lundi, janvier 17, 2011

Le suicide



La liberté ou la mort


Le suicide d’un jeune chômeur tunisien est à l’origine de la révolution de jasmin


« Le 17 décembre 2010, rappelle le journal Libération, Mohamed Bouazizi s’immole par le feu devant la préfecture de Sidi Bouzid, ville de 40.000 habitants au centre du pays. Diplômé et chômeur, comme de nombreux jeunes Tunisiens, Mohamed Bouazizi vendait des fruits et légumes sur le marché, sans autorisation. Après la confiscation de sa marchandise par la police, il tente de plaider sa cause auprès des autorités. En vain. » Aussitôt, la nouvelle de la mort de Mohamed Bouazizi circule sur Internet. Depuis le début de la révolution, les réseaux sociaux, en premier lieu Twitter et Facebook, ont joué un rôle fondamental. 


Le suicide, condamné par la plupart des morales à base sociale et religieuse, a, au contraire, été admis par deux doctrines. […] Il s’agit du stoïcisme et du bouddhisme.


Le Suicide selon le stoïcisme


Pour le stoïcisme, nous pouvons nous reporter aux idées de Sénèque. Rappelons d’abord le fond général de sa vision de la vie. Nous avons déjà dit que pour Sénèque l’homme véritable se trouverait au-dessus des dieux mêmes, car ceux-ci, de par leur nature, ne connaissent pas l’adversité et le malheur, alors que lui-même y est exposé, mais a la force d’en triompher. C’est pourquoi Sénèque considère que les êtres les plus dignes sont ceux qui sont les plus durement éprouvés, et il se sert de cette analogie : à la guerre, c’est aux éléments les plus valides, les plus sûrs et les plus qualifiés que les chefs confient les postes les plus exposés et les tâches les plus dures. Mais, en général, c’est justement une conception agonistique et virile de ce genre que l’on fait intervenir aussi quand on condamne le suicide, en le stigmatisant comme une lâcheté et une désertion (Cicéron attribue ce mot aux pythagoriciens : «  Il n’est pas permis d’abandonner le poste qui vous a été assigné dans la vie sans l’ordre du chef, c’est-à-dire de Dieu »). Sénèque au contraire arrive à la conclusion opposée et il n’hésite pas à faire justifier le suicide par la bouche même de la divinité (De Prov. VI, 7-9). Il lui fait dire qu’elle n’a pas seulement donné à l’homme supérieur, au sage, une force plus forte que toutes les contingences, et quelque chose de plus que d’être exempt des maux, à savoir le pouvoir d’en triompher intérieurement, mais qu’elle a aussi fait en sorte que rien ne puisse le retenir quand il ne le veut plus : la voie « de sortie » lui est ouverte – patet exitus. «     partout où vous ne voulez pas combattre, il vous est toujours possible de vous retirer. Rien ne vous est plus facile que de mourir. »


[…] Il est certain que Sénèque ne considérait pas que cette décision pût s’appliquer aux cas où l’on recherche la mort parce qu’une situation donnée paraît insupportable : c’est alors, précisément, que l’acte ne serait pas permis, vis-à-vis de soi-même. Et il va de soi que ceci vaut également pour tous ceux qui sont poussés à s’ôter la vie pour des motifs affectifs et passionnels, car ceci équivaudrait à reconnaître sa propre passivité et son impuissance devant la partie irrationnelle de son âme. Enfin, ceci vaut également pour des cas où interviennent des motifs sociaux. Pas plus le type idéal des stoïques que l’homme différencié ne permettent que de tels motifs les touchent intimement ni que leur dignité soit en aucune façon atteinte par quoi que ce soit ayant trait à la vie en société. Ils ne pourront donc jamais être poussés à mettre fin à leur existence pour des motifs de ce genre, que les stoïques font entrer dans la catégorie de « ce qui ne dépend pas de moi ». La seule exception que l’on puisse admettre est le cas où l’on a honte, non devant les autres, dont on ne peut supporter le jugement et le mépris, mais devant soi-même, à cause de son propre écroulement. Compte tenu de tout ceci, Sénèque souligne simplement, grâce à ce principe, l’importance qu’il reconnaît à la liberté intérieure d’un être supérieur. Il ne s’agit pas de se retirer parce que l’on ne se sent pas assez fort devant certaines épreuves ou certaines circonstances ; il s’agit plutôt du droit souverain – que l’on devrait toujours se réserver – d’accepter ou non ces épreuves, ou encore d’y mettre un terme quand on n’en voit plus le sens et après s’être suffisamment prouvé à soi-même que l’on est capable de les affronter. L’impassibilité reste donc une condition préalable, et le droit « de sortir » se justifie en tant que possibilité à envisager en principe et seulement pour vérifier que les vicissitudes par lesquelles nous passons ont notre assentiment, que nous y sommes réellement actifs, que l’on n’y fait pas seulement de nécessité vertu.


Le suicide dans le bouddhisme


Ce point de vue stoïque est compréhensible et, en principe, inattaquable. Passons maintenant au bouddhisme. Son orientation est plus ou moins la même. Ici aussi le suicide du type courant est illicite : chaque fois que l’on est poussé à renoncer à la vie au nom de la vie même, c’est-à-dire parce que l’une ou l’autre forme d’une volonté de vivre, de jouir et de s’affirmer est contrecarrée ou frustrée, le suicide est condamnable. On estime, en effet, que dans de pareils cas, l’acte n’est pas une libération, mais, au contraire, une forme extrême, bien que négative, d’attachement à la vie, de dépendance de la vie. Qui use d’une telle violence sur soi-même ne peut s’attendre à aucun au-delà transfigurant ; dans les autres états de l’être, c’est une existence dénuée de paix, de stabilité, de lumière, qui sera de nouveau sa destinée. Le bouddhisme en arrive même à condamner comme une déviation l’aspiration à l’extinction, au nirvâna, si l’on découvre que celle-ci est liée à quelque désir, à quelque « soif ». En même temps, comme le stoïcisme, il admet le suicide, avec une restriction analogue ; il le permet, non à l’être commun, mais à un type supérieur et ascétique chez qui l’on retrouve en puissance nombre des traits du sage stoïque : à celui dont le Moi, d’une certaine façon, est parvenu à un tel détachement qu’il est virtuellement au-delà tant de la vie que de la mort.


S’il est évident que cette perspective peut être adoptée par l’homme différencié que nous considérons, elle rencontre cependant quelques difficultés. D’abord, lorsqu’on est plus ou moins parvenu au niveau spirituel dont nous venons de parler, qu’est-ce donc qui pourrait faire prendre l’initiative d’une mort volontaire ? A en juger d’après certains cas concrets cités par les textes bouddhiques, il semblerait qu’y soient envisagées les situations que nous avons indiquées : dans certaines circonstances, il n’y a pas de raison de se sentir engagé au-delà d’une certaine limite. On peut aussi « sortir », presque comme dans le cas d’un jeu dont on a assez. Ou bien c’est comme lorsqu’on chasse une mouche après l’avoir laissée se promener quelque temps sur son visage. Il reste à voir cependant dans quelle mesure on peut être sûr de soi-même et sincère avec soi-même dans des cas de ce genre.


« Suicide métaphysique » et liberté absolue


Jusqu’ici, nous avons essentiellement examiné la « personne ». Le problème devient plus complexe lorsqu’on dépasse le niveau de la personne et qu’on se reporte à la doctrine traditionnelle qui ne fait pas commencer l’être avec l’existence terrestre. Une conception supérieure de la responsabilité et aussi du risque peut alors apparaître. Ce n’est pas la même responsabilité que celle dont il s’agit lorsqu’une religion théiste et créationniste condamne le suicide en faisant appel – en des termes analogue à ceux de Cicéron – à une sorte de fidélité militaire : il ne faut pas abandonner son poste. Cette idée paraît en effet absurde quand on nie (comme le fait cette religion) que l’âme préexiste à son union au corps dans la condition humaine. Dans cette hypothèse « créationniste », puisque l’on n’existe pas du tout avant d’être au « poste » assigné, puisque l’on s’y trouve tout d’un coup sans l’avoir voulu ni accepté, on ne peut raisonnablement parler de responsabilité. On ne peut pas non plus parler d’un « engagement militaire » à l’égard d’une vie reçue mais non requise. Nous avons déjà examiné la voie sans issue où mène une semblable conception, lié au point de vue « créationniste » et théiste, quand elle est attaquée par le nihilisme. La limite, ici, c’est la révolte existentielle et le « suicide métaphysique » du Kirillov de Dostoïevsky, qui se donne la mort à seule fin de se prouver à lui-même qu’il est plus fort que la peur, qu’il est son propre maître et possède une liberté absolue qui le fait Dieu. Position absurde, car ici, tout comme le théisme, l’unique point de référence est toujours la personne : c’est de la personne que vient l’initiative, et c’est la personne qui veut se rendre absolue. Les paroles augustiniennes pourraient s’appliquer ici : « Esclave, il voulut simuler une liberté mutilée en faisant impunément ce qui est illicite, en une imitation aveugle de la toute-puissance. » Comme nous l’avons vu, c’est pour la même raison que Raskolnikov et Stavroguine s’écroulent ; le suicide de ce dernier peut même correspondre à ce type de suicide qui semble dicté par un échec personnel et qui, comme tel, ainsi que nous l’avons indiqué en passant, pourrait se justifier d’un point de vue tout à fait différent, pour un type d’homme déterminé.


La doctrine traditionnelle et Jean-Paul Sartre 


Mais le problème de la responsabilité apparaît sous un autre jour si l’on se réfère à la doctrine traditionnelle, plus ou moins confusément entrevue par l’existentialisme lui-même, selon laquelle ce que l’on est, en tant que personne, dans la condition humaine, provient d’un choix originel prénatal et prétemporel, par lequel on a voulu, sous la forme d’un « projet originel » (Sartre), tout ce qui formera le contenu d’une existence donnée. Dans ce cas, il ne s’agit plus de répondre devant un Créateur, mais devant quelque chose qu’il faut rapporter à la dimension même de l’être ou de la transcendance en soi. Bien qu’on ne puisse l’attribuer à la volonté la plus extérieure, proprement humaine de l’individu (de la personne), le cours de l’existence suit, en principe, une ligne qui, même cachée ou couverte, a une signification pour le Moi, lorsqu’on envisage cette existence comme un ensemble d’expériences importantes, non par elles-mêmes, mais par les réactions qu’elles font naître en nous, et à travers lesquelles peut se réaliser l’être qu’on a voulu être. En ce sens, la vie ici-bas ne peut être considérée ni comme une chose que l’on peut rejeter à volonté, ni comme un hasard brutal devant lequel on ne peut que se résigner avec foi ou fatalisme (nous avons vu que c’est à cela que se réduisent en général les horizons de l’existentialisme moderne), ou se livrer à une continuelle épreuve de résistance, presque à fonds perdu (c’est le cas du stoïcisme opaque, dépourvu d’arrière-plan transcendantal). Tout comme une aventure, une mission, une épreuve, une élection ou une expérimentation, la vie terrestre se présente comme quelque chose que l’on a décidé, avant de se trouver dans la condition humaine, en acceptant d’avance les aspects éventuellement problématiques, tristes ou dramatiques, aspects qui, surtout à une époque comme la nôtre, peuvent être particulièrement marqués. C’est dans ces termes que l’on peut définir et accepter un principe de responsabilité et de « fidélité » exempt de références extérieures, « hétéronome ».       


Julius Evola, « Chevaucher le tigre ». 


Evola, auteur controversé par ailleurs, développe des conceptions en rapport avec d’authentiques traditions et dénonce les impostures du spiritualisme contemporain. Ce spiritualisme, corrompu par la conte-initiation, est véhiculé par des enseignants et des auteurs à succès qui prétendent détenir les clés de la spiritualité. « La contre-initiation est présente de nos jours aussi bien dans l’occultisme que dans les sectes religieuses fondamentalistes. Elle est présente dans les déviations d’une certaine Franc-maçonnerie soumise, par recherche des pouvoirs, à l’attraction politique, aux séductions du standing social, aux ivresses du quantitatif et d’un élitisme inversé. […]  
La contre-initiation utilise la déformation et excelle dans l’art de la confusion. » (Notes de lecture)
La contre-initiation est certainement à l’origine de la stigmatisation des personnes qui dénoncent les parodies spirituelles d’aujourd’hui.




Chevaucher le tigre


Dernier écrit important d'un iconoclaste sans passion, « Chevaucher le tigre » dresse une critique implacable des idoles, des structures, des théories et des illusions de notre époque de dissolution. Le marxisme et la démocratie bourgeoise, l'existentialisme et la connaissance scientifique, le retour à la nature et le phénomène de la drogue, le roman et le mythe de la patrie, le jazz et la pop music, le mariage, la famille et l'émancipation de la femme sont tour à tour examinés à la lumière des enseignements internes, purement doctrinaux et indestructibles, de la Tradition. Il en va de même pour la philosophie de Nietzsche, soumise elle aussi à une longue analyse.

Sans faire de concessions au spiritualisme humanitaire et à son ascétisme frileux, l'auteur trace la figure d'un type humain aristocratique capable de chevaucher le tigre, c'est-à-dire de transformer en remède, en vue d'une libération intérieure, des processus extrêmes presque toujours destructeurs pour la majorité de nos contemporains. Aussi éloigné des crispations d'un traditionalisme viscéralement passéiste que de tout projet révolutionnaire naïvement utopique et optimiste, l'homme différencié ne compte que sur lui-même et n'a qu'un but : donner un sens absolu à sa vie dans un monde où il n'y a plus rien à aimer et à défendre


dimanche, janvier 16, 2011

La sinistrose, Internet et le nouvel ordre mondial



Internet répand la névrose apocalyptique qui agite de multiples sectes. Le catastrophisme, qui mine notre société depuis plusieurs décennies, est-il créé à dessein ?


Louis Pauwels dénonçait une stratégie de guerre psychologique :


« La conquête du pouvoir passe par la prise du pouvoir culturel. Et la prise du pouvoir culturel passe par l’effondrement de la culture existante. La perte de confiance dans le destin, le sentiment de l’échec et la mentalité apocalyptique servent une stratégie, en créant un vide du sens qui vide les résistances. » 


L’attitude négativiste 


« Au reste, poursuit Pauwels, cette attitude négativiste n’est pas le propre de la France. On la trouve largement répandue dans l’Occident tout entier aujourd’hui. Il s’agit d’un climat général de pessimisme. J’ai naguère baptisé cette sorte de maladie mentale : la sinistrose.
Et il ne s’agit pas seulement de la sinistrose appliquée à telle forme de société, mais à l’ensemble du destin de l’Occident moderne. Disons un climat général de mauvaise conscience et d’apocalyptisme. Un sentiment de doute et un sentiment d’échec. Cette attitude négativiste, cette idéologie d’un Jugement Dernier de l’Occident scientifique et technique est répercutée et amplifiée quasi automatiquement en toutes occasions par les médias.


La psychose apocalyptique


Voyons ce qu’il y a au fond de cette psychose.
Il y a d’abord le mythe du bon sauvage, le retour en force du rousseauisme et l’idée que notre culture est condamnée parce qu’elle s’oppose à la nature.


« Dans la nature avec la liberté, l’homme est fait pour vivre mille ans », professait le révolutionnaire Bailly. C’est la société qui crée la maladie et raccourcit l’existence. Il nous faut une révolution qui rétablisse l’âge d’or.
La révolution se produisit. Elle ne rétablit pas l’âge d’or, lequel n’existe pas. Et, les choses étant ce qu’elles sont, la guillotine raccourcit Bailly.


Mais nous entendons aujourd’hui exactement le même discours. Marcuse, Bloch, Illich, Goodman condamnent la culture au nom de la nature, la société au nom de l’Homme (H majuscule), le système (c’est-à-dire la civilisation) au nom de la liberté et de l’équilibre originels. Ils ajoutent à ce discours la prophétie apocalyptique et le cri de ralliement de tous les contestataires radicaux : arrêtez le monde, je veux descendre !
   
Une religion de la nature, héritée du 18ème siècle, plus la résurgence de l’apocalyptique judaïque, voilà la pensée avancée contemporaine.


En dernière analyse, il s’agit d’un refus radical des sources de la culture européenne, qui sont la volonté d’ordre et de puissance par la raison, l’idée de domination de la nature par l’esprit investigateur et créateur, l’élan prométhéen. Il s’agit du rêve d’abolir le cycle historique occidental, par un retour à une avant-civilisation, à un hypothétique âge d’or anté-historique et infrahumain.


Ce messianisme et ce catastrophisme introduisent dans la mentalité occidentale les ferments de la décomposition. Ces ferments sont l’espérance du barbare et du tyran. » (Louis Pauwels, « L’anti-sinistrose »)

vendredi, janvier 14, 2011

La passion du pouvoir corrompt



Le désenchantement du monde : c'est encore trop peu de dire qu'aujourd'hui il nous accable. En matière de « chose politique », de quelque manière qu'on l'entende, les réalités ont souvent été scabreuses et il y a bien longtemps qu'on se lamente, qu'on s'indigne, qu'on proteste, qu'on condamne et qu'on résiste. Que la politique soit maléfique, qu'elle charrie avec elle tout un défilé de pratiques malfaisantes, implacables ou perverses, c'est là une plainte aussi vieille que la politique elle-même, une plainte aussi vieille que le monde. La politique est le champ des rapports de force. La passion du pouvoir corrompt. L'art de gouverner est celui de tromper les hommes. L'art d'être gouverné est celui d'apprendre la soumission, laquelle va de l'obéissance forcée à l'enchantement de la servitude volontaire. Personne n'ignore ces banalités, et pourtant elles n'en existent pas moins.


Myriam Revault d’Allonnes, « Ce que l'Homme fait à l'Homme »




Ce que l'Homme fait à l'Homme 
Essai sur le mal politique


Au XXe siècle, les " camps " où des Etats et des régimes politiques programmèrent l'anéantissement de l'homme ont révélé la " condition inhumaine ". L'histoire a pris le visage non plus du destin, mais de la terreur. D'où la question : avons-nous vu surgir la figure exceptionnelle du mal, du mal dans une violence et une horreur sans précédent ? Ou bien avons-nous affaire ici, comme l'affirme Hannah Arendt, à la banalité du mal, tout simplement ?
C'est de cette expression, dont le sens a été usé avant même d'avoir été compris, que part Myriam Revault d'Allonnes pour tenter d'approcher ce que l'homme peut faire à l'homme, c'est-à-dire la virtualité toujours présente du mal politique. Pour comprendre le présent de ce mal, il faut rouvrir le passé, remonter au mal radical selon Kant, revenir aussi au lien entre le tragique et la capacité d'institution politique chez Aristote ; puis relire les Modernes, tels Hobbes et deux de ses grands commentateurs, Carl Schmitt et Leo Strauss. On trouvera dans cette lecture, inédite, comme un fil conducteur, l'idée d'une humanité dénuée de toute prétention à l'innocence, d'une humanité rendue au mal de la liberté (de sa liberté) et donc à sa puissance d'agir.


Myriam Revault d’Allonnes, professeur de philosophie à l'Université, traductrice de Hannah Arendt, et commentatrice de la pensée de Montesquieu. Analyse la question du mal en politique en regard des catastrophes du XXe siècle — fascisme, nazisme, totalitarismes, Shoah, guerres, stalinisme.








Source de l’illustration : http://www.bickel.fr/politique-et-corruption-medico-scientifique

jeudi, janvier 13, 2011

Le hasard existe-t-il ?



Dans un commentaire du post « L’Esprit, cet inconnu », un lecteur fait allusion  au site de Frank Hatem. Dans son livre « Quelle science pour demain ? », Frank Hatem s’interroge : « Le hasard existe-t-il ? » 


La question du hasard n'est pas que métaphysique, elle est aussi psychologique. Si chacun finit dans sa propre vie par se rendre compte qu'il n'y a jamais de hasard, c'est parce que dès le départ, dès l'origine de l'être, le but poursuivi est impérieux, et ne laisse aucune place à l'hésitation. C'est la poursuite de ce but qui engendre les outils (l'univers) permettant de le réaliser, et la totalité de l'univers lui est donc subordonnée.


L'idée de hasard ne s'immisce dans les esprits que dans la mesure où l'on refuse à l'univers ce but, où l'on croit que l'univers a été créé accidentellement d'un seul coup, et qu'il continue sur sa lancée au petit bonheur la chance. Cette conception erronée est simplement un subterfuge de la conscience pour refuser de voir son but en face, et pour refuser l'évidence que la conscience, loin d'être un produit de l'évolution, en est en fait le moteur unique, car c'est elle qui est à l'origine de l'univers (l'univers est toujours un univers personnel). La PSYCHO-COSMOGENESE (théorie de l'atome magnétique et de l'origine de l'énergie magnétique spirituelle qui le constitue) prouve de façon définitive :


- que l'univers ne peut pas avoir une création datée dans le passé ; il est recréé en totalité A CHAQUE INSTANT ce qui ne peut être le fruit d’un hasard ;


- que son origine est la poursuite radicale d'un but, nécessité absolue et incontournable régissant l'apparition et l'évolution de toute chose. Sans but à atteindre, il n'y a aucune raison qu'une combinaison, moléculaire ou autre, l'emporte sur une autre combinaison "moins adaptée" ;


- qu'en aucun cas les probabilités ne peuvent s'appliquer à ce qui n'existe pas encore, ce qui les évacue en ce qui concerne la naissance de l'univers et de la vie.


En conséquence de quoi il n'y a pas la moindre place pour qu'un hasard quelconque s'insinue, à quelque niveau que ce soit.


Sur son site http://www.hatem.com/hyperscfr.htm, Frank Hatem reprend l’article en développant son argumentation. Mais l’expert des équations de l’Hyperscience et des connaissances transcendantales parvient-il à rendre plus compréhensible son exposé ? 


Par la même occasion, Frank Hatem propose aux internautes de devenir « académiciens de la Rozeille » et de suivre une « Top Mind formation » pour bénéficier de la grande clarification de l’esprit mais à condition d’en payer le prix. 


Quant aux fauchés, Hatem leur rétorque ceci : « Si vous souhaitez que ces cours soient gratuits, c'est très simple, il vous suffit d'exiger que l'Etat en finance l'enseignement ou les prenne à son compte au lieu d'enseigner certaines absurdités (démontrées comme telles) et de dépenser des milliards en recherches inutiles ».


Docteur en ontologie, Frank Hatem est intarissable sur notre relation à l'univers et le fondement des lois psychologiques. Son enseignement ne se limite pas aux cours d’ontologie, Frank Hatem est aussi un maître de la « proto-physique » (origine de la particule, de l’atome, de la matière et de l’univers) et de la « haute métaphysique » qui traite de l’origine de l’être, de l’énergie et de l’espace-temps. 


Qui êtes-vous Frank Hatem ?
« Je suis un ignorant non pratiquant… »





Echantillon de l’enseignement de Frank Hatem, le maître de la grande clarification de l’esprit (Top Mind formation) : 

Qu’est-ce que l’esprit ?

« L’esprit est le dualisme de l’être s’opposant à l’unité du néant. Cette dualité est ce qu’on appelle le « Saint-Esprit » : conscience et amour. La conscience est le fait de ressentir l’infini à l’extérieur de soi et d’entretenir cette sensation ; l’amour à l’inverse est le désir d’annuler cette séparation et de faire en sorte que règne l’unité entre soi et l’univers infini « extérieur ». La conscience se confond avec la sensation d’espace, l’amour se confond avec la sensation de temps. »

Qu’est-ce que la conscience ?

« La conscience est le fait, pour la nullité du néant, de se distinguer de son infinité. En d’autres termes, nous sommes conscients dans la mesure où nous nous sentons situés au centre de l’infini, et que cet infini nous paraît extérieur. Il n’y a pas de conscience possible sans cette opposition soi/extérieur. Il faut un objet de conscience à la conscience. Ce qui ne veut pas dire que ces objets de conscience soient effectivement extérieur à celui qui pense, puisque la pensée, consciente ou inconsciente, est tout. Le phénomène de conscience est simplement un phénomène d’illusion, l’impression que tout est extérieur à un centre où l’on se croie. La conscience est une séparation, une division de soi-même. Alors que je suis l’univers, qu’il est en moi, j’ai la sensation qu’il est à l’extérieur de moi. »

Qu’est-ce que l’amour ?

« L’amour n’est pas l’esprit. ce n’est pas non plus l’énergie. L’amour est un des deux composants de l’esprit, et par suite de l’énergie. C’est exactement le contraire de la conscience. La conscience sépare, elle rejette l’infini comme extérieur à ce qu’on considère alors comme soi, l’amour à l’inverse réunit ces deux pôles : il cherche à unifier soi et l’univers « extérieur », à tous les niveaux possibles et sous toutes les formes. Conscience et amour constituent la dualité de l’Etre. Dans la tradition métaphysique chinoise, on appelle YIN la conscience (inertie du moi) et YANG l’amour (force de transformation). En métaphysique moderne, on les appelle OR et AM. »   

« Quelle science pour demain ? », pages 158 et 159.



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Polémique entre Paul McCartney et le Dalaï-lama
http://bouddhanar-10.blogspot.com/2011/01/polemique-entre-paul-mccartney-et-le.html

mardi, janvier 11, 2011

L’Esprit, cet inconnu

Jean E. Charon 


La théorie unitaire


Je suis ce qu’on nomme un physicien-théoricien ; c’est-à-dire que je m’intéresse à la description mathématique des lois qui gouvernent la Nature. Mes recherches sont dirigées vers les théories dites « unitaires », qui sont les théories s’efforçant d’unifier les différentes lois observées, en démontrant qu’elles forment des cas particuliers d’une loi plus générale, valable pour tous les phénomènes, et qu’on désignerait du nom de loi unitaire.


Ce type de recherche conduit à analyser le plus petit comme le plus grand, les particules dites « élémentaires » comme le cosmos dans son ensemble, puisque, si une telle loi unitaire existe, elle doit être valable, c’est-à-dire vérifiable, à toutes les échelles dimensionnelles.


Des phénomènes où interviennent aussi ce qu’on nomme le psychisme, ou la conscience, ou la pensée


Quand je regarde mon travail et mes publications de ces vingt dernières années, je ne suis pas certain d’avoir été un physicien, ou en tout cas un physicien dans le sens qu’on prête à ce mot dans le contexte scientifique contemporain. Le physicien traditionnel est censé s’intéresser exclusivement, au cours de sa recherche scientifique, aux propriétés de la matière dite « inerte ». Certes, il reconnaît bien naturellement, comme tout le monde, qu’il existe des phénomènes où le « physique » ne joue pas seul, des phénomènes où interviennent aussi ce qu’on nomme le psychisme, ou la pensée. Mais ces phénomènes sont de la compétence des psychologues, ou à la rigueur des biologistes. La Physique, telle qu’elle se définit en cette fin du 20ème siècle, semble même mettre une sorte de « point d’honneur » à ne pas mêler le psychologique au physique, ce qui (au moins le croit-elle) lui permet de se vanter d’être une science « exacte ».


L’Esprit dissimulé sous la Matière


Or, à la réflexion, j’ai toujours été, au cours de mes recherches sur cette matière nommée « inerte », comme à l’affût des premières traces de phénomènes psychiques, c’est-à-dire guettant l’Esprit dissimulé sous la Matière. En d’autres termes, je me suis toujours senti très mal à l’aise devant le programme « réductionniste » des physiciens de notre époque, qui s’efforcent volontairement de construire une physique laissant l’Esprit à la porte.


L’espace-temps de l’Esprit et de la matière brute


Et je crois avoir eu raison. J’explique dans cet ouvrage (« L’Esprit, cet inconnu ») comment, au cours des récentes années, j’ai pu enfin montrer que, pour rendre compte de manière complète et satisfaisante de la structure et des propriétés de certaines particules élémentaires, il est nécessaire de faire intervenir un espace-temps de l’Esprit, côtoyant celui de la matière brute. Ce sont les différents aspects et conséquences de cette Physique néo-gnostique que j’expose dans mon livre.


La Physique néo-gnostique


Pourquoi cette appellation de Physique « néo-gnostique ? » Le nom ne vient pas de moi, et j’avais d’ailleurs déjà composé une bonne moitié de ce livre quand je découvrais que, contrairement à ce que je pensais, une telle tendance à ne plus séparer complètement Matière et Esprit dans la description scientifique de l’Univers s’était fait jour, et allait en s’approfondissant depuis déjà quelques années. Ce « mouvement », si on peut qualifier ainsi cette nouvelle orientation des idées scientifiques, paraît avoir principalement pris naissance à Princeton et à Pasadena, aux Etats-Unis, vers les années 1970. Des physiciens et astronomes, parmi les plus éminents, ont été à l’origine. Ils se sont grossis depuis de biologistes, de médecins et de psychologues. Et, plus récemment encore, de théologiens.


La Gnose


La Gnose a été, au 1er siècle de notre ère, un système philosophique dont les partisans (les gnostiques) prétendaient avoir une connaissance directe de Dieu. Cette attitude se caractérisait par le fait qu’elle voulait appuyer une telle doctrine, non pas sur de simples croyances, mais sur les données scientifiques de l’époque. Dans cette philosophie existaient notamment des êtres porteurs de l’Esprit, intervenant dans le comportement de la matière, nommés éons.


La connaissance « scientifique » de l’Esprit    


Les nouveaux Gnostiques de Princeton et Pasadena ont gardé de l’ancienne philosophie l’idée que ce que nous nommons Esprit est indissociable de tous les phénomènes auxquels l’Univers nous donne à assister, qu’ils soient physiques ou psychiques. On doit donc, au moins en principe, être capable d’avoir une connaissance « scientifique » de l’Esprit, c’est-à-dire en fournir une description en termes scientifiques, quitte à renouveler si nécessaire le langage scientifique lui-même. Mais, précisément pour permettre à l’Esprit d’accéder au rang de phénomène « scientifique », les néo-gnostiques refusent dès le départ de mettre l’Homme au centre du phénomène pensant : quand l’Homme affirme « je pense », soulignent-ils, il devrait plus correctement dire « il pense », ou « il règne une pensée dans l’espace », au même titre que le physicien dit « il règne un champ magnétique dans l’espace », ou que l’homme de la rue annonce « il pleut ». En d’autres termes, il existe une réalité profonde, partout présente dans l’Univers, qui est capable de faire « naître » la pensée dans l’espace, dans le même sens qu’un électron est capable de faire naître autour de lui un champ électrique dans l’espace. Dès lors, la pensée est partout présente, aussi bien dans le minéral, le végétal ou l’animal que dans l’Homme. C’est elle, notamment, qui transparaît derrière le comportement des organismes vivants, même s’il ne s’agit que d’une simple bactérie.


Une nouvelle fenêtre pour considérer l’Univers d’Esprit et de Matière


En fait, tant que cette conception néo-gnostique n’a pas fait la preuve, précisément à travers le langage scientifique, qu’elle correspond à une réalité « raccordable » aux phénomènes scientifiques observés et décrits, elle ne demeure qu’une approche pour aborder la Connaissance. Mais cela, en soi, est déjà fondamental : car, même s’il ne suffit pas de percer une fenêtre pour découvrir immédiatement tous les détails du paysage, tant que la fenêtre ne sera pas percée nous ne verrons jamais rien. Or, l’attitude actuelle des néo-gnostiques est exactement celle-là, et elle n’ambitionne pas pour le moment d’être autre chose : être une nouvelle fenêtre pour considérer l’Univers d’Esprit et de Matière, et tenter de le décrire en langage scientifique sans cesser de considérer à la fois l’un et l’autre. Ou, exprimé d’une autre façon, être un nouveau langage scientifique pour formuler la Connaissance ; être un effort de « psychosynthèse », diront encore les néo-gnostiques.


Les éons porteurs de l’Esprit


Cette nouvelle attitude vers la connaissance s’accompagne d’un certain nombre d’autres aspects, qui valent d’être soulignés.
Il y a d’abord l’adoption d’un point de vue relativement « modeste » pour considérer ce qu’on nomme le savoir humain. Ceux qui pensent, ceux qui savent, dans chaque Homme, ce sont ces individualités microscopiques qui portent l’Esprit dans l’Univers, et que nous pouvons appeler, à la suite des anciens gnostiques, les éons (*). Ceux-ci connaissent le savoir humain, puisque ce sont eux qui « pensent » ce savoir. Mais leur savoir dépasse très largement le savoir humain tel que nous sommes capables, par exemple, de le formaliser dans un langage quelconque ; les éons savent notamment comment créer la vie. Le savoir humain actuel n’est donc que cette part minuscule du savoir total des éons qui peut être exprimé au moyen d’un langage humain, en tenant compte des conventions nombreuses propres aux sociétés humaines. 


Ni hiérarchie du savoir ni maître


Autre conséquence, d’ailleurs en relation avec la précédente : il est absurde et inexact de croire que notre frère humain qui n’a pas fait ce qu’on nomme « des études », ou encore notre frère animal ou végétal, « est un ignorant ». L’affirmer est un peu comme si, considérant deux scientifiques de haut niveau, on dirait que l’un est ignorant parce que, contrairement à l’autre, il ne sait pas jouer au bridge. Par rapport à l’ensemble du savoir des éons, c’est là une attitude anthropocentriste et inacceptable de vouloir à toute force que votre maigre savoir humain individuel puisse nous rendre, en quelque manière, supérieur à l’autre. L’Homme doit garder dans le monde sa place modeste de « singe sans toison », non pas tant parce qu’il n’en sait guère plus que le singe dans le règne des sociétés animales, mais plutôt parce que, dans le règne de l’Univers cosmologique, il n’est pas certain que les éons du singe n’en sachent pas davantage que ses propres éons. Donc, pas de tentative de hiérarchie dégradante à propos du savoir, et pas de Maître non plus.       




(*) Ces sous-unités sont en réalité des particules que les physiciens étudient et pensent bien connaître depuis fort longtemps, les électrons… 


Vidéo 


Jean CHARON, interviewé par Louis PAUWELS, parle de sa "théorie unitaire de l'univers", de la réalité qui est derrière les apparences , des différentes recherches pour aboutir à cette théorie. Jacques BERGIER intervient pour montrer les applications pratiques de l'anti gravitation, entre autres dans les voyages inter planétaires. Jean CHARON évoque la possibilité de se rendre sur des planètes éloignées, en évaluant le temps par rapport à la vitesse de la lumière. Il émet un certain nombre d'hypothèses et suggère une expérience. Jean CHARON parle de sa formation et de sa passion pour cette recherche.






L’Esprit, cet inconnu 


Qui suis-je ? Qui est donc cet esprit que je nomme "mon esprit" ? Au fond de mon inconscient je crois parfois discerner, comme dans un rêve, des images d'un autre âge, traduisant de manière plus ou moins symbolique une expérience remontant bien avant ma naissance.
Cette pensée millénaire démontre aussi sa présence au cœur de chacune de mes cellules, capables d'harmoniser et coordonner à chaque instant tous les mouvements de cette machine merveilleuse qu'est mon corps. Mon esprit ne prendrait-il pas ses racines dans un passé aussi vieux que l'Univers lui-même ? Mon Je, ma personne, ce qui pense en moi, doit-il finir avec ma mort corporelle, ou doit-il au contraire partager l'aventure spirituelle de l'Univers jusqu'à la fin des temps ?
Telles sont quelques-unes des questions dont traite Jean E. Charon dans le présent ouvrage. Jean E. Charon est, avant tout, un physicien ; mais il est aussi un philosophe de grande notoriété. Ses recherches en Physique, au cours des récentes années, viennent de le conduire à une fantastique découverte : les électrons qui constituent notre corps enferment un espace et un temps différents de ceux auxquels nous sommes habitués ; dans cet espace-temps nouveau, c'est l'ordre et la mémoire des événements passés qui s'enrichissent sans cesse ; dans chaque électron de notre corps, c'est notre esprit entier qui est contenu. Et, comme ces particules possèdent, en accord avec la Physique, une vie pratiquement éternelle, dans le passé comme dans le futur, notre esprit lui aussi, c'est-à-dire chacun de nous, a été, est et sera présent tant que durera notre monde.
C'est un récit passionnant que nous conte ici Jean E. Charon, en nous montrant pour la première fois comment à la fois Matière et Esprit se côtoient partout et sont tous deux descriptibles dans le langage de la Physique contemporaine. Pour la première fois aussi se trouvent étayées de manière scientifique de nombreuses "manifestations" de l'Esprit, comme les phénomènes paraspychologiques, ou les interventions de l'inconscient. Les mythes fondamentaux nés dans toutes les religions de notre Terre s'éclairent ici d'une lumière nouvelle.
Jean E. Charon croit, comme André Malraux, que "notre troisième millénaire sera celui de l'Esprit". L'Esprit, cet inconnu nous invite à faire un grand pas dans cette direction.





lundi, janvier 10, 2011

Le millénarisme politique





La fin des temps – pour moi – ce n’est pas très évocateur. J’ai été trop mobilisé par l’autre alternative de la fin des temps qui est la fin d’un monde. Le millénarisme est cette croyance en l’avènement généralement imminent de la fin d’un monde terrestre, religieux ou global, et son remplacement par un autre monde, mais sur cette terre. Il tire son nom de la période de mille ans qui s’écoule entre la première et la seconde résurrection dans le chapitre 20 de «l’Apocalypse selon saint Jean », chapitre qui a fait l’objet de milliers et de milliers de spéculations, de commentaires et de chronosophies…


Le millénarisme ne désigne pas, comme on le croit généralement, la terreur millénariste, la terreur de l’an mil. Bien sûr, il y a quelques mouvements millénaristes aux alentours de l’an mil, mais ce sont des anecdotes par rapport à tout ce qui s’est passé au Moyen Age. Tous les mouvements joachimites sont très postérieurs à l’an mil ; ils ont une autre stature que la terreur de l’an mil : tous les flagellants, une partie des croisades, la guerre des Paysans, la guerre hussite, le soulèvement travailliste de 1341, etc. Et puis c’est un phénomène récurrent, il recommence tout le temps.


Il y a eu de mouvements millénaristes jumelés à des jacqueries paysannes et menés par des bodhisattva


Mais non, le millénarisme n’est pas particulier aux religions judéo-chrétiennes ! Le mahdisme, en islam, est quelque chose de fantastique ! Dans le bouddhisme, on en trouve sous d’autres noms : en Chine, aux 5ème et 6ème siècles, il y a eu, en cent ans, cinq ou six grands mouvements millénaristes jumelés à des jacqueries paysannes et menés par des bodhisattva… Quant aux Indes, on pourrait écrire un livre « gros comme ça » sur les prophétismes sociaux qui y sont nés !


En effet, le millénarisme n’est qu’une péripétie de l’eschatologie, mais c’en est une péripétie majeure. J’ai plus spécialement étudié les millénarismes à configuration messianique, c’est-à-dire des mouvements qui escomptent la fin d’un monde et le début d’un autre, sur terre, dans un contexte religieux et rédempteur, et dans lesquels on trouve un personnage équipé d’une conscience particulière, d’une parenté spéciale avec Dieu. Il est plus qu’un prophète, c’est un organe de Dieu. Comme Kimbangu au Congo en 1920. J’ai un livre en préparation sur lui qui s’appellera : « le Sacré et l’Administration ».


Evénements millénaristes et cultes de possession


Mais, désormais, j’oriente mes recherches davantage vers les parentés entre ces événements millénaristes et les cultes de possession. Je suis très intéressé par l’homologie qui existe entre le personnage messianique et un haut personnage de l’Histoire, et qui se traduit dans le culte de possession par la descente des dieux et l’identification avec le dieu. Il y a une « transe messianique » qui ressemble à la transe du culte de possession. D’ailleurs, admirez comme la dialectique du cheval et de la monture, qu’Alfred Métraux déterminait dans le vaudou, est exactement la même que la dialectique de saint Augustin ou celle de Luther sur les rapports de l’âme et de Dieu dans la possession par l’Esprit !


Des réseaux qui peuvent donner naissance à une autre civilisation 


Il y a deux grandes catégories de messies millénaristes, les pacifiques et les violents, mais dont les caractéristiques se recoupent parfois dans le temps. Le premier type pratique la grève, la grève autogestionnaire, en rupture avec la société dominante. Il fonde des microsociétés équipées pour se passer de la société. Ces micro-ermitages forment des réseaux qui peuvent donner naissance à une autre civilisation : les premières communautés chrétiennes étaient de ce type ; ou, avec une autre configuration, le culte du cargo dans le Pacifique, où on retourne à la contre-société d’avant la civilisation. Non, ce n’est pas un phénomène de régression, mais une recherche d’identité, une lutte contre l’aliénation oppressive.


L’appel à la guerre Sainte 


L’autre catégorie est la société violente, l’appel à la guerre Sainte, au Jihad… comme Thomas Münzer et la guerre des Paysans, en Allemagne, ou tous les millénarismes violents du Moyen Age.


A notre époque


Oui, nous sommes dans une période de millénarisme. Je dirai d’ailleurs que la politique est infestée de millénarisme latent, sécularisé. Sommes-nous entrés dans une période qui peut justifier les espoirs millénaristes, ou en sommes-nous sortis ? A mon avis, c’est un commencement. Mais ce sera un cycle, vous savez, de millénarismes, c’est une composante anthropologique, une dimension de l’homme, une dimension de l’espérance poussée à bout, acculée, désespérée. C’est une dimension archétypique de la conscience humaine, de la personne et des groupes humains !


Henri Desroche, initiateur du Groupe de sociologie des religions fondé en octobre 1954 et de sa revue Archives de Sociologie des Religions est élu, en 1958, directeur d'études à l’École Pratique des Hautes Études. Sa thèse d’État, soutenue en 1970, s'intitule Messianismes, utopies et sociologie des religions. Il a publié 17 livres.
(Ces propos ont été recueillis par Tchalaï Dermitzel au cours d’un entretien pour « Question de ».)


  
Dieux d’hommes  
Dictionnaire des messianismes et des millénarismes, du 1er siècle à nos jours


Un dictionnaire exhaustif concernant les trois traditions abrahamiques.
Après une Introduction éclairant le phénomène millénariste et celui de l'Attente, Henri Desroche, en historien ne tenant pas compte des mythes religieux mais des faits avérés dont témoignent les textes rédigés à la même époque, nous propose un dictionnaire des millénaristes et des Messies du 1er siècle à nos jours, dans les traditions juives, chrétienne et musulmane. Près de 1000 notices, complétées à sa demande, font de cet ouvrage un livre essentiel pour tous ceux que passionne l'histoire de religions, indissociable de celle des mentalités.
Préface d'Emile Poulat.




Illustration : 
Le Kibanguisme http://www.ejcsk-munich.com/messagespirit.html

dimanche, janvier 09, 2011

Cassandre est-elle idiote ?



Lucain, tout comme son oncle Sénèque (1er siècle après J.-C.), a joué, lui aussi, les prophètes « apocalyptiques » : « Le feu détruira le monde » (la Pharsale) ; et : « Les étoiles se heurteront contre les étoiles, et la matière s’embrassera de tous côtés » (Sénèque).


Prophétie de saint Malachie. Cet évêque irlandais vivait au début du 7ème siècle, mais sa prétendue prophétie ne fut mise en circulation qu’en 1595 ! Extrayons-en le texte qui concerne le dernier pape, Pierre le Romain :
« Au cours de la dernière persécution de la sainte Eglise romaine, siégera Pierre le Romain, qui paîtra ses brebis au milieu de nombreuses tribulations ; celles-ci terminées, la ville aux sept collines sera détruite et le Juge, qui fait trembler, jugera le peuple. »
C’est donc la fin du monde pour les environs de l’an 2000.


Sainte Hildegarde, abbesse bénédictine en Allemagne, au 12ème siècle, publie en 1138 ses visions d’avenir :
« Tout ce qui vit sur terre tend à périr, le monde sent ses forces faiblir » ; et ailleurs : « Le monde est entré dans le septième âge : c’est celui qui précède le dernier jour. »


Joachim de Flore, célèbre moine cistercien du 12ème siècle, passait en son temps, pour un très grand prophète. Il divise l’histoire de l’humanité non pas en sept jours, mais en trois périodes correspondant aux trois personnes de la Trinité.
Il annonce la venue de l’Antéchrist vers « la fin de l’histoire du monde ». Mais quand aura lieu cette « fin » ? Si c’est à l’issue de la troisième période, ce serait à la fin de l’ère du Verseau, soit vers l’an 4000.


Mother Shipton, une prophétesse anglaise, qui vivait dans la première moitié du 16ème siècle, a prédit – si la complainte qui résume ses vaticinations est authentique – beaucoup d’événements qui sont arrivés :
« Et le monde finira enfin, en 1992 ; telle est la conclusion de ladite complainte.


Nostradamus ne devrait pas nous effrayer, car il a écrit à son fils cette phrase très rassurante pour ceux qui redoutent la fin du mode pour le début du 21ème siècle :
« … de perpétuelles vaticinations pour d’ici (1555) à l’année 3797 » (ce qui nous laisse un répit de presque 18 siècles).
Faut-il rappeler sa prédiction, si souvent répétée, sur le « Grand Roy d’effrayeur » qui viendra du ciel « l’an mil neuf cent nonante neuf, sept mois », c’est-à-dire en juillet 1999 (L’attaque aérienne tant redoutée se produira deux ans plus tard – le 11septembre 2001 – , mais l’inénarrable Jean-Charles de Fontbrune, le spécialiste de Nostradamus, considère qu’en juillet 1999 la guerre contre l’Occident a été déclarée par Ben Laden, couronné « Grand Roy d’effrayeur » par l’exégète nostradamien*.)  

Holzhauser, prêtre allemand (1613-1658), divise l’histoire du monde en sept âges (comme sainte Hildegarde). Il annonce que son temps appartient au cinquième âge. Le notre semble y appartenir encore. Le sixième pourrait être l’ère du Verseau ; et le septième, la prochaine ère, c’est-à-dire celle, sombre et calamiteuse du Capricorne, qui doit se situer en gros entre 4000 et 6000. Mais selon Holzhauser, le sixième âge serait très bref ; il ne durerait sans doute pas les 2160 ans habituels des ères platoniciennes.
Le cinquième âge se terminera par l’apparition du saint Pontife et du Grand Monarque (thème cher aux prophètes dès le Moyen Age). Puis il y aura un sixième âge, très bref, qui mènera jusqu’à l’apparition de l’Antéchrist à la fin des temps. Il est très difficile de dater ces prédictions.


Jeanne Le Royer, religieuse française et voyante célèbre (1732-1798), a prédit, naturellement, l’Antéchrist et la fin du monde. Le Jugement dernier serait pour les alentours de l’an 2000 : « Je jugeai qu’il ne restait plus qu’environ deux heures au soleil. » (Ces heures représentent pense-t-on, des siècles : 1795 + 200 = 1995.) Elle prophétisait après la Révolution.


Anne-Marie Taïgi, célèbre voyante italienne, a fait à peu près les mêmes prédictions que Jeanne Le Royer.
« Deux cents ans ne seront pas suffisants pour que tout cela arrive » (elle « voyait » aux environs de 1800).


Johanna Southcott, fille d’un gentleman campagnard du Devonshire, fit, en 1792, des prophéties, dont voici l’une :
« Quand apparaîtra la guerre orientale, sachez que la fin est fatale. »
Mais quelle sera cette guerre « orientale » ? Serait-ce le conflit entre Israël et le monde arabe ?


La Salette (19 septembre 1846). C’est une prophétie mariale, c’est-à-dire dictée par la Sainte Vierge à deux enfants.
Annonce de l’Antéchrist et de ses « armées assistées par les légions de l’Enfer ».


Le « Roi du monde », personnage plus ou moins mythique et soi-disant tout-puissant (qui vivrait dans le royaume souterrain de l’Agartha), aurait fait une prédiction en 1890 (rapportée par Fernand Ossendowsky, dans son livre célèbre « Bêtes, hommes et dieux », publié en 1924) devant les lamas d’un monastère de Mongolie ; en voici quelques lignes :
« Il y aura une guerre terrible entre tous les peuples […]. Des peuples entiers mourront […]. Alors viendront les ennemis de Dieu et de l’Esprit divin, qui se trouve dans l’homme […]. Il y aura des brouillards et des tempêtes […], la terre tremblera […]. La faim, la maladie et la mort […]. De dix mille hommes, un seul survivra […]. Toute la terre se videra », etc.
Bien qu’il y ait des chiffres : 100 ans + 71 + 18, il est impossible de dater la prédiction, parce que manque la date du début de ces calamités.


Edgar Cayce, « un Américain tranquille » (1877-1945), qui fit d’extraordinaires guérisons et de sensationnelles prédictions dans un style simple, ce qui les rend assez convaincantes. On y trouve annoncés des catastrophes et des cataclysmes, mais non ce qu’on appelle une « fin du monde ».
Dans ses « visions » concernant le 22ème siècle, il a signalé des événements importants et …peu agréables, devant se passer entre notre temps et 2100 : submersion de Paris, de Londres, de New York par raz de marée gigantesques, à la suite de tremblements de terre, entre autres « joyeusetés » ! Mais l’humanité n’en poursuivra pas moins sa marche cahotante.


L’astrologue Hadès, dans son livre « Que sera demain ? » (publié en 1966), a prédit, pour l’avènement de l’ère du Verseau (qui est commencée, mais personne ne donne la même année pour ce début), des transformations importantes dans la vie de l’humanité :
Fins du capitalisme et du christianisme. ( A la religion du fils succédera celle du Saint-Esprit, si l’on admet la division de Joachim de Flore en trois périodes, selon les trois personnes de la Trinité.) Et le communisme s’évanouira en même temps que le capitalisme.


Marie-Louise Sondaz, une astrologue, est, quant à elle, l’une des rares optimistes (dans son livre : « Les Astres de la vie sentimentale », publié en 1968) :
Notre époque « violemment transformatrice » doit se clore en 1984 (qui est, pour cette astrologue, le temps de l’ouverture d’un nouveau cycle cosmique), date où « le monde retrouvera ses règles de vie, cependant que des caractères d’une envergure peu commune se prépareront à lui créer des excellences au cours des décennies suivantes ».


Après Einstein, le savant soviétique Sakharov a crié sa peur pour l’avenir des hommes.
Sakharov a prédit la « catastrophe » mondiale pour 1985.


Voici, à nouveau, un astrologue, Mantéia, qui, en 1966, annonçait :
La fin de la terre, pour le mois de mai de l’an 2000.


Et toujours les prophéties mariales, comme celles de l’Américaine Veronica, « favorisée », depuis 1970, de visions célestes, à Beyside (New York) :
« La grande catastrophe, la grande destruction qui sera envoyée sur l’humanité […]. Le temps diminue. Des années ou des mois […]. La fin approche ».


Sinon plus rassurant, du moins ne nous annonçant la fin du monde que pour beaucoup plus tard, entre 2500 et 3000, Michel de Roysin, disciple du mystérieux Ulrich de Mayence (qui vivait au 15ème siècle), est donc moins précis que son Maître qui, lui, prophétisait les temps d’Apocalypse aux alentours de l’an 2475, rejoignant à peu près la date ultime inscrite dans la Grande Pyramide (si l’on fait foi à Georges Barbarin) et qui est : l’an 2444.
Ajoutons, d’ailleurs, que cet an 2444 « ne saurait être assimilé à la fin du monde » : ce n’est que la fin de l’âge adamique.


Alex Roudène

samedi, janvier 08, 2011

Yang Zhu ou l’égoïsme libertaire





De Yang Zhu on ne sait rien sauf qu’il dut vivre à l’époque de Mengzi et de Zhuangzi, ou un peu avant, donc en plein 4ème av. notre ère. Il semble avoir joui d’une très grande réputation et sans doute avoir eu des disciples. De toute façon, ses œuvres – si œuvre il y eut – sont perdues et sa doctrine ne nous est connue – et donc lacunairement – par le chapitre VII du Liezi, philosophe taoïste, et quelques traces de polémiques par-ci par là, notamment dans le Mengzi où les deux cibles privilégiées sont précisément Yang Zhu et Mozi. Il se pourrait bien que Yang Zhu soit à la fois un hédoniste, partisan du plaisir et de la liberté individuelle, et un individualiste rebelle à tout service altruiste ou étatique. Les deux positions étant d’ailleurs beaucoup plus complémentaires qu’incompatibles.

On lui a surtout reproché de se gausser de l’activité des rois légendaires exemplaires en qui il voit des activistes surmenés qui, non seulement, ne tirent aucun plaisir de la vie, mais encore, la mettent en danger.


En effet, quand on est utile aux autres on est en très grand danger d’être inutile à soi, car ce n’est qu’en étant inutile aux autres qu’on a chance et assurance d’être utile à soi. La vie, l’inestimable importance d’être en vie, prime tout et suffit à tout.


« Notre vie est notre propriété et son utilité pour nous est très grande. Pour ce qui est de sa dignité, même l’honneur d’être empereur ne peut lui être comparé. Pour ce qui est de son importance, même la richesse que donne la possession du monde n’est pas à échanger contre elle. Pour ce qui est de sa sécurité, si nous la perdions une matinée, la perte serait sans retour, A ces trois points prennent garde ceux qui ont compris. »


Dans le Hanfeizi, texte légiste, il est rapporté à son sujet :


« C’est un homme dont la politique est de ne pas entrer dans une ville qui est en danger, ni de rester dans l’armée. Même en échange du monde entier, il ne donnerait pas un seul poil de sa jambe… C’est un homme qui méprise les choses et attache du prix à la vie. »


L’image du personnage est donc très simple, poussée même jusqu’à la caricature : alors que Yu le Grand a perdu tous les poils de ses jambes à force de travailler dans l’eau à maîtriser l’inondation, Yang Zhu, lui, n’aurait même pas sacrifié un poil de ses jambes à quelque travail altruiste que ce soit. 


« Si chacun refusait d’arracher même un seul poil et si chacun refusait de faire du monde l’objet d’un gain, le monde serait dans un ordre parfait. » (Liezi)


Autrement dit, il ne faut rien sacrifier, perdre ou « donner », mais il ne faut pas non plus risquer pour gagner. Ni sacrifice ni risque, voilà la voie. N’allons tout de même pas croire que Yang Zhu s’interdise tout mouvement ou acte de pitié envers autrui dans le besoin. Mais une chose est de nourrir spontanément l’affamé qui nous requiert, autre chose d’intervenir ou de se sacrifier pour « corriger » la nature, l’homme ou la société. Yang Zhu est resté dans la pensée chinoise le modèle même de l’égoïsme absolu. Une sorte de « fou » qui se retire du monde des hommes, considérant que tout sacrifice, tout humanisme, tout autant que l’appât du gain ou l’ambition, ne peuvent que mettre en péril la vie qui y succombe.


Pour cultiver la vie, leitmotiv qui soutient toute sa pensée, il suffit de commencer à soi… et de s’arrêter à soi.


Il y a déjà dans Yang Zhu comme un pré-taoïsme de par son rejet de l’interventionnisme illusoire, moralisant et périlleux, mais il y a surtout un ton libertaire qui n’appartient qu’à lui.


Au fond la leçon que nous donne Yang Zhu n’est ni une leçon d’égoïsme, ni une leçon d’anarchie, mais probablement bien plus une leçon de modestie prudente : qui es-tu pour te croire appelé à te mêler de ce qui ne te regarde pas en t’arrogeant le droit de dire le bien et le mal, le convenable et l’inconvenable. Comme aussi une leçon de liberté, laquelle ne tient souvent qu’à un fil – ce qui n’est pas beaucoup plus qu’un « poil » : à sacrifier « poil » après « poil » d’une vie tellement déjà réduite et médiocre, que te restera-t-il ? Ton sacrifice la réduirait encore sans aucune utilité pour personne et certainement pas pour toi.


On peut certes préférer une pensée plus engagée et plus humaniste, il n’empêche qu’on ne saurait réduire celle-ci à un pur et simple égoïsme anarchiste – si tant est qu’il existât jamais – et qu’il y a là des accents assez proche parfois de l’Ecclésiaste, comme aussi du Stirner de « L’Unique et sa propriété ».


Ce ne sont pas des compagnons indignes que ceux qui tiennent plus à vivre au plus près d’eux-mêmes qu’à se payer de mots ou d’actes dignes d’éloges.


Le nihilisme de Yang Zhu


Si on lit attentivement le chapitre VII du Liezi consacré à Yang Zhu on doit bien admettre que Yang Zhu – s’il le fallait pousser rigoureusement, mais le doit-on, dans ses derniers retranchements – ne sort pas d’une vision nihiliste des choses et du moi.


En effet, le destin de tout homme, qu’il soit sage et altruiste ou méchant et égoïste, est le même : morts, « ils ne sont guère différents d’un tronc d’arbre ou d’une motte de terre ».


Qu’importe après tout que la renommée des uns soit glorieuse et celle des autres, infamante. Ils n’en savent rien : morts, louanges et blâmes ne les atteignent plus.


Quant au « bonheur », au plaisir, Yang Zhu affirme que les sages « n’en connurent pendant toute leur vie aucun jour », tandis que les tyrans, les méchants « accomplirent jusqu’au bout tout ce qu’ils désiraient ». on peut sans doute infirmer son jugement en rappelant, d’une part, « l’imperdable bonheur » de qui se conduit bien, à ce point en paix avec sa conscience qu’il peut, malgré parfois déréliction passagère, affronter la mort injuste avec sérénité, et, d’autre part aussi, l’inquiétude de tout tyran qui, suscitant jalousie et vengeance, n’ignore pas, même si sa conscience reste silencieuse, le danger qui le menace. Il n’empêche que d’une certaine façon l’« imperdable bonheur » n’est pas le bonheur tout court, et que la crainte d’un danger n’exténue pas tout plaisir, quand perversement il ne l’accroît. A typer comme il le fait, le bonheur du tyran, malmené seulement par la renommée, face au malheur du sage, glorifié seulement par celle-ci, Yang Zhu caricature une réalité humaine moins unanimement « injuste ».


C’est pourtant le même effarement qui saisit le psalmiste comme l’homme de la rue quand ils constatent l’insolence du bonheur des méchants face au malheur des justes et des innocents.


Faut-il en conclure par là qu’à moins d’une hypothétique rétribution future – qu’il n’envisage à aucun moment – ou d’hypothétiques lendemains qui chantent – pas plus –, mieux vaut être injuste et heureux que juste et malheureux, ou comme on dit aussi, en sous-entendant le prix à payer, riche et heureux que pauvre et malheureux, c’est ce que ne dit pas Yang Zhu pour qui poursuite de richesses et de plaisirs tous azimuts sont aussi choses risquées.


Son dernier mot serait probablement : comme ceci ou comme cela, mais non sans plaisir, sans bonheur, sans liberté.


Mais, comme il n’est pas possible d’avoir « tout à fait en main » ni soi-même ni les êtres, cette quête de bonheur, quoique nihiliste en son fondement, requiert doigté, insouciance et capacité de jouir de soi, des êtres et des choses dans l’instant présent de leur rencontre. La vie ne vaut pas la peine d’être vécue, mais rien ne vaut la vie surtout si on parvient à lui retirer, en ne poursuivant ni gloire, ni rites, ni vertus, la moitié de sa peine.


Vladimir Grigorieff, « Les philosophies orientales ». 




Les philosophies orientales


Ce livre vous propose d'explorer un univers fascinant et encore mal connu : la philosophie orientale. De l'Inde à la Chine, vous découvrirez ainsi la richesse et l'authenticité d'une pensée en mouvement. Complet, clair et documenté, ce guide vous familiarise avec les concepts fondamentaux, les principaux courants et les grands penseurs. Vous voilà prêt à changer de regard !


Photo : http://travelinghost.blogspot.com/2008/08/zhu-yiyong.html

jeudi, janvier 06, 2011

Le besoin de croire







La foi, névrose et psychothérapie


C’est pourtant en prenant appui sur la foi et les fois que l’humanité a fait ses premiers pas. Qui sont sans doute encore les nôtres.


Les historiens de l’histoire lisent le texte de ce que l’humanité fut. Les historiens des religions traduisent le texte de ce qu’elle rêve d’être. Freud a mis l’accent sur la religion considérée comme « la névrose universelle » de l’humanité. Il faudrait aussi, pour établir un bilan exact, sans doute impossible, de ses bienfaits et de ses méfaits, pouvoir mesurer la vertu thérapeutique qu’elle a assumée : la religion est à la fois la maladie et la cure de cette maladie, une névrose et sa psychothérapie. Elle est tout ensemble la plaie et le baume, la blessure et son pansement. L’espace mental où s’accomplit la grande dé-formation mythologique des projections religieuses assuma aussi une incontestable fonction de formation : comme la terre a été formée par les eaux qui se sont retirées d’elle une fois leur travail accompli, l’humanité a été formée par les religions. Elles ont été, pour appliquer à l’espèce dans son ensemble ce que Winnicott applique au tout petit enfant, les « objets transitionnels » de l’espèce humaine. Ce n’est pas de l’incertitude et du doute que l’enfant à l’orée de la vie et l’espèce à l’orée de l’histoire peuvent partir. C’est seulement d’une base première que Winnicott appelle « la croyance en quelque chose » (belief in), indispensable à l’évolution future et à la maturation de l’enfant. Il y a ainsi plus de rationalité dans la tendance primitive à personnaliser les forces « naturelles » que dans les formes modernes de « cultes » des chefs politiques. Il n’apparaît pas que les formes d’adoration sociale, les religions séculières d’Etat, qui tentent d’organiser en rituels et cérémonies le culte de la personnalité d’un « dieu vivant », constituent un progrès intellectuel et moral par rapport aux religions de la préhistoire ou de la protohistoire.


Le Dieu ou les dieux : quelqu’un à qui parler


La « création » de dieux ou d’un Dieu offre, devant le chaos et le tohu-bohu qui frappent les hommes à leur apparition, un modèle, une hypothèse de travail, un appui qui permet d’assurer leurs pas et d’amorcer leurs actions. Si le monothéisme n’est pas la religion du monde la mieux partagée, la croyance la plus ancienne et la plus fonctionnelle est le recours à des êtres sur-humains. Sur-humains parce qu’ils règnent sur les humains, régisseurs invisibles au-dessus des vivants, mais foncièrement humains néanmoins. Devant ce qui le déjoue et le joue, le frustre et le floue, l’accable et le frappe, l’homme originel n’a pu rien imaginer de plus réconfortant ni de plus commode qu’une sorte d’être humain « agrandi » : un semblable un peu supérieur, insaisissable mais secourable. Quelqu’un avec qui on peut en tout cas discuter. Un autrui plus chanceux et mieux armé, dont on peut pressentir les réactions analogues à celles qu’on aurait à sa place. Le « Maître des animaux » ou le « Seigneur des fauves » des peuples des chasseurs archaïques est un dieu qui a des faiblesses réconfortantes et des vertus rassurantes : il est sensible à la flatterie, accessible aux requêtes, séduit par les offrandes. C’est une personne somme toute assez raisonnable. Le « Maître des animaux » est quelqu’un avec qui on peut établir des relations réciproques et cohérentes. Ce n’est pas un despote capricieux, dont les décrets sont inexplicables. Il refuse le gibier à ceux qui massacrent inutilement, saccagent les réserves vivantes, violent certaines règles utiles de vie sociale. C’est un maître somme toute beaucoup plus « humain », logique et bénéfique que les grandes idoles tribales d’aujourd’hui, que Hitler ou Mobutu, « Papa Doc » Duvalier de Haïti ou Staline, que le Kedhafi du « Petit Livre vert » ou le Mao du Petit Livre rouge. Les dieux égyptiens étaient plus modestes que les dieux en vareuse de l’Orient actuel. Amon Râ n’était après tout que le « Dispensateur du souffle à celui qui l’aime », tandis que le « toujours victorieux et brillant dirigeant » Kim Il Sung est le « Penseur révolutionnaire sans précédent ni à l’Est ni à l’Ouest et dans tous les âges, Soleil de l’Humanité ».


Religions sans dieux et dieux sans religions


Parmi les éléments constitutifs des innombrables religions et sectes de l’histoire, le plus irremplaçable n’est pas celui qu’on pourrait croire. Une religion est la combinaison de mythes et de symboles, de rites et de cérémonies, d’un crédit accordé à des paroles consacrées ou des textes sacrés, d’autorité reconnue à un sacerdoce, de référence à des expériences ou des états psychiques, de promesses et de prophéties, d’acquiescement à des codes de conduite et enfin de la croyance à l’existence d’êtres sur-humains, demi-dieux, dieux ou Dieu.


Chacun de ces éléments peut se rencontrer indépendamment de la constitution d’une religion proprement dite. Il y a des mythes qui ne fondent pas une Eglise. Il existe des clergés séculiers, des prophéties et des messianismes laïques, des mystiques sans religion. Et la reconnaissance d’une loi morale ou l’obéissance à des préceptes éthiques ne sont pas l’apanage des « croyants ».


Il est rare que tous ces éléments se présentent simultanément dans une religion. Mais l’élément le moins indispensable à l’établissement et au succès d’une grande religion, c’est probablement « Dieu ». Et le Dieu tout-puissant, omniscient et infiniment bon des traditions chrétiennes n’est certes pas celui qu’on rencontre le plus fréquemment. Les dieux précolombiens sont en général totalement dépourvus de bienveillance. Le Dieu « premier » de Marcion et le Ialdabaoth des gnostiques sont aussi méchants et cruels que l’est souvent Yahvé des premiers sémites. Le dieu des nestoriens de l’Antiquité comme le Dieu des nouveaux théologiens protestants, de Dietrich Bonhoeffer à Paul Tillich, sont des dieux très peu puissants, mal assurés de leurs pouvoirs, incertains de leur existence même, et donc on ne sait pas s’il n’ont pas d’avantage besoin des hommes que les hommes ont besoin d’eux.


Mais une religion n’a pas forcément besoin de dieux –ou d’un Dieu. André Bareau peut écrire à juste titre que le bouddhisme refuse de croire à l’existence d’un « Dieu créateur et souverain de l’univers, éternel et omnipotent », et qu’on a pu donc le définir « comme une religion athée ». A.M. Esnoul constate que les « dieux » de l’hindouisme, multiples, impermanents, se dissolvant à peine ont-ils apparu, « nous entraînent loin de l’atmosphère théiste ». Les religions-foi ont moins besoin d’un Dieu que les religions séculières n’ont besoin d’un homme divinisé.
Claude Roy, « Les chercheurs de dieux ».


Les chercheurs de dieux 
Délivrez-nous des dieux vivants, des pères du peuple et du besoin de croire


« Notre prolétariat qui es sur terre, que ton nom soit sacré, que ta volonté soit faite, que ton pouvoir arrive. » Ainsi commençait la prière révolutionnaire des « Constructeurs de Dieu », un mouvement fondé après 1905 par Gorki et Lounatcharski. Quelques années auparavant, le philosophe Soloviev avait fondé les « Chercheurs de Dieu », qui voulaient s’acheminer vers l’Humanité-Dieu. Mais la confusion du politique et du religieux remonte plus loin encore : aux mouvements millénaristes, au culte de l’Etre Suprême instauré par Robespierre, à l’annexion du « sans-culotte Jésus » par les hommes de 1793, à la « religion de l’avenir » socialiste que veulent fonder en 1848 Georges Sand et Pierre Leroux. On voit de même s’opérer de nos jours des connivences et des aller et retour étranges entre religion et révolution, foi et politique, croyance et activisme.


Combien changent de croyance sans changer de foi, et passent d’un Dieu divin à un dieu vivant, ou réciproquement, sans jamais se guérir du « besoin de croire » ? Les « cultes de personnalités » sont peut-être le vrai mal du siècle, de Lénine et Hitler à Staline et Mao. Les « pères du peuple » sont légion. C’est ce phénomène qu’analyse et illustre Claude Roy dans un essai centré sur l’analyse des communismes contemporains, mais nourri d’une solide connaissance de l’histoire et de la psychologie des religions. « Les chercheurs de dieux » étudie le mécanisme profond des systèmes à produire de la certitude, des institutions à donner de la sécurité et des croyances à sécréter du dogme.


« Il faut bien croire à quelque chose », entend-on dire tous les jours. Claude Roy répondrait sans doute volontiers : « Je n’en vois pas la nécessité. » Voir, savoir, pouvoir, oui. Espérer, peut-être. Mais croire, pourquoi ?
      






Illustration : Fête de l’Etre Suprême. 

Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...