vendredi, septembre 27, 2019

Une involution civilisationnelle, le tittytainment


Le tittytainment

par Lucien Cerise

Les architectes de la mondialisation l'ont parfaitement compris : pour être vraiment efficace, la fabrique du consentement suppose l'abolition de toutes les frontières.

En effet, c'est le maintien de frontières, à tous les niveaux de l'existence, qui rend possible la comparaison, la contradiction, la possibilité de dire « non » et tout le jeu de la dialectique politique qui s'ensuit. C'est aussi le maintien de frontières qui appuie le protectionnisme économique nécessaire si l'on souhaite conserver l'autonomie matérielle et l'indépendance intellectuelle qu'elle permet. 


À l'opposé, l'ingénierie mondialiste cherche en visée ultime à élaborer ce fameux « village global » sans frontières, qui donnerait les moyens d'obtenir le consentement définitif des populations sur tous les sujets, de sorte à ne pas être contraint d'y travailler constamment. 

Avec l'abolition des frontières, c'est-à-dire du principe même de toute extériorité, s'abolit également la possibilité de toute comparaison et contradiction fondamentale, donc de tout contre-pouvoir critique et de toute résistance. Un monde mondialisé, unipolaire, sans frontières et politiquement unifié sous un gouvernement centralisé et un système unique de valeurs et de normes, en finirait une bonne fois pour toutes avec la possibilité même de penser autrement. A monde unique, pensée unique. À ce titre, l'ingénierie du Nouvel Ordre mondial, comme effacement des frontières sous une tutelle unique, s'identifie à un processus de régression préœdipienne et d'infantilisation délibérée des populations.

Du point de vue de la psychogenèse, le giron maternel est éprouvé par l'enfant comme une continuité de son vécu intra-utérin, c'est-à-dire comme ce monde unique et englobant, sans extériorité, sans limites, sans frontières, monde absolu, sans comparaison, ni relativisation, ni contradiction ; et l'enfance est cet âge de la vie sans politique, marqué par l'adhésion spontanée aux valeurs dominantes du corps social, l'immersion conformiste et grégaire dans les normes du monde environnant, et surtout l'impuissance à réagir contre une altération de ses conditions de vie. 

Construire la dépolitisation de l'humanité, construire le « oui » à tout, le consentement global, passe donc par un abaissement provoqué de sa maturité psychique moyenne et son retour dans une espèce de giron maternel étendu au monde entier.

Dans la perspective de bâtir cette docilité générale, Zbigniew Brzezinski, l'homme qui était derrière Oussama Ben Laden dans les années quatre-vingt l'homme qui [...] (était) derrière Barack Obama, a proposé le concept de tittytainment. Deux journalistes allemands nous rapportent la naissance de cette notion à l'occasion de la première rencontre internationale State of the World Forum, tenue en septembre 1995 dans un grand hôtel californien : « L'hôtel Fairmont de San Francisco est un cadre idéal pour les rêves aux dimensions planétaires. [...]

L'avenir, les pragmatiques du Fairmont le résument en une fraction et un concept : "deux dixièmes" et "tittytainment". Dans le siècle à venir, deux dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l'activité de l'économie mondiale. [...] Mais pour le reste ? Peut-on envisager que 80 % des personnes souhaitant travailler se retrouvent sans emploi ?

"Il est sûr, dit l'auteur américain Jeremy Rifkin, qui a écrit le livre La Fin du travail, que les 80 % restants vont avoir des problèmes considérables." [...] C'est un nouvel ordre social que l'on dessine au Fairmont, un univers de pays riches, sans classe moyenne digne de ce nom - et personne n'y apporte de démenti. 

L'expression "tittytainment", proposée par ce vieux grognard de Zbigniew Brzezinski, fait en revanche carrière. Ce natif de Pologne a été quatre années durant conseiller pour la Sécurité nationale auprès du président américain Jimmy Carter. Depuis il se consacre aux questions géostratégiques. "Tittytainment", selon Brzezinski est une combinaison des mots "entertainment" et "tits", le terme d'argot américain pour désigner les seins. Brzezinski pense moins au sexe, en l'occurrence, qu'au lait qui coule de la poitrine d'une mère qui allaite. Un cocktail de divertissement abrutissant et d'alimentation suffisante permettrait selon lui de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète. [...] On voit émerger la société des deux dixièmes, celle où l'on devra avoir recours au tittytainment pour que les exclus restent tranquilles. 

Le songe creux et infantilisant dans lequel Brzezinski propose d'enfermer les populations pour mieux les contrôler présente les caractéristiques d'une sorte de réalité virtuelle complètement dépolitisée, un Disneyland global fondé sur la consommation et le Spectacle. La sécurisation totale du pouvoir des élites s'appuie nécessairement sur la déréalisation de l'existence de la plèbe, déréalisation qui consiste en un « réenchantement du monde » forcené (thème de l'université d'été 2005 du MEDEF), dont le but est de parvenir à faire creuser gentiment sa propre tombe à quelqu'un, puis à l'y faire descendre avec le sourire et à se recouvrir de terre dans la joie et la bonne humeur. On reconnaîtra ici la tendance sociologique dite du cocooning, jouant le rôle d'un nouvel opium du peuple, bien plus efficace que la religion car totalement dénué d'effet de sublimation. 

L'ingénierie sociale se donne ainsi pour objectif de rendre tolérable, et même désirable, une involution civilisationnelle profondément morbide en la parant de tous les traits du rajeunissement perpétuel, donc apparemment de la vitalité et de l'avenir, avec, pour visée ultime, la "fœtalisation" de l'humanité au moyen de son insertion dans un environnement social conçu a limage d'un immense utérus artificiel, c'est-à-dire dénué de frontières et de contradictions. Le stade intra-utérin et, par extension tous les stades immatures (nouveau-nés, nourrissons, bébés et jeunes enfants) se caractérisent, certes par leur vitalité organique, mais surtout par leur plasticité mentale aisément malléable ainsi que leur état d'aliénation totale, complètement à la merci d'autrui (la Hilflosigkeit freudienne). 

Il s'agit donc de reproduire dans l'extra-utérin les conditions d'une existence intra-utérine : fusion avec autrui dans un grand tout homogène et enveloppant, obéissance au mouvement général, jouissance continue et immédiate, complétude, identité unifiée, absence de tensions, de contradictions, de contestations, pure positivité, donc fin de l'Histoire, fin de tout, en un mot, le paradis, le cocon définitif ! 

De nombreux auteurs ont étudié d'un point de vue critique les aspects de cette régression préœdipienne globalisée à commencer par Gilles Châtelet dans son Vivre et penser comme des porcs - De l'incitation à l'envie et à l'ennui dans les démocraties-marchés. 

Les autres titres ne sont pas moins éloquents, de Jean-Claude Michéa : L'Enseignement de l'ignorance et ses conditions modernes, à Dany-Robert Dufour, L'Art de réduire les têtes - sur la nouvelle servitude de l'homme libéré à l'ère du capitalisme total, en passant par Charles Melman et Jean-Pierre Lebrun L'Homme sans gravité. Jouir à tout prix, Michel Schneider Big Mother. Psychopathologie de la vie politique, et Jean-Claude Liaudet, Le Complexe d'Ubu ou la Névrose libérale

Tous ces textes se consacrent à l'analyse du contrôle social contemporain dans ses spécificités inédites, à savoir la dépolitisation des masses par la mise en place d'un type de société reposant sur les caractéristiques du giron maternel, induisant un abaissement de l'âge mental moyen ainsi qu'un certain nombre de nouvelles pathologies mentales tournant autour de la dépression et de la perversion. 

En cherchant à abolir toutes les frontières, donc toutes les limites, et dans le même geste la notion même d'extériorité, de monde extérieur, objectif, réel, l'ingénierie mondialiste cherche ainsi à construire une forme de société déréalisée s'appuyant sur une culture de l'intériorité, de la fusion charnelle dans un bloc identitaire homogène, et du rejet corrélatif de tout ce qui est hétérogène, autre, bref de tout ce qui rappelle le Père, c'est-à-dire l'instance qui fissure l'emprise exclusive et englobante du monde maternel pour introduire au "monde extérieur" et au réel.

Lucien Cerise, Gouverner par le chaos - Ingénierie sociale et mondialisation. 


Vous, les mondialistes messianiques, secte diabolique et mortifère, matrice de guerres, pillages et misère, vous savez pourquoi vous
"Ouvrez les frontières"


"(...) l'abolition des frontières, c'est le règne de la mort, tant au plan biologique que psychique. Il n'y a de vie psychique, c'est-à-dire de production de sens, que dans l'incertitude et l'affrontement à un quelque chose qui résiste, à un réel quelconque, une frontière, une limite. Si les frontières ne résistent plus, ce sont les principes mêmes d'identité, de distinction et d'élaboration sémantique qui vacillent, signant à terme l'effondrement du système sur lui-même, ou alors sa survie dans un espace liminaire qui est celui du « zombie », à mi-chemin entre la vie et la mort." (Lucien Cerise)

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