mercredi, août 22, 2012

Peut-on encore changer le monde ?





Centrisme révolutionnaire

Peut-on encore changer le monde ?

De toute façon y renoncer ne l'empêcherait pas de changer, mais reviendrait à laisser à d'autres, en particulier aux forces de régression, le soin de déterminer la nature de ce changement.

Le monde change et changera, malgré nos démissions, mais dans le sens désiré par ceux qui y investiront, eux, le plus de volonté, de fanatisme ou de rage. […]

Tandis que même d'ex-révolutionnaires reculent devant toute remise en cause de l'ordre existant, les contre-révolutionnaires, eux, n'hésitent pas à organiser partout un retour à l'ordre ancien.

Changer le monde signifie, d'abord, en redéfinir le principe de centralité. C'est ce que fit Galilée en ce qui concerne le système solaire. Et cela changea, effectivement, le monde.

Au centre, quoi ? Selon que, dans le passé, on répondit le totem, la horde, la tribu, les dieux ou dieu, le pape ou les pasteurs, Rome ou Byzance, le roi ou le parlement, l'aristocratie ou la bourgeoisie, on participa de cette restructuration du monde que l'on appelle une « révolution ».

Substituer le profit industriel à la rente foncière en tant que principe économique central, remplacer le papier par l'écran au centre du système de production culturelle, décentraliser le masculin au bénéfice du féminin en matière sociétale, constituèrent, en ce sens, autant d'authentiques révolutions.

Au centre, quoi ? Certains y placèrent l’État Léviathan, d'abord réparateur et égalisateur, mais vite devenu totalitaire par négation collectiviste de tout domaine privé. Des révolutions en chaîne, de Moscou à Prague, en passant par Varsovie et Bucarest, permirent de renverser, puis de changer ce monde-là.

D'autres voudraient, à la place de l’État, « centraliser » le profit, c'est-à-dire la recherche systématique et généralisée d'une appropriation et d'une concentration privée des richesses collectives. De Rio à Calcutta, de Johannesburg au Caire, de Stockholm à Marseille, on rêve de changer ce monde-là.

Pour le reconstruire autour de quel centre ? C'est ici que l'acceptation passive du cours des choses devient criminelle. Car, à notre soumission, répond alors l'activisme militant de ceux qui répondent : à la place du profit-centre, à la place de l'État-centre, réinstallons Dieu, la race, la tribu, la terre !

Et, dans ce concert de colères, de vindictes et d'imprécations exacerbées, on n'entend même plus la voix de ceux qui, là où l'État Moloch matraque son pouvoir, là où le profit impérial canonne ses « avoirs », veulent installer l'être, le sujet libre, la personne, c'est-à-dire l'homme démiurge qui, dans le passé, sut non seulement évangéliser les égoïsmes et dompter l'État, mais aussi transcender la tribu et mettre Jupiter à genoux.

En ce sens, c'est être véritablement « centriste » que de poser la question de la centralité — tout en récusant à la fois le terrorisme des bureaucraties centrales et la dictature du capital accumulé —, que refuser un monde de renards muselés et de poulaillers grillagés, mais aussi celui du renard libre dans le poulailler libre, que n'accepter ni que l'on étatise jusqu'à nos neurones ni que l'on privatise jusqu'à nos gènes.

Puisqu'une révolution pour renverser l'État mis à la place de l'individu fut jugée légitime, le serait tout autant une révolution destinée à bousculer le système de l'argent mis au cœur de tout et devenu âme de tout.

La question n'est finalement pas : « peut-on encore changer ce monde-là ? », car les malheurs qu'il génère ne sont contrebalancés que par la désespérance qu'il encourage ou les fureurs qu'il suscite ; mais : « qui le changera ? Et dans quelle perspective ? »

Dit autrement : renoncer aux révolutions pour le meilleur, c'est laisser le champ libre aux révolutions pour le pire : « centrisme révolutionnaire » ou radicalité contre-révolutionnaire : tel est le choix en quelque sorte.

Hier, ce fut au nom de cinq aspirations fondatrices que l'on parvint à changer le monde : l'aspiration humaniste, l'aspiration démocratique, l'aspiration nationale, l'aspiration sociale, l'aspiration libérale.

Il s'agit, aujourd'hui, de repenser et de refonder ces cinq dynamiques-là :

l'aspiration humaniste face aux nouveaux obscurantismes cléricaux ;

l'aspiration démocratique afin d'arracher aux nouvelles nomenklaturas, y compris celles de l'argent, ce que l'on restituera aux citoyens ;

l'aspiration sociale qui doit être opposée à la contre-réforme régressive générée par un néo-capitalisme anthropophage ;

l'aspiration nationale — fût-elle européenne — face au nouvel impérialisme hégémonique ;

l'aspiration libérale, enfin, qui, en rupture avec ce néocommunisme privatisé qu'instaure peu à peu un ultracapitalisme planétaire de monopole, permettra de restaurer la diversité, la pluralité, la concurrence, le libre accès au marché, et le véritable esprit d'entreprise.

Oui, on peut encore changer le monde. On le doit !

Jean-François Kahn


Dessin :

mardi, août 21, 2012

Changer le monde





En ce début de troisième millénaire, notre monde subit les tourments d'une trinité infernale : la maladie, l'injustice, la pauvreté.

Selon des chrétiens hérésiarques :

« La médecine connaît un revirement funeste : certains médicaments "miracles" pourraient avoir perdu leur pouvoir. Des maladies infectieuses telles que la lèpre et la tuberculose, qui par le passé ont fait des millions de victimes, étaient il y a quelque temps encore neutralisées par des antibiotiques, le premier étant entré en usage dans les années 1940. Aujourd'hui toutefois, on assiste, selon le compte rendu de l'OMS Journée mondiale de la santé 2011, à une accélération de l'émergence et de la propagation de germes pathogènes qui résistent aux médicaments. De plus en plus de médicaments essentiels deviennent inefficaces. L'arsenal thérapeutique se réduit. »

« En octobre 2011, poursuivent les hérésiarques, Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, a constaté : "Notre monde est parcouru de terribles contradictions. De la nourriture en abondance, mais un milliard de personnes qui ont faim. Un train de vie luxueux pour un petit nombre, la pauvreté pour beaucoup d'autres. D'énormes progrès en médecine, mais des mères qui chaque jour meurent en couches [...]. Des milliards dépensés dans un armement destiné à tuer plutôt que dans la protection des populations". »

Quant à l'économie mondiale, expliquent les pessimistes sectateurs chrétiens, « elle est au bord d'une crise de l'emploi extrêmement grave qui risque de déclencher des troubles sociaux. La récente décélération de la croissance laisse supposer que les créations d'emplois ne répondront qu'à la moitié de la demande [...]. L'Organisation Internationale du Travail a évalué le degré de mécontentement que génèrent le manque de travail et le sentiment d'une répartition inégale du poids de la crise. Les résultats indiquent qu'une agitation sociale guette quantité de pays, particulièrement ceux de l'Union européenne et de la région arabe. »

Ils ajoutent : « Aux États-Unis (où la secte est bien implantée), la dette moyenne contractée par carte de crédit s'élève actuellement à plus de 11 000 dollars. un montant qui a triplé depuis 1990 ». Dans le livre L'épidémie de narcissisme (angl.), publié en 2009, on lit que beaucoup s'endettent simplement pour projeter une image de richesse. « Quand un Américain voit une personne possédant une voiture et des vêtements luxueux, il en déduit qu'elle est riche. En fait, il y a plus de chances qu'elle soit endettée. »

(Source : Le monde peut-il changer ? Réveillez-vous ! Juillet 2012)


Le projet de Jean-Marc Jancovici

6 000 milliards d'euros pour vivre avec moins de carbone et plus de radioactivité.

Contrairement aux sectateurs chrétiens qui attendent l'intervention de Dieu pour résoudre les problèmes de l'humanité, Jean-Marc Jancovici, un pronucléaire qui a collaboré à l'élaboration du pacte écologique de la fondation Nicolas Hulot, envisage de changer le monde grâce à un nouveau projet de société, tout entier tourné vers une économie « décarbonée ». Il écrit :

« La situation économique des décennies à venir a toutes les chances d'être extrêmement agitée, ce qui se traduira par de nouveaux problèmes bancaires dans les pays qui ont favorisé un fort endettement des ménages et des États. Or, les États-Unis sont montés tellement haut dans la constitution d'une montagne de dettes, contractées par des débiteurs dont la solvabilité deviendra douteuse en période de contraintes énergétiques, que l'on peut craindre que, dans les dix à vingt ans à venir, ils soient beaucoup plus occupés par la débâcle financière qu'ils risquent d'avoir à gérer que par les enjeux de long terme qui pourraient hélas ne jamais apparaître à la bonne place sur leur écran radar. Et, tant qu'ils connaîtront des difficultés intérieures, ils seront probablement tentés par un fort repli isolationniste, comme ils l'ont montré à maintes reprises dans l'histoire. Certes, les États-Unis restent un pays surprenant, et il ne faut jamais préjuger de rien, mais il n'est pas complètement exclu qu'ils restent prisonniers de l'héritage du passé, alors que les pays asiatiques n'ont pas (encore ?) ce problème. Ce sont des pays neufs, mais qui vont avoir comme nous des problèmes d'accès aux ressources. Le retour de la Chine dans la cour des grands, à la place où elle a été pendant quasiment toute l'ère chrétienne, impose de toute façon une politique coordonnée Europe-Asie, dont le carbone pourrait constituer un des fondements.

Revenons chez nous pour finir, et voyons ce que nous aurions en portefeuille en misant « tout sur la décarbonisation ». Un programme de rénovation lourde des bâtiments viables ? Disons 500 milliards ! Un programme d'indemnisation des propriétaires de bâtiments non viables pour leur permettre de déménager ? Si cela concerne un tiers des logements bâtis, qui sont les plus excentrés et les moins chers, et que nous calons cette indemnité sur 500 euros par mètre carré, cela fait 400 milliards d'euros. Ajoutons quelques centaines de milliards pour transformer l'immobilier industriel et tertiaire, pour faire bonne figure. L'élimination de 30 millions de voitures pour les remplacer par de nouvelles 2 CV et quelques voitures électriques ? A 10 000 euros pièce, voici une addition à 300 milliards. Le remplacement de la moitié des procédés industriels en fonction ? Sachant que l'investissement industriel représente quelques dizaines de milliards par an, vingt ans de « verdissement » de 50 % de cet investissement et c'est encore 500 milliards qui s'ajoutent. La transformation de notre agriculture ? Probablement 50 à 100 milliards d'investissements, au bas mot. Le remplacement des frigos, machines à laver, ascenseurs, et j'en oublie ? Encore des milliards par centaines !

Notre affaire, sur les quarante ans qui viennent, va donc demander quelques milliers de milliards d'euros d'investissements, disons entre 3 000 et 6 000 s'il faut donner une fourchette. Dans quel but proposer cet alignement de milliards ? Pour montrer que nous n'y arriverons jamais ? Au contraire ! cela montre par les chiffres que la décarbonisation de l'économie est une affaire d'une telle ampleur qu'elle mérite mille fois le titre de projet de société. Mieux, elle ne peut bien fonctionner que comme telle : nous ne l'obtiendrons pas comme conséquence à la marge d'« autre chose ». À défaut de la vouloir, cette décarbonisation massive, ce qui nous attend est une réédition de craquements comme nous en avons connus avec une intensité croissante depuis 1975, chaque choc étant plus ter-rible que le précédent, jusqu'au moment où la pénurie de ressources fera voler en éclats la civilisation actuelle. Il est encore temps de transformer cette contrainte en opportunité. Qu'est-ce qu'on attend ? »

Jean-Marc Jancovici



de Jean-Marc Jancovici

L’énergie procède de la transformation de la matière. L’économie n’étant rien d’autre qu’une machine à transformer des ressources, nos sociétés industrielles sont de plus en plus gourmandes en énergie, alors même que les stocks susceptibles de leur en fournir, que ce soit du charbon, du pétrole ou de l’uranium, diminuent inexorablement. 

Partant de ce constat, Jean-Marc Jancovici montre que les espoirs placés par nos gouvernants dans la reprise de la croissance sont illusoires et dangereux : dans une économie monde qui dépend des énergies fossiles, plus vite la croissance repartira, plus vite arrivera le prochain choc pétrolier qui la tuera à nouveau.

Il faut sortir de cette spirale infernale. L’éolien, le solaire seraient-ils une solution ? Billevesées, démontre J.-M. Jancovici : leur coût est astronomique et leur contribution actuelle, insignifiante. Le nucléaire, alors ? C’est souvent une excellente formule de transition, qu’il faut perfectionner et développer. 

Mais surtout, il faut un nouveau projet de société, tout entier tourné vers une économie « décarbonée ». Un tel projet touchera à tout : nos métiers, notre habitat, notre système de soins, notre agriculture, notre alimentation, notre mobilité, notre lieu de vacances, notre armée et notre diplomatie, la consolidation de l’Europe, les procédés industriels, la productivité du travail et la gestion des retraites…

Pour éviter l’impasse, chacun de ces compartiments de la société doit être libéré au plus vite de sa dépendance au carbone, et J.-M. Jancovici propose des pistes concrètes pour y parvenir.

Tout un programme, certes, mais prendre la contrainte carbone à bras le corps n’est pas une option, écrit-il. Si nous ne faisons pas le premier pas, c’est elle qui choisira la forme de l’étreinte !


lundi, août 20, 2012

Quand un « barbare » moderne relit Guénon


Portrait de René Guénon, dessin de Pierre Laffilée


par Jacques Bergier 

Les livres de Guénon ne comportent pas de bibliographie, car Guénon disait : « Nous n'avons point à informer le public de nos véritables sources... Celles-ci ne comportent point de références. » Ce qui fait que sur les sources de René Guénon on peut émettre deux hypothèses :

1° il avait réellement des sources traditionnelles remontant aux anciennes civilisations disparues ;

2° c'était un intuitif de génie, comme les auteurs de science-fiction.

J'aurais plutôt tendance à pencher pour la seconde solution. Venons-en maintenant aux thèmes de Guénon et à leurs rapports avec la science la plus avancée.

La géométrie et la magie

Guénon parle constamment de l'existence d'une géométrie magique dont les symboles exprimeraient des réalités plus importantes que celles que nous connaissons. Or prenons un des livres les plus importants de la science moderne : Stabilité structurelle et Morphogénèse, de René Thom.

Le professeur René Thom, de l'Institut des hautes études scientifiques de Bures-sur-Yvette, est un mathématicien éminent. Voici ce qu'il écrit :

« Comme on le verra au chapitre XIII, la géométrie euclidienne classique peut être considérée comme une magie ; au prix d'une distorsion minime des apparences (le point sans étendue, la droite sans épaisseur...), le langage purement formel de la géométrie décrit adéquatement la réalité spatiale. En ce sens, on pourrait dire que la géométrie est une magie qui réussit. J'aimerais énoncer une réciproque : toute magie, dans la mesure où elle réussit, n'est-elle pas nécessairement une géométrie ? »

Certains physiciens, comme John A. Wheeler, qui fit avec Niels Bohr la théorie de la fission de l'uranium, vont encore plus loin. Wheeler a fait une théorie qu'il appelle la géométrodynamique. D'après cette théorie, l'espace aurait une géométrie complexe si on le considère sur des longueurs trop petites, inférieures à 10-¹³ centimètre. Et cette géométrie ferait que l'espace apparemment vide contiendrait en réalité des réserves d'énergie beaucoup plus importantes que l'énergie nucléaire.

L'utilisation pratique de cette géométrodynamique de Wheeler serait une véritable magie : transfert immédiat d'énergie d'un point à l'autre de l'Univers par ce que Wheeler appelle les trous topologiques, production d'une énergie illimitée et facilement maniable, transformation de toute forme de matière en une autre forme de matière.

Si on admet un instant que l'homme en état de condition surhumaine ou des êtres supérieurs à l'homme peuvent manier cette géométrie par la puissance de leur esprit, la magie est bien une géométrie dans un sens totalement réel.

Que Guénon ait pu exprimer, dès 1932, les idées les plus avancées de la science de 1973 est curieux. Évidemment, ces idées existaient déjà dans la science-fiction. Mais justement Guénon paraît avoir tout ignoré de la science-fiction...

Les barrières du temps

Guénon parle, notamment dans le Règne de la quantité et le Signe du temps, des limites de l'histoire. Ces limites sont dues, selon lui, à des barrières dans le temps, qui font que certaines époques ne sont pas du tout accessibles à partir du présent et que d'autres exigeraient, pour les atteindre par la recherche historique ou archéologique, un temps supérieur à la durée de notre civilisation. L'idée a de quoi choquer un savant rationaliste classique. Pour un tel savant, qui s'en tient généralement à la relativité einsteinienne, le temps est une dimension de l'Univers, et il est tout aussi raisonnable de parler, par rapport à nous, de l'an - 5000 que de l'an - 500. 


Le temps n'est pas si simple

Cependant, une réflexion plus poussée, partant du principe d'incertitude d'Heisenberg, a conduit des physiciens à d'autres conceptions.

Il faut citer dans ce domaine les réflexions du mathématicien français Adolphe Buhl, de l'astronome anglais Gerald Mac Crea, du physicien américain John R. Pierce. Ce sont des savants officiels et sérieux. Pierce, en particulier, qui a dirigé l'étude et la réalisation su satellite de communication Telstar, est connu en France par son ouvrage extrêmement important Électrons, Ondes et Messages.

Or ces savants ont réfléchi sur la théorie de l'information en considérant ce que nous pouvons apprendre sur le passé comme un message accompagné d'un bruit qui le déforme et le couvre. Nous ne disposons pas, en effet, de la machine à explorer le temps de Wells, et nous ne pouvons pas visiter directement le passé. Nous en recevons, en quelque sorte, des messages en observant des étoiles lointaines ou en étudiant des objets qui ont existé il y a des milliards d'années, comme la Terre elle-même, ou les échantillons que nous avons de la Lune.

Si l'on applique la théorie de l'information à de telles études, on arrive à des conclusions très curieuses. Pour des périodes réellement éloignées - plusieurs milliards d'années -, le passé n'a plus de sens. Le bruit a recouvert le message, et n'importe quoi peut arriver.

Et c'est ainsi que, pour Mac Crea, la querelle entre partisans d'un « gros boum » ayant donné naissance à l'Univers et ceux de la théorie de la création continue n'a aucun sens. Elle est verbalisme pur.

Pour des époques plus proches, mettons de cinq mille à cinquante mille ans dans le passé, on arrive à une conclusion encore plus curieuse qui est due à Pierce : plusieurs passés coexistent, et, en fait, tous les passés compatibles avec les faits indiscutables qui nous sont parvenus peuvent avoir existé.

L'idée est étrange et difficile à comprendre. Je vais la trahir par une image simplifiée, ce qui est le propre de toute vulgarisation.

Aucune découverte ultérieure de l'archéologie n'empêchera les pyramides d'exister. Elles sont là visibles et tangibles. Mais le passé où les pyramides ont été construites par les Égyptiens, le passé où les pyramides ont été construites par une civilisation africaine avancée et même le passé où les pyramides ont été construites par des visiteurs extra-terrestres coexistent dans ce que nous appelons le passé.

Il n'y a pas d'histoire univoque, il n'y a pas de déterminisme historique, il n'y a pas d'évolution, il n'y a pas un passé solide et dont on puisse établir la réalité.

Comme un message téléphonique reçu sur un téléphone français (et dont on n'entend par conséquent que des fragments !) le passé autorise plusieurs interprétations, souvent mutuellement contradictoires.

Cela confirme d'une façon étonnante ce que Guénon écrit, notamment dans le Règne de la quantité et les Signes du temps, sur les limites de l'histoire. Il dit également dans le Symbolisme de la croix : « Il va sans dire que la signification réelle de ces traditions n'a absolument rien de commun avec aucune conception "transformiste", ou même simplement "évolutionniste", au sens le plus général de ce mot, ni avec aucune des fantaisies modernes qui s'inspirent plus ou moins directement de telles conceptions antirationnelles. »

Il est possible même, d'après la physique moderne avancée, que deux ou plusieurs de ces passés mutuellement contradictoires et coexistants échangent entre eux des objets.

C'est ce qui expliquerait l'apparition, anachronique, d'objet techniquement avancés au milieu de civilisations primitives.

Les assertions faites, dès 1930, par Guénon sont curieusement proches de ces explications. Or ce type d'idées avancées commence seulement à émerger en 1973.

La plupart des théories mathématiques justifiant ce genre d'hypothèses ont vu le jour après la mort de Guénon (1951), et notamment la théorie des algèbres universelles non linéaires d'Heisenberg. Si Guénon les a tirées de sources traditionnelles, ce sont réellement des sources remarquables. S'il les a imaginées, il a fait preuve de génie prophétique.

L'exploitation systématique de cette idée seule peut faire progresser l'archéologie, la protohistoire et même la philosophie à un point extraordinaire.

Une géographie complexe et sacrée

Si les idées de Guénon sur les limites de l'histoire ont de quoi déconcerter un esprit primaire, ses idées sur la limite de la géographie vont encore plus loin. 

Guénon prétend en effet que la Terre n'est pas complètement explorée et qu'elle contient des villes, des pays et peut-être des continents qu'on ne peut pas situer ni sur un planisphère à deux dimensions ni sur un globe à trois dimensions.

Il pense aussi qu'il y a des lieux qui sont différents par définition d'autres lieux, des lieux qui sont des portes s'ouvrant sur le ciel et sur l'enfer, ce que ni nos sens ni nos instruments ne peuvent déceler. Cette idée apparemment fantastique ne manque pas de fondement.

J'y ai consacré un livre : Visa pour une autre Terre. J'y signale en particulier que certaines séries de photos prises par des satellites volant entre trois cent et mille kilomètres d'altitude ne révèlent nullement notre Terre.

Dans un cas cité par Arthur C. Clarke dans son livre View from the Third Planet sur une série de deux cent cinquante mille photos prises au-dessus de la région de Detroit, aux États-Unis, une seule photo révélerait un coin de route correspondant à notre Terre. Les autres montreraient des forêts et un océan qui ne correspondraient en rien à notre époque.

Nous vivrions alors dans un monde beaucoup plus complexe et beaucoup plus étrange, et la Terre bien ronde des globes et des photos classiques ne seraient qu'une première approximation. Cette idée commence à apparaître dans les travaux de certains physiciens, comme Barrington Bayley. Elle a été beaucoup développée dans la science-fiction ; pourtant, nous le répétons, il ne semble pas que Guénon ait jamais lu une page de science-fiction.

Là aussi, la correspondance des idées guénoniennes et de la réflexion scientifique avancée est trop proche pour qu'il puisse s'agir d'une simple coïncidence.

Il va sans dire que, si l'on prend ce genre de réflexion au sérieux, si l'on envisage une "révision déchirante" de la géographie elle-même, on aboutit à un monde très différent de celui que nous connaissons.

Les réflexions de Guénon sur les rapports entre la svastika et la véritable forme de la Terre sont extrêmement curieuses. Il cite lui-même un article du Journal des débats de 1929, où il a lu ce qui suit : « En 1925, une grande partie des indiens Cunas se soulevèrent, tuèrent les gendarmes de Panama qui habitaient sur leur territoire, et fondèrent la République indépendante de Thulé, dont le drapeau est un svastika sur fond orange à bordure rouge. Cette république existe encore à l'heure actuelle. » C'est la première fois, en effet, qu'apparaît l'association entre Thulé, l'Hyperborée, la race aryenne et le svastika, association qui est classique maintenant depuis le nazisme, mais qui est très curieuse. Il est regrettable que Guénon n'ait jamais lu Lovecraft. Car il y aurait trouvé dès 1928 l'allusion au démon Chtulhu, appelé quelquefois Tulu.

Tulu, Thulé : voilà qui jette une lueur nouvelle sur les sources de l'hitlérisme.

Pour Guénon, cette expression est l'« une des plus anciennes désignations du centre spirituel suprême, appliquée aussi par la suite à quelques-uns des centres subordonnés ».

Et ce centre spirituel suprême, la ville du Roi du Monde, Luz, Avalon, Tir-Nam-Béo, n'est pas, d'après Guénon, sur la Terre connue des géographes les plus modernes ; elle est pourtant sur la Terre, et l'on peut y aller et en revenir.

D'autres sciences pour d'autres chercheurs

Pour un esprit primaire, il n'y a pas d'autre science que la sacro-sainte science occidentale. Les esprits capables de réflexion commencent maintenant à admettre qu'il y a d'autres sciences.

Parmi ces esprits, il faut mettre au tout premier rang le professeur Joseph Needham, dont le livre très important la Science chinoise et l'Occident est traduit en français. La jaquette de ce livre fait observer très justement que, « dans la radicale réinterrogation sur les rapports respectifs des civilisations à quoi nous sommes en train d'assister, [cet ouvrage est] un livre modèle : le livre qui peut nous faire sortir de notre sommeil égocentrique. »

Avant Needham, Lévi-Strauss avait déjà fait observer qu'il n'y a pas, en réalité, de pensée sauvage ou prélogique et que, si l'on ne se place pas à un point de vue raciste, on trouve partout la pensée rationnelle.

Needham fait observer très justement que « c'est précisément parce que les théologiens mystiques crurent en la magie qu'ils contribuèrent à l'essor de la science moderne en Europe, tandis que les rationalistes en entravèrent le cours ».

Son admirable livre ainsi que son histoire de la science et de la civilisation chinoise (sept volumes) montrent qu'il y a d'autres sciences dérivant d'autres conceptions et notamment de conception magiques.

Des sciences traditionnelles perdues

L'idée commence à se propager à mesure que le racisme s'éteint. C'est une idée extrêmement importante qui fut exprimée pour la première fois dans le Matin des Magiciens, mais qui, depuis, a fait son chemin. Quand on lit l'Histoire universelle de l'Unesco, quand on lit l'encyclopédie Man Myth and Magic, on est frappé par la tolérance exprimée pour l'idée d'autres sciences. La même tolérance apparaît dans la remarquable thèse de doctorat de Peter J. French : John Dee, dans les travaux admirables de Miss Frances A. Yates, notamment Giordano Bruno ant The Hermetic Tradition.

On commence à trouver comme naturel qu'un magicien comme John Dee, « allié aux démons des étoiles », comme l'écrit French, soit le premier à traduire les éléments d'Euclide en anglais et crée à la fois l'archéologie et la cartographie modernes.

Or cet état d'esprit existait, dès 1927, dans l’œuvre de Guénon. Cela est indiscutable. Dans un article sur « la Chirologie dans l'ésotérisme islamique », paru dans le Voile d'Isis en 1932, il écrivait : « De ces sciences traditionnelles, la plupart sont aujourd'hui complètement perdues pour les Occidentaux, et ils ne connaissent des autres que des débris plus ou moins informes, souvent dégénérés au point d'avoir pris le caractère de recettes empiriques ou de simples "arts divinatoires", évidemment dépourvus de toute valeur doctrinale. »

Un seul homme, à ma connaissance, avait à cette date une telle largeur d'esprit : c'est l'archéologue américain A. Hyatt Verrill. Encore exprimait-il ses idées sous forme de science-fiction, notamment dans le roman le Pont de lumière. Guénon ne l'a certainement pas lu.

Grâce aux travaux de Needhamm, nous commençons à connaître la science chinoise, et nous avons appris en particulier que la boussole magnétique n'est pas une découverte due au hasard ou à l'expérimentation de laboratoire, mais qu'elle est l'application directe d'une magie cosmique. Les idées de Guénon sur les sciences traditionnelles sont très curieuses. D'après lui, la dernière civilisation qui nous a précédés avait une société construite en systèmes de castes, un peu comme l'Inde il y a quelques siècles. Il y avait en particulier une caste des artisans, qui avait des techniques sans bases scientifiques, et nous recherchons en vain une base rationnelle alors que c'étaient uniquement des techniques expérimentales : astrologie, alchimie, médecine sacrée, architecture sacrée. Il y avait également une caste de savants qui étudiaient des sciences dont nous n'avons pas la moindre idée. L'objet lui-même de ces sciences nous est totalement inconnu.

La nature des travaux poursuivis par ces savants d'une civilisation disparue, leurs éventuelles applications pratiques nous sont totalement étrangères parce que nous sommes plongés dans un « sommeil égocentrique ».

Si nous arrivons à sortir de notre sommeil et à concevoir d'autres sciences, il n'est pas exclu d'ailleurs que les connaissances sur cette science sortent à la surface et que certaines bibliothèques s'ouvrent à nous.

Comme le dit Talbot Mundy : « Alors que l'empereur Akbar recherchait en vain les neuf livres secrets des neuf Inconnus, ceux-là étaient cachés à moins de cinq minutes de marche de son palais. »

Comme le dit Meyrink, « Troie aussi était tenue pour une légende ».

Le Kali-Yuga, âge des ténèbres

Je pense avoir montré qu'un réexamen de l’œuvre de Guénon, dans un esprit moderne, peut être extrêmement profitable pour la science.

Là où je me sépare complètement de lui, c'est lorsqu'il annonce un Kali-Yuga, un âge des ténèbres, la fin de notre civilisation et la destruction prochaine du monde par les escargots géants et les hippies ( ! )

La science moderne et la technologie moderne, dont la puissance sera encore accrue par les apports des autres sciences, n'aura aucune difficulté à résoudre les problèmes qui nous préoccupent. Ce qui nous attend, c'est non pas le Kali-yuga, mais le matin des magiciens. A mes yeux, le pessimisme de Guénon était absolument injustifié.



dimanche, août 19, 2012

Lamas collabos





« À la fin de la dynastie des Ming, la Chine était dans un tel état de désagrégation sociale qu'il ne fallut qu'un coup d'épaule pour qu'en 1644 les Mandchous, dévalant du nord-est, en prennent possession et y instaurent la dynastie des Qing, la dernière dynastie impériale. Confrontés à un problème démographique simple — la population dont ils venaient de se rendre maîtres était cinquante fois plus nombreuse que leur propre peuple —, ils s'allièrent avec leurs cousins ethniques, les Mongols, et leurs cousins religieux, les Tibétains.

Les Mandchous pratiquaient en effet un bouddhisme tantrique très proche de celui des Tibétains. Les lamas se virent dès lors gratifiés de nombreux privilèges. En 1732, l'empereur Yongzheng, après son accession au trône, fit don de sa résidence personnelle à une communauté de moines tibétains : c'est ainsi que fut institué le temple des Lamas que visitent tous les touristes qui arrivent à Pékin, sans bien souvent s'interroger sur l'étrangeté d'un sanctuaire tibétain d'une telle importance (il compta jusqu'à trois cents moines) en plein cœur de la capitale chinoise. L'empereur Qianlong, lui, alla jusqu'à se faire construire dans le secteur ouest de la Cité interdite (actuellement fermé au public) un véritable temple tibétain, le pavillon de la Pluie de Fleurs. Peu soulignées en Occident, ces faveurs firent naître chez les Chinois un sourd ressentiment, les Tibétains étant perçus comme les « collabos » des envahisseurs mandchous, lesquels multipliaient les mesures cruelles ou vexatoires envers les Chinois, comme le port obligatoire de la natte sous peine de mort. » (Cyrille Javary)

Aujourd'hui, des dignitaires du lamaïsme mondialisé ne sont-ils pas des collabos de l'impérialisme étasunien ? « Lentement mais sûrement, constate Elisabeth Martens, les USA placent leurs bases militaires autour de la Chine, là où le Dalaï-lama réunit des fidèles par centaines de milliers : Taïwan, Corée du Sud, Japon, Mongolie. Depuis peu, les États-Unis ont le projet d'installer quelques bases navales supplémentaires en Mer de Chine orientale, à proximité de Pékin. Actuellement, ils sont en pourparlers avec la Mongolie pour implanter de nouvelles bases militaires dans les steppes. » (voir la carte sur le site de « International Institute for Strategic Studies » www.iiss.org/about-us )



samedi, août 18, 2012

Alan Watts





Décembre 1973, « le ferry-boat centenaire S.S. Vallejo, ancré dans la baie de Sausalito, à quelques kilomètres de San Francisco, est déserté. Alan Watts n'y dormira plus entouré de ses chats, n'y réunira plus de séminaires sur les philosophies et les religions orientales, n'y écrira plus de livres. La maison bibliothèque, qu'il avait installée depuis quelques années dans les collines de Mill Valley pour pouvoir travailler sans être dérangé par les amis, les disciples en quête d'une parole, d'un signe, d'un réconfort, est aussi fermée. Alan Watts est mort brusquement, pendant son sommeil, dans la nuit du 17 au 18 novembre dernier.

Avec Herbert Marcuse, Norman Brown, Allen Ginsberg, Paul Goodman, il a été l'un des maîtres à penser du mouvement hippie. Entre 1967 et 1970, à l'époque où une partie de la jeunesse américaine, généreuse et malheureuse, était massivement concentrée à New York autour de Washington Square, à San Francisco dans le quartier de Haight-Ashbury, les journaux underground de la côte est, comme The Village Voice, ou de la côte ouest, comme The Oracle, sollicitaient presque chaque semaine ses analyses, ses commentaires, ses réflexions. Dans leurs colonnes, il dialoguait avec Buckminster Fuller, dont il partageait souvent les points de vue bien que leurs démarches intellectuelles fussent différentes, et Hermann Kahn, dont il réfutait les positions et les affirmations. Le phénomène hippie a été constitué de mouvements convergents. Certains étaient convaincus par les froides analyses politico-philosophiques de Marcuse ; d'autres étaient sensibles aux incantations poétiques de Ginsberg. Watts a réuni tous ceux qui aspiraient à un renouveau de la spiritualité, tous les esprits religieux et mystiques, tous les partisans de la non-violence non seulement entre les hommes, mais aussi à l'égard de l'univers, tous les contestataires des dualismes enracinés au cœur de la pensée et de la philosophie occidentales.

Il avait été un des leaders de la Beat Generation, derrière Kerouac et Ginsberg. Il a été l'initiateur des recherches spirituelles — sauvages et désordonnées parfois — qui se développent aux États-Unis. Il a été mêlé au mouvement psychédélique au côté de Timothy Leary et y a joué un rôle modérateur (à propos des drogues telles que le L.S.D., il a écrit maintes fois qu'elles sont comparables au téléphone et qu'il faut savoir raccrocher quand on a eu la communication). Il a contribué à la naissance des centres pour le développement du potentiel humain, tels que l'Institut Esalen, à Big Sur. Il a été également l'initiateur du mouvement écologique avant que le mot soit passé dans le langage commun.

Alan Watts est mort — ou, plus exactement, il s'est fondu dans le grand univers dont, affirmait-il dans ses causeries et ses livres, il ne s'est senti à aucun moment distinct. Avant lui, le mouvement hippie était mort — ou peut-être seulement s'était-il fondu dans la masse américaine en en imprégnant profondément la pâte. Ce mouvement, qui marqua sans doute le sommet de sa célébrité, ne l'avait pas changé, pas plus qu'il ne l'avait fabriqué. A la fin des années 60, une certaine jeunesse américaine s'était reconnue en lui et l'avait choisi. Lui, il était en route depuis longtemps ; il venait de très loin ; il avait avancé « à sa manière », selon le titre de l'autobiographie qu'il a publiée en 1972 : ln my own Way, an Autobiography .

Alan Watts était né en 1915 à Chislehurst (Grande-Bretagne) d'un père qui s'est défini lui-même comme pétri de tradition victorienne et d'une mère pour qui la Bible était la vérité, et la seule vérité. Il avait été élevé dans le strict respect de l'esprit et des principes religieux. S'il s'était écarté de la lettre des principes qui lui avaient été inculqués dans son enfance, il n'avait rompu jamais avec leur esprit.

Très jeune, il étouffe au sein de l'anglicanisme familial. Sa curiosité se tourne vers l'Orient et, à 16 ans, il assiste déjà aux réunions d'une loge bouddhiste. Dans son domaine, Watts a été un enfant prodige, constate Theodore Roszak dans son livre Vers une contre-culture. En effet, à 19 ans, il est rédacteur en chef de la Voie du Milieu, une revue anglaise d'études bouddhistes. A 23 ans, il est codirecteur d'une collection d'ouvrages intitulée Sagesse de l'Orient ». Quand il émigre aux États-Unis, A la veille de la guerre, il est docteur en théologie et docteur en philosophie. Il a déjà publié plusieurs livres, dont l'Esprit du zen (1936). Il s'installe en 1939 aux États-Unis, parce que c'est le seul pays, estime-t-il, où un individu peut se déclarer philosophe et vivre de la philosophie sans s'intégrer au inonde universitaire.

Alan Watts vit de ses écrits, de ses conférences, de cours, aussi, qu'il donne sur l'histoire des religions et sur les religions comparées, mais sans chercher A faire carrière dans la hiérarchie universitaire américaine, sans être rattaché à une université particulière. En 1945. il est ordonné prêtre anglican et exerce son ministère pendant cinq ans dans la banlieue de Chicago, sur le campus de la Northwestern University. Mais, reconnaît-il dans son autobiographie, il ne s'est jamais senti à l'aise dans ce rôle.

Dès 1950, Man Watts s'installe à Sausalito, sur un ferry-boat déjà occupé par le peintre Janos Varga et qui dresse sa carcasse noire dans le ciel lumineux de Californie. Il enseigne d'abord pendant quelques années à San Francisco, à l'Académie des Études asiatiques, mais bientôt il réalise son rêve : être un philosophe libre, c'est-à-dire sans obligations professionnelles.

Il publie, il voyage dans le monde entier, en particulier au Japon, il donne des conférences. Un extraordinaire talent de conférencier et d'écrivain a fait de lui le vulgarisateur de la pensée orientale aux États-Unis. Nul ne lui conteste d'avoir révélé le zen aux intellectuels américains, grâce, en particulier, à un sens du verbe, de la formule, de l'image qui frappent. Dans sa bouche, sous sa plume, les idées les plus abstraites deviennent claires, prennent vie, s'animent comme un poème. Parce qu'il en fait sa vie et non un simple objet d'étude.

Les spécialistes de la philosophie ou des religions ont critiqué parfois les analyses et les présentations qu'il faisait des questions les plus ardues. Ils lui ont reproché de manquer de rigueur. Watts n'en avait cure, car son but était d'éveiller, d'enthousiasmer, de faire participer. Il aspirait moins à enseigner telle ou telle discipline qu'à faire saisir aux Occidentaux, en leur dévoilant le mode de pensée oriental, qu'ils avaient perdu le sens de la vie en se fiant trop à la technique. Il voulait raviver leur sensibilité, les réconcilier avec le cosmos dont ils vivaient séparés. Watts souriait également lorsque certains s'étonnaient de le voir fumer tant de petits cigares, boire de l'alcool avec délice et, parfois, abondance, faire la cuisine avec gourmandise, parler de la femme comme d'une source de plaisirs sensuels. Il connaissait ses contradictions. Il s'en accommodait, plus préoccupé de vivre ses pensées que de les mettre toutes en accord entre elles, plus soucieux de se vivre que de se connaître. Il n'a jamais prétendu être un saint ni un sage. « Je ne suis que le porte-parole de la sagesse », répondait-il à ceux qui voulaient le prendre en flagrant délit de contradiction.

Dans la nuit du 17 au 18 novembre 1973, à plusieurs milliers de kilomètres de San Francisco, mourait également Mlle Mira Alfassa, de nationalité française, fille d'un banquier d'origine égyptienne. Mlle Mira Alfassa était connue et vénérée dans toute l'Inde, et en Occident, comme « la Mère » de l'Ashram fondé naguère à Pondichéry par Sri Aurobindo. La sagesse et son porte-parole s'éclipsaient au même instant : à cette coïncidence, Alan Watts aurait trouvé un sens.

J'avais dîné à Paris en sa compagnie deux semaines avant sa mort, et il n'était sûrement pas désireux de nous quitter. Il n'était las de rien, sauf peut-être de la lassitude qui use quand on lutte toute une vie à contre-courant. »

Jacques Mousseau


vendredi, août 17, 2012

Poésie & bouddhisme





Dans la Chine ancienne, l'usage de chanter (ou de rédiger) des poèmes au moment de mourir, se généralisa chez les moines bouddhistes, « et, précise Paul Demiéville, il est curieux d'observer dans ces pièces à quel point les représentations de nature s'imposent à ces religieux lorsque sonne leur dernière heure. Voici par exemple ce qu'écrivit au moment de mourir, en 568, sur le papier qu'il demanda avant de jeter le pinceau pour serrer les mains de ses confrères, le moine Tche-k'ai qui avait passé sa vie à étudier la scolastique la plus savante de l'Abhidharma indien :

Vains sont ces textes que je laisse à pleins paniers ;
Ils ne font que brouiller mon destin à venir.
Voici que s'assombrit le chemin vers les Sources ; *
Voici pur et glacé le tumulus transi.
La rosée d'un matin s'est toute évaporée ;
Il n'y a plus que dans la nuit le bruit des pins.

[...]

A partir du milieu de la dynastie des T'ang, toutefois, quand l'école du Tch'an (Ch'an, Zen au Japon) a pris forme et que son influence domine peu à peu toute la vie intellectuelle, on voit des poètes comme Wang Wei (701-761), Pai Kiu-yi (772-846) et son ami Lieou Yu-si (772-842), plus tard encore Sseu-k'ing T'ou (837-908) ou Wei Tchouang (vers 900), se montrer plus familiers avec les doctrines spécifiques du Tch'an. Plusieurs d'entre eux rédigèrent les inscriptions funéraires des grands maîtres du Tch'an décédés de leur temps.

[…]

C'est aussi vers la fin des T'ang, alors qu'on voit ainsi la poésie du Tch'an adopter les formes et les procédés de la lyrique classique, que se développent des théories esthétiques identifiant l'inspiration poétique à l'intuition du Tch'an. Dès la fin du VIIIe siècle un poète laïc, Tai Chan-louen, écrivait que « l'esprit poétique ouvre la porte du Tch'an », et dans les vers de Ts'ien K'i, à la même époque, la poésie va de pair avec la religion, toutes deux définies du reste en termes naturistes :

La pensée poétique se trouve parmi les bambous ;
L'esprit du tao naît au-dessous des pins.

Au début du siècle suivant, Lieou Yu-si (772-842) met en valeur le rôle que peut jouer dans la création poétique le recueillement mystique à la manière bouddhique. Ce thème va prendre une importance croissante sous les Song. « Entre Tch'an et poésie, pas de différence ; l'illumination (l'« éveil », wou) du pinceau est pareille à l'illumination du Tch'an », écrit Li Tche-yi à son ami le grand poète Sou Che (Son Tong-p'o, 1036-1101), qui qualifiait la poésie de Li Tche-yi de « recueillement au pinceau ». L'époque des Song (960-1279) est celle du « Tch'an de la lettre » (wen-tseu tch'an), d'un Tch'an littéraire bien différent du Tch'an des T'ang qui abominait la « lettre » et se targuait de « ne pas instituer d'écrits » La littérature avait pris sous les Song une expansion nouvelle dans toutes les classes de la société, et sous la menace des barbares, qui occupaient tout le nord de la Chine, les lettrés se repliaient vers la religion, comme il était déjà advenu à l'époque des Six Dynasties ; plus que jamais, ils fréquentaient les maîtres du Tch'an qui se comportaient eux-mêmes en lettrés. Le Tch'an tombe alors aux mains des lettrés et des esthètes. Il donne naissance à toute une esthétique, qui se formule dans des « poèmes sur la poétique » et, surtout, dans des recueils en prose intitulés « Propos sur la poésie » (che-houa). Ceux-ci représentent, sous la forme bien chinoise de notes éparses et sans système, de véritables traités d'esthétique poétique. Le plus célèbre de ces recueils est celui de Yen Yu (vers 1200). La poétique de Yen Yu repose essentiellement sur l'assimilation de la poésie au Tch'an ; il prétend « traiter de la poésie comme on traite du Tch'an ». Ce qu'il retient du Tch'an, c'est l'insistance sur l'intuition, l'illumination, l'« éveil » (wou), l'esprit par opposition à la lettre : « De même que le principe du Tch'an est tout entier dans l'illumination irrationnelle, de même le principe de la poésie... Il y a dans la poésie une certaine qualité qui n'a rien à faire avec l'écrit, un certain goût qui n'a rien à faire avec la raison. » Comme le disait un auteur contemporain, Wou K'o (mort vers 1174), il faut se garder des « vers morts », terme qu'il empruntait à ce logion de Leang-kiai de Tong-chan : « On appelle phrase morte une phrase dans le langage duquel il y a encore langage ; une phrase vivante est celle dont le langage n'est plus langage. » « En poésie comme en Tch'an », déclare un autre auteur des Song, « il n'y a pas deux méthodes : il faut rendre au serpent mort le venin de la vie. » Yen Yu soutient qu'en poésie « tout est dans l'inspiration », une inspiration tellement insaisissable qu'il la compare à l'antilope qui, pour couper sa trace, se pend par les cornes à la branche d'un arbre (comme le font au Valais les chamois en hiver) : autre image tirée d'un maître du Tch'an du IXe siècle. L'art poétique de Yen Yu, qui s'opposait du reste à d'autres tendances esthétiques fondées sur l'érudition et la « raison », a eu de longs échos en Chine, jusqu'au XVIIIe siècle où elle fut reprise par un théoricien confucianiste, encore très lu de nos jours.

Il y aurait beaucoup à dire sur les rapports du Tch'an et de la poésie à partir des Song. L'époque des Song elle-même n'est ici qu'a peine abordée. Comment ne pas mentionner le « Recueil de la falaise verte » (Pi-yen lou), vaste somme de la littérature antérieure du Tch'an qu'enrichissent les célèbres interprétations versifiées de Siue-teou (XIe siècle) ? »

Paul Demiéville

Ce livre est divisé en quatre parties

1. Nous avons porté notre réflexion sur les dix-sept Règles du Recueil de la Falaise verte en nous aidant des pensées de six Maîtres éminents du Zen des XVIIe et XVIIIe siècles, en particulier celles de Ryôkei et de Hakuin. Parmi toutes ces Règles, notre préférence va à « Tch'ang-cha, printemps et automne (IV-1) » : elle a inspiré notre choix pour la couverture de ce livre qui représente « Le printemps à un temple du Zen de Kyôto (Tenryû-ji) ».

2. Poésies de la Montagne froide commentées par un choix d'auteurs d'Orient et d'Occident...

3. Un conte inoubliable de KUNIKIDA Doppo.

4. Des poésies de Sengaï (1750-1837). Pour comprendre les poésies de Sengaï ayant pour sujet les enfants, la lecture du catalogue de l'exposition « L'enfant et l'ukiyo-e (Quotidien et fantastique dans l'estampe japonaise), organisée par la Maison de la culture du Japon à Paris, est vivement recommandée. On peut y voir « Enfant qui joue avec un chat », « Enfant qui apprend à calligraphier », « Enfants qui pointent leurs doigts en direction de la lune », « Enfants s'amusant dans la neige », « Enfants s'amusant à pêcher », « Enfants qui chassent des lucioles », « Espiègleries », etc.

Nous avons conçu personnellement les titres des poésies concernant la Montagne froide et celles de Sengaï.

Maryse et Masumi Shibata

jeudi, août 16, 2012

Jacques Catinat, « Transmaître »




« La photo de classe, qui a presque soixante ans, c'est l'image de vies minuscules mêlées de joies et de tristesse, de deuils d'enfances, de regrets, d'élans empruntés et déjà de rancœur. Les enfants sont méchants entre eux et oublient, on le croit trop souvent, les moqueries des amis, non admis dans un cercle restreint de jeux de cours d'école ou de ferme, d'arrières boutiques, de poulaillers, de puciers, d'ombres cachées », écrit Jacques Catinat dans « Transmaître », son dernier livre.

Comme un maître taoïste ou bouddhiste de l'école Ch'an, l'auteur répète cette vérité universelle qui devrait définitivement nous affranchir des gourous :

Ce qu'il faut trouver est invisible
Ce qu'il faut dire est indicible
Ce qu'il faut savoir ne sert à rien
La vérité est encore dans le non-pensé
Dans le non-formulé. 

C'est cette approche du non-formulé que tente de se transmettre Jacques Catinat :

Transmettre par la poésie
comme un guide de connaissance
du monde à travers soi et inversement
la lumière est là pour le mystère
intérieur extérieur.

[…]

La philosophie poétique de Catinat reste sur terre, mais une terre de plus en plus dénaturée par le productivisme agricole :

Les générations du futur ont autre chose à faire
que de s'occuper des bombes à retardement de leurs pères
parsemées dans la nature.
Avec le consumérisme en fond de teint
il faudra beaucoup de maquill'âges
pour éviter les pays'âneries.
Les agriculteurs d'aujourd'hui sont des industriels
et leur complicité ne me donne pas confiance en l'avenir.

Le coût minimum de la malbouffe
Va vous coûter très très cher, espèces de oufs
L'OGM est banalisé depuis longtemps
Autant que le paysan est un vieux parent

Je ne prends pas partie
J'ai toujours fait confiance à la nature
Ne soyons pas jaloux
La mondialisation chamboule notre raison

Ce n'est pas le produit qu'il faut contrôler
C'est l'industrie
Ce n'est pas le paysan breton
Qui a fabriqué l'algue verte

Puisqu'on ne nous dit pas tout
On peut tout imaginer
Les politiques et les paysans
Mêmes combats mêmes mensonges

S'il faut être chercheur
Pour être consommateur
Tuons d'abord les manipulateurs
Il y a des contrôles passoires


C'est louche !

Les livres de Jacques Catinat :

mercredi, août 15, 2012

Massacre des musulmans du Myanmar





Sur le site de Mediapart, Maryam al Shamiya dénonce le « massacre à huis-clos des Birmans musulmans et le silence honteux des médias ».

Une photographie (ci-dessus) accompagne l'article de Maryam al Shamiya (ci-dessous). Sur cette photo on distingue nettement des moines du bouddhisme Mahayana (probablement des Tibétains). Ils sont confondus avec les moines birmans appartenant au bouddhisme Hinaya qui est très répandu au Myanmar. Les tenues monastiques des deux traditions bouddhistes sont différentes. Ce document photographique est probablement un grossier montage. Mais nous ne doutons pas que des atrocités sont commises en Birmanie (Myanmar) au nom de la religion.

L'article de Maryam al Shamiya :

Depuis la prise du pouvoir par une junte militaire en 1962, et particulièrement depuis les années 1980, les déplacements forcés et les persécutions des minorités ethniques sont devenues un phénomène courant en Birmanie.

Le Comité International de la Croix Rouge (CICR) affirme que le gouvernement militaire birman crée un climat de peur permanent parmi la population et a forcé des milliers de personnes à joindre les rangs de déplacés vers l’intérieur ou de fuir à l’étranger.


On estime à 2 millions le nombre de Birmans qui ont fui en Thaïlande à l’Est du pays.

Les Rohingyas, minorité musulmane convertie au XVIème à l’Ouest du pays dans l’État de l’Arakan (ou Rakhin), sont une cible privilégiée des différents pouvoirs birmans qui leur ont nié leur nationalité et les considèrent comme immigrés clandestins. Une loi promulguée en 1982 les a déchus de leur citoyenneté, les transformant en apatrides et étrangers dans leur propre pays.

Ils connaissent un premier exode en 1978. 200 000 Rohingyas ont fui le pays pour le Bengladesh pour échapper aux persécutions lancées à l’occasion d’un recensement destiné à déterminer la nationalité des habitants.

Le deuxième exode en 1991-1992, 260 000 personnes, eut lieu pour éviter leur enrôlement dans des travaux forcés.

Actuellement, depuis le mois de mai 2012, les persécutions contre les Rohingyas se multiplient. La communauté bouddhiste majoritaire dans l’Arakan appuyée par les autorités militaires empêche l’acheminement des denrées alimentaires et produits de première nécessité vers leurs villages. Assassinats et viols sont perpétrés dans l’impunité. Les mosquées et des villages entiers sont brûlés.


Ces exactions menées sur les 800 000 Rohingyas résidant encore dans leur pays d’origine constituent un véritable génocide.


Nous interpellons les différentes associations et organisations des droits de l’homme pour qu’elles exigent que ces zones soient visitées par des médias indépendants et des équipes d’investigation.

Aucun groupe humanitaire n’a accès aux réfugiés Rohingyas.

La répression qui s’abat sur eux s’est accrue dramatiquement depuis le lancement de réformes soutenues par Washington et la visite du chef du Département d’État étasunien en la personne de Hillary Clinton.

Nous demandons à toutes les instances si promptes à encourager des interventions y compris militaires dans des pays souverains qui ne mettaient pas en danger leur population civile comme en Libye de faire pression sur le gouvernement birman et que cessent les massacres de cette minorité la plus persécutée au monde selon le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU.


Les Rohingyas n’ont d’autre possibilité que de joindre le Bengkadesh frontalier lequel est déjà saturé des migrations précédentes ne peut les recevoir et les refoule.


Cette situation intenable risque de dégénérer en un conflit entre les deux États voisins.


Nous demandons à Aung San Suu Kyi, Secrétaire Générale de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), la Dame de Rangoun nobélisable par l’Occident, d’intervenir au Parlement birman pour abroger la loi qui dénie leur citoyenneté birmane aux Rohingyas.

Nous demandons au gouvernement français qui préside pour le mois d’août le Conseil de Sécurité de l’ONU de provoquer une résolution de l’Assemblée Générale de l’ONU qui condamne la crise humanitaire que constitue le massacre des Rohingyas et qui prenne toutes mesures qui contraindraient efficacement le régime birman.


A propos de la photo 

Merci de la contribution d'un lecteur sur l'origine de la photographie utilisée par des musulmans pour incriminer les moines bouddhistes dans des atrocités commises au Myanmar (commentaire du 17 août) :

Il ne s'agirait pas d'un montage. Cette photo de moines tibétains aurait été prise au cours de leur travail de secours dans le Kyegudo (Yushul), au Tibet oriental, après le tremblement de terre dévastateur qui a frappé la région le 14 Avril 2010.

Le gouvernement tibétain en exil a exprimé ses préoccupations concernant l'utilisation abusive de photographies dont le but est de provoquer des conflits entre bouddhistes et musulmans.

Pour en savoir plus (article en anglais)





Jacques Bergier, souvenirs du futur




Revue KADATH : L’ORTF a diffusé, voici quelques mois, le film tiré du livre d’Erich von Däniken, « Souvenirs du futur ». Dans le débat qui a suivi, vous vous êtes violemment heurté à ceux que le téléspectateur croyait être de votre bord. A tel point que pour certains, votre attitude d’avocat du diable était parfaitement incompréhensible. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

JACQUES BERGIER : Oui, j’ai fait tout un scandale en me disputant avec Charroux et von Däniken, parce que, selon moi, ils y vont un peu fort ! Remarquez, il y a pire. Ganzo, qui à part ça est un poète et un sculpteur de talent, est venu me voir un jour. Il avait trouvé une civilisation disparue en Forêt de Fontainebleau. Il m’apportait des traces de cette civilisation, dont une plaque en céramique, où étaient gravées les lettres mystiques « W » et « C ». Évidemment, là... Non, je crois que l’attitude de votre revue est la bonne. Car enfin, je veux bien qu’on puisse déplacer de petits objets par la force de la volonté, mais pas déplacer les statues de l’île de Pâques, qui pèsent des dizaines de tonnes. Il y a tout de même la conservation de l’énergie ! A la limite, on ne peut pas avoir plus d’énergie qu’il n’y en a dans le corps humain. Mais surtout, le problème véritable et qui, à mon avis, n’a pas encore été posé, c’est ce que j’appelle le problème des intermédiaires. Autrement dit, moi je veux bien que les statues de l’île de Pâques ou le grand menhir de Locmariaquer aient été mis en place par antigravitation... cela, je veux bien. Mais avant d’arriver à l’antigravitation, il faut passer par des étapes : l’électricité, la machine à vapeur, etc., peut-être considérées d’une façon tout à tait différente, mais néanmoins analogue. Or, on ne trouve pas de machine à laver fossile, ni de locomotive fossile, rien !

Revue KADATH : Précisément, à propos de machines à laver, vous parlez dans « Le livre de l’inexplicable » de l’objet de Coso. Ne pourrait-il s’agir d’une forme de « machine à laver fossile », disons un résidu technique ?

JACQUES BERGIER : Certainement ! Mais un résidu technique de qui ? L’objet de Coso a l’air d’être un générateur électromagnétique, vieux de 75.000 ans. Mais on n’arrive pas à cela sans intermédiaire... De plus, il a été découvert dans un coin où on a fouillé pas mal dans les débris « techniques » : à l’époque de cet objet, les gens n’ont pas le feu, ils ont tout juste des outils de silex. Une fois de plus, les intermédiaires manquent. Alors, évidemment, on peut proposer, comme je l’ai fait dans « Les extra-terrestres dans l’histoire », que ces objets — qui sont en nombre limité : la machine d’Anticythère, l’objet de Coso, etc. —, ont été apportés à travers l’espace, ou même à travers le temps. Seulement, si vous voulez, c’est de la mythologie de science-fiction ou de bande dessinée ; c’est remplacer une mythologie par une autre. L’hypothèse n’est pas toujours très convaincante. Il me paraît difficile de croire que si des extraterrestres nous ont visités, on n’ait pas observé leurs instruments ou quelque chose d’analogue, maintenant que nous sommes dans le cosmos. Vous me direz qu’il y a des alignements sur la lune, dont vous parlez dans votre numéro deux, qui sont réellement curieux. Ça ne résout tout de même pas en masse le problème terrestre. Prenez les gigantesques dalles de Baalbeck. Elles ont été découpées, il y a des traces de scie. Si c’étaient des extraterrestres, ils l’auraient au moins découpée au laser ou au chalumeau atomique !... A mon avis, il faudrait en archéologie — ce que je ne prétends pas être —, un Pasteur ou un Darwin. Il nous faut une hypothèse réellement folle, comme l’évolution des espèces ou la transmission des maladies par des microbes.

Revue KADATH : Nous publions des extraits d’anciens textes sacrés. Vous les connaissez, bien sûr, mais pensez-vous que l’étude des livres dits « mythiques » peut fournir d’autres renseignements ?

JACQUES BERGIER : Sûrement. Tenez, il y a un livre maudit qui vient de paraître et dont je croyais moi-même qu’il était mythique. C’est le « Livre des trois imposteurs », les soi-disant imposteurs étant Mahomet, Moïse et Jésus. Le livre en question, il y a à peu près trois cents personnes qui ont été brûlées depuis le XIVe siècle, pour l’avoir possédé. Même Sprague de Camp avait dit qu’il était mythique et je n’en avais pas parlé dans « Les livres maudits ».

Eh bien, les Russes en ont retrouvé un exemplaire, des étrangers l’ont racheté tout de suite et en ont publié des reproductions. Ce qui démontre une fois de plus que tous les mythes ne sont pas des mythes. Prenez le Nécronomicon, par exemple. C’est une production romancée d’El Alach, qui a été mis à mort par les musulmans au IXe siècle, pour « communications avec le dehors » : c’est dans les attendus. Alhazred est inventé par Lovecraft, mais El Alach, sur qui Alhazred a été copié, est authentique...

L’École Centrale de Paris me propose de mettre des fonds à ma disposition, sous forme d’heures d’ordinateur, afin d’y introduire toutes ces choses là et de voir s’il n’y a pas de correspondances. Savez-vous, par exemple, que j’ai trouvé dans un livre italien sur les Étrusques, paru bien après la mort de Lovecraft, le nom de Cthulhu, un de ses Grands Anciens. Or, cela avait été découvert en 1942, et jamais signalé avant. Il serait vraiment intéressant de reprendre tout cela par ordinateur. Il serait intéressant aussi que les gens ne gardent pas indéfiniment leurs secrets. D’autant plus que, trop souvent, il me semble que ce sont des secrets primaires. Prenez la quête du Graal : à mon avis, il est absurde de rechercher un Graal matériel qu’on puisse tenir entre ses mains. Il s’agit plutôt d’une force, d’une atmosphère, d’une idée. Remarquez, les Allemands l’ont fait. Pendant l’occupation, ils ont retourné les Pyrénées à la recherche du Graal. Ceci étant dit, il y a certainement quelque chose dans l’idée même, il y a par exemple l’Ordre du Graal, qui est quelque part, qui conserve un certain ordre des choses, et dont on parle de temps en temps...

Revue KADATH : Parlant d’une autre difficulté pour obtenir des renseignements, comment faites-vous pour vérifier les informations en provenance des pays communistes ?

JACQUES BERGIER : Je reçois constamment des trucs des Soviétiques, et ce qui est bien, c’est qu’ils restent malgré tout prudents et n’inventent pas trop de choses. Ce qui est plus difficile, c’est d’établir des contacts avec les Chinois, car ils ont une pensée absolument différente. Ils ont digéré le marxisme, ils en ont sorti une espèce de néo-religion absolument incompréhensible. Mais là, il existe des choses très curieuses. Par exemple, je leur ai posé une question qui m’intrigue beaucoup, pourquoi est-ce nous qui avons inventé le magnétomètre, la machine à vapeur ou les avions, et pas eux, puisqu’ils avaient tous les éléments en main. Ils avaient des expériences de laboratoire et tout, et puis brusquement, ils ont cessé d’inventer le progrès technologique. En un siècle ou deux, c’était fini, alors qu’avant cela, ils avaient des séismographes, des boussoles magnétiques, l’imprimerie, les fusées. On a des traces de tout cela, des masses de volumes à l’Unesco, y compris des points où ils étaient en avance sur nous : le miroir magique qui transmettait des images d’un coin à l’autre, l’alchimie (ils fabriquaient des bronzes d’aluminium), et puis plus rien... Alors, la thèse officielle, celle de Needham, est une thèse marxiste. Il prétend que, parce qu’en Chine il n’y avait pas de prolétariat à proprement parler, il n’y avait pas de lutte de classes, donc pas de moteur de progrès. Bon, moi je veux bien. Mais quand j’en ai parlé à des Chinois, ils m’ont répondu : « C’est un imbécile érudit. La réalité, c’est que les liens avec les Immortels ont été coupés ». Alors je leur ai demandé si on ne peut en savoir plus. « Oh ! Nous allons publier », disent-ils. Ils ont peut-être publié, mais on ne reçoit rien ! De même, ils ont déclaré à un moment donné avoir identifié des inscriptions dans le roc, représentant des engins volants qui dateraient de 43.000 ans. J’espérais les voir avec nous à une conférence internationale de savants en mai 70 à New York, mais au dernier moment, on a reçu une belle lettre sur parchemin, disant que, comme on avait invité les délégués de Formose, ils ne viendraient pas.

Revue KADATH : Revenons à nos propos du début. Parmi les « hypothèses folles » que vous avancez, il y a celle d’une civilisation de « plasmoïdes ».

JACQUES BERGIER : Oui, mais ce seraient aussi des extraterrestres. Évidemment, il y a tout de même la possibilité difficilement concevable, d’une civilisation tellement différente, qu’on en retrouve des objets sans savoir ce que c’est.

Revue KADATH : Pourrait-il y avoir une civilisation tellement différente, que nous ne réussirions jamais à en trouver de traces ?

JACQUES BERGIER : Il est extrêmement difficile de concevoir quelque chose qui ne laisse aucune trace, étant donné la finesse de nos moyens d’investigation.

Vous savez qu’on mesure la vitesse du vent d’il y a 30.000 ans, par les variations dans les isotopes d’oxygène. Alors, que dire d’une centrale de cent mégawatts, même si elle utilisait des énergies cosmiques ? J’ai un grand ami, qui s’appelle François Bordes, et est un paléontologue extrêmement distingué, mais aussi un grand auteur de science-fiction, sous le pseudonyme de Francis Carsac. Bordes n’est pas du tout d’accord avec mes idées, et il m’a envoyé l’autre jour un travail qu’il avait fait publier dans « La revue du Quaternaire ». Il a retrouvé en Dordogne des traces de campements d’il y a 20.000 ans, avec les trous des piquets de tente. Et il m’a dit : « Si je retrouve des piquets de tente vieux de 20.000 ans, je trouverai bien une locomotive ou une machine à laver ! »

Ou alors, il faut en revenir à René Guénon. J’ai fait récemment un effort d’impartialité pour évaluer Guénon. Il m’avait beaucoup irrité par son racisme, par son insolence, par sa façon de dire : « je n’ai pas à donner de références, c’est moi, l’initié, qui parle », ce qui est toujours extrêmement gênant. Je n’aime pas les gens qui ne donnent pas de références. Mais malgré tout, j’ai relu à peu près tout Guénon. Eh bien, il y a là des choses curieuses, et en particulier la référence constante au fait que la géographie de la terre ne serait pas totalement connue, qu’il y aurait une géographie sacrée, et des pays, voire même des continents autres que ceux que nous connaissons. Il a une autre idée qui paraît très intéressante, c’est celle de la « cristallisation ». C’est-à-dire que, selon lui, les lois naturelles ont changé, dans un passé très récent, mettons cent mille ans. Et plus on remonte vers le passé, plus la nature est malléable et obéirait à la simple volonté humaine. Eh bien, rien que ça expliquerait pas mal de choses, des monuments géants et ainsi de suite. Il a peut-être vingt ou trente idées folles comme ça, qui mériteraient d’être réexaminées de sang-froid. Personnellement, je n’y crois pas. Mais Guénon, c’est un point de vue qui mériterait d’être décrit dans KADATH en tant qu’hypothèse folle, à condition de bien dire que cela n’engage pas la rédaction.

Revue KADATH : Certains articles de KADATH vous ont-ils déjà rappelé l’une ou l’autre de ces « hypothèses folles » ?

JACQUES BERGIER : Oui. Prenez, par exemple, dans le numéro deux, ces sites de Mohenjo-Daro et l’île de Pâques, qui sont séparés par une trop grande distance pour que l’alphabet ait pu être communiqué. Je réponds : Oui..., par des moyens naturels ! Mais s’ils étaient télépathes ? Car cela peut aller assez loin. Imaginez un chamane de Sibérie, dans son climat glacé, qui communique par télépathie avec un sorcier de l’Amazonie, et qui voit autour de lui un monde abondant, avec de beaux fruits partout, le soleil luisant et de la végétation luxuriante. Il invente le paradis... Pendant ce temps-là, l’autre qui a une vision de ces terrains glacés, il invente l’enfer. Cela mériterait d’être exploré. Voir, par exemple, s’il y a une correspondance sérieuse entre les hiéroglyphes de l’île de Pâques et ceux de Mohenjo-Daro, et si oui, émettre cette hypothèse. Ce serait de la télépathie, non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps, puisqu’il y a une différence de combien de siècles ? Mais là, au moins, ce serait une hypothèse ouverte. Je le répète : si on ne fait pas une percée en partant des idées réellement folles, eh bien, on restera indéfiniment où on est. J’ai l’impression que la science officielle va un jour avoir un coup dur, et sera obligée de faire une révision déchirante de ce qu’on croit savoir, car sinon, on ne s’en tirera jamais.

Revue KADATH : C’est votre conclusion ?

JACQUES BERGIER : Oui. Je dirige actuellement, chez Albin Michel, deux collections. L’une, intitulée « Les chemins de l’impossible », marche très bien. L’autre est une collection scientifique, « Science parlante », et ça n’a pas pris du tout. Le public a l’air d’être indifférent, sinon hostile, envers la science. C’est un phénomène général, et je me demande s’il n’est pas explicable par l’attitude insolente que prend la science. Après tout, les savants sont des fonctionnaires payés par le contribuable, et quand on leur pose une question sur quelque chose qui intéresse le public : les civilisations disparues, les extraterrestres ou autre chose, ils traitent les gens d’imbéciles et répondent par des injures. Alors, j’ai l’impression que le public le leur rend bien...

Propos recueillis par I. Verheyden et P. Ferryn
pour le numéro 5 de la revue Kadath,
novembre-décembre 1973.


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