vendredi, octobre 14, 2022

Quand la guerre est spirituelle certains textes peuvent nous aider



Le Nuage d'inconnaissance, ce texte "mystique anonyme du XIVe siècle se situe dans la pure lignée de la contemplation qui va de Denys l'Aréopagite à Thérèse de Lisieux en passant par la "docte ignorance" de Nicolas de Cuse et la "nuit" de Jean de la Croix".

 
Sur le Nuage d'inconnaissance

par Lilian Silburn


Le « Nuage d'inconnaissance » est d'un auteur anonyme, moine probablement qui vivait en Angleterre vers le milieu du 14e siècle.

Ce court traité est l'un des plus profonds de la mystique chrétienne et pourtant il est à peine connu en France et n'a pas la place qu'il mériterait dans la littérature religieuse.

II s'apparente étroitement par l'esprit et la méthode aux chefs-d'oeuvre de Saint Jean de la Croix qui lui sont postérieurs. Comme eux aussi il s'adresse aux contemplatifs qui cherchent à atteindre les sommets de la vie spirituelle, c'est-à-dire l'union mystique par la voie étroite du dénuement et de l'amour.

Ces contemplatifs ne sont nullement des savants ni des théologiens adonnés à la science et qui aspirent à la claire vision de Dieu puisqu'on ne peut jouir de cette vision en cette vie. Le nuage d'inconnaissance n'est qu'à l'intention des âmes humbles qui aspirent uniquement à suivre la voie de l'amour, cet élan direct du cœur vers Dieu et vers Dieu seul.

Ce nuage d'inconnaissance est un symbole particulièrement bien choisi pour exprimer l'expérience mystique dans tout son dénuement. Ce nuage qui s'interpose entre l'âme et Dieu et obscurcit la connaissance que l'âme pourrait avoir de Dieu rappelle la « divine obscurité » et la connaissance obscure par agnosie d'un saint Denys l'Areopagite et offre encore des points remarquables de similitude avec "la nuit obscure" de Saint Jean de la Croix.

Ce nuage est l'oubli de notre activité cognitive et le renoncement aux lumières surnaturelles ; car la vie spécifiquement mystique ne consiste pas pour l'auteur de ce petit livre en une claire considération de quelque objet qui se situerait au-dessous de Dieu quelque savant et favorable qu'il soit, comme la méditation sur les perfections divines, les dons de Dieu, les saints ou les béatitudes ; elle ne consiste pas non plus en un mouvement aigu de l'intelligence ni en curiosité d'esprit ou en imagination parce que « tout ce à quoi tu penses cela est au-dessus de toi pendant ce temps et entre toi et ton Dieu » (éd. Guerne, p.32). Par contre plus valable en soi et plus plaisant à Dieu est cet aveugle élan d'amour vers Dieu en lui-même et « un tel et secret empressement en ce nuage d'inconnaissance ». La raison en est que « l'amour peut en cette vie atteindre Dieu mais la science point ».

Il est donc possible selon l'auteur sans vue, ni lumière, ni connaissance, en un élan d'amour que sans cesse Dieu suscite dans notre volonté.

C'est en ceci précisément que consiste l'œuvre dont l'auteur donne une description extraordinaire car c'est la seule fois à ma connaissance qu'un mystique insiste autant sur la brièveté et l'instantanéité de l'œuvre c'est-à-dire de ce très court élan qui mène vers Dieu. Ce n'est pas une prière qui dure et s'alanguit mais un élan dont l'intensité s'accroît sans cesse parce qu'il reprend et se renouvelle. Comme le dit si bien l'auteur du nuage d'inconnaissance : « ce n'est pas un long temps que réclame cette oeuvre pour son réel achèvement. C'est en effet l'opération la plus brève de toutes celles que puisse imaginer l'homme. Jamais elle ne dure plus ni moins qu'un atome lequel atome ... est la plus petite partie du temps » et cet atome est la juste mesure de la volonté. Ce mouvement de la volonté est précisément ce que l'auteur appelle le « pieux et humble aveugle élan d'amour ». À l'aide de la grâce tous les mouvements d'une âme qui serait parfaitement pure convergeraient vers le souverainement désirable et aucun n'irait se perdre vers les créatures.

En ces conditions il nous paraît que les conseils que donne ce moine ne sont pas seulement utiles aux âmes qui ont effectivement renoncé au monde et vivent dans un cloître mais qu'ils sont aussi à la portée de tous ceux qui se sentent portés vers la vie contemplative, car s'il est indubitable que les longues oraisons sont incompatibles avec les multiples occupations de la vie journalière, ce bref élan du cœur et de la volonté qui est apte à se renouveler parce qu'il est amour peut très bien par contre accompagner une vie active dans le siècle. En effet pour que cette oeuvre s'accomplisse nous dit l'auteur « un rien de temps suffit ». « Ce n'est qu'un brusque mouvement et comme inattendu qui s'élance vivement vers Dieu, de même qu'une étincelle de charbon. Et merveilleux est-il de compter les mouvements en une heure se faire dans une âme qui a été disposée à ce travail. Et pourtant il suffit d'un seul mouvement entre tous ceux-là pour qu'elle ait soudain et complètement oublié toute choses créées. Mais sitôt après chaque mouvement, par suite de la corruption de la chair, c'est la chute dans quelque pensée ou action exécutée ou non. Mais qu'importe ? puisque aussitôt après il s'élance de nouveau aussi soudainement qu'il l'avait fait avant. d'elle » (p. 29-30).

Cet élan suffit pour unir à Dieu. Mais à certains il convient de « l'avoir comme plié et empaqueté dans un mot » afin de mieux s'y tenir et ce mot doit être bref, « Dieu », « amour » par exemple ; c'est avec ce mot qu'il nous est conseillé de frapper à coups redoublés sur le nuage d'inconnaissance et de rabattre toute manière de pensée « sous le nuage d'oubli » car à côté de ce nuage obscur qui se trouve entre l'âme et Dieu, l'auteur distingue un autre nuage qui serait cette fois-ci non plus au-dessus de l'âme mais au-dessous d'elle ; nous avons là le nuage d'oubli qui s'interpose entre elle et les créatures.

Ainsi le nuage d'inconnaissance est le symbole original dans lequel s'exprime l'expérience vécue du moine en sa double nudité : nudité intérieure totale à l'égard de la connaissance de Dieu, ce « Dieu immense et profond » de St Jean de la Croix qu'aucune vision ou révélation ne peut traduire et dénuement intégral de toute chose, oubli parfait et de soi-même et des autres.

Le travail et l'effort qui reviennent à l'âme sont en effet de fouler aux pieds le souvenir de tout ce qui n'est pas Dieu et de perdre « toute idée et tout sentiment de son être propre». (p.137).

Bien avant St Jean de la Croix, ce moine anonyme du XIV° siècle décrit encore un autre aspect de l'obscurité qui rappelle la nuit obscure du Saint. Il la nomme « l'affliction parfaite qui sert à purifier l'âme » . « Tu dois prendre en dégoût tout ce qui se fait en ton intelligence et en ta volonté, à moins qu'il n'y soit que Dieu seul. Parce que tout ce qui est autre, assurément quoi que ce soit, cela est entre toi et ton Dieu, rien d'étonnant que tu le détestes et haïsses de penser à toi-même quand il te faut toujours avoir sentiment du péché, cet horrible et puant bloc massif de tu ne sais pas quoi, lequel est entre toi et ton Dieu / cette masse pesante qui n'est point autre chose que toi-même ». (p.138).

Cette oeuvre qui paraît si ardue au début deviendra facile parce que par la suite c'est Dieu qui voudra travailler seul mais alors qu'on laisse cette oeuvre agir en nous-même et nous conduire où elle voudra sans nous y mêler par crainte de tout embrouiller. Qu'on devienne aveugle durant ce temps en rejetant tout désir de connaissance qui serait plus un obstacle qu'une aide « qu'il te suffise pour toi de te sentir mû et poussé par cette chose que tu ne sais pas quoi et dont tu ne sais rien sinon que dans ce tien mouvement tu n'as aucune pensée particulière pour aucune chose au-dessous de Dieu et que cet élan nu est directement dirigé vers Dieu ». (p.114)

Comme saint Jean de la Croix l'auteur du Nuage d'Inconnaissance dit nettement que l'oeuvre de Dieu en nous est passive et surnaturelle et que l'initiative de l'âme active et naturelle amènerait à éteindre l'esprit. Mais nous n'en saurons pas plus sur cette oeuvre divine ni sur l'illumination qui perce parfois le nuage d’inconnaissance ni sur l'embrasement d'amour qui en résulte, l'auteur ne pouvant ni ne voulant en parler car sa tâche se limite à décrire l'oeuvre propre de l'homme qui est attiré et aidé par la grâce.

La façon toute savoureuse, vivante et ingénue dont l'auteur fait part de ses conseils et de ses expériences est admirable par sa simplicité et sa nudité ; le lecteur n'y verra exposées et discutées que des choses essentielles, indispensables et suffisantes qui témoignent précisément de sa grande expérience spirituelle. C'est ce qui fait la valeur de ce court traité et en rend la lecture si attrayante.


Lire Le Nuage d'inconnaissance :




"Ce site présente des chemins mystiques que nos aînés ont tracés aux siècles passés. Il s'efforce d'éviter toute interprétation anachronique ou préjugé d'origine religieuse ou idéologique.

Il s'agit d'extraire d'un "océan des textes" les rares témoignages d'hommes et de femmes qui, parvenus au terme de leur quête, incitent à se lancer par noble ambition spirituelle sur le sentier de l'amour divin..."

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BONUS :

PDF gratuit : "Abhinavagupta, La Lumière sur les Tantras", traduit par Lilian Silburn

Lilian Silburn s’était attachée pendant des années à la traduction du Tantäloka avec le commentaire de Jayaratha. Elle avait étudié Jes douze volumes de ce vaste traité. Elle l’avait lu et discuté, au Cachemire, avec le swami Lakshman Joo, auprès duquel elle avait, au cours des ans, passé de nombreux mois. Elle s’est souvent référée, dans ses travaux, à ce texte d’Abhinavagupta, ainsi qu’au commentaire qu’en avait fait, quelque deux siècles plus tard, Jayaratha. C’était une des sources de sa pensée comme de sa recherche. Elle y trouvait analysés ou décrits des états et des expériences qu’elle connaissait.

Le Tanträloka, « La Lumière sur les Tantras », est l’oeuvre la plus étendue d’Abhinavagupta qui, comme on le sait, vécut au Cachemire vers la fin du 10e et au début du 11e siècle de notre ère. Il fut sans conteste un des plus grands esprits de l’Inde. Esthéticien, philosophe, il avait la vaste culture d’un brahmane érudit : la connaissance des "membres auxiliaires du Veda", les vedànga (grammaire, poétique, exégèse des rites, etc.), comme celle des systèmes traditionnels de pensée, les darsana. Vivant au Cachemire, où le bouddhisme du Grand Véhicule avait brillé d’un vif éclat, il connaissait également bien la pensée bouddhique, celle notamment de l’idéalisme vijnänavädin, à laquelle il se réfère souvent dans ses travaux philosophiques. Mais Abhinavagupta était sivaïte et d’une tradition tantrique non dualiste, et c’est cette forme de sivaïsme que — sans ignorer d’autres systèmes — il expose dans le vaste ouvrage qu’est le Tanträloka dont nous présentons ici les cinq premiers chapitres ou "journées" (ähnika). N'oublions pas, enfin, car c’est essentiel, qu’Abhinavagupta avait atteint les sommets de la vie mystique : sa description des voies de la libération est toujours éclairée à la lumière d’une expérience profonde, vécue.

Chapitres 1 à 5 du Tanträloka
Téléchargement gratuit ICI


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