Le
message fort d'un prêtre insurgé
qui réveille nos
consciences
(extrait)
"Les
tragédies des guerres, du terrorisme et de la misère jettent des
milliers d'hommes, de femmes, d'enfants sur les rives de la
Méditerranée, aux portes de l'Europe. Ils arrivent par flots
continus, ces frères humains qui deviennent la proie des passeurs et
tentent de traverser la mer sur des bateaux de fortune. Quinze mille
d'entre eux se sont déjà noyés dans cette Méditerranée, berceau
de notre civilisation et lieu de rencontre entre les hommes depuis
l'aube des temps. La mer est aujourd'hui devenue sépulcre. L'Europe
qui ne veut pas être envahie par les hordes des réfugiés ergote
sur le nombre de ceux qu'elle peut accueillir. Il ne s'agit certes
pas d'accueillir la misère du monde sans avoir de solutions à lui
offrir. Mais au moins s'agit-il de ne pas se tromper sur le premier
geste à accomplir : les empêcher de mourir.
Essayons
de comprendre comment tout cela est né. L'abbé Pierre disait depuis
fort longtemps : Comment voulez-vous empêcher les pauvres du
monde de venir alors que les écrans de télévision partout dans les
pays les plus pauvres exposent de belles voitures, de belles maisons
et de jolies piscines bleues. Eux n'ont rien mais ils voient que cela
existe ailleurs. C'est un aimant irrésistible. C'est aussi un
orgueil des pays riches et puissants qui cherchent à démontrer au
monde leur supériorité. Nous sommes les plus beaux et les
meilleurs. Ne nous étonnons pas que tout ceci devienne un mirage
pour les pauvres du sud. C'est une motivation pour partir.
Il
ne faut jamais perdre de vue que l'Afrique est un continent oublié.
Il a été pillé jadis d'un point de vue humain avec la traite, et
pas toujours bien traité avec la colonisation. Aujourd'hui il est en
passe de devenir un continent oublié de la mondialisation. Comment
voulez-vous que les Africains ne se disent pas : « Bon, si chez eux
c'est si beau que cela, j'y vais et par tous les moyens ! »
Comment
ne pas en vouloir à cet Occident qui a été capable, en un éclair,
de sortir l'Europe de ses ruines après la Seconde Guerre mondiale
mais pas d'établir un plan Marshall pour relever l'Afrique ? Au lieu
de quoi on l'a laissée sombrer dans le chaos. On y a même contribué
notamment en traçant des frontières arbitraires issues de la
décolonisation, et propices aux guerres ethniques. Aujourd'hui, on
reste irrespectueux des modes de vie, des Africains, de leurs
traditions, de leur histoire. L'Occident se montre condescendant
envers l'Afrique. Le constat est sévère mais il est vrai. On ne
ressent pas un discours d'égal à égal vis-à-vis du continent
africain.
Il
faut en rester à des choses simples. Pour développer l'Afrique, il
est quelques principes de base, compte tenu de son immensité et de
la pauvreté de ses populations. Il faut d'urgence construire des
routes, des chemins de fer, des écoles, des hôpitaux et des
dispensaires partout où il n'y en a pas et promouvoir l'accès à l'eau potable dont dépend la santé, sans oublier de favoriser le
développement harmonieux de l'urbanisme en lieu et place de son
développement anarchique. Si vous ne me croyez pas, allez donc vous
promener à Tana, Lagos ou Nairobi et vous comprendrez ! Seulement,
toutes ces actions avancent bien trop lentement !
— Peut-être
les riches trouvent-ils plus commode de piller que d'aider ?
— Exactement.
Et c'est comme au temps des conquistadors d'hier ! Les «
néo-pillards » du nord trouvent sur place des complices pour
extorquer, dominer, exploiter leurs peuples. Un million de tonnes de
bois de rose de Madagascar est exporté illicitement. Et ce sont
quelques notables sans scrupule et quelques marchands chinois sans
état d'âme qui en tirent profit.
— Comment
expliques-tu cette condescendance qui perdure vis-à-vis de l'homme
africain ?
— Il
faudrait changer l'homme ! L'être humain est ainsi. Par nature, il
tend à vouloir dominer. Jusqu'à aujourd'hui, on considérait même
que c'était là le moteur du progrès être plus fort que l'autre, dominer l'autre !
— Ainsi
l'arrogance de la colonisation n'est pas morte ?
— Pas
tout à fait. Mais c'est aujourd'hui davantage une condescendance
qu'une arrogance. Certes il y a bien des gens qui viennent travailler
ici dans un bon esprit , pour faire le bien, en respectant l'autre,
hélas ce ne sont pas les plus nombreux.
— Même
dans l'humanitaire ?
— Dans
l'humanitaire, c'est comme partout. Certains font cela pour se sentir
exister. On les dote de gros moyens. Ces moyens sont nécessaires, à
condition de ne pas s'en servir dans un esprit de supériorité. Il y
a plus grave encore. La plupart de ces « experts » ne connaissent
rien ou peu des traditions et des cultures. Ils causent, ils causent.
La seule façon d'avancer, c'est en développant des micro-projets
qui rencontrent l'adhésion. L'agriculture, par exemple, est une des
grandes chances de l'Afrique et de Madagascar, et les paysans
représentent 80 % des habitants. Mais on ne développe pas des
micro-projets à grande échelle avec les paysans. Résultat, c'est
un zéro pointé. On en reste aux théories et aux discours. Les
discours sont la maladie endémique ici en Afrique. On est capable de
répéter des centaines de fois les mêmes choses et rien n'avance !
On préférera toujours être l'intellectuel, celui qui pense plutôt
que celui qui se retrousse les manches. Pourtant, à notre mesure, à
Akamasoa, nous l'avons fait, FAIT ! Routes, évacuations, maisons,
cultures, reboisement et même cimetières pour enterrer nos morts.
Ce que nous avons fait avec nos petits moyens, beaucoup d'autres
pourraient le faire, avec de gros. Il y faut la volonté, le courage
et l'âme. La plupart de ceux qui travaillent ici sont des Malgaches
et on avance, avec une tonne de problèmes, certes, mais on avance. Attention, la faute n'incombe pas seulement aux pays du nord. Les
élites locales aussi, corrompues, égoïstes, refermées sur
elles-mêmes."
Voici un manifeste et un livre de réflexions sur des sujets qui lui tiennent à cœur - l'école pour tous, la question des réfugiés, la guerre sainte et la mort, la décadence des politiques, la place des femmes, la démocratie, etc. -, dans lequel le père Pedro conjugue ses interrogations, ses convictions, ses indignations.