vendredi, octobre 28, 2016

L'extase d'Alain Durel

Centre védantique Ramakrishna de Gretz-Armainvilliers

Écrivain et Philosophe, Alain Durel est l'auteur de « Et Jésus marcha sur le Gange », « La Presqu'île interdite : Initiation au mont Athos » (Prix des Journées du Livre Chrétien), « Éros transfiguré  : Variations sur Grégoire de Nysse »...

Dans « Et Jésus marcha sur le Gange », Alain Durel relate une fulgurante illumination qui, selon un vieux swâmi tamoul friand de sucreries, l'aurait propulsé au rang des élus du Seigneur. Mais de quel Seigneur s'agit-il, Jésus, Shiva, Satan ?

L'ashram que m'avait recommandé frère Antoine appartenait à l'ordre Râmakrishna. Il était situé en banlieue parisienne, à Gretz-Armainvilliers, dans une vieille maison française qui évoquait Moulinsart, le manoir du capitaine Haddock. Bâtie au milieu d'un grand parc admirablement entretenu, elle s'élevait sur trois étages. D'autres bâtiments, de taille plus modeste, entouraient la vieille demeure. L'un d'entre eux abritait les novices. un autre, plus en retrait, faisait office de ferme ; au fond du parc se tenait la maison des femmes. L'ashram était la propriété de l'ordre Râmakrishna. La plupart de ses occupants étaient des Occidentaux - vêtus à l'européenne -, excepté le gourou, swâmi Ritajananda, un vieux Tamoul d'une grande profondeur d'esprit doublée d'un humour décapant. Le groupe des novices se composait d'un Américain, de deux Espagnols, deux Hollandais et un Allemand — Allemand rebaptisé Véda — un homme d'environ trente ans, terminait sa dixième année d'ashram. Il était sur le point de devenir swâmi. Chargé d'accueillir les hôtes, il me fit visiter le parc. Tandis que nous foulions l'herbe abondante du domaine. j'interrogeai Véda :

Qui était Râmakrishna ?

Sri Râmakrishna, répondit Véda avec son léger accent allemand, est né dans un village du Bengale appelé Kamarpukur, en 1836. À onze ans, alors qu'il traversait un jour les champs de riz vers Anur, il eut soudain une vision de gloire et perdit connaissance. Les gens dirent qu'il s'agissait d'un simple évanouissement, mais c'était en réalité cette disposition calme et sereine, cet état supraconscient appelé samâdhi, l'union à Dieu. Plus tard, Sri Râmakrishna devint prêtre au temple de Dakshineswar dédié à la déesse Kâli, la Mère. Pendant le service du soir, son travail consistait, entre autres choses, à balancer les lumières, l'eau sacrée et les fleurs devant l'image sainte. Rempli par la pensée divine comme il l'était, il oubliait très souvent de terminer la cérémonie. Et, plus étonnant encore, il plaçait sur sa propre tête les fleurs destinées aux offrandes pour la Mère de l'uni-vers ! Les autorités du temple se rendirent compte que Sri Râmakrishna était incapable de célébrer les cérémonies religieuses. Très vite, de nombreuses personnes reconnurent en lui un prophète envoyé par Dieu pour le salut de l'humanité...

Après cette promenade dans le parc, Véda m'introduisit dans la belle demeure et me présenta swâmi Ritajananda, un homme de petite taille, très âgé, avec de petits yeux noirs qui semblaient traverser les âmes. Ce regard de feu s'accordait parfaitement à une grande douceur et même une certaine bonhomie. Il aimait faire des plaisanteries en français comme en anglais. Quelques dames âgées, dévotes du swâmi, vivaient également à l'ashram et s'occupaient des travaux domestiques.

Chaque matin et chaque soir avait lieu une longue séance de méditation collective suivie du chant des bhajans. Après cet office, les disciples montaient dans la chambre du swâmi et recevaient, comme des petits enfants des mains de leur papa, un bonbon ou un gâteau. Il y avait là quelque chose de puéril et d'émouvant, aussi. On sentait tout l'amour que les disciples portaient à leur maître, mais aussi la tendresse et l'affection que le swâmi leur communiquait en retour.

Mon séjour à l'ashram de Gretz dura une petite semaine et changea le cours de ma vie. Lors du premier repas de midi, un invité parisien, très exalté par ses lectures védantiques, questionna le swâmi tandis qu'il mâchait très lentement, comme à son habitude, son plat de riz.

« Pensez-vous, dit l'invité, que le purusha expérimente les gunas de prakriti comme l'affirme la Bhagavad-Gita ou, au contraire, que ses attachements aux gunas n'ont pas d'incidence karmique sur la naissance dans de bonnes ou mauvaises matrices ? »

La question était pédante et reflétait plus le désir de briller que celui d'être instruit. Le swâmi, sans détourner le regard de son assiette, répondit avec un grand calme :

« Je ne pense pas, monsieur, je mange ! »

Toute la table éclata d'un rire bruyant qui fit rougir le pédant. Au sortir du repas, le swâmi m'accorda une entrevue. Je lui demandai s'il est possible d'éliminer nos samskaras. Il me répondit qu'il était impossible de les détruire mais seulement de les purifier et de les réorienter vers une bonne fin.

Le lendemain, je fus le premier installé dans la salle de méditation, qui se remplit rapidement. Les méditants étaient assis pour la plupart sur des petits coussins ronds et avaient revêtu un grand châle qui les recouvrait presque entièrement. Je repris mon investigation, la quête du Soi, Atma vichara. Hélas, elle ne donna pas le fruit escompté. J'eus enfin l'idée d'ouvrir les yeux sans pour autant relâcher mon attention au cœur profond. J'aperçus alors la grande image de Sri Râmakrishna devant laquelle nous étions tournés. Je n'avais même pas pris le temps de contempler le visage de ce mendiant d'amour.

J'étais alors un jnani, un philosophe, et non un bhakta, un dévot. Or, ce matin-là, dans la salle de méditation, le visage de Râmakrishna. le chantre bengali de l'amour mystique, me parut soudain d'une majestueuse beauté. La photographie du saint hindou le montrait assis par terre, les yeux pleins d'amour, implorant avec ardeur la Mère divine. Je compris alors qu'il manquait à mon yoga de la connaissance une dimension amoureuse. La descente de l'intellect dans le cœur, préconisée par le Maharshi, ne pouvait se produire autrement !

Le père Le Saux intercédait-il pour moi depuis le nirvâna des sannyâsins chrétiens ? Je repris mon exercice d'introspection en y ajoutant cet élément essentiel que j'avais jusqu'alors méprisé, l'amour. Ce grain de sable allait faire exploser l'immanence tranquille d'un pseudo-soi qui n'était en réalité qu'une forme plus subtile de mon ego, illusion que frère Antoine avait justement analysée en disant : « Tu ne vois pas ton problème parce que ton problème, c'est toi ! » La question fondamentale (qui suis-je ?), je la posais maintenant à quelqu'un qui, bien plus moi-même que je ne l'étais, n'en était pas moins radicalement autre, transcendance dans l'immanence, infini en soi, un Soi situé au-delà de l'Un, au-delà de l'Être : « Qui suis-je, ô mon amour ? »

Je suppliai cet autre en moi de me dévoiler ma véritable identité avec toujours plus de ferveur lorsque, soudain, je fus littéralement projeté, élevé, emporté au-dessus de mon propre corps, cependant que la salle de méditation était inondée d'une lumière étincelante. Des larmes abondantes s'écoulaient à grands flots de mes yeux éblouis par cet embrasement divin tandis que mon âme baignait dans un océan de lumière. Mon intellect devenu parfaitement muet, je ne pensai plus, je contemplai, accédant ainsi à un exercice supérieur de mes facultés mentales. Cette expérience extatique emplit tout mon être de ravissement, c'était une immersion dans la joie, dans la gloire. Enfin, après des minutes qui me parurent des siècles. je retrouvai mon corps et me réveillai au monde de la temporalité, m'endormant à celui de l'éternité. J'avais goûté au divin, mais sans pouvoir le nommer, tel le baiser volé d'une inconnue masquée au carnaval de Venise.

Lorsque je revins à moi, je constatai que tous les méditants avaient quitté la salle. Je sortis non sans quelques douleurs dans les jambes et courus parler à swâmi Ritajananda, auquel je racontai en détail mon illumination. Ce dernier m'écouta avec la plus grande attention, puis, lorsque j'achevai mon récit, me dit d'une voix grave mais sereine: « C'est une grande grâce que Dieu vous fait, et c'est peut-être là un signe. Le Seigneur vous appelle, il vous a choisi... »

Un ravissement ne fait pas le saint. La quête de l'illumination d'Alain Durel se poursuivra et « prendra peu à peu la tournure d'une confrontation spirituelle le mettant aux prises avec ses propres démons ».





mercredi, octobre 26, 2016

L'usine des 1000 veaux



Le 5 novembre 2016


Une manifestation est organisée à Guéret contre l’élevage intensif et l'usine des 1000 veaux.

Des cars sont organisés de Paris, de Lyon et de Bordeaux. Voir les détails ICI


L'évènement Facebook ICI



28 novembre 2016, communiqué d'Aurore Lenoir :
Nouvelle grande victoire !

Le Conseil d’État rejette le pourvoi en cassation de la SAS Alliance Millevaches et confirme ainsi la suspension d’ouverture !
Le Conseil D’État a rejeté le pourvoi en cassation de la SAS Alliance Millevaches, donnant ainsi raison au juge des référés qui a ordonné la suspension de l’ouverture de l’Usine, le 29 juillet dernier. Un succès pour L-PEA, qui assoit le bien-fondé de l’action de l’association depuis le début. Un succès qui démontre, une fois encore, que lorsque L-PEA se bat, L-PEA gagne, grâce à la légitimité de ses arguments !
(...)



Aujourd’hui, un nouveau combat s’engage contre le décret auquel fait allusion la SAS Alliance Millevaches, dont la consultation publique a été faite en catimini (sur la France entière, seules 43 personnes ont émis un avis, pour la majorité défavorable). Le gouvernement entend légitimer purement et simplement les projets d’Usine des 1000 Vaches dans la Somme et des 1000 Veaux dans la Creuse, combats retentissants contre le système de « Ferme-Usine », relevant le seuil d’autorisation de 400 à 800 bovins.

Lire le communiqué dans son intégralité : Cliquez ici !

Article de Mediapart : Cliquez ici.



15 décembre 2016, ALERTE lancée par Aurore Lenoir :
"Un nouveau décret du Ministère de l’Environnement légitime l’élevage intensif des bovins !

La consultation publique de ce décret est passée totalement inaperçue au mois de juin dernier. Pourtant cette décision est lourde de conséquences : le décret double le seuil d’animaux avant procédure d’autorisation. De 400 à 800 pour les veaux de boucherie et à l’engraissement, de 200 à 400 pour les vaches laitières.

Cela veut dire que l’Usine des 1000 Veaux va pouvoir tourner à 800 bêtes sans enquête publique, ni étude d’impact, en déposant simplement un dossier d’enregistrement en Préfecture."

Il faut faire annuler ce nouveau décret ! 


mardi, octobre 25, 2016

Le Vajrayana et le végétarisme



Un jour, un adepte du Vajrayana interrogea son "omniscient" maître, le chef spirituel de la secte Guélougpa du bouddhisme tibétain, le 101ème Ganden Tripa, Loungri Namgyél Rinpoché :

Est-ce qu'être végétarien est obligatoire ? Certains disent que cultiver des plantes conduit à tuer une quantité innombrable d'insectes, alors qu'abattre un seul yak, comme au Tibet traditionnel, permettait de nourrir une famille entière pendant une semaine (52 yaks par an ?). Donc, poursuit le perspicace intervieweur, d'un point de vue numérique, ces personnes suggèrent que nous devrions consommer la viande d'animaux de grande taille plutôt que de manger des légumes qui conduisent inévitablement à la mort d'un nombre incalculable d'êtres vivants. En revanche, certains maîtres insistent sur le fait qu'être végétarien est obligatoire pour un bouddhiste, tandis que d'autres citent des textes bouddhistes pour soutenir le contraire. Quel est le points de vue de Sa Sainteté ?

En fait, le Bouddha a enseigné trois points de vue différents quant au fait d'être végétarien (1).

Dans le premier point de vue, la tradition Hinayana, il est enseigné que nous n'avons pas le droit de consommer trois catégories de « viande impure » :

a) Nous percevons visuellement ou auditivement la mise à mort de l'animal ;

b) Nous soupçonnons que l'animal a été tué pour nous ;

c) Nous savons que l'animal a été tué pour nous.

En dehors de ces trois catégories de viande, nous sommes autorisés à consommer de la viande.

Dans le second point de vue, du Mahayana, du Grand Véhicule, on enseigne très clairement que manger de la viande est absolument mauvais et erroné. Être végétarien est donc obligatoire ici.

Dans le troisième point de vue, du Vajrayana (le bouddhisme magique du Tibet), il y a des enseignements qui disent que les pratiquants doivent consommer de la viande. Les raisons pour cela sont données dans les textes et nécessitent des explications longues. Il ne convient pas que je les développe ici.


Source :
Extrait de l'« Entretien avec Sa Sainteté le 101ème Ganden Tripa, chef spirituel de l'école Guélougpa du bouddhisme tibétain. » Cet entretien eut lieu à l'occasion de la première visite officielle à Singapour de "monsieur Sa Sainteté" du 25 Mai au 23 Juin 2003.


Note :
1) Le Bouddha n'a pas enseigné les doctrines magiques du Vajrayana. Ce véhicule "bouddhique" a été fabriqué au Tibet plus de mille ans après sa mort.



dimanche, octobre 23, 2016

La fin du monde

Pierre Jovanovic et Laurent Fendt évoquent l'actualité économique, la crise bancaire, les difficultés de la Deutsche Bank... VIDEO 

Les Nostradamus du Web s'agitent. Ils avertissent dans des sites, blogs, sur YouTube, Dailymotion... : la guerre mondiale est imminente ! La fin du monde est proche !

Un Krach financier planétaire, la guerre civile en Europe, la coalition militaire dirigée par les américano-sionistes affrontera bientôt les armées russes, chinoises, iraniennes...

On vient de ressortir une révélation de Wikileaks, un e.mail envoyé par une va-t-en-guerre célèbre nommée Hillary Clinton lorsqu'elle était secrétaire d'État : « La meilleure façon d'aider Israël est d'utiliser la force en Syrie pour renverser le gouvernement. » Hillary Clinton sera probablement présidente des USA dans quelques semaines.

Depuis que le chef d’état-major US, Mark Milley a menacé la Russie, la Chine et l’Iran, des prophètes et des visionnaires de toutes sortes mettent en ligne des vidéos effrayantes.

Tout cela ne trouble pas un vieil anachorète collaborateur du blog (Félix Crespo). Il rappelle cette réflexion de René Guénon à propos des prédictions :

« Elles augmentent le désordre de notre époque en semant un peu partout le trouble et le désarroi. […] (Une utilisation des prédictions) consiste à en faire un moyen de suggestion directe contribuant à déterminer effectivement la production de certains événements futurs ; croit-on, par exemple, et pour prendre ici un cas très simple afin de nous faire mieux comprendre, que, en annonçant avec insistance une révolution dans tel pays et à telle époque, on n’aidera pas réellement à la faire éclater au moment voulu par ceux qui y ont intérêt ? Au fond, il s’agit surtout actuellement, pour certains, de créer un « état d’esprit » favorable à la réalisation de « quelque chose » qui rentre dans leurs desseins, et qui peut sans doute se trouver différé par l’action d’influences contraires, mais qu’ils espèrent bien amener ainsi à se produire un peu plus tôt ou un peu plus tard... »

Les prophètes du Web seraient-ils les instruments conscients ou inconscient de manipulateurs démoniaques ayant une emprise sur leur psychisme ?

Quoi qu'il en soit, l'humanité est toujours là pour constater que toutes les prédictions annonçant l'imminente fin du monde étaient fausses.


Il faut savoir que les prophéties de Nostradamus ont été employées rétrospectivement pour « prédire » beaucoup d'événements.

Issu d'une famille juive convertie au catholicisme, Michel de Nostredame (Nostradamus) n'a jamais prédit un événement avant qu'il ne soit advenu.




Beste farouches de faim fluves tranner 
Plus part du camp encontre Hister sera
En caige de fer le grand fera traisner,
Quand Rin enfant Germain observera



Ce quatrain prédirait la montée d'Adolf Hitler, selon des interprétations postérieures à l'événement.

« Le génie de Nostradamus, écrit Eric Chaline, réside non dans l'exactitude de ses prédictions, mais dans l'obscurité de son langage, ainsi ouvert à de multiples interprétations. »

« Les Prophéties de Nostradamus » sont sur la liste des best-sellers de l'occultisme depuis leur parution originale, en trois éditions, entre 1555 et 1558.

Avant Nostradamus, en 1499, Johannes Stöffler, dans « Almanach nova plurimis annis venturis inserentia » avait prédit la destruction de la Terre par un second déluge, le 20 février 1524, sous l'effet d'un alignement planétaire particulier. Ce jour-là, les pluies apocalyptiques se limitèrent à une légère ondée.

Ursula Southeil, la Sibylle du Yorshire, avait prédit la fin du monde en 1881. Or, « aucune catastrophe, qu'elle fût naturelle ou d'origine humaine, ne frappa l'humanité lors d'une année inhabituellement paisible ». 

Joseph Smith, fondateur de l'Eglise de Jésus Christ des saints des derniers jours, l'Eglise mormone, annonça que la fin du monde et le Second Avènement du Christ surviendraient pour ses 85 ans, en 1890. Ce qui s'est produit : Smith mourut à 39 ans, tué par des émeutiers à Carthage, dans l'Illinois.

Méfions nous aussi des prophéties scientifiques. Albert Einstein croyait que l'énergie et les armes atomiques ne seront jamais exploitables. Hiroshima, Nagasaki, Three-mile Island, Tchernobyl et Fukushima ont démontré le contraire.

Les politiciens ne sont pas plus doués en matière de prédictions. Pour le président américain Woodrow Wilson, la Première Guerre mondiale devait être la « der des ders » et elle « permettra d'établir la démocratie dans le monde ».

Livre consulté :




vendredi, octobre 21, 2016

Marion Dapsance : « Les Occidentaux ont une vision idéalisée du bouddhisme »



Sogyal rinpoché n'est pas l’auteur du best-seller "Le Livre tibétain de la vie et de la mort", publié en 1992. "Ce livre, qui lui a valu sa fortune et sa notoriété, est en fait une reformulation d’un ouvrage de 1927 intitulé « Le Livre tibétain des morts », écrit par un Américain adepte de la Société théosophique (l’une des plus importantes écoles ésotériques occidentales du XIXe siècle). Ce dernier livre est donc déjà une création occidentale destinée à un public d’Occidentaux, réalisée à partir d’une sélection hasardeuse et mal comprise de prières tibétaines. Les proches de Sogyal Rinpoché (notamment Patrick Gaffney, disciple de longue date, qui est l’auteur véritable du livre avec Andrew Harvey, auteur d’ouvrages de « spiritualité » britannique) ont eu l’idée de reprendre « Le Livre tibétain des morts », pour le remettre au goût du jour. Il s’agit par conséquent, pour bonne part, d’un commentaire occidental d’un texte essentiellement occidental" .



Marion Dapsance


Marion Dapsance : « Les Occidentaux ont une vision idéalisée du bouddhisme »


Propos recueillis par Henri de Monvallier


Dans son enquête « Les Dévots du bouddhisme », Marion Dapsance révèle en quoi, selon elle, l’attrait des Occidentaux pour le bouddhisme repose sur un malentendu, fruit d’une profonde méconnaissance des cultures tibétaine… et chrétienne.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser au bouddhisme ?
Marion Dapsance : Comme la plupart des Occidentaux, j’ai découvert le bouddhisme par les livres. Ceci est une particularité de ce que certains chercheurs ont appelé le bouddhisme « moderne », c’est-à-dire tel qu’il a été ré-imaginé en Occident à partir du XIXe siècle. Cet aspect livresque du bouddhisme est en effet un phénomène récent et typiquement occidental. La grande majorité des bouddhistes d’Asie – du moins jusqu’à une date récente – n’entretiennent pas ce type de rapport avec leur religion. Ils la découvrent par imprégnation culturelle et familiale, et leur pratique se résume souvent à la récitation de quelques prières, aux dons en faveur du clergé et à la vénération de reliques, dans le but de purifier leur karma. Les ouvrages de « philosophie » ou de « sagesse » bouddhique dont nous disposons depuis un siècle et demi en Occident sont pour une bonne part des réinventions calquées sur un modèle chrétien dont on prétend par ailleurs se distinguer. On présente certaines de ses séduisantes doctrines, mais on oublie de mentionner ses pratiques rituelles et dévotionnelles, qui rappelleraient malencontreusement « la religion », c’est-à-dire en fait le christianisme, dont sont issus les convertis, et qu’ils érigent en contre-modèle. J’ai commencé mon enquête à partir d’un simple constat : le décalage immense entre les discours sur le bouddhisme et les pratiques proposées par les enseignants bouddhistes, notamment tibétains.

Comment expliquez-vous que le bouddhisme puisse avoir en France une image très positive par rapport à ses concurrents monothéistes et qu’il attire donc beaucoup de personnes ?

Tout simplement parce que le bouddhisme est mal connu. Les Européens connaissent bien le christianisme, qui est au fondement de leur culture. Du moins leur est-il vaguement familier, car on ne peut plus vraiment dire qu’ils le connaissent encore réellement. Surtout, le christianisme est l’objet de moqueries et de dénigrements réguliers depuis le siècle des dites « Lumières », qui l’ont caricaturé et rendu intellectuellement inacceptable. Pourtant, la « Raison » ne saurait s’accommoder davantage de la réincarnation que de la résurrection, des pouvoirs surnaturels des bouddhas et bodhisattvas [êtres de compassion qui demeurent parmi les hommes pour les aider à atteindre l’Éveil, ndlr] que de ceux des saints, des enfers vajra que d’un purgatoire, de la divinité Tara que de la Vierge Marie, de la doctrine des trois corps du Bouddha que de la Trinité, etc. Or, il semble que les Occidentaux acceptent bien plus volontiers la mythologie bouddhiste que la théologie chrétienne – ce qui laisse entrevoir leurs réelles motivations : ce n’est pas, contrairement à ce qu’ils affirment, « la religion » qu’ils rejettent, mais bel et bien le christianisme.

Cela s’explique par le discrédit massivement jeté sur le christianisme depuis près de trois siècles, et par le fait que le bouddhisme ait été découvert (en tant que doctrine d’origine indienne distincte de l’hindouisme) dans des textes sanscrits par des savants européens du XIXe siècle, en plein contexte de sécularisation. Les textes doctrinaux découverts, déconnectés de toute réalité culturelle et sociale asiatique, ont ainsi été élevés au rang de « philosophie », et pensés sur le contre-modèle d’un christianisme démodé : sans Dieu, sans dogme, sans hiérarchie, sans surnaturel. Ce qui est faux : les divinités pullulent et les vérités à accepter sur parole sont légion. Quant à la soumission due au clergé fondée sur un principe inégalitaire, on ne la trouve pas dans le christianisme : les religieux bouddhistes sont ontologiquement supérieurs au commun des mortels, qui n’ont qu’à s’en prendre à leur karma pour expliquer leur infériorité foncière. Finalement, l’attrait a priori pour le bouddhisme n’est que le fruit d’une profonde méconnaissance des deux cultures.

Si on prend le nombre global de pratiquants du bouddhisme en France, les « dérives sectaires » liées à cette pratique spirituelle sont-elles de l’ordre de l’exceptionnel ou peut-on considérer qu’elles sont importantes, voire majoritaires ?

Ce que je décris dans mon livre peut s’apparenter à ce que l’on nomme couramment des « dérives sectaires ». Cela dit, je récuse une telle appellation, qui sous-entend qu’il existerait des normes claires que le lama en question transgresserait pour son propre avantage. Or, cela n’est pas tout à fait exact. En effet, il s’agit d’abord et avant tout d’un malentendu culturel au sujet de la notion même de « bouddhisme ». Comme je viens de vous le rappeler, les Occidentaux ont une vision livresque et idéalisée du bouddhisme. Ils s’attendent à ce que la réalité proposée par les lamas corresponde à leurs chimères – comme Madame Bovary croyait pouvoir retrouver dans ses rapports avec les hommes le romantisme mièvre et blafard de ses romans pour jeunes filles. Nous sommes, comme dans le cas de l’islam d’ailleurs, en plein bovarysme, c’est-à-dire en plein déni de l’altérité culturelle. La culture tibétaine n’est pas égalitaire, ni ne promeut spécialement le libre-arbitre (notions éminemment chrétiennes, que l’on persiste à vouloir trouver chez les autres). Ce que fait le maître Sogyal Rinpoché n’est rien d’autre qu’essayer d’inculquer aux Occidentaux les «bonnes manières» tibétaines – qui se trouvent être à l’opposé de l’idée que ces derniers se font du bouddhisme. Il est vrai cependant que cet enseignant est lui-même entraîné dans les méandres complexes et souvent pervers de l’échange interculturel : en s’occidentalisant, il est devenu nihiliste et cynique, utilisant sans vergogne les moyens offerts par la société de consommation et du spectacle pour diffuser son enseignement – et accessoirement rebâtir la fortune de sa famille, ruinée par l’invasion chinoise. Ce cas est loin d’être exceptionnel. Il est seulement caricatural.

Votre enquête tourne justement en grande partie autour de ce « maître » (lama) Sogyal Rinpoché. Pouvez-vous présenter brièvement ce personnage, la manière dont il s’est implanté en France et ce que vous avez pu observer ou savoir de lui à travers votre enquête ?

Il s’agit de l’un des enseignants bouddhistes tibétains les plus connus au monde. Il est l’auteur du best-seller « Le Livre tibétain de la vie et de la mort », publié en 1992. Ce livre, qui lui a valu sa fortune et sa notoriété, est en fait une reformulation d’un ouvrage de 1927 intitulé « Le Livre tibétain des morts », écrit par un Américain adepte de la Société théosophique (l’une des plus importantes écoles ésotériques occidentales du XIXe siècle). Ce dernier livre est donc déjà une création occidentale destinée à un public d’Occidentaux, réalisée à partir d’une sélection hasardeuse et mal comprise de prières tibétaines. Les proches de Sogyal Rinpoché (notamment Patrick Gaffney, disciple de longue date, qui est l’auteur véritable du livre avec Andrew Harvey, auteur d’ouvrages de « spiritualité » britannique) ont eu l’idée de reprendre « Le Livre tibétain des morts », pour le remettre au goût du jour. Il s’agit par conséquent, pour bonne part, d’un commentaire occidental d’un texte essentiellement occidental.

Nous sommes donc bien dans le malentendu culturel que j’évoquais tout à l’heure : on nous présente comme authentiquement tibétain une tradition qui ne l’est qu’à moitié. Et c’est en réalité pour la moitié occidentale qu’on y adhère, puisque c’est grâce à elle que cette religion si lointaine nous paraît étrangement si proche. Sogyal Rinpoché a compris l’opportunité commerciale que représentait cette publication et, à partir de là, sa carrière a décollé : il a rompu avec son maître et fondé sa propre école, qui n’existe pas au Tibet : Rigpa. Il s’agit ni plus ni moins d’une entreprise multinationale de formation bouddhiste. Sogyal Rinpoché s’est rapidement distingué par ses excès : relations sexuelles nombreuses avec ses disciples, autoritarisme, culte du chef, mode de vie luxueux… Sans doute n’a-t-il fait que céder aux attraits de la société de consommation dans laquelle il a brutalement été jeté. En ce sens, il n’est qu’une création occidentale : pourquoi le lui reprocher ? Il nous offre un miroir de nous-mêmes.

Pourquoi le dalaï-lama, l’autorité spirituelle suprême du bouddhisme tibétain, n’a-t-il jamais désavoué et « excommunié » publiquement Rinpoché si tout ce qu’on lui reproche est fondé ? Peut-on dire que, comme pour les affaires de pédophilie dans l’Église catholique, il a été « couvert » par certains de ses supérieurs ?

Je rappelle au sujet de la pédophilie qu’elle n’est pas le fait spécifique de l’Église catholique, dû au célibat des prêtres, etc. Les statistiques montrent que le phénomène concerne aussi bien l’école publique que les familles. Faut-il pour autant condamner l’école ou tirer comme conclusion que tous les pères de famille, les oncles, ou les cousins sont, de par leur position ou par nature, des prédateurs en puissance ? Malgré des fautes graves comme ces silences et ces complaisances auxquels vous faites allusion, l’Église a toujours considéré la pédophilie, à l’instar de toute forme d’atteinte à la personne humaine, comme un grave péché. Il n’y a aucune glorification de la pédophilie chez les catholiques. En revanche, le bouddhisme tibétain a bel et bien proposé à l’admiration de ses fidèles des modèles de maîtres violents. Il suffit de lire les hagiographies des maîtres Milarepa (1052-1135) et Drukpa Kunleg (1455-1529), dont le comportement à l’égard de ses disciples serait assimilé aujourd’hui à une véritable torture. Le tantrisme considère légitime l’usage de la violence, voire dans certains cas du meurtre. Vous ne trouverez pas de poignard rituel dans le catholicisme : mais il existe bel et bien dans le bouddhisme tibétain. La distinction est intéressante et révélatrice. On s’étonne de voir ce maître se comporter sans égard ni douceur envers ses étudiants : ce n’est que parce que nous avons en tête des modèles chrétiens. Cela étant dit, il est vrai que Sogyal Rinpoché sort de la norme tibétaine lorsqu’il applique à la lettre ces modèles de maîtres violents. Les lamas, ordinairement, tiennent ceux-ci pour mythologiques, et se comportent avec respect. La modernité (ou la « dérive ») de Sogyal Rinpoché consiste ainsi dans son application littérale de la mythologie bouddhiste tibétaine. C’est peut-être pour cette raison que le dalaï-lama ne le dénonce pas – outre le fait qu’il veuille conserver une image idyllique du bouddhisme tibétain, dans son propre intérêt.

Peut-on comparer les pratiques du bouddhisme que vous décrivez dans votre livre avec celles d’organisations comme Raël ou l’Église de scientologie ?

Je connais mal ces deux organisations, mais il me semble que ces trois phénomènes ne sont pas comparables. Dans les cas que vous évoquez, nous sommes dans un contexte exclusivement occidental. Les gens partagent les mêmes codes culturels, ils ont les mêmes repères sociaux, ils savent à quoi s’en tenir, ils assument souvent leurs choix et sont capables de se les expliquer – à l’intérieur d’un cadre culturel cohérent. Dans le cas de Sogyal Rinpoché, les choses sont beaucoup plus compliquées car il s’agit d’une interaction entre deux cultures très différentes. Les Occidentaux ne savent pas vraiment ce qu’ils peuvent et doivent attendre des lamas tibétains, ils projettent sur eux bon nombre d’attentes inconsidérées, les parent a priori de merveilleuses qualités, et ne savent pas comment interpréter les anomalies décelées sur le terrain. Cela donne lieu à des déconvenues, des désillusions, ou au contraire à un aveuglement persistant – quand ce ne sont pas des mystifications de la part d’enseignants (tibétains ou autres) qui tirent profit de l’ignorance et de la confiance du public. Les mécanismes peuvent être similaires d’un point de vue sociologique, mais au niveau culturel, scientologie, raëlisme et bouddhisme à l’occidentale sont très différents.

Au cours de cette enquête, quelle a été votre découverte la plus surprenante ou la plus inattendue ?


Ce qui m’a le plus étonnée, c’est que personne ne se soit posé ces questions avant moi – ou du moins n’ait accepté d’en parler publiquement. Je constate que rares sont les personnes qui s’intéressent au bouddhisme réel, tel qu’il est pratiqué en Asie et désormais en Occident. On préfère généralement s’imaginer ce qu’il n’est pas et devrait être. Le bovarysme a de beaux jours devant lui.

mercredi, octobre 19, 2016

Le mythe du Tibet



par Cécile Campergue


A
près l’exil de plusieurs milliers de Tibétains (80 000 à 100 000) en Inde en 1959 sous la protection du Dalaï-lama (certains maîtres avaient déjà quitté le Tibet à partir de 1951), le gouvernement tibétain, installé à Dharamsala, a choisi le bouddhisme comme fondement de son nationalisme. Comme l’écrit Fabienne Jagou : « Depuis sa fuite du Tibet, le XIVe Dalaï-lama et son gouvernement en exil véhiculent l’idée que la religion tibétaine est unique, qu’elle unit tous les Tibétains et qu’à ce titre elle doit être préservée » et, de ce fait, être diffusée. L’élite tibétaine en exil a adopté une représentation mythique d’un « Tibet sacré », national et spirituel, indispensable pour maintenir la vision d’un combat pour un « Free Tibet ».

Cette construction se superpose à la représentation mythique occidentale du Tibet, véritable paradis terrestre, un « Shangri-La ». La littérature occultiste et magico-ésotérique du XXe siècle a mis en avant des lamas tibétains aux pouvoirs et aux savoirs extraordinaires. Le Tibet est ainsi devenu la terre bénie des cercles occultes, spirituels et ésotériques. Ce mythe a connu plusieurs évolutions et s’est amplifié au cours du temps, ce qui a créé un décalage entre le bouddhisme tibétain tel qu’il est fantasmé et la réalité. On peut mentionner l’ouvrage phare « Le Troisième Œil » de Lobsang Rampa ou les récits d’Alexandra David-Néel, grande vulgarisatrice du bouddhisme tibétain, sans parler de « Tintin au Tibet »… Ce mythe a facilité l’exportation, puis l'adoption (somme toute assez rapide) par « l’Ouest » de cette religion, l’imaginaire occidental concernant le Tibet étant empreint de représentations positives : l’idée selon laquelle le Tibet abrite des maîtres réalisés pouvant sauver l’Occident est répandue par les pratiquants et sympathisants ; une supériorité spirituelle, voire morale est alors attribuée aux Tibétains.

Ce mythe est favorisé par les Tibétains eux-mêmes, qui ont bien compris que ces représentations idéalisées et mythifiées de leur terre ne pourraient que leur servir. La cause tibétaine s’est transformée en « cause universelle » : le Dalaï-lama se sert de la doctrine de l’interdépendance des phénomènes pour faire prendre conscience que chaque être humain porte en lui une part de responsabilité (d’où l’universalité de cette cause). Le mythe d’un Tibet hautement spirituel, au peuple bienveillant et pacifique par nature, va être opposé à la barbarie des communistes chinois qui ont détruit le dernier « bastion de l’humanité », un pays aux ressources humaines et écologiques inépuisables. La cause tibétaine va être commune à une grande majorité d’associations nouvellement créées, qu’elles soient à vocation religieuse (« centres du dharma »), culturelles, humanitaires ou politiques (associations militantes pour un « Free Tibet »). Elle va servir les premiers maîtres tibétains arrivés en France, bénéficiant ainsi d’une image positive de leur identité culturelle et religieuse.

Contrairement à d’autres formes de bouddhisme, qui remplissent le rôle d’une religion « ethnique », comme le Mahayana vietnamien ou chinois, le bouddhisme tibétain en dehors du Tibet n’est pas un bouddhisme à vocation identitaire, mais un bouddhisme essentiellement missionnaire. En Occident (mais également dans des pays asiatiques où le bouddhisme tibétain se propage), seules les élites religieuses sont tibétaines. En France, la « diaspora » tibétaine est faiblement représentée, puisqu’il n’y aurait pas plus de 150 Tibétains dans le pays, alors que l’auditoire est occidental. Les liens avec l’Inde, le Tibet et les camps de réfugiés sont omniprésents, participant à la construction, à la reconstruction, au financement des complexes matériels, aux institutions bouddhiques et aux différents projets des maîtres en Asie.


Cécile Campergue est docteur en ethnologie de l’Université Lyon II ; elle a soutenu en 2008 une thèse intitulée : « Le "maître" dans la diffusion et la transmission du bouddhisme tibétain en France ». Elle est chercheuse associée au Centre d’Etudes et de Recherches Anthropologiques de Lyon II.

La France est le pays d’Europe qui dispose du plus grand nombre de centres bouddhistes tibétains, ce qui mérite une attention particulière quant aux modalités de diffusion et de transmission du bouddhisme tibétain dans un nouveau contexte social et culturel.

Depuis une quarantaine d’années, plusieurs maîtres tibétains y sont venus pour fonder des « centres du dharma ». Le bouddhisme tibétain y jouit d’un statut particulier (la figure emblématique du Dalaï-lama joue un rôle important) et a bénéficié relativement tôt de reconnaissances institutionnelles que peinent à acquérir d’autres religions alors même qu’on lui préfère les termes de spiritualité, de philosophie ou de sagesse. Mais comment une religion hiérarchisée et ritualisée, culturellement marquée, en provenance d’un pays largement mythifié et idéalisé, où le politique et le religieux sont liés, a pu trouver un si large écho dans notre société ?

Les maîtres (lamas) sont à la fois la clé de voûte de l’édifice religieux et la clé de la compréhension de l’intensive diffusion du bouddhisme tibétain au niveau mondial car c’est autour d’eux que les fidèles s’agrègent en formant une communauté (sangha), le lama étant l’intermédiaire obligé qui donne l’accès à l’éveil.


mardi, octobre 18, 2016

Les tülkou

Il coule des jours heureux.

Karma Trinlay rinpoché, le fils du député Jean-Louis Massoubre, est un tülkou français. Mais un tülkou qui n'est pas un pur tibétain est un tülkou inférieur.

« Depuis de nombreuses années, écrit Cécile Campergue, il existe des tülkou occidentaux comme l’espagnol Osel Tenzin (réincarnation du lama tibétain Lama Yéshé) et le franco-américain Trinlay Tulkou, reconnu par le XVIe Karmapa. Au Tibet, les choix étaient largement orientés et, en Occident, on peut dire que les critères de sélection le sont tout autant : il y a très peu de femmes reconnues tülkou, et 
c’est souvent à un « rang inférieur » que l’on retrouve les tülkou occidentaux. »

« Un des aspects fascinants de la tradition tibétaine est le tülkou (un lama qui a atteint un degré de maturité spirituelle tel qu’il peut orienter sa réincarnation) et le principe de transmission par réincarnation. Le terme renvoie dans un sens strict à un « corps d’émanation ». Ce principe a pris au XIIe siècle une dimension institutionnelle, lorsque la lignée des Karma-Kagyu fut confiée à un tülkou. Ainsi, la lignée reste confiée au même personnage, mais sous des corps différents. Toutes les lignées ont adopté ce système qui permet, à l’inverse d’une transmission lignagère, d’éviter qu’une famille noble ne possède le pouvoir. Mais, dans les faits, les tülkou ont toujours été découverts dans des familles de lamas héréditaires ou dans des familles ou des tülkou avaient déjà été trouvés. Ce système n’existe nulle part ailleurs dans le monde bouddhiste et les tülkou ont des fonctions religieuses, politiques et économiques qui ne peuvent être séparées. Renaissances de maîtres passés, ils sont également des émanations de déités tantriques. Une de leurs particularités est de pouvoir orienter leur future renaissance et de laisser des indications à ce propos. Lorsque les régents trouvent des enfants successibles d’être le tülkou recherché, ces derniers sont soumis à des tests et, lorsque le bon est découvert, il est intronisé et quitte sa famille. Son éducation, notamment celle des tülkou de haut rang, obéit à des règles strictes. »





lundi, octobre 17, 2016

Jean-Louis Massoubre, le député missionné





Décédé au début de l'année 2016, l'homme politique de droite Jean-Louis Massoubre (député, maire...) était un discret et efficace promoteur du lamaïsme en France.

Massoubre était très proche du gourou tibétain Kalou Rinpoché (1905-1989), gourou accusé d'abus sexuels par June Campbell. En qualité d'initié du Vajrayana, le député français pouvait-il ignorer les arcanes tantriques du lamaïsme et les petits exercices pratiques que Kalou Rinpoché imposait à ses « esclaves sexuelles », l'expression est de June Campbell ? Le hiérarque tantrique se sentait-il protégé par le représentant du peuple français, lui était-il redevable ? Quoi qu'il en soit, Kalou Rinpoché fit introniser le fils de Jean-Louis Massoubre « toulkou » (réincarnation d'un grand initié lamaïste) et le baptisa Karma Trinlay Rinpoché. De nos jours, le fils de Jean-Louis Massoubre enseigne le Vajrayana dans des cadres universitaires, comme aux Etats-Unis à Stanford ou en France à l'Ecole Normale Supérieure.


Missionné ou éminence grise ?


Jean-Louis Massoubre a joué un rôle discret mais décisif dans l'implantation de la secte tibétaine Yungdrung Bön en Anjou.

Dans le passé le gourou de la secte, Tenzin Namdak, avait bénéficié de l'argent des Rockfeller pour enseigner en Occident. En 2005, des fonds importants (plusieurs millions d'euros) ont été mystérieusement débloqués pour permettre l'achat du château de la Modtais à Blou (49). Un achat qui dépasse très largement les possibilités financières des adeptes et sympathisants du Bön, quelques dizaines de personnes issues de catégories socioprofessionnelles assez modestes.

Lors d'une retraite organisée quelques mois avant l'acquisition du château, le moine français Félix Crespo, ordonné en Inde par le 33ème Abbé de Menri, n'était jamais convié aux entretiens entre les lamas tibétains et les représentants d'une mystérieuse organisation de « donateurs ». La véritable origine des fonds qui ont permis l'achat du château de la Modtais est une énigme.

Philippe Cornu, « tibétologue » et fidèle disciple du sulfureux Sogyal Rinpoché, participa lui-aussi à l'implantation du Yungdrung Bön en France.



1 : Tenzin Namdak ; 2 : Tenpa Yungdrung ; 3 : Philippe Cornu ; 4 : John Reynolds ; 5 : Sébastien Doerler.



mercredi, octobre 12, 2016

Quand la sagesse devient folle. Le bouddhisme tibétain en Occident entre mystique et mystification.



Quand la sagesse devient folle. Le bouddhisme tibétain en Occident entre mystique et mystification.


par Marion Dapsance
Docteur en anthropologie de l’EPHE (Paris) 
Boursière de la Robert H. N. Ho Family Foundation, 
études bouddhiques (Hong Kong)
En résidence postdoctorale à l’Université de Columbia, 
Département des Religions (New York)
mdapsance@gmail.com

E
n l’espace de quelques décennies, la figure souriante du Dalaï Lama est devenue le symbole d’un bouddhisme pacifique et bienfaisant. Auteur de plusieurs ouvrages destinés à faire connaître et à adapter sa religion au public occidental en quête de spiritualités alternatives, le chef politique des Tibétains apparaît comme un véritable modernisateur. Allié à des scientifiques convertis ou sympathisants, cette incarnation de la divinité Tchenrézig entend prouver au monde entier la compatibilité du bouddhisme et de la science. Cette démarche, analysée par certains spécialistes comme éminemment politique (1), a grandement contribué à la popularité du bouddhisme tibétain en Occident. Les recrues sont désormais nombreuses à se rendre dans les « centres du dharma » créés à leur intention. Cependant, le Dalaï Lama ne dirige aucun centre, et les personnes intéressées doivent s’adresser à d’autres lamas pour découvrir ce bouddhisme rationnel que Matthieu Ricard n’hésite pas à qualifier de « science de l’esprit ». Elles ont le choix entre diverses approches, certaines plus traditionnelles que d’autres.

Au cours de mes recherches doctorales, je me suis penchée sur le cas de deux lamas « modernisateurs » s’inscrivant dans la démarche du Dalaï Lama. Auteurs de bestsellers qui en ont fait de véritables vedettes de la « spiritualité orientale » (2), Chögyam Trungpa (1939-1987) et Sogyal Rinpoché (né en 1947) ont largement contribué à la popularité du bouddhisme tibétain, non seulement en proposant des ouvrages de vulgarisation, mais également en établissant des réseaux de centres d’étude et de pratique pour Occidentaux. Je place « modernisateurs » entre guillemets car, bien que revendiquée par ces maîtres et leurs porte-parole, cette étiquette s’est avérée trompeuse, ou pour le moins ambiguë. Tout d’abord, Chögyam Trungpa et Sogyal Rinpoché, qui ont tous deux rompu avec leurs hiérarchies (3), ne se sont pas présentés comme des lamas au sens traditionnel, c’est-à-dire comme des enseignants capables de transmettre le savoir doctrinal et rituel qu’ils ont eux-mêmes reçu, de manière à conduire les adeptes vers la réalisation de la vacuité des phénomènes et la sortie définitive du cycle des renaissances, mais plutôt comme les sauveurs de l’Occident matérialiste. La vision du monde qu’ils développent, et qu’ils présentent comme une « modernisation du bouddhisme », n’est autre, en réalité, que celle qui fut élaborée en leur temps par les adeptes de la Société Théosophique (4) : l’Occident est en crise spirituelle parce qu’il a développé une science purement matérialiste et ne retrouvera son plein épanouissement qu’en appliquant la sagesse des peuples asiatiques et en particulier des Tibétains, qui ont développé une véritable « science de l’esprit » appelée « méditation ». Les rituels, la dévotion, la mythologie sont supprimés, et les doctrines sont réinterprétées dans les termes actuels de la psychothérapie.

Cette reformulation des doctrines religieuses tibétaines, complexes et variées, en enseignements simplistes pour Occidentaux stressés pourrait à juste titre être qualifiée de « modernisation » si elle ne s’accompagnait, chez ces deux maîtres, d’une série d’innovations pédagogiques aux conséquences pour le moins ambiguës. En effet, il ne s’agit plus pour eux d’enseigner, par la doctrine et le rituel, la vue philosophique correcte selon leur propre école, mais de « casser les concepts des Occidentaux » qui, en raison du péché originel du matérialisme, ne sauraient appréhender le monde qu’à partir d’idées fausses. Pour cela, Chögyam Trungpa inventa la notion de « folle sagesse » (yeshe chölwa). Elle repose en partie sur la tradition indienne et tibétaine des saints fous (mahasiddha), ces ascètes exceptionnels qui, à l’image de Milarépa ou de Drukpa Kunleg, se tenaient à l’écart de la société et des institutions religieuses, pour mieux en dénoncer les travers. Les saints fous étaient réputés pour leurs pouvoirs magiques (tel le fait de voler dans les airs) et leur capacité à accepter toutes choses de manière égale (copuler avec les belles princesses autant qu’avec les vieilles femmes pauvres et édentées, boire du nectar divin ou de l’urine avec la même indifférence). La « folle sagesse » de Trungpa, cependant, était à l’image du personnage lui-même : hémiplégique. Le maître se contentait du sexe des jolies jeunes filles, du luxe, de l’alcool, de la drogue et de la bonne chère, et, mis à part quelques arcs-en-ciel attribués à sa présence « éveillée » par quelques disciples enthousiastes, il n’a jamais manifesté de pouvoirs psychiques particuliers. La « folle sagesse » de Trungpa consistait à se comporter de telle manière qu’il puisse toujours choquer son public. Cela, évidemment, pour « casser ses concepts » et le faire sortir du samsara matérialiste. Ainsi arrivait-il ivre mort à ses enseignements avec plusieurs heures de retard, pratiquait-il le sexe en réunion, obligeait-il ses disciples à se déshabiller lors de certaines « soirées Vajra » particulièrement violentes, les humiliait-il régulièrement, les faisait travailler gratuitement à la construction de son œuvre mégalomaniaque, exigea-t-il la constitution d’une cour royale à la mode britannique (avec bonnes, chambellans, valets de pied, majordomes, etc.), ainsi que la création d’une milice de « guerriers de Shambhala », royaume mythique du bouddhisme tibétain qu’il proposait de rétablir sous la forme d’une « société éveillée » dont il se voulait le chef et fondateur (5). Ce projet s’inspirait peut-être du modèle de la milice paramilitaire créée par l’écrivain japonais Yukio Mishima, avec lequel il partageait de nombreux points communs, notamment la valorisation de l’esthétique et de la virilité japonaises. L’aventure de Chögyam Trungpa faillit très mal tourner, en raison des nombreux scandales qui entouraient sa personne et ses proches, notamment son « régent », l’Américain rebaptisé Ösel Tenzin, qui transmit le virus du SIDA en connaissance de cause à de nombreux disciples hommes et femmes, arguant que « les bénédictions de Trungpa les protégeraient ». Cependant, grâce à l’effort de communication engagé par ses fidèles (6), il reste aujourd’hui de Trungpa l’image d’un génie incompris voire incompréhensible, auteur de multiples ouvrages vendus à des millions d’exemplaires et créateur d’une multinationale de centres du dharma et d’une maison d’édition nommés Shambhala.

Sogyal Rinpoché, qui enseigne aujourd’hui dans le monde entier et qui fut dans sa jeunesse un admirateur déclaré de Trungpa, a repris à son compte le principe de la folle sagesse. Les étudiants s’inscrivent à ses centres pour y apprendre la « méditation » telle qu’elle est présentée par les médias grand public : ils y découvrent un parcours initiatique jalonné d’épreuves, dont le but est le rapprochement physique avec un maître iconoclaste, source unique de salut (7). Le cheminement spirituel est découpé en plusieurs étapes progressives, qui aboutissent au service du maître et de son entreprise, depuis la mise en forme de ses enseignements oraux jusqu’au don de son corps, en passant par le ménage, la comptabilité, l’organisation des voyages, le commerce des produits dérivés, les massages, les soirées animées par de jolies jeunes femmes, les vacances sur des plages australiennes, les sorties au Crazy Horse et le secrétariat personnel. La « folle sagesse » de Sogyal Rinpoché consiste ainsi, comme chez Trungpa, à vivre dans l’opulence en asservissant ses disciples. La réorientation des objectifs initiaux des disciples est justifiée par des arguments bouddhiques traditionnels, notamment ceux des « moyens habiles » (upāya) et de « l’illusion des phénomènes », dépourvus de réalité intrinsèque (anātman) : ce que font les disciples (servir le maître dans les moindres détails de sa vie professionnelle et intime) n’est autre qu’une « apparence », un simulacre utile à leur progrès spirituel, une simple « technique ». On peut avoir l’impression qu’ils se comportent en serviteurs d’un individu tyrannique : ils ne font en réalité que « servir leur maître intérieur », en essayant de voir « au-delà des apparences ». Ce qu’ils font véritablement ne se réduit pas à ce qu’ils font apparemment. En effet, il existe traditionnellement dans le bouddhisme tibétain deux niveaux de réalité (relatif et absolu) et deux classes d’êtres aux niveaux spirituels inégaux (ceux qui ont la vue obscurcie par le samsara ne voient pas la réalité telle qu’elle est vraiment, ceux qui ont le karma assez pur peuvent la voir, et c’est ainsi que l’on distingue les bons des mauvais disciples). De même, le maître qui s’entoure d’une cour de jeunes femmes qu’il traite en objets sexuels et en bonnes à tout faire ne fait pas véritablement ce qu’il a pourtant l’air de faire. Le croire, c’est se laisser aveugler par « l’illusion du samsara ». Voir le contraire de ce qui apparaît de manière évidente aux sens et à la raison devient dès lors signe d’illumination. Dire que l’on décèle la compassion là où se « manifestent » (« apparemment », « dans la réalité relative ») courroux et humiliations, c’est affirmer que l’on fait déjà partie des êtres éveillés. Le maître, avec sa cour de serviteurs et de servantes, doit donc être considéré comme quelqu’un d’exceptionnel, dont le seul et unique but est le bien-être de ses disciples, qu’il apprend à se défaire de leur « vision dualiste », caractéristique du samsara occidental. C’est lui qui sert ces jeunes femmes pour leur apporter l’éveil, et non ces jeunes femmes qui le servent pour lui apporter du confort. C’est un honneur pour elles d’avoir l’occasion de servir un maître éveillé. Ce dernier, par définition, n’a pas besoin d’être servi : il est bien au-dessus de tout cela. S’il se laisse servir, ce n’est que pour donner à ses disciples la possibilité, à son contact, d’atteindre la « vision pure ». Il s’agit d’un leurre, d’une ruse, d’une illusion, d’un moyen habile tout spécialement conçus pour tirer ses disciples du matérialisme où ils se trouvent. En d’autres termes, les adeptes doivent apprendre à ne pas voir les choses telles qu’elles sont.

Tout l’enseignement dispensé dans ces centres, sous prétexte de « psychologisation » ou de « modernisation », consiste ainsi à déconditionner les disciples, à leur apprendre à disséquer leurs idées pour en découvrir la conventionalité et l’irréalité fondamentales. Cela est présenté comme une méditation bouddhique (l’analyse de la vacuité des phénomènes) et une pratique conforme à la science moderne (en fait au discours postmoderne à la mode, qui aime à « déconstruire »). Cependant, si les ficelles utilisées sont effectivement traditionnelles (la rhétorique des moyens habiles et de l’illusion des phénomènes), il reste que l’objectif visé – c’est-à-dire atteint – n’est autre que le confort matériel de ces maîtres. Car, au-delà des oxymores censés dissimuler la grandeur, que constate-t-on dans les faits ? Le maître vit dans le luxe à la tête d’une très rentable entreprise multinationale. Il n’y a aucune signification cachée sous les paradoxes qu’il déploie. Leurs disciples devraient plutôt continuer à voir les choses telles qu’elles leur apparaissent spontanément, comme y invite d’ailleurs le Bouddha dont on cite sans arrêt les appels au scepticisme, à la raison et à l’autonomie. Ils ont beau revêtir la robe colorée des religieux tibétains, les chefs d’entreprises autoritaires restent des chefs d’entreprises autoritaires. Il ne suffit pas d’y accoler les termes « tibétain », « spirituels », « bouddhistes » ou « modernes » pour qu’ils revêtent automatiquement une invisible dimension mystique.

Ainsi, dans les centres de ce type, les disciples n’apprennent-ils pas le bouddhisme, mais le lama, lui, peut vivre cyniquement dans le matérialisme qu’il condamne. La « modernisation » que mettent en œuvre ces maîtres réformateurs de l’Occident ne sert donc pas, comme ils l’affirment, à adapter le bouddhisme tibétain aux Occidentaux mais plutôt à adapter leur nouveau public, en profitant de son ignorance et de ses attentes, au train de vie qu’ils voudraient pouvoir mener. N’oublions pas que Trungpa et Sogyal Rinpochés sont tous les deux issus de l’aristocratie tibétaine, ruinée et exilée avec l’invasion chinoise, et qu’ils bénéficient tous deux du statut de tülku (successeur d’une lignée de lamas dits « réincarnés »), qui leur confère, par rapport aux autres lamas et a fortiori aux laïcs, une position éminemment supérieure. Ils sont traditionnellement considérés comme des êtres supérieurs auxquels une série d’avantages symboliques et matériels doit être accordée. Seulement, en contexte occidental moderne, où dominent les idéaux d’égalité et de démocratie, ils ne sauraient revendiquer aussi crûment leurs privilèges. Ils doivent donc en passer par le développement et l’enseignement d’une justification ad hoc, qu’ils ont appelée « folle sagesse ». Ces maîtres ne sont donc pas des modernisateurs mais, au sens propre, des mystificateurs. Quant aux Occidentaux qui les suivent aveuglément, ils devraient peut-être s’interroger sur ce que révèle leur propre attitude : que signifie le fait de revendiquer une « spiritualité moderne », rationnelle, individualiste, non contraignante, tout en se pliant aux caprices pseudo-mystiques d’un monarque absolu ? Désirent-ils réellement à échapper à ce qu’ils nomment avec dédain « la religion » ou en cherchent-ils simplement une nouvelle ?

***

1) Notamment Donald Lopez, "Prisoners of Shangrila. Tibetan Buddhism and the West", Chicago, University of Chicago Press, 1999, édition française "Fascination tibétaine: du bouddhisme, de l’occident et de quelques mythes", Paris, Autrement, 2003 ; du même auteur, "Buddhism and Science, A Guide for the Perplexed", Chicago, University of Chicago Press, 2010.

2) Chögyam Trungpa, "Pratique de la voie tibétaine : au-delà du matérialisme spirituel", Paris, Seuil, 1976 ; Le mythe de la liberté et la voie de la méditation, Paris, Seuil, 1979, "Shambhala : la voie sacrée du guerrier", Paris, Seuil, 1990 ; "Folle sagesse", Paris, Seuil, 1993 ; "Tantra : la voie de l’ultime", Paris, Seuil, 1996, entre autres. Sogyal Rinpoché, "Le livre tibétain de la vie et de la mort", Paris, La Table Ronde, 1993.

3) Le premier est un moine défroqué, qui, adolescent, eut un fils avec une nonne tibétaine (aujourd’hui devenu chef de son organisation Shambhala). Une fois arrivé en Angleterre, il abandonna sa robe pour épouser une Anglaise de 16 ans, qu’il s’empressa de tromper avec une multitude d’étudiantes. Le second servait d’interprète et d’assistant à Dudjom Rinpoché, l’un des premiers lamas à avoir enseigné en Occident. Sogyal a rompu avec Dudjom parce que ce dernier refusait de le voir vivre dans une promiscuité sexuelle excessive, devenue scandaleuse.

4) Fondée à New York en 1875 par une ancienne médium russe et un journaliste américain adepte du spiritisme, la Société Théosophique a pour but de développer une « Fraternité Universelle » guidée par des « grands maîtres » ou « mahatmas », supposés résider au Tibet. La Société a joué un rôle immense dans la diffusion en Occident des « spiritualités orientales » et dans leur association avec la science. Voir notamment Donald Lopez, "Prisoners of Shangrila", op.cit. ; Janet Oppenheim, "The Other World. Spiritualism and psychical research in England", 1850 – 1914, Cambridge, Cambridge University Press, 1982; Alex Owen, "Places of Enchantment: British Occultism and the Culture of the Modern", Chicago, Chicago University Press, 2004; Peter Washington, Madame Blavatsky’s Baboon. "Theosophy and the Emergence of the Western Guru", Londres, Seker and Warburg, 1993.

5) Voir les témoignages de contemporains : Stephen Butterfield, "The Double Mirror: A Skeptical Journey into Buddhist Tantra", Berkeley, North Atlantic Books, 1994 ; Tom Clark, "The Great Naropa Poetry Wars", Cadmus Editions, 1980 ; Diana Mukpo, "Dragon Thunder : My Life with Chögyam Trungpa", Boston, Shambhala, 2006 ; Ed Sanders, "The Party: A Chronological Perspective on a Confrontation at a Buddhist Seminary, Poetry, Crime, and Culture Press", Woodstock, New York, 1977.

6) Voir notamment l’apologiste français Fabrice Midal, "Trungpa, l’homme qui a introduit le bouddhisme en Occident", Paris, Le Seuil, 2014.

7) Parcours initiatique que j’ai décrit dans ma thèse de doctorat soutenue à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en décembre 2013 et publiée sous forme de journal d’enquête par les éditions Max Milo en mars 2016.



lundi, octobre 10, 2016

Le bouddhisme à l’occidentale : une sagesse de notre temps ?




Bouddhisme tibétain, le Centre d'Albuquerque (New Mexico, USA).




Le bouddhisme à l’occidentale :
une sagesse de notre temps ?



par Marion Dapsance



L
e grand appartement monégasque donne sur la mer. Il y règne une intrigante atmosphère de voyage. La propriétaire, qui dirige l’association, est constamment entre deux avions, suivant autant que possible son maître dans ses tournées internationales. Elle porte des jupes longues et des chemises en soie colorée rapportées d’Inde et du Népal, se nourrit essentiellement de riz aux lentilles, fait brûler des bâtonnets d’encens dans toutes les pièces. Une volubile servante indonésienne vient faire le ménage chaque jour. Aux murs de l’entrée, des photographies en noir et blanc représentent un vieillard tibétain en robe de lama. Ses longues moustaches blanches et son crâne chauve lui donnent un air stéréotypé de « sage asiatique ». Le salon, transformé en « salle de pratique », est pourvu d’un autel chargé d’offrandes et de photos de maîtres, de statuettes de bouddhas, d’images peintes et d’objets rituels que je ne connais pas encore. On se déchausse en entrant, avant de venir s’asseoir sur un petit coussin rond. En pénétrant dans cette pièce, certains se prosternent devant la grande photographie du maître, qui fait face à l’entrée. Une petite chambre adjacente sert de bibliothèque : il est possible d’y emprunter des livres et des revues traitant du bouddhisme tibétain et d’ésotérisme, de yoga et de végétarisme. J’y découvre les ouvrages de Kalou Rinpoché et de Mme Blavastky, de Dilgo Rinpoché et d’Annie Besant, des livres sur les extraterrestres, les « grands maîtres » hindous et Arnaud Desjardins. On me parle de « pratiques », on m’offre un livre relatant l’histoire de la lignée, on me fait regarder des vidéos sur la vie du maître et les couvents qu’il a fondés dans les régions himalayennes, on m’invite à participer à des liturgies en tibétain, dont le sens ne m’est enseigné que progressivement, au fil de discussions avec d’autres étudiants, échangeant ouvrages théologiques et conseils pratiques sur la manière d’effectuer les rituels. On me parle bien sûr de la « méditation », qui consiste à se tenir assis sur un coussin, les yeux fermés, et à « observer ses pensées ». Cependant, je constate que peu la pratiquent.

Les membres de cette association appartiennent à toutes les catégories sociales et à tous les âges, la proportion des hommes étant aussi élevée que celle des femmes. Tous sont liés par une même « connexion » avec le maître, qu’ils disent devoir entretenir quotidiennement et qu’ils appellent également « dévotion ». Tous, un jour, ont été « touchés » par sa personne, son image, sa simple évocation. À certains, il apparaît en rêve, s’impose à la pensée ou même se matérialise sous forme d’animal pour leur communiquer un message important au moment le plus opportun.

La plupart sont assidus à la « pratique », qu’il s’agisse de liturgies liées au culte de divinités comme Tara ou Tchenrézig, organisées quotidiennement, ou de rituels tantriques plus complexes, comme le rituel de Tcheu, organisé certains soirs, en fonction du calendrier lunaire. Quelque fois, un lama subalterne vient séjourner sur la Côte. Il s’enquiert de la « pratique » des membres du groupe, répond aux questions, règle les peines de cœur, prodigue des conseils sur l’orientation professionnelle des uns et des autres, établit l’horoscope des nouveau-nés, bénit les enfants.

Quelques semaines après mon entrée dans l’association, on me propose une « retraite ». Celle-ci a lieu dans le centre européen de la lignée, situé en Bretagne. Le bâtiment, un ancien corps de ferme perdu en pleine campagne, est un lieu paisible et agréable. L’arrivée du lama y est célébrée en grande pompe : long tapis rouge, haie de disciples baissant la tête et joignant les mains sur leur poitrine, sonorités stridentes des cors et des hautbois tibétains, fumigations, aspersions d’eau bénite. Parmi la foule, je vois des Occidentaux en robe de moine rouge, l’épaule découverte et les pieds nus dans leurs sandales, malgré le froid. Des hommes en costume sombre se courbent à l’approche du maître, qui sort d’une élégante berline, pour lui remettre une écharpe blanche. Le lama, marchant les pieds en canard, sourit à tous d’un air heureux. Accompagné jusqu’à la ferme par une suite de religieux tibétains, d’Européens ordonnés et de disciples chanceux, le grand maître disparaît loin des regards.

C’est ma première rencontre avec lui. À chaque enseignement, donné tous les jours sous une grande tente, le lama est accueilli avec le même faste et la même révérence, tenu à l’écart des centaines de disciples venus du monde entier pour l’écouter. Il explique en anglais des doctrines morales et théologiques, se référant à des textes, des maîtres et des divinités qui me semblent très exotiques. La retraite est consacrée aux pratiques rituelles de Tcheu et de Vajrayogini. La première, m’explique-t-on, était à l’origine pratiquée la nuit dans des charniers. Elle consiste à se visualiser soi-même sous forme d’une divinité féminine se découpant en morceaux, de manière à rendre sensibles le démembrement de l’ego et la vacuité des phénomènes. La seconde consiste à se visualiser sous la forme d’une jeune fille de seize ans, nue et rouge de peau, entrant en relation sexuelle avec son maître. Dans les deux cas, les rituels sont longs et compliqués. Ils incluent de nombreuses prières, invocations, confessions de fautes et réitérations de vœux, récitations de litanies de maîtres et de bouddhas, le tout en tibétain. Des gestes, des mouvements, des visualisations et des attitudes mentales codifiés s’ajoutent à la récitation.

Centres bouddhistes vus de l’intérieur

Lors de cette retraite, je suis frappée par le décalage que je constate entre ce que j’avais appris dans les ouvrages de vulgarisation consacrés à cette « spiritualité laïque » et ce qui m’était effectivement proposé dans les centres bouddhistes tibétains – aujourd’hui l’obédience la plus représentée et la plus populaire en France (1). Alors que les discours diffusés auprès du grand public mettent systématiquement en avant la dimension supposément areligieuse de ces traditions, les « centres du dharma » regorgent d’Occidentaux ravis de s’adonner à la pratique de ce que l’on appelait encore il y a peu, avec mépris, « le lamaïsme (2) ».

Comment interpréter cet écart entre les discours et les pratiques observables ? Les apologètes et les médias (3) expliquent régulièrement que les Occidentaux sont séduits par le bouddhisme en raison de son athéisme, de son absence de dogme, du fait qu’il constituerait une philosophie adaptée à la vie moderne, à laquelle il apporterait un regain de bien-être psychique. Dans un article publié dans Psychologies magazine et intitulé « Pourquoi le bouddhisme nous attire (4) », Frédéric Lenoir informe ainsi ses lecteurs que le bouddhisme nous paraît plus « moderne » que le catholicisme en raison du « caractère non dogmatique des enseignements du Bouddha, lequel affirmait que chacun de ses disciples ne doit suivre ses préceptes qu’après les avoir lui-même éprouvés ». Ainsi, « l’expérience individuelle [serait] au coeur du bouddhisme ». Il ajoute que le catholicisme au contraire « apparaît comme un discours dogmatique sur ce qu’il faut croire et ne pas croire, faire et ne pas faire ». Lenoir va plus loin encore en affirmant que ces « techniques » intéressent aujourd’hui les plus grands chercheurs et constitueraient même une « véritable science du sujet qui n’existe pas en Occident ». Outre qu’il balaie d’un revers de la main plusieurs siècles de philosophie occidentale, Frédéric Lenoir n’explique pas en quoi les rituels tantriques pratiqués par les religieux tibétains constitueraient des « techniques scientifiques ». Pour cet auteur, l’affaire est entendue : le bouddhisme attire les Occidentaux parce qu’il serait athée, rejetterait les croyances non fondées sur la raison, ferait la promotion de valeurs généreuses comme la compassion, la liberté, le respect de la vie, la nonviolence, la tolérance et favoriserait le développement personnel et la sérénité. Les entretiens réalisés auprès d’un millier de pratiquants des bouddhismes zen et tibétain viennent, dans ses travaux, à l’appui de cette hypothèse (5).

Cependant, l’observation même rapide des pratiques adoptées dans les centres invite à revoir ces analyses, qui s’en tiennent essentiellement, aussi bien pour le sociologue que pour ses informateurs, à la répétition d’un certain nombre d’idées reçues. Face aux scènes décrites plus haut, on peut en effet se demander ce qui attire vraiment les Occidentaux dans le bouddhisme tibétain – et ce qui les conduit à y rester.


Une religion sans Dieu
qui fait la part belle aux divinités


Selon les observateurs, le premier critère justifiant l’attirance des Occidentaux pour le bouddhisme serait l’athéisme, qui rangerait ce dernier dans le camp des « spiritualités modernes », opposées aux « religions dogmatiques ». Cette affirmation appelle au moins deux éclaircissements. Tout d’abord, qu’en est-il exactement de l’« athéisme » du bouddhisme ? Il est vrai que les bouddhistes ne conçoivent pas l’univers comme étant la création d’un être supérieur, éternel, parfait et omniscient. Pour autant, cela ne les empêche pas de reprendre à leur compte la cosmologie hindoue, selon laquelle l’univers est peuplé d’une multitude de dieux, de demi-dieux, d’hommes, d’animaux, de démons et d’esprits avides (6). Ces êtres séjournent successivement sur plusieurs terres, dans plusieurs enfers et plusieurs paradis, où ils subissent supplices et délices, pour des durées plus ou moins longues, en fonction de la moralité de leurs actions passées – cette moralité étant par ailleurs strictement définie par des textes et non suivant leur conscience personnelle, comme le croient aujourd’hui la plupart des Occidentaux (7). Les dieux et les demi-dieux sont soumis comme les hommes à l’empire des passions, et donc au samsara, le cycle sans fin des morts et des renaissances. La différence entre les hommes et les dieux tient au fait que ces derniers connaissent des états de bonheur plus intenses et plus durables, et qu’il est possible de se concilier leurs bonnes grâces pour en obtenir des avantages, souvent matériels. Ils se rapprochent en cela davantage des dieux de l’Antiquité grécoromaine que des divinités monothéistes. Contrairement à ces dernières, les déités bouddhiques appartiennent au monde de l’impermanence et de l’imperfection, qui se distingue radicalement des « terres pures » peuplées par les bouddhas, ces êtres éveillés qui ont transcendé l’ignorance, la mort et la renaissance. Ces êtres exceptionnels, dont le Bouddha Shakyamuni ne serait que le spécimen le plus récent, interviennent à intervalles réguliers dans le monde pour le sauver de son errance mortifère. Pour cela, ils disposent certes des enseignements – le dharma – mais également de pouvoirs surnaturels. Les bouddhas sont donc comparables aux êtres extraordinaires jouant les intermédiaires entre l’ici-bas et l’au-delà, dont les exemples les plus connus en Europe sont le Christ, la Vierge et les saints. Ce qu’il importe de retenir, c’est que la hiérarchie des êtres instaurée par le bouddhisme ne différencie pas les hommes de Dieu (ou des dieux), comme notre culture grécochrétienne nous y a habitués, mais bien les « éveillés » du reste du vivant. Il est par conséquent absurde de parler d’« athéisme » au sujet du bouddhisme. C’est d’abord faux si l’on s’en tient au sens strict du mot : le bouddhisme n’est pas une « religion sans Dieu », c’est même une religion qui en comporte plusieurs. C’est ensuite une forme de projection ethnocentrique, dans la mesure où l’importance que l’on accorde ou non à l’existence d’un Dieu est une question sensible pour les juifs, les chrétiens et les musulmans modernes, mais non pour les bouddhistes, pour qui les dieux, nous l’avons vu, n’ont pas grande importance.

On pourrait rétorquer que la question de l’existence ou de l’inexistence d’un Dieu créateur revêt une importance réelle pour les sujets qui nous occupent, à savoir les Occidentaux déçus du christianisme qui adhèrent au bouddhisme pour sa conception du monde apparemment plus « rationnelle ». Les adeptes et les sympathisants que j’ai rencontrés ou dont j’ai lu les témoignages considèrent généralement – la nouvelle n’est pas neuve – que les récits bibliques sur l’origine du monde ne sauraient s’accorder avec les dernières découvertes de la science. Le bouddhisme, en revanche, proposerait une vision « scientifique » de la vie, pour la simple raison que toute cause première aurait été évacuée. Pour les bouddhistes, l’univers n’a ni commencement ni fin. Il résulte des actions individuelles et collectives des êtres qui le peuplent. Les actes produisent des effets, c’est la « loi du karma », que chacun, nous dit-on, peut vérifier tous les jours. Or l’absence d’un dieu créateur, le caractère éternel ou atemporel de l’univers et le fait que les actions posées emportent leurs conséquences n’impliquent pas de facto le caractère scientifique de l’explication bouddhique du monde. Le bouddhisme a bel et bien son mythe des origines. Ses admirateurs occidentaux pour la plupart le méconnaissent, ou le rejettent comme une vieillerie superstitieuse – mais dans ce cas, pourquoi ne pas faire de même avec le récit génétique judéo-chrétien ?

Seconde remarque, il semble peu probable que l’athéisme attire particulièrement les Occidentaux au bouddhisme – en tout cas, si elle les séduit au premier abord, cette fausse réputation dont on l’accrédite ne saurait les convaincre très longtemps – étant donné leur bonne volonté à pratiquer les rituels tantriques consacrés aux divinités indo-tibétaines dans les « centres du dharma ». En effet, les lamas présents sur notre territoire proposent, en réponse à la demande occidentale de « méditation », les pratiques religieuses auxquelles ils ont été formés. Or, dans le bouddhisme tantrique indotibétain, les divinités sont au centre des liturgies (8). La pratique du tantrisme se caractérise par le « yoga des déités », dans lequel le pratiquant se visualise lui-même sous la forme d’un bouddha. Le méditant considère tout d’abord que la bouddhéité comporte deux aspects : le corps de vérité, qui est l’esprit omniscient d’un bouddha, et le corps d’apparition, qui est la forme physique adoptée par ce bouddha pour se rendre manifeste. Il commence par méditer sur la vacuité des phénomènes et du soi, avant de faire apparaître en son esprit, suivant des descriptions strictement codifiées dans des textes, le bouddha qui lui aura été attribué comme divinité tutélaire, en raison de ses qualités et de ses pouvoirs particuliers. Après avoir loué et prié ce bouddha, s’être confessé à lui et lui avoir présenté toutes sortes d’offrandes matérielles et mentales, le pratiquant récite des dizaines, voire des centaines de fois sa formule sacrée (mantra) en effectuant les gestes (mudra) appropriés. Puis, il imaginera que ce bouddha n’est autre que son maître (lama) et s’unira à lui en esprit, avant de dissoudre la visualisation en une explosion de lumière débouchant finalement sur le vide.

L’objectif est d’intérioriser les qualités de la divinité (qui n’est autre que l’esprit omniscient des bouddhas sous une forme sensible) et de réaliser son irréalité, sa vacuité profonde. La conclusion du rituel est en effet la constatation que la divinité est « vide », c’est-à-dire qu’elle n’existe que sur un plan relatif, mais non absolu. À un niveau supérieur, elle se confond avec le corps ultime des bouddhas (dharmakaya). Ces rituels se fondent sur la doctrine des « deux vérités » ou des « deux réalités », selon laquelle les phénomènes que nous constatons et l’individu que nous croyons être ne sont vrais qu’à un « niveau relatif », celui auquel évoluent les êtres aux « capacités limitées », c’est-à-dire la grande majorité des humains, les animaux, les dieux, les demi-dieux et les esprits avides. Seuls de très rares pratiquants, de même bien sûr que les bouddhas et les boddhisattvas, sont capables d’avoir accès à la « réalité absolue », au-delà de toutes les apparences et de toutes les conventions. Le yoga de la déité est ainsi un entraînement permettant de dépasser la « réalité relative » et d’acquérir les pouvoirs requis pour accéder à la « réalité absolue ». Ces pratiques et ces doctrines complexes, aujourd’hui proposées à un vaste public d’Occidentaux, sont traditionnellement réservées à une élite religieuse, les laïcs tibétains se contentant habituellement de la récitation de prières, de la bénédiction des moines et des lamas, des pèlerinages et de la vénération de reliques. Or, si les lamas les ont enseignées aux Occidentaux dès leur arrivée dans les années 1960, c’est parce que ces derniers se sont révélés demandeurs (9).

Le bouddhisme n’est donc pas « athée », et ce pour deux raisons : au plan cosmologique, les divinités abondent ; au niveau de la pratique religieuse, elles sont au centre des rituels. Or les Occidentaux n’hésitent pas à adopter ces rituels, certains considérant même que les divinités existent, et qu’il convient de les prier de la même manière que leurs grands-parents invoquaient la Vierge et les saints. Il est donc douteux que le bouddhisme attire en raison de son athéisme.


La découverte et l’invention de nouveaux dogmes


Venons-en maintenant à la deuxième explication invoquée par les observateurs : le bouddhisme attirerait en raison de son « absence de dogmes ». Considérer que le bouddhisme ne comporte aucun dogme est lui-même un dogme, hérité du XIXe siècle (10). Même dans les « centres du dharma » qui proposent un « bouddhisme adapté à l’Occident », c’est-à-dire axé sur la pratique de la « méditation » au sens de concentration mentale, de nombreuses contraintes stéréotypées sont imposées aux disciples.


Tout d’abord, une manière de pratiquer ladite « méditation (11) ». Il convient d’abord de s’asseoir dans la « posture en sept points » : jambes croisées, mains posées sur les genoux, dos droit, épaules dégagées, tête et menton légèrement baissés, bout de la langue touchant le palais, regard posé sur le bout de son nez ou dans l’espace devant soi. Il faut adapter son regard à son état d’esprit : légèrement vers le bas quand il est agité, légèrement vers le haut quand il est plutôt léthargique. L’étudiant doit rester conscient de son souffle, de ses pensées, de ses émotions, de ses sensations et de l’environnement dans lequel il se trouve, sans se laisser pour autant emporter par eux.

Ensuite, une manière de parler. Dans les groupes bouddhistes occidentaux, j’ai observé une même manière stéréotypée de s’exprimer, qui mêle langage psychothérapeutique ordinaire et concepts bouddhiques traditionnels. Les nouveaux venus acquièrent ce sabir au contact des plus anciens, tandis que le lama, la plupart du temps, s’adresse à eux en anglais traduit. L’objet principal des (nombreuses) discussions entre disciples est d’une part soi-même, en tant qu’individu s’acheminant vers la découverte libératrice de l’irréalité du soi, d’autre part le lama, décrit comme un être parfait capable de les mener à la libération. Aussi le vocabulaire employé est-il binaire : les disciples se caractérisent par la « confusion », les « concepts », les « fabrications », etc. ; le lama par « la Vue », « la spontanéité », « la plénitude », « la perfection », « la nature de Bouddha », etc. Les verbes utilisés sont essentiellement des verbes d’état. Ce langage implique une vision du monde dichotomique, figée, définitive : les disciples sont dans l’ignorance, le lama est la perfection. Leur ignorance n’est pas accidentelle : elle est au fondement même de leur être. Nous ne sommes pas donc très loin, même si les mots employés diffèrent et que la chose n’est pas théorisée, de la doctrine du péché originel. En outre, il découle de la catégorisation – a priori et constamment ressassée – du lama comme être parfait un dogme nouveau pour les Occidentaux, que l’on pourrait appeler « dogme de l’infaillibilité lamaïque » : quoi qu’il fasse, ou plutôt quoi qu’il ait l’air de faire du point de vue de la « réalité relative », le lama a raison. Si son disciple doute de la bonté de ses intentions, c’est bien la preuve qu’il est empêtré dans « l’ignorance samsarique (12) ».


Ce dogme de l’infaillibilité du lama se rencontre dans la plupart des « centres du dharma » d’Europe et des États-Unis. Je l’ai en tout cas constaté dans tous ceux que j’ai fréquentés. Correspondant aux formes tibétaines de la confiance et de la dévotion dues aux lamas, il a pu être traduit en contexte occidental grâce aux écrits des théosophes, qui ont, depuis la fin du XIXe siècle, propagé l’idée que les « maîtres tibétains » étaient des êtres surévolués ayant pour mission de délivrer l’Occident du matérialisme (13). Cette croyance peut cependant aller beaucoup plus loin. Certains enseignants bouddhistes – qu’ils soient tibétains, japonais ou occidentaux – développent en effet une véritable théologie du maître parfait, conjuguant dévotion traditionnelle et doctrine des « moyens habiles » (upaya en sanscrit). Selon cette dernière, un bouddha peut employer toutes les méthodes qu’il juge nécessaires à la conversion de ses disciples. Il peut ainsi user de ruse, de mensonge, de violence ou de magie (14). Ainsi certains enseignants, dont les plus connus sont les tibétains Chögyam Trungpa et Sogyal Rinpoché, ont systématisé cette conception du maître éveillé capable de tout. Dans leurs centres, le maître démontre sa bouddhéité par le fait d’être absolument imprévisible et imparfait : il arrive systématiquement en retard à ses enseignements, humilie publiquement ses disciples, se fait servir comme un roi, dispose de harems (15). Ce comportement est appelé « folle sagesse » (yeshe cholba en tibétain), apanage des « saints fous » de la mythologie (les « grands adeptes », mahasiddha en sanscrit). Quiconque refuse la « folle sagesse » et tout ce qu’elle comporte de vexations, de privations et de sacrifices est indigne de faire partie du groupe et en est généralement expulsé. Quiconque use de son esprit critique – pourtant présenté comme central dans le bouddhisme – et remet en question l’intérêt spirituel d’un tel comportement est considéré comme inférieur. Quiconque, en somme, refuse ce dogme est assimilé à un « démon (16) ».

Contrairement à ce qu’affirment les commentateurs – rappelonsnous Frédéric Lenoir, qui considère que le bouddhisme n’est pas, comme le catholicisme « un discours dogmatique sur ce qu’il faut croire et ne pas croire, faire et ne pas faire » –, ce n’est pas parce qu’elle serait dépourvue de « dogmes » que les Occidentaux apprécient cette « spiritualité ». Elle en comporte beaucoup, de nouveaux comme de traditionnels, et les Occidentaux semblent éprouver un certain plaisir à s’y soumettre. Comment l’interpréter ? Plusieurs explications sont possibles. D’abord, les vérités non questionnables et les contraintes qui en découlent (ce que Lenoir et d’autres appellent les « dogmes ») passent inaperçues parce qu’elles sont rarement formulées de manière aussi abrupte. Cette situation s’explique essentiellement par le fait que la plupart des discours sur le bouddhisme sont le fait de pratiquants ou de sympathisants. Rares sont les observateurs qui osent prendre du recul par rapport à l’exégèse associée à ces croyances et se contentent de relever ce qui est fait et dit, sans se référer au discours justificateur des adeptes. Rares sont ceux qui quittent leurs livres pour se rendre dans un centre et vérifier par eux-mêmes le bien-fondé des assertions qu’on leur assène. Les critiques qui s’élèvent actuellement contre ce qui est pratiqué dans les centres émanent d’anciens disciples, dont il est facile de considérer après coup qu’ils sont « aigris », « déçus » ou « avides de vengeance ». D’une part, la déception n’exclut pas la clairvoyance – l’inverse est plutôt vrai. D’autre part, il faut bien avoir intégré ces centres et les avoir quittés pour se faire une idée précise de ce qui y est enseigné. Deuxième explication possible : ces vérités non questionnables et les contraintes qui leur sont assorties sont acceptées avec enthousiasme parce qu’elles sont exotiques. Leur découverte progressive procure au nouveau disciple l’impression grisante de s’aventurer dans un univers mystérieux qu’il déchiffre peu à peu, à la manière d’un roman d’aventures dont il serait le héros. L’éclaircissement progressif de ces mystères, l’impression que l’on apprend à les dominer – alors que l’on ne fait qu’intégrer un ensemble de normes édictées par une autorité nouvelle – confère au novice une nouvelle perception de lui-même. Il se démarque du commun des mortels pour accéder à une sphère supérieure dans laquelle les mots et les actes revêtent un sens différent, profond, imperceptible à première vue. La cohérence et l’originalité de cette série de normes insolites font ainsi l’effet d’une révélation mystique individuelle, qui est précisément ce que recherchent les adeptes. Troisième explication possible : l’apprentissage de nouvelles vérités et de nouvelles normes apporte aux disciples les repères existentiels qui leur manquent aujourd’hui. Ces repères leur fournissent un nouveau modèle d’interprétation du monde et les moyens d’y trouver une place privilégiée, valorisante.

Paix intérieure, sybaritisme et dévotion


La troisième explication donnée par les observateurs au succès du bouddhisme en France a trait au bien-être psychologique que permettrait l’adoption de cette tradition. Ses commentateurs et ses adeptes précisent ainsi que le bouddhisme serait à la fois une « philosophie » et un « travail sur soi », enseignés dans le cadre d’une relation d’ordre « thérapeutique » avec un « maître spirituel ». En cela, il s’opposerait évidemment aux religions monothéistes, qui n’offriraient pas de « philosophie » mais imposeraient une série de « dogmes », n’inviteraient pas au « travail sur soi » mais à l’« obéissance », seraient enfin dispensées aux fidèles dans une relation de « domination (17) ». Qu’en est-il effectivement de ces trois aspects supposés du bouddhisme – philosophie, travail sur soi et relation thérapeutique ? Nous avons vu quelle était la vision du monde promue par le bouddhisme : un univers hiérarchisé selon les capacités spirituelles de chaque individu, une réalité à multiples facettes, dont l’interprétation définitive revient en dernier ressort à celui qui détient le pouvoir (le maître), l’idée que l’existence ne serait qu’une illusion, un rêve dont il convient de s’éveiller grâce au secours d’êtres supérieurement évolués. En quoi l’adhésion à ces doctrines apporte-t-elle un « mieux-être » aux Occidentaux – qui sont nombreux à l’affirmer ? Tout d’abord, l’idée que le monde serait dénué de réalité intrinsèque permet de relativiser les aléas de la vie. Imaginer que sa souffrance psychologique ou sa douleur physique n’est qu’une illusion peut procurer un certain soulagement, de la même manière que l’espérance du Royaume de Dieu permettait de parcourir le cœur un peu moins lourd cette triste vallée de larmes. L’idée, certes, a quelque chose de reposant pour soi-même. Mais elle implique également un rapport spécifique à autrui, qui est loin d’être anodin. En effet, considérer le monde comme un mirage et soi-même comme un composé inconsistant et transitoire conduit à concevoir les relations humaines comme factices, illusoires et trompeuses. Elles deviennent dès lors, comme la vie même, source de malheurs. À quoi cela sert-il de s’investir dans une relation amicale, amoureuse ou filiale quand on croit que l’autre et soi-même ne sont que des fabrications mentales, que leur existence même n’est que « relative », produit médiocre d’une ignorance fondamentale ? De lourds malentendus sont susceptibles d’en résulter. Il ne reste donc plus qu’à s’asseoir sur son coussin et à « méditer » jusqu’à ce qu’à ce que l’« illusion » se dissipe. C’est d’ailleurs ce à quoi invite traditionnellement le bouddhisme, qui a vu son fondateur quitter femme, enfant, père et royaume pour se livrer à l’ascétisme d’une vie forestière. Le désengagement affectif est une conséquence logique et manifeste de l’adoption du bouddhisme par les Occidentaux. Il est quelquefois renforcé par les maîtres eux-mêmes, qui exigent que tel couple se sépare et que tel autre se forme – quand ce n’est pas pour s’engager eux-mêmes dans des relations sexuelles ambiguës avec plusieurs de leurs disciples (18). Autre effet pratique de l’adhésion à ce système de valeurs : supposée aussi scientifique que celle de la gravitation (et donc moralement souhaitable, selon la logique actuelle), la « loi du karma » peut entraîner une absence de charité à l’égard du prochain. La souffrance ou les revers que ce dernier subit résultent de ses manquements passés, et l’on ne peut rien y faire. Bien sûr, la compassion et l’altruisme sont très souvent invoqués par les bouddhistes occidentaux (19), mais, dans les faits, il est rare que soient organisées des collectes de fonds ou de nourriture en faveur des indigents, par exemple. L’argent des disciples doit aller en priorité « au dharma », c’est-à-dire au maître, censé mieux que quiconque savoir en disposer. Le soutien psychologique, que l’on affuble de différents vocables tels que « thérapie dharmique », « psychothérapie bouddhiste » ou « science de l’esprit », s’adresse d’abord aux membres du groupe et aux visiteurs extérieurs payant leur entrée. Il n’est pas offert gratuitement à autrui, pour la simple raison que « l’on ne peut aider les autres tant que l’on est soi-même dans l’illusion (20) ». L’adhésion à la « philosophie » bouddhique peut donc également conduire – ce qui s’observe dans de nombreux cas – au désengagement éthique et social. Ce désengagement moral concerne également les rapports que l’on entretient avec soi-même. Les adeptes ne pratiquent pas l’examen de conscience, ne mesurent pas leurs actes et leurs sentiments à l’aune de grandes valeurs : cela ne fait pas partie de leur ethos. L’objectif est de réaliser la « vacuité du soi », non de bâtir une personnalité selon les règles du Bien. Le « travail sur soi » adopté par les bouddhistes occidentaux consiste par conséquent à « accumuler les pratiques » (effectuer un nombre maximal de rituels) et à traquer, grâce aux remarques du maître, les « manifestations » blâmables de leur inconsistant « ego ». C’est sur ce modèle que se mettent en place, dans de nombreux centres, des communautés de dévots au service du maître. L’exercice de la dévotion, extrêmement concret puisqu’il consiste à faciliter la vie quotidienne de l’être éveillé dans ses moindres détails, devient une « formation spirituelle », par laquelle les disciples apprennent à s’effacer – c’est-à-dire à rendre tangible l’abolition de soi (21). Or il est vrai qu’une certaine quiétude peut découler de l’obéissance : celle-ci dispense de trop se poser de questions. Servir un être supérieur donne en outre du sens à l’existence, une organisation et un emploi du temps nouveaux que l’on n’a pas à choisir, le sentiment d’être un élu. Tel est peut-être le « mieux-être » ressenti par les convertis à travers la pratique du « travail sur soi » proposé par le bouddhisme. Cependant, on l’aura compris, cette « relation thérapeutique » avec le maître n’est pas exempte de rapports de force. Quant à la « méditation », également appelée « pleine conscience », shiné (en tibétain) ou zazen (en japonais), il est possible qu’elle détende certaines personnes. Toutefois, parce qu’elle se focalise sur « l’instant présent », l’attention aux sensations et aux émotions plutôt qu’aux idées, elle est souvent moins une « sagesse » qu’une forme de sybaritisme. Ses pratiquants n’ont pas à réfléchir : ils recherchent et éprouvent un « bien-être (22) », c’est-à-dire un plaisir charnel qu’ils espèrent contrôler par l’esprit, évitant ainsi de se livrer à des délices purement physiques, qui ne feraient pas d’eux des êtres « spirituels » mais « matérialistes ». La définition et la redéfinition de soi sont ici très importantes, l’individu moderne ayant pour injonction de se construire lui-même.

N’aurions-nous pas là affaire à un hédonisme soft, pour ne pas dire inassumé ? Désengagement moral, social et affectif, anti-intellectualisme, culte de l’instant présent, souci quasi exclusif de soi, recherche de la sensation pure, habillage des relations de pouvoir en « relations thérapeutiques », distance cynique à l’égard d’un monde qui ne serait qu’illusion : le bouddhisme des Occidentaux paraît en tout point correspondre à ce que l’historien américain Christopher Lasch appelait « la culture du narcissisme (23) ». Ne serait-ce pas parce qu’il leur donne l’occasion d’être confortés dans cette culture que ce bouddhisme les fait « se sentir bien » et leur paraît « moderne et rationnel » ? Ainsi est-il possible que la « modernité » de ce bouddhisme ne soit pas liée aux idéaux des Lumières revendiqués par ses apologètes, ses commentateurs et ses sympathisants, mais plutôt aux valeurs de l’Occident d’après-guerre, voué de plus en plus au culte de l’individu solitaire, dont on attend qu’il se démarque et qu’il « se réalise » par la seule force de sa volonté. Le bouddhisme attire ainsi, non pas parce qu’il serait dépourvu de « croyances », mais parce qu’il en propose de nouvelles, conformes, sinon à l’image que l’on se fait de soi, du moins à ce que l’on est en réalité : une société qui cultive l’ego, cet objet ambigu au centre des préoccupations bouddhiques.


Marion Dapsance est docteur en anthropologie de l’EPHE (Paris) ; boursière de la Robert H. N. Ho Family Foundation, études bouddhiques (Hong Kong) ; en résidence postdoctorale à l’université de Columbia, département des religions (NewYork mdapsance@gmail.com).


Notes


1. D’après la sociologue et anthropologue Cécile Campergue, auteur du "Maître dans la diffusion du bouddhisme en France", Paris, L’Harmattan, 2012, il y avait 270 « centres du dharma » en France en 2011 (associations culturelles de loi 1901) et 5 associations cultuelles de loi 1905 en 2012. 60% des associations bouddhiques françaises sont d’obédience tibétaine.

2. Le terme de « lamaïsme » apparaît pour la première fois sous la plume du naturaliste allemand Peter Simon Pallas à la fin du XVIIIe siècle. Il fut repris par la suite par de nombreux voyageurs. Ce qui frappait les esprits était la place centrale accordée au lama, considéré comme un être surnaturel et supérieur, et la complexité des rituels qu’il préside.

3. En France, les porte-parole attitrés du bouddhisme sont principalement Matthieu Ricard, Frédéric Lenoir, Fabrice Midal et Philippe Cornu, tous de fervents adeptes ou admirateurs du bouddhisme tibétain.

4. Article publié sur le site de Psychologies magazine (http://www.psychologies.com/Culture/Spiritualites/Pratiques-spirituelles/Articles-et-Dossiers/La-spiritualite-un-nouveaubesoin/Frederic-Lenoir-Pourquoi-le-bouddhisme-nous-attire).

5. Le compte rendu complet de l’enquête de Frédéric Lenoir, issu d’une thèse de doctorat en sociologie des religions, a été publié sous le titre "le Bouddhisme en France", Paris, Fayard, 1999.

6. Voir notamment Donald Lopez, "The Story of Buddhism: A Concise Guide to Its History and Teachings", San Francisco, HarperOne, 2001.

7. Ainsi, pour ne retenir que deux exemples considérés comme des critères de « modernité », l’avortement et l’homosexualité sont condamnés.

8. Voir notamment Rolph A. Stein, "la Civilisation tibétaine" [1962], Paris, L’Asiathèque, 1996.

9. La plupart des lamas l’affirment et en ont été agréablement surpris. Voir notamment, pour la France, "Dagpo Rinpoché, le Lama venu du Tibet", Paris, Grasset, 1998, pour les États-Unis, David Urubshurow, “From Russia With Love: The Untold Story of How Tibetan Buddhism Came to America”, Tricycle, hiver 2013.

10. Voir mon article "Sur le déni de la religiosité du bouddhisme. Un instrument dans la polémique antichrétienne", Le Débat, no 184, mars-avril 2015.

11. Je m’appuie ici sur l’enquête ethnographique réalisée dans Marion Dapsance, "les Dévots du bouddhisme", Paris, Max Milo, 2016.

12. Cette croyance a quelquefois des conséquences tragiques ou imprévues, notamment lorsqu’il s’agit de jeunes femmes ou de personnes vulnérables. En anglais, lire "Martha Sherrill, The Buddha from Brooklyn", New York, Random House, 2000, Stephen Butterfield, "The Double Mirror: A Skeptical Journey into Buddhist Tantra", Berkeley, North Atlantic Book, 1994 et Tom Clark, "The Great Naropa Poetry Wars", Tiburon-Belvedere, Cadmus Editions, 1980.

13. Voir Donald Lopez, "Fascination tibétaine. Du bouddhisme, de l’Occident et de quelques mythes", Paris, Autrement, 2003.

14. Sur l’usage de la violence dans le bouddhisme, voir Bernard Faure, Bouddhisme et violence, Paris, Le Cavalier Bleu, 2008.

15. Sur Chögyam Trungpa, voir T. Clark, "The Great Naropa Poetry Wars", op. cit., S. Butterfield, "The Double Mirror", op. cit. et Diana Mukpo, "Dragon Thunder: My Life with Chögyam Trungpa", Boston, Shambhala, 2006.

16. Le terme de « démon » est bel et bien employé de nos jours dans le bouddhisme occidentalisé pour désigner les « ennemis du dharma », c’est-à-dire toute personne qui remettrait en question les vérités enseignées par les maîtres.

17. Pour se convaincre de l’anti-monothéisme de ces observateurs, lire Bruno Étienne et Raphaël Liogier, "Être bouddhiste en France aujourd’hui", Paris, Hachette, 1997.

18. Cas notamment de Chögyam Trungpa, Sogyal Rinpoché et Jetsunma Ahkon Lhamo, voir les ouvrages précédemment cités. Des affaires du même genre émaillent également le bouddhisme zen, voir par exemple Michael Downing, "Shoes Outside the Door: Desire, Devotion, and Excess at San Francisco Zen Center", Berkeley, Counterpoint, 2001.

19. Qui l’évoquent dans toutes leurs prières. En effet, chaque rituel doit s’effectuer « pour le bien des êtres », c’est-à-dire en dédiant mentalement les bénéfices spirituels obtenus par la pratique aux êtres errant dans le samsara, et non pour soi-même (et c’est ainsi que l’on atteint l’éveil).

20. Sogyal Rinpoché, par exemple, en a fait un leitmotiv de ses enseignements, en forme de sagesse populaire (« Charité bien ordonnée commence par soi-même »).

21. Je décris en détail ce parcours dans M. Dapsance, "les Dévots du bouddhisme", op. cit.

22. Ce bouddhisme à l’occidentale s’inscrit ainsi dans la mouvance actuelle des psychothérapies et des méthodes de développement personnel. Celle-ci a profondément transformé l’expérience religieuse chrétienne, et plus largement la culture et les moeurs occidentales. Voir notamment le récent ouvrage de Pierre Pradès, "De la sainteté à la santé. Puritanisme, psychothérapies, développement personnel", Lormont, Éditions Le Bord de l’eau, 2014.

23. Christopher Lasch, "The Culture of Narcissism: American Life in an Age of Diminishing Expectations", New York, W. W.Norton, 1979. Traduction française : "la Culture du narcissisme. La vie américaine à un âge de déclin des espérances", Paris, Flammarion, 2006 (rééd.).



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