Le monde contemporain
par Julius Evola
Plus tard, on a vu la révolte des Communes et l'apparition, sous des formes diverses, d'une puissance commerciale. La proclamation solennelle des droits du "Tiers Etat", en France, constitua l'étape décisive à laquelle succédèrent les diverses variétés de la "révolution bourgeoise", c'est-à-dire précisément de la troisième caste, à laquelle les idéologies libérales et démocratiques servirent d'instruments. Parallèlement, la théorie du contrat social est caractéristique de cette ère : on ne trouve même plus à présent, comme lien social, une fides de type guerrier, des rapports de fidélité et d'honneur.
Le lien social revêt un caractère utilitaire et économique : c'est un accord fondé sur la convenance et l'intérêt matériel le seul qu'un marchand puisse concevoir. L'or sert d'intermédiaire et celui qui s'en empare et sait le multiplier (capitalisme, finance, trusts, industrie) contrôle virtuellement, derrière la façade démocratique, le pouvoir politique et les instruments servent à former l'opinion publique.
L'aristocratie cède la place à la ploutocratie ; le guerrier au banquier et à l'industriel. L'économie triomphe sur toute la ligne. Le trafic de l'argent et l'agiotage, jadis confiné aux ghettos, envahit toute la nouvelle civilisation. Selon l'expression de Sombart, dans la terre promise du puritanisme protestant, avec l'américanisme et le capitalisme, ne vit que de l'"esprit hébraïque distillé". Et il est naturel, compte tenu de cette parenté, que les représentants modernes de l'hébraïsme sécularisé aient vu s'ouvrir devant eux, durant cette phase, les voies de la conquête du monde. Le passage suivant de Karl Marx est, à cet égard, caractéristique :
En réalité la codification religieuse du trafic de l'or comme du prêt à intérêt, propre aux Hébreux, peut être considérée comme la base même de l'acceptation et du développement aberrant, dans le monde moderne, de tout ce qui est banque, finance, économie pure, phénomène comparable à l'envahissement d'un véritable cancer. Tel est le moment fondamental de l'"époque des marchands".
Enfin, la crise de la société bourgeoise, la lutte des classes, la révolte prolétarienne contre le capitalisme, le manifeste de la "Troisième Internationale" et l'organisation corrélative des groupements et des masses dans les cadres d'une "civilisation socialiste du travail" marquent le troisième effondrement, par lequel le pouvoir tend à passer à la dernière des castes traditionnelles, à celle de l'homme de peine et de l'homme-masse, ce qui entraîne comme conséquence la réduction de tous les horizons et de toutes les valeurs au plan de la matière, de la machine et du nombre. La révolution russe en est le prélude. Le nouvel idéal est l'idéal "prolétarien" d'une civilisation universelle communiste.
Le réveil et l'irruption des forces élémentaires sub-humaines dans les structures du monde moderne correspond, a le même sens que ce qui arrive à un individu qui ne supporte plus la tension de l'esprit (première caste), ne supporte pas même, ensuite, celle de la volonté en tant que pouvoir libre qui meut le corps (caste guerrière) s'abandonne aux forces sub-personnelles du système corporel, mais, tout d'un coup, se relève magnétiquement sous l'impulsion d'une autre vie qui se substitue à la sienne. Les idées et les passions du demos finissent par ne plus appartenir aux hommes, elles agissent comme si elles avaient une vie autonome et redoutable et en se jouant d'elles à travers les intérêts ou les "idéaux" qu'elles pensent poursuivre jettent les nations et les collectivités les unes contre les autres, dans des conflits ou des crises dont l'histoire ne connaissait pas d'exemple avec, à la limite, la perspective de l'écroulement total, de l'internationale mondiale placée sous les signes brutaux de la faucille et du marteau.
La première partie du livre, " Le monde de la Tradition ", définit, à travers une étude comparée embrassant les civilisations les plus variées, une doctrine des catégories fondamentales du monde traditionnel : la royauté sacrée, la paix et la justice, l'État et l'Empire, le rite, la contemplation et l'action, l'initiation et le sacre, la guerre, les " jeux ", le statut de l'homme et de la femme, etc. Ainsi sont indiquées les voies qui conduisent parfois au-delà de la condition humaine, ou bien qui lui assuraient une stabilité inébranlable. A l'inverse, l'homme moderne apparaît comme un cas aberrant d'être non plus relié aux forces d'en haut et emporté par la "démonie" du collectif vers de nouvelles formes de la barbarie.
La deuxième partie du livre, "Genèse et visage du monde moderne", développe une "métaphysique de l'histoire", à travers l'exposition de la doctrine traditionnelle des cycles, des considérations sur le symbolisme du pôle, l'habitat hyperboréen originel, la "Lumière du Nord" et la "Lumière du Sud", le matriarcat, etc. Elle se poursuit par l'analyse des cycles de la décadence, depuis les grandes cultures préchrétiennes jusqu'à la Russie et l'Amérique contemporaines, en passant par le monde gréco-romain et le Moyen Age.
En 1935, le poète Gottfried Benn salua ce livre comme "une oeuvre dont l'importance exceptionnelle apparaîtra clairement dans les prochaines années et écrivit qu'en la lisant" on regardera l'Europe d'une autre manière".