vendredi, janvier 17, 2020

L'archéosophie, un ésotérisme chrétien



Astrologue, médium, Théosophe, directeur d’une école de yoga et fondateur d’un ordre initiatique à Turin pendant les années 1940, Tommasso Palamidessi (1915-1983) crée à Rome, en 1968, l’« Archéosophie », doctrine ésotérique soutenue par une forte inspiration chrétienne, à laquelle fait pendant l’école initiatique Archeosofica. Si le discours du Palamidessi occultiste montre à l’historien les premières traces de la diffusion, dans l’Italie du XXe siècle siècle, de tout un faisceau d’intérêts encore assez exotiques à l’époque en question, l’Archéosophie, elle, se fonde sur une réélaboration originale de la notion d’« ésotérisme chrétien », issue des milieux ésotériques européens du début du siècle, et qui n’avait trouvé en Italie qu’un écho très discret. En arrière-plan de cette réécriture on lit le besoin, typique de bien des nouveaux mouvements religieux, de légitimer son existence par le recours à une « tradition inventée ».


Une tradition inventée 


par Francesco Baroni 

L’Archéosophie appartient de plein droit à la catégorie des « nouveaux mouvements religieux » : il s’agit d’une association construite autour d’une doctrine originale, soit d’une organisation débutante, sans histoire, dépourvue de liens institutionnels avec les structures sociales, culturelles et politiques de son époque. Contrairement à un certain type de nouveaux mouvements religieux que l’on a pu qualifier de « world-rejecting », en outre, l’Archéosophie est caractérisée par une ouverture certaine vis-à-vis de la société : elle a été créée par Palamidessi pour se répandre dans le monde et [...] elle ne fait rien pour cacher ses activités, qu’elle choisit aussi en fonction de l’attrait qu’elles peuvent exercer auprès du grand public.


De ce fait, l’Archéosophie se trouve confrontée à un besoin de légitimation, tant interne (vis-à-vis de ses propres adhérents), qu’externe (vis-à-vis du reste de la société). C’est surtout ce dernier aspect, du reste, qui pose problème, s’il est vrai, comme le montrent les études de Melton et Stark, que les conflits avec la société environnante constituent une des principales caractéristiques des nouvelles religions. C’est précisément à ce besoin de légitimation, comme l’a fait remarquer Titus Hjelm, que répond souvent la construction d’une tradition au sein des nouveaux mouvements religieux : « La tradition devient une stratégie utilisée pour donner du poids et de la crédibilité à la religion en question ». Les chercheurs ont donc constaté, dans l’histoire des nouveaux mouvements religieux, toute une « tradition d’invention des traditions », vague qui semble faire partie d’un processus plus vaste de « fabrication de traditions » typique de la modernité depuis la fin du XXe siècle. [...]

Les stratégies suivies par les représentants des courants ésotériques contemporains, notamment d’inspiration Théosophique ou post-Théosophique afin de construire des « traditions » sont assez bien connues : récupération de matériaux historiques et para-historiques divers, recherche de correspondances entre une pluralité de traditions, référence à une tradition orale ou à des documents anciens qui leur seraient parvenus (et auquel l’historien ne peut avoir accès...) ou à des informations obtenues par voie métapsychique. Ainsi, par exemple, Blavatsky parle de la ville mythique de Shambhala en faisant allusion à d’« anciens documents », dont l’existence n’a pu être établie. Alice Bailey, de son côté, affirme que les informations dont elle dispose au sujet de Shambhala reposent sur des communications reçues via le channeling. Ceci s’applique également aux courants ésotériques concernés par la question de l’ésotérisme chrétien : selon Steiner, pour parvenir à une compréhension réelle des évangiles et à une reconstruction de la réalité historique qui les sous-tend, on ne peut que recourir aux méthodes de la « science spirituelle ».

La méthode suivie par Palamidessi pour construire son ésotérisme chrétien semble, dès lors, fortement représentative des tendances de la plupart des mouvements ésotériques contemporains. Le fondateur de l’Archéosophie [...] reprend d’abord une mythographie issue de la Théosophie christianisante d’Annie Besant, selon laquelle Clément d’Alexandrie et Origène auraient été les légataires de la doctrine ésotérique du Christ (une doctrine analogue à celle des autres « traditions ésotériques » de l’Antiquité) ; il étaye, ensuite, cette mythographie par la lecture des textes patristiques grecs, textes dont s’étaient déjà servis, quoique dans une moindre mesure, les Théosophes et d’autres auteurs d’orientation pérennialiste comme Schuon ; et il fournit comme garant de l’exactitude de sa reconstruction historique sa « mémoire réincarnative », qui contient ceux qu’il considère comme ses « souvenirs de vies antérieures » et qui prouverait sa prétendue identité avec Origène.

Grâce à cette stratégie, Palamidessi tente donc de légitimer l’existence de son mouvement tant face à ses adeptes qu’à la société environnante. La référence constante aux origines alexandrines de l’Archéosophie, en effet, établit un lien direct de continuité entre une organisation surgie à la fin des années 1960 du bouillonnement ésotérique contemporain d’un côté, et un passé très ancien de l’autre, et justifie par là même, sur un plan historique, non seulement l’existence de l’Archéosophie, mais aussi son utilité : faire revivre l’ésotérisme chrétien de naguère sous une forme nouvelle, adaptée à la mentalité du XXe siècle.

Notons, pour conclure, qu’en plus d’offrir une légitimé à l’existence de la doctrine et de l’organisation de Palamidessi, la mise en place d’une « tradition chrétienne ésotérique » originale semble jouer, au sein de l’Archéosophie, une deuxième fonction « pratico-sociale » : celle de permettre, en son sein, la structuration d’une hiérarchie. En premier lieu, naturellement, parce qu’elle légitime l’autorité de Palamidessi lui-même en tant que fondateur et guide du mouvement archéosophique. Deuxièmement, parce que le degré d’avancement doctrinal des disciples de Palamidessi semble dépendre aussi, pro parte, de leur connaissance de la « tradition » ésotérique révélée par le maître : rappelons ici que le texte "Storia del cristianesimo esoterico", contenant la reconstruction la plus accomplie de la tradition chrétienne ésotérique telle que Palamidessi la concevait, et en particulier du christianisme ésotérique enseigné à Alexandrie, ne circule que parmi les disciples « confirmés ».

Preuve, s’il en est, qu’au sein d’un nouveau mouvement religieux, la référence à un passé par rapport auquel on revendique un rapport de continuité, fût-il fictif, demeure une stratégie de légitimation et de hiérarchisation fondamentale. À l’intérieur de la catégorie des « traditions inventées », à laquelle elle appartient de plein droit, l’Archéosophie représente un spécimen original, non dénué d’intérêt : celle d’un mouvement qui, en plus de se réclamer d’une tradition reconstruite à l’aide de matériaux historiques divers, aspire à résumer cette tradition même, à la réabsorber en son sein, et en dernière analyse à la dépasser, dans un élan évolutionniste qui est n’est au fond qu’un reflet, assez transparent, de la personnalité et du tempérament de son fondateur.

Extraits de la Thèse de Doctorat de Francesco Baroni, "Tommaso Palamidessi (1915-1983) et l’Archéosophie", École Pratique des Hautes Études.

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