lundi, janvier 30, 2023

Qu’elle est la signification du ZEN ?



« Ne chérissez aucune croyance »


Les Propos qui suivent cette préface sont ceux d’un moine hindou, Bodhisattva pleinement éveillé, qui enseignera en France entre 1937 et 1957 à la Sorbonne, à l’Institut de civilisation Indienne de Paris et dans plusieurs universités des Lettres et philosophie pendant et après la seconde guerre mondiale de 39-45. (Il sera sauvé de justesse des camps de concentration par un colonel français de la résistance). Il y a peu encore (considérant St Matthieu, chapitre 7, verset 6) nous aurions hésité à partager ces Propos. Compte-tenu des événements depuis 2019 qui signent la décadence d’une époque sombre, confirmée et vérifiée aussi au sein même de certaines communautés dites religieuses, nous les présentons.

On ne fait pas « joujou » avec le Zen comme il n’est pas rare de le voir ici ou là. Dans le Zen authentique il est impossible de faire croire, de faire semblant, de jouer au maître. La vie quotidienne s’y trouve simplifiée, débarrassée de toute accumulation utopique, matérielle et mentale, pour l’essentiel des conditions favorables à l’abandon de toute illusion. C’est à la fois difficile et simple. Le Zen authentique est bien une traduction-transmission correcte de la Tradition primordiale, telle qu’elle sera instruite du vivant du Bouddha. Ajoutons que cet autre Zen qui donne tant d’importance aux « rites et aux cérémonies » (cet attachement au troisième lien ou entrave, samyojana, qui maintient le chercheur dans l’ignorance) comme c’est hélas de plus en plus le cas, n’est pas le Zen qui est décrit ci-dessous qui, lui, sans fioritures, développe une compréhension directe et claire du Noble Sentier Octuple, normalement « le dénominateur commun » des modalités bouddhiques, Sentier qui reste la thérapeutique ultime pour Voir et dépasser l’origine de l’insatisfaction, de la souffrance, dukkha.

Nirodha

*******

« Le Prâna est l’énergie qui donne la vie et le mouvement des êtres. Il se manifeste à la fois sur le plan grossier de la matière et sur le plan subtil de la pensée. L’homme commence à utiliser cette énergie pour les besoins de la vie organique, son entretien et sa propagation. Tourné vers la multiplicité, il la disperse alors dans la direction des choses et il oublie momentanément le sens dans lequel il doit évoluer.

La technique de méditation repose sur une manipulation de cette force cosmique. La tâche est difficile car les habitudes contractées par la vie instinctive ont laissé en nous de puissantes empreintes, samskâra, qui sollicitent de nouvelles dépenses d’énergie.

Cette dépense est d’autant plus grave pour l’homme qu’elle entraîne un flux parallèle d’idées. En effet, le prâna qui travaille sur le plan physique est le même que celui qu’utilise la pensée. Une bonne partie de la conscience, et parfois sa totalité, se trouve déplacée par ces mouvements biologiques. A des réactions d’intérêt primaire comme, par exemple, celles qui sont provoquées par les besoins de la conservation de l’individu ou de la propagation de l’espèce correspond un « niveau de conscience » qui n’est pas très élevé.

Nous assistons souvent à l’impuissance d’une pensée trop faible et trop anémiée pour s’incarner dans les faits. Nos aspirations spirituelles insuffisamment alimentées s’évanouissent devant l’impulsion de nos besoins primitifs : j’appelle besoins primitifs ces mouvements primaires comme la volonté de conquête, la colère, la jalousie, l’envie, l’instinct d’agressivité, etc. L’énergie qui se déploie dans ces réactions spontanées semble dépasser notre capacité d’assimilation. N’arrivant pas à les sublimer, nous nous contentons alors de rêver notre pensée au lieu de la réaliser et nous abandonnons notre action.

C’est à cela que le Yoga désire avant tout s’opposer. Son premier but est de rendre l’individu conscient de lui-même, conscient de son corps afin que celui-ci ne soit plus « un terrain de jeu abandonné aux forces capricieuses des instincts non contrôlés », conscient enfin de sa pensée lorsque celle-ci aura été intensifiée par la pratique de l’économie d’énergie qui est un de premiers résultats de la méditation indienne.

Lorsque nous parlons de science, c’est la discipline par laquelle l’homme est entraîné à étudier une chose en dehors de ses préjugés particuliers, ce que le Bouddhisme appelle : « Voir l’objet tel qu’il est ». Celui qui observe l’expérience doit posséder certaines qualités et, pour avoir ces qualités, une discipline est obligatoire.

L’attitude advaïtique (sans dualité) demande un jugement sur le caractère de la personne qui entreprend l’investigation, parce que cette investigation demande une attitude tout-à-fait « impersonnelle », non seulement par rapport à l’objet mais également par rapport au mental et avec tout ce que nous considérons comme tendances, comme imprégnations de l’esprit. Donc, la première importance est donnée au caractère. La première qualité nécessaire est la puissance d’esprit pour distinguer le permanent de l’impermanent.

La capacité d’oublier un passé et de s’adapter dans le présent est le signe même de la vitalité d’une action, sans cela notre action serait stagnante, une intelligence active qui est une Intuition Suprême, qui vient de tous les côtés de notre vie, le physique, le mental et le spirituel. Chaque acte doit être dans une manière parfaite. La perfection n’est que dans la concentration. Ce n’est pas la perfection dans la sainteté imaginaire que vous allez rayonner l’auréole autour de vous. Non ! Nous n’avons pas cette prétention.

Si on peut faire la plus petite chose avec un degré de concentration parfaite, c’est le samâdhi. Si encore on creuse cette idée nous pouvons voir qu’à chaque instant où il y a la concentration, il y a le samâdhi, n’importe quelle chose. Le samâdhi n’est pas un état d’oubli du monde. Alors, par l’attention, par l’éveil de notre cœur, nous pouvons éviter des erreurs. Et pour cela, on doit pratiquer la méditation …

L’étude du Bouddhisme ZEN requiert une certaine attitude qui n’est ni religieuse ni spirituelle ! Lorsque l’empereur Wu demanda à Bodhidharma : « Le Vénérable peut-il m’expliquer le secret de sa sainte doctrine ? », le moine rétorqua immédiatement qu’il n’y avait rien de saint, rien de « holy » dans son enseignement. Quand un docteur nous traite et nous rétablit, s’agit-il d’un fait spirituel ?

Or, nous sommes tous des malades mentaux qui devons retrouver la santé, qui devons redevenir normaux.

Il existe, affirme le Zen, un critère de l’homme normal (l’homme éveillé à l’Intuition métaphysique) et nos pensées comme nos actions doivent être orientées en tenant compte de ce fait. D’ailleurs, il n’y a plus d’alternative. Les hommes ont perdu l’espoir que la religion leur donnait par le moyen des croyances et de la foi et, sans croyances et sans foi, le monde est devenu « désaxé ».

Il y a cependant une voie, une manière de concevoir la vie, indépendamment de toute religion et de doute spiritualité, qui doit permettre aux hommes de sortir de leur angoisse. Cette voie n’est pas aisée. Elle exige de nous une grande liberté d’esprit, une indépendance extrême : il s’agit de faire abstraction de ces barrages que nous avons élevés, plus ou moins consciemment, pour protéger nos croyances.

Lorsque nous étudions le Zen, nous devons oublier, renier toute notre manière de voir et nous soumettre à un certain entraînement, à ce que le Zen appelle le « dressage de la vache » (voir les 10 tableaux du Zen). Nous découvrirons alors que toutes nos misères viennent d’une idolâtrie, d’un attachement obstiné à nos opinions.

Qu’elle est donc la signification du mot Zen ?

Rappelons que le mot chinois « Ch’an » est une déformation du sanskrit « dhyâna », mais qu’il n’a pas le sens que l’on donne en Inde à ce mot. Dhyâna, selon l’enseignement du Yoga exposé par Patañjali, est cette étape de la méditation qui précède le samâdhi : on s’efforce de concentrer son esprit afin d’arrêter les « vagues » mentales (vrtti) et d’atteindre ainsi la félicité. Mais une dualité persiste qui s’exprime par le besoin de saisir, d’appréhender cette félicité.

Le Zen, rejoignant ici un point de vue souvent affirmé par Shankâra, enseigne qu’une telle méthode est inefficace si l’on prétend à une connaissance véritable, car elle ne permet pas d’obtenir la réalisation de l’être même. Qui entreprend une recherche en se fixant un but – atteindre au bonheur parfait – n’aura pas ainsi la Connaissance.

La recherche du bonheur n’est que la recherche d’une satisfaction, et cette dernière ne constitue pas un critère de la vérité.

Vous avez beau dire « Je sens que c’est vrai parce que j’en ai l’intuition, et j’en éprouve un grand bien-être », vous vous trouvez alors dans un état que vous pouvez perdre d’un moment à l’autre.

Dans le bouddhisme Mahâyâniste, le mot dhyâna est devenu l’équivalent du mot samâdhi. Mais la doctrine est identique : LE DHYÂNA NE VAUT QUE S’IL PERMET L’EVEIL DE PRAJÑÂ, de l’intelligence transcendantale, que le Professeur D.T. Suzuki appelle aussi « Intuition Absolue ».

Rechercher dhyâna et s’en satisfaire, c’est commettre une grave erreur car on ne fait que remplacer un état par un autre. Vous vous trouvez, par exemple, dans une condition angoissée, désespérée, et vous cherchez, selon un processus qui se déroule dans le temps, à obtenir une condition moins pénible à supporter ; vous convoitez un état de joie. Mais cette démarche qui consiste à remplacer une modification mentale par une autre s’avère impropre s’il s’agit de connaître la vérité, que de se mettre à la recherche de la lumière avec une bougie à la main.

La question fondamentale reste de comprendre ce qu’est le mental lui-même, ce qu’est la lumière en soi. Une transformation doit s’opérer, qui bouleverse les habitudes mentales. Par cette compréhension qui n’a rien de « spirituel », nous voyons le monde d’une tout autre manière. Nous comprenons que nous avons toujours, que nous n’avons jamais cessé d’avoir ce que le Zen appelle « La Nature de Bouddha ». Cela revient à « VOIR les choses telles qu’elles sont ». Car c’est bien la cause de toutes les souffrances que de se représenter les choses autrement qu’elles ne sont, de les voir déformées par les préjugés et les attachements.

Mais une « vision pénétrante » écarte les représentations fallacieuses et découvre cette intuition du réel qui ne nous fait jamais défaut, qui ne nous a jamais quittée.


Ce n’est plus nous qui tentons de saisir le monde mais la Totalité qui nous saisit.

Quels que soient les termes par lesquels ils la désignent, c’est la même Connaissance Absolue dont nous parlent les Maîtres, tous ceux qui ont pénétré « au cœur des choses ». On peut l’appeler « Réalité intemporelle » ou « Intuition métaphysique ». Elle est pour Maître Eckhart : « l’éternité de l’instant ». Cette compréhension de « l’éternité de l’instant » ne vient que si nous quittons le temporel. L’expression, à vrai dire, est impropre (on ne « sort » pas du temporel), mais je veux indiquer que l’Intuition métaphysique ignore le déroulement du temps, qu’elle voit la réalité comme un ensemble, comme une indivisible Totalité : les morcellements, les dualismes et les hiatus que nous avions imaginés au sein de cette Totalité se diluent et disparaissent.

Que l’on comprenne bien ici qu’une telle réalisation n’appartient pas à la conscience du moi.

Ordinairement, si nous éprouvons une grande joie, nous parlons d’un épanouissement de la conscience ; cette conscience s’exprime toujours, selon nous, dans un rapport de sujet à objet ; elle est de la nature même du moi qui connaît et qui enregistre.

Mais l’Intuition métaphysique, l’intuition même du réel, demeure indépendante du moi, de ses connaissances et de ses impressions affectives.

Le fait que le moi ne puisse la ressentir ne suffit pas à mettre en doute son existence. Bien au contraire : « ressentir » est une réaction toute personnelle qui ne saurait constituer un critère de la vérité.

L’Intuition dont nous parlons serait mensongère si elle appartenait au moi. Elle demeure insaisissable par le fait même qu’elle est notre propre nature. Pour la retrouver dans sa pureté originelle, nous devons nous défaire de toutes nos opinions.

Je vais ici frapper sur une cloche qui rendra pour beaucoup un son désagréable, mais « la vérité est du côté du Zen ». Tant que nous appartenons à une religion particulière, tant que nous avons l’idée de protéger un intérêt, nous ne pouvons pas comprendre le Zen ou l’AdvaïtaVedânta.

Je ne prêche pas une croisade contre les religions, mais seulement contre le fait de s’attacher à des opinions, de ne pas voir qu’elles se sont incrustées en nous, de ne pas admettre qu’il y ait d’autres opinions possibles.

Tel est le message du Zen : « Ne chérissez aucune croyance ».

Cet enseignement sévère n’est pas compris si on le réduit à une jouissance intellectuelle. Il demande au contraire de pénibles efforts sur soi-même, un grand pouvoir de concentration et une vigilance extrême. C’est en considérant la vie d’une personne qui incarne un enseignement que l’on peut juger des mérites et de la valeur de ce dernier. Hui-Nêng, à cet égard, est l’un des plus grands maîtres que le monde ait connus.

Pour nous qui souffrons, qui sommes angoissés, il est important qu’une personne, qu’un maître vienne et nous montre quelle voie nous devons suivre pour que l’angoisse nous quitte. Il nous montre cette voie directement, par sa vie même, sans l’intermédiaire d’une érudition inutile : Hui Nêng était illettré. C’est qu’en effet il n’est pas de rapport entre les connaissances humaines et la Connaissance véritable, et l’on voit souvent l’érudition constituer un obstacle à la compréhension de la réalité.

Ainsi que l’a dit un Grand Sage du Bengale : « Un almanach prédit beaucoup de pluie mais, si l’on presse le livre, aucune goutte d’eau n’en sortira ».

Hui Nêng a montré que la connaissance, l’Intuition de Prajñâ n’est ni intellectuelle ni affective. Il a vigoureusement réagi contre ceux qui recommandent l’annihilation de l’ego par la méditation et le samâdhi ! On a vu pourquoi le samâdhi, qui ne vise qu’à éliminer le moi pendant un temps plus ou moins long, ne peut donner une compréhension définitive ; c’est qu’il ne s’agit pas de réduire le moi, mais de « réduire la tension qui l’oppose au non-moi », afin de situer le moi et le non-moi dans une même perspective. La dualité qui les opposait se dissipe comme un mirage : elle était illusoire.

Et en effet, le samâdhi n’est qu’un état psychologique ; comme tel, il peut présenter une certaine valeur, mais qui demeure très relative ; c’est une tout autre expérience qui est nécessaire pour pénétrer la nature des choses telles qu’elles sont dans leur « vacuité : Sûnyatâ ». Hui-Nêng est de ceux qui nous font comprendre que la réalité s’exprime partout et continuellement, sans pouvoir être embrassée par l’esprit humain.

Les occidentaux qui voudraient avoir accès à cet enseignement devraient d’abord faire abstraction de leurs préjugés religieux, de leur manière cartésienne de penser, de tout un ensemble de croyances acquises.

Cependant, la connaissance ne sera totale que si l’on refuse également – mais qui peut y consentir ? – les attaches, les prédilections affectives, qui sont autant de croyances. Ce masque ôté, nous découvrons notre visage véritable.

Hui-Nêng est un cas très rare. Chez Ramana Maharshi la base est la vue juste. Il n’y a pas dévalorisation de l’état religieux.

Cette Intuition métaphysique … notre tâche consiste seulement à augmenter la puissance de l’intuition intellectuelle qui reste sur le qui-vive, comme un aiguilleur dans cette grande gare de triage qu’est le monde. Nous avons continuellement des accidents …

Quand il y a esprit de troupeau, il n’y a pas compréhension.

Tout ce que je vous dis est psychologique. C’est une position incontestable. Ce qui contestable est la position théologique ou philosophique … Cette prise de position est purement extra-religieuse et métaphysique, advaïtique, non-duelle. Elle ne peut prendre place dans la perspective d’une religion dualiste. Ne vous attardez pas dans le dualisme qui est l’opposition entre le point d’interrogation et le point d’exclamation !

Nous ne devons accepter telle quelle aucune affirmation dans notre travail spirituel : il faut un processus préalable qui éveille en nous l’intuition … l’éclaircissement doit venir de nous-même. Les paroles, la conférence d’un Svâmî, la lecture d’un texte sur les écritures, ne seront que des moyens extérieurs qui provoqueront une enquête intérieure. Cette analyse de soi-même est absolument nécessaire. Nous devons atteindre un état de non-satisfaction. Si nous restons satisfaits de notre état actuel, il n’y aura pas de progrès …


*******


Terminons par ce propos du Dr Hubert Benoit : « Ce que tu appelles un bon Zazen est peut-être une tranquillisation momentanée, une paix provisoire, et peut-être aussi, sans être en torpeur, un endormissement pendant lequel ton procès est en sommeil ».




Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...