, comme lien social, une fides de type guerrier, des rapports de fidélité et d'honneur. 

Le lien social revêt un caractère utilitaire et économique : c'est un accord fondé sur la convenance et l'intérêt matériel le seul qu'un marchand puisse concevoir. L'or sert d'intermédiaire et celui qui s'en empare et sait le multiplier (capitalisme, finance, trusts, industrie) contrôle virtuellement, derrière la façade démocratique, le pouvoir politique et les instruments servent à former l'opinion publique. 

L'aristocratie cède la place à la ploutocratie ; le guerrier au banquier et à l'industriel. L'économie triomphe sur toute la ligne. Le trafic de l'argent et l'agiotage, jadis confiné aux ghettos, envahit toute la nouvelle civilisation. Selon l'expression de Sombart, dans la terre promise du puritanisme protestant, avec l'américanisme et le capitalisme, ne vit que de l'"esprit hébraïque distillé". Et il est naturel, compte tenu de cette parenté, que les représentants modernes de l'hébraïsme sécularisé aient vu s'ouvrir devant eux, durant cette phase, les voies de la conquête du monde. Le passage suivant de Karl Marx est, à cet égard, caractéristique : 

« Quel est le principe mondain de l'hébraïsme ? L'exigence pratique, l'avantage personnel. Quel est son dieu terrestre ? L'argent. L'Hébreu s'est émancipé d'une manière hébraïque non seulement parce qu'il s'est approprié la puissance de l'argent, mais aussi parce que, grâce à lui, l'argent est devenu une puissance mondiale et que l'esprit pratique hébraïque est devenu l'esprit pratique des peuples chrétiens. Les Hébreux se sont émancipés dans la mesure où les Chrétiens sont devenus des Hébreux. Le dieu des Hébreux s'est mondanisé et est devenu le dieu de la terre. Le change est le vrai dieu des Hébreux ».


En réalité la codification religieuse du trafic de l'or comme du prêt à intérêt, propre aux Hébreux, peut être considérée comme la base même de l'acceptation et du développement aberrant, dans le monde moderne, de tout ce qui est banque, finance, économie pure, phénomène comparable à l'envahissement d'un véritable cancer. Tel est le moment fondamental de l'"époque des marchands".

Enfin, la crise de la société bourgeoise, la lutte des classes, la révolte prolétarienne contre le capitalisme, le manifeste de la "Troisième Internationale" et l'organisation corrélative des groupements et des masses dans les cadres d'une "civilisation socialiste du travail" marquent le troisième effondrement, par lequel le pouvoir tend à passer à la dernière des castes traditionnelles, à celle de l'homme de peine et de l'homme-masse, ce qui entraîne comme conséquence la réduction de tous les horizons et de toutes les valeurs au plan de la matière, de la machine et du nombre. La révolution russe en est le prélude. Le nouvel idéal est l'idéal "prolétarien" d'une civilisation universelle communiste.

Le réveil et l'irruption des forces élémentaires sub-humaines dans les structures du monde moderne correspond, a le même sens que ce qui arrive à un individu qui ne supporte plus la tension de l'esprit (première caste), ne supporte pas même, ensuite, celle de la volonté en tant que pouvoir libre qui meut le corps (caste guerrière) s'abandonne aux forces sub-personnelles du système corporel, mais, tout d'un coup, se relève magnétiquement sous l'impulsion d'une autre vie qui se substitue à la sienne. Les idées et les passions du demos finissent par ne plus appartenir aux hommes, elles agissent comme si elles avaient une vie autonome et redoutable et en se jouant d'elles à travers les intérêts ou les "idéaux" qu'elles pensent poursuivre jettent les nations et les collectivités les unes contre les autres, dans des conflits ou des crises dont l'histoire ne connaissait pas d'exemple
avec, à la limite, la perspective de l'écroulement total, de l'internationale mondiale placée sous les signes brutaux de la faucille et du marteau.

Tels sont les horizons du monde contemporain. De même que l'homme ne peut vraiment être libre qu'en adhérant à une activité libre, de même, en se concentrant sur des buts pratiques et utilitaires, sur des réalisations économiques et sur tout ce qui appartient, en principe, au domaine des seules castes inférieures, l'homme abdique, se désintègre, se décentre, se rouvre aux forces inférieures, dont il est destiné à devenir rapidement et sans même qu'il s'en aperçoive, l'instrument. La société contemporaine se présente précisément comme un organisme qui est passé du type humain au type sub-humain, chez lequel toute activité et toute réaction est déterminée par des besoins et des tendances de la vie purement corporelle. Ses principes dominants coïncident, exactement avec ceux qui étaient propres à la partie physique des hiérarchies traditionnelles: l'or et le travail. Les choses sont orientées de telle sorte que ces deux éléments conditionnent aujourd'hui, presque sans exception, toute possibilité d'existence et forgent des idéologies et des mythes qui font apparaître on ne peut plus clairement le degré de perversion de toutes les valeurs...


Initialement paru en 1934, traduit en allemand un an après, " Révolte contre le monde moderne " est considéré comme l'ouvrage le plus important de Julius Evola (1898-1974). Ce livre prouve que déjà à cette époque, les bases d'une révolte globale contre la civilisation contemporaine avaient été posées, révolte en comparaison de laquelle la " contestation " qui s'est exprimée à la fin des années soixante du XXe siècle apparaît chaotique et invertébrée. Au-delà des derniers aspects du monde moderne - hypertrophie de la technique, société de consommation, conditionnement de masse, etc. -, ce livre remonte aux causes, analyse les processus qui, depuis des siècles, ont exercé une action destructrice sur toute valeur authentique et toute forme supérieure d'organisation de l'existence, ont soustrait le monde des hommes aux influences spirituelles pour le livrer à l'individualisme, au matérialisme, à l'irréalisme et à sa rhétorique spectrale. 

La première partie du livre, " Le monde de la Tradition ", définit, à travers une étude comparée embrassant les civilisations les plus variées, une doctrine des catégories fondamentales du monde traditionnel : la royauté sacrée, la paix et la justice, l'État et l'Empire, le rite, la contemplation et l'action, l'initiation et le sacre, la guerre, les " jeux ", le statut de l'homme et de la femme, etc. Ainsi sont indiquées les voies qui conduisent parfois au-delà de la condition humaine, ou bien qui lui assuraient une stabilité inébranlable. A l'inverse, l'homme moderne apparaît comme un cas aberrant d'être non plus relié aux forces d'en haut et emporté par la "démonie" du collectif vers de nouvelles formes de la barbarie. 

La deuxième partie du livre, "Genèse et visage du monde moderne", développe une "métaphysique de l'histoire", à travers l'exposition de la doctrine traditionnelle des cycles, des considérations sur le symbolisme du pôle, l'habitat hyperboréen originel, la "Lumière du Nord" et la "Lumière du Sud", le matriarcat, etc. Elle se poursuit par l'analyse des cycles de la décadence, depuis les grandes cultures préchrétiennes jusqu'à la Russie et l'Amérique contemporaines, en passant par le monde gréco-romain et le Moyen Age. 

En 1935, le poète Gottfried Benn salua ce livre comme "une oeuvre dont l'importance exceptionnelle apparaîtra clairement dans les prochaines années et écrivit qu'en la lisant" on regardera l'Europe d'une autre manière". 


Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...