jeudi, février 09, 2012

Inégalité des civilisations & inégalité des conditions





Le député de Martinique Serge Letchimy a évoqué les « camps de concentrations » et le « régime nazi » au sujet des déclarations du ministre de l'intérieur, Clause Guéant, concernant l'inégalité des civilisations.

L'inégalité des civilisation de Guéant rappelle l'inégalité des races d'Arthur de Gobineau et les théories racistes de Houston Stewart Chamberlain, d'Alfred Rosenberg, d'Adolf Hitler. En réalité, le Sarkozysme et l'ultra-libéralisme véhiculent 
une idéologie de caste, un nazisme de classe

Ce nazisme et sa race des seigneurs (saigneurs), c'est-à-dire la classe des riches, contrôlent la France, l'Europe ainsi qu'une grande partie du monde. L'oligarchie au pouvoir a recours à une vieille méthode qui consiste à diviser la population pour mieux la dominer. Cette fois-ci, les juifs sont épargnés, ce sont les musulmans qui font figure d'ennemis intérieurs et focalisent toutes les frustrations et les haines des populations progressivement ravalées au rang de serfs.


Le président des riches

Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, la France est devenue l’un des champs de cette « guerre des classes » où les combats se font nombreux et âpres. Dans la nuit du 6 au 7 mai 2007, un grand conseil de guerre se réunit au Fouquet’s Barrière, un nouveau palace parisien. Nicolas Sarkozy y fête son élection au milieu de ses amis du CAC 40. Une victoire qui est aussi celle de patrons de presse, de politiciens, de vedettes du showbiz et de sportifs célèbres. Deux points communs dans ce patchwork surprenant : la richesse des participants et leurs liens avec l’ancien maire de Neuilly.


Le ton est donné. Dans les semaines et les mois qui suivent, les cadeaux pleuvent. Symboliques, avec une généreuse distribution de médailles de la Légion d’honneur. Plantureux, avec un renforcement du bouclier fiscal et la défiscalisation des droits de succession. Opérationnels, avec des nominations stratégiques au gouvernement et dans les entreprises publiques. Indirects, en supprimant les recettes publicitaires de la télévision publique avec l’espoir de leur transfert sur les chaînes privées.

Les puissances d’argent menant le combat, Nicolas Sarkozy s’attaque aux poches de résistance. La politique d’ouverture induit des défections dans le camp de la gauche. Les réformes mettent à mal les collectivités locales. L’indépendance de la presse et celle de la justice sont touchées. Le prolongement de La Défense menace le territoire de Nanterre, le Grand Paris est convoité par les entreprises économiques et financières.

Mais le conquérant se heurte à des oppositions, parfois même dans son camp, comme à Neuilly lors des élections municipales de 2008, où il veut imposer le futur maire. Les facilités accordées à la famille de l’émir du Qatar pour une rénovation importante de l’hôtel Lambert à Paris vont mettre en émoi le monde du patrimoine historique. Si la candidature de Jean Sarkozy, fils cadet de Nicolas Sarkozy, à la tête de l’établissement public qui gère le plus grand centre d’affaires européen, La Défense, a été si mal accueillie, y compris parmi les électeurs de droite, c’est peut-être parce qu’il ne faut jamais vendre la mèche… L’arbitraire de la domination et le népotisme ne doivent pas apparaître au grand jour pour laisser aux classes dominées l’illusion que les qualités et le mérite sont bien à la base des choix du président de la République.


La guerre sur le terrain s’accompagne d’une guerre psychologique, avec des discours contradictoires et un double langage permanent renforcé à l’occasion de la crise financière de 2008. Elle connaît quelques échecs, lorsque le discours apparaît comme trop en contradiction avec la réalité. Les fanfaronnades de celui qui prétendait vouloir « refonder » le système capitaliste n’ont guère été suivies de mesures. Au contraire, les paradis fiscaux, les fonds spéculatifs, les bonus des traders et les cadeaux aux banques ont permis au capital financier de retrouver de sa superbe.

Mais la France, dont l’opinion est mesurée par les sondages, manifeste son mécontentement. Le faible taux de participation aux élections révèle un désarroi d’autant plus profond que l’on descend dans l’échelle sociale. Les belligérants sont inégalement préparés au combat. Les classes populaires, désarmées et désabusées par la désindustrialisation, voient leurs états-majors politiques et syndicaux hésitants et divisés.

UNE « DRÔLE DE GUERRE »

Le brouillage idéologique n’est-il pas total ? Le capitalisme est proclamé comme indépassable depuis les échecs du socialisme des pays de l’Est. La loi du marché semble être devenue la forme sociale la plus achevée que puisse atteindre l’humanité. La phase actuelle de cette guerre n’est-elle pas semblable à celle de la « drôle de guerre » de 1939-1940, alors que, le conflit n’étant pas déclaré, les forces populaires attendent, peu disposées à retourner au carnage, tandis que les dominants s’entraînent et préparent l’assaut final ?

Parmi les armes dont disposent les puissants, il faut ajouter, à la force physique et à la propriété des moyens de production, le savoir et notamment celui de la finance mathématisée. Le glaive et l’usine perdent de leur efficacité au profit des logiciels, des mathématiques et des ordinateurs. Financiarisé et mondialisé, le système économique ne profiterait-il plus qu’à ceux qui possèdent les codes d’accès à cette nouvelle planète, unifiée sous l’impérialisme de l’argent ? Les dirigeants français alignent leurs revenus sur les plus élevés à l’échelle du monde, tout en délocalisant les emplois industriels, puis tertiaires vers les zones où le travail est payé au plus bas. Les ouvriers chinois ou philippins sont la référence et les travailleurs français licenciés se voient proposer des emplois de remplacement à des centaines ou des milliers de kilomètres de chez eux, au tarif local, celui de la misère. 

Mais, pour que cela soit accepté et acceptable, il faut encore que les puissants du monde investissent dans les médias pour contrôler les cerveaux. Dans le magma indistinct de la pensée contemporaine, la lutte des classes est renvoyée aux poubelles de l’histoire. La notion de classe sociale disparaît du langage politiquement correct. Les mouvements sociaux sont dénoncés comme archaïques. Les droits arrachés de haute lutte par les travailleurs, dans les combats du passé, deviennent des privilèges inadmissibles pour les jongleurs de la finance qui, sur un coup de Bourse, peuvent engranger quelques millions au détriment de l’économie réelle.

Les effets d’annonce et les manœuvres populistes d’un adversaire qui se présente comme porteur d’un avenir meilleur brouillent les cartes. Dans cette phase, Nicolas Sarkozy ne joue-t-il pas le rôle d’un sauveur qui va pouvoir apporter par la « rupture » les moyens de faire reculer les nuées menaçantes ? Cette bonne volonté simulée a pu séduire quelques personnalités de la gauche que les errements du leader ont sans doute bien vite refroidies. Il reste que ces dévoiements ont accentué le trouble et les interrogations dans une opposition de gauche quelque peu déroutée par l’agitation sarkozyste. Et inquiétée par une personnalisation du pouvoir inusitée. La parole du chef de l’État s’infléchit et se contredit selon les circonstances. Mais les ruptures ne vont-elles pas toujours dans le même sens, celui d’un grignotage systématique des libertés et des acquis sociaux ?


Le temps est lourd de menaces, mais on ne sait quand et comment l’orage va éclater. La guerre des tranchées, celle de la société industrielle où patrons et ouvriers étaient dans un face-à-face constant, parfois violent, mais qui avait le mérite de permettre à l’échange d’exister, a laissé la place à un conflit où ceux qui contrôlent la mondialisation, ses échanges multiples et ses flux financiers dominent sans partage. L’arme atomique a remplacé le fantassin. La suprématie aérienne de la haute finance, bien au-dessus de l’économie réelle, empêche d’identifier l’ennemi, puissant mais insaisissable. Ce sont les marchés qui attaquent. Mais qui sont les marchés ? La force de frappe est impressionnante, mais on ne sait d’où vient le coup.

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le président des riches.



Le président des riches 
Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy 

Depuis la parution du Président des riches en septembre 2010, les relations incestueuses entre le pouvoir politique et le monde de l'argent ont engendré de nouveaux rebondissements dans l'affaire Woerth-Bettencourt et dans l'incroyable feuilleton Lagarde-Tapie. Par ses amitiés et ses réseaux, Nicolas Sarkozy est toujours concerné. Ce qui est encore le cas dans la tourmente qui affecte les tableaux de la famille Wildenstein, ou le Mediator des laboratoires Servier. La violence des rapports sociaux atteint des sommets La réforme rétrograde des retraites, le mépris affiché envers les enseignants et les magistrats, l'appel à la xénophobie en sont des expressions. L'allégement de l'impôt de solidarité sur la fortune est emblématique de cette guerre des classes menée par les plus riches alors que les déficits et les dettes leur servent d'armes et de moyens de chantage pour que le peuple accepte la baisse du pouvoir d'achat et la destruction des services publics. Décidément, Nicolas Sarkozy est bien toujours le président des riches. Ce nouveau livre continue à apporter des faits, des analyses et des arguments qui justifient de mettre à bas la puissance de la finance et des spéculateurs sans foi ni loi qui règnent sans partage.



Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, sociologues, anciens directeurs de recherche au CNRS, ont notamment publié Grandes Fortunes. Dynasties familiales et formes de richesse en France (Pavot, 1996), Sociologie de la bourgeoisie (La Découverte, "Repères", 2000) et Les Ghettos du Gotha (Seuil, 2007).

Le président des riches en ligne :

http://www.editions-zones.fr/spip.php?id_article=116&page=lyberplayer









Dessins : 


Sarkozy http://karikaturler.in/hitler-sarkozy/ 


Guéant & Sarkozy http://www.urtikan.net/n-35/gueant-tient-haut-le-flambeau-de-la-civilisation/






mardi, février 07, 2012

La rue





Dans les mouvements de lutte contre les sectes, des activistes rêvent de détruire la spiritualité au nom d'un laïcisme particulièrement étroit. Ces fanatiques ne veulent pas admettre que le bouddhisme social, notamment en Orient, permet de concilier la spiritualité et l’action altruiste.

Dans le BIHAR, un des États les plus pauvres de l'Inde, un vieux moine engagé dans le bouddhisme social rêvait de scolariser les enfants pauvres. Mais sans argent son projet avait peu de chance d’aboutir. Toutefois, il disposait d’un petit lopin de terre. Le moine eut l’idée de planter des fleurs, beaucoup de fleurs. Quelques mois plus tard, il donnait ses premiers cours d’alphabétisation à un petit groupe d’enfants émerveillés de se trouver au milieu d’un palais floral. L’initiative fut appréciée par des donateurs, avec leur argent le moine finança un bâtiment parfaitement intégré à l’environnement. Aujourd’hui, cette petite école, proche de Bodhgaya, est probablement l’école la plus fleurie du monde. Le moine thaïlandais Bouddhasa Bhikkhou était engagé dans le bouddhisme social. A Taïwan, une nonne est très active dans l'humanitaire. Au Sri Lanka, Japon, Corée, etc., les communautés monastiques ne sont pas indifférentes aux problèmes sociaux.

En Occident, des pauvres ont besoin de l'engagement social des bouddhistes qui disposent de nombreux centres d'hébergement. Qu'attendent les bouddhistes occidentaux pour accueillir des SDF ?


Qu'attendent les moines bouddhistes pour rejoindre les éducateurs de rue ?

« Dans notre quartier, dès l'âge de onze, douze ans, les gars commencent à foutre le camp dans la rue. Les gars, pas les filles. Sur dix délinquants, il y a sept gars pour trois filles : celles-ci ont moins de liberté.

Si ça ne colle pas à la maison, si le père est mort, s'il y a divorce ou séparation, si le père ne s'occupe pas de son gosse en rentrant du boulot (quand il a deux heures de transport pour aller boulonner et autant pour revenir, lorsqu'il arrive chez lui il est complètement « à la masse », il ne peut rien écouter), alors le gosse, sachant qu'il n'est pas attendu, qu'il n'est pas désiré, il fout le camp. Il descend dans la rue. Et, comme par hasard, aux mêmes heures, il rencontre tous les mecs comme lui qui foutent le camp de chez eux... Ce n'est pas au niveau de la richesse/pauvreté que se situe la délinquance des jeunes. On la trouve là où n'existent pas les qualités de vie nécessaires pour faire exister un enfant. Et cela consiste d'abord dans la capacité d'écoute des parents. Dans une famille « normale », quand un môme n'est pas rentré à la maison un quart d'heure après la sortie de l'école, la mère s'affole, elle commence à penser à Police-secours... Le môme arrive, réclame son chocolat, la mère l'accueille, etc. Tout est changé !

Pour les mômes de la rue, il n'y a rien de tout cela. L'un d'eux me disait : « Chez moi, y a qu'un frigo à moitié vide... » Attention ! Cette constatation n'est pas un jugement de valeur porté sur des familles souvent sous-prolétaires, écrasées, exploitées. D'ailleurs, les gars, finalement, ne jugent pas leurs parents; ils n'acceptent d'en parler qu'au bout de très longtemps et, par respect, je ne les interroge jamais là-dessus. [...]

Ils ont quitté l'école à partir de douze ans. De toute évidence, l'école n'est pas faite pour des mecs comme eux. Alors ils traînent dans les bars flippers, machines à sous, cigarettes, alcool... Il y a énormément d'alcoolisme chez les jeunes de la rue. En principe, les boissons alcoolisées sont interdites aux mineurs non accompagnés. Mais elles sont moins chères que les autres et puis il y a souvent connivence entre la police et les patrons de bars ou les garçons, qui sont parfois des indicateurs... Alors on ferme les yeux sur les débits de boissons ouverts jusqu'à trois heures du matin à des mômes de quatorze, quinze ans ! On peut dire qu'on les pousse ainsi à l'alcoolisme et à la délinquance. Parce que beaucoup d'actes de délinquance sont issus de l'alcool : ils boivent ensemble, discutent, préparent un coup, et sous l'influence de l'alcool, ils ne mesurent pas les risques et les dangers. D'ailleurs, ils sont souvent pris à cause du bruit qu'ils font et des propos qu'ils tiennent avant ou après un coup.

Jeannot était là, devant moi, menottes aux mains. A peine seize ans, blond aux yeux bleus, des parents bretons qui émigrèrent à Paris il y a vingt ans. Il a été pris dans la nuit, en flagrant délit de vol, après avoir mis à sac douze voitures et un appartement, avec un inconnu de trente ans rencontré quelques heures plus tôt dans un bar du XIXe... Un voyou de plus à enfermer !

Enfermé, Jeannot l'est depuis quinze ans et demi. Depuis le jour de sa naissance, dans les douze mètres carrés qu'il a partagés avec son père et sa mère, dans ce taudis sans air ni lumière (la fenêtre donne sur un mur situé à un mètre). Comme Jeannot étouffe dans cette bauge où se croiser devient vite insupportable, il est sorti très jeune dans la me. Seuls les bars du quartier lui ont semblé accueillants : il a commencé à boire un « demi », puis des milliers d'autres, depuis l'âge de treize ans et demi. Sous la fameuse affiche réglementant les débits de boissons, il boit ainsi dix, quinze, vingt demis par jour. Je l'ai ramassé combien de fois, ivre mort, sur un des trottoirs du coin, ou la nuit devant ma porte, jus-qu'à laquelle il s'était traîné quand, enfin, ferment les bistrots. Il me disait : « Un demi, c'est moins cher qu'un Vichy-menthe ou qu'un Orangina ! Et puis j'en ai marre de cette piaule dégueulasse, j'en ai marre de voir mon vieux soûl tous les soirs... Quand je suis bien parti, j'oublie tout... »

Face à cet assassinat conscient de jeunes adolescents, grâce au fric qui permet tout, à cause de tous ceux qui ferment les yeux au lieu de les ouvrir, je ne trouve aucun mot pour dire la COLERE et le DESESPOIR qui m'ont saisi devant ces deux mains enchaînées... »

Guy Gilbert, Un prêtre chez les loubards.



Mallaury Nataf (l'actrice des série AB) devenu SDF ! 








La secrétaire d’État à la Santé, Nora Berra, recommande aux sans-abris d'éviter de sortir de chez eux. 

Pour en savoir plus : 

dimanche, février 05, 2012

La foi





« J'voudrais avoir la foi, la foi d'mon charbonnier
Qu'est heureux comme un pape et con comme un panier. »
Georges Brassens


Comme nous l'avons vu dans « Cassandre est-elle idiote ? », des prophètes, augures, devins, gourous font régulièrement un bide en annonçant la date de la fin du monde. Étonnamment, les disciples s'accommodent des ratages de leur maître. Ils mettent en place des stratégies inconscientes afin de restaurer leur confiance en lui. Ces stratégies sont appelées « modes de réduction de la dissonance cognitive ».

Le concept de dissonance cognitive a été proposé par Leon Festinger en 1957. Cette théorie est sans doute une simplification d'un phénomène beaucoup plus complexe, mais elle permet de cerner bien des aspects autrement étranges du comportement humain et de leur donner du sens. De plus, elle est d'une grande utilité pour expliquer comment il se fait que nous puissions nous leurrer nous-mêmes, ce qui nous intéresse particulièrement ici. En termes simples, voici ce dont il s'agit.

Imaginez une situation où vous entretenez deux idées, croyances ou opinions incompatibles. Par exemple, vous êtes très attaché à l'opinion X mais, simultanément, vous constatez bien que X est faux en vertu de faits observables. Ou encore, imaginez une situation où vos convictions sont en contradiction avec votre comportement. Il en résulte, inévitablement, une tension, un malaise. Selon la théorie de la dissonance cognitive, vous chercherez à faire disparaître ou à tout le moins à minimiser cette tension, de la manière la plus simple et la plus efficace possible.

Cela peut se faire de diverses manières. Par exemple, si nous jugeons un de nos comportements immoral ou stupide, nous pourrions changer de point de vue de manière à le trouver juste et sensé. Placées devant une nouvelle donnée, deux personnes adhérant à deux croyances opposées tendront chacune à y voir ce qui confirme sa propre position et à ignorer ce qui l'infirme. Notre capacité à inventer des raisons justifiant nos comportements autrement inacceptables à nos propres yeux joue un rôle de premier plan dans la dissonance cognitive. Celui qui se perçoit comme doux et humain trouvera à sa victime des défauts pour justifier la violence qu'il a utilisée à son encontre.

On l'aura compris : certains comportements autrement incompréhensibles peuvent être mis sous un éclairage fort instructif à l'aide de ces idées. Attardons-nous à un exemple célèbre, tiré justement d'un ouvrage de Festinger. (L. Festinger, H.W. Riecken et S. Schachter, When Prophecy Fails, Harper & Row, New York, 1956.)

Au début des années 1950, une dame d'un certain âge, mademoiselle Keech, affirma recevoir des messages d'extraterrestres de la planète Clarion. Un jour, un de ces messages l'informa que le 21 décembre de cette année-là, la Terre serait détruite par un déluge effroyable, mais qu'un escadron de soucoupes volantes viendrait la sauver, ainsi que toutes les personnes qui seraient proches d'elle à ce moment.

Un groupe de fidèles s'attacha à la dame et attendirent la fin du monde en sa compagnie, en menant désormais une existence conforme à leur croyance ils renoncèrent à tous leurs biens, quittèrent leurs emplois, se coupèrent de leurs amis et connaissances et ainsi de suite. Parmi ces disciples se trouvaient également, incognito, des psychologues, qui souhaitaient observer le comportement des membres du groupe, en particulier le 22 décembre. Ces psychologues notèrent que les membres du groupe étaient inoffensifs, doux, qu'ils refusaient toute publicité et toute entrevue dans les médias, ne faisant aucun prosélytisme, vivant sereinement dans l'ombre selon leurs convictions.

Le 20 décembre, la dame en question reçut un nouveau message des habitants de Clarion, qu'elle transmit à ses adeptes : la fin approchait, ils devaient se tenir prêts, on viendrait les chercher à minuit précisément. En outre, ils ne devaient porter aucun métal sur eux. On retira donc boutons et fermetures éclair de tous les vêtements.

Minuit vint et passa. Durant les heures qui suivirent, le désespoir et le désarroi du groupe étaient palpables. Mais à 4h45, mademoiselle Keech reçut des « Clarioniens » le message que leur action et leur foi avaient sauvé le monde d'une calamité. En conséquence, leur transfert par soucoupe volante n'était plus nécessaire. Le groupe ne se tint plus de joie.

Ce qui se passa après cette nuit-là n'étonne que si on oublie le concept de dissonance cognitive. Le groupe jusque-là discret se lança dans d'innombrables et passionnées campagnes pour faire connaître et défendre leurs idées. Son prosélytisme était sans bornes. Les membres du groupe contactaient les médias, donnaient des conférences, prononçaient des discours dans la rue. Leur foi en mademoiselle Keech s'était trouvée renforcée par ce qui s'était passé.

Normand Baillargeon, Petit cours d'autodéfense intellectuelle.


Petit cours d'autodéfense intellectuelle

Ce petit livre est né de la convergence, chez moi, de deux préoccupations. Elles ne me sont pas propres, loin de là, mais n’en sont pas moins vives pour autant. À défaut de pouvoir justifier chacune d’elles, ce qui demanderait un ouvrage tout entier et qui n’est de toute façon pas nécessaire ici, permettez-moi au moins de simplement les énoncer.

La première de ces préoccupations pourrait être qualifiée d’épistémologique et recouvre deux séries d’inquiétudes.

Je suis d’abord inquiet de la prévalence de toutes ces croyances qui circulent dans nos sociétés sous divers noms, comme paranormal, ésotérisme ou nouvel-âge, et qui comprennent des croyances et pratiques aussi diverses que la télékinésie, la transmission de pensée, les vies antérieures, les enlèvements par des extraterrestres, les pouvoirs des cristaux, les cures miracles, les programmes et appareils d’exercice aux effets immédiats obtenus sans effort, la communication avec les morts, diverses formes de mysticisme oriental appliqué, la chiropratique, l’homéopathie, l’astrologie, toutes sortes de médecines dites alternatives, le Feng Shui, les planches de Oui Ja, la possibilité de tordre des cuillères avec la seule pensée, le recours par les policiers aux services de voyantes, la cartomancie et j’en passe.

Je suis encore inquiet – je devrais peut-être dire consterné – par ce qui me semble être un état réellement déplorable de la réflexion, du savoir et de la rationalité dans de larges pans de la vie académique et intellectuelle. Je le dirai aussi sobrement que possible : certaines des choses qui se font et se disent dans certains secteurs de l’université actuelle, où fleurissent littéralement l’inculture et le charlatanisme, me sidèrent. Je ne suis pas le seul à le penser.

Ma deuxième préoccupation est politique et concerne l’accès des citoyens des démocraties à une compréhension du monde dans lequel nous vivons, à une information riche, sérieuse et plurielle qui leur permette de comprendre ce monde et d’agir sur lui. Je le dis très franchement : comme beaucoup d’autres personnes, je m’inquiète de l’état de nos médias, de leur concentration, de leur convergence et de leur dérive marchande, du rôle propagandiste qu’ils sont amenés à jouer dans la dynamique sociale au moment où chacun de nous est littéralement bombardé d’informations et de discours qui cherchent à obtenir son assentiment ou à le faire agir de telle ou telle manière.

Dans une démocratie participative, on le sait, l’éducation est l’autre grande institution, outre les médias, à laquelle il incombe, de manière privilégiée, de contribuer à la réalisation d’une vie citoyenne digne de ce nom. Mais elle aussi est mise à mal. On trouve dans ses récents développements des raisons graves de s’inquiéter : par exemple, on semble renoncer avec une réelle légèreté à poursuivre l’idéal de donner à chacun une formation libérale. Cela m’indigne particulièrement, d’autant que cette formation est, justement aujourd’hui, plus que jamais nécessaire au futur citoyen. Les dérives clientélistes et le réductionnisme économique qui ont cours actuellement chez trop de gens, et en particulier parmi les décideurs du monde de l’éducation, constituent donc, à mes yeux, d’autres graves raisons de ne pas être rassuré sur l’avenir de la démocratie participative.

Mais s’il est vrai, comme je le pense, qu’à chacune des avancées de l’irrationalisme, de la bêtise, de la propagande et de la manipulation, on peut toujours opposer une pensée critique et un recul réflexif, alors on peut, sans s’illusionner, trouver un certain réconfort dans la diffusion de la pensée critique. Exercer son autodéfense intellectuelle, dans cette perspective, est un acte citoyen. C’est ce qui m’a motivé à écrire ce petit livre, qui propose justement une brève introduction à la pensée critique.

Ce qu’on trouve dans les pages qui suivent ne prétend être ni neuf, ni original. Ce que j’y expose est bien connu, au moins des personnes qui fréquentent de près la littérature scientifique ou les écrits concernant la pensée critique et sceptique. Je me suis toutefois efforcé d’en faire une synthèse accessible en présentant, le plus simplement et le plus clairement possible, ces concepts et habiletés dont la maîtrise me paraît être un talent nécessaire à toute citoyenne et à tout citoyen.

Normand Baillargeon



samedi, février 04, 2012

Le paradoxe de la révolte





La révolte, ou le fait de se révolter, renvoie à l'image du retournement brutal d'un homme ou d'un groupe pour faire face à un maître (ou à un système) devant lequel on ne supporte plus de « filer doux ». Il s'agit d'un coup d'arrêt à la soumission qui pose le problème de la légitimité d'un pouvoir ou d'un ordre qui a dépassé les limites jugées acceptables. C'est un refus agi qui ouvre une crise où entreront en compte les rapports de force (équilibrés ou non) et les perspectives d'un après fondamentalement différent, ou possiblement destructeur pour le révolté. La révolte longtemps sourde, si elle n'est qu'un ressenti, éclatera en paroxysme dès qu'elle sera agie. Il y faut du courage, de l'exaltation, de la colère et de l'indignation.

Et c'est l'indignation qui fait le lien avec une acception complémentaire du mot : l'adjectif « révoltant » ou le fait de « se sentir révolté » recouvrent un registre éthique. Dans les deux cas (se révolter ou se sentir révolté) on retrouve la notion d'un refus de l'inacceptable et, implicitement ou non, la référence à un autre ordre, à d'autres règles, à une possible et nécessaire alternative. En cela les révoltés ne sont pas des factieux qui, eux, ne rêvent pas d'un autre ordre, mais d'une alternative dans l'appropriation du pouvoir.

C'est en ce sens aussi que la révolte est souvent le moteur puissant de l'entrée dans des groupes sectaires : le monde complexe dans lequel nous vivons, fait d'inégalités, de passivité, engendre chez certains une révolte contre l'inacceptable. Et c'est alors le paradoxe : la révolte qui, comme nous le verrons, est gage de liberté, engendre dans ces groupes l'allégeance la plus inconditionnelle.

La révolte n'est pas un état d'esprit chronique. Il ne s'agit pas de ce qu'on appelle un esprit révolté, qui est systématiquement contre en s'imaginant ainsi, bien à tort, qu'il manifeste son identité et une personnalité intéressante. La révolte, c'est une rupture liée à une passivité antérieure, plus ou moins consciente, plus ou moins acceptée, qui s'exprime surtout dans le discours. La révolte est une crise, c'est une prise de conscience qu'on a atteint le seuil de l'intolérable. Comme toute les crises, elle est souvent douloureuse, elle peut être violente, vécue dans la colère. Mais le passage de l'état de passivité plus ou moins complaisante ou résignée à une volonté active peut emprunter des voies très différentes. Celui qui reste dans un état de colère n'a pas acquis sa liberté. Un exemple prendre une arme et exécuter l'auteur ou le responsable de l'intolérable est et restera un attentat. Ce n'est pas justifiable. Celui qui est dans une situation d'intolérable, de persécution (on peut penser à la Seconde Guerre mondiale, mais aussi à des conflits plus récents) et prend les armes, connaît une révolte positive. Il a dominé sa colère et entend gagner sa liberté.

C'est dire que la révolte, pour être positive, est liée à l'apprentissage de la liberté. Celui qui dit je fais ce que je veux » fait en réalité n'importe quoi. Il n'a rien gagné, ne gagnera rien : il reste un trublion. La crise de révolte doit déboucher sur un état de conscience accrue. Qu'est-ce que je dois faire, vis-à-vis de moi-même et vis-à-vis des autres, non pas pour le jugement qui va être porté sur moi, mais pour le jugement que je porterai moi-même sur mes actes. Autrement dit, la révolte, ça se mérite. Il faut apprendre à la dominer, à la canaliser comme on apprend à gérer sa liberté. Et dans ce cas-là, elle permet d'avancer.

Les jeunes gens sont les premiers à ressentir et à mettre en œuvre la révolte dans des comportements d'opposition individuelle ou dans des manifestations collectives. De nombreuses raisons pour cela : générosité et disponibilité plus grandes, confiance dans les effets d'un changement radical, libération longtemps attendue de la tutelle des adultes, sentiment de ne pas avoir grand-chose à perdre, critique radicale à l'égard de règles, de structures, de systèmes dont ils ne sont pas les auteurs et enfin, et surtout, exigence éthique non résignée d'un monde plus juste.

« Contre qui, contre quoi pouvais-je me révolter ? » a écrit Sartre dans Les Mots. L'absence du Père le privait de l'expression classique de la jeunesse : la révolte contre le modèle paternel. Ainsi, dans nos sociétés occidentales contemporaines (et là seulement) la jeunesse s'incarne dans sa révolte, dans son opposition au Père, voire dans son opposition à l'ensemble de la société. Et le constat habituel de la société et des parents tient en cette phrase désabusée : « Il faut bien que jeunesse se passe. » Pourtant ce conflit de générations peut prendre des formes diverses.

Ce qui distingue la révolte de la rébellion, c'est sa focalisation : une cause à défendre a été trouvée, un système explicatif du monde, qu'il soit religieux, philosophique, politique, écologique ou humanitaire. La rébellion individuelle, elle, n'explique rien. Elle est épidermique, sans cause claire, violente et incohérente. Elle n'explique rien des causes du refus du modèle qu'elle exprime. Elle ne construit rien. Telle une fièvre, elle saisit, transforme, la plupart du temps temporairement, les jeunes. D'autres ne la quitteront pas ou en paieront longtemps les conséquences : petits délinquants transformés en repris de justice, passionarias survivant dans le délire psychotique. La révolte construit : elle construit celui qui la porte, elle construit les motifs du refus, elle construit un projet. C'est pourquoi ce sont souvent les plus brillants, les plus doués d'une génération qui choisissent la révolte. Rejetant père, maîtres, modèles et société, ils courent le risque de s'enfermer dans des explications simplistes d'un monde trop complexe, dont ils refusent l'analyse fine.

Beaucoup s'en sortent : « Je est un autre », disait le Rimbaud révolté. Leur révolte les a transformés, fait autres. Construits par elle, construits contre la société, ils s'adaptent et inventent de nouveaux modèles. Mais certains ne s'autonomisent pas de leur révolte : ils restent enfermés dans des mondes sectaires, dans leurs univers simples. Ils deviennent alors les fanatiques de la nouvelle génération. « Cours, petit homme, le vieux monde est derrière toi » (W. Reich). Cette rupture avec le « vieux monde », si caractéristique de la jeunesse des pays industrialisés depuis le XIXe siècle, est la garantie de l'inventivité, de la fécondité de la nouvelle génération. Mais dans le monde qui est aujourd'hui le nôtre, la révolte est de moins en moins tolérée : on préfère les hommes soumis aux hommes debout. Cela garantit la stabilité, mais à terme cela stérilise la société.

Vue du côté du pouvoir, la révolte est presque une maladie. On souligne son coût, ses dangers, son inanité face à ce qui est défini comme nécessaire et inéluctable. Les griefs les plus fréquents sont ceux d'un manque de réalisme et de patience de la part des révoltés. La violence est stigmatisée. Or, curieusement, la plupart des révoltes naissent d'un ressenti de violence subie. Bien plus qu'une construction logique et raisonnée de ce qui pourrait être, la révolte est d'abord un cri : Assez ! Assez d'une soumission sans contreparties perceptibles, assez des règles apparemment arbitraires, assez d'une Loi énoncée mais surtout transgressée, assez de dirigeants se disqualifiant les uns les autres, assez de l'absence de perspectives. Même si elle emprunte souvent des voies « peu réalistes », la révolte est une reprise de l'initiative. Pourtant, la révolte comporte un coût et des risques. La position de refus de l'état des choses a maintes fois conduit à un « ordre nouveau » peu enviable par rapport au précédent. Elle a souvent désigné des hommes et des organisations en faisant l'impasse sur les mécanismes pervers qui subsisteront dans la nouvelle construction.

Nous avons vu que la révolte pouvait être un coup d'arrêt, un sursaut moral, un refus d'une hiérarchie, d'un maître ou d'un système, un déni de légitimité, une condition pour l'instauration d'un ordre différent, une affirmation d'autonomie libératoire. Nous savons aussi qu'elle peut être destructrice, violente, voire meurtrière pour ses acteurs eux-mêmes et qu'elle peut aboutir à un renforcement de ce qu'elle visait à changer. Or, la révolte n'est pas le refus de toutes contraintes, mais un rejet de contraintes jugées illégitimes. Retrouver une légitimité des contraintes ne se limite sûrement pas à « mieux communiquer ». Concernant les jeunes dans leur parcours vers l'état adulte, on peut faire l'analogie avec un processus initiatique. Pour entretenir les conditions d'une « révolte permanente » mais médiatisée dans des échanges constructifs, il appartient aux adultes que nous sommes de légitimer autrement que par des discours les contraintes inévitables demandées aux jeunes au cours de ce processus initiatique. Il ne s'agit pas d'obtenir une soumission moutonnière, mais bien de présenter des modèles mobilisateurs (au plan des personnes, des idéologies, de l'éthique), modèles qui prennent en compte les refus et révoltes légitimes des jeunes. Le traitement social de la révolte n'est pas de la réprimer ou de l'encourager pour que d'autres en paient le prix, mais bien de la partager dans une implication commune contre l'inacceptable.

Toute analyse un peu fine des phénomènes sectaires montre que le groupe sectaire s'appuie sur les motivations de ses futurs adeptes et répond aux demandes que notre société a cessé de remplir : besoin d'initiative, besoin de donner, de se mobiliser, besoin de croire (faut-il rappeler la crise des idéologies et la crise des églises traditionnelles ?), besoin de progresser et d'être reconnu en dehors de valeurs marchandes... Les révoltés sont alors une cible de choix pour les groupes sectaires. Nous avons vu que ce sont souvent les meilleurs d'une génération qui se caractérisent par leur révolte ; ainsi s'explique un aspect autrement inexplicable du recrutement des groupes sectaires : ces groupes, malgré l'information et la prévention faite par les associations, les médias et les institutions républicaines, recrutent chez les chercheurs, les médecins, les étudiants les plus sérieux. Ils se croient non manipulables, parce que critiques vis-à-vis du monde et de la société. Ils sont manipulés par leur désir de changement et par l'alternative radicale qui leur est offerte.

La position intellectuelle et philosophique d'encouragement à la révolte doit prendre en compte de la part de ses partisans, dont nous sommes, le coût qui sera payé par ceux qui se révolteront. En se plaçant du point de vue de ceux qui ont mission, mandat ou obligation de faire fonctionner les institutions : parents, éducateurs, politiques, policiers, militants, on pourrait avancer que la révolte est une chose trop précieuse, et aussi trop risquée pour les jeunes, pour qu'on la provoque par imprévision ou par incompétence. Trouver et proposer des voies et des voix pour la révolte et leur donner une force et un pragmatisme réels est peut-être le devoir le plus impératif des adultes envers les plus jeunes. A défaut, c'est la violence sans objet, sinon sans raison, qui deviendra le mode obligé des transactions, ou bien certains retrouveront la voie de la soumission au sein de groupes dangereux, mafieux ou sectaires.

Anne Fournier et Michel Monroy, La dérive sectaire.



La dérive sectaire

Nous avons souhaité nous démarquer de nombreux ouvrages concernant les " sectes " : témoignages, investigations, cris d'indignation de parents ou de proches, et tenter une analyse dépassionnée du phénomène, grâce à une nombreuse documentation et notre expérience de terrain. Nous avons voulu identifier et interpréter les mécanismes d'allégeance, la construction d'un univers-prothèse, les emprunts faits par les groupes au domaine thérapeutique, religieux, éthique, et le détournement de ces emprunts. Au terme de ce travail, nous avons trouvé des groupes " totalitaires " dans leurs discours, leurs structures, leur vision de l'humanité. Et une interrogation majeure : qu'est donc devenue notre société pour sécréter ces groupes où certains se trouvent temporairement mieux qu'à l'extérieur ?


Cliquer sur la vignette pour feuilleter le livre.
 

Anne Fournier, agrégée d'histoire et diplômée de l'IEP de Paris est expert auprès de la Mission interministérielle contre les sectes.
Michel Monroy est psychiatre, ancien chef de service hospitalier.
Ils ont publié ensemble, entre autres, Les sectes (Milan, Essentiel) et Figures du conflit (PUF, Le Sociologue).

Dessin :
Yslaire, Sambre, Liberté, liberté...

vendredi, février 03, 2012

Les sectes





L’Église de scientologie est condamnée pour escroquerie en bande organisée. Ses deux structures parisiennes, le Celebrity Centre et sa librairie SEL, écopent d'une amende de 600 000 €.

Les sectes ne sont pas des associations parmi d'autres, comme les autres. Elles ne sont pas tolérables. Elles portent la mort en elles. Elles ont assassiné mon fils. Elles ont assassiné ou détruit moralement bien d'autres jeunes gens. Je pourrais ici multiplier les exemples et les preuves. A quoi bon ? On les trouvera en suffisance dans le livre d'Alain Woodrow, Les Nouvelles Sectes. Il date de quelques années, et certaines des sectes dont il décrit l'activité ont pu perdre de leur influence au profit de nouvelles. Mais peu importent le nom et les dogmes des unes et des autres : le racolage, le lavage de cerveau, l'escroquerie, l'exploitation et la destruction de l'homme sont les mêmes chez la plupart, à quelques nuances près. […]

Au fond, qu'est-ce que c'est, une secte ? Littré en donne deux définitions : « 1) ensemble de personnes qui font profession d'une même doctrine ; 2) particulièrement, ensemble de ceux qui suivent une opinion accusée d'hérésie ou d'erreur. » Plutôt vague, n'est-ce pas ? La définition 1 couvre pratiquement n'importe quel « ensemble » humain : la 2, qui se veut plus restrictive, n'en couvre pas moins tout « ensemble » mis en accusation (par qui ?) pour ses opinions, ce qui revient à désigner toutes les minorités religieuses, politiques, littéraires, scientifiques, sans compter les majorités lorsqu'elles sont attaquées elles-mêmes. Cela fait beaucoup de monde.

En réalité, le mot secte, si pâle en lui-même à en croire les dictionnaires, est recoloré, et de quelles couleurs violentes, par son dérivé sectaire. On évoque l'intransigeance, le fanatisme, la férocité bornée, la fureur hallucinatoire, le mysticisme hagard et forcené, et quoi d'autre encore ? Il est vrai que ces qualifications peu amènes ne se rencontrent jamais que dans l'esprit des observateurs extérieurs ; les adeptes, eux, vanteraient plutôt la ferveur de leur foi, leur certitude de détenir la vérité, leur courage, leur pureté... Jamais en tout cas ils ne se disent ni ne se sentent membres d'une secte ; ils ne se connaissent que comme fidèles d'une religion, de la seule vraie religion de la terre (Bien entendu, la religion peut fort bien être d'ordre politique, littéraire, artistique, etc.).

Cette conviction-là, elle est aussi celle de tous les fidèles de toutes les religions ; seul le point d'application change. En fait, toute religion a commencé par être secte : à savoir, un petit groupe d'hommes qui se coupent de la communauté en raison d'une divergence d'opinion. Secte juive aux origines que le christianisme, secte chrétienne que le mahométisme, secte catholique que le protestantisme, secte socialiste que le communisme. Bien entendu, pour avoir la force de s'arracher à la rassurante opinion commune, il faut une belle dose de tonus intime ; d'où la virulence et l'agressivité de la secte à ses débuts. Ensuite, si elle s'étend dans l'espace et persiste dans le temps, elle accède peu à peu au rang supérieur de religion ; de la même manière, accède au rang d'espèce une race animale qui se répand. Cependant, comme ce sont nécessairement des hommes ordinaires qui s'agglomèrent en masse aux premiers pionniers, elle s'amollit de leur apport, se détend, s'humanise; et enfin elle humanise son dieu même. La voilà mûre pour une nouvelle scission, et la secte Moon ou scientologique se détache du protestantisme, les sectes trotskistes ou maoïstes commencent à prospérer à partir de la religion stalino-léniniste. Le phénomène semble bien général, et il s'apparente étonnamment à l'évolution biologique.

On comprend alors l'embarras que les grandes religions actuelles éprouvent à l'égard de leurs filles, les sectes. Elles retrouvent en elles leur propre jeunesse ; simplement, les siècles leur ont mis, à elles, du plomb dans la tête. Mais elles les aiment bien, au fond ; c'est même pourquoi, jadis, quand on tenait les enfants serré, elles les châtiaient si rudement. Maintenant, les choses sont plus compliquées. Finie l'Inquisition ; il faut persuader, discuter. Sans issue : comment y en aurait-il une quand deux révélations aussi assurées l'une et l'autre s'opposent front contre front, à égalité ? J'ai vu Dieu, dit l'une, il ordonne ceci. J'ai vu Dieu, dit l'autre, il ordonne cela. Comment trancher ? Ainsi les vieilles religions ne sont plus en état de lutter contre les sectes. Sur la défensive à leur égard, elles sont en outre retenues par une espèce de connivence secrète. D'autre part, une vue plus haute du champ de bataille montre un jeu beaucoup plus complexe des forces en présence. Dans les siècles passés, l'apparition d'une secte se faisait par scission simple dans l'ancienne religion, et directement contre celle-ci. Aujourd'hui, l'incroyance intervient en tiers. C'est elle qui, dans un premier temps, vide peu à peu l'ancienne religion de son contenu et de sa force, et c'est essentiellement contre elle que se forme la secte, par réaction religieuse donc. Seulement, cette réaction-là va chercher sa source bien au-delà de l’Église établie, ressentie comme une coque creuse; jusque dans le fonds de croyances le plus primitif et le plus barbare de l'humanité. Comment expliquer autrement la sauvagerie sanglante de certaines sectes dont tout le monde conserve le souvenir ? Ce n'est pas un hasard si refleurissent aujourd'hui avec tant de vigueur des superstitions qu'on croyait enterrées depuis longtemps, comme l'imbécile astrologie. Je parlais dès mon début de régression infantile. Elle se manifeste au niveau collectif comme chez les individus. Privé d'espoir devant lui, l'homme, le jeune homme en particulier, se rue désespérément vers l'arrière pour se réfugier dans les plus vieux mythes des origines âge d'or ou béatitude amniotique. C'est à ce point que surgit la secte. Elle lui propose immanquablement, quelle que soit la sauce dogmatique, le bonheur total, immédiat, le bonheur même de l'inconscience dont il rêve. Étonnons-nous qu'il s'y jette de tout son élan aveugle ! Et que comptent encore, pour arrêter ce poulain emballé, les sermons des prêtres officiels, même quand ils s'efforcent à la démagogie, que comptent les arides raisonnements de la raison, que comptent les supplications des parents ! [...]

Finalement, tout le problème tient dans ce dilemme liberté ou salut. Respecter le principe de la liberté, c'est s'interdire d'agir efficacement contre les sectes, même les plus indiscutablement malfaisantes ; on pourra, au mieux, sanctionner tel agissement de telle d'entre elles qui se trouverait violer la loi; on ne pourra rien faire de décisif. Une jeune femme était tombée sous la coupe de la secte Moon. Sa famille vint la délivrer en forçant la résistance des gardes. Mais le lavage de cerveau avait été tel que la jeune femme, sitôt libre, n'eut rien de plus pressé que de regagner sa prison : elle y était, paraît-il, heureuse; heureuse de s'y détruire. Majeure, elle avait le droit de faire son choix.

La question est de savoir si la société ne perd pas sa raison d'être quand elle se désintéresse d'activités aussi évidemment pernicieuses. Le principe de liberté exige qu'elle laisse faire, et tant pis pour la casse. Le salut public l'interdit. Ou la liberté, ou le salut. Aux pouvoirs publics de décider. [...]

Si l'on juge conforme au bien public de mettre fin à la malfaisance des sectes, qu'on mette fin à cette malfaisance, même s'il faut pour cela bousculer le principe de liberté. [...]

Il paraît que la loi de 1901 sur les associations suffit, si on veut bien l'appliquer. Qu'on l'applique. En 1936, on a dissous les ligues fascistes. C'était une atteinte au principe de liberté, ce me semble. On a pourtant eu raison de la porter. Après 1968, on a dissous une organisation trotskiste, et on vient encore de dissoudre une organisation néo-fasciste. Qu'on dissolve donc les sectes dont la malfaisance crie un peu trop fort. Lesquelles ? Au gouvernement de décider, au Parlement d'approuver ou de désapprouver, c'est leur travail. Ces actes risquent d'être arbitraires ? Peut-être en effet. Mais c'est l'indulgence qui me paraît en ce moment excessive. Excessive et, de plus, dangereuse. Il y a dans les sectes, et probablement même parmi leurs dirigeants, un certain nombre d'inconscients ou de déséquilibrés qui font le mal, mais sans le vouloir et en croyant faire le bien. Il y en a aussi, je n'en doute pas, qui, très consciemment, très délibérément, exploitent la fragilité des jeunes à leur profit. Avec les régimes pseudo-diététiques qu'ils recommandent, ce sont leurs intérêts qu'ils soignent. Ces criminels-là, il faut les traquer, sans pitié, comme on traque les trafiquants de drogue. Sinon...

Roger Ikor




Dessins :
Le Dico des Sectes, Annick Drogou, Centre Roger-Ikor
http://www.prevensectes.com/pccmm.htm


jeudi, février 02, 2012

L'explosion démographique





Dès la plus haute antiquité, des sages et des économistes se sont penchés sur la question de l'accroissement de la population et ses incidences sur la structure et l'équilibre des sociétés humaines. Depuis Confucius, on se demande si un accroissement excessif des populations ne va pas entraîner des conflits en abaissant le niveau de vie des humains. Divers économistes avaient soutenu que l'humanité devait se maintenir à un niveau optimal de peuplement en fonction des moyens de subsistance. Il faut cependant attendre le XVIIIe siècle pour qu'un auteur aborde le problème démographique à l'état pur : c'est en 1798 que Thomas Robert Malthus publia son fameux Essay on the Principle of Population dans lequel il expose que l'homme accroît plus facilement son espèce que la quantité d'aliments disponibles. La courbe démographique, d'après lui, suivrait une progression géométrique, celle des subsistances une progression arithmétique.

Au cours des XVIIIe et XIXe siècles les économistes expriment des opinions très divergentes sur ces questions. Si certains, comme Adam Smith, Jérémie Bentham, James Mill et J. B. Say, partagent dans l'ensemble les idées de Malthus et sont d'avis que l'accroissement de la population doit être limité, les pré-marxistes et les marxistes affirment que la surpopulation disparaîtra d'elle-même avec la société capitaliste.

Les problèmes démographiques ont des incidences très diverses, notamment sur les plans sociologiques et économiques, étant directement liés au volume des consommations et des productions. Aussi ont-ils donné lieu à des interprétations variées à l'infini. Nous nous garderons bien d'entrer ici dans ces controverses, notamment celles qui opposent les « malthusiens » et les « anti-malthusiens », l'économiste anglais se trouvant au centre de toutes ces polémiques. Mais il faut reconnaître en toute objectivité qu'en dépit d'erreurs manifestes, provenant notamment du développement du machinisme qu'il n'avait pas prévu, Malthus avait raison au moins sur certains points.

L'accroissement actuel des populations humaines dépasse largement les incidences sociales et économiques autour desquelles discutent philosophes et économistes. Il met en jeu l'existence même de notre espèce placée dans son contexte biologique.

Pour le naturaliste, ce phénomène a les caractères d'une véritable pullulation, comme certains animaux en présentent des exemples. Le problème est évidemment beaucoup plus complexe pour l'homme, chez qui des mobiles irrationnels, des concepts moraux et religieux, et des traditions anciennes modifient entièrement des données devenues de ce fait même extra-biologiques. Les faits demeurent néanmoins essentiellement les mêmes. Et quant aux perspectives futures, il y a lieu de penser que la cadence actuelle d'accroissement de la population, accélérée depuis une centaine d'années à peine, va se poursuivre dans l'avenir, sauf dans le cas d'une catastrophe ou sauf si l'homme prend vraiment conscience du péril qui le menace. Êtres humains doués de raison, proportionnant leur expansion aux moyens de subsistance, ou créatures proliférantes, dégradant leur propre habitat, il nous appartient de choisir ce que nous voulons être.

Nous ne craignons pas d'affirmer en liminaire que le problème de la surpopulation est le plus angoissant de tous ceux auxquels nous avons à faire face dans les temps modernes. Et peu d'entre nous en ont conscience, du fait de sa nouveauté et de tout l'obscurantisme qui en masque encore la gravité. L'excédent de population ne risque pas seulement de compromettre le sort de la flore et de la faune sauvage, il menace bien plus la survie de l'humanité tout entière, avec ce qui fait la civilisation et la dignité même de l'homme.

L'homme avant les temps modernes

Au cours des premières phases de leur histoire et même jusqu'à l'avènement des temps modernes, les populations humaines furent soumises d'une manière frappante aux lois générales de l'écologie. Leur densité était alors intimement liée à la capacité de production, facteur limitant très efficace. L'accroissement démographique était proportionnel à l'excédent d'espace et de nourriture disponibles. Les progrès techniques ont permis le défrichement de plus en plus rapide et aisé; ils ont augmenté les rendements pastoraux et agricoles, et, d'une manière parallèle, ont déterminé une augmentation des effectifs humains.

Au Paléolithique, les populations furent bien entendu très faibles et très largement dispersées.

La densité des peuples vivant de cueillette et de chasse à la période historique permet de se faire une idée sur ce point. C'est ainsi qu'avant l'arrivée des Européens, il y avait en moyenne 8 habitants par 100 km² en Australie (dans les zones peuplées) et 16 en Amérique du Nord.

Au cours du Néolithique — soit en 8 000 ou 7 000 avant J.-C., l'économie humaine s'établit sur de nouvelles bases dans le bassin méditerranéen oriental grâce au développement de l'élevage et de la culture. Un changement de palier quant aux aliments disponibles a permis une augmentation des effectifs. Les progrès de l'agriculture, l'endiguement et l'aménagement de terrasses (probablement aux alentours de 4 000 avant J.-C. dans la basse vallée du Nil et en Mésopotamie ; par ailleurs en Chine, dans la vallée du fleuve Jaune, et en Amérique du Sud et centrale) ont attiré de grandes concentrations humaines en certains lieux privilégiés.

Dans l'ensemble, les populations restèrent cependant faibles au cours de l'Antiquité. L'Empire romain comprenait environ 54 millions d'habitants à la mort d'Auguste en 14 après J.-C., avec une densité moyenne de 16 habitants au km² (l'Égypte avait alors 179 habitants au km², l'Italie environ 24). En Chine, sous les Han, soit au début de l'ère chrétienne, il y aurait eu environ 60 millions d'habitants (70 millions selon certains auteurs). L'Inde comptait entre 100 et 140 millions d'habitants à l'époque d'Ashoka, au IIe siècle avant J.-C.

Puis la population se multiplia par deux ou trois entre les premières années de l'ère chrétienne et le début des temps modernes, atteignant globalement de 500 à 550 millions au milieu du XVIIe siècle, ce qui implique un accroissement moyen annuel compris entre 0,5 et 1,0 pour mille En Europe une étroite corrélation entre l'augmentation de la population établie au nord des Alpes et des Carpathes et les progrès du défrichement, est clairement visible, simple cas particulier d'une loi écologique valable pour toutes les populations animales (accroissement des populations avec la surface habitable et la quantité de nourriture disponible). Loin d'être régulier, cet accroissement décrivit d'énormes fluctuations consécutives aux épidémies, aux guerres et à l'arrêt du défrichement et de l'entretien des cultures qui en furent les séquelles.

En Allemagne, les variations du taux de boisement, connues d'après des témoignages historiques précis, sont très nettement parallèles aux fluctuations des populations humaines.

En France, la population estimée à 6,7 millions au moment de la conquête romaine fut portée à 8,5 millions sous les Antonin, mais ne dépassa guère ce niveau jusqu'à Charlemagne. Puis elle augmenta d'une manière régulière, atteignant 20 millions environ au milieu du XIIIe siècle. Pendant la guerre de Cent ans, elle diminua d'un tiers ou même de moitié, puis elle augmenta à nouveau jusqu'au XVIe siècle pour diminuer ensuite pendant les guerres de religion. Ultérieurement l'augmentation lente, mais régulière, porta la population française à environ 18 millions en 1712 ; cette tendance se poursuivit jusqu'à la Révolution.

Des fluctuations semblables s'observent en Grande-Bretagne : comprenant un million d'habitants sous la domination romaine, 1,1 million en 1086 et 3,7 millions vers 1348, les épidémies de peste retranchèrent environ 40 % des effectifs de la population entre 1348 et 1377. Il en est de même de l'Allemagne (sa population a passé de 2-3 millions du temps de César à 17 millions au début du XVIIe siècle, parallèlement à l'augmentation des surfaces cultivées), et de l'Italie (sa population a passé de 7,1 millions au temps d'Auguste à 11 millions en 1560, restant à ce niveau jusqu'au début du XVIIIe siècle).

Des faits analogues se retrouvent en Asie, avec toutefois des fluctuations d'une plus grande amplitude ; les variations importantes et les soudaines et massives diminutions s'expliquent par les vicissitudes des grandes civilisations qui s'y sont succédées. C'est ainsi qu'à Ceylan, une civilisation agricole très évoluée, qui atteignit son apogée au XIIe siècle, déclina ensuite progressivement ; parallèlement la population passait d'environ 20 millions d'individus à 3 millions au début du XIXe siècle.

Jean Dorst, La nature dé-naturée.


La nature dé-naturée

L'explosion démographique, l'exploitation irrationnelle des richesses naturelles, les pollutions de l'atmosphère et des eaux - conséquences directes du progrès technique et industriel - accentuent de manière chaque jour plus dangereuse le divorce entre l'Homme et la Nature, entraînent un empoisonnement progressif de l'univers et la destruction de ressources vitales. Ce livre, véritable manifeste pour une écologie politique, constate, met en garde et propose des solutions dont l'application devient impérative.



mercredi, février 01, 2012

Plus rien ne sera comme avant





Nous vivons la plus grande mutation civilisationnelle depuis la Révolution française de 1789 et le triomphe de la société bourgeoise moderne qui s'était élevée sur les ruines de la société féodale. Or, prévient Jean Ziegler, « nous allons vers un reféodalisation du monde ». Des « sociétés transcontinentales privées » entretiennent la famine, détruisent la nature et abolissent la démocratie, elles étendent leur emprise sur le monde et veulent réduire à néant les conquêtes des Lumières.

Fondés sur la consommation et le gaspillage des ressources naturelles, la barbarie économique et le féodalisme oligarchique ne sont pas une fatalité. Il est encore temps de remettre en question le mythe de la croissance infinie.


Pendant pratiquement toute l'histoire de l'humanité, les guerres, les famines et les épidémies ont assuré un équilibre démographique et préservé les ressources naturelles de la Terre. Mais, depuis un siècle, la population mondiale a triplé et devrait atteindre bientôt neuf ou dix milliards d'individus contre deux milliards en 1900.

La croissance infinie de la production et de la consommation dans le système capitaliste mondial ne semble-t-elle pas suicidaire ? La décroissance n'est-elle pas nécessaire dans nos sociétés surproductrices et surconsommatrices ?

Décroissance aussi de la natalité, que le capitalisme ne cesse d'encourager afin de faire tourner au maximum la machine économique. Il y a un siècle, les anarchistes, conscients de cette course à l'abîme, ne prônaient-ils pas, déjà, la contraception et le néomalthusianisme ?

« Le bonheur est désormais assimilé à la consommation, écrit J.-P. Tertrais. Les syndicats, comme le Medef, revendiquent la croissance » comme solution aux problèmes d'emploi et de pauvreté. Voir Du développement à la décroissance. De la nécessité de sortir de l'impasse suicidaire du capitalisme, par Jean-Pierre Tertrais (Éditions libertaires, 2006).

La boulimie de consommation est devenue effarante. « 20 % de la population consomme 80 % des ressources planétaires. » Or la déforestation, la disparition progressive de l'eau douce, la dégradation des sols, la disparition de nombreuses espèces animales, la pollution chimique conduisent Hubert Reeves à cette constatation désabusée : « Personne ne peut dire si notre planète sera encore habitable à la fin du siècle. »

Il fut un temps où la croissance énergétique se justifiait par le bien-être. Elle n'est plus inspirée aujourd'hui que par une volonté de profit et de pouvoir. Le rapport annuel de la Coca-Cola Corporation l'exprime en toute ingénuité : « Chacun de nous, dans la famille Coca-Cola, se réveille tous les matins en sachant que chacun des 7 milliards d'humains aura soif aujourd'hui [...]. Si nous faisons en sorte que ces 7 milliards de personnes ne puissent pas échapper à Coca-Cola, alors nous nous assurerons le succès pour de nombreuses années. »

Décroissance et capitalisme sont antagonistes, puisque le capitalisme ne peut survivre sans une croissance continue.

Michel Ragon



Du développement à la décroissance.
De la nécessité de sortir de l'impasse suicidaire du capitalisme.

Ici et là, dans les palais comme dans les chaumières, on commence à s'inquiéter. De l'épuisement de toujours plus de  ressources fossiles ou vivantes. De la fin du pétrole bon marché. Du réchauffement de l'atmosphère. De la fonte des pôles... Mais, c'est peu dire que ces inquiétudes, pour en rester au seul stade de l'inquiétude, sont à cent lieues de prendre la mesure de l'événement qui nous menace : la destruction à moyen terme des conditions de la vie sur cette planète. Ce livre, en énonçant toute une série de faits qui ne laissent aucun doute sur la gravité de la situation rompt délibérément avec cette attitude inconsciente ou criminelle. Idem quand il dénonce l'absurdité selon laquelle on pourrait ; croître indéfiniment (en termes de démographie, de production, de consommation...) dans un monde fini. Idem, encore, quand il démontre que la décroissance qui est la seule réponse à la situation actuelle ne pourra pas faire l'économie d'une rupture radicale avec un système capitaliste dont l'appétit de profit immédiats est shooté à l'exploitation et au pillage de toujours plus d'êtres humains et de choses. Idem, enfin, quand il nous explique que, sauf à faire le choix de la dictature, cette rupture doit se poser problème d'un changement de civilisation mettant clairement l'économique au service d'un politique, d'un social et d'un culturel fonctionnant à la liberté, à l'égalité, à l'autogestion et à l'entraide. On l'aura aisément compris, ce livre est de ceux, rares, qui vont à l'essentiel des choses. De ce fait il ne manquera pas de susciter l'adhésion ou la réprobation.
 
Reste, qu'avec le temps, personne n'échappera à ses conclusions.



Dessin :

Un choc des cultures au cœur de l'Amérique

En 1987, le professeur de journalisme Stephen Bloom, un libéral typique, a voulu explorer ses racines juives en rejoignant la communauté Hab...