vendredi, août 03, 2012

Impasse du chômage





La défaite la plus dramatique de notre société est son incapacité à donner une place à chacun. Étrangement, le constat de cette défaite est brouillé par l'emploi d'un mot qui désignait autrefois une circonstance agréable, le chômage. Les journées chômées étaient les repos accordés en l'honneur de la fête d'un saint ou en l'honneur d'un événement glorieux, victoire ou naissance d'un prince. Ce même mot définit maintenant l'impossibilité de jouer un rôle actif dans la collectivité. Être en chômage, c'est être en trop.

Paradoxalement, l'extension de cette plaie est le résultat d'un magnifique succès de notre intelligence : faire reculer la malédiction du travail. Les machines, maintenant aidées par les outils informatiques, font la plus grande part des tâches autrefois nécessaires, et cette heureuse évolution va certainement se prolonger. La conséquence normale devrait être de permettre à chacun d'étendre dans son parcours de vie la place des activités choisies. Par une aberration monstrueuse, nos sociétés ont fait du travail la principale clé d'entrée dans la société. Celui qui ne trouve pas de travail se trouve exclu.

En fait, durant la plus grande partie de l'histoire humaine, le concept même de travail ne correspondait à aucune réalité. Les chasseurs-cueilleurs qu'étaient nos lointains ancêtres ne connaissaient que des activités considérées aujourd'hui comme des loisirs. Ils n'ont imaginé de retourner le sol, de le semer, de récolter, de mettre à l'abri la nourriture produite que depuis à peine quinze mille ans. Pour cela, il a fallu créer des outils, construire des greniers, défendre ceux-ci contre les voleurs, faire la guerre. Certes, ce statut d'éleveurs-agriculteurs permettait de disposer d'une plus grande quantité de nourriture, mais le prix à payer, l'obligation de travailler, a pu paraître à certains bien lourd. Pour alléger ce poids, nos sociétés ont imaginé de sacraliser ce qui n'est qu'une contrainte douloureuse.

L'accès de chacun aux biens produits par l'effort de tous a été conditionné jusqu'à présent par sa participation à cet effort : « à chacun selon ses mérites ». Mais, pour produire, il faut désormais moins d'efforts ; un jour viendra où il n'en faudra presque plus ; les machines s'en chargeront. Nous devrions nous en réjouir; stupidement, par manque d'imagination devant ces conditions nouvelles, nous le déplorons. Pour maintenir le système de répartition d'autrefois, nous inventons de produire des biens rigoureusement inutiles, les « gadgets », dont nous nous efforçons de persuader les consommateurs qu'ils sont nécessaires; cela donne du travail à ceux qui les produisent, à ceux qui en font la publicité, à ceux qui les vendent, à ceux qui les détruisent; mais ce travail n'est qu'une fatigue inutile et dévore souvent des ressources non renouvelables de la planète. Cette fuite en avant vers la consommation aboutit à une véritable obésité des sociétés les plus riches.

Donner du travail à tous, est-ce vraiment l'objectif ? Pour le mettre en doute, il suffit de remarquer que la disparition des malfaiteurs, privant de travail tous ceux qui luttent contre eux, serait un facteur d'accroissement du chômage.

Il est temps de s'interroger sur la finalité de la vie en commun.

Albert Jacquard



Illustration :

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