Partir
au Mexique, c'est s'aventurer à la découverte d'une mentalité
différente : celle des Indiens ou, mieux, des Amérindiens. « Il y
a une initiation incontestable dans cette race : celui qui est près
des forces de la nature participe de ses secrets », a dit Antonin
Artaud à propos des Tarahumaras. Cette participation aux forces de
la nature est vraie de tous les Américains, du Nord jusques et y
compris au sud. C'est cette participation qu'il nous faut comprendre,
retrouver en nous-mêmes plutôt que de nous extasier sur les
prouesses techniques qui nous fascinent dans ces grands cimetières
de pierre que sont les sites archéologiques. « Nous étions un
peuple sans loi, mais nous étions en très bon terme avec le Grand
Esprit... » (cf. Pieds nus sur la terre sacrée, textes
réunis par T.C. McLuhan).
Les
escaliers des pyramides sont raides, leur architecture n'a rien à
voir avec celle des pyramides d’Égypte. Entre les géants de
pierre, la cohorte absurde et internationale des touristes. Caméras,
chewing-gum, bière et tyroliennes... Mais, silencieux et furtifs,
des Indiens par familles entières viennent admirer l’œuvre de
leurs ancêtres, pèlerinages aux sources d'une sagesse presque
totalement anéantie par nos propres ancêtres. « Gringos » et
Européens se rassurent : « Ici, avaient lieu des sacrifices
humains. » Bonne excuse qui leur permet d'oublier un peu trop
facilement les crimes tout aussi sanglants commis par les
conquistadores de la très sainte Inquisition !
Comment
se faire une idée des quelque deux millions de kilomètres carrés
du territoire mexicain et de ses populations passées et actuelles ?
Une
escale dans la capitale est indispensable. D'abord un tour dans son
musée d'anthropologie, unique au monde par la qualité de
présentation de ses collections et de son architecture : une
occasion exceptionnelle de se familiariser avec l'artisanat
authentique qui devient de plus en plus difficile à trouver « sur
le terrain ». Le plastoc, en effet, a tout envahi : le Mexique,
comme, hélas ! tant d'autres pays du tiers monde, est devenu la
poubelle des sous-produits venus des nations plus nordiques
prétendues évoluées. La plupart du temps, sur les marchés
indigènes, seules les broderies, minutieux travaux de patience
exécutés par les femmes encore soumises aux rythmes anciens, sont
intéressantes pour qui veut rapporter des « souvenirs ». Quelques
vieux connaissent toujours les secrets de la poterie, comme Doña
Rosa, près d'Oaxaca, mais, avec leur disparition, l'inspiration et
même la technique s'évanouissent au profit de
l'objet-pour-bazar-à-touristes.
De
Mexico, il faut aussi aller à Teotihuacàn, « là où sont nés les
dieux », pour admirer l'une des plus grandes pyramides du monde,
celle du dieu Soleil, qui s'élève au milieu de 50 km² de ruines
aztèques.
Ensuite,
choisir l'un des programmes classiquement proposés par de multiples
agences de voyage. Ou bien partir a la découverte d'un Mexique un
peu plus secret.
Oaxaca,
capitale de la culture zapotèque, a conservé le charme provincial
des villes tropicales qui ont un grand marché. Une agitation
colorée, gaie, règne autour des musiciens qui jouent le soir sur la
vieille place. Au-dessus de la ville, les ruines de Monte-Alban dont
les stèles de pierre sont de véritables planches d'anatomie (on y
voit même une césarienne !), qui donnent à penser que ce site fut
un haut lieu d'initiation à la médecine. C'est le Mexique central :
zone de transition entre les cultures aztèques et celles des Mayas,
au sud.
Palenque,
ruines mayas pleines de grâce que l'on qualifie volontiers
d'orientale, encore enfouies sous les lianes et les plantes
arborescentes de la jungle, où Alberto Ruiz Lhuillier découvrit, en
1952, sous une pyramide de 22 m de haut (le « temple des
Inscriptions »), un personnage mystérieux, « l'Homme au masque de
jade », grand fonctionnaire ou prêtre, prince, ou même, selon
certains, extra-terrestre (on se demande pourquoi !), nul ne sait. Le
Guatemala n'est pas loin de cette cité sacrée près de laquelle, un
peu plus au sud, se trouve un autre site stupéfiant : Bonampak, où
les murs des palais sont ornés de fresques représentant toute la
splendeur de l'empire des Mayas, où leurs descendants, les Indiens
Lacandons, vont encore brûler de l'encens chaque année au terme de
longues marches à travers la forêt vierge, et armés encore de
leurs arcs et flèches à pointe de silex.
Nous
laissons de côté les autres sites mayas du Yucatàn, même Chichen
Itza, ensemble architectural très significatif des connaissances
astronomiques et mathématiques des Mayas. Nous allons plonger vers
le nord, à Chihuahua, car cette ville est un puissant révélateur
du phénomène mexicain moderne.
Ses
mines d'or, d'argent et de cuivre sont célèbres dans le monde
entier. Autour de la ville, les élevages de gros bétail contribuent
à donner l'impression d'être en plein western. Au-delà, c'est le
désert, au nord, et les montagnes, à l'ouest. Chihuahua est l'une
des citadelles de la Révolution mexicaine. La montagne cache des
habitants étranges : des communautés de ménonites, venus du Canada
en chariots au début du siècle, refusent l'électricité — si ce
n'est pour fabriquer leurs fromages ou scier leur bois —, se
marient entre eux et, à force de parler du diable, finissent par lui
ressembler. Un peu plus loin, dans le cœur escarpé de la Barranca
del Cobre, le pays des Indiens Tarahumaras, « plein de signes, de
formes, d'effigies naturelles qui ne semblent point nés du hasard,
comme si les dieux, qu'on sent partout ici, avaient voulu signifier
leurs pouvoirs dans ces étranges signatures » (Antonin Artaud). En
haut, la neige. En bas, au pied de canyons vertigineux, un rio coule
entre une végétation tropicale. Entre les deux, les Tarahumaras,
qui « vivent là comme avant le déluge », sont capables de courir
plusieurs jours d'affilée sur huit cents kilomètres et dont la vie
tourne encore autour du rite érotique du peyotl dont la racine porte
la forme des sexes de l'homme et de la femme rassemblés. Les
Tarahumaras ne descendent à la ville que « pour voir comment les
hommes se sont trompés »...
A vous
maintenant de découvrir les splendeurs telluriques du Mexique
éternel, celui qui, des pyramides du Soleil, vous conduira à boire
l'eau surgie du désert grâce aux mille centrales hydrauliques
fonctionnant à l'énergie solaire dans le cadre du « Plan Tonatiuh
» gouvernemental... Tonatiuh, le dieu Soleil !
Claudine
Brelet-Rueff
Les
Tarahumaras
de
Antonin Artaud
Si,
en 1936, un poète désespéré par l'Europe n'avait cherché, au
prix de difficultés et de souffrances incroyables, à se porter à
la rencontre des Tarahumaras, mangeurs de peyotl, leur nom ne nous
serait pas aussi familier, il ne serait pas devenu ce vocable
évocateur de fabuleux paysages : montagnes peuplées d' "
effigies naturelles " et gravées de signes magiques, ciels qui
auraient inspiré leurs bleus aux peintres d'avant la Renaissance,
cortèges de Rois mages apparaissent à la tombée du jour dans un "
pays construit comme des pays de peinture " ; et, pour beaucoup
d'entre nous, les Tarahumaras ne seraient pas ce peuple fier et
intact, obsédé de philosophie, qui a su maintenir, en des danses
accompagnées de miroirs, de croix, de clochettes ou de râpes, les
grands rites solaires : rite du peyotl au cours duquel un mystérieux
alphabet sort du foie du participant et se répand dans l'espace,
rite des rois de l'Atlantide déjà bien étrangement décrit par
Platon, rite sombre du Tutuguri avec son tympanon lancinant.