Dans
un contexte de tensions suscitées par Innocence of Muslim,
le film anti-islam, et les caricatures de Charlie-Hebdo, Marine Le Pen
a fait une rentrée fracassante la veille du lancement de
l'université d'été du Front National à La Baule
(Loire-Atlantique).
Dans
un entretien au
journal Le
Monde
publié
vendredi, la présidente du FN a réclamé l'interdiction du port du
voile et de la kippa dans les espaces publics « dans les
magasins, les transports, la rue ». Au
pouvoir, Marine Le Pen assure qu'elle prendrait des mesures pour un
respect strict de la loi de 1905, pas de financement des lieux de
culte, « plus
de prières de rue, plus de spécificités alimentaires dans les
écoles publiques », casher ou hallal. Marine Le Pen annonce
également qu'elle modifierait la Constitution pour y écrire que «
la République ne reconnaît aucune communauté »
(http://www.rewmi.com).
La
« laïcité intégrale » de Marine Le Pen fait dire à l'historien
et sociologue de la laïcité Jean Baubérot : « C'est aller
vers une société totalitaire qui dicte aux gens une manière de
s'habiller dans la rue et là, il n'y a plus de limite ».
Mais,
c'est le calcul politique de Marine Le Pen (18 % des suffrages à la
présidentielle de 2012), la peur du fanatisme musulman renforcera
l'identité nationale, le cheval de bataille du FN.
L'identité
française et le FN
par Gérard
Noiriel
Entre
1981 et 1984, le parti socialiste au pouvoir abandonne la référence
à la lutte des classes au profit d'une stratégie centrée sur la
défense des « valeurs républicaines ». C'est à ce moment-là que
les « travailleurs immigrés » disparaissent de l'espace public, au
profit d'un nouveau système de représentations, privilégiant
l'origine des personnes et non plus leur position sociale, système
avalisé tant par la droite que par la gauche. La « deuxième
génération d'origine maghrébine », désignée aussi par le terme
« beurs », est ainsi brutalement placée sur le devant de la scène
publique et devient le jouet des affrontements politiques. A partir
de ce moment, il n'est plus possible d'espérer gagner les élections
sans produire un discours dénonçant le « communautarisme »
islamiste. La gauche exalte les « valeurs républicaines » en
vantant les mérites de la « laïcité » à la française et de
l'intégration républicaine ; la
droite dénonçant, pour sa part, la menace islamiste et
l'incompatibilité de l'islam avec l'identité française.
Le consensus droite/gauche sur cette question apparaîtra clairement
au moment de I'« affaire du voile islamique », ce qui explique
certainement l'incroyable durée de cette affaire : quatorze ans !
L'effondrement
des organisations qui représentaient auparavant les classes
populaires et la désignation de ces dernières à partir du critère
de l'origine, au détriment du Critère social, a ouvert un espace
politique dans lequel s'engouffre le Front national à partir de
1983. Pour comprendre les raisons qui expliquent le retour de
l'extrême droite dans le jeu politique français, il faut abandonner
les références au fascisme des années 1930. À la différence de
l'Action française, qui voulait supprimer la République pour
rétablir la monarchie, le parti de Jean-Marie Le Pen affiche son
respect pour les institutions républicaines. De même, alors que
l'ancienne extrême droite privilégiait l'action violente, agressant
quotidiennement les militants de gauche, le Front national s'est
adapté au contexte pacifié dans lequel nous vivons aujourd'hui (ce
qui n'empêche pas les comportements agressifs de certains de ses
militants). Enfin, il faut préciser que le programme que défend ce
parti ne peut pas être qualifié d'« antisémite,) ou de « raciste
». Ces termes ont été forgés entre les années 1880 et les années
1930 pour dénoncer des discours ou des pratiques politiques qui
désignaient les « Juifs », les « Noirs » ou les « Jaunes »
comme les responsables des malheurs du peuple français et qui
prônaient des mesures destinées à les éliminer. Ce type de
discours politique est désormais interdit par la loi. Il ne s'agit
pas, évidemment, de minimiser la gravité des propos qui ont valu à
certains responsables du Front national d'être condamnés par la
justice. Mais il est important de mieux les caractériser pour
comprendre leur efficacité par rapport aux enjeux de notre temps.
La
raison principale de son succès tient au fait qu'il a été le
premier parti à s'adapter aux nouvelles règles du système
politico-médiatique. Dans un tel univers, il faut « faire le
spectacle » en multipliant les provocations calculées. C'est
pourquoi l'extrême droite ne défend plus un programme politique
explicitement raciste mais procède par jeux de mots ou par petites
phrases qui ne font que suggérer
le sens du message. Le soin est laissé aux commentateurs de
l'actualité d'achever le travail, en expliquant au public ce que les
dirigeants des partis d'extrême droite ont vraiment voulu dire. La
percée politique de Jean-Marie Le Pen tient au fait qu'il a axé sa
stratégie de communication sur la réception
des messages, conformément aux canons de la publicité. II a compris
que l'information était devenue une véritable industrie de masse,
qu'il fallait alimenter chaque jour, en donnant du grain à moudre
aux entreprises de sondages et aux commentateurs de l'actualité.
Mais
pour faire le spectacle il fallait franchir une ligne rouge (en
s'efforçant toutefois de ne pas tomber sous le coup de la loi) en
rompant avec les normes de la bienséance politique que les
professionnels de la parole publique avaient fixées collectivement
depuis la Seconde Guerre mondiale. Le rejet de la xénophobie et du
racisme étant la principale de ces normes, c'est sur ce thème que
Le Pen a centré sa propagande. Seul un « outsider » pouvait prendre
ce genre de risques. Mais il a été servi par son long passé de
militant nationaliste. Comme tous les spécialistes de cette
question, il savait que les préjugés xénophobes étaient restés
vivaces dans la société française. La marginalisation du discours
sur la lutte des classes, dans un contexte de désenchantement à
l'égard de la gauche, ne pouvait que faciliter une stratégie
réhabilitant l'exaltation du « nous » français contre les
immigrés.
Mais
pour réussir, il était indispensable que ce discours soit largement
diffusé par les médias. Alors que, dans les décennies précédentes,
les journalistes avaient ignoré la propagande xénophobe de
l'extrême droite, désormais ils lui accordent une large place.
Davantage que les élections municipales de mars 1983, qui ont permis
aux candidats du Front national de réaliser des scores honorables
ici et là, le moment-clé dans l'ascension de Le Pen, c'est le 13
février 1984. Invité à rémission de la chaîne Antenne 2, Le Pen
réalise ce jour-là le meilleur score à l'audimat pour ce genre
d'émissions. Grâce à ce résultat médiatique, le leader de
l'extrême droite s'impose dans le « paysage audiovisuel français
». La concurrence féroce qui oppose les chaînes et les organes de
la presse écrite oblige désormais les journalistes à parler de lui
et donc à relayer ses thèses, même si c'est sur le mode
réprobatif. À partir de ce moment-là s'effondrent les
auto-contraintes que les élites s'étaient imposées depuis 1945
pour ne plus exploiter les réflexes nationalistes dans l'espace
public.
Le
simple fait que les arguments de Le Pen, considérés jusque-là
comme indignes d'une démocratie, aient été présentés à la
télévision a été perçu par beaucoup de Français comme la preuve
qu'ils étaient légitimes. En dénonçant le « racisme
anti-français », Le Pen a pu ainsi flatter l'identité majoritaire,
libérant du même coup la mauvaise conscience de ceux qui
considèrent, depuis toujours, que les immigrés sont la cause de
leurs problèmes. Pour la fraction la moins politisée de
l'électorat, celle qui possède le plus faible capital scolaire, le
fait que les partis républicains et les journalistes aient
constamment dénoncé le « racisme » de l'extrême droite a
été un argument supplémentaire en sa faveur. Le Front national a
réussi ainsi à récupérer à son profit la « fonction
tribunicienne » du PCF en captant les suffrages de ceux qui
cherchent des moyens radicaux pour exprimer leur rejet d'une société
qui ne leur fait pas de place, ceux qui soutiennent, en conséquence,
les candidats qui leur paraissent les plus éloignés du discours
dominant.
Le
programme du Front national s'inscrit dans le prolongement direct du
discours nationaliste construit sur l'idée que l'identité française
est menacée par l'afflux des étrangers. « L'immigration massive
que nous subissons porte atteinte à notre identité et par voie de
conséquence à l'existence de la France. » On ne saurait dire les
choses plus clairement. Mais désormais, le clivage entre « nous »
et « eux » est désigné en opposant les « Européens » et les «
musulmans ». Les partisans de Jean-Marie Le Pen affirment
aujourd'hui que les immigrants venus d'Europe dans la première
moitié du ne siècle se sont intégrés facilement, alors que
l'immigration actuelle « détruit » l'identité française car les
nouveaux venus pratiquent une
religion, l'islam, qui est « une théocratie incompatible avec notre
civilisation ».
Selon eux, les réseaux islamistes s'activent dans l'ombre pour
encourager la ghettoïsation communautaire et empêcher
l'assimilation. Ces « colonies de peuplement [...] sont pour notre
identité nationale une menace
mortelle
: [elles] modifient en profondeur la substance du peuple français.
La formation de communautés fermées, constituées sur des bases
ethniques, s'oppose évidemment à toute l'histoire de la société
française ».
L'actualité
terroriste a donné la possibilité à l'extrême droite de réactiver
le discours qu'elle avait développé contre les « Arabes » pendant
la guerre d'Algérie, un peu comme l'actualité des années 1930
avait permis à l'Action française de donner une nouvelle jeunesse
au discours antisémite des années 1880. L'« affaire Kelkhal » (ou
plus récemment l'affaire Mohamed Merah) est mentionnée comme une
preuve que les jeunes issus de l'immigration maghrébine sont de plus
en plus attirés par le terrorisme, et l'« affaire du voile
islamique » démontre que les musulmans refusent d'accepter « nos
valeurs » et la laïcité. Le
Front national appelle donc les Français à combattre énergiquement
le « communautarisme » en refusant l'« islamisation de la France
».
Une
bonne partie des mesures qu'il propose dans son programme ont pour
but d'éradiquer la menace. Il prône l'abrogation du regroupement
familial, l'interdiction de la double nationalité, l'application
effective de la loi sur la déchéance de la nationalité, tout en
exigeant que l'État accorde la priorité aux nationaux dans le
domaine de l'emploi, du logement et de l'aide sociale. Le parti de
Jean-Marie Le Pen demande aussi une politique énergique afin de «
démanteler les ghettos ethniques »,
« interdire la subversion
islamiste », «
expulser les condamnés étrangers »,
« supprimer la carte de
séjour de dix ans tacitement reconductible ».
Il précise toutefois qu'il n'a rien contre les immigrés, car ils
sont eux-mêmes des victimes de l'immigration. Il prône donc une
nouvelle politique de « co-développement » avec les pays ceux-ci
sont originaires, de façon à ce qu'ils restent chez eux.
Gérard
Noiriel, A quoi sert « l’identité nationale »,
Editions Agone, Marseille, 2007. L’auteur est un fondateur du
Comité de vigilance face aux usages publics de l’Histoire et
membre démissionnaire du Conseil scientifique de la Cité nationale
de l’histoire de l’immigration.
Exclusion,
intégration...
Gérard
Noiriel
Les
migrations ont toujours joué un rôle essentiel dans la diffusion
des techniques, des religions et des cultures, permettant le
développement des contacts entre les hommes, le brassage des peuples
et les métissages. Aujourd’hui, c’est l’immigration qui a pris
une dimension centrale. En effet, l’Etat-nation devenu peu à peu,
d’abord en Europe, puis dans le monde entier, la « cellule de base
» de la société moderne, fait de l’immigration une dimension
fondamentale des relations internationales. Cet atlas est centré sur
l’histoire de l’immigration en France de 1789 à nos jours afin
de comprendre comment cette logique s’est progressivement mise en
place et quelles sont ses conséquences économiques, sociales et
culturelles. Trois parties présentent les vagues d’immigration
successives depuis le XIXe siècle, les caractéristiques sociales,
culturelles et religieuses des populations issues de l’immigration.
Qui se fait naturaliser ? Quelles sont les formes de métissage ?
Quelles sont les formes de mobilité sociale et géographique ? Les
problèmes posés par l’immigration sont également abordés de
front ; d’abord le rejet de l’autre : xénophobie, racisme,
antisémitisme, mais aussi les « pathologies » propres aux milieux
sociaux ayant connu le déracinement. Parmi ces questions, souvent à
la une de l’actualité, dominent les conflits entre les valeurs des
parents marqués par leur culture d’origine et leurs enfants
désireux de se conformer aux normes véhiculées par la jeunesse du
pays dans lequel ils vivent ; le problème de la violence comme mode
d’expression de ceux qui se sentent rejetés par la société
d’accueil. Grâce à ses nombreux graphiques et cartes et à son
approche historique, cet atlas propose une image nouvelle du
phénomène d’immigration. Image qu’il convient de prendre en
compte puisque tout le monde s’accorde à penser que, comme par le
passé, la prospérité des pays les plus développés nécessitera
le recours à de nouveaux groupes d’immigrants.