mardi, juin 11, 2013

Lanza Del Vasto : la violence, la colère et le monde.




La violence

La violence des voleurs, des assassins, des violeurs de femmes, ce n'est pas du tout celle-là qui nous intéresse et que nous combattons. La violence, ce n'est pas des coups de poing ou des coups de pied, ni même des coups de mitraillette. C'est tout ce qui dérange l'ordre harmonieux des choses en commençant par le viol de la vérité, le viol de la justice, le viol de la confiance d'autrui. Je dirai que ce qui nous inquiète le plus, c'est la violence légitimée, celle qui est couverte par les lois, qui est préméditée et systématique.

L'agressivité

Je considère que l'agressivité est tout à fait nécessaire, mais qu'elle a besoin, comme l'amour, d'être convertie. Je dirai que la conversion de la colère, c'est la non-violence ; sans colère, il n'y a pas de non-violence. L'agressivité est indispensable à la conservation de la vie, c'est à partir d'une indignation que le non-violent commence à vivre.

Le monde moderne

Je le condamne parce que je ne le crois pas libérateur. C'est au contraire tout un monde d'esclavage, et puis c'est un monde qui épuise la planète entière. Il produit, sans doute, mais c'est surtout une pompe. La prospérité, vous l'admirez, mais les neuf dixièmes de la production mondiale passent dans quelques pays. Je ne crois pas que ce soit juste ni bon. Si nous essayons de mettre tout le monde à ce rythme, il croulera sous l'abondance de la camelote. L'ambition du tiers monde est de participer à cette aventure de la modernité, mais c'est justement l'un des maux contre lesquels Gandhi a lutté. Je crois que l'ambition légitime de tous les hommes, c'est de vivre d'une vie épanouie, et il n'y a pas besoin d'avoir une telle abondance de moyens pour le faire. Je crois que, par la surabondance des moyens et l'oubli des fins, on oublie les « pourquoi ». A quoi sert la richesse ? A quoi servent la vitesse, la puissance ? Est-ce que ça sert à vivre ? En a-t-on besoin ?

Propos tenus par Lanza Del Vasto le 8 février 1975 à « L'invité de l'autre monde », émission de la deuxième chaîne de télévision.


lundi, juin 10, 2013

John Todd & les nouveaux alchimistes


"Je suis optimiste parce que en théorie on peut réduire de 90% notre impact sur la planète." (John Todd)

Dans le documentaire Visionnaires planétaires, "le jeune éco-militant québécois Mikael Rioux, rencontre le vieux sage mythique Christian de Laet, le charismatique président de la plus grande ONG de développement alternatif au monde, l'Indien Ashok Khosla, le brillant oncologue devenu gourou du développement durable, le Suédois Karl-Henrik Robèrt. C'est aussi la chance de voir les projets du designer écologique John Todd, nommé par le MIT comme un des 35 plus grands inventeurs du 21ème siècle ; d'entendre sa compagne Nancy Jack Todd nous raconter les débuts de leur mouvement d'avant-garde, Les nouveaux alchimistes. C'est également un voyage au cœur de la capitale mondiale de la finance, Zurich, avec l'économiste-humaniste Peter Koenig; un dialogue avec Marilyn Melhman, force tranquille du mouvement Global Action Plan. Et un tête-à-tête avec la grande dame du Kenya, Wangari Maathai, Prix Nobel de la paix et fondatrice du Green Belt Movement".


Les nouveaux alchimistes 

« Il s'agit, dit John Todd, de trouver de nouvelles façons de vivre en remplaçant les machines dévoreuses d'énergie et les objets sophistiqués dont la société industrielle nous encombre par des processus d'inspiration naturelle. De telles technologies "douces" permettront le développement d'un type entièrement nouveau de société que j'appelle "implosive", en ce sens qu'elle vise un élargissement de l'être humain. Cela s'oppose diamétralement à la croissance purement matérielle de cette société explosive qui se contente de l'avoir. 


Je vois un monde qui ne ressemble pas à celui où nous vivons aujourd'hui, un monde où des systèmes de style biologique, conçus dans une harmonieuse globalité par l'intelligence humaine, contrôlés par des micro-calculateurs, alimentés par des sources d'énergie indéfiniment renouvelable, fourniront ce qu'il faut pour réussir une vie bien remplie parce que créative. Ce genre d'alternative implique une totale transformation de la société actuelle. De l'exploitation autoritaire des ressources et de la possession égoïste d'objets, il faudra se tourner vers la symbiose avec la Nature et les activités de l'intelligence et de la connaissance. Cela implique un nouveau paradigme, réalisant la synthèse des savoirs et de la philosophie. Il existe d'ailleurs, dans l'Histoire, des modèles de ce paradigme. Je citerai juste l'hermétisme et le taoïsme. »

Au cours d'un voyage aux États-Unis, Lucien Gérardin a visité l'« Arche alchimique » de John Todd.

« L'Institut pour une nouvelle alchimie, dit Lucien Gérardin, n'est pas une communauté fermée de contemplatifs assis en rond aux pieds d'un gourou. Quand on explore de nouveaux modes de vie, on se doit de partir d'une nécessité de base : produire la nourriture matérielle du groupe. Comme le dit John Todd, il faut alors garder présente à l'esprit l'exigence de pouvoir passer ultérieurement à une plus grande échelle. La plus petite échelle est cette taille critique qui s'avère nécessaire à un groupe humain pour fonctionner sous la forme d'une micro-société autogérée, d'une authentique communauté réellement vivante parce que autonome et non parasitaire.

Les grandes organisations actuelles se montrent de plus en plus fragiles. Elles sont presque toujours un peu en panne, car leur solidité n'est que celle de leurs maillons les plus faibles.

On a vu comment se détériore d'une double façon la balance fondamentale entre la production de nourriture et l'énergie consommée pour cela. La seule issue est à la fois de produire beaucoup plus que l'agriculture traditionnelle, tout en n'utilisant comme énergie de base que celle indéfiniment renouvelable du soleil, à l'exclusion de toute énergie fossile.

En quelques mots, il s'agit d'un système très intégré fonctionnant en totale autonomie, d'une « arche » véritable, et c'est effectivement le nom que lui donnent les « nouveaux alchimistes ». Le soleil fournit l'énergie pour la photosynthèse et le chauffage de serres et de dômes où circule lentement une sorte de rivière artificielle. Un moulin à vent pompe l'eau pour la remonter vers le sommet de l'Arche. L'énergie naturelle se trouve utilisée au mieux, car elle est démultipliée par l'intelligence de l'homme. On se trouve bien à l'opposé de la philosophie industrielle actuelle, qui exige que l'on remplace de façon toujours plus dévorante le travail et l'intelligence par du capital et des machines. »



Visionnaires planétaires




samedi, juin 08, 2013

Le tabac




Nous le savons, du détroit de Behring à la Terre de Feu, les Indiens considéraient le tabac comme l'une des plus importantes parmi les plantes médicinales et magiques, et certains d'entre eux s'en servaient comme d'un véhicule pour l'extase. Nous savons aussi que partout et toujours, à peu près sans exception, aux temps préhistoriques et dans les époques historiques plus récentes, son usage était uniquement rituel. La désacralisation qui affecte, de façon croissante, l'usage du tabac parmi les Indiens est un effet de l'influence européenne (l'Europe découvrait le tabac en découvrant l'Amérique avec Colomb). Néanmoins, certaines significations rituelles restent attachées au tabac du lieu : beaucoup de tribus réservent à un emploi rituel ou cérémonielle tabac qu'elles cultivent, ou collectent dans le milieu naturel, tandis que l'on fume librement le tabac de l'homme blanc, ou "tabac de Virginie ", un hybride local du Nicotiana tabacum.

On a de tout temps consommé le tabac de multiples façons; l'acte de le fumer (en cigarettes, en cigares, ou en pipes) est la plus répandue. Il faut y voir le reflet des nombreuses connotations ésotériques de la fumée du tabac dans les rites chamaniques, en particulier dans les rituels de guérison. Zerries souligne que "le pouvoir du chaman est souvent lié à son souffle ou à la fumée du tabac, l'un et l'autre possèdent les vertus purificatives et revigorantes qui jouent un rôle si important dans les rituels de guérison, et dans d'autres pratiques magiques"·

Outre celle de la fumée, la plus connue, les techniques consistent à priser le tabac, le boire, le chiquer, le manger, le sucer et le lécher. Il y a diverses façons de fumer; et donc, différentes significations attachées à l'acte. Le chaman peut expirer la fumée (pour guérir le malade ou nourrir les êtres surnaturels) ou l'avaler (la" manger») en énormes quantités en vue d'induire un état de transe. Par exemple, dans son rituel de guérison, le chaman des Indiens tenetehana, du Brésil, dansera et chantera en agitant ses maracas, s'arrêtant :

... de temps à autre, pour tirer de longues bouffées d'un gros cigare de tabac local roulé dans de l'écorce de tawari. Combinée au rythme du chant et au mouvement de la danse, la fumée l'intoxique bientôt. Cette opération est l'"appel" de l'esprit. L'esprit ne répond qu'à ses chants spécifiques et le chaman n'est prêt à le recevoir qu'après avoir ingurgité de grandes quantités de fumée de tabac ( …) Alors "l'esprit est fort" et le chaman perd conscience. (Wagley et Galvaô, 1949.)

Comme la fumée, la prise peut être inhalée, en vue d'agir sur le psychisme, ou bien exhalée, suivant les besoins et l'effet recherché. Ainsi les chamans tanaca dans les basses terres de Bolivie soufflent dans l'air de la poudre de tabac, en vue de repousser les êtres surnaturels maléfiques qui menacent un patient ou la communauté tout entière.

Parfois l'on se sert du tabac en le combinant à de véritables plantes hallucinogènes telles que le datura, le yagé (Banisteriopsis caapi), ou des cactus psychédéliques. Souvent le tabac joue un rôle essentiel et sacré comme agent de purification, comme épreuve et comme stimulant, au cours de la longue formation initiatique que reçoivent les apprentis chamans. C'est particulièrement le cas des Indiens caraïbes et d'autres groupes indigènes dans les basses terres du nord de l'Amérique latine. Des ethnographes aussi éminents que Theodor Koch-Griinberg nous ont laissé des relations de première main sur ces épreuves initiatiques. Les jeunes chamans indiens sont privés de nourriture normale pendant de longues périodes, au cours desquelles ils maigrissent jusqu'à ressembler à des squelettes (en bien des régions d'Asie et d'Amérique la mort rituelle et la squelettisation sont des éléments majeurs de l'initiation chamanique). En lieu et place de nourriture, on leur fait absorber de grosses quantités de tabac liquide, par voix nasale et buccale, pour induire une transe narcotique. C'est alors que l'apprenti fait sa première montée au ciel pour rencontrer face à face les esprits de l'Autre Monde. Ensuite il commence à utiliser aussi bien d'autres plantes psychédéliques, en particulier le yagé, dans lequel, dit un chaman à Koch-Griinberg, "réside le chaman, réside le jaguar"· Cette identification conceptuelle du chaman au jaguar est commune à toute l'Amérique du Sud et centrale, elle est souvent réalisée à travers l'usage d'hallucinogènes ou de substances psychédéliques. 

Johannes Wilbert, La Chair des dieux, l'usage rituel des plantes psychédéliques, ouvrage dirigé par Peter Furst.

jeudi, juin 06, 2013

Gurdjieff & l'amour-propre

Gurdjieff parle à ses élèves

Le Prieuré, 13 février 1923


La libération mène à la libération. Telles sont les premières paroles de Vérité, non de la vérité entre guillemets, mais de la vérité au vrai sens du terme - la vérité qui n'est pas seulement théorique, qui n'est pas un simple mot, mais qui peut être effectivement mise en pratique.

Le sens caché de ces mots peut être expliqué de la manière suivante.

Par libération, nous entendons cette libération qui est le but de toutes les écoles, de toutes les religions, à toutes les époques.

Cette libération peut être vraiment très grande. Tous les hommes la désirent, tous les hommes s'efforcent de l'obtenir. Mais elle ne peut être atteinte sans une première libération - une petite libération. La grande libération est une libération des influences extérieures. La petite libération est une libération des influences intérieures.

Dans les premiers temps, cette petite libération semble très grande, parce qu'un débutant dépend très peu des influences extérieures. Seul un homme déjà libéré des influences intérieures tombe sous l'emprise des influences extérieures.

Les influences intérieures empêchent l'homme de tomber sous les influences extérieures. Peut-être est ce mieux ainsi.

Les influences intérieures, l'esclavage intérieur, viennent de sources variées ainsi que de nombreux facteurs indépendants. Indépendants, en ce sens qu'il s'agit tantôt d'une chose, tantôt d'une autre, car nous avons beaucoup d'ennemis.

Ces ennemis sont en si grand nombre que la vie ne serait pas assez longue s'il fallait lutter séparément contre chacun d'eux afin de nous en libérer. Il nous faut donc trouver une méthode, une ligne de travail, qui nous permette de détruire simultanément le plus grand nombre possible de ces ennemis intérieurs qui sont à l'origine de ces influences.

J'ai dit que nous avions toutes sortes d'ennemis. Mais les principaux et les plus actifs sont la vanité et l'amour-propre. Il existe même un enseignement qui les qualifie de représentants et de messagers du Diable.

Pour certaines raisons, on les appelle aussi Madame Vanité et Monsieur Amour-propre. Comme je l'ai dit, ces ennemis sont nombreux. Je n'ai mentionné que ces deux-là en raison de leur caractère fondamental. Pour le moment, on aurait du mal à les énumérer tous. Il serait difficile de travailler sur chacun d'eux spécifiquement et de manière directe, et cela prendrait trop de temps puisqu'ils sont si nombreux. Aussi devons-nous agir sur eux indirectement de manière à nous libérer de plusieurs d'entre eux à la fois.

Ces représentants du Diable se tiennent constamment sur le seuil qui nous sépare de l'extérieur et empêchent aussi bien les bonnes que les mauvaises influences extérieures de pénétrer en nous. De sorte qu'ils ont à la fois un bon et un mauvais côté.

Pour un homme qui veut faire un choix entre les influences qu'il reçoit, c'est un avantage d'avoir ces gardiens. En revanche, celui qui veut accueillir toutes les influences, quelles qu'elles soient – car il est impossible de ne retenir que les bonnes – doit se libérer du plus grand nombre de ces gardiens, et pour finir les éliminer complètement.

Pour cela, il y a de nombreuses méthodes, et un grand nombre de moyens. Personnellement, je vous conseillerais de tenter de vous libérer, et cela sans échafauder de théories inutiles, mais à l'aide d'une simple réflexion, d'une réflexion active.

Par une réflexion active, la chose est possible. Mais pour celui qui n'y arrive pas, qui ne parvient pas à ses fins par cette méthode, il n'y aura pas d'autre moyen d'aller plus loin.

Prenons, par exemple, l'amour-propre qui occupe pratiquement la moitié du temps de notre vie. Si, du dehors, quelqu'un ou quelque chose a blessé notre amour-propre, la force du choc reçu ferme toutes les portes, nous coupant ainsi de la vie, non seulement au moment même, mais pour très longtemps.

Lorsque je suis en relation avec l'extérieur, je vis. Si je ne vis qu'à l'intérieur, ce n'est pas la vie. Mais tout le monde vit de cette manière. Quand je m'observe, je me relie à l'extérieur.

Par exemple, je suis assis ici. M ... est là, ainsi que K ... - nous vivons ensemble. M ... m'a traité d'idiot, je suis offensé. K ... m'a regardé de travers... Je suis offensé. Je « considère », je suis blessé, et je ne retrouverai pas mon calme ni mon équilibre avant longtemps.

Nous sommes tous aussi susceptibles, nous passons tous sans cesse par des expériences semblables. A peine une épreuve commence-t-elle à s'atténuer qu'une autre, de même nature, a déjà pris sa place.

Notre machine est ainsi faite qu'elle ne comporte pas d'aires distinctes pour des expériences simultanées.

Nous n'avons qu'une seule place pour nos expériences psychiques. De sorte que si cette place est occupée par des épreuves comme celles dont je viens de parler, il n'est pas question pour nous d'avoir les expériences que nous désirons. Car ces expériences, auxquelles devraient nous faire accéder certains comportements intérieurs, ne pourront pas avoir lieu, tant que les choses resteront ce qu'elles sont.

M... m'a traité d'idiot. Pourquoi serais-je offensé ? Je ne me sens pas offensé, de telles choses ne m'atteignent pas. Non que je n'aie pas d'amour-propre, j'en ai peut-être plus que n'importe qui. C'est peut-être cet amour-propre lui-même qui m'empêche d'être offensé.

Je réfléchis, je raisonne exactement à l'opposé de la manière habituelle. Il m'a traité d'idiot. Et lui, qui est-il donc ? Un sage ? Peut-être est-il un idiot ? ou un fou ? On ne peut pas attendre d'un gamin qu'il soit un sage. Je ne peux donc pas exiger de lui qu'il soit un sage. Son raisonnement était stupide. Quelqu'un lui aura parlé de moi, ou bien il s'est forgé lui-même l'idée que j'étais un idiot. Tant pis pour lui. Je sais bien que je ne suis pas un idiot, donc cela ne m'offense pas. Qu'un idiot m'ait traité d'idiot, cela ne m'affecte pas intérieurement.

Mais si, à un moment donné, je me suis comporté comme un idiot, et que quelqu'un me traite d'idiot, je ne suis pas blessé non plus puisque ma tâche est de ne pas en être un – je suppose que c'est là le but de chacun. Ce quelqu'un me rappelle donc mon but, il m'aide à voir que je suis un idiot et que j'ai agi comme un idiot. J'y réfléchirai, et peut-être que la prochaine fois je n'agirai pas
comme un idiot.

Ainsi, ni dans un cas ni dans l'autre, je ne suis blessé.

K ... m'a regardé de travers. Cela ne m'offense pas ; au contraire, j'ai pitié de K ... J'ai pitié de lui à cause du sale regard qu'il m'a lancé. Pour un sale regard il doit y avoir un motif. Quel motif peut-il bien avoir ?

Je me connais. Je peux juger d'après cette connaissance que j'ai de moi.

Quelqu'un a pu lui dire quelque chose qui lui a donné une fausse opinion de moi. Je le plains d'être esclave au point de ne me regarder qu'à travers les yeux d'autrui. Cela prouve qu'il n'est pas. C'est un esclave, donc il ne peut pas me blesser.

Tout cela comme un exemple d'une certaine manière de réfléchir.

En réalité, la cause secrète de toutes ces réactions réside dans le fait que nous ne nous possédons pas nous-mêmes et que nous ne possédons pas non plus de véritable amour-propre. L'amour-propre est une grande chose. Si l'amour-propre, tel que nous le considérons d'habitude, est une chose répréhensible, le vrai amour-propre, que par malheur nous ne possédons pas, est désirable et nécessaire.

L'amour-propre ordinaire est le signe d'une haute opinion de soi-même. Qu'un homme ait cet amour-propre, cela montre ce qu'il est.

Comme nous l'avons déjà dit, l'amour-propre est un représentant du Diable ; c'est notre pire ennemi, le frein principal à nos aspirations et à nos accomplissements. L'amour-propre est l'arme maîtresse du représentant de l'Enfer.

Mais l'amour-propre est un attribut de l'âme. A travers l'amour-propre on peut entrevoir l'esprit. L'amour-propre indique et prouve que l'homme est une parcelle du Paradis. L'amour-propre est Je, et Je est Dieu. Par conséquent, il est désirable d'avoir un amour-propre.

L'amour-propre est enfer, et l'amour-propre est paradis. Tous deux portent le même nom ; extérieurement ils sont semblables, et cependant totalement différents et opposés dans leur essence. Mais si nous regardons superficiellement, nous pourrons les regarder toute notre vie sans jamais les distinguer l'un de l'autre.

Selon une sentence très ancienne, « Celui qui a de l'amour-propre est à mi-chemin de la liberté». Pourtant, si nous prenons ceux qui sont ici, chacun d'eux est plein d'amour-propre à en éclater. Et en dépit du fait que nous regorgeons d'amour-propre, nous n'avons pas encore obtenu la moindre bribe de liberté. Notre but doit être d'avoir de l'amour-propre. Si nous avons de l'amour-propre, par cela seul nous serons libérés de quantité d'ennemis. Nous pourrons même nous rendre libres de ces deux ennemis majeurs – Monsieur Amour-propre et Madame Vanité.

Comment distinguer une sorte d'amour-propre de l'autre ? Nous avons dit qu'extérieurement c'était très difficile. La distinction est déjà très difficile à faire quand nous regardons les autres, et quand nous nous regardons nous-mêmes, c'est encore plus difficile.

Dieu merci, nous qui sommes ici, nous sommes à l'abri de toute confusion entre l'une et l'autre sorte d'amour-propre... Nous avons de la chance ! Le vrai amour-propre manque totalement, de sorte qu'aucune confusion n'est possible.

Au début de cet entretien, j'ai employé le terme de « réflexion active ».

La réflexion active s'apprend par la pratique. Il faut la pratiquer pendant longtemps et sous des formes très diverses.

George Gurdjieff



4ème de couverture :

Le nom de Gurdjieff est aujourd'hui reconnu comme celui d'un grand maître spirituel, tel qu'il en apparaît dans l'histoire de l'humanité, à des époques de transition. Voyant la direction que prenait la civilisation moderne, Gurdjieff s'était donné comme tâche d'éveiller ses contemporains à la nécessité d'un développement intérieur qui leur ferait prendre conscience du sens réel de leur présence sur terre. Les notes rassemblées dans cet ouvrage se rapportent à quelques-unes des réunions qui se tenaient chaque soir autour de Gurdjieff, quelles que soient les circonstances. Ces textes ne sont pas une transcription directe. En effet, Gurdjieff ne permettait pas à ses élèves de prendre des notes au cours des réunions. Quelques auditeurs prévoyants, doués d'une mémoire exceptionnelle, s'efforçaient ensuite de reconstituer ce qu'ils avaient entendu. Sans chercher à présenter une synthèse des idées développées par Gurdjieff - comme P. D. Ouspensky l'a tenté avec maîtrise dans Fragments d'un enseignement inconnu - ces notes, si incomplètes soient-elles, ont été reconnues par ceux qui avaient assisté aux réunions comme aussi fidèles que possible à la parole de leur maître. Ces comptes rendus sont précédés de trois autres textes de caractère différent. Lueurs de vérité, datant de 1914, est le récit que fait un élève russe de sa première rencontre avec Gurdjieff, près de Moscou, avant la Révolution. Les deux autres textes, datant respectivement de 1918 et de 1924, sont des conférences données par Gurdjieff.

mercredi, juin 05, 2013

Sexualité & anticléricalisme





Vices et vicissitudes cléricales

La corruption qui gagna à certaines époques le clergé bouddhique se traduisit par un anticléricalisme assez répandu dans le peuple. Cette attitude anticléricale trouva à s'exprimer dans des satires ou recueils pornographiques comme L'océan d'iniquité des moines et des nonnes (Sengni niehai), en exergue duquel apparaît le poème suivant, intitulé « Le bonheur des moines » :

Ils extravaguent sur l'enfer, ils disent qu'il est difficile de l'éviter,
« On a beau faire des contes sur la" félicité " des moines,
Franchement, ce sont des fripons lubriques, voilà tout.
Ils endossent la robe noire, ils se rasent la tète,
Ils se donnent un extérieur imposant, c'est certain.
Mais ils sont chauves, en haut et en bas, Le caillou du bas et le caillou du haut reluisent à l'envi. Tous deux chauves, tous deux luisants —
Ma parole, tout moine a deux têtes chauves.
Ils ont l’œil brillant, comme les rats qui lorgnent le suif.
Ils se tortillent comme les sangsues acharnées à sucer le sang.
Guettant l'occasion, ils appellent une tendre vierge
Et lui révèlent la véritable forme de la Dent du Bouddha.
La Terre de Pureté s'est changée en mer de luxure,
Le froc du moine s'empêtre dans les jupes de soie.
Ils extravaguent sur l'enfer, ils disent qu'il est difficile de l'éviter,
Mais ils ne redoutent pas le grand registre du Roi Yama. »

Dans des romans qui n'ont souvent de bouddhiques que le dénouement, comme le Jin ping mei, la veine anticléricale s'avère également riche :

« Dites-vous bien, chers lecteurs, qu'en ce bas-monde, rares sont les moines éminents dont la conduite est vertueuse et qui demeurent assis en méditation sans se laisser troubler. Les anciens disaient : En un mot, "bonze", en deux, "moine bouddhiste ", en trois, "Officier de plaisirs démoniaques", en quatre, "démon affamé d'assouvissements sexuels".

Et selon Su Dongpo : " Pas prêtre, pas pervers ; pas pervers, pas prêtre; perverti passe à prêtrise, prêtrise pervertit ! " Que cette argumentation serve d'avertissement à ceux qui en sentiraient la vocation !... A habiter ces vastes demeures, dans les cellules attenantes aux temples de Bouddha, à se gaver des dons et richesses qui leur viennent de toutes parts, à manger, de plus, trois repas quotidiens sans avoir à labourer ni semer, et cela sans avoir à se soucier de rien, l'esprit ne peut que s'attacher aux désirs de la chair ».

Les nonnes n'échappent pas à la critique, comme en témoigne le portrait peu flatteur que donne notre auteur de la nonne Xue. Celle-ci, nous dit-on, avait été autrefois mariée. « Toutefois, les affaires périclitant, la jeune femme s'était vue acculée à se spécialiser du côté des moines et novices voisins. Œillades et baisers ne tardèrent pas à lui assurer la cour assidue de ces religieux qui profitaient de l'absence du mari. » Cette même nonne est également versée dans les arts occultes et fournit aux femmes filtres magiques et drogues de fertilité. L'auteur du Jin ping mei met ses lecteurs en garde contre ce genre de femmes :

« Sachez, chers lecteurs, qu'en règle générale les grandes familles ne devraient pas honorer ce genre de nonnes et d'entremetteuses. Au fond des palais et dans les vastes cours elles tiennent compagnie aux dames et, sous prétexte de les édifier par des sermons sur les paradis et les enfers, par des exposés sur les sûtras et écritures saintes, font dans le dos des uns et des autres le compte des marmites et des additions, soufflent le chaud et le froid, ne reculent devant rien de sorte que nos malheurs et calamités, nous les leur devons neuf fois sur dix ».

« Ne dit-on pas qu'il faut se méfier par-dessus tout des trois sortes de nonnes et six espèces de bonnes femmes ? Leur gîte de passage est auprès des moines... Modestement habillées, elles récitent le nom d'Amitâbha, n'ouvrent la bouche que pour parler des routes vers l'Ouest sacré. Tête enveloppée de toile, corps drapé dans robe droite, sanglée d'une cordelette jaune, elles font le porte à porte pour soutirer or et argent. Elles s'insinuent dans les cœurs. Ne vous en laissez pas accroire, ce sont méchantes nonnes : combien de réputations, par elles, minées !

« Comme le dit excellemment encore cette chanson : "La nonne au crâne rasé s'affaire à se donner aux moines nuit après nuit. Trois têtes luisantes semblent réunir le maître à son collège et disciple : mais pourquoi frotter leurs cymbales au lit ?

« Chers lecteurs, sachez qu'il faut se garder comme de la peste des gens à vêtements de bure. A visage de nonne, cœur de garce, car leurs six sens ne sont point apaisés et confuse leur conscience de la nature originelle. Elles ont perdu tout scrupule et vergogne. Bienveillance et compassion ne leur sont qu'hypocrites prétextes à concupiscence et soif du profit. Peu leur chaut de s'enfoncer dans le péché et en alourdir le cycle de la rétribution. Elles ne cherchent que le plaisir de l'instant, bernent les pauvres filles d'humble origine, égarent les femmes émotives des grandes familles, reçoivent des dons à la porte de la façade, mais derrière les coulisses pratiquent l'avortement et ménagent rendez-vous galants. En témoigne le poème :

Moines et nonnes forment une famille
Tourne la roue de la Loi sans escarbille.
Quant à ce qui sert à la reproduction.
Pourquoi couper la fleur qui tombe sans raison ? »

La méfiance du Bouddha était donc justifiée : voilà que ses disciples, malgré tous les interdits qui pesaient sur elles, sont devenues des entremetteuses, des avorteuses et des sorcières ! Il est bien évident qu'on ne saurait accorder trop de crédit à la rumeur anticléricale. Au Japon, par exemple, les nonnes ont dû bon gré mal gré observer un idéal d'ascétisme et de célibat que leurs collègues masculins avaient tendance à jeter par-dessus les moulins. Toutefois ces histoires reflètent un certain état d'esprit et donnent une bonne idée de la façon dont le bouddhisme était perçu. Sans qu'il soit possible ici de faire la part du réel et de la fiction, il peut être utile de s'arrêter un instant sur quelques-unes des motivations de la propagande qui était à l'origine de cette rumeur antibouddhique. On trouve d'abord un courant confucianiste pour qui le bouddhisme, dans son rejet des liens familiaux, était une abomination. Nombre d'histoires anticléricales qui circulaient en Chine relèvent du genre des enquêtes policières — genre popularisé en Occident par van Gulik et son juge Di — qui mettent généralement aux prises un juge confucianiste intègre et des moines dissolus.

Du côté taoïste, après les quiproquos initiaux qui jusque vers le IVe siècle firent prendre le bouddhisme pour une forme de taoïsme, les différences apparurent clairement et la rivalité passa au premier plan. Pendant plusieurs siècles, jusque sous les Yuan, les deux camps se renvoient, pour la développer ou la critiquer, la théorie dite de la « conversion des barbares » — selon laquelle le Bouddha n'était autre que Laozi, le père fondateur du taoïsme, dont on sait qu'il partit au soir de sa vie vers l'Occident. C'est alors qu'il aurait, sous une nouvelle identité, converti les barbares de l'Inde à sa doctrine rebaptisée bouddhisme pour les besoins de la cause. Au fil des controverses, l'histoire rebondit : on apprend qu'un roi barbare qui refusait de croire en Laozi a été soumis par les pouvoirs divins de ce dernier. En signe de repentir, il doit ainsi que ses sujets se raser le crâne. Laozi décrète alors que tous les barbares devront pratiquer l'ascétisme, porter la robe ocre des criminels, mutiler leur corps, et s'abstenir de toutes relations sexuelles. Sous couvert d'ascétisme, il s'agirait selon les taoïstes d'une ruse de Laozi pour interrompre la descendance des barbares et ainsi les anéantir. En somme, Laozi aurait prêché sa doctrine aux Indiens non pour les délivrer, mais pour les humilier, les affaiblir, et finalement les exterminer de la manière la plus économique. Il faudrait donc être particulièrement stupide, arguent les adversaires chinois du bouddhisme, pour adopter une telle doctrine en Chine.

Mais c'est surtout dans la littérature populaire, telle qu'elle se développa après les Song, que le bouddhisme trouva ses plus sévères détracteurs. Le thème du « monastère de la débauche » était courant dans les contes chinois. Certaines de ces histoires tiennent peut-être en partie au fait que le temple bouddhique ou taoïste, souvent construit dans un lieu boisé et retiré, était perçu non seulement comme un lieu sacré, mais aussi comme un espace situé hors des conventions sociales. La liberté relative qui y régnait le rendait propice aux rencontres et en faisait un terrain fertile pour l'imaginaire. Dans l'une de ces histoires, une jeune femme qui s'était abritée d'un orage sous le porche d'un temple est violée et séquestrée par les moines, qui seront sévèrement châtiés lorsque l'affaire est découverte. Dans son commentaire, l'auteur tire des conclusions radicales de ce fait divers : « Ce sont les offrandes faites aux moines qui sont à l'origine de la fornication et des meurtres. Le don est la racine des malheurs. » L'avertissement vaut non seulement à l'encontre des bouddhistes, mais aussi bien à l'encontre des sectes « taoïstes et chrétiennes ». Selon une opinion répandue, les moines ne sont que des preta, esprits faméliques, avides de sexe : ils rejoignent ainsi les femmes non seulement dans des étreintes furtives, mais aussi, comme figures négatives, dans l'imaginaire populaire.

Dans les « recueils d'histoires » (huaben), on trouve nombre d'histoires qui mettent en scène des moines bouddhiques, et notamment des maîtres Chan. L'une des plus connues, intitulée « Le maître Chan Wujie a des rapports illicites avec Lotus Rouge », a pour protagonistes une jeune fille, Lotus Rouge, et deux moines Chan, Wujie (« Cinq Défenses ») et Mingwu (« Claire réalisation »). Wujie était l'abbé d'un monastère de Hangzhou, et Mingwu était son principal disciple. L'histoire rapporte qu'un nouveau-né fut un jour abandonné à la porte du monastère. L'enfant, une fille, fut baptisé Lotus Rouge et confié à un moine. Le temps passa, et Lotus Rouge devint une ravissante jeune fille de seize printemps. Wujie, qui avait oublié son existence, la vit un jour par hasard et fut pris de passion pour elle. Arguant de son droit de cuissage abbatial, il ordonna au vieux moine qui l'avait élevée de lui amener l'adolescente et, la nuit venue, la déflora. La scène suscite chez le narrateur le commentaire suivant :

« Quel dommage que la douce rosée de l'éveil
Ait été entièrement versée dans la corolle de Lotus Rouge ! »

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Mingwu, plongé dans la concentration, avait vu de son « œil de sapience » que Wujie, en souillant Lotus Rouge, avait transgressé l'une des cinq Défenses majeures auxquelles il devait son nom et ruiné en un moment toute une vie d'austérité. Le lendemain, il convia Wujie à un de ces concours poétiques dont les deux amis étaient coutumiers et choisit comme thème les lotus en fleurs. Son poème se terminait par ces vers :

« En été, admirer les lotus est vraiment délicieux,
Mais le parfum des lotus rouges peut-il surpasser celui des blancs ? »

Lorsqu'il lut ces lignes, Wujie réalisa que son acte n'était pas resté secret. Prenant congé, il se rendit dans sa cellule, y composa un poème d'adieu et, s'asseyant en lotus, rendit l'âme. Mingwu, sachant que la rétribution karmique vaudrait à Wujie de renaître comme ennemi du bouddhisme, décida de le suivre par-delà la mort. Et tandis qu'il renaissait pour devenir le maître Chan Foyin Liaoyuan (1032-1098), Wujie renaquit pour devenir Su Shi, le fameux poète des Song, « dont les seuls défauts étaient de ne pas croire au bouddhisme et de détester les moines ». Heureusement, après avoir rencontré Foyin, Su Shi finit par se convertir et obtenir l'éveil. Quant à Lotus Rouge, l'objet involontaire du scandale, l'histoire ne dit pas ce qu'il advint d'elle. Seul la version tardive du Jin ping mei nous apprend que le vieux moine qui l'avait élevée la maria à un homme du commun, auprès duquel elle vécut le reste de ses jours. Toutefois, lorsqu'ils évoquent les rapports de Su Shi et de Foyin comme un exemple d'initiation Chan, Dôgen et ses disciples se gardent bien de faire allusion à cette histoire — qu'ils devaient pourtant connaître.

La critique anticléricale sévit également au Japon. Une des figures de proue de la décadence bouddhique est sans doute celle du moine Dôkyô (mort en 772), dont la tentative d'usurpation du trône ne fut déjouée que de justesse grâce à un oracle du dieu Hachiman. La carrière de ce personnage haut en couleurs, qui avait su s'assurer les faveurs de l'impératrice Kôken, n'est pas sans rappeler celle de Xue Huaiyi, le favori de l'impératrice Wu Zetian. Tous les deux sont restés célèbres dans la tradition populaire, non seulement comme exemples de moines corrompus, mais aussi comme prodiges sexuels. La réputation de Dôkyô faisait encore à l'époque Edo, près de dix siècles après sa mort, l'objet de poèmes satiriques comme le suivant :

« Jusqu'à l'arrivée de Dôkyô, c'était comme si on lavait des racines de bardane » — racines minces et allongées qu'on lave dans une bassine beaucoup trop large.

On trouve dans les documents officiels des Tokugawa, comme dans les romans de l'époque Edo, de nombreuses descriptions de la corruption du bouddhisme. Dans un ouvrage intitulé Usa mondô, Kumazawa Banzan (1619-1691) note : « Ces dernières années, depuis l'ordonnance proscrivant le christianisme, un bouddhisme sans foi a prospéré. Comme chacun, dans tout le pays, possède son propre temple de paroisse, à la différence du passé, les moines peuvent librement s'adonner aux affaires mondaines sans se soucier de la discipline ou de l'érudition... La liberté avec laquelle ils mangent de la viande et s'embarquent dans des aventures amoureuses surpasse celle des hommes du siècle. » L'anticléralisme trouve son expression littéraire la plus achevée dans les romans de Saikaku. Dans La femme du moine dans un temple mondain en particulier, l'héroïne, une courtisane, se rappelle ainsi ses débuts :

« A la longue, je convertis à cette religion [le sexe] les temples des huit sectes, et je puis dire que je n'ai jamais rencontré un seul moine qui ne fût prêt à casser son rosaire » — autrement dit, à faire une entorse à la discipline monastique.

Le titre même du roman fait allusion à la pratique — répandue quoique interdite — qui consistait pour les moines à entretenir une concubine dans leur temple. C'est à cette situation que fait allusion le poème satirique suivant :

« De son Daikoku, l'Abbé a fait un Hotei, ah quel ennui ! »

Ici, le nom du dieu Daikoku (« grande obscurité ») désigne une maîtresse que l'on cache, tandis que Hotei, le Bodhisattva à l'énorme panse, désigne une femme enceinte. Comme le souligne, non sans ironie, l'érudit japonais Tominaga Nakamoto : « Shâkya[muni] désirait simplement que les moines ne se marient pas, et dit que les moines qui n'avaient pas de femme seraient capables de respecter son intention. Cependant dans les générations ultérieures, les moines en vinrent souvent à pendre femme, de sorte que cela ne signifiait rien moins que l'extinction de la Loi. En outre, le Shûramgama-soûtra et le Soûtra des dhâranî d'Avalokiteshara... offrent l'un et l'autre des incantations qui permettent de se délivrer des effets de la passion ou des cinq légumes aphrodisiaques [poireau, oignon, ail, échalote, gingembre]. Ces moines des générations ultérieures, avec leurs femmes, ont dû faire bon usage de ces incantations ! » [Tominaga 1990, p. 138].

Les préjugés antibouddhiques (dans le cas des missionnaires chrétiens) ou anticléricaux (dans le cas des confucianistes ou de Tominaga) de ces sources sont flagrants. Il faut donc chercher dans les sources bouddhiques elles-mêmes. Déjà dans le journal de son voyage en Chine, le moine japonais Ennin (794-864) dénonçait le comportement laxiste des moines Chan qu'il avait eu l'occasion de rencontrer. On trouve chez les moines Chan eux-mêmes une critique sévère à l'égard des « mangeurs de viande » et des fornicateurs. Voici ce que dit par exemple, à l'époque Song, le maître Chan Puan Yinsu (1115-1169) :

« Et aujourd'hui... il en est qui, sans avoir l'éveil approprié, expliquent que boire du vin ou manger de la viande, et commettre l'adultère, ne constituent pas un obstacle pour la nature éveillée. »

Cette attitude avait des lettres de noblesse dans la tradition des « fous » du Chan. Mais l'heure n'est plus aux associations littéraires sur l'ivresse et la folie, facteurs de l'éveil. Les moines actuels, qui imitent le comportement des anciens, le font « sans avoir l'éveil approprié » — ils ne sont que de vulgaires laxistes, non des tricksters. Cette critique est reprise mot pour mot à l'époque Edo par le maître Chôon Dôkai (1630- 1682), un des réformateurs du Zen japonais. Son contemporain Jiun, quant à lui, écrit :

« Être un novice bouddhique signifie simplement se raser le crâne et porter la robe monacale. Certains ne reçoivent mêmes pas les Défenses, d'autres ne les reçoivent que pour les enfreindre. Ils vendent le Dharma et aiment la bonne chère, la boisson et les beaux habits. Ils considèrent la richesse matérielle comme un signe de vertu, et l'habileté en paroles comme de l'érudition. Ils n'éprouvent ni culpabilité ni honte. »

Comme on le voit, les rapports sexuels ne constituaient qu'un des aspects de la transgression, qui incluait aussi les infractions relatives à la consommation de boissons alcooliques et au végétarisme. La consommation de viande et de poisson par les moines était condamnée par les autorités civiles comme un symptôme de la corruption du clergé bouddhique. On sait par exemple que plusieurs moines furent impliqués en 1409 dans un scandale à ce propos et envoyés en exil. La consommation d'alcool de riz, sous le nom d' « eau de prajña », était également courante. En 1419, elle fut strictement interdite au Shôkokuji, l'un des cinq grands monastères Zen de Kyôto. L'année suivante, la prohibition s'étendit à tous les monastères Zen. La même année, un émissaire coréen notait que dans un des monastères qu'il avait visités moines et nonnes dormaient dans la même salle. Enfin, l'homosexualité semble avoir été relativement répandue — à tel point qu'on peut se demander si l'abandon du célibat monastique ne s'est pas imposé en partie comme une mesure visant à réduire la pédérastie et les autres formes d'amour semi-clandestines que décrit Saikaku. Le précédent le plus prestigieux est bien sûr celui de Shinran (1173-1262), qui justifia son mariage par un rêve prémonitoire dans lequel le Bodhisattva Kannon lui apparut sous les traits de sa future femme. La tradition rapporte que son successeur Rennyo avait plus de trente enfants. Cependant, le mariage demeura légalement interdit pour les moines jusqu'à l'époque Meiji — encore que ces derniers aient souvent eu des servantes ou des concubines qu'ils cachaient ou faisaient passer pour des disciples — comme l'héroïne du roman de Saikaku mentionné plus haut. A l'époque Edo, le gouvernement édicta des règlements contre un type de prostituées surnommées bikuni (« nonnes ») — et qui étaient effectivement, dans certains cas, des religieuses déchues. Avec la paix des Tokugawa et l'essor d'une société urbaine portée aux plaisirs, les abords des temples bouddhiques et des sanctuaires Shintô s'ornèrent de maisons de thé dans lesquelles la prostitution mâle et femelle florissait — en dépit des tentatives gouvernementales pour maintenir un semblant d'ordre moral confucéen.

La décadence morale n'est pas un phénomène spécifiquement monastique, mais reflète plutôt le déclin qui affecte la société des Tokugawa dans son ensemble. En enrôlant le bouddhisme dans sa lutte contre le christianisme, le gouvernement des Tokugawa avait lié le destin du bouddhisme au sien et contribué à faire de cette religion ultra-mondaine une doctrine mondaine, voire « demi mondaine ». Il ne faut pas pour autant exagérer la responsabilité des Tokugawa : la déréliction monastique ne date pas de l'époque Edo. Sans remonter de nouveau jusqu'à l'Inde bouddhique, on peut noter qu'Ikkyû, déjà, s'emportait contre les faux pratiquants du Zen qui « convoquent leurs disciples pour un" éveil mystérieux ", et pratiquent un" Zen démoniaque ", faisant des monastères des lieux de luxure ». Il faut néanmoins garder à l'esprit le contexte polémique de telles critiques qui, dans ce cas précis, visaient tout particulièrement le condisciple et rival d'Ikkyû, un maitre Zen du nom de Yôso. L'orthodoxie des uns devient souvent l'hérésie des autres. L'opposition qu'établissait Ikkyû entre son « naturalisme » authentique et celui, dépravé, de ses adversaires passa inaperçue des censeurs, qui mirent son ouvrage à l'index.

Du côté tibétain, la situation n'est semble-t-il guère meilleure. Le cas du sixième Dalaï-lama n'est pas sans rappeler celui d'Ikkyû, mais son destin fut, on le sait, tragique. Par ailleurs, on trouve chez Dugpa Kunleg de nombreuses allusions aux pratiques sexuelles avec une « femme de gnose » ou « sceau » (mûdra). La Félicité suprême est atteinte par ce moyen... Mais l'utilisation de la « machine » qu'est le corps, et particulièrement le sexe, est dangereuse. Comme le souligne Rolf Stein, Atisha et les Kadampa, auxquels Dugpa Kunleg se rattache également, avaient réagi contre les excès des sectes qui pratiquaient au XIe siècle le meurtre (« libération ») et le coït (orgie sexuelle). Néanmoins, les techniques sexuelles en tout cas (et, sur le plan symbolique, la « libération ») ont continué à être pratiquées chez les Nyingmapa. Kunleg met clairement en garde contre l'hypocrisie qui consiste à prêcher à autrui des méthodes qu'on est incapable de pratiquer soi-même :

« Sans renoncer soi-même à l'amour vulgaire
(on choisit une femme) Attrayante, belle mais d'esprit mauvais,
On jouit de la Félicité du coït avec les machines (du corps),
Ces enseignements aussi sont tromperies du Démon ».

Il ne voit là que duplicité et mensonge :

« Prêcher à autrui, comme sainte religion, la méthode de faire remonter la " goutte " [le sperme], alors qu'on tombe soi-même dans la procréation d'enfants, cette voie ou " méthode sexuelle " n'est qu'un mot qu'on porte à la bouche, cela aussi est un exemple d'antinomie. ».

Bernard Faure

lundi, juin 03, 2013

La Grande Nature Sans Action



Le monastère de Menri dans l'Himachal Pradesh (Inde).

« Chez les Bönpos, il y a cinq clans ou familles : les Dru, les Zhu, les Pa, les Me, et les Shen. Même s'ils sont tous Bönpos, chaque clan possède sa propre lignée traditionnelle et ses règles strictes. Si Shardza Tashi Gyaltsen les respecta toutes, il suivit surtout celle des Dru, parce qu'elle est détentrice de la lignée de Menri »
Tenzin Namdak


Le lama Bönpo Shardza Tashi Gyaltsen (1859-1935) disait :

« Le pratiquant de capacité supérieure n'a pas besoin de méditer ou de contempler, il a simplement besoin de prendre une décision. Par cette ferme décision, il est libéré. [...]

L'activité ne peut apporter la Bouddhéité car toutes les activités sont matérielles et donc impermanentes. La Nature et la vérité ultime sont comme le ciel ; aucune activité ne peut apporter la vacuité. Ainsi, décidez simplement d'entrer dans la « Grande Nature Sans Action ».

Au pratiquant soucieux de s'affranchir des pensées adventices, il rappelait :

« Toute la pratique a pour but de voir directement avec pleine conscience (la conscience claire). Cela parce que, lorsque les pensées s'élèvent soudainement, à l'instant même, elles se libèrent d'elles-mêmes (si vous en êtes conscient). »


mardi, mai 28, 2013

Karpâtrî, l’État dharmique & la véritable spiritualité hindoue




Svâmî Karpâtrî lutta toute sa vie pour la fermeture des abattoirs et pour défendre la vache sacrée. Il exprima cette revendication par des slogans très inattendus dans l'univers politique : « Vive le dharma » (dharma ki jaya ho!) ; « Que soit détruit l'anti-dharma ! » (adharma ka nasha ho!) ; « Bienveillance pour tout ce qui respire ! » (praniyon men sadbhavana ho !) « Sauvegardons le monde ! » (vishva ka kalyana ho !) ; « Vive notre mère la vache ! » (gomata ki jaya ho !) ; « Stop à la boucherie des vaches ! » (gohatita band ho !). 

« Il y avait en Svâmî Karpâtrî (1907-1982), écrit Svarûpânanda Sarasvatî (un ancien compagnon de lutte de Karpâtrî) une remarquable combinaison de préoccupations sociales, de sainteté, de sagacité politique et de qualités dirigeantes très difficile à rencontrer ailleurs. Même en politique, son amour des principes demeurait intact. Nous pouvons nous en faire une idée à travers les avis intrépides qu'il a exprimés en des occasions comme la partition de l'Inde, l'invasion [chinoise] de Kailâsa Mânasarovara, le Hindu Code Bill , les luttes contre l'abattage des vaches, le contrôle gouvernemental sur la dot, l'agitation pour casser le cordon sacré, etc. Il était intransigeant face à toute attaque, même la plus légère, contre la tradition et rendait coup pour coup.

À son avis, politique et dharma devaient être aussi inséparables que des époux indiens. Séparés, la politique sans dharma ou le dharma sans politique perdent toute raison d'être ; c'est pourquoi il essaya d'établir un État politique basé sur le dharma qu'il appela le Royaume de Rama. Svâmiji défendit publiquement ses idées au forum panindien constitutif de l'Assemblée du Royaume de Râma, dont le but était de promouvoir le mode de vie indien et de mettre sur pied un gouvernement qui ne fût pas en contradiction avec les Écritures. Il me nomma premier président de ce parti.

Comme la lutte pour la liberté de l'Inde avait été menée à partir de la plate-forme du parti du Congrès (parti social-démocrate), celui-ci exerçait une très forte influence sur nos concitoyens. Mais les principes du parti [de Svâmi Karpâtrî] la Râma Râjya Parisad, ne correspondaient ni à ceux du Congrès, ni à ceux des autres partis de l'époque. L'appel éclatant à un pays gouverné par le dharma lancé par la Râma Râjya Parisad était différent et plus attractif que tous les airs chantés par les autres partis politiques. 

Mais un nouveau parti, l'Union du Peuple indien (Bhâratîya Jana Sangha), apparut peu de temps après la fondation de la Râma Râjya Parisad ; bien que très différent du premier dans ses principes, il donnait extérieurement l'illusion de lui ressembler. L'objectif de ce Bhâratîya Jana Sangha - autant que de la Hindû Mahâsabhâ -, était l'établissement d'une « nation hindoue » : ils différaient de la Râma Râjya Parisad autant par leurs méthodes d'action que par leurs idées.

Svâmî Karpâtrî croyait que le bien public ne pouvait advenir qu'a travers un État « dharmique ». Il soulignait que même si [le démon-roi de Lankâ] Râvana avait été hindou et brahmane, son règne n'avait apporté rien de bon. Donc, le bien public ne pouvait être garanti par la création d'une « nation hindoue ». En conséquence, Svâmîjî combattit les arguments [ultra-nationalistes et fondamentalistes] du RSS, de la Hindû Mahâsabhâ et du Jana Sangha, et il souligna les différences entre les visées religieuses et politiques de la Râma Râjya Parisad et l'idéologie de ces autres partis.

Dans ce but, son ouvrage Le Nectar de la pensée critiqua les thèses de La Crème de la pensée de Golvalkar (le chef suprême du RSS, successeur de Savarkar, se référait positivement à l'État nazi) et de Les Six pages d'or de l'histoire indienne de Savarkar (un nationaliste révolutionnaire), il réfuta spécialement les positions du RSS dans sa brochure Le RSS et le dharma hindou.

Svâmî Karpâtrî ouvrit les portes de la Rama Râjya Parisad à tout hindou, musulman, chrétien, sikh, jaïn, parsi, bouddhiste, etc., pratiquant sa religion avec honnêteté et rectitude. Dans son ouvrage L'Assemblée du Royaume de Râma et les autres groupes, il précise ainsi les différences entre la Râmarâjya Parisad et les autres partis politiques :

"Il est évident qu'aucun parti politique de ce pays n'est cohérent envers lui-même et le public ; les buts de ces partis sont une chose, leur conduite en est une autre. C'est pourquoi stabilité et confiance politique font défaut en Inde ; le seul objectif des politiciens est d'obtenir des voix à l'aide de fausses promesses. L'objectif de la Râmarâjya Parisad, au contraire, est de sortir de cette indignité et de mettre en pratique des idées politiques saines. La Râmarâjya Parisad est aussi cohérente dans ses buts que dans ses moyens. Il n'y a chez elle aucune sorte de duperie, aucune avidité vis-à-vis de quoi que ce soit. Son seul but est d'établir une politique fondée sur le dharma qui soit sans partialité [vis-à-vis de toutes les religions]."

Le vénérable Svâmî Karpâtrî parlait quelquefois d'un Français nommé Shiva Sharan (Alain Daniélou), qui avait suivi ses idées. Il croyait que Daniélou comprenait ses intentions et avait du respect pour lui. C'est pourquoi il aurait donné sa bénédiction aux traductions de ses articles par Shiva Sharan - dont nous pensions aussi qu'il diffusait les idées de Svâmîji en Occident, ce qui était tout à fait digne d'éloge.

Nous avons donc été heureux lorsqu'un associé de Shiva Sharan, Jean-Louis Gabin, décida de publier un recueil comprenant certains essais de Svâmîji traduits par son compatriote. Mais, à l'examen, on découvrit que Shiva Sharan-Alain Daniélou avait déformé les écrits de Svâmî Karâtrî et, en plusieurs endroits, les avait falsifiés. Cela devint encore plus évident lorsqu'on confronta les traductions aux articles originaux. Aucun de nous ne s'était attendu à une chose pareille. Si Svâmîjî était toujours vivant, sa confiance en Shiva Sharan aurait sûrement été blessée. » […]

Les falsifications d'Alain Daniélou

« En réalité, dit Jean-Louis Gabin, pour l'essentiel, mais sans jamais le dire, Daniélou a refusé les clarifications de Svâmî Karpâtrî et, sans prévenir ce dernier, les a sciemment défigurées dans ses publications. L'absolutisation du linga au détriment de la yoni, l'assimilation de son culte aux cultes phalliques et à un hédonisme plus ou moins maquillé en tantrisme, la scission entre Shiva et la Déesse, l'opposition entre Shiva et Vishnou, la dévalorisation de ce dernier et de la Déesse, la caractérisation de Shiva comme d'un dieu de tamas, l'opposition des aryens « puritains » aux dravidiens extatiques, la présentation de l'hindouisme comme fondamentalement polythéiste — toutes les idées, en somme, par lesquelles les ouvrages d'Alain Daniélou ont acquis leur célébrité — sont totalement opposées aux points de vue de l'hindouisme traditionnel exposés par Svâmî Karpâtrî. »

Jean-Louis Gabin ajoute à propos de Svâmî Karpâtrî :

« Ce penseur mérite d'être découvert et traduit pour ce qu'il peut apporter, du sein de l'hindouisme orthodoxe, et en Inde même, notamment à la recherche de l'entente entre les diverses religions, dans le respect des particularités de chacune. » […]

Très éloigné du polythéisme hindou exposé par Alain Daniélou, « l'Advaita Vedânta est l'un des six « points de vue » orthodoxes de l'hindouisme, et c'est celui où se place généralement Svâmî Karpâtrî, rappelle Jean-Louis Gabin qui cite René Guénon : « Tandis que l'Être est "un", le Principe suprême [désigné comme brahman ou parabrahman] peut seulement être dit "sans dualité" (advaita), parce que, étant au-delà de toute détermination, même de l'Être qui est la première de toutes, il ne peut être caractérisé par aucune attribution positive ».

Dans Svâmî Karpâtrî, symboles du monothéisme hindou, Jean-Louis Gabin et Gianni Pellegrini ont traduit de l'hindi et du sanskrit plusieurs textes de Svâmî Karpâtrî. Dans ces textes, « ce qui ne peut manquer de frapper le lecteur occidental c'est que les correspondances entre Vishnou et la Déesse — assorties de précisions métaphysiques sur le non-manifesté, l'obscurité primordiale, l'irruption de la lumière dans la substance, de la conscience dans l'énergie — sont données comme autant d'indications du processus individuel de réalisation initiatique, qui passe par la discrimination entre la connaissance ou gnose (jñâna) et l'ignorance (avidyâ). [...]

Partant du processus de la "manifestation" du monde pour aboutir à des applications doctrinales touchant directement au domaine de la réalisation spirituelle, ces textes abordent de nombreuses questions essentielles, depuis l'explication de la nature de l'univers jusqu'au sens de la vie humaine, de l'origine du déploiement cosmique jusqu'à ses correspondances dans le cœur humain. » (Gabin)

Svâmî Karpâtrî
symboles du monothéisme hindou
le linga et la déesse


Svâmî Karpâtrî (1907-1982) rétablit dans ces pages l'évidence du monothéisme hindou. Dans deux synthèses transcendantes sur le linga, icône aniconique, symbole du Principe au-delà de la forme, il met en pièces les idées fausses de « culte du phallus », de « polythéisme hindou » et de « shivaïsme pré-aryen » diffusées par le premier vulgarisateur de ces textes, Alain Daniélou. Puis, dans un vaste panorama consacré à la Déesse - tour à tour héroïne épique, principe féminin de grâce et de beauté, mais aussi symbole du Principe suprême -, il établit des ponts entre deux voies de réalisation spirituelle, l'Advaita Vedânta et Shrîvidyâ. La traduction entièrement nouvelle, établie sur les originaux publiés pour la première fois en Occident, met en lumière l'enseignement doctrinal en acte d'un maître spirituel contemporain qui combattit aussi bien le nationalisme néo-hindou que l'ingérence de l'État séculariste dans les affaires de la religion.

Svâmî Karpâtrî, renonçant (samnyâsin) de la lignée Sarasvati, artisan d'une restauration de l'hindouisme traditionnel et auteur d'une quarantaine d'ouvrages, fut le chef spirituel d'une grande partie de l'Inde du Nord dans les années qui ont précédé et suivi l'indépendance de l'Inde.

Svâmî Shrî Svarûpânanda Sarasvati, Jagadgourou Shankarcharya de Dvârakapîtha et Jyotispîtha, est l'une des plus hautes autorités de l'hindouisme contemporain. Il fut un proche compagnon de Svâmî Karpâtrî et le premier président de son parti politique, la Râma Râjya Parisad.

Jean-Louis Gabin, docteur ès lettres, a étudié et enseigné quinze ans en Inde, il a dirigé en 2009 à Bénarès l'ëdition bilingue de The Linga and the Great Goddess de Svâmî Karpâtrî et il est l'auteur de L'Hindouisme traditionnel et l'interprétation d'Alain Daniélou (Éd. du Cerf 2010.)

Gianni Pellegrini, maître de Vedânta de l'université sanskrite de Bénarès et docteur en indologie de l'université de Venise, enseigne la philosophie indienne à l'université de Turin. Il a obtenu le prix Sarasvati de sanskrit 2010 du Conseil indien pour les relations culturelles et de l'Institut d'Asie du Sud de Heidelberg.






Le plan dirigé contre l’Esprit

La lutte pour la supériorité et les spéculations continuelles dans le monde des affaires créera une société démoralisée, égoïste et sans cœu...