Tout
d’abord, notons qu’il y a des dangers purement physiques, « qui,
dit René Guénon, s’ils ne sont pas les plus graves ni les plus
habituels, ne sont cependant pas toujours négligeables ; nous en
donnerons pour preuve ce fait qui a été rapporté par le Dr Gibier
:
«
Trois gentlemen, dans le but de s’assurer si certaines allégations
spirites étaient exactes, s’enfermèrent un soir sans lumière
dans la chambre d’une maison inhabitée, non sans s’être engagés
par un serment solennel à être absolument sérieux et de bonne foi.
La pièce était complètement nue et, avec intention, ils n’y
avaient introduit que trois chaises et une table autour de laquelle
ils prirent place
en s’asseyant. Il fut convenu qu’aussitôt que quelque chose
d’insolite se passerait, le premier prêterait de la lumière avec
des allumettes-bougies dont chacun s’était muni. Ils étaient
immobiles et silencieux depuis un certain temps, attentifs aux
moindres bruits, aux plus légers frémissements de la table sur
laquelle ils avaient posé leurs mains entrelacées. Aucun son ne se
faisait entendre ; l’obscurité était profonde, et peut-être les
trois évocateurs improvisés allaient-ils se lasser et perdre
patience, lorsque soudain un cri strident de détresse éclata au
milieu du silence de la nuit. Aussitôt un fracas épouvantable se
produisit et une grêle de projectiles se mit à pleuvoir sur la
table, le plancher et les opérateurs. Rempli de terreur, l'un des
assistants alluma une bougie ainsi qu’il était convenu, et, quand
la lumière eut dissipé les ténèbres, deux d’entre eux se
trouvèrent seuls en présence et s’aperçurent avec effroi que
leur compagnon manquait ; sa chaise était renversée à une
extrémité de la pièce. Le premier moment de trouble passé, ils le
retrouvèrent sous la table, inanimé et la tête ainsi que la face
couvertes de sang. Que s’était-il donc passé ? On constata que le
manteau de marbre de la cheminée avait été descellé d’abord et
qu’il avait été projeté ensuite sur la tête du malheureux homme
et brisé en mille pièces. La victime de cet accident resta près de
dix jours sans connaissance, entre la vie et la mort, et ne se remit
que lentement de la terrible commotion cérébrale qu’elle avait
reçue ». Papus, qui reproduit ce récit, reconnaît que « la
pratique spirite conduit les médiums à la neurasthénie en passant
par l’hystérie », que « ces expériences sont d’autant plus
dangereuses qu’on est plus inconscient et plus désarmé », et que
« rien n’empêche les obsessions, les anémies nerveuses et les
accidents plus graves encore » ; et il ajoute : « Personnellement,
nous possédons une série de lettres très instructives, émanées
de malheureux médiums qui se sont livrés de tout leur pouvoir à
l’expérimentation et qui sont aujourd’hui obsédés
dangereusement par les êtres qui se sont présentés à eux sous de
faux noms et en accaparant les personnalités de parents décédés
».
Eliphas
Lévi avait déjà signalé ces dangers et prévenu que ceux qui se
livrent à ces études, même par simple curiosité, s’exposent à
la folie ou à la mort ; et un occultiste de l’école papusienne,
Marius Decrespe, a écrit également : « Le danger est certain ;
plusieurs sont devenus fous, dans d’horribles conditions, pour
avoir voulu pousser trop loin leurs expériences… Ce n’est pas
seulement son bon sens qu’on risque, c’est sa raison tout
entière, sa santé, sa vie, et quelquefois même son honneur… La
pente est glissante : d’un phénomène on passe à un autre et,
bientôt, l’on n’est plus maître de s’arrêter. Ce n’est pas
sans motif que, jadis, l’Eglise défendait toutes ces diableries ».
De
même, le spirite Barthe a dit : « N’oublions pas que nous nous
mettons par ces communications sous l’influence directe d’êtres
inconnus parmi lesquels il en est de si rusés, de si pervers, qu’on
ne saurait trop s’en méfier… Nous avons eu plusieurs exemples de
graves maladies, de dérangements du
cerveau, de morts subites causés par des révélations mensongères
qui ne devinrent vraies que par la faiblesse et la crédulité de
ceux auxquels elles étaient faites ».
A
propos de cette dernière citation, nous devons attirer l’attention
sur le danger spécial des prédictions contenues dans certaines «
communications », et qui agissent comme une véritable suggestion
sur ceux qui en sont l’objet ; du reste, ce danger existe aussi
pour ceux qui, en dehors du spiritisme,
ont recours aux « arts divinatoires » ; mais ces pratiques, si peu
recommandables qu’elles soient, ne peuvent être exercées d’une
façon aussi constante que celles des spirites, et ainsi elles
risquent moins de tourner à l’idée fixe et à l’obsession. Il
est des malheureux, plus nombreux qu’on
ne pourrait le croire, qui n’entreprendraient rien sans avoir
consulté leur table, et cela même pour les choses les plus
insignifiantes, pour savoir quel cheval gagnera aux courses, quel
numéro sortira à la loterie, et ainsi de suite. Si les prédictions
ne se réalisent pas, l’ « esprit » trouve toujours quelque
excuse ; les choses devaient bien se passer comme il l’avait dit,
mais il est survenu telle ou telle circonstance qu’il était
impossible de prévoir, et qui a tout changé ; la confiance des
pauvres gens
n’en est point ébranlée, et ils recommencent jusqu’à ce qu’ils
se trouvent finalement ruinés, réduits à la misère, ou acculés à
des expédients malhonnêtes que l’ « esprit » ne se fait pas
faute de leur suggérer ; et tout cela aboutit d’ordinaire à la
folie complète ou au suicide. Parfois, il arrive encore que les
choses se compliquent d’une autre façon, et que les victimes, au
lieu de consulter elles-mêmes le prétendu « esprit » par lequel
elles se laissent diriger aveuglément, s’adressent à un médium
qui sera fortement tenté d’exploiter leur crédulité ; Dunglas
Home lui-même en rapporte un remarquable exemple, qui s’est passé
à Genève, et il raconte l’entretien qu’il eut, le 5 octobre
1876, avec
une pauvre femme dont le mari était devenu fou à la suite de ces
événements :
«
C’est en 1853, dit-elle, qu’une nouvelle assez singulière vint
nous distraire de nos occupations ordinaires.
Il s’agissait de quelques jeunes filles qui, chez un ami commun,
avaient développé la faculté étrange de médiums écrivains. Le
père aussi, disait-on, avait le don de se mettre en rapport avec les
esprits, par le moyen d’une table… J’allai à une séance, et,
comme tout ce qui s’y faisait me parut de bon aloi, j’engageai
mon mari à y venir avec moi… Donc, nous allâmes chez le médium,
qui nous dit que l’esprit de Dieu parlait par sa table… La table
finit pas nous donner à entendre que nous devions sans plus tarder
installer chez nous le médium et sa famille, et partager avec eux la
fortune qu’il avait plu à Dieu de nous donner. Les communications
faites par la table étaient censées venir directement de Notre
Sauveur Jésus-Christ. Je dis à mon mari : « Donnons-leur plutôt
une somme d’argent ; leurs goûts et les nôtres sont différents,
et je ne saurais vivre heureuse avec eux. » Mon mari alors me
reprit, disant : « La vie de Celui que nous adorons fut une vie
d’abnégation, et nous devons chercher à l’imiter en toutes
choses. Surmonte tes préjugés, et ce sacrifice prouvera au Maître
la bonne volonté que tu as à le servir. » Je consentis, et une
famille de sept personnes s’ajouta à notre maison. Aussitôt
commença pour nous une vie de dépenses et de prodigalités. On
jetait l’argent par les fenêtres. La table nous commanda
expressément d’acheter une autre voiture, quatre autres chevaux,
ensuite un bateau à vapeur. Nous avions neuf domestiques. Des
peintres vinrent décorer la maison du haut en bas. On changea
plusieurs fois l’ameublement pour un mobilier chaque fois plus
somptueux. Cela dans le but de recevoir le plus dignement possible
Celui qui venait nous voir, et d’attirer l’attention des gens du
dehors. Tout ce qu’on nous demandait, nous le faisions. C’était
coûteux, nous tenions table ouverte. Peu à peu, des personnes
convaincues arrivèrent en grand nombre, jeunes gens des deux sexes
pour la plupart, auxquels la table prescrivait le mariage, qui se
faisait alors à nos frais, et si le couple venait à avoir des
enfants, on
nous les confiait pour les élever. Nous avons eu jusqu’à onze
enfants à la maison. Le médium à son tour se maria, et les membres
de sa famille s’accrurent, si bien que nous ne tardâmes pas à
compter trente personnes à table. Cela dura trois ou quatre ans.
Nous étions déjà presque à bout de ressources. Alors la table
nous dit d’aller à Paris, et que le Seigneur aurait soin de nous.
Nous partîmes. Sitôt arrivé dans la grande capitale, mon mari
reçut l’ordre de spéculer à la Bourse. Il y perdit le peu qui
nous restait. C’était la misère cette fois, la misère noire,
mais nous avions toujours la foi. Nous vivions je ne sais comment.
Bien des jours, je me suis vue sans nourriture, sinon une croûte et
un verre d’eau. J’oubliais de vous dire qu’à Genève nous
avions été enjoints d’administrer le saint sacrement aux fidèles.
Or il y avait parfois jusqu’à quatre cents communiants et
communiantes. Un moine d’Argovie quitta son couvent, ou il était
supérieur, et abjura le catholicisme pour se joindre à nous. Ainsi,
nous n’étions pas seuls dans notre aveuglement. Enfin, nous pûmes
quitter Paris et revenir à Genève. C’est alors que nous
réalisâmes toute l’étendue de notre malheur. Ceux avec qui nous
avions partagé notre fortune furent les premiers à nous tourner le
dos. »
Et
Home ajoute en manière de commentaire : « Voilà donc un homme qui,
devant une table, débite une série de blasphèmes à l’appel lent
et difficile de l’alphabet, et c’est assez pour jeter une famille
pieuse et honnête dans un délire d’extravagance dont elle ne
revient que lorsqu’elle est ruinée. Et alors même qu’ils sont
ruinés, ces pauvres gens n’en restent pas moins aveugles. Quant à
celui qui a causé leur ruine, il n’est pas le seul que j’aie
rencontré. Ces êtres étranges, moitié fourbes, moitié
convaincus, qu’on rencontre à toutes les époques, tout en
illusionnant les autres hommes, finissent par prendre au sérieux
leur rôle d’emprunt, et deviennent plus fanatiques que les
personnes qu’ils abusent ».
On
dira sans doute que de pareilles mésaventures ne peuvent arriver
qu’à des esprits faibles, et que ceux que le spiritisme détraque
devaient y être prédisposés ; cela peut être vrai jusqu’à un
certain point, mais, dans des conditions plus normales, ces
prédispositions auraient pu ne jamais se développer ; les gens qui
deviennent fous à la suite d’un accident quelconque avaient aussi
de telles prédispositions, et pourtant, si cet accident n’était
pas survenu, ils n’auraient pas perdu la raison ; ce n’est donc
pas une excuse valable. D’ailleurs, les personnes qui sont assez
bien équilibrées pour être assurées de n’avoir rien à craindre
en aucune circonstance ne sont peut-être pas très nombreuses ; nous
dirions même volontiers que nul ne peut avoir une telle assurance, à
moins d’être garanti contre certains dangers par une connaissance
doctrinale qui rend impossible toute illusion et tout vertige mental
; et ce n’est pas chez les expérimentateurs qu’on rencontre
d’ordinaire une telle connaissance. Nous avons parlé des savants
que les expériences psychiques ont amenés à accepter plus ou moins
complètement les théories spirites, ce qui, à nos yeux, est déjà
chez eux l’indice d’un déséquilibre partiel ; l’un d’eux,
Lombroso, déclara à des amis après une séance d’Eusapia
Paladino : « Maintenant il faut que je m’en aille d’ici, parce
que je sens que je deviendrais fou ; j’ai besoin de
me reposer l’esprit ». Le Dr Lapponi, citant cette parole
significative, fait remarquer avec raison que « des phénomènes
prodigieux, lorsqu’ils sont observés par des esprits non préparés
à certaines surprises, peuvent avoir pour résultat un dérangement
du système nerveux, même chez des sujets suffisamment sains ».
Le
même auteur écrit encore ceci : « Le spiritisme présente pour la
société et pour l’individu tous les dangers, comme aussi toutes
les conséquences funestes de l’hypnotisme ; il en présente mille
autres plus déplorables encore… Chez les individus qui remplissent
le rôle de médium, et chez ceux qui assistent à leurs opérations,
le spiritisme produit ou bien l’obnubilation ou bien l’exaltation
morbide des facultés mentales ; il provoque les névroses les plus
graves, les plus graves névropathies organiques. C’est chose
notoire que la plupart des médiums fameux, et bon nombre de ceux qui
ont assidûment suivi les pratiques spirites, sont morts fous ou
atteints de troubles nerveux profonds. Mais outre ces dangers et ces
maux, qui sont communs à l’hypnotisme et au spiritisme, celui-ci
en présente d’autres infiniment plus fâcheux… Et que l’on ne
prétende point que le spiritisme puisse du moins présenter, en
échange, quelques avantages, tels que celui d’aider à la
reconnaissance et à la guérison de certaines maladies. La vérité
est que, si parfois les indications ainsi obtenues se sont trouvées
exactes et efficaces, presque toujours, au contraire, elles n’ont
fait qu’aggraver l’état des malades. Les spirites nous disent
bien que cela est dû à l’intervention d’esprits bouffons ou
trompeurs ; mais comment pourrions-nous être prémunis contre
l’intervention et
l’action de ces esprits malfaisants ? Jamais donc le spiritisme,
dans la pratique, ne saurait être justifié, sous quelque prétexte
que ce fût ».
D’autre
part, un ancien membre de la « Société des recherches psychiques »
de Londres, M. J. Godfrey Raupert, après avoir expérimenté pendant
de longues années, a déclaré que « l’impression qu’il a
rapportée de ces études est celle du dégoût, et l’expérience
lui a montré son devoir, qui est de
mettre
en garde les spirites, particulièrement ceux qui demandent aux êtres
de l’autre monde des consolations, des conseils, ou même des
renseignements. Ces expériences, dit-il, aboutissent à envoyer des
centaines de gens dans les sanatoria ou les asiles d’aliénés. Et
cependant, malgré le terrible danger pour la nation, on ne fait rien
pour arrêter la propagande des spirites. Ceux-ci sont peut-être
inspirés par des motifs élevés, par des idéals scientifiques,
mais, en définitive, ils mettent les hommes et les femmes dans un
état de passivité qui ouvre les portes mystiques de l’âme à des
esprits mauvais ; dès lors, ces esprits vivent aux dépens de ces
hommes, de ces femmes à l’âme faible, les poussent au vice, à la
folie, à la mort morale ». Au lieu de parler d’ « esprits »
comme le fait
M. Raupert (qui ne semble d’ailleurs pas croire qu’il s’agisse
de « désincarnés »), nous parlerions simplement d’ «
influences », sans en préciser l’origine, puisqu’il en est de
fort diverses, et que, en tout cas, elles n’ont rien de «
spirituel » ; mais cela ne change aucunement les terribles conséquences
qu’il signale, et qui ne sont que trop réelles.
Nous
avons cité ailleurs le témoignage de Mme Blavatsky et des autres
chefs du théosophisme, qui dénoncent spécialement les dangers de
la médiumnité (Le Théosophisme, histoire d'une pseudo religion)
; nous reproduirons cependant encore ici ce passage de Mme Blavatsky,
que nous avions seulement résumé alors :
«
Les meilleurs, les plus puissants médiums, ont tous souffert dans
leur corps et dans leur âme. Rappelez-vous la fin déplorable de
Charles Foster, qui-est mort de folie furieuse, dans un asile d’aliénés
; souvenez-vous de Slade, qui est épileptique, d’Eglinton, le
premier médium d’Angleterre en ce moment, qui souffre du même
mal. Voyez encore quelle a été la vie de Dunglas Home, un homme
dont le cœur était rempli d’amertume, qui n’a jamais dit un mot
en faveur de ceux qu’il croyait doués de pouvoirs psychiques, et
qui a calomnié tous les autres médiums jusqu’à la fin. Ce Calvin
du spiritisme a souffert, pendant des années, d’une terrible
maladie de l’épine dorsale, qu’il avait prise dans ses rapports
avec les « esprits », et il n’était plus qu’une ruine
lorsqu’il mourut. Pensez ensuite au triste sort de ce pauvre
Washington Irving Bishop. Je l’ai connu, à New-York, lorsqu’il
n’avait que quatorze ans ; il n’y a pas le moindre doute qu’il
était médium. il est vrai que le pauvre homme joua un tour à ses «
esprits », qu’il baptisa du nom d’ « action musculaire
inconsciente », à la grande joie de toutes les corporations de
savants et érudits, et au grand bénéfice de sa bourse qu’il
remplit de cette façon. Mais… de mortuis nil nisi bonum !
Sa fin fut bien malheureuse. Il avait réussi à cacher soigneusement
ses attaques d’épilepsie (le premier et le plus sûr symptôme de
la véritable médiumnité), et qui sait s’il était mort ou s’il
était en « transe », lorsqu’eut lieu l’autopsie de son corps ?
Ses parents disent qu’il vivait encore, à en croire les dépêches
télégraphiques de Reuter. Voici enfin les sœurs Fox, les plus
anciens médiums, les fondatrices du spiritisme moderne ; après plus
de quarante ans de rapports avec les « Anges », elles sont
devenues, grâce à ces derniers, des folles incurables, qui
déclarent à présent, dans leurs conférences publiques, que
l’œuvre et la philosophie de leur vie entière n’ont été qu’un
mensonge ! Je vous demande quel est le genre d’esprits qui leur
inspirent une conduite pareilles… Si les meilleurs élèves d’une
école de chant en arrivaient tous à perdre la voix, par suite
d’exercices forcés, ne seriez-vous pas obligé d’en conclure
qu’ils suivent une mauvaise méthode ? Il me semble que l’on peut
en conclure autant des informations que nous obtenons au sujet du
spiritisme, du moment que ses meilleurs médiums sont victimes d’un
même sort ».
Mais
il y a mieux encore : des spirites éminents avouent eux-mêmes ces
dangers, tout en cherchant à les atténuer, et en les expliquant
naturellement à leur façon. Voici notamment ce que dit M. Léon
Denis : « Les esprits inférieurs, incapables d’aspirations
élevées, se complaisent dans notre atmosphère. Ils se mêlent à
notre vie, et, uniquement préoccupés de ce qui captivait leur
pensée durant l’existence corporelle, ils participent aux plaisirs
ou aux travaux des hommes auxquels ils se sentent unis, par des
analogies de caractère ou d’habitudes. Parfois même, ils dominent
et subjuguent les personnes faibles qui ne savent résister à leur
influence. Dans certains cas, leur empire devient tel, qu’ils
peuvent pousser leurs victimes jusqu’au crime et à la folie. Ces
cas d’obsession et de possession sont plus communs qu’on ne pense
».
Dans
un autre ouvrage du même auteur, nous lisons ceci : « Le médium
est un être nerveux, sensible, impressionnable ;… l’action
fluidique prolongée des esprits inférieurs peut lui être funeste,
ruiner sa santé, en provoquant les phénomènes d’obsession et de
possession… Ces cas sont nombreux ; quelques-uns vont jusqu’à la
folie… Le médium Philippe Randone, dit la Medianità, de
Rome, est en butte aux mauvais procédés d’un esprit, désigné
sous le nom d’uomo fui, qui s’est efforcé, plusieurs
fois, de l’étouffer la nuit, sous une pyramide de meubles qu’il
s’amuse à transporter sur son lit. En pleine séance, il s’empare
violemment de Randone et le jette à terre, au risque de le tuer.
Jusqu’ici, on n’a pu débarrasser le médium de cet hôte
dangereux. En revanche, la revue Luz y Union, de Barcelone
(décembre 1902), rapporte qu’une malheureuse mère de famille, poussée
au crime sur son mari et ses enfants par une influence occulte, en
proie à des accès de fureur contre lesquels les moyens ordinaires
étaient restés impuissants, fut guérie en deux mois par suite de
l’évocation et de la conversion de l’esprit obsesseur, au moyen
de la persuasion et de la prière ». Cette interprétation de la
guérison est plutôt amusante ; nous savons que les spirites aiment à
tenir aux prétendus « esprits inférieurs » des discours «
moralisateurs », mais c’est là véritablement « prêcher dans le
désert », et nous ne croyons point que cela puisse avoir la moindre
efficacité ; en fait, les obsessions cessent quelquefois
d’elles-mêmes, mais il arrive que des impulsions criminelles comme
celles dont il vient d’être question soient suivies d’effet.
Parfois aussi, on prend pour une obsession véritable ce qui n’est
qu’une autosuggestion ; dans ce cas, il est possible de la
combattre par une suggestion contraire, et ce rôle peut être rempli
par les exhortations
adressées
à l’ « esprit », qui alors ne fait qu’un avec le «
subconscient » de sa victime ; c’est probablement ce qui a dû se
passer dans le dernier fait rapporté, à moins qu’il n’y ait eu
simplement coïncidence, et non relation causale, entre le traitement
et la guérison. Quoi qu’il en soit, il est incroyable que des gens
qui reconnaissent la réalité et la gravité de ces dangers osent
encore recommander les pratiques spirites, et il faut être vraiment
inconscient pour prétendre que la « moralité » constitue une arme
suffisante pour se préserver de tout accident de ce genre, ce qui
est à peu près aussi sensé que de lui attribuer le pouvoir de
protéger de la foudre ou d’assurer l’immunité contre
les épidémies ; la vérité est que les spirites n’ont absolument
aucun moyen de défense à leur disposition, et il ne saurait en être
autrement, dès lors qu’ils ignorent tout de la nature des forces
auxquelles ils ont affaire.
Il
pourrait être, sinon très intéressant, du moins utile, de
rassembler les cas de folie, d’obsession et d’accidents de toutes
sortes qui ont été causés par les pratiques du spiritisme ; il ne
serait sans doute pas bien difficile d’obtenir un bon nombre de
témoignages sérieusement contrôlés, et, comme nous venons de le
voir, les publications spirites elles-mêmes pourraient y fournir
leur contingent ; un tel
recueil
produirait sur beaucoup de gens une impression salutaire. Mais ce
n’est pas là ce que nous nous sommes proposé : si nous avons cité
quelques faits, c’est uniquement à titre d’exemples, et l’on
remarquera que nous les avons pris de préférence, pour la plupart,
chez des auteurs spirites ou ayant tout au moins des affinités avec
le spiritisme, auteurs qu’on ne saurait donc accuser de partialité
ou d’exagération dans un sens défavorable. A ces citations, nous
aurions sans doute pu en ajouter bien d’autres du même genre ;
mais ce serait assez monotone, car tout cela se ressemble, et celles
que nous avons données nous paraissent suffisantes.
Pour
résumer, nous dirons que les dangers du spiritisme sont de plusieurs
ordres, et qu’on pourrait les
classer en physiques, psychiques et intellectuels ; les dangers
physiques, ce sont les accidents tels que celui que rapporte le Dr
Gibier, et ce sont aussi, d’une façon plus fréquente et plus
habituelle, les maladies provoquées ou développées chez les
médiums surtout, et parfois chez certains assistants de leurs
séances. Ces maladies, affectant principalement le système nerveux,
sont le plus souvent accompagnées de troubles psychiques ; les
femmes semblent y être plus particulièrement exposées, mais ce
serait une erreur de croire que les hommes en soient exempts ; d’ailleurs,
pour établir une proportion exacte, il faut tenir compte du fait que
l’élément féminin est de beaucoup le plus nombreux dans la
plupart des milieux spirites. Les dangers psychiques ne peuvent pas
être entièrement séparés des dangers physiques, mais ils
apparaissent comme bien plus constants et plus graves encore ;
rappelons ici, une fois de plus, les obsessions de caractère varié,
les idées fixes, les impulsions criminelles, les dissociations et
altérations de la conscience ou de la mémoire, les manies, la folie
à tous ses degrés ; si l’on voulait en dresser une liste
complète, presque toutes les variétés connues des aliénistes y
seraient représentées, sans compter plusieurs autres qu’ils
ignorent, et qui sont les cas proprement dits d’obsession et de
possession, c’est-à-dire ceux qui correspondent à ce qu’il y a
de plus hideux dans les manifestations spirites.
En
somme, tout cela tend purement et simplement à la désagrégation de
l’individualité humaine, et y atteint parfois ; les différentes
formes de déséquilibre mental elles-mêmes ne sont là-dedans que
des étapes ou des phases préliminaires, et, si déplorables
qu’elles soient déjà, on ne peut jamais être sûr que les choses
n’iront pas plus loin ; ceci, d’ailleurs, échappe en grande
partie, sinon totalement,
aux
investigations des médecins et des psychologues. Enfin, les dangers
intellectuels résultent de ce que les théories spirites
constituent, sur tous les points auxquels elles se réfèrent, une
erreur complète, et ils ne sont pas limités comme les autres aux
seuls expérimentateurs ; nous avons signalé la diffusion de ces
erreurs, par la propagande directe et indirecte, parmi des gens qui
ne font point de spiritisme pratique, qui peuvent même se croire
très éloignés du spiritisme ; ces dangers intellectuels sont donc
ceux qui ont la portée la plus générale. Du reste, c’est sur ce
côté de la question que nous avons le plus insisté dans tout le
cours de notre étude ; ce que nous avons voulu montrer surtout et
avant tout, c’est la fausseté de la doctrine spirite, et, à notre
avis, c’est d’abord parce qu’elle est fausse qu’elle doit
être combattue. En effet, il peut y avoir aussi des vérités qu’il
serait dangereux de répandre, mais, si une telle chose venait à se
produire, ce danger même ne pourrait nous empêcher de reconnaître
que ce sont des vérités ; du reste, cela n’est guère à
craindre, car les choses de ce genre sont de celles qui ne se prêtent
guère à la vulgarisation. Il s’agit là, bien entendu, de vérités
qui ont des conséquences pratiques, et non de l’ordre purement
doctrinal, où l’on ne risque jamais, en somme, d’autres
inconvénients que ceux qui résultent de l’incompréhension à laquelle
on s’expose inévitablement dès lors qu’on exprime des idées
qui dépassent le niveau de la mentalité commune, inconvénients
dont on aurait tort de se préoccuper outre mesure. Mais, pour en
revenir au spiritisme, nous dirons que ses dangers spéciaux, en
s’ajoutant à son caractère d’erreur, rendent seulement plus
pressante la nécessité de le combattre ; c’est là une
considération secondaire et contingente en elle-même, mais ce n’en
est pas moins une raison d’opportunité que, dans les circonstances
actuelles, il n’est pas possible de tenir pour négligeable. »
René
Guénon, L'erreur spirite.
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