samedi, mai 05, 2012

Vers un monde nouveau





Un village français

En France, de plus en plus souvent, le travailleur étranger est considéré comme un sous-prolétaire méprisable ; réduit au chômage, il est désigné comme l'ennemi intérieur.

Scène vécue ce week-end :

Monsieur est un bourgeois dédaigneux, un français de souche, qui habite à Nouhant en Creuse. Peu habitué à se salir les mains, il est incapable d'ouvrir un vieux portail rouillé. Heureusement, des voisins compatissants, dont un ouvrier péruvien qui intervient avec sa disqueuse et n'hésite pas à sacrifier 2 ou 3 disques pour tronçonner une grosse pièce métallique oxydée, solutionnent le problème. Et bien, au terme de l'opération, le bourgeois ne propose même pas un café. Il considère sans doute qu'un travailleur pauvre et de surcroît étranger se doit de lui offrir temps et outillage.

Dominique Manotti, spécialiste de l'histoire économique, a déclaré sur France Inter : « Marx va revenir à la mode ».

« Il est vrai, écrit Karl Marx, le vieux monde appartient au philistin. Mais nous ne devons pas le traiter en épouvantail dont on se détourne craintivement. Nous devons, au contraire, le regarder bien en face. Ce maître du monde, il vaut la peine de l'étudier.

Maître du monde, il l'est, certes, mais seulement en ce qu'il emplit le monde de sa société, tels les vers emplissant un cadavre. La société de ces messieurs n'a donc besoin que d'un certain nombre d'esclaves, et les propriétaires des esclaves peuvent ne pas être libres. Si, possédant terres et gens, ils sont appelés maîtres au sens éminent du terme, ce n'en sont pas moins des philistins tout comme leurs gens. […]

Le monde des philistins est le monde d'animaux politiques, et si nous sommes obligés d'en reconnaître l'existence, il ne nous reste qu'à donner simplement raison au statu quo. Des siècles barbares l'ont produit et façonné, et il se dresse maintenant devant nous, tel un système cohérent, dont le principe est le monde déshumanisé. »

Vers un monde nouveau

« Les ennemis du philistin, c'est-à-dire tous les hommes qui pensent et tous ceux qui souffrent, sont arrivés à une entente pour laquelle autrefois tous les moyens leur manquaient ; même le système passif de procréation des vieux sujets enrôle chaque jour des recrues pour le service de l'humanité nouvelle. Toutefois, le système de l'industrie et du commerce, de la possession et de l'exploitation des hommes conduit plus rapidement encore que l'accroissement de la population à une rupture au sein de la société actuelle, rupture que l'ancien système est incapable de guérir, ne pouvant rien guérir et rien créer, car il ne fait qu'exister et jouir. L'existence de l'humanité souffrante qui pense, et de l'humanité pensante qui est opprimée, deviendra nécessairement impossible à absorber et à digérer pour le monde animal des philistins qui jouissent passivement et stupidement. C'est notre rôle de mettre complètement à nu l'ancien monde et de donner une forme positive au monde nouveau. Plus les événements laisseront à l'humanité pensante le temps de se recueillir et à l'humanité souffrante le temps de s'unir, et plus parfait naîtra le produit que le présent porte dans son sein.

Ce qui constitue justement l'avantage de la tendance nouvelle, c'est que nous ne voulons pas anticiper le monde dogmatiquement, mais trouver seulement le monde nouveau par la critique du monde ancien [...] Si la construction de l'avenir et l'achèvement pour tous les temps n'est pas notre affaire, nous savons d'autant plus certainement ce que nous avons à réaliser dans le présent : la critique impitoyable de tout l'ordre existant, impitoyable également dans le sens d'une critique qui ne craint ni ses résultats ni les conflits avec les puissances existantes.

Je ne voudrais donc pas que nous arborions un drapeau dogmatique, bien au contraire. Nous devons tâcher d'aider les dogmatiques pour qu'ils comprennent leurs propres thèses. C'est ainsi notamment que le communisme est une abstraction dogmatique. Ce disant, je ne vise pas un communisme quelconque imaginaire et virtuel, mais le communisme réellement existant, tel que le préconisent Cabet, Dezamy, Weitling, etc. Ce communisme n'est lui-même qu'une manifestation particulière du principe humaniste, infectée de son antipode, la propriété privée. Abolition de la propriété privée et communisme ne sont donc nullement identiques, et le communisme a vu naître en face de lui, non pas par hasard, mais par nécessité, d'autres doctrines socialistes telles que celles de Fourier, Proudhon, etc., parce qu'il n'est lui-même qu'une réalisation particulière, unilatérale, du principe socialiste.

Et comme tel le principe socialiste n'est encore qu'un seul aspect, celui qui concerne la réalité du véritable être humain. Nous devons nous occuper tout autant de l'autre aspect, de l'existence théorique de l'homme, donc faire de la religion, de la science, etc., l'objet de notre critique [...].

Rien ne nous empêche de rattacher notre critique à la critique de la politique, et de prendre parti pour une politique, donc de participer à des luttes réelles et de nous identifier à elles. Nous ne nous présentons pas alors au monde en doctrinaires avec un nouveau principe : voici la vérité, agenouillez-vous ! Nous développons pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des principes du monde. Nous ne lui disons pas : renonce à tes luttes, ce sont des bêtises, et nous te ferons entendre la vraie devise du combat. Nous ne faisons que montrer au monde pourquoi il lutte en réalité, et la conscience est une chose qu'il doit acquérir, quand même il s'y refuserait.

La réforme de la conscience consiste uniquement à rendre le monde conscient de lui-même, à le sortir de l'état de rêve qui le trompe sur lui-même, à lui expliquer ses propres actions. Tout notre but ne peut consister, comme c'est d'ailleurs le cas dans la critique de la religion de Feuerbach, qu'à donner une forme humaine consciente aux questions religieuses et politiques.

Notre devise sera donc : la réforme de la conscience non par des dogmes, mais par l'analyse de la conscience mystique, obscure à elle-même, qu'elle se manifeste dans la religion ou dans la politique. On verra alors que, depuis longtemps, le monde possède le rêve d'une chose dont il lui manque la conscience pour la posséder réellement. On verra qu'il ne s'agit pas de faire un grand trait entre le passé et l'avenir, mais d'accomplir les idées du passé. On verra enfin que l'humanité ne commence pas une nouvelle œuvre, mais réalise son ancien travail en connaissance de cause.

Nous pouvons, par conséquent, formuler la tendance de notre revue (Les Annales franco-allemandes) en un seul mot : prise de conscience (philosophie critique) de notre époque sur ses luttes et ses aspirations. C'est là une tâche pour le monde et pour nous. Ce ne peut être que l’œuvre de forces réunies. Il s'agit d'une confession, de rien d'autre. Pour se faire absoudre de ses péchés, l'humanité n'a qu'a les reconnaître comme tels. »

Karl Marx

Illustration :
All human beings are born free and equal in dignity and rights.

vendredi, mai 04, 2012

Obama, sa maman et la religion





Les Américains sont un peuple religieux, c'est un truisme. Selon les études les plus récentes, 95 % d'entre eux croient en Dieu, plus des deux tiers appartiennent à une Église, 37 % se considèrent comme des chrétiens engagés et ils sont considérablement plus nombreux à croire aux anges qu'à l'évolution. La religion ne se limite pas pour eux aux lieux de culte. Des livres proclamant la fin des temps se vendent par millions d'exemplaires, des airs de musique chrétienne sont en bonne place sur la liste des best-sellers musicaux et de nouvelles églises géantes sortent chaque jour de terre, semble-t-il, dans les banlieues des grandes métropoles, fournissant toutes sortes de services allant de la garderie aux rencontres pour personnes seules en passant par le yoga et les cours de gymnastique Pilates. George W. Bush rappelle souvent que le Christ l'a transformé et les joueurs de football pointent un doigt vers le ciel après chaque essai, comme si Dieu, de la touche céleste, choisissait les combinaisons de jeu.

Bien sûr, cette ferveur n'est pas nouvelle. Les Pères Pèlerins sont venus sur nos côtes pour échapper aux persécutions religieuses et pratiquer librement leur branche particulière d'un calvinisme strict. Le « réveil » évangélique a plusieurs fois balayé le pays et les vagues successives d'immigrants ont fait appel à leur foi pour ancrer leur vie dans cet étrange Nouveau Monde. Le sentiment et le militantisme religieux ont donné naissance à plusieurs de nos mouvements politiques les plus puissants, de l'abolitionnisme aux droits civiques et au populisme d'un William Jennings Bryan.

Pourtant, si vous aviez demandé il y a cinquante ans aux commentateurs sociologiques les plus éminents quel était l'avenir de la religion en Amérique, ils vous auraient sans nul doute répondu qu'elle était sur le déclin. La religion à l'ancienne dépérissait, victime de la science, de niveaux d'éducation plus élevés dans la population et des merveilles de la technologie, arguait-on. Les gens respectables continuaient à aller à la messe tous les dimanches, les brandisseurs de bible et les guérisseurs par la foi continuaient à parcourir le circuit du « réveil » religieux dans le Sud, la peur du « communisme athée » contribuait à nourrir le maccarthysme et le « péril rouge », mais, d'une manière générale, la pratique religieuse traditionnelle — et à coup sûr le fondamentalisme — était considérée comme incompatible avec la modernité, comme un refuge des pauvres et des illettrés contre les duretés de l'existence. Mêmes les croisades monumentales de Billy Graham étaient traitées par les experts et les universitaires comme un curieux anachronisme, le vestige d'un temps qui n'avait rien à voir avec des tâches sérieuses comme la gestion d'une économie moderne ou la conception d'une politique étrangère.

Lorsque les années 1960 arrivèrent, un grand nombre des dirigeants des Églises classiques, protestante et catholique, avaient conclu que pour survivre les institutions religieuses devaient s'« adapter » à une époque changeante en modifiant la doctrine en fonction de la science et en définissant un évangile social s'attelant aux préoccupations matérielles, inégalités économiques, racisme, sexisme, militarisme américain.

Que s'était-il passé ? En partie, on a toujours exagéré le refroidissement du zèle religieux américain. À cet égard au moins, la critique conservatrice de l'« élitisme de gauche » est en grande partie fondée : retranchés dans les universités et les grands centres urbains, les universitaires, les journalistes et les pourvoyeurs de culture populaire n'ont tout bonnement pas su comprendre le rôle que les formes d'expression religieuse continuaient à jouer dans la population, d'un bout à l'autre du pays. L'incapacité des institutions culturelles à comprendre le besoin de religion de l'Amérique a contribué à développer dans le domaine spirituel un esprit d'entreprise sans égal dans les autres pays industrialisés. Poussé hors de vue mais vibrant encore de vitalité dans tout l'intérieur du pays et la Bible Belt, un univers parallèle a émergé, un monde fait non seulement de « réveil » religieux et de ministères prospères mais aussi de télévisions, de radios, d'universités, de maisons d'édition et de distractions chrétiennes, permettant aux croyants de rejeter la culture populaire de la même façon que celle-ci les rejetait.

La répugnance de nombreux chrétiens évangéliques à s'engager en politique — leur concentration intérieure sur le salut individuel et leur volonté de rendre à César ce qui lui appartient — aurait peut-être duré éternellement s'il n'y avait eu les bouleversements sociaux des années 1960. Dans l'esprit des chrétiens du Sud, la décision d'une lointaine Cour fédérale de mettre fin à la ségrégation semblait aller de pair avec ses décisions de supprimer la prière à l'école : c'était un assaut sur plusieurs fronts contre les piliers traditionnels de la vie sudiste. Dans toute l'Amérique, le mouvement féministe, la révolution sexuelle, l'affirmation de soi croissante des gays et des lesbiennes et, d'une manière déterminante, la sentence de la Cour suprême dans l'affaire Roe contre Wade semblaient constituer un défi direct aux enseignements de l'Église sur le mariage, la sexualité et le rôle propre de l'homme et de la femme. Se sentant attaqués et tournés en ridicule, les chrétiens conservateurs estimèrent qu'il ne leur était plus possible de s'isoler des grands courants politiques et culturels du pays. Et si c'est Jimmy Carter qui a introduit le langage du christianisme évangélique dans la politique moderne, le Parti républicain, en portant l'accent sur la tradition, l'ordre et les « valeurs familiales », était le mieux placé pour moissonner cette vague de chrétiens évangéliques éveillés à la politique et les dresser contre l'orthodoxie de gauche.

Inutile de répéter ici comment Ronald Reagan, Jerry Falwell, Pat Robertson, Ralph Reed et, finalement, Karl Rove et George W. Bush ont mobilisé cette armée de fantassins du Christ. Il suffit de souligner que les chrétiens évangéliques blancs sont aujourd'hui (avec les catholiques conservateurs) le cœur et l'âme de la base du Parti républicain, un noyau de partisans constamment mobilisés par un réseau de chaires et de médias que la technologie n'a fait qu'amplifier. Ce sont leurs thèmes — la lutte contre l'avortement, contre le mariage homosexuel, la prière à l'école, le « dessein intelligent », Terri Schiavo, l'affichage des Dix Commandements dans les tribunaux, l'éducation à la maison, les bons de scolarité et la composition de la Cour suprême — qui font souvent la une des journaux et constituent l'une des principales lignes de faille de la politique américaine. Chez les Américains blancs, la ligne de partage la plus déterminante pour l'adhésion à un parti ne passe pas entre hommes et femmes, entre ceux qui résident dans les États « rouges » et ceux qui vivent dans les États « bleus », mais entre ceux qui vont régulièrement à la messe et ceux qui n'y vont pas. Les démocrates s'efforcent d'avoir la religion de leur côté, alors même qu'un noyau de notre électorat demeure obstinément laïc dans son orientation et craint — à juste titre — que le programme d'un pays s'affirmant vigoureusement chrétien ne laisse aucune place à leurs choix de vie.

Mais l'influence politique grandissante de la droite chrétienne n'explique par tout. Si la Majorité morale et la Coalition chrétienne se sont nourries du mécontentement de nombreux chrétiens évangéliques, ce qui est plus remarquable, c'est la capacité de l'évangélisme non seulement à survivre mais à prospérer dans une Amérique moderne, high-tech. Alors que les Églises protestantes traditionnelles perdent toutes des fidèles, les Églises évangéliques se développent, suscitent chez leurs membres un niveau d'engagement et de participation qu'aucune autre institution américaine n'atteint.

Il y a à cette réussite diverses explications allant de l'habileté en marketing au charisme des dirigeants. Mais leur succès traduit aussi un besoin du produit qu'ils vendent, une faim de spirituel qui va au-delà de toute question ou cause particulière. Chaque jour, semble-t-il, des milliers d'Américains vaquent à leurs occupations quotidiennes — ils déposent leurs enfants à l'école, se rendent au bureau, prennent l'avion pour une réunion d'affaires, font les courses au centre commercial, s'efforcent de suivre leur régime — et s'aperçoivent qu'il leur manque quelque chose. Ils se rendent compte que leur travail, leurs biens, leurs distractions, leurs activités ne leur suffisent pas. Ils veulent avoir le sentiment d'un but, de quelque chose qui les soulagera d'une solitude chronique ou les élèvera au-dessus du fardeau de la vie quotidienne. Ils ont besoin de savoir que quelqu'un là-haut se soucie d'eux, les écoute, qu'ils ne sont pas simplement voués à rouler sur une autoroute menant au néant.

Si je suis à même de percevoir ce mouvement vers un engagement religieux plus profond, c'est peut-être parce que c'est une route que j'ai parcourue.

Je n'ai pas été élevé dans une famille croyante. Mes grands-parents maternels, originaires du Kansas, ont baigné dans la religion dès leur enfance : mon grand-père a été élevé par des grands-parents baptistes très croyants après que son père a disparu sans laisser d'adresse et que sa mère s'est suicidée ; les parents de ma grand-mère — qui occupaient une place un peu plus haute dans la hiérarchie de la société des petites villes de la Grande Crise (son père travaillait dans une raffinerie de pétrole, sa mère était institutrice) — étaient des méthodistes pratiquants.

Mais pour les mêmes raisons peut-être que mes grands-parents finiraient par quitter le Kansas pour s'installer à Hawaï, la foi n'a jamais pris racine dans leur cœur. Ma grand-mère était trop rationnelle et trop têtue pour croire à quelque chose qu'elle ne pouvait ni voir, ni sentir ni toucher. Mon grand-père, le rêveur de la famille, avait cette sorte d'âme agitée qui aurait pu trouver refuge dans une croyance religieuse s'il n'avait eu d'autres traits de caractère — un esprit rebelle, une incapacité totale à réfréner ses appétits, et une grande tolérance à l'égard des faiblesses des autres — qui l'empêchaient de trop s'impliquer dans quelque domaine que ce soit.

Cette combinaison — le rationalisme intransigeant de ma grand-mère, la jovialité de mon grand-père, son incapacité à juger les autres et lui-même trop sévèrement — s'est transmise à ma mère. Sa propre expérience d'enfant sensible et studieuse grandissant dans de petites villes du Kansas, de l'Oklahoma et du Texas n'a fait que renforcer ce scepticisme hérité. Elle n'avait pas gardé un bon souvenir des chrétiens qui peuplaient sa jeunesse. Parfois, elle évoquait à mon intention les prédicateurs sentencieux qui rejetaient les trois quarts de la population du monde comme des païens ignorants condamnés à une damnation éternelle et qui, dans un même souffle, affirmaient que la terre et les cieux avaient été créés en sept jours, malgré toutes les preuves géologiques et astrophysiques du contraire. Elle se rappelait les bigotes, toujours promptes à éviter ceux qui se révélaient incapables de satisfaire à leurs propres critères de décence alors même qu'elles s'efforçaient désespérément de cacher leurs sales petits secrets personnels, et les bigots, qui proféraient des injures racistes et tiraient de leurs ouvriers tout le profit possible.

Pour ma mère, la religion organisée habillait trop souvent l'étroitesse d'esprit du manteau de la piété et enveloppait la cruauté et l'oppression dans la cape de la vertu.

Cela ne signifie pas qu'elle ne m'ait donné aucune instruction religieuse. Dans son esprit, une connaissance des grandes religions du monde constituait un élément indispensable d'une éducation complète. Dans notre foyer, la Bible, le Coran et la Bhagavad-Gita voisinaient sur les étagères avec des livres de mythologie grecque, scandinave et africaine. À Pâques ou à Noël, ma mère m'emmenait parfois à l'église comme elle m'emmenait au temple bouddhiste, dans un sanctuaire shintoïste ou sur un site funéraire ancien d’Hawaï. Mais elle me faisait comprendre que ces échantillons religieux ne demandaient aucun engagement soutenu de ma part : ni exercices d'introspection ni auto-flagellation. La religion est une expression de la culture humaine, m'expliquait-elle, elle n'est pas sa source, elle n'est qu'une des nombreuses façons — et pas nécessairement la meilleure — par lesquelles l'homme tente de gérer l'inconnaissable et de saisir les vérités profondes de notre vie.

En somme, ma mère voyait la religion avec les yeux de l'anthropologue qu'elle deviendrait : un phénomène à traiter avec le respect mais aussi le détachement adéquats. En outre, dans mon enfance, je fréquentais rare-ment des gens qui auraient pu me proposer une vision différente de la foi. Mon père était presque totalement absent puisqu'il avait divorcé de ma mère quand j'avais deux ans. De toute façon, bien qu'il ait été élevé dans la foi musulmane, il était devenu un athée endurci lorsqu'il avait rencontré ma mère et il considérait la religion comme une superstition comparable au charabia des sorciers qu'il avait vus dans les villages kényans de son enfance.

Ma mère s'est remariée avec un Indonésien à l'esprit tout aussi sceptique, un homme pour qui la religion n'était pas particulièrement utile pour faire son chemin dans le monde, et qui avait grandi dans un pays mêlant à l'islam des restes d'hindouisme, de bouddhisme et d'anciennes traditions animistes. Pendant les cinq années que j'ai passées en Indonésie avec mon beau-père, j'ai fréquenté d'abord une école de quartier catholique puis une école majoritairement musulmane. Dans les deux cas, ma mère se préoccupait moins de mon initiation au catéchisme ou de mes interrogations sur le sens de l'appel du muezzin à la prière du soir que de me faire apprendre mes tables de multiplication.

Pourtant, malgré le laïcisme qu'elle professait, ma mère était à de nombreux égards la personne la plus éveillée à la spiritualité que j'aie connue. Elle avait un instinct infaillible pour la gentillesse, la charité et l'amour, et passait une grande partie de sa vie à se fier à cet instinct, parfois à son détriment. Sans le secours de textes religieux ou d'autorités extérieures, elle a grandement contribué à instiller en moi des valeurs que beaucoup d'Américains apprennent au catéchisme : honnêteté, empathie, discipline, gratification différée, travail. Elle s'indignait de la pauvreté et de l'injustice, et méprisait ceux qui y étaient indifférents. [...]

Tout d'abord, j'ai été attiré par la capacité de la tradition religieuse afro-américaine à stimuler les changements sociaux. Par nécessité, l'Église noire a dû secourir la personne entière. Par nécessité, l'Église noire se payait rarement le luxe de séparer salut individuel et salut collectif. Elle a dû jouer pour la communauté le rôle de centre aussi bien politique, économique et social que spirituel. Elle a saisi dans son essence l'appel biblique à nourrir ceux qui ont faim, vêtir ceux qui sont nus et défier les puissants. Dans l'histoire de ces luttes, j'ai pu voir dans la foi plus qu'un simple réconfort pour ceux que la vie a usés, plus qu'un rempart contre la mort : la foi a été un agent actif, tangible, dans le monde. Dans la vie quotidienne des hommes et des femmes que je rencontrais chaque jour à l'église, dans leur capacité à « trouver un moyen dans l'absence de moyens », à maintenir l'espoir et la dignité dans les situations les plus difficiles, je voyais le Verbe se manifester.

C'est peut-être dans cette connaissance intime des duretés de la vie, dans l'enracinement de la foi dans la lutte que l'Église noire historique m'a offert une deuxième prise de conscience : avoir la foi ne signifie pas que vous ne doutez pas ou que vous relâchez votre emprise sur ce monde. Longtemps avant qu'il devienne à la mode chez les évangélistes de télévision, le sermon noir typique reconnaissait volontiers que les chrétiens (pasteurs compris) pouvaient éprouver la même cupidité, le même ressentiment, la même luxure et la même colère que tout le monde. Les gospel songs, les pieds qui frétillent de bonheur, les larmes et les cris, tout cela traduisait une libération, une reconnaissance et finalement une canalisation de ces sentiments. Dans la communauté noire, les limites entre pécheurs et élus étaient plus souples ; les péchés de ceux qui allaient à l'église n'étaient pas très différents des péchés de ceux qui n'y allaient pas et on pouvait donc en parler avec humour tout en les condamnant. Vous aviez besoin de venir à l'église précisément parce que vous étiez de ce monde et non pas séparé de lui ; riche, pauvre, pécheur, élu, VOUS aviez besoin d'embrasser le Christ précisément parce que vous aviez des péchés à expier : parce que vous étiez humain et que, dans votre voyage difficile, il vous fallait un allié pour niveler les pics et combler les vallées, pour rendre droits tous ces chemins tortueux.

C'est à cause de cette vision nouvelle — l'engagement religieux n'exigeait pas de moi de suspendre toute pensée critique, de me désengager du combat pour la justice économique et sociale ou plus généralement de me retirer du monde que je connaissais et que j'aimais — que j'ai enfin pu descendre un jour l'allée centrale de la Trinity United Church of Christ et me faire baptiser. C'était plus un choix qu'une révélation : les questions que je me posais n'ont pas disparu par magie. Mais là, en m'agenouillant sous un crucifix dans le South Side de Chicago, j'ai senti l'esprit de Dieu me faire signe. Je me suis soumis à Sa volonté et je me suis engagé à découvrir Sa vérité.

Barack Obama


La maman des poissons

Les personnes nouvellement converties sont appelées pisciculi (« petits poissons »). Les penseurs chrétiens soulignent également que, lors du Déluge originel, les poissons furent épargnés par la colère divine, et ils assimilent parfois les chrétiens, au moment du baptême, précisément à des poissons.


jeudi, mai 03, 2012

La vision politique de Gandhi





Laissant derrière lui la crise qui sévit en Europe, Lanzan del Vasto arrive en Inde en 1937 et se rend auprès de Gandhi.

« A une civilisation dont le trait caractéristique est la lutte du prolétariat et de la bourgeoisie, Gandhi veut opposer une culture dont le fondement soit l'accord de la paysannerie et de l'artisanat.

Pour que subsiste une civilisation divisée comme la nôtre, il faut que l'État affirme toujours plus fortement sa prépondérance, soit qu'il admette la lutte des classes et maintienne l'alternative des partis, soit qu'il abolisse un des extrêmes, mate l'autre et réalise l'unité à son propre profit.

Le but principal du Gouvernement tel que le conçoit Gandhi, c'est de se rendre de moins en moins nécessaire : c'est de créer des conditions telles qu'on se puisse passer de lui. « Le meilleur gouvernement, a dit Goethe, est celui qui nous enseigne le mieux à nous gouverner nous-mêmes. » Il est clair que la puissance de l'État augmente en proportion de l'incapacité des hommes à s'appliquer la loi sans qu'on les y force, tandis que l'habitude de la soumission à la force éteint le jugement et le contrôle de soi et aggrave le mal. Dans le régime gandhien au contraire, la plus large autonomie administrative viendrait partout corroborer l'autarcie économique, de sorte que les autorités de chaque village acquerraient des droits presque souverains.

Le système est celui qui a dominé dans l'Inde pendant des millénaires. C'est celui qui a dominé en Chine et en Égypte, dans tous les empires millénaires. C'est grâce à lui que ces grands peuples pensifs et pacifiques ont pu se constituer des institutions inébranlables, garder des traditions primordiales, conduire à maturité leur culture, devenir pour les autres peuples les sources véritables de toute culture. Nous les éphémères, nous les intermittents, nous les accidentels, nous ne devons pas oublier que nous ne possédons rien de bon qui n'ait été conçu, connu et pratiqué, des siècles auparavant, par ces peuples-là et qui ne nous ait été transmis par tels intermédiaires qui s'attribuèrent l'honneur de l'invention.

Ces empires sans doute ont entretenu de puissantes dynasties théocratiques et militaires, ont soutenu des guerres, ont subi des invasions dévastatrices. Mais ni la fortune des armes ni la forme du gouvernement ne regardaient la vie pratique et spirituelle du village qui opposait à toutes les vicissitudes extérieures un fond immuable. Le tribut payé aux uns ou aux autres, le laboureur se trouvait quitte et pouvait assister en spectateur aux querelles des princes, et même à l'arrivée successive des conquérants.

Même les Mongols musulmans, maîtres sanguinaires et détestables, avaient respecté cet heureux ordre de choses et se contentaient d'en profiter. Il a fallu la venue des Anglais — beaucoup moins inhumains d'ailleurs, et moins tyranniques — pour gâter le pays de fond en comble. Ce n'est pas le fardeau, pourtant non léger, du Gouvernement impérial, ce n'est pas l'armée avec ses canons, qui ont consommé cette ruine :
C'est le camelot avec sa valise. […]

On ne comprendra rien à la politique de Gandhi si l'on ignore que le but de sa politique n'est pas une victoire politique mais spirituelle.

Tel qui sauve son âme ne sert pas seulement lui-même : la division qui subsiste entre les corps ne sépare point les âmes : tel qui sauve son âme sauve en vérité l’Âme, amasse un bien qui appartient à tous : suffit que les autres s'en aperçoivent pour en profiter. Tel part de l'autre bout et s'appliquant à servir les autres sauve son âme. Les Hindous appellent ce genre d'hommes un Karma-yoguî, un ascète de l'Action. Ils le figurent comme un sage siégeant dans la pose de la méditation et tenant une épée au poing. Gouverner peut être une manière de servir autrui et de sauver son âme. Chasser de l'Inde les Anglais constituerait une ambition bien mesquine et banale pour un si grand sage que Gandhi. Son but est de délivrer le peuple de ses maux (dont les Anglais sont le moindre, et le plus apparent). Son but est de délivrer son âme de l'ignorance : de vivre, c'est-à-dire d'essayer la vérité. [...]

« Résistance passive », c'est ainsi qu'on entend communément parler de la politique de Gandhi. La nommer ainsi, c'est déjà se disposer à n'y rien comprendre. Il suffit pour cela qu'on donne à « passif » le sens d' « inerte » et qu'on imagine qu'il s'agit de je ne sais quelle « force d'inertie », nouvelle forme sans doute de la fameuse « paresse orientale » ; ou bien qu'on s'en rapporte au fameux « fatalisme oriental » et qu'on y voie une résignation à l'injustice comme à un malheur que Dieu envoie.

La résistance non-violente que dirige Gandhi se montre plus active que la résistance violente. Elle demande plus d'intrépidité, plus d'esprit de sacrifice, plus de discipline, plus d'espérance. Elle agit sur le plan des réalités tangibles et agit sur le plan de la conscience. Elle opère une transformation profonde en ceux qui la pratiquent et parfois une conversion surprenante de ceux contre lesquels on l'exerce. »

Lanzan del Vasto





L'art de gouverner d'Ashoka




mercredi, mai 02, 2012

L'institution du mal





Le mal dans l'histoire et la société

Le mal ne trouve pas seulement son expression dans la volonté individuelle, mais se manifeste dans l'ensemble des entreprises collectives (politiques et historiques) de vie en commun. Peut-être s'y manifeste-t-il d'ailleurs plus clairement et plus radicalement, un peu comme la justice de l'âme, selon Platon, devait être rendue visible dans la justice de la Cité.

C'est d'abord sous la forme de la violence que le mal entre dans l'histoire. Certes, la violence n'est pas le mal puisqu'elle n'a pas d'abord un sens moral (elle est plus un effet qu'une intention). Mais il n'est pas douteux non plus, qu'au niveau historique, la violence, en tant qu'elle est un pouvoir que l'homme exerce sur l'homme, constitue la manifestation par excellence du mal moral. Il convient avec Freud d'en établir la genèse psychique, mais aussi de se demander ce qui fait de la sphère politique l'occasion privilégiée du mal.

L'idée selon laquelle l'histoire humaine constitue le sol dans lequel s'enracine et s'exprime le mal, est paradoxalement liée à l'idée d'un sens positif de cette même histoire. Il faut bien, en effet, placer ses espérances dans le devenir des hommes, supposer un progrès de l'humanité au cours du temps, pour que le mal historique puisse être repéré dans ce qui, à chaque fois, remet en cause cette évolution. C'est ce qu'illustre parfaitement la pensée de Hegel qui comprend l'histoire comme le développement progressif de la conscience que prennent les hommes de leur propre liberté.

S'interroger sur le mal dans l'histoire, c'est donc pour Hegel s'interroger sur les apparentes discontinuités dans ce progrès vers le bien. Plus concrètement, le simple fait que les révolutions faites au nom de la liberté se révèlent meurtrières devient problématique. Une théodicée historique consiste donc en la justification de ce qui, dans l'histoire, semble contredire la puissance de la raison ; elle s'élabore autour d'une réévaluation du négatif sans lequel il n'existe aucune dynamique de progrès (pas de libération sans guerres de libération).

On comprend, dans ces conditions, que l'histoire ait pu être considérée comme la religion moderne en ce sens que toutes les espérances réservées à l'au-delà ont été transposées au monde humain. Au nom de l'histoire, comme précédemment au nom de l'harmonie de l'univers décrétée par Dieu, le mal doit être justifié et ne pas apparaître comme absurde.

Malgré toutes les difficultés d'une telle conception, elle permet au moins d'inscrire le mal dans une problématique anthropologique : si le mal apparaît dans l'histoire, c'est qu'il est une réalité proprement humaine. Cette perspective a été radicalisée par Hobbes pour qui le mal n'est que le résultat d'une convention. À l'état de nature, en effet, le droit d'un individu coïncide avec la puissance de ses désirs ; il est donc impossible qu'il commette une injustice puisqu'aucune loi admise par tous n'est à même de distinguer le bien du mal.

Dire que le mal est conventionnel, c'est dire qu'il n'apparaît que dans la société, qu'il n'a de sens que juridique. Le mal ne précède donc pas la loi, il correspond seulement à ce que la loi interdit (il a fallu, ainsi, attendre le commandement divin « Tu ne tueras pas » pour que le meurtre soit reconnu comme une faute). L'homme se révèle être dépendant de l'institution politique jusque dans l'évaluation individuelle de ses conduites. Cet aspect nous invite à nous interroger sur le rapport entre l'institution politique et le mal, non plus en ce sens que la première définirait le second par la loi, mais plutôt parce qu'elle peut elle-même être pervertie.

Qu'est-ce que le mal politique

Pour savoir s'il existe une forme de mal spécifiquement politique, il faut d'abord s'interroger sur la nature du politique comme tel. Or le lien politique se caractérise par l'exigence de rationalité que les hommes veulent introduire dans leurs rapports. Autrement dit, la communauté politique (aujourd'hui l'État) constitue une médiation indispensable à la vie en commun : c'est pour donner sens et efficacité à leurs conduites collectives que les hommes se réunissent sous des lois.

Mais, et c'est ici qu'intervient le problème du mal, ces lois s'appliquent nécessairement sous la forme de la contrainte. Le pouvoir (potentiellement violent) est l'auxiliaire inévitable de la rationalité politique à laquelle il est un peu comme la volonté à l'entendement, à savoir la force capable de réaliser le droit. C'est tout le sens du paradoxe politique : sur une exigence intrinsèquement bonne — la volonté de rationaliser les liens humains —, se greffe un risque permanent, celui de voir la force l'emporter sur le droit pour autant que le droit, par lui seul, ne peut s'imposer.

L'aliénation politique désigne donc le processus par lequel l'État perd le sens de ce qui le définit pour ne plus se réduire qu'a un complexe de violence et de contrainte. On peut radicaliser une telle conception en isolant plus précisément encore la spécificité du mal politique. Au politique est en effet lié un type particulier d'attente, d'espérance même, celle de réaliser sur terre le meilleur des mondes. Dès lors que cette espérance se présente comme savoir, dès lors que la prétention à améliorer l'homme devient exigence de le transformer, le politique adopte le point de vue de la théodicée, c'est-à-dire qu'il nie en l'homme tout ce qui résiste à cette transformation.

C'est là une forme d'empiétement de la sphère publique sur la sphère privée, caractéristique des régimes totalitaires. La liberté de l'individu est niée au nom d'un idéal de perfection incompatible avec la finitude humaine. L'État prend en quelque sorte la place de Dieu : il veut modeler l'homme à son image. Ce type particulier de perversion (un idéal qui aboutit à sa négation) nous invite à nous interroger sur le sens et les limites des diverses ripostes possibles au mal humain.

Michaël Foessel





mardi, mai 01, 2012

Aliénation et libération de l'homme





Les révolutions qui naissent en Europe en 1848 (au moment où Marx et Engels publient le Manifeste du parti communiste) sont le résultat d'un enchevêtrement d'aspirations à la fois antiféodales et démocratiques, nationales et sociales. La lutte dans laquelle Marx et son ami Engels se sont engagés est plus précisément dirigée contre le système économique et politique du capitalisme. Il s'agit pour eux d'unifier le mouvement communiste naissant et de se préparer à prendre le pouvoir dans une société où régnera enfin l'égalité. Comme l'exploitation capitaliste n'a pas de frontières et que « les ouvriers n'ont pas de patrie », le mouvement de libération ne pourra être qu'international. Cette libération ne sera donc pas la libération de tel peuple particulier, mais la libération de tous les hommes, quelles que soient leurs nationalités.

La philosophie de Marx dans ses écrits de jeunesse

La critique de la religion

Marx reprend à son compte la « révolution théorique » de Feuerbach qui avait consisté à dénoncer l'aliénation religieuse : dans la religion, l'homme projette hors de lui sa véritable essence et se perd dans un monde illusoire qu'il a lui-même créé, mais qui finit par le dominer comme une puissance étrangère. Parce que l'homme cherche une compensation à sa misère et à sa limitation, il se fuit lui-même et se réfugie dans « la réalité fantastique du ciel ». Mais l’Être suprême qu'il trouve dans la religion n'est que son « propre reflet », et ce qu'il adorait jusqu'à présent dans la crainte et le tremblement n'est en définitive qu'une image irréelle de lui-même.

Généralisation de la critique

La religion n'est cependant pas la seule illusion de l'au-delà. Cette illusion existe « aussi sous ses formes profanes » qu'il faut également dénoncer. La « critique du ciel » doit se transformer en « critique de la terre ».

Critique de la philosophie

En suivant toujours Feuerbach, Marx considère la philosophie comme un travestissement de la religion. Elle « n'est autre chose que la religion mise en pensées et développée par la pensée ». L'Absolu des philosophes est le refuge de la transcendance religieuse.

Critique de la politique

Les jeunes hégéliens ont eu raison d'englober la politique, le droit, la morale, en bref toute la culture, dans la sphère des représentations religieuses ou théologiques. C'est dans cet esprit que Marx critique la politique dans ses premiers écrits théoriques (Critique de la philosophie du droit public — été 1843 —, Question juiveautomne 1843 —, Introduction à la philosophie hégélienne du droit — janvier 1844).

Si la démocratie apparaît bien comme un progrès par rapport au despotisme et représente ainsi la vérité de la vie politique, elle garde toutefois en elle une dimension d'au-delà : subsiste en elle un dualisme entre la vie réelle que l'homme mène dans la société civile (qui est le domaine de la réalité socio-économique, la seule réalité que conçoit Marx) et la vie fantastique que mène le citoyen dans le ciel politique, dans un monde qui ne peut être qu'irréel, illusoire (parce qu'au-delà du monde pratique du travail, de la production).

L'homme et la nature

Après la critique du caractère illusoire de toutes ces formes de la vie humaine (religieuse, philosophique, politique), on est en droit de se demander : que reste-t-il de l'homme ?

Pour répondre, Marx, dans un premier moment, suit à nouveau Feuerbach. Ce qu'il considère avant tout chez l'homme, c'est son appartenance à la nature. (C'est évidemment ce qui reste après cette vaste critique du ciel.) L'homme dont il s'agit ici est donc l'homme « réel, charnel » — non pas l'homme « spiritualiste, abstrait » de l'idéalisme — qui participe à la bienheureuse unité de la nature et qui est en rapport avec l'univers tout entier par ses besoins physiques. Comme la plante et l'animal, l'homme a donc besoin d'objets matériels pour manifester ses forces essentielles. Et ainsi, plus il a besoin de ces objets, plus il est enraciné dans les profondeurs de la nature, et plus il participe à la perfection de sa propre nature.

Dans un deuxième moment, Marx prend ses distances par rapport à Feuerbach. Pour Marx en effet, on ne peut en rester à la nature telle qu'elle se présente immédiatement (c'est-à-dire avant toute intervention humaine), car alors elle n'existe pas de façon adéquate à l'essence humaine.

L'unité de l'homme avec la nature, il ne faut pas la chercher dans l'idée matérialiste de notre appartenance passive à la vie aveugle de la nature. Elle se manifeste plutôt dans les actions par lesquelles l'homme se dresse contre la nature et la soumet à sa volonté. Cela veut dire que cette unité n'est pas immédiate, donnée une fois pour toutes, mais historique. L'« essence humaine » de la nature signifie qu'à travers le combat de l'homme contre elle, c'est la nature elle-même qui arrive progressivement à la plénitude de son être.

L'aliénation

Si par les besoins qu'il éprouve l'homme s'identifie à tous les autres êtres naturels, c'est par le travail, par la production qu'il se distingue du reste de l'univers. Le travail n'est pas une simple activité économique, d'une valeur inférieure par rapport à d'autres activités, il est la vocation essentielle de l'espèce humaine. « C'est en façonnant le monde des objets que l'homme se révèle comme un être générique. Sa production est sa vie générique créatrice », écrit Marx dans la Contribution à la critique de l'économie politique.

Par conséquent, l'histoire « réelle », c'est-à-dire le développement économique et le progrès de la domination technique de la nature par l'homme, n'est pas extérieure à la vie intérieure de l'homme. Au contraire, «l'histoire de l'industrie et l'existence objective atteinte par l'industrie sont le livre grand ouvert des forces essentielles de l'homme, la psychologie humaine devenue matériellement sensible ».

Essence et existence

Mais voilà qu'en face de l'homme — le producteur — se trouve son propre produit sous la forme d'un objet « étranger » et tout-puissant (comme le Dieu de la religion que critique Feuerbach), à savoir le capital. Car qu'est-ce que le capital ? Du travail « accumulé », matérialisé, mort, transformé en objet indépendant, converti en propriété privée. C'est l'essence même de l'homme qui lui fait face comme un objet extérieur, et dont il est dépossédé.

Toute la philosophie de Marx est là. Dans le capitalisme, l'existence de l'homme se trouve opposée à son essence car, en travaillant, l'homme n'a plus pour fin de réaliser son essence, mais son essence (le travail) devient pour lui un simple moyen pour assurer son existence. Sa vie individuelle est en conflit avec sa vie générique, et l'aliénation consiste en ceci que le travailleur ne se reconnaît pas dans son produit.

C'est pourquoi l'aliénation finira quand l'homme se sera réapproprié son essence (Wesen, en allemand) qui s'oppose à lui dans le capital, et qui n'est en somme que du travail ayant été (gewesen, selon un jeu de mot propre à Hegel). Les oppositions du capitalisme trouveront leur solution dans le communisme.

Les écrits de la maturité

Réfutation du matérialisme vulgaire

Ce que Marx reproche au matérialisme vulgaire, c'est de ne pas tenir compte de l'histoire et du pouvoir transformateur qu'a l'homme sur les choses. Le monde sensible qui nous entoure n'est pourtant pas donné une fois pour toutes : la matière est toujours déjà devenue matière première de l'activité humaine, ou matière seconde créée par la technique, façonnée par la praxis. C'est ce que n'a pas vu Feuerbach qui en reste à un matérialisme « vulgaire », qui condamne l'homme à la passivité, capable seulement de réceptivité à l'égard de l'objet (cf. les Thèses sur Feuerbach). Or la praxis a une fonction essentielle qui est de « modifier historiquement la nature » ; loin de n'avoir qu'une fonction utilitaire, elle est « le fondement de tout le monde sensible tel qu'il existe actuellement ».

Praxis et théorie de l'idéologie

La vérité de l'homme se situe dans sa vie productive, dans la praxis, et non dans l'esprit comme le pensait Hegel. Et dans la mesure où l'homme devient conscient de soi, il ne peut que prendre conscience de son véritable être : il ne peut que « refléter » le processus de son développement pratique (Marx pose ainsi les bases de son matérialisme historique). En dehors de sa vie pratique, qui donne la mesure de son enracinement terrestre, la conscience tombe dans l'illusion et l'aliénation idéologique : la « théorie pure », la religion, la théologie, la philosophie, la morale, etc., n'ont pas de vérité intrinsèque.

Marx penseur de la technique

Pourquoi la conscience fuit-elle le monde réel de la praxis pour se réfugier dans l'idéologie ? Cohérent avec lui-même, Marx pense que c'est là la conséquence du fait que le travail de l'homme ne domine pas encore totalement la nature. L'homme n'a donc pas encore développé la totalité de ses forces productives. C'est pourquoi il est tenté de chercher son essence au-delà de cette vie pratique imparfaite. Il faut en conclure que Marx fait du progrès technique la mesure de toute l'histoire : l'homme s'affirme en fonction de l'efficacité de ses instruments de production.

Les trois grands types d'individualité et la division du travail

Marx peut alors distinguer dans les Grundrisse (1857- 1858) trois grands types d'individus, et par conséquent trois formes de société et trois époques. (On remarquera au passage que les sociologues appellent « individualiste » la méthode de Marx, qui est pourtant le penseur du communisme. Chez lui, l'individu est au premier plan : « des individus produisant en société — donc une production d'individus socialement déterminée : tel est naturellement le point de départ de la science », Introduction critique de l'économie politique, 1857.)

Premier type d'individualité

Il y a d'abord l'homme primitif dont l'individualité se fond dans la communauté à laquelle il adhère comme une abeille à son essaim.

Deuxième type d'individualité

Un « certain accroissement de la productivité » (l'homme devenant capable de produire plus que ce dont il a besoin) fait sortir l'homme de la communauté primitive, et la division du travail qui apparaît assigne à l'individu une seule et unique tâche. Mais cette division du travail enlève à l'homme la possibilité de développer la totalité de ses capacités et de participer à l’œuvre productive de la collectivité entière. Il n'est pas encore une individualité pure, une personne, mais est comme l'animal, simple représentant de son espèce : la catégorie professionnelle ou la classe à laquelle il appartient et qu'il n'a pas choisie.

Tant que la coopération entre les hommes n'est pas organisée par les hommes eux-mêmes, librement associés et selon un plan d'ensemble, mais qu'elle est imposée par la nature qui répartit les hommes selon ce que chacun se trouve apte à faire, alors l'homme est aliéné et ne peut parvenir à une affirmation complète de sa personnalité.

Troisième type d'individualité

Le troisième type d'individualité est celui de l'« homme total ».

Il correspond au communisme qui clôt la « préhistoire de l'humanité » dont le capitalisme était l'aboutissement suprême. Or, qu'a fait le capitalisme ? Il a poussé le processus de division du travail à l'extrême : le travailleur est devenu une « parcelle » de lui-même. Mais en même temps, il a étendu considérablement le pouvoir de l'homme sur la nature : la révolution industrielle a développé l'activité et mis au jour une totalité d'instruments de production.

Le progrès considérable de la technique annonce la fin des idéologies, la disparition de la religion, et prépare l'avènement de l'« homme total », qui redevient possesseur des instruments de production au terme d'une lutte de classes opposant dans sa dernière phase prolétaires et capitalistes, et qui pourra donc exercer toutes les activités, développer la totalité de ses capacités. C'est ainsi qu'on le verra faire aujourd'hui ceci, demain cela, chasser le matin, pêcher l'après-midi, faire de l'élevage le soir, philosopher après dîner, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, pâtre ou philosophe. Plus de division du travail. Plus d'opposition entre l'individu et l'espèce : l'« homme total » du communisme pourra tout ce que peut son espèce.

Conclusion : un schéma posthégélien

L'articulation qui sous-tend la pensée de Marx est à mettre en rapport avec la progression logique hégélienne : universalité — particularité — singularité. Chez Hegel, l'universalité même, à savoir le Concept (Dieu) d'où proviennent tous les concepts, se perd (autrement dit, s'incarne) dans la particularité naturelle de la matière et des êtres vivants avant de renaître en l'homme comme esprit singulier, c'est-à-dire capable de dire « je ».

Ce schéma subit une modification chez les successeurs de Hegel. Chez Kierkegaard, le moment de la particularité naturelle se trouve au début, correspondant au stade esthétique, tandis que l'universel caractérise le stade éthique, le singulier revenant au stade religieux où l'homme se trouve seul devant Dieu.

Cette modification se retrouve chez Marx : au stade précapitaliste, en conséquence de la division du travail, le travail apparaît comme qualifié, particularisé : selon le sexe, l'âge, la diversité des forces physiques, la situation géographique... C'est le moment de la particularité naturelle.

Avec le capitalisme, l'homme découvre ce qui constitue la valeur d'échange d'un produit. Ce par quoi des choses aussi diverses que du blé, du tissu ou une maison sont commensurables, c'est la quantité de travail humain nécessaire à leur production. L'homme prend alors conscience de son essence universelle, générique : le travail.

Le communisme enfin représente l'accès à la singularité humaine dans « l'homme total » qui, au-delà de la division du travail, récapitule en lui la totalité de la praxis humaine.

Emmanuel Pougeoise & Jean-Michel Ridou




Écrits philosophiques

Si Marx fascine tant les philosophes, c'est peut-être parce qu'il a si vigoureusement dénoncé l'illusion de "la philosophie", le "discours de la mauvaise abstraction", toujours idéaliste même sous des dehors matérialistes, et toujours stérile malgré sa grandiloquence. Pourtant, à n'en pas douter, comme le montrent les cent textes rassemblés dans cette anthologie, pris dans les œuvres de jeunesse et surtout dans Le Capital et ses brouillons, l’œuvre de Marx est d'une éclatante richesse philosophique.

L'introduction de Lucien Sève revisite le corpus marxien et expose pour la première fois avec précision le réseau catégoriel d'ensemble qui constitue le fond de la "Logique du Capital" : essence, abstraction, universalité, objectivité, matière, forme, rapport, contradiction dialectique, histoire, liberté... Outre l'introduction et les notes qui accompagnent chacun de ces textes, un index des concepts philosophiques détaillé contribue à faire de ce volume un précieux instrument de travail et de culture.

dimanche, avril 29, 2012

Thelema Sangha




Un anti-monastère pour se réapproprier la sagesse libertaire

« Pour récompenser les exploits de Frère Jean des Entommeures dans la guerre contre le conquérant Picrochole, Gargantua lui fait construire une abbaye selon son « devis », dont Rabelais détaille à loisir les caractéristiques peu communes, puisqu'elle devra être organisée « contrairement à toutes les autres ».

Il s'agit en effet d'un anti-monastère, singulier déjà par son architecture bien éloignée des sombres et tristes constructions médiévales : « Le bâtiment était de forme hexagonale et conçu de telle sorte qu'à chaque angle s'élevait une gosse tour ronde mesurant soixante pas de diamètre : elles étaient toutes semblables par leur taille et leur structure ». Rabelais se souvient des grandes constructions du temps de François ler, puisqu'il dit de Thélème qu'elle était « cent fois plus magnifique que Bonnivet, Chambord ou Chantilly », mais rappelle aussi l'idéal des princes bâtisseurs du Quattrocento, des urbanistes utopiques et leur conviction qu'à l'édification d'une cité rationnelle correspondra le développement d'une mentalité nouvelle. Devant Thélème, on pense aux plans grandioses d'Alberti dans le De re aedificatoria, à la Sforzinda de Philarete ou au temple aux cent portes décrit par Francesco Doni dans son Mondi de' Pazzi. Les habitants sont dignes du lieu. D'habitude se destinent au couvent des filles pauvres et laides, des hommes disgraciés et difformes et les deux sexes y sont séparés. Ici l'on accueille des jeunes gens « bien formés et d'une heureuse nature » qui vivent dans une relation harmonieuse. Le recrutement se fait dans l'élite sociale et intellectuelle : entrent à Thélème les « dames de haut parage », les «nobles chevaliers, [...] gaillards et délurés, joyeux, plaisants, mignons, [...] gentils compagnons » et ceux qui professent, non une religion formelle et obscurantiste, mais « le saint Évangile ». Ils ne revêtent pas le froc sinistre et sale des moines, mais des habits magnifiques et se divertissent dans un «beau jardin d'agrément» où l'on joue à tous les jeux et où, conformément aux règles de la société courtoise, «tout se fait d'après la volonté des dames». Lieu de plaisir et de d'épanouissement de l'individu, mais aussi de haute culture, puisqu'«il n'y avait aucun d'entre eux qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d'instruments de musique, parler cinq ou six langues et s'en servir pour composer en vers aussi bien qu'en prose ».

Le mode de vie des Thélémites est à l'opposé du traditionnel comportement monastique. L'abbaye n'est pas ceinte de murailles, on n'y prononce pas de vœux définitifs et l'on en sort librement ; ce ne sont ni la règle ni les cloches qui appellent au devoir, comme dans les autres couvents, puisque, de l'avis de Gargantua, « la plus grande sottise du monde était de se gouverner au son d'une cloche et non selon les règles du bon sens et de l'intelligence». Thélème ne renferme ni église ni chapelle et l'on n'y célèbre pas de cérémonies religieuses, mais chaque appartement possède un oratoire où chacun prie à sa guise. S'il est d'usage, dans les monastères, de purifier les lieux après le passage d'une femme, à Thélème on y procède après celui d'un moine ou d'une religieuse. Aux trois vœux traditionnels de chasteté, pauvreté et obéissance s'opposent ceux de mariage, richesse et liberté. La célèbre devise de l'abbaye — « Fais ce que tu voudras » — rappelle que Rabelais refuse la tache du péché originel et la corruption de la nature humaine, et affirme que « les gens libres, bien nés, bien éduqués, conversant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu'ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement et les éloigne du vice ». De la cité sans murs seront donc exclus tous ceux qui font injure à la nature humaine, hypocrites et bigots, magistrats et usuriers, vieillards jaloux et syphilitiques.

Si les Thélémites manifestent, comme dans l'utopie, une volonté collective et une aspiration commune — chaque individu obéit spontanément à des motivations identiques —, Rabelais a cependant conçu son abbaye sur les principes du monde à l'envers, opposant terme à terme le couvent réel à l'abbaye idéale, où se développe une vie de cour inspirée des principes du Cortegiano de Castiglione. À Thélème comme en d'autres endroits de son œuvre, il souhaite une réforme de la religion et de l'Église, condamne comme contre nature la claustration monastique, le culte des reliques, de la Vierge et des saints, les macérations, les jeûnes et les dévotions machinales, pour prêcher un retour à la parole évangélique. Le recours au monde à l'envers lui permet, selon un procédé qui lui est familier, de rendre odieux et grotesque ce qu'il dénonce, attirant et lumineux ce qu'il préconise, tout en conjurant, grâce à l'irréalisme de la description, les foudres de la Sorbonne. Le monde à l'envers n'est plus, comme chez Aristophane, le moyen de critiquer le réformisme utopique, mais de fustiger un réel inacceptable. L'Assemblée des femmes ridiculise l'utopie pour ramener à la réalité ; Thélème, abbaye imaginaire où sont inversées les données du réel, joue sur le paradoxe : le monde tel qu'il existe est aberration, dégradation et folie, et il faudrait le mettre sens dessus dessous pour qu'il devienne sagesse et raison. L'absurde n'est pas où l'on pense et le monde à l'envers se fait modèle à imiter. »

Raymond Trousson

Cy n'entrez pas, hypocrites, bigotz,
Vieulx matagotz, marmiteux, borsouflez,
Torcoulx, badaulx, plus que n'estoient les Gotz
Ny Ostrogotz, precurseurs des magotz ;
Haires, cagotz, caffars empantouflez,
Gueux mitouflez, frapars escorniflez,
Befflez, enflez, fagoteurs de tabus,
Tirez ailleurs pour vendre voz abus.

Voz abus meschans
Rempliroient mes camps
De meschanceté
Et par faulseté
Troubleroient mes chants
Voz abus meschans.

Cy n'entrez pas, maschefains practiciens,
Clers, basauchiens, mangeurs du populaire,
Officiaulx, scribes et pharisiens,
Juges anciens, qui les bons parroiciens
Ainsi que chiens mettez au capulaire.
Vostre salaire est au patibulaire :
Allez y braire ; icy n'est faict exces,
Dont en voz cours on deust mouvoir proces.

Proces et debatz
Peu font cy d'ebatz,
Où l'on vient s'esbatre ;
A vous pour debatre
Soient en pleins cabatz
Proces et debatz.

Cy n'entrez pas, vous, usuriers chichars,
Briffaulx, leschars qui tousjours amassez,
Grippeminaulx, avalleurs de frimars,
Courbez, camars, qui en vous coquemars
De mille marcs jà n'auriez assez ;
Poinct esguassez n'estes, quand cabassez
Et entassez, poiltrons à chiche face ;
La male mort en ce pas vous deface.

Face non humaine
De telz gens qu'on maine
Raire ailleurs : ceans
Ne seroit seans ;
Vuidez ce dommaine,
Face non humaine.

Cy n'entrez pas, vous, rassotez mastins,
Soirs ny matins, vieux chagrins et jaloux ;
Ny vous aussi, seditieux, mutins,
Larves, lutins, de Dangier palatins,
Grecz ou Latins, plus à craindre que loups ;
Ny vous, gualous, verollez jusque à l'ous
Portez voz loups ailleurs paistre en bonheur,
Croustelevez, remplis de deshonneur.

[…]

Rabelais

Bref, à Thelema Sangha, les pashus ne sont pas les bienvenus.


Louis Chalon, « Les Thélémites au bain »

Fuir seul vers le Seul

Notre temps est celui de l’occultation, de la nuit de la véritable spiritualité. Et de nombreux périls menacent à la faveur de cette nuit. ...