mercredi, juin 22, 2011

Quelque chose en nous d'un peu nazi...




L'homme est-il bon ? Est-il méchant ?

Cette controverse hante les philosophes et les moralistes. Elle oppose, depuis plus de deux siècles, les partisans de Hobbes (« l'homme est un loup pour l'homme ») à ceux de Rousseau (« l'homme est bon, la société le corrompt »).

La postérité est injuste envers Rousseau, sur les idées duquel on commet des contresens, et qui a même écrit (Discours sur les sciences et les arts) : « Les hommes sont pervers ; ils seraient pires encore s'ils avaient eu le malheur de naître savants. » Pour Jean-Jacques, le « bon sauvage » (tel que le conçoit plutôt Bernardin de Saint-Pierre, l'auteur de Paul et Virginie) n'existe pas ; c'est un être hypothétique d'avant la civilisation ; un ange dans les nimbes... De fait, aucun humain ne vit hors d'une société. L'Homo sapiens est pétri par ses mythes, sa religion,ses parents, son village, sa culture; y compris, depuis un siècle, par la radio, la télévision ou Internet. Comme dirait madame Évidence, non seulement rien n'a changé, mais c'est toujours la même chose. Au fond, Hobbes a raison : l'homme est animé de pulsions violentes envers son espèce. Mais l'auteur du Léviathan a tort de nous assimiler au loup : celui-ci n'est jamais « grand méchant » pour ses congénères (ne parlons pas de la façon dont il traite l'agneau : nous agissons de même). Canis lupus obéit à des lois sociales. Il adopte des comportements régis par un code. Il indique son humeur par des grognements, des jappements, des hurlements ; par la position de ses oreilles, de ses babines, de sa crinière et de sa queue. Il lui arrive de donner des coups de dents à un congénère, mais sans haine inextinguible, ni désir de vengeance, ni terrorisme aveugle, ni armes de destruction massive. Le meurtre du loup par le loup est tabou, dès lors que le vaincu offre sa gorge en signe de soumission.

Depuis la nuit des temps, le loup a aboli la peine de mort. Les États-Unis et la Chine (le plus riche et le plus peuplé des pays du globe) en sont loin. Le loup est un loup pour le loup. L'homme est bien pire : un homme pour l'homme ! Aucune « bête sauvage » n'aurait jamais assassiné ses congénères comme nous nous y sommes employés à Oradour-sur-Glane ou à Srebrenica. Aucun animal n'aurait pu concevoir et exécuter cet ordre que je tiens pour le plus barbare qui ait été proféré depuis le commencement de l'univers, voici près de quatorze milliards d'années : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens! »

Bien plus que le tigre de Racine, nous sommes « altérés de sang ». Meurtriers, tortionnaires et fiers de l'être... Nous aimons nos reîtres, nos spadassins, nos soudards, nos uhlans, nos mercenaires. Nous louons la soldatesque qui pille et viole. Nous décorons nos « héros ». Nous élevons des statues à ceux qui ont le mieux éventré ou incendié. Nous leur composons des hymnes. Arma virumque cano... (« Je chante les armes et les vainqueurs... ») : le premier vers de L'Énéide de Virgile nous résume. Nos œuvres les plus fameuses sont des épopées rougies de coups d'épée, depuis L’Iliade et La Chanson de Roland jusqu'à La Guerre des étoile ; même si, dans cette dernière, le glaive n'est plus de métal, mais de lumière. La survie de l'humanité au vingt et unième siècle (verra-t-elle le vingt-deuxième siècle ?) dépend de la réponse qui sera donnée à ces questions : notre espèce peut-elle surmonter ses désirs de pouvoir et ses haines nationales, ethniques ou religieuses ? L'homme est-il capable de maîtriser les forces qui le poussent à la tyrannie ? Réussira-t-il à réfréner son agressivité pour tendre vers un but collectif qui le dépasse ? Sauvera-t-il ainsi la planète de la ruine, et - du même coup - sa négligeable espèce ?

Mon cœur voudrait dire « oui ».
Ma raison répond « non ».

Est-il imaginable qu'un jour nous soyons, sur le globe, non pas même soixante mille milliards d'êtres humains, comme l'imaginait Paul Ehrlich (dans neuf cents ans, ce qui nous laisserait un peu de temps...), mais « seulement » douze à quinze milliards en 2100 ? Ou trente-six milliards en 2300 ? Bien sûr que non !

Nous y réussirions si nous étions des termites, des fourmis, des onychophores, des ornithorynques ou des oryctéropes ; des poulets, des veaux ou des cochons de batterie abrutis par la promiscuité, la nourriture industrielle, les antibiotiques et les drogues (je sais : nous y ressemblons ; mais il y a des différences). Nous y parviendrions si nous étions génétiquement modifiés, sans aires du cerveau vouées à la douleur et au plaisir ; et sans matière grise qui puisse imaginer, se mettre à la place d'autrui et élaborer des projets. Autrement dit, ce serait possible si nous étions ces robots biologiques dont rêvent les chefs d'entreprise, les dictateurs et les généraux.

Nous le pourrions si nous étions décérébrés ; privés à la fois de la sphère des émotions et de celle du savoir. Or - le problème est là - nous avons quelque chose dans la cervelle, y compris chez ceux d'entre nous dont le crâne sonne creux. Non seulement nous obéissons à des instincts (ces comportements inscrits dans le patrimoine génétique), mais nous sommes des animaux de savoir et de mémoire, de concept et de langage. Des créatures d'imagination et de projet.

La combinaison de notre animalité et de notre humanité est indissoluble; mais c'est elle qui nous rend méfiants, calculateurs, voleurs, féroces envers nos pareils et prêts à tout pour les asservir – jusqu'au viol, à la torture, au crime et à la guerre.

L'homme est méchant parce que c'est un animal pensant.

Je pense, donc j'asservis.
Je pense, donc j'exploite et j'humilie. Je pense, donc je vole et je tue.

La vérité de la nature humaine est loin du cogito philosophique de Descartes ; plus proche du Prince de Machiavel et de la Juliette de Sade.

Ce que je dois dire à présent me sort avec peine des neurones. Je rougis, je pâlis, mes yeux papillotent, ma bouche se dessèche, mes doigts tremblent sur le clavier de mon ordinateur. Il y a longtemps que je le pense, mais je n'osais l'écrire, par crainte de plaire aux fascistes fiers de l'être - petites moustaches des années trente ou crânes rasés de notre époque. Mon propos consternera ceux qui veulent croire en l'humanité de l'homme, au progrès de notre espèce ou à son salut. Au terme de ce chapitre, je récrirai l'exergue du Capital de Karl Marx : Dixi et salvavi animam meam, « J'ai dit et j'ai sauvé mon âme. » Je me risque.

L'espèce humaine est affreuse, bête et méchante. Nous avons tous en nous quelque chose d'un peu nazi.

Je ne parle pas d'une petite salissure, d'une tache résiduelle, d'une macule en voie de dissolution ou d'un défaut mineur que nous pourrions tenir sous contrôle. Non... J'examine la partie constitutive de notre personne. Je peins la région de nous-mêmes qui nous guide lorsque nous subissons un stress ; lorsque nous avons peur ou que nos intérêts vitaux sont en jeu.

Parce qu'ils se veulent humanistes ou qu'ils croient au paradis, certains d'entre nous endossent le costume de saint Michel et tentent de combattre ce Lucifer de nos tréfonds. Courage ! Je crains que la victoire n'advienne ni à Pâques, ni à la Trinité, ni à l'aïd el-Kébir, ni au Têt, ni à l'occasion d'aucune fête de quelque religion que ce soit.

Que cela plaise ou non, et quelles que soient les indignations du philosophe ou du moraliste, la vérité s'impose : nazis nous sommes.

Certains Homo sapiens le sont en totalité : ils saluent le bras levé et marchent au pas de l'oie. Ils contribuent à la « solution finale » à Auschwitz ; à la rééducation par le travail au goulag ; à la chasse aux ennemis du peuple pendant la révolution culturelle en Chine ; au génocide des Arméniens en Turquie ; ou à la mise en pièces de l'ennemi ethnique en Bosnie ou au Rwanda. Ces actes de gloire constituent des sports de plein air, peu coûteux à pratiquer et excellents pour la santé. À recommander aux grands et aux petits ! On y embrigade d'ailleurs des enfants : jeunesses fascistes, jeunesses communistes et soldats de dix ans font le légitime orgueil de leurs éducateurs.

La majorité des individus de notre espèce incarnent des nazis de petite envergure. Ils barbotent dans le marigot de l'ignominie ordinaire. Ils jouent la vilenie au rabais. Ils saisissent l'occasion de mal faire sur le mode poussif, sans gloire ni système, mais sans hésiter non plus lorsqu'ils sont sûrs de l'impunité. À la fois lâches et cruels, ils perpètrent leurs bassesses en douce. Ils trafiquent au marché noir. Ils dénoncent les Juifs à la Gestapo ou les contre-révolutionnaires à la Tcheka. Puis ils rentrent gentiment chez eux infliger des tortures morales ou physiques à leur conjoint, à leurs enfants ou à leur chien.

De rares individus, qu'on appelle « bienfaiteurs de l'humanité » ou « saints », sont un peu moins pires que les autres. Ils protègent la veuve et l'orphelin. Ils font monter les femmes et les enfants dans les canots de sauvetage. Ils se jettent avec bravoure dans le brasier, tels les « liquidateurs » de Tchernobyl ou les pompiers new-yorkais du 11 Septembre. Ils donnent la moitié de leur manteau comme saint Martin ou soignent les lépreux à Lambaréné comme le docteur Schweitzer. Ils tirent plaisir de leur grandeur d'âme et de leur altruisme. On les admire et on les révère. Ils jouissent d'un statut social élevé. Bien entendu, l'ermite au désert ne croise pas grand monde et reçoit peu de louanges ; mais il se rengorge à l'idée de s'asseoir un jour à la droite de Dieu.

Je cherche l'humanité au fond de l'homme : je n'y vois que la moustache d'Hitler.

Désolé d'être aussi brutal et désespéré...

Le Führer n'est pas un monstre, un psychopathe ou une « bête immonde », ainsi que nous essayons de nous en persuader pour ne pas avoir à regarder en nous-mêmes. C'est un Homo sapiens ordinaire, avec un encéphale de mille trois cents centimètres cubes et cent milliards de neurones (avant Alzheimer). Le petit barbouilleur autrichien prend le pouvoir de façon démocratique, puis cède aux pulsions habituelles de notre espèce. Bilan : quarante millions de morts... J'observe que nous obtenons un résultat voisin avec le sida : quarante millions de séropositifs et trois millions de décès par an.... Nos fantasmes et notre mépris d'autrui lors de nos relations sexuelles sont-ils moins coupables que les délires nazis ? Le bon époux qui fait un extra sans capote, l'homosexuel adepte du « cul nu » (en jargon : bare-back) dans une backroom (« arrière-salle »), le marchand de sang qui contamine des centaines de milliers de Chinois en réutilisant les mêmes seringues sont-ils plus moraux que les soldats du Troisième Reich ? En tant que victime potentielle, je préfère qu'on m'inocule une rafale de mitraillette plutôt qu'un contingent de VIH : ça va plus vite et ça fait moins mal... Pendant ce temps, au Zimbabwe (trente-cinq pour cent de séropositifs), des hommes infectés violent des fillettes en prétendant que le sida est déclenché par la colère des ancêtres et se soigne par la défloration des vierges.

Staline, Mao, Pol Pot, Fidel Castro, Mussolini, Salazar, Franco, Pinochet, pour ne citer que ces figures d'un vingtième siècle en rouge et noir, ne sont pas des « déments ». Pas davantage que les colonels grecs, les tortionnaires français d'Algérie, les nettoyeurs américains de My Lai, l'ayatollah Khomeiny, Ben Laden ou Saddam Hussein. Hélas ! Selon la formule de Nietzsche, chacun d'eux est «humain, trop humain ».

J'applique l'étiquette au big boss bardé de stock-options et (littéralement) cousu d'or, avec son golden hello par-devant et son golden parachute par-derrière : ce personnage, en proportion plus riche et plus puissant que le seigneur du Moyen Âge, humilie et épuise le prolétaire. J'aime l'entendre encenser les bienfaits du libéralisme devant un parterre de journalistes qui lèchent son golden postérieur sans savoir qu'eux-mêmes sont déjà virés...

Humain, trop humain !

Cela vaut pour le trafiquant d'esclaves (même Voltaire avait des intérêts dans la traite des Nègres). Pour le général d'armée qui lance la chair à canon à l'assaut de la tranchée ennemie. Pour le proxénète qui commercialise le sexe d'autrui. Pour le violeur d'enfant qui saccage l'innocence. Pour le flic qui matraque le « basané ». Pour le juge qui met à l'ombre plus vite que son ombre. Pour le petit chef qui harcèle ses inférieurs. Pour le rond-de-cuir qui ricane derrière son guichet... Je n'oublie ni le vainqueur du « Maillon faible » à la télé, ni le vieillard grabataire qui perd ses dernières forces à insulter son infirmière.

Cent pour cent des Homo sapiens sont méchants.

Je me demande si ce que j'ai mangé ce matin est bien passé. Une remontée d'acidité, peut-être? Même pas. Rien qu'un constat. De non-conformité.

Ou d'accident de l'évolution.

Yves Paccalet, « L'humanité disparaîtra, bon débarras ! »


L'humanité disparaîtra, bon débarras !

"Je conçois mal que l'évolution darwinienne, qui ne s'encombre ni de morale, ni de finalité, ni de "dessein intelligent" ait pu favoriser une espèce aussi envahissante, nuisible, mal embouchée et peu durable." Il n'y a pas d'autre conclusion possible : bientôt fini le règne de l'Homme, cet animal borné qui se prétend intelligent mais qui ne cesse d'anéantir son milieu naturel et massacre ses semblables. Dans cet essai écologique, provoquant et teinté d'humour noir où il imagine treize scénarios catastrophes, le naturaliste Yves Paccalet dresse un véritable réquisitoire contre l'humanité. La conclusion est sans appel.


Yves Paccalet. Philosophe, écrivain, journaliste, naturaliste, scénariste, il a participé dès 1972 à l'odyssée sous-marine de Cousteau. Auteur de nombreux articles et ouvrages, il réalise également des émissions de radio et des séries documentaires pour la télévision. L'humanité disparaîtra, bon débarras ! a obtenu le prix du Pamphlet 2006.


Les libertins (Chine, Islam)




Le libertinage n'est pas un phénomène exclusivement européen, français et anglais notamment. C'est une tendance de l'esprit humain qu'on retrouve peu ou prou sous toutes les latitudes. Nous donnerons, à titre d'illustrations, l'exemple de la Chine et celui de l'Islam.

Les libertins de l'Empire du milieu

À la fin du IIIe siècle, en Chine, l'administration impériale des Han tombe en décrépitude, le meurtre et le banditisme entrent dans les mœurs. Des libres-penseurs avant la lettre se regroupent, par exemple dans la société des « Sept sages de la forêt ».

L'un des membres de cette société, Liu Ling (vers 225-vers 280), reste célèbre dans les mémoires pour avoir écrit un poème et un seul, l'Éloge du vin. Il recevait ses visiteurs tout nu en leur disant : « Le ciel et la terre sont ma maison, cette chambre ma culotte. Qui vous a permis d'entrer dans ma culotte ? » Xi Kang (vers 220-260) fut mis à mort pour avoir fait le procès des coutumes chinoises et du confucianisme.

Bao Jingyan, lui, est un véritable anarchiste. « Ni dieu ni maître » semble être son slogan. Et Wang Yan et ses compagnons, tous des grands seigneurs qui vivent en nudistes, dénigrent l'organisation sociale et passent leur temps à méditer sur le vide. Un signe de reconnaissance pour la société qu'ils forment : essuyer sur son vêtement la poussière du monde. Wang Yan feignait d'être fou pour échapper à ses devoirs, et il fut assassiné. Ses manières ne mettaient-elles pas l'ordre établi en danger ?

En terre d'Islam

L'Islam n'est pas un bloc, comme on a trop tendance à le croire. Quelle que fût, et quelle que soit, la prégnance de la théocratie musulmane, elle suscita un mouvement d'opposition. À peine Mahomet était-il mort que quelques-uns de ses adeptes s'interrogèrent pour savoir si le moment n'était pas venu de laisser là son œuvre religieuse et ne se préoccuper que de son œuvre politique. Candeur ? Cynisme ? L'Europe n'a pas connu l'équivalent d'un tel réalisme.

À Bassora, au Xe siècle, les « Frères de la pureté » composent des traités encyclopédiques tout en se réclamant d'Aristote et de Platon et en affirmant qu'aucune religion ne détient la vérité. Al Ashari et son disciple Al Baquillani vont jusqu'à penser que le Coran, loin de constituer une immuable perfection, aurait pu être meilleur si Dieu l'avait voulu.

Al Farabi, lui, n'a pas besoin de l'idée de Providence pour donner cohérence à son système : la raison suffit, à son avis, pour humaniser l'homme et le monde.

Le poète Abu el-Ala Al Maari, enfin, s'oppose aux oulémas. Il apparaît comme un rationaliste, et il déclare qu'il est possible de réaliser son salut dans n'importe quelle religion pourvu qu'on l'ait sincèrement choisie. Il nie la mission des prophètes et des Livres saints. Ce poète introduit un « doute méthodique » et des commentateurs ont vu en lui un précurseur des Lumières.

André Nataf



lundi, juin 20, 2011

Le Dieu pervers



Pourquoi le Dieu Amour n'aime-t-il pas l'amour ?
Le « dieu pervers » a-t-il perverti la « Bonne Nouvelle » ?

« Le débat sur l'éthique et les valeurs dans cette société ne peut échapper à une étrange contradiction du christianisme estime Guy Coq, philosophe, membre du comité de rédaction de la revue Esprit. Car chacun voit bien la qualité humaine du message évangélique. Il est même possible de repérer dans cette Bonne Nouvelle une des origines de l'humanisme moderne ; droits de l'homme, quête de l'universel ont trouvé dans ce message chrétien une part de leur clarté même si leur affirmation dut se faire parfois contre les autorités chrétiennes. »

Or, cette initiation à l'humanité apportée notamment par la Bonne Nouvelle, voilà qu'elle s'est trouvée liée à une sorte de « névrose chrétienne », à l'imposition d'interdits, notamment dans la sexualité, à une sorte de dénégation de la nature sexuée des humains, à une sorte de méfiance systématique vis-à-vis de l'amour. Cette face sombre de l'influence chrétienne sur cette société, est-ce la vérité du christianisme ? Comment expliquer que, au nom du Dieu Amour, on ait pu mépriser la sexualité ? Les questions pourraient être multipliées.

Après l'effacement du Sacré et de l'instance religieuse comme puissance de légitimation des valeurs, est-on condamné au flottement des repères éthiques, à une sorte de « crépuscule du devoir » où l'homme démocratique chercherait vainement sa voie ?

Ce second questionnement n'est pas sans lien avec le premier, car le retrait du christianisme n'est pas sans effets sur une morale qui semblait s'éclipser avec lui.

Pour éclairer cette réflexion, je propose de recourir à une sorte de récit où un penseur chrétien explore, précisément, le malheur qui a travaillé le message chrétien. Maurice Bellet émet l'hypothèse du « dieu pervers » comme figure centrale des désastres de l'âme chrétienne. Ce dieu pervers est comme une figure maléfique qui aurait pris la place du Dieu des Évangiles au cours de l'inscription de l'événement christique dans l'Histoire. C'est le dieu qui s'annonce comme amour infini, comme désirant le bonheur de l'homme, sa joie, sa liberté. Or, au nom de ce dieu amour, voilà qu'on justifie, en pratique, un système religieux où se trouve nié tout ce qui fait la qualité de la vie humaine ; apparaît une figure du divin qui « détruit tout ce qui fait notre joie trop humaine », un dieu qui menace, plein de ressentiment, qui nourrit en l'être humain une terrible haine de soi, despote arbitraire avide de notre malheur. Au nom du dieu amour s'engendre une radicale culpabilité : « Je suis coupable à fond... coupable d'exister. Ma faute est d'être né. »

Et le récit de Maurice Bellet présente ce dieu pervers comme provenant « d 'un système chrétien de la sexualité qui organise le malheur du désir ». Il s'agit de transformer radicalement le désir de l'homme en l'orientant vers la perfection : « Soyez parfait... » et pour cela, rejoignez l'image de la vie parfaite, désirez le don total, effacez votre volonté propre, empruntez la voie de la mortification à la perfection. Le système de la perfection défini pour les moines par les vœux de pauvreté, chasteté, obéissance sera étendu aux prêtres, et il dévalorisera en pratique la vie de ceux qui, restés dans le monde, se marient, connaissent l'amour humain... De là une réelle dévalorisation de la « trop humaine tendresse », la méfiance à l'égard de la sexualité. L'impraticabilité du système de la perfection la voue souvent à l'imposture, au théâtre de la vie sainte, face à une réalité tue mais moins conforme à l'idéal. Comme on n'atteint pas la perfection, ce système engendre l'extrême culpabilité, la culpabilité d'être né ; « Dieu nous aime, mais son amour est notre enfer. »

Et quand le système essaie de se reprendre, en devenant système de la grâce, en mettant au premier plan non plus le système catholique de la perfection mais le système luthérien de l'amour de Dieu préalable, le dieu pervers resurgit. Demeurait présente la racine mortifère : à savoir, la culpabilisation de la sexualité.

Mais si la découverte moderne que la sexualité doit être déculpabilisée, qu'elle est bonne, permet de mettre au jour le dieu pervers, notamment à travers les effets de la psychanalyse, on voit alors apparaître un nouveau système, malgré la liberté affirmée du désir, et le rejet des interdits. « Même défunt, le dieu pervers agit encore, laissant un héritage empoisonné : d'avoir rendu toute loi si odieuse qu 'il condamne, si j 'ose dire, au leurre de la jouissance elle-même identifiée avec une relation de transparence, de don entier et réciproque. » Bref, un désir sans interdit, sans réalité est identifié avec la loi, « une loi qui envahit toute la vie et s'identifie à la liberté. En somme, le dieu pervers poursuit ses effets dans le modèle hautement contraignant de l'homme ou de la femme sexuellement libéré ».

Comme on le voit, Maurice Bellet n'édulcore en rien cette quasi-tragédie qui travaille le christianisme.

On pourrait s'attendre à ce qu'il marque une date d'apparition de ce dieu pervers qui détruit et falsifie le message chrétien... Et certes, il repère bien dans la longue histoire du christianisme des moments privilégiés. Mais finalement, c'est dès la première inscription, dès le texte évangélique, que paraît la possibilité d'un détournement du sens de l'événement Jésus. Dès ce moment, on voit bien que le Christ thérapeute s'emploie à guérir l'homme d'un malheur qui touche à son désir même : « ce que l'homme connaît en lui comme désir, comme amour, devient pour lui piège et chemin de mort. Son désir est son ennemi ». Sur la possibilité même de se déprendre du dieu pervers, l'auteur propose une longue démarche consistant à réellement prendre au mot la Bonne Nouvelle, la bonté du Christ. Si Dieu aime, « si l'amour aime, il ne peut pas être ce pur malheur de notre sexualité où il a glissé, il est découverte que nous-mêmes, et tout ce qui est en nous, tels que nous sommes, mérite d'être. Il est bon d'être homme, il est bon d'être femme, il est bon d'être né. L'amour, et surtout celui qui se prétend le plus grand, ne peut que signifier : je préfère que tu sois plutôt que non, je te préfère vivant, tel que tu es, plutôt qu'inexistant, ou mort ».

Pourquoi cette apparition de l'image du dieu pervers, la même où justement s'exprime le plus grand éloge de l'amour, dans la Bonne Nouvelle et son annonce ? C'est que, chaque fois que s'affirme le désir d'un changement radical de l'homme, par exemple dans l'ambition d'atteindre en l'homme le désir même et pour le changer, pour transformer l'homme, chaque fois que l'ambition de transformer l'humanité est maximale, alors le risque est également extrême que se forme en même temps le dieu pervers. Et ce malheur n'est pas propre au christianisme ou à une religion ; tout d'abord, parce qu'il « infecte tout l'Occident ». « Je crains qu 'il n'y ait point de prise de position, méthode, révolution, etc., qui soit par nature et d'avance protégée du processus que j 'ai décrit à propos du christianisme. Quelque chose peut toujours s'en reproduire sous d 'autres langages, certes, en d 'autres formes dès que l'homme veut agir pour changer l'homme. Il se réfère alors, la nommant ou pas, à quelque instance qui justifie son action. Et cette instance-là peut toujours devenir le lieu où se cache ce qui, en l'homme, contredit ce qu 'il prétend faire. On ne tue jamais aussi bien qu'au nom de la vraie vie, on n'interdit de penser jamais autant qu 'au nom de la vérité, on n'écrase, avilit, désespère jamais aussi bien l'amour qu 'au nom de l'amour. »

Force est de constater que c'est à partir d'une recherche sur ce qu'est effectivement la Bonne Nouvelle que l'auteur, non seulement présente une critique de l'expérience chrétienne comme peu d'auteurs extérieurs au christianisme ont pu en faire, mais en même temps, découvre le chemin d'une échappée au dieu pervers.

Dans une voie assez proche, Jean-Marie Domenach pointait l'hypocrisie du Vatican qui « prône en matière de sexualité conjugale des règles qui sont généralement inapplicables et inappliquées, ce qui a pour conséquence de propager l'hypocrisie et d'empêcher que se dégage, au sein de l’Église catholique, une autre morale sexuelle qui traduise dans la réalité de la vie et dans le langage de notre époque des principes qui finissent par perdre leur sens à force d'être bafoués » (p. 38). Si l'on en croit les statistiques citées par G. Lipovetsky (Le crépuscule du devoir, Gallimard, p. 77) : « En 1990, 60 % des catholiques pratiquants affirmaient que l'Église n'a pas à imposer d'obligations précises en matière de vie sexuelle, plus des deux tiers étaient favorables aux relations sexuelles avant le mariage », « Un catholique pratiquant sur deux considère que l’Église va trop loin lorsqu'elle condamne l'usage des préservatifs. »

Ces quelques données montrent que la crise est profonde. Et Jean-Marie Domenach a raison de fustiger les conséquences du blocage, à savoir qu'il empêche, au nom d'une pseudo-morale, une authentique réflexion morale dans le monde catholique. Il fut un temps où la solidarité entre foi et morale était telle que l'écroulement du moralisme, la rupture avec la discipline morale, notamment sexuelle, ébranlait la foi. Il est clair que là-dessus, le monde catholique, en France, a beaucoup évolué. Manifestement, il a développé une sorte d'autonomie morale : l'autorité du pape sur la morale individuelle est ébranlée. Mais en même temps c'est une situation de crise : car l’Église devrait avoir quelque chose à dire, et le refus de tout discours ecclésial comportant des obligations en matière sexuelle témoigne d'une situation anormale. Une discipline excessive, et qui implique finalement une méconnaissance de la dynamique de la vie, des conditions mêmes de la cohésion du couple, au nom d'une idéologie de la supériorité de la vie asexualisée, ont cassé la communication entre le Vatican et une partie des croyants. La crispation contre l'admission à la prêtrise d'hommes mariés exprime, en définitive, un mépris du couple, et semble perçue comme telle, beaucoup plus que comme affirmation d'un idéal. Il me semble que cette crispation ne sert aucunement l'idéal de la vie consacrée dans le célibat, au contraire. Car le discours sur une valeur risque de se déconsidérer, s'il se nourrit du mépris d'une autre...

Certes, le christianisme n'est pas une morale. Les morales qu'à diverses époques, on a présentées comme morales chrétiennes, visant à traduire la Bonne Nouvelle comme inspiratrice de l'éthique. C'est pourquoi, il est concevable que des chrétiens coopèrent avec d'autres, dans la même société, pour chercher à fixer les repères éthiques communs nécessaires. A ce niveau, la conscience chrétienne ne dispose pas d'une vérité évidente a priori. Et il est courant qu'en matière éthique, le croyant soit éclairé par celui qui se réfère à la seule humanité.

Guy COQ (Panoramiques)


Le Dieu pervers

La première édition de ce livre date déjà de quelques années. Depuis, l'expression " le Dieu pervers " est passée dans le langage courant. Elle désigne une maladie redoutable du christianisme : le " Dieu amour " est-il en fait un Dieu qui aime la souffrance et se plaît à pervertir les relations qu'il a avec l'homme ? Non seulement cruel, mais menteur ! On ne pourra reprocher à Maurice Bellet d'avoir sous-estimé le danger. Source de ravages extrêmes parmi les chrétiens, cette dérive est sans doute une des origines principales du rejet de la foi par beaucoup. Le surmonter suppose une révision déchirante, une écoute neuve et radicale de l’Évangile. Alors apparaît que le processus de cette perversion n'est pas une exclusivité chrétienne. Il hante la politique et la pensée ; il est, au plus profond, le malheur de notre société.



Dessin :




Les jeux de hasard et la fortune




- Michel Serres, cette semaine, parlons fortune. Pas fortune de mer - je le précise aux marins -, mais propriété considérable, argent, jeux d'argent ou de hasard. Chaque semaine, par exemple, l’Euromillion fait jouer des dizaines de millions d'Européens et gagner jusqu'à cent millions d'euros, parfois plus – soixante-quinze millions d'euros gagnés en région parisienne il n'y a pas longtemps. Est-ce que tout cela est juste, Michel Serres ?

- Je vais raconter deux fois et chanter une seule. Première histoire : la belle Hélène, si belle, quitta un mari grec pour un amant troyen. Furieux de la trahison, la Grèce déclara la guerre à la ville de Troie. La flotte veut appareiller, mais, en l'absence de vent, les voiliers restent scotchés au port. Agamemnon, amiral et roi des rois, fit un sacrifice aux dieux et promit de leur sacrifier, s'ils envoyaient du vent, la première personne qu'il rencontrerait. Le premier venu, au hasard. Par chance tragique, la première personne qu'Agamemnon rencontra, ce fut sa propre fille, Iphigénie.

- C'est plutôt une perte qu'un gain... Nous sommes dans les jeux de hasard tristes.

- Gagner ou perdre ; perdre ou gagner d'abord la vie. Deuxième histoire, issue du Livre des juges, dans la Bible. Jephté, roi, promet, de même, de sacrifier en holocauste à Yahvé le premier venu s'il obtient la victoire devant l'armée ennemie. Il l'écrase et, pour le féliciter, sa fille sort de la ville, en tête d'un cortège de danses et de chants, à sa gloire ; voilà l'histoire tragique de la fille de Jephté. Les premières interventions du hasard que nous connaissions se disent, ainsi, dans un contexte religieux : le sacrifice, en tout point barbare, du premier venu. Calculez maintenant la probabilité pour que vous soyez le premier que je rencontrerai, ce soir, au milieu d'une foule comme celle qui s'agite sur une place, à Paris, Strasbourg ou Lyon, à la sortie des bureaux ? Voilà un tirage au sort. Alors je chante la chanson Il était un petit navire. Vous vous rappelez ?

- Vous y revenez !

- « Les vivres vin-vinrent à manquer ; ohé ! ohé ! / On tira z'à la courte paille / Pour savoir qui-qui-qui serait mangé / Ohé! Ohé ! / Celui qui devait être mangé, et / Le sort tomba sur le plus jeune. » Dans ces trois exemples : première venue ou courte paille, il s'agit du sacrifice humain et, en particulier du meurtre du fils ; on ne tue jamais le père, comme certains veulent nous le faire croire, mais toujours le fils ou la fille, le plus jeune en tous les cas. Peut-être même dissimule-t-on le meurtre du fils sous l'apparence d'un jeu de hasard !

- Mais ce ne sont pas des jeux, n'est-ce pas ?

- Si, on tire au sort pour savoir qui va gagner ou perdre sa vie. Dans les armées romaines, on « décimait », on tuait un jeune soldat sur dix, au hasard également.

- Tout de même, vous êtes toujours dans des hasards assez malheureux.

- Pas d'impatience, je vous prie. Je vais démontrer bientôt que, dans le jeu, au sens moderne, il n'y a pas de hasard heureux. Mais l'histoire du hasard commence vraiment dans l'histoire des religions. Suite, donc : quand l'on quitte le sacrifice humain pour le sacrifice animal, comment se passe le rituel sacrificiel d'un bœuf, par exemple ? Le grand prêtre faisait tourner un petit troupeau tout autour de l'autel, cela formait comme une roue ; à un moment il arrêtait la roue ; l'on tuait le bœuf qui se trouvait alors devant l'autel. Voici la roue de la fortune...

- Absolument.

- Voici advenue la roue du millionnaire! Voici l'origine religieuse des jeux de hasard. Sacrifice humain, sacrifice animal ; l'on oublie le sacrifice et l'on passe aux jeux de hasard. Qui va gagner, qui va perdre sa vie, l'homme, puis l'animal ; qui va gagner, qui va perdre, au moins symboliquement, de l'argent. L'argent se substitue à la vie. La bourse ou la vie !

- Voilà qui nous ramène à la messe de l’Euromillion, le vendredi soir.

- Apparition, dans l'histoire, du jeu symbolique. Apparition de la Fortune, déesse romaine qui a le pied sur une roue et les yeux bandés. L'histoire peut enfin raconter comment cette origine religieuse verse, soudain, à propos de l'argent et des nombres, vers les sciences, en particulier, les mathématiques, puisqu'il s'agit de nombres. Vous parlez de millions, vous parlez de milliards, vous parlez d'euros, vous parlez de gagner ou de perdre, il s'agit toujours de nombres. En plein XVIIe siècle, voici plus de trois cents ans, Blaise Pascal invente la théorie des jeux. À la même époque, des mathématiciens géniaux, français, suisses et hollandais fondent la statistique, la théorie des grands nombres... sur lesquelles tout un commerce, toute une économie se constituent : les assurances, les banques, les rentes à vie, etc. Les assureurs gagnent toujours à ce jeu, selon la loi des grands nombres. Et maintenant, permettez que j'annonce aux auditeurs, le plus solennellement du monde, la plus pure des vérités : que les jeux les trompent. En effet, les organisateurs jouent contre eux et à coup sûr. Il est démontré, mathématiquement démontré, que tous les joueurs perdent toujours à n'importe quel jeu. Émile Borel, qui fut, autour des deux guerres mondiales, l'un des meilleurs spécialistes du calcul des probabilités, a même écrit un théorème, toujours valable, qui s'appelle « théorème de la ruine du joueur ». Il est absolument certain que vous allez perdre...

- C'est sans espoir.

- … je le répète : il est certain que vous allez perdre. Le calcul des probabilités montre que le joueur perd toujours et que l'organisateur gagne toujours. La banque et le casino gagnent toujours, et celui qui joue au casino - ou ailleurs - est absolument certain de perdre. Ce théorème mathématique démontre la ruine du joueur.

- Sauf un, de temps en temps.

- Ne répétez pas, je vous en supplie, cette publicité mensongère ; rétablissons au contraire la pure vérité, mathématiquement démontrée : l'absolue certitude de perdre. J'ai parlé, j'ai même chanté de religion ; j'ai parlé de sciences et de certitude ; maintenant je vais parler de politique. Dans l'organisation des jeux, l'État prélève un impôt important.

- Une grosse dîme, oui.

- L’État est donc absolument certain de gagner. Or, il est démontré, par les mêmes statistiques, que les riches ne jouent pas ainsi, car ils ne jouent qu'à des jeux plus sûrs, la banque, l'économie, la rente, la finance. Qui joue donc ? Les pauvres...

- Bien plus nombreux.

- En conséquence, on peut définir les jeux comme des impôts supplémentaires, quoique volontaires, prélevés sur les pauvres. Comme, aux jeux, on perd toujours, ils paient, en jouant parce qu'ils rêvent de gagner, de nouvelles taxes à de riches organisateurs et à l'État qui, tous deux, les trompent en gagnant toujours à ces mêmes jeux. Je pleure donc des larmes de sang qu'en France les gouvernements de gauche aient libéralisé les jeux et multiplié donc ces impôts qui écrasent les pauvres. Installés au pouvoir, ignorant le peuple et le méprisant de surcroît, les grands bourgeois de la gauche caviar décidèrent de multiplier les jeux et firent ainsi peser des impôts nouveaux sur les pauvres. Comprenez maintenant pourquoi l'histoire des jeux commence par le sacrifice humain ; immanquablement, elle y revient, par les canaux de la science et de la politique. Par les jeux la gauche a sacrifié les pauvres.

- C'était pour donner plus aux pauvres.

- Non, non, pour mieux les tuer.

Michel Serres avec Michel Polacco, « Petites Chroniques du dimanche soir » (2004-2005).

Petites Chroniques du dimanche soir

Chaque dimanche soir, les auditeurs de France info savourent le bonheur de reprendre goût à l'actualité. Chaque dimanche soir, pendant sept précieuses minutes, un penseur donne sens à quelques événements qui façonnent notre monde. Chaque dimanche soir, relancé par Michel Polacco, Michel Serres nous révèle le cœur palpitant de l'information. Dans ces 74 chroniques, le pittoresque n'exclue en rien la profondeur, l'humanisme fait la part belle à l'humour, l'émerveillement fait écho à la gravité. Que les deux compères s'intéressent aux héros de la téléréalité ou aux dieux du stade, reviennent sur la mort de Jean-Paul II ou des victimes anonymes du tsunami, discutent de la petite musique des ascenseurs ou du silence du toit du monde, des normes sociales ou de la survie de la planète... chaque sujet, éclairé de culture, met en lumière l'extraordinaire richesse de notre quotidien, en un joyeux pied de nez à la pensée unique.


Dessin :

samedi, juin 18, 2011

Une hérésie créatrice d'une civilisation de liberté



L'hérésie cathare fut bien plus qu'un phénomène de contestation religieuse. Elle suscita, en plein Moyen Age, une civilisation de liberté de pensée.

Les spécialistes ont le plus souvent analysé le catharisme comme une résurgence du manichéisme. Il faudrait alors préciser que le manichéisme fut également une gnose, et qu'il s'agit aussi, dans le cas du catharisme, d'une religion populaire. «Dieu est très bon. Or, dans le monde rien n'est bon. C'est donc qu'il n'a rien fait dans ce monde. » A la pensée d'un Dieu qui aurait créé mille âmes pour en sauver une et damner les autres, Pierre Garsias s'indignait et déclarait que s'il tenait ce Dieu-là entre ses mains, il le briserait, il le déchirerait avec ses ongles et ses dents. « Pour n'avoir pas été faites par Dieu, les choses visibles n'en existent pas moins par sa volonté et son consentement. » Les registres d'Inquisition fourmillent de déclarations de ce type faites par des gens du peuple.

Des libres-penseurs absolus avant l'heure

On connaît la tournure que prit la croisade contre les albigeois : des centaines de milliers de victimes, des bûchers, et l'invention de l'Inquisition, de sinistre mémoire. Ce fut une affreuse croisade menée par l’Église contre d'autres chrétiens. C'est que, dit-on, l'hérésie cathare fit vaciller Rome... Le catharisme fut un danger non seulement pour le pouvoir religieux, mais encore pour le type de société dont il était l'expression. Les cathares, en effet, refusaient la guerre et toute forme de violence, ils rejetaient le serment, et en particulier le serment d'allégeance, etc. - autrement dit, tout ce qui se trouvait à la base de la société féodale. On n'exagérerait peut-être pas en disant qu'ils furent des libres-penseurs absolus avant l'heure.

Le catharisme reste évidemment un phénomène religieux, mais la notion de libre examen se trouve en son cœur comme jamais il ne se trouva dans l'hérésie. « L'hérétique, rapporte un registre, ne faisait aucun cas du baptême romain : l'enfant ne promettait rien de lui-même. Un autre s'engageait pour lui... Mais chez nous [dit-il], quand un individu atteint l'âge de douze ans et même dix-huit de
préférence, lorsqu'il a l'intelligence du Bien et du Mal, s'il veut recevoir notre foi [il demande à être reçu dans l'assemblée des fidèles]. » la foi cathare ne saurait se dispenser de l'« intelligence du Bien et du Mal », c'est-à-dire de la prise de conscience.

Des anarchistes religieux

Avec les cathares, la déchirure introduite dans la foi par l'hérésie atteint donc un point où elle va presque basculer dans la liberté de conscience. Ce dépassement s'effectuera dans le protestantisme, mais ce dernier évacuera la question du mal telle que le manichéisme l'a posée...

Le catharisme était tellement riche de spiritualité inédite qu'il ne pouvait que donner naissance à de nouvelles valeurs. Sur le plan politique, il rejeta intensément le féodalisme. Et, plus encore, anticipant en cela les anarchistes (Bakounine, etc.), il contestait toute forme de pouvoir, qu'il eut tendance à prendre pour la raison d'être du mal. Satan, apprend-on, séduisit les anges en leur « promettant de leur donner pouvoir les uns sur les autres ». D'ailleurs, les cathares méprisaient les biens de ce monde et leur Église n'était pratiquement pas hiérarchisée. Quant à leur rituel, très simple, l'important était, pour eux, que passe l'esprit.

L'amour troubadour, nouvelle valeur

Le phénomène cathare ne se comprend que replacé dans le contexte. On l'amputerait si on ne tenait compte ni du mouvement des communes s'affranchissant de la Féodalité ni de la floraison des troubadours, qui « inventèrent » l'amour comme valeur sociale. S'il fallait souligner l'importance du combat communal en pays d'Oc, on pourrait évoquer le massacre de Béziers, resté dans toutes les mémoires, à cause du mot (vrai ? apocryphe ?) du légat du pape : « Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens. » Béziers fut choisie pour donner un exemple aux Occitans, car la ville était un symbole de liberté.

Les troubadours, on le sait, ont chanté l'« amour courtois ». On se tromperait grossièrement en traduisant : amour éthéré. Courtois veut dire civilisé ; et l'amour troubadour fut un érotisme à de rares exceptions près. Il s'agit donc d'un amour humain, charnel. Mais le plus remarquable fut que les troubadours créèrent l'amour comme valeur sociale essentielle. Les hommes et les femmes ne les avaient, certes, pas attendus pour s'aimer, mais jamais avant eux une société ne s'était reconnue dans l'amour. On peut même avancer l'idée que cette valeur civilisatrice se trouva avec quelques autres à la base de la création de l'Europe moderne.

Catharisme, mouvement communal, amour troubadour, les trois phénomènes sont indissociables. Cela ne signifie pas des rapports de cause à effet, comme dans les sociologies mécanistes, mais cela renvoie à un projet historique global dont les acteurs, comme tout acteur de l'histoire, n'étaient pas nécessairement conscients mais qu'ils exprimèrent selon leurs possibilités : hérésie sur le plan religieux, proximité pour la démocratie, magie pour l'amour. L'idéal du pays d'Oc fut de ne se devoir qu'à son humanité.

André Nataf, «Les libres-penseurs ».

Les libres-penseurs



La philosophie du catharisme :

Illustration :
Le siège de Carcassonne par les troupes de Simon de Montfort (bas-relief du XIIIe siècle, Carcassonne, église de Saint-Nazaire).




vendredi, juin 17, 2011

Gagner son pain



En 2011, les rentiers sont nombreux en France ainsi que les profiteurs du système hyper-capitaliste qui perçoivent des sommes élevées en n'exerçant pas de véritable travail.

La loi d'après laquelle l'homme doit travailler pour vivre m'apparut pour la première fois après avoir lu les pages de Tolstoï sur le travail pour le pain. Mais dès avant cela, j'avais commencé à reconnaître cette loi après avoir lu « Unto this Last », de Ruskin. Cette loi divine, selon laquelle l'homme doit gagner son pain par le travail de ses mains, fut soulignée tout d'abord par un écrivain russe appelé T. M. Bondaref. Tolstoï l'a répandit et lui donna une plus grande publicité. A mon avis, on trouve le même principe exposé dans le troisième chapitre de la Gîtâ, où l'on nous dit que celui qui mange sans offrir un sacrifice mange de la nourriture volée. Sacrifice ne peut signifier ici que gagner son pain.

La raison nous conduit elle aussi à une conclusion identique. Comment un homme qui ne fait pas de travail corporel peut-il avoir le droit de manger ? « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front », dit la Bible. Un millionnaire ne durera pas longtemps et il se fatiguera vite de la vie s'il se prélasse dans son lit toute la journée et s'il se fait nourrir. Aussi cherche-t-il de l'appétit en prenant de l'exercice et arrive-t-il ainsi à manger. Si chacun, riche ou pauvre, doit ainsi prendre de l'exercice de quelque sorte, pourquoi cet exercice ne serait-il pas productif, pourquoi ne consisterait-il pas, par exemple, à gagner son pain ? Personne ne demande au cultivateur de faire des mouvements respiratoires ou d'exercer ses muscles. Et plus des neuf dixièmes de l'humanité vivent d'agriculture ! Comme le monde serait plus heureux, plus sain et plus pacifique si le dernier dixième suivait l'exemple de cette écrasante majorité, au moins suffisamment pour gagner par son travail de quoi se nourrir. Beaucoup de privations associées à la vie agricole disparaîtraient facilement si ces gens-là s'en mêlaient. Les odieuses distinctions de classes s'effaceraient si chacun sans exception reconnaissait l'obligation de gagner son pain par son travail. Cette obligation incombe à tous les varnas (castes). Il existe un conflit mondial entre le capital et le travail, et les pauvres envient les riches. Si chacun travaillait pour gagner son pain, les distinctions de classes seraient abolies ; les riches seraient toujours là ; mais ils se considéreraient seulement comme les gérants de leur fortune, qu'ils emploieraient surtout dans l'intérêt général.

Travailler pour gagner son pain est une véritable bénédiction pour celui qui veut observer la non-violence, adorer la Vérité, et faire que la pratique de brahmâchârya (contrôle des désirs) lui devienne naturelles. Ce genre de travail doit véritablement se rapporter à l'agriculture, mais, pour le moment du moins, tout le monde n'est pas en mesure de l'exercer. Aussi peut-on s'occuper de filage, de tissage, de travaux de menuiserie où de forge, au lieu de cultiver la terre, mais il faut toujours considérer l'agriculture comme l'idéal.

Chacun doit faire disparaître ses propres détritus. L'évacuation est une fonction aussi nécessaire que l'alimentation, et la meilleure solution serait que chacun fit disparaître lui-même ses propres déchets. Si c'est impossible, chaque famille devrait assurer pour elle-même ce genre de nettoyage. Je sens depuis des années, qu'il doit y avoir quelque chose de fondamentalement faux à ce que, dans une société, une classe distincte soit chargée de la vidange. L'histoire ne nous dit pas qui a le premier attribué le rang le plus bas à ce service sanitaire essentiel. En tous cas, cet homme ne nous a certainement pas fait de bien. Il faudrait nous enfoncer dans la tête, dès notre enfance, que nous sommes tous des nettoyeurs, et la façon la plus facile d'y arriver, pour celui qui en a compris la nécessité, c'est de commencer à gagner son pain comme balayeur. Le nettoiement, si on l'aborde ainsi de façon intelligente, nous permettra d'apprécier plus facilement, à sa juste valeur, l'égalité des hommes.

Gandhi, « Lettres à l'Ashram ».

Lettres à l'Ashram

Maître spirituel, réformateur social et initiateur d'un nouveau style d'action politique, Mohandas Karamchand Gandhi (1869-1948) a marqué de son empreinte non seulement l'histoire de l'Afrique du Sud et celle de l'Inde, mais aussi l'évolution de la culture occidentale du XXe siècle. Ecrites en 1930, alors qu'il était incarcéré à la prison de Yeravda, ces Lettres à l'Ashram, mêlant considérations morales et profession de foi, restent un témoignage unique de cet " idéaliste pratique " qui a prôné et expérimenté, tout au long de sa vie, le principe de non-violence active ou refus de nuire (Ahimsâ), seul moyen authentique de faire triompher l'Amour et la Vérité.


Le 11 septembre 1906, Gandhi lançait la première campagne de désobéissance civile.

Qui a volé les lunettes de Gandhi ?
Les très précieuses lunettes de Gandhi ont disparu de l'Ashram Sevagram, au Maharashtra, où elles étaient exposées avec d'autres objets ayant appartenu au Mahatma.


Photographie :

mercredi, juin 15, 2011

Amour et connaissance



Toute notre civilisation occidentale issue du christianisme est fondée sur les oppositions arbitraires de l'homme et de la nature, du « moi » et de l'autre, de l'amour et de la connaissance, du bien et du mal. Elle conduit à un dessèchement de l'âme. Pour sortir de l'impasse actuelle, c'est un retour aux sources que propose le philosophe Alan Watts.

Lorsque je considère les rayons de ma bibliothèque, la stupeur m'envahit souvent à la pensée que tous mes livres se rangent sans peine dans des catégories toutes faites. La plupart d'entre eux traitent de philosophie, de psychologie ou de questions religieuses et exposent le point de vue de toutes les grandes civilisations. Malgré cela, ils se ramènent tous avec une monotonie accablante au plat dualisme des argumentations philosophiques et théologiques, avec la variante des compromis trop visibles. Chaque livre se laisse aisément étiqueter comme supra-naturaliste ou naturaliste, vitaliste ou mécaniste, métaphysique ou positive, spiritualiste ou matérialiste. Quant aux ouvrages de compromis, on n'y trouve généralement qu'un fade ramassis de platitudes et de sentimentalité.

Il semble que tous ces dualismes reposent sur une divergence fondamentale d'opinions touchant les deux grands pôles de la pensée humaine : l'esprit et la nature. Certains hommes se déclarent ouvertement « pour » l'un des pôles et « contre » l'autre. D'autres se déclarent principalement pour l'un, mais concèdent à l'autre un rôle subordonné. Un troisième groupe enfin entend concilier l'un et l'autre pôle. Mais la pensée humaine se meut sur des rails si fixes que cette conciliation s'avère le plus souvent favoriser l'un des deux termes. On objectera que, de la part d'un philosophe, c'est une fâcheuse erreur de se croire affranchi de lignes tracées d'avance et capable de dire, en même temps, quelque chose de valable. Car discuter, c'est faire jouer des catégories, et renoncer à ces catégories revient d'ordinaire à rendre toute discussion impossible.

Mais le problème qui nous occupe n'est pas seulement affaire de catégories, de logique et d'argumentation ; l'opposition de l'esprit et de la nature intéresse aussi le sentiment et la vie. Depuis que je me penche sur ces questions, j'ai pu invariablement observer combien les tenants de l'« esprit » paraissent mal à l'aise dans leur corps, en particulier lorsqu'ils se trouvent en pleine nature. Même s'ils n'identifient pas le naturel avec le mal, ils le condamnent par la fadeur même de leur louange. J'ai pour cette raison souvent sympathisé avec les rébellions d'inspiration hardiment païenne contre cette spiritualité désincarnée, sans jamais pouvoir leur donner une adhésion sans réserve, car le dernier mot des philosophies du carpe diem est toujours le désespoir ou un utopisme fataliste qui, parce qu'il ne se situe que dans le temps, aboutit au même résultat. De telles idées n'ont rien à apporter aux incurables, aux mourants, à tous les malheureux.

L'alternative au sensualisme épicurien réside-t-elle pour autant dans l'esprit désincarné ? Ma conviction croissante est que les partisans de philosophies opposées partagent au fond les mêmes prémisses, d'ordinaire inconscientes. Ces prémisses se transmettent par diverses institutions sociales – structure du langage, apprentissage de rôles – dont nous soupçonnons à peine la formidable emprise sur nos vies. Le saint et le pécheur ordinaire, l'ascète et le jouisseur, le métaphysicien et le matérialiste, ont tant de traits communs que leur opposition finit par être négligeable. Comme des alternances de chaud et de froid, ils pourraient bien n'être que les symptômes d'une même fièvre.

Ces prémisses inconscientes viennent au jour lorsqu'un homme s'efforce de comprendre une culture différant fortement de la sienne. Toutes les cultures ont bien entendu leurs propres préjugés, mais leur confrontation finit par rendre explicites les différences de base. La comparaison avec les grandes civilisations d'Extrême-Orient est particulièrement révélatrice à cet égard, car celles-ci se sont développées indépendamment de l'Occident en élaborant des cadres de pensée et des moules verbaux foncièrement distincts des Indo-européens. Par exemple, l'étude de la langue et de la pensée des Chinois ne doit pas seulement sa valeur au fait qu'elle nous permet de communiquer avec ceux-ci, mais parce qu'elle nous éclaire au premier chef sur nous-mêmes en nous confrontant à un haut degré de civilisation dont l'esprit est néanmoins aux antipodes du nôtre.

La philosophie chinoise ne s'adapte jamais tout à fait à nos cadres mentaux ni même à ceux des Hindous. Touchant le problème de l'esprit et de la nature, elle ignore les notions particulières qui nous paraissent nécessairement rattachées à ses données. On se trouve ici en face d'une forme de culture à laquelle l'idée d'une lutte entre l'esprit et la nature est presque totalement étrangère. La peinture et la poésie les plus « naturalistes » y représentent, au contraire, l'art « spirituel » par excellence.

Amour et connaissance n'est pas pour autant un exposé méthodique de la philosophie chinoise de la nature. Nous avons consacré une étude approfondie à cette question dans un autre travail (Le Bouddhisme Zen). De son côté, Joseph Needham apporte, dans son très bel ouvrage, Science and Civilization in China, une contribution magistrale à l'intelligence de la question. Notre propos n'est donc pas d'exposer la philosophie chinoise pour elle-même. Il consiste à envisager un grand problème humain, celui des rapports de l'homme avec la femme et la nature, à la lumière de la conception chinoise de la nature, telle qu'on la trouve en particulier chez Lao-tseu et Chouang-tseu. Dans l'introduction, j'espère avoir suffisamment exposé le dessein général du livre et montré l'importance cruciale du problème des relations de l'homme avec la nature. J'ai également voulu mettre en lumière dans cette introduction le lien de ce problème avec celui de la relation de l'homme à la femme. En effet, les représentants spiritualistes de notre civilisation ont toujours fait preuve sur ce point d'une pruderie significative.

Cette étude est somme toute une réflexion à haute voix. Ce que peut légitimer ce passage d'un autre de mes ouvrages, Supreme Identity : « Je ne crois pas qu'il soit indispensable à un philosophe de défendre sa vie durant une position rigidement cohérente. C'est une sorte d'orgueil de l'esprit que de s'interdire de « penser à haute voix » et de publier une thèse tant qu'on ne se sent pas en mesure d'en présenter une justification sans appel. Tout comme la science, la philosophie est une fonction sociale. On ne peut penser juste tout seul, et il est nécessaire de livrer sa pensée au public afin de profiter en retour de la critique. S'il m'arrive de donner à certaines déclarations un tour autoritaire ou dogmatique, c'est par souci de clarté et non pour jouer les oracles. »

La conviction prévaut généralement en Occident que la recherche intellectuelle et philosophique est un ornement subsidiaire de la civilisation, d'une valeur infiniment moindre que les réalisations de la technique ou de l'action. On risque fort de confondre une telle attitude avec celle des Orientaux, pour qui la connaissance véritable est non verbale et au-delà des concepts. En fait, l'action est presque invariablement guidée par une philosophie des fins et des valeurs. Moins ces implications sont conscientes, et plus la philosophie est mauvaise, avec des conséquences pratiques désastreuses. Ce qu'on appelle le non-intellectualisme de l'Orient réside au-dessus de la pensée et l'englobe, tandis que le pur-activisme est au-dessous d'elle. On ne parvient pas à cette vérité en confondant refoulement des concepts dans l'inconscient et sacrifice de l'intellect. En vérité, la liquidation de prémisses erronées n'est accordée qu'à ceux qui descendent jusqu'aux racines de leur pensée pour en découvrir la nature.

Alan W. WATTS, Amour et connaissance (préface).



Amour & Connaissance

Publié aux États-Unis en 1958 sous le titre Nature, Man and Woman, cet essai reste étonnamment actuel. En un style alerte, incisif, plein de poésie et d'humour, l'auteur dénonce un certain nombre d'oppositions arbitraires qui ont fondé la civilisation chrétienne : " moi " et l'autre, bien et mal, amour et connaissance, et surtout esprit (masculin) et nature (féminine) - cette dernière faille étant reliée à toute une problématique sexuelle. A cette conception dualiste, rigide et agressive à la fois envers la femme et envers la nature, Alan Watts substitue la vision souple, unitive, globale des sages d'Extrême-Orient, qui privilégient l'art de sentir, la spontanéité, " la joie intense qui accompagne la révélation que nous sommes éphémères et transparents ". Il ouvre ainsi la voie d'une écologie authentiquement spirituelle ainsi que d'une sexualité contemplative, généreuse, source possible et expression d’Éveil.


Alan W. Watts (1915-1973), né en Angleterre et mort en Californie, est un des personnages spirituels les plus originaux et les plus attachants du XXe siècle. Docteur en théologie, éminent spécialiste du taoïsme et du bouddhisme zen, maître à penser et à vivre de la beatgeneration, ce mystique païen a brillamment contribué à réconcilier l'Orient et l'Occident de notre âme.

Extraits :

Illustration, Alan Watts painting :

Chacun est un éveillé qui s’ignore

Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,  la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité) Le Chemin de l’Eveil Le dres...