mercredi, juin 22, 2022

Yoga

Memento pour l'exercice des membres psychiques du Yoga
Pour l'accession au mode Métaphysique

par Prajña


“Le Buddha a fait pendant 6 ans du Yoga avec deux Maîtres Alâra Kâlâma et Udraka Râmaputra et il a été en contact avec les techniques Yogiques, Tantriques, puisque le Tantra ne date pas de nos jours. Il l'a fait avec succès puisqu'il était arrivé avec les deux Maîtres à un point tel que chacun des deux Maîtres lui a offert la direction de l'affaire ! Il a refusé puisqu'il pensait que le niveau atteint par ces pratiques Yogiques n'était pas le niveau définitif …”.

Que l'on ne se trompe pas : cet aide-mémoire, très succinct, ne saurait être qu'un rappel des principales notions concernant la partie spirituelle ou d'articulation métaphysique du Yoga. Il n'est pas possible de pratiquer sur ces directives : un instructeur est nécessaire. La remarque est d'ailleurs valable pour de gros traités : le livre informe, mais il ne peut initier [Initium : commencement]. Même un traité de menuiserie n'a jamais pu faire un menuisier.

ORIENT et OCCIDENT

Nous ne pouvons pas, comme aux bords du Gange, nous asseoir toute la journée et toute la nuit sur une natte d'herbe Kusa. En outre, notre inconscient collectif d'occidentaux soumis à tous les “stress” de la vie moderne auraient avec les Yogas, un moyen d'assurer leur équilibre physiologique et psychologique d'une part, et d'autre part le moyen d'accéder à un mode métaphysique, ce troisième pied du trépied humain, assurant alors un équilibre parfait.

Les Quatre Premiers Membres :

Le Yoga a 8 Membres, mais nous parlerons peu des quatre premiers Membres dans cette étude.

Les deux premiers sont les règles d'éthique fonctionnelle : Yama, les réfrènements, les défenses, autrement dit la continence et Niyama, les observances pour maintenir cette continence, qui assurent le mode de vie favorable à l'exercice du Yoga.

Yama : ahimsâ (sans-violence), satya (vérité), asteya (non-vol), brahmacariyâ (conduite de Brahmâ sans désirs sensuels), aparigraha (non-possessivité).

Niyama : çausa (purification), samtosha (contentement, tapas : ardeur, feu de l'ascèse, fermes propos), svâdhyâya (étude), içvara-pranidhâna (consécration à içvara).

Les âsana (postures) par leur action sur le corps grossier et le corps subtil ou corps d'énergie, ou encore corps de Prâna, assouplissent, dégagent, libèrent les fonctions vitales, régularisent les flux hormonaux et enfin donnent l'assise favorable à l'exercice des quatre derniers Membres.

Le Prânayamâ, “contrôle du Prâna”, complète l'action des postures par le moyen de l'accumulation et de la libre circulation du Prâna. Le Prâna est cette énergie cosmique qui soutient la vie, qui est la vie même, et que le corps grossier extrait de la nourriture et surtout du “respir”.

Bien entendu, il ne faudrait pas penser que chacun de ces Membres agit séparément, de façon autonome. En fait il y a continuelle interdépendance.

Les Quatre Derniers Membres :

Les Quatre Derniers Membres du Yoga ont pour fonction d'apaiser le mental continuellement soumis, en Occident, aux excitations extérieures et aux incitations intérieures, par l'activité sensorielle, l'activité mnémonique, l'imagination et les pulsions de l'inconscient (du courant subconscient).

C'est pourquoi le deuxième aphorisme de Patañjali, donne comme définition du Yoga : “Annihilation des tourbillons du cœur” : “Yoga citta vrtti nirodha ” – C'est à cette seule condition que peut surgir la Connaissance transcendante ou Intuition métaphysique, la Prajñâ, qui ne s'exprime pas par des mots, des images, des pensées, mais par la béatitude de “composition”, de “synthèse”, exacte définition de “Samâdhi”.

Nous allons examiner successivement ces Quatre Derniers Membres et donner un moyen de les pratiquer selon nos possibilités occidentales. En effet, il nous semble exclu qu'un occidental, sauf exception, puisse unifier et calmer son cœur, citta, par la visualisation de Krishna, encore moins en visualisant la “montée de Kundalinî dans le Sushumnâ”. Ces opérations qui sont liées à la tradition, hors de son contexte d'origine, présentent, non seulement des difficultés mais aussi des dangers.

Une de ces techniques traditionnelles a cependant emporté notre adhésion, car elle ne se rattache à aucune donnée raciale ou religieuse. Nous la pratiquons et l'enseignons depuis de longues années. Cette technique basée sur la “Vigilance Remémoratrice au va-et-vient du souffle”, est bien adaptée à l'occidental. Elle peut opérer sans danger les Quatre éléments finaux du Yoga. Cette technique a été pratiquée par ce Grand Yogin qu'est le Bouddha, pour arriver à l'Eveil et d'en goûter la béatitude.

Elle a été transmise exactement par les textes et par les instruments, avec beaucoup de détails et son authenticité est assurée. On sait que les Quatre Derniers Membres du Yoga sont appelés en Sanskrit : Pratyahâra, Dhâranâ, Dhyâna, Samâdhi.

Nous allons essayer de cerner le sens de ces termes. Il est impossible de donner d'emblée une définition unique d'un mot Sanskrit, car le génie de cette langue est de donner pour chaque mot un faisceau de sens, mais nous aboutirons à un terme unique pour ne pas alourdir la suite de cet exposé.

Pratyâhâra : Retrait des sens de leur objet – fait de retirer – retraite – abstraction – dissolution du monde. Nous choisirons : retrait des sens de leur objet, en précisant bien que le mental est considéré comme un sixième sens.

Dhâranâ : Qui tient, porte – garde dans la mémoire – qui retient, préserve, protège, possède – contemplation. Nous choisirons : contemplation.

Dhyâna Mémoire : qui assume la forme de – se rappeler – s'absorber – méditation – pensée – réflexion. Nous choisirons : absorption.

Samâdhi : Concentration du citta accompagné de l'arrêt du souffle – se concentrer – se maîtriser – synthèse (grec : sunthesis) – composition (latin : composition) – union totale – accomplissement – achèvement. Nous emploierons le mot “samâdhi” faute d'un équivalent suffisamment proche. (C'est “l'Union avec le Brâhman”, c'est-à-dire la “disparition du moi”).

Pratique

Maintenant que les quatre termes sont à peu près clairs, comment y accéder par la pratique de la “Vigilance Remémoratrice au va-et-vient du souffle ?”. Faisons tout de suite remarquer l'extrême importance de “la Vigilance” : “Smrti”, qui a également le sens de : mémorisation – attentiveté – rappel – rappel de soi – prise de conscience – souvenir – pensée consciente – mental alerte et Vigilant – attention.

Sans vigilance, aucun Yoga n'est possible. La vigilance est le poteau auquel est lié ce cheval fou, sauvage, qu'est le mental, extrêmement prompt à s'échapper. L'attention a pour sœur la concentration. Les deux doivent aller de pair, mais si le champ de l'attention est grand, la concentration sera faible. Pour que la concentration soit puissante, il faut que le champ de l'attention soit restreint. La vie courante offre une occasion continue et favorable d'exercer l'attention, par le contrôle des effets des excitations et incitations tendant à distraire l'esprit, à le rendre inconscient, sans aucune possibilité de vie juste.

La pratique des Quatre Derniers Membres repose avant tout sur la posture qui met les corps en condition favorable, corps grossier et de Prâna, en veillant à ce que, principalement, la colonne vertébrale, l'arbre de vie, qui contient les principaux “nâdi” soit droite, ou plutôt en lordose naturelle.

La meilleure posture est celle du Lotus : Padmâsana, mais elle est difficile à garder longtemps par les occidentaux. On pourra essayer alors le demi-lotus : Ardha Padmâsana, ou Siddhâsana (appelé posture parfaite pour les dhyâna) ou sa variante, la posture Birmane, beaucoup plus aisée. Enfin, la posture de la foudre : Vajrâsana, dans le nord de l'Inde, ou la posture du héros : Virâsana, dans le sud de l'Inde, sont également satisfaisantes, surtout pour les femmes. L'essentiel est d'avoir les jambes croisées, les genoux au sol, le bassin plus haut que les genoux, le corps droit, les mains en Jñâna-mudra [Sceau de la connaissance] ou se touchant, la main droite sur la main gauche en Dhyâna-mudra [Sceau de la méditation]. On pourra remarquer que l'occidental conservant pendant longtemps la posture, a tendance à laisser courber la colonne vertébrale et à baisser la tête, ce qui est très défavorable. D'où l'usage d'un coussin qui, placé sous les fesses, redressera la colonne et permettra de garder la tête droite ; le menton est rentré. La hauteur de ce coussin dépend évidemment de la morphologie du pratiquant qui devra, après essai, trouver celle qui lui convient. Voici comment opérer successivement : prendre, hors du coussin, la posture, puis se dresser sur les genoux, pousser le coussin le plus haut en avant sous les fesses, basculer le haut du sacrum vers l'avant. Vérifier que la tête est droite, le menton rentré. Poser les mains comme il est dit plus haut. Coller la langue au palais, la pointe touchant le haut des dents supérieures. Faire converger les axes oculaires vers le bout du nez, au mieux vers le point entre les sourcils. 

Si vous prenez la posture Vajrâsana ou de la foudre, vous pouvez, pour plus d'aise, glisser un coussin entre les cuisses et les mollets ou vous asseoir sur le coussin soutenant le périnée, les jambes de chaque côté. Il est bon également de s'asseoir sur un coussin plat sur lequel reposera le coussin rond afin que les genoux plantés en terre, ne souffrent pas. La posture est alors assurée. Comme dit plus haut, ce bref “Memento” n'est qu'un aide mémoire. Pour connaître les raisons physiologiques et psychologiques de la posture et pour l'adaptation à la morphologie du pratiquant, les instructions d'un expert sont nécessaires.

Pratyâhâra ou retrait des sens de leur objet :

La posture étant assurée, on fait attention au va-et-vient du souffle en comptant sur l'inspiration et l'expiration. Celles-ci doivent être naturelles. Les comptes ne doivent pas être moindre que 5 ni dépasser 10, car moins de 5 le mental deviendrait “haché”, plus de 10, il deviendrait “confus”. Les chiffres doivent être visualisés. L'attention est telle que les sens doivent être coupés de leur objet, sauf le mental qui, maintenant les comptes, devient contrôlé. Mais on s'apercevra que ce mental, cheval fougueux et indiscipliné, va s'échapper très rapidement, par sauts, dans des directions tout à fait extravagantes. On le ramènera à l'attention au va-et-vient du souffle en lui faisant suivre le même chemin, à rebours. Lorsque cet exercice est réussi, c'est-à-dire lorsque pendant un temps assez long le mental est fixé sur le souffle, on passe au second exercice qui diminue le champ de l'attention et donc augmente la concentration. On visualise le souffle sous la forme d'un filet coloré, par exemple, jaune ou or, depuis la porte des narines jusqu'au svâdisthâna pour l'inspiration, du svâdisthâna jusqu'à la porte des narines pour l'expiration. Rappelons que le svâdisthâna est le “chakra de la stabilité”, encore appelé par les chinois, le “réservoir d'énergie”, situé à trois travers de doigt sous le nombril. Le retrait des sens de leur objet croit ainsi que la concentration. Là, encore, on s'apercevra de la fuite du mental, mais on sait le ramener et les échappées se font plus rares car il commence à être dressé.

Lorsque ce deuxième exercice est réussi pendant un temps assez long, on passe au troisième. Il consiste à devenir conscient du contact de l'air à la porte des narines, à l'entrée et à la sortie du souffle.

L'attention est alors extrêmement “appointée”, le retrait de l'esprit approche du maximum et la concentration croît encore.

Dhâranâ ou contemplation :

Cette contemplation est donc contemplation très forte. Si les exercices précédents sont réussis, nait ce que l'on appelle le “nimitta” ou signe de concentration réussie. Ce signe est en rapport avec le corps subtil [prânamayakosha]. Les chakras. Il varie avec chacun : ce peut être un souffle sortant du front ou du sommet de la tête, ce peut être une lumière dorée ou violette entre les sourcils. Ce signe est, à sa naissance, faible d'intensité, peu stable. Il faut alors se concentrer sur ce signe qui doit devenir intense, fixe. Mais cette concentration est encore discontinue, fragmentaire, les moments de concentration sont comparables à des gouttes d'huile qui tomberaient d'une bouteille. 

Dhyâna ou absorption ou instase (vers l'intérieur) :

La concentration devient intense sur le nimitta, et l'on observe alors que naissent dans cet état de conscience sublimée, les modalités suivantes : 

1. Application initiale (j'inspire-j'expire) semblable à un coup frappé sur une cloche. 

2. Application soutenue (le processus continue consciemment) comme le son de la cloche après le coup.

3. Le transport joyeux, au bas de la colonne vertébrale, des ondes de joies naissent, montent, hérissent les poils. 

4. Bonheur, état mental résultant de la réussite de la technique. 

5. Enfin concentration intense. On abandonne alors l'application initiale et l'application soutenue, il n'est plus d'activité mentale discursive, simplement on est devenu le support, le “champ” du transport joyeux et du bonheur. 

On abandonne le transport joyeux et le bonheur, la concentration devient continue, c'est dhyâna, concentration comparée à un filet d'huile sortant d'une bouteille. 

Samâdhi :

S'opère, avec cette concentration intense et continue, samâdhi, la synthèse, la composition, “Yoga”, fusion du sujet et de l'objet, jonction entre le conditionné et l'inconditionné, l'au-delà des “choses”, non identification avec quoi que ce soit, dés-individualisation. Paix, tranquillité, calme, connaissance, transcendance, béatitude, fin des tourments, des angoisses, des désirs, des agressivités, des illusions. 

Voici donc le but (qui est non but, puisque le “moi”, le petit moi s'étant éteint, nul n'atteint le but). Est-ce possible ? : certainement, oui. Mais on ne peut dissimuler la difficulté d'accomplir ces Quatre Derniers Membres, surtout le dernier. Des qualités, des conditions sont nécessaires, des empêchements sont à éliminer. Nous allons rapidement envisager qualités, conditions et empêchements. 

Qualités :

1. En premier lieu l'attention déjà définie. Puis sa fille, la concentration : attitude centripète, composition, focalisation, le mental fixé sur un point unique. 

2. L'énergie, mot traduisant mal le Sanskrit Virya, “qualité” de l'homme fort. 

3. La joie pouvant aller jusqu'au transport joyeux, l'enthousiasme. 

4. La tranquillité d'esprit ou équanimité, permet de se placer au-dessus de l'agréable et du désagréable, du positif et du négatif, le citta devenant égal et non troublé. 

5. La patience permet de surmonter les difficultés, l'ennui des périodes de “sécheresse”, la traversée du désert, l'acedia (acédie, sorte de mélancolie). 

Conditions :

- Un lieu tranquille, sans bruits percutants, ni trop chaud, ni trop froid, un environnement naturel. 

- Une vie saine : corps sain par une alimentation convenable, par la pratique des postures et des respirations. 

- L'alimentation doit être modérée, légère et énergétique, les aliments riches en prâna, bien mâchés, bien assimilés. 

- Le sommeil doit être court et reposant, quasi conscient, il faut éviter les rêvasseries, les états semi-conscients. Le sommeil avec rêve sera de plus en plus court au fur et à mesure de la purification du subconscient par dhyâna. 

- Les occupations doivent être sans embarras, l'exercice mental et physique modéré, toujours conscient et attentif. Il faut tendre vers une chasteté complète, l'orgasme étant un court-circuit, dépense énorme de prâna. 

- Les temps les meilleurs pour la pratique sont l'aube, midi, le crépuscule et minuit. 

- Enfin, exercer les trois moins : moins manger, moins dormir, moins parler.

Empêchements :

Il y a dans l'homme deux êtres : 

- L'un qui pressent et veut réaliser le "sans-naissance, sans-devenir, sans-création, sans-conditions" : "asti ajâti-abhûta-akrta-asamsktam" : l'état suprême. 

- L'autre qui ne veut pas que le premier y parvienne car il est le support, le témoin du “vouloirressentir, du vouloir-vivre, du vouloir-ignorer par absence de vue juste” : “ kâmâsrava-bhavâsravaavidyâsrava”.

Il faut distinguer sagement entre les deux êtres et faire taire le deuxième. Et quoi qu'il arrive, s'asseoir à heures fixes et là, ne serait-ce que pour quelques minutes, s'exercer. 

“On pourrait dire qu'en l'homme il y a trois “sphères” plus ou moins développées : 

- La sphère des corps de chair et de prâna, la somatosphère. 

- La sphère du cœur : la psychosphère.

- La sphère de Sagesse : la sophiosphère. 

Et toutes ces sphères s'interpénètrent. C'est pourquoi il est dit : “Ne pas fréquenter les fous mais s'associer aux sages”. Les somatosphères, les psychosphères souillées, souillent. Les sophiosphères ne sont pas souillées. “On est bien à ton ombre”, disait Rahula au Bouddha, son père. 

Si le mot “sphère” ne vous plait pas, prenons le mot “champ”, c'est-à-dire “partie d'espace où se manifeste des propriétés particulières”. Il y a donc le champ des corps, de champ des cœurs et le champ de Connaissance transcendante. Et si vous êtes Bodhisattva, que vos sphères, vos champs purs, purifient sphères et champs souillés. Mais PRENEZ BIEN GARDE ! 

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BONUS


"Il n'y a pas à s'exercer en vue de la libération finale ou mukti, et pas davantage en vue de l'expérience du soi, qui lui est identique." (Henri Le Saux)


Yoga & quête de soi

Par Henri Le Saux 

Le yoga a grande vogue de nos jours, même en Occident, où on en disserte peut-être plus que dans l'Inde elle-même. Il arrive malheureusement que cette vulgarisation fasse parfois perdre de vue le sens véritable du yoga. Le yoga est en effet avant tout une technique pour ramener et fixer l'esprit dans son centre. Le but du yoga est essentiellement de conduire le spirituel à la nue conscience de son existence, par-delà toutes les manifestations d'ordre phénoménal perceptibles à ses sens et à sa pensée. En ce centre ou cette cime de soi seulement, l'homme s'atteint et se réalise en la vérité de son être, plus exactement peut-être, de son acte d'exister. Il accède à ce que l'Inde appelle l'état de kevala, c'est-à-dire d'isolation où il se situe soi-même par rapport à tout ce qui n'est pas lui de façon essentielle et permanente, de tout ce qui en lui est simplement relatif et mouvant, les vritti ou tourbillons de sa pensée aussi bien que les transformations incessantes de son organisme. Il se découvre comme absolu et, par le fait même, réalise la parfaite liberté et la totale indépendance de sa personne. De ce point central de son être où il est lui, où il est soi-même, simplement, sans adjonction ou mélange d'aucune sorte, il est à même de dominer et de contrôler, sans que rien échappe, toutes les manifestations psychologiques, voire physiologiques, de sa vie.

Le moyen par excellence de parvenir à cet état est le contrôle progressif et de plus en plus serré de l'activité mentale, et, à la limite, son arrêt total. Dans cet arrêt précisément, la conscience qu'on a de soi brille enfin d'un éclat non mélangé et remplit à elle seule le champ total de la perception mentale. En vue de rendre possible ou du moins plus aisée cette maîtrise du flux mental, des exercices divers furent imaginés puis éprouvés par une longue expérience. Le plus important en est la méditation qui concentre l'esprit sur un point précis, physique, imaginatif ou mental. Il ne s'agit point ici de méditer au sens occidental du mot, d'imaginer par exemple une scène et d'en contempler successivement les différentes parts, ou bien de réfléchir sur une idée et d'en examiner les divers aspects. Au contraire la méditation yoguique vise à réduire à un point indivisible le champ de la conscience, à réaliser l'unité d'attention, à maîtriser la dispersion et à contraindre l'esprit au silence. Les exercices de postures (âsana) ou de respiration (prânâyâma) ont valeur purement préparatoire et sont tout ordonnés à cette fixation du psychisme. Leur but immédiat est de permettre au yogi de contrôler, de rythmer, voire d'immobiliser ou presque ses muscles, surtout ceux qui commandent les mouvements respiratoires. C'est qu'en effet il y a interconnexion entre le psychisme de l'homme et son organisme physiologique, et correspondance plus profonde encore, dit la tradition, entre le souffle vital (prâna) et le principe intérieur de la vie.

Le yoga étant une technique, il ne pouvait manquer de lui arriver ce qui arrive à toute technique, qu'elle soit d'ordre physique, psychique, social ou religieux. La technique en soi retient de plus en plus l'attention, et les moyens risquent d'être valorisés pour eux-mêmes aux dépens de la fin primitivement poursuivie. Les dangers alors du yoga ne sauraient être minimisés.

L'un des plus graves est de faire surgir au fond de la conscience du yogi une espèce de sur-moi, si puissant éventuellement qu'il est capable de contrôler et de dominer la conscience phénoménale, le flux mental et même les mouvements musculaires. Un tel sur-moi n'est en définitive qu'une exaltation du moi, de Pahamkâra, une prolifération cancéreuse de l'ego, un point de la conscience grandi démesurément par rapport au reste. Telle est la source de l'orgueil luciférien de certains yogis. Descendant au fond d'eux-mêmes, ils font effort pour passer soi-disant de soi au Soi. Mais ce vers quoi ils tendent et qu'ils appellent le Soi n'est finalement qu'une projection de leur pensée, le but qu'ils ont conceptualisé et qu'ils se forcent à atteindre. Ce n'est point alors à la perte de leur moi dans le Soi suprême qu'ils parviennent, comme ils se le figurent. Tout au contraire, conséquence même de l'attitude pélagienne qui a accompagné toute leur ascèse, c'est leur propre ego, avec toutes ses particularités et limitations, que, par leur concentration de pensée et leur force de volonté, ils ont enflé de façon monstrueuse et promu au rang de l'absolu.

En quête de soi

La méthode spirituelle de Ramana Maharishi — si par analogie on peut employer ce terme – était tout autrement libre et dépouillée. Elle découlait tout entière de son expérience personnelle ; il cherchait simplement à aider ses disciples à réaliser par eux-mêmes ce que lui-même avait un jour ressenti.

A quiconque venait le trouver et lui demandait sincèrement que faire pour progresser dans la voie spirituelle, Sri Ramana conseillait régulièrement la pratique du ko'ham, c'est-à-dire de l'interrogation mentale : « Qui (suis-) je ? ». C'est ce qu'il appelait l'âtma-vicâranâ, « investigation de l'âtman », c'est-à-dire la quête, la recherche, la poursuite de soi au-dedans de soi, au-delà de toute manifestation périphérique du je. L'âtma-vicâranâ consiste en la pénétration incisive de l'esprit jusqu'au fond de la conscience, à rebours pour ainsi dire du mouvement centrifuge de la pensée, remontant de pensée en pensée, plus exactement d'une pensée donnée à la conscience qu'on a de penser cette pensée, puis à la conscience de cette conscience et ainsi de suite. Tout particulièrement cette enquête ou investigation doit porter sur la pensée du je et la conscience de soi, sous-jacentes à toute pensée et à tout mouvement du psychisme. Il s'agit d'atteindre là précisément où toute pensée et d'abord la première de toutes, le je, la pensée de soi, jaillit au fond et au centre de l'être. Dans son Upadesha saram, Sri Ramana appelle ce point le « lieu de la source » ; et c'est justement le paradoxe : le filet d'eau sort de la source, mais dès que l'eau coule, ce n'est déjà plus la source... le but indéfiniment se dérobe.

Certains interprétaient son enseignement comme une voie négative d'approche : je ne suis pas cette main, cette image, cette pensée, etc. Le Maharishi n'empêchait pas les débutants de commencer ainsi. Cependant il mettait soigneusement en garde contre les inconvénients d'une telle méthode. En effet tout rappel à l'attention d'une pensée déterminée, serait-ce pour la nier, tout rappel à la mémoire d'un souvenir, serait-ce pour le repousser, risquent de leur conférer une vigueur nouvelle et de les fixer ainsi dans l'esprit, alors que précisément on voulait s'en débarrasser.

La voie conseillée par le Maharishi était, elle, essentiellement positive. C'était de chercher, en chaque instant, en chaque acte, qui en vérité est celui qui vit, qui pense, qui agit, d'être attentif à celui qui voit, dans l'acte de voir, à celui qui entend, dans l'acte d'entendre, etc... Il s'agissait de poursuivre sans relâche cette conscience de soi qui se dérobe derrière les phénomènes et événements de la vie psychique, de la découvrir, de la saisir en sa pureté originelle, nue encore en quelque sorte, avant que rien ne l'ait déjà recouverte, avant que rien ne se soit déjà mélangé avec elle. Ainsi saisie, il fallait la retenir de la plus fine pointe de l'esprit, pour l'empêcher de s'échapper à nouveau. C'était en fait s'efforcer d'atteindre à la personne, au soi, au-delà de toutes les manifestations de la nature. Sri Ramana tenait pour certain que cette investigation ne pouvait manquer de porter ses fruits, pourvu qu'elle se poursuivît sans relâche. Le soi phénoménal, le moi, poursuivi ainsi jusqu'en ses derniers retranchements disparaîtrait finalement comme par enchantement, à la façon d'un voleur pris sur le fait. Le JE essentiel seul brillerait alors dans la conscience stabilisée et la remplirait toute.

Le Maharishi ne refusait pas cependant les voies plus complexes du yoga pour qui s'y croyait appelé. Il ne s'imposait jamais à personne. Tant qu'un individu n'est pas encore prêt, pourquoi le forcer à prendre un chemin dont il n'est point capable ? Pourquoi chercher à devancer les temps ? La philosophie indienne du karma ou de l'évolution individuelle est ennemie des enseignements et des changements trop brutaux. Elle apprend à attendre l'heure avec patience et à ne pas se décourager devant la lenteur des résultats. Chacun n'est-il pas libre d'aller par la voie qui lui plaît, et le but ne sera-t-il pas atteint par chacun au moment fixé par la destinée ? Cependant Sri Ramana allait, lui, directement à l'essentiel du yoga et y invitait nettement ceux qui lui faisaient confiance, laissant à leurs illusions ceux qui cherchaient simplement quelque approbation de sa part pour une décision qu'ils avaient déjà prise.

Il n'y avait qu'un seul exercice respiratoire qu'il recommandât vraiment, et cela encore pour ceux seulement qui avaient besoin d'accoiser leur corps et leur pensée. C'était de fixer l'attention sur le souffle successivement inhalé et exhalé. Par elle-même en effet cette concentration rythme et ralentit automatiquement le mouvement de la respiration. Par concomitance le flux mental bientôt prend lui-même un rythme plus régulier, se ralentit et permet la concentration intérieure.

Sri Ramana n'avait jamais pratiqué aucun yoga ni aucune ascèse. L'expérience transformante était comme tombée sur lui de façon foudroyante. [...]

Il n'y a pas à s'exercer en vue de la libération finale ou mukti, et pas davantage en vue de l'expérience du soi, qui lui est identique. En effet, qu'est-ce ce monde, qu'est-ce un autre monde ? qu'est-ce, réaliser ce que l'on est ? qu'est-ce, ne pas l'avoir encore réalisé ? S'efforcer consciemment et volontairement en vue de parvenir à cette « réalisation de soi » en est paradoxalement l'obstacle majeur. C'est en effet poser comme prémices que l'état naturel par excellence de l'homme sa condition innée, sahaja, comme aimait l'appeler le Maharishi — est quelque chose que l'homme ne possède pas encore — comme si l'homme pouvait ne pas être soi ! L'homme est-il moins homme dans l'inconscience du sommeil profond ?

La « quête du soi » que préconisait le Maharishi ne comporte aucun des dangers inhérents au yoga que nous signalions plus haut, du moins si le disciple lui demeure fidèle et ne s'en fabrique pas quelque succédané destiné à sauvegarder quand même quelque chose de son moi, au moins sous un nom d'emprunt. Cette méthode en effet ne laisse aucune place aux transferts du subliminal, aucune place pour l'inflation de l'ego. Elle est tout au long relaxation, dégagement, fuite vers l'intérieur et le réel. Elle ne permet aucun regard sur soi ; elle est à la fois libération et exigence suprême. Ascèse plus intransigeante que toutes, elle exclut même tout effort volontaire vers un but que l'homme se serait assigné. Elle n'admet aucun retour sur la pensée de soi, elle supprime, en s'attaquant à la racine même, toute complaisance de l'intelligence sur soi et en réalise ainsi la purification la plus radicale. Au plus intime de toute pensée, elle insère, à la façon d'un fer brûlant, le neti-neti des Upanishads, le « ce n'est pas encore cela ».

Dom Le Saux


Récit d'un ermite chrétien en terre hindoue
Henri Le Saux

L'Homme du Huitième Jour correspond à l'homme qui se tourne vers son Orient intérieur, c'est-à-dire sa dimension de profondeur, afin de découvrir son propre soleil. Par sa conscience transformée, il s'élève au-delà du niveau sensible, quitte le monde de la dualité pour s'engager dans la voie de la libération qui le conduira peu à peu vers l'unité, donc vers l'universel. L'important n'est pas la voie, mais la rencontre. Le Huitième Jour coïncide avec l'octave, le huitième ton grégorien, les nouveaux cieux et la nouvelle terre, la création transfigurée, la suprême vacuité.


Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...