Selon des commentaires de Thomas Cleary du manuel de méthodes de clarification de l'esprit intitulé Le secret de la Fleur d'or.
L'art du
retournement de la lumière
Cet "art" était enseigné par le taoïsme de la branche nord, influencé
par le bouddhisme chan. Il exclut les systèmes de manipulation
physiologique de l'énergie tels que les enseigne le taoïsme de la
branche sud, influencé par le bouddhisme tantrique.
Le « retournement de
la lumière » consiste à mentalement « tourner le
regard » en soi, vers la source de la conscience.
Quand la lumière, qui
représente la fonction de la conscience inconditionnée, est
« retournée » et dirigée vers sa propre source,
l'esprit se dégage de l'influence de l'environnement et des facteurs
psychologiques. Avec entre autres pour conséquence que l'énergie
physique est conservée et purifiée, du fait même qu'elle
n'intervient plus de manière conflictuelle dans les états
intérieurs ou extérieurs.
Ce retournement permet
d'accéder à un état mental libre de l'influence du conditionnement
temporel. Le retournement correctement effectué permet d'être
au-delà de tous les états méditatifs provoqués.
En dehors du retournement
de la lumière, il n'y a pas d'exercice spécial qui permette de
restaurer l'intégrité primordiale.
L'esprit
originel et l'esprit conscient
La
distinction entre l'esprit originel et l'esprit conscient est la
suivante. Tandis que l'esprit conscient est historiquement
conditionné, l'esprit originel est l'essence même de
l'intelligence. (Intelligence au sens étymologique d'entendement,
faculté cognitive)
L'esprit
conscient correspond à un ensemble de modifications de
l'intelligence primordiale, l'esprit originel représentant l'essence
de cette intelligence première. Une essence qui transcende
l'organisation primordiale, à savoir qu'elle est par nature encore
plus fondamentale que les grands types de modifications pouvant
affecter la conscience.
« Voir
l'essence » et le « visage originel » sont deux
termes du bouddhisme chan qui correspondent à l'expérience de
l'esprit primordial. Cette expérience ne peut-être comprise que
lorsqu'on la fait soi-même.
Donner
la primauté à l'esprit originel fait que l'esprit conscient reprend
sa place de subordonné. En effet, l'esprit conscient (celui qui
pense) est en principe le serviteur de l'esprit originel, mais il a
tendance à centrer toute son activité sur lui-même, au point qu'il
finit par apparaître comme une entité indépendante.
Retourner
la lumière de la conscience pour qu'elle devienne consciente de sa
propre source permet à l'esprit de se libérer de l'intérêt
obsessionnel qu'il porte à ses propres fabrications. Cela permet de
maîtriser et d'ordonner l'esprit conscient sans forcer, simplement
en maintenant la position centrale de l'esprit originel.
Il
n'est nullement question d'oblitérer l'esprit conscient (l'esprit
qui pense, qui imagine, qui rêve et qui éprouve des émotions).
Chez
le « libéré vivant », la pensée, l'imagination, le
rêve et l'émotion ne sont pas supprimés, mais ces facultés sont
placées sous le contrôle de la source qui les nourrit et elles
deviennent des moyens d'expression de cette énergie.
« L'énergie
de la véritable unité primordiale » représente le flux
vivant des cycles perpétuels de l'évolution naturelle dans laquelle
tout être et toute chose participent de la vie du reste. Le Tao
exprime l'idée de l'unité primordiale en ces termes : « Tous
les êtres sont fondamentalement forme et énergie. La forme et
l'énergie sont fondamentalement esprit. L'esprit est
fondamentalement ouverture totale. Le Tao est fondamentalement le
non-être ultime. Là se trouve le changement. »
Le corps
L'énergie
s'affranchit de l'âme inférieure, c'est-à-dire qu'elle se détache
du sentiment d'être un corps « solide » (doué d'une
réalité matérielle), physiquement présent dans un monde
« solide » (ayant une réalité matérielle). Lorsque
l'énergie se libère de l'attachement obsessionnel au corps et aux
émotions grossières, elle peut servir à restaurer l'intégrité de
l'esprit originel.
La
maturation
Grâce
à l'exercice régulier du retournement de la lumière, une sensation
d'ouverture et d'espace apparaît, ainsi que la présence de
l'énergie dans l'infinitude de l'esprit qui a fusionné avec le
ciel.
Le
retournement de la lumière coupe court à l'imagination vagabonde et
élimine les habitudes compulsives en les arrêtant à la source
même.
Le
processus de maturation qui suit l'éveil initial produira le corps
spirituel naturel.
Durée
« La
lumière est facile à mettre en mouvement mais difficile à
stabiliser. Une fois retournée pendant un certain temps, elle se
cristallise. C'est cela, le corps spirituel naturel, celui qui
stabilise l'esprit au-dessus des neufs cieux. »
(Le secret de la Fleur d'or). L'expression
« au-dessus des neuf cieux » décrit un état mental
libre de l'influence du conditionnement temporel.
Une
période de cent jours est nécessaire pour ériger les fondations en
stabilisant l'« ouverture » à l'esprit originel. Il se
peut bien entendu que le temps réel soit différent, auquel cas le
critère déterminant la durée sera la production de l'effet
recherché.
L'accomplissement
spirituel surgit de lui-même et on ne peut l'attendre, car il n'est
pas le produit d'une imagination subjective. L'espoir et les attentes
du disciple ne font que gêner l'action spontanée du potentiel qui
se réalise pour devenir accomplissement.
Le
fait de déterminer à l'avance la durée de la session de
retournement de la lumière peut avoir des effets négatifs en
transformant en rituel automatisé ce qui devrait être une technique
libératrice. Les adeptes japonais du zen et leurs émules
occidentaux donnent souvent l'impression d'avoir une conception
quantitative de la méditation, alors que l'aspect qualitatif est la
préoccupation essentielle de l'art du « retour » à la
nature de l'esprit.
Les
méditants ont tendance à mettre surtout l'accent sur la méditation
assise, bien que les enseignants qualifiés aient souligné que
l'attachement au calme peut avoir de graves inconvénients, tant au
plan mental que physique. Si l'on ne s'adonne à la pratique du
« retournement de la lumière » que dans certaines
conditions ou au moyen de posture spécifique, on risque de ne pas
savoir l'intégrer complètement au quotidien, ce qui peut entraîner
une sorte de scission de la personnalité.
L'esprit &
le souffle
« Les
débutants souffrent généralement de deux sortes de maux : la
torpeur (engourdissement de l'esprit qui fait oublier l'objet de
l'attention) et la distraction. Il existe un moyen de s'en
débarrasser qui consiste simplement à laisser l'esprit se poser sur
le souffle. »
Quand l'esprit s'excite, la respiration s'accélère ;
quand l'esprit est calme, il en va de même pour le souffle.
Les débutants apaisent l'esprit grâce à la
respiration.
"Mais, les plus avancés, parviennent à rester dans la
nature de l'esprit dans toutes les circonstances de la vie et
laissent se dérouler en pleine liberté toutes sortes
d'activités, qu'il s'agisse de mouvement de colère, de course
effrénées en tout sens, d'actions parfaitement neutres, d'activités
ordinaires consistant à se nourrir, marcher, s'asseoir, danser,
fabriquer quelque chose, etc. (Les Instructions du Vainqueur
Éternel, manuel de « méditation » des dzogchenpa
bönpo.)" *
A ce stade, « Le secret de la fleur d'or »
parle de maîtrise : « Trouvez la maîtrise de jour, et
vous l'utiliserez de nuit. Trouvez la maîtrise de nuit, et vous
l'utiliserez de jour. »
La « maîtrise » signifie une stabilisation
de la conscience supérieure telle qu'on soit capable d'effectuer le
retournement de la lumière à volonté et en toutes circonstances.
Nous retrouvons ici l'un des préceptes du dzogchen bönpo exposé
dans « Les Instructions du Vainqueur Éternel » (voir
plus haut) **.
Erreurs
dans le retournement de la lumière
S'égarer
dans le quiétisme et le nihilisme.
Un
état de tranquillité sans pensée peut conduire dans des impasses
sans même s'en rendre compte.
Rester
immergé dans le néant ou l'indifférence.
Le
lâcher prise qui va jusqu'à la torpeur.
Se
laisser distraire par les expériences qui surviennent durant la
contemplation.
Croire
que le but a atteindre est l'arrêt complet de la pensée.
Expériences
qui authentifient le retournement de la lumière
L'esprit
est lucide et calme.
Un
sentiment de bien-être apparaît.
Les
passions disparaissent.
L'altruisme
supplante l'égoïsme...
Méthode
vivante du retournement de la lumière
Une
« méthode vivante » est une méthode bien adaptée aux
besoins de chacun et bien intégrée au quotidien, à la différence
d'une « méthode morte » qui consiste à se livrer
mécaniquement à une routine.
Le
texte souligne à plusieurs reprises que l'ouverture de la conscience
élargie connue sous le nom de « fleur d'or » n'est pas
le simple résultat de la pratique régulière d'exercices yogiques
répétitifs.
Il
est inutile d'abandonner ses occupations ordinaires.
* et **, notes de Félicie.