mardi, octobre 02, 2012

La crise du capitalisme





Il est indiscutable que le capitalisme est une forme économique d'esclavagisme et il y a des considérations utiles à tirer d'une comparaison entre l'esclavage et le capitalisme ; et j'espère vous le montrer. Précisons tout de suite que cette comparaison n'a de sens que d'un point de vue économique, puisque le capitalisme est un système économique, et que l'esclavage lui-même a connu des justifications économiques. La comparaison ne portera donc pas sur les droits qui sont reconnus à l'esclave ou à l'ouvrier : ces droits sont, dans un cas comme dans l'autre, extrêmement variables, selon les époques et les cultures.

Qu'est-ce que l'esclavage ? C'est la possession d'un homme à qui on est sensé donner nourriture, logis, bien de nécessité et quelques autres en fonction des services rendus et des relations que le maître entretient avec son esclave. Dans l'antiquité, certains s'occupaient même de la formation technique, voire intellectuelle, de leurs esclaves : c'est ainsi que l'esclave Épithète fut formé à la philosophie.

Qu'est-ce que posséder des moyens de productions ? C'est acheter les conditions de travail d'un homme, afin de tirer ensuite profit de son travail.

Dans un cas, on achète un homme et on tire profit de son travail.

Dans l'autre cas, on achète les conditions de possibilité du travail, et donc, dans des conditions ordinaires, de la survie d'un homme, et on tire profit de son travail.

Le but est donc le même : tirer profit du travail d'autrui (ce qui est le propre du capitalisme, puisque son but est d’accroître le capital en faisant les bons investissements).

Le moyen diffère. Mais nous devons souligner qu'il diffère surtout pour ce qui concerne des conditions extérieures au capitalisme et au domaine économique proprement dit. Heureusement, l'employeur n'a pas le droit de châtier corporellement son employé, par exemple, mais cet interdit ne relève pas de la définition même du capitalisme, qui n'a pas toujours eu ces scrupules. Et l'honnêteté oblige à dire que les droits reconnus aux travailleurs ne sont pas assurés par l'idéologie capitaliste, mais par la vigilance de l’État ou par les luttes et la surveillance syndicales.

Aussi bien pourrions-nous imaginer un pays où l'esclavage serait toujours permis, mais où cette pratique aurait été finalement plus "humanisée", par l'imposition de certaines règles de conduites : le maître ne doit pas tuer son esclave, il ne doit même pas le blesser physiquement, ni lui interdire de se marier, etc.. Mais tout le travail de l'esclave restera possession du maître, qui, en retour, lui donnera de quoi vivre.

L'esclave vit ainsi directement sous la dépendance de son maître. L'employé ne vit pas directement sous la dépendance du capitaliste ; il a d'abord l'impression de vivre par son travail. Mais il faut avouer que la différence paraît moins nette. Car, à cause de la relation de dépendance qui existe malgré tout entre le capitaliste et l'employé, c'est au premier qu'apparient d'abord toute la richesse produite. Et ce n'est qu'en un second temps qu'il donne une part de cette richesse à son employé. Et l'on sait que ces dernières décennies la part de richesse reversée au travail n'a cessé de diminuer - ce qui est tout à fait dans la logique du capitalisme.

Nous nous demandons franchement quelle différence fondamentale existe alors entre les deux systèmes du point de vue économique. Dans les deux cas, la somme de travail et surtout la somme de richesse produite est la propriété du maître ou du capitaliste. Et celui-ci en redistribue une part à son esclave ou à son employé.

On me dira : mais tout de même, l'employé peut partir de son entreprise s'il n'est pas content ! L'esclave, lui, ne le peut pas. Certes, mais cette objection prend appui sur une considération qui sort du domaine économique : il ne peut donc servir pour montrer que d'un point de vue économique il y a une différence. En outre, il faut observer que le capitalisme tend naturellement à empêcher la contestation des employés : en favorisant les grands regroupements, il conduit à niveler les conditions de travail, et même à les détériorer si cela permet des profits supplémentaires. Et il ne trouve pas intérêt à investir dans les zones où les exigences sociales sont jugées excessives, et préférera donc s'installer là où les employés seront plus « concurrentiels », c'est-à-dire là où le profit sera meilleur. Dans un environnement de libre échange, les emplois ne pourront donc pas être viables si les employés ne se plient pas à la nécessité d'offrir du profit.

L'employé peut donc certes partir de son entreprise, mais que trouvera-t-il ailleurs ? Rien de mieux, voire pire : le chômage. Il y a donc bien une sorte de chantage, qui n'est plus strictement « travaille pour moi ou meurs », mais qui s'en rapproche étrangement.

Il me semble ainsi que, du point de vue économique, le système capitaliste n'est rien d'autre qu'un système d'esclavage décentré et donc déguisé. Au lieu d'annoncer clairement que l'on possède un homme, on s'arrange pour qu'un homme soit obligé de venir nous offrir son travail. De la sorte, il y a pour lui, en fait, du point de vue économique, les mêmes contraintes et les mêmes résultats.

Sans doute ce rapprochement paraîtra excessif, même après ces explications. Mais je voulais démontré que, pour ce qui concerne la logique économique de fond, il est évident que le capitalisme était idéologiquement parent de l'esclavagisme.

Il est toujours un peu surprenant de constater comment les capitalistes, pour défendre leur position, renvoient leurs adversaires aux crimes du communisme, comme si être anticapitaliste impliquait forcément de revenir à de tels modèles. Il sera tout de même bon, alors, de leur rappeler qu'autrefois le capitalisme a bel et bien été esclavagiste, au sens le plus fort et le plus douloureux du terme. Pourquoi donc n'en ont-ils pas déduit qu'il fallait l'abandonner ?

Chacun sait ou devrait savoir que l'écart au chapitre de la répartition de la richesse dans le monde se creuse de plus en plus. Ce que l'on sait moins cependant, c'est que cet écart se creuse à un rythme effréné au point de noter une accélération quasi exponentielle au cours des dernières années seulement.

Non seulement les nations et corporations les plus riches accroissent-elles sans cesse leur niveau de richesses, mais il en est de même des individus comme tels, en particulier ceux qui, depuis les dix dernières années, détiennent la plus grande part des capitaux sur la planète, dont les Bill Gates et Warren Buffet pour n'en nommer que deux, et non les moindres, sans compter les têtes couronnées, les émirs, les magnats et barons de la finance, toutes espèces confondues, y compris ceux reliés au monde interlope, et tous les autres.

A ce jour les 3 personnes les plus fortunées au monde possèdent une valeur nette supérieure au total du produit international brut (PIB) des 50 nations les plus pauvres, ne s'agissant pas d'une mince affaire si l'on considère que ces dernières représentent pas moins de 25% de l'ensemble de tous les pays.

On rapporte par ailleurs qu'en 1995 le cinquième de la population vivant dans les pays les plus riches avait des revenus de plus de 80 fois supérieurs à ceux du cinquième de la population vivant dans les pays les plus pauvres, écart qui s'est creusé depuis en faveur des plus nantis. [...]

Il appert également que le 1/3 des habitants de la planète souffrent de problèmes reliés de près ou de loin à l'anémie découlant notamment de la malnutrition et de la sous-alimentation chronique et que plus de 38 millions de personnes meurent de faim annuellement, sans compter une recrudescence sans précédent, ces dernières années, des maladies contagieuses dans les pays en voie de développement alors qu'on est censé disposer de tous les médicaments nécessaires pour les enrayer ; encore faut-il être en mesure de se les procurer !

Bien sûr, ces chiffres ne tiennent pas compte de toutes les carences, autres que celles dues au manque essentiel de nutrition, dont souffrent la grande majorité des habitants de la planète et principalement ceux vivant dans les pays en voie de développement, comme celles en matière d'hygiène, de soins de santé et de services sociaux, de même que celles au chapitre de l'éducation et de l'instruction.

Dire que moins de 5% de la richesse se trouvant actuellement entre les mains des individus les plus fortunés de la planète, soit moins de 20 milliards de dollars canadiens, suffirait à assurer les besoins essentiels aux plus démunis, l'équivalent en fait ce que les américains et les européens réunis consomment annuellement en eaux parfumées de toutes sortes.

Dans les fait, nous disposons de toutes les ressources nécessaires pour nourrir tous les habitants de la planète sauf que pour différentes raisons, et pas toujours pour celles qui sont mises de l'avant dans les médias, ces ressources et la richesse qui la sous-tend sont mal réparties.

Nous sommes rarement informés, pour ne pas dire jamais, des vraies raisons pour lesquelles il en est ainsi et notamment du pourquoi du problème de la faim à une si grande échelle. Certaines personnes ayant autorité en la matière comme le prix Nobel d'économie, le professeur Amartya Sen, le sociologue René Dumont et le professeur Michel Chossudovsky, ont déjà fait part de leurs vues assez particulières sur le sujet mais celles-ci ne reçoivent aucun d'écho, surtout pas dans les médias dont on peut penser, du seul fait de leur appartenance, pour la plupart, à des groupes et syndicats financiers à la fois très puissants et très influents, qu'ils n'ont pas nécessairement intérêt à ce que trop de gens soient valablement informés. Le plus souvent, tout ce dont on nous informera sur le sujet, c'est qu'un cataclysme naturel quelconque, comme une inondation ou une sécheresse par exemple, serait à l'origine du phénomène, rien de plus.

Combien savent par exemple qu'au fil du temps la faim est devenue une arme politique de plus en plus utilisée, et surtout de plus en plus sophistiquée, et que mises à part les famines provoquées par les catastrophes naturelles celles-ci ne sont jamais gratuites ?

Pour paraphraser les coauteurs de Géopolitique de la faim, ce ne sont plus les peuples ennemis et ceux à conquérir que l'on affame, mais bien les propres populations de ces nations dont les dirigeants peu scrupuleux veulent tirer profit de la manne provenant de tous ces conflits, ethniques et autres, de plus en plus nombreux, qui sont mis en évidence par les couvertures médiatiques et qui entraînent le déchaînement de la compassion internationale, source quasi intarissable d'argent, de nourriture et de tribunes publiques pour exposer leurs revendications.

A titre d'exemple, des pays comme la Somalie, le Soudan, le Liberia, la Corée du Nord, la Birmanie, l'Afghanistan et le Sierra Leone sont menés par des dictateurs et chefs de guerre qui tiennent lieu d'hommes d'état, lesquels, dans le but bien arrêté d'atteindre coûte que coûte leurs objectifs politiques, prennent littéralement en otage leur propre population et n'hésitent pas à prendre tous les moyens à leur disposition pour mener celle-ci au doigt et à l'œil, bien souvent avec l'aide et le concours des plus hautes autorités et instances et de puissants syndicats financiers.

Il ne faut pas oublier par ailleurs les cas du Pérou et du Brésil, et puis celui du Rwanda où encore dernièrement des commandes étaient données pour l'achat de milliers de machettes, de houes et de pieux destinés à mieux pouvoir mâter la population récalcitrante.

Le cas plus récent du Sierra Leone ne peut par ailleurs être passé sous silence lorsque l'on voit jusqu'à quel point les dirigeants du parti au pouvoir et le seul, incidemment, à être officiellement autorisé, le Rebel United Front, sont prêts à aller pour mener à bien leur campagne de terreur contre les populations locales, allant même pour ce faire jusqu'à amputer à la machette les mains des paysans pour s'assurer qu'ils ne pourront plus jamais cultiver, les premiers effets visés par la mesure étant le rapatriement des terres entre les mains d'un nombre limité de personnes et une flambée du prix de base des denrées céréalières au niveau international, s'assurant ainsi de prix d'exportation plus avantageux. [...]

Déréglementation des marchés, décomposition des économies locales, contrôle de la masse monétaire et dévaluation éhontée des monnaies des pays en difficulté, concentration des terres entre les mains de groupes restreints, détournements de fonds, manipulations des données et chiffres officiels, libéralisation truquée des systèmes bancaire et monétaire, mainmise sur le bien public, malversations et magouilles de toutes sortes, établissement et maintien en place par tous les moyens de gouvernements fantoches et même fantômes, dont les dictatures réelles et les démocraties autoritaires, de manière à pouvoir surveiller de près ses intérêts, contrôle du peuple par la base, à commencer par le ventre, en les coupant d'abord de leurs terres et en leur enlevant tout pouvoir d'achat, interventions souvent subtiles pour instaurer un climat de méfiance à l'intérieur du pays visé et pour fomenter les guerres internes, toutes espèces confondues, instillation subtile de tous les ingrédients nécessaires pour s'assurer du contrôle sur les prix et les mouvements des matières premières du pays visé, allant même pour ce faire jusqu'à s'assurer que toutes les conditions soient réunies pour qu'il y ait famine lorsque jugé nécessaire, autant de facettes dont usent les Grands de ce monde et leurs alliés en l'occurrence pour s'assurer du plein contrôle des richesses d'un pays donné, le plus souvent avec la bénédiction de leurs collaborateurs d'appoint qu'ils manipulent comme de vulgaires marionnettes, dont le Fonds monétaire international et la Banque mondiale qui invoqueront pour leur part de faux prétextes pour soutenir leur intervention, comme le fait qu'ils sont là précisément dans le but d'aider les pays en difficulté à s'acquitter de leurs dettes envers les grandes puissances, sans oublier l'intervention en coulisses des services secrets et autres organisations dites d'intelligence également à la solde des puissants de ce monde.

Pour le moment, rien, absolument rien ne semble pouvoir arrêter cette marche incessante et sans merci vers une totale concentration du pouvoir et de la richesse. De quoi rester sur sa faim !

La désillusion est grande pour n'importe quel citoyen lorsqu'il prend conscience qu'il n'y a pas d'égalité des chances. Elle est encore plus grande quand il constate qu'il n'a jamais vraiment vécu en démocratie. De l'illusion à la désillusion il n'y a qu'un pas !

Le rêve d’une démocratie parfaite où il ferait bon vivre heureux et épanoui dans la société est certainement une image qui parcourt l’esprit de tous ceux épris de justice. Or aujourd’hui la démocratie est bien souvent vécue comme une désillusion. À chaque élection, les masses médias nous rabâchent que ce qui risque d’être le facteur déterminant serait le taux d’abstention. Lequel pourrait certainement être bien moins important si le vote blanc n’était pas relégué au rang d’un vote nul. Car celui-ci est porteur de beaucoup de sens politique dans les choix des candidats offert à la mandature par les partis politiques. Cependant l’abstention ne veut pas dire désintéressement de nos concitoyens de la chose politique mais est plutôt le signe pour Pierre Rosanvallon d’un « désenchantement démocratique » qui « dérive d’un idéal de fusion entre gouvernés et gouvernants ». De surcroît, les projets des deux partis majoritaires, censés motiver l’acte de votation et nous représenter, convainquent de moins en moins. Les autres partis hormis certains extrêmes sont souvent porteurs de renouveau démocratique, mais ne possèdent pas les clés d’entrées aux masses médias, dont les portes sont verrouillées par l’univers de l’argent, les instituts de sondage, les outils médiatiques financés par l’armement et l’industrie plus généralement.

En Europe, ces désillusions ont leur fondement dans les années Mitterrand. Élu grâce à une vision socialiste de la société, ces années ont permis à ses gouvernements d’installer paradoxalement la philosophie néolibérale qui n’est autre qu’antisociale et antisolidaire, donc en totale opposition aux aspirations d’une majorité qui l’a porté au pouvoir. Ce néolibéralisme, à la recherche de toujours moins d’État, de déréglementation et toujours plus de contrôle des populations (fichier policier, fichage ADN, mise en garde à vue abusive (devenu anticonstitutionnelle en Juillet 2010), plan vigipirate), c’est vu renforcé par les années Chirac et atteint aujourd’hui une apothéose grâce à la crise financières de 2008 et à des dirigeants politiques qui renouent avec des valeurs et des actes qui ont par le passé soit failli nous faire basculer dans un gouvernement totalitaire (exemple de la période en amont de la Grande Guerre et au cours des années 30) soit nous y ont conduit sous le gouvernement de Vichy, au cours de la période d’occupation de la Seconde Guerre Mondiale. Cette attitude décomplexée vis à vis de ces années noires pour notre histoire contemporaine relève d’individus trop jeunes pour avoir vécu la honte que cela a représenté à l’issue de cette guerre.

Aujourd’hui la relative désaffection des urnes est certainement plus due à une conséquence de la perte de confiance envers ce système représentatif qui n’est plus suffisant du point de vue organisationnel et à la perte de légitimité de nos représentants élus qui font souvent défaut dans leur impartialité, leur réflexivité sur l’état et le devenir de la société et leur manque de proximité avec le citoyen.

Il en résulte certes un sentiment de confiscation du pouvoir au peuple au profit de celui de groupes de pression (lobbies) qui au mieux orientent les décisions politiques et les lois, au pire détournent les richesses produites par les biens communs au profit de l’enrichissement de particuliers, de groupes d’individus, d’entités économiques dont leurs activités ne seraient plus régulées par le pouvoir politique mais par une « main invisible» du marché.

Ainsi, comme le souligne Pierre Rosanvallon, cette relative désaffection n’est pas synonyme de dépolitisation et de passivité de notre société qui fait preuve au contraire de réactivité, d’inventivité et de propositions dans un mouvement général de contre-démocratie disséminé dans la société. Un accroissement du pouvoir social en gestation, actuellement incanalisable, faussement interprété par les instituts de sondages qui s’affichent comme un outil scientifique pour faire croire à la pertinence de leurs analyses.

La sortie de ce marasme ambiant et l’avenir de la contre-démocratie passerait d’après Yves Sintomer, par l’élévation du niveau de notre démocratie par plus de pouvoir au peuple qui permettrait plus de participation aux décisions, aux contrôles et la validation des choix de nos représentants élus et institutions administratives.

Des tentatives sont actuellement expérimentées par des équipes politiques locales autour des budgets participatifs, les comités de quartiers, les comités de quartier, sans pour autant donner les moyens aux citoyens de réellement participer, contrôler, valider les projets.

Cependant pour le développement et la réussite de ceux-ci, je pense que les mouvements associatifs, les personnes riches de propositions, doivent apprendre à adopter les techniques de la communication douce. Il est certainement plus primordial d’engager des évolutions avec les politiques et les responsables de l’administration pour créer des univers de confiance plutôt que d’imaginer une quelconque révolution qui comme le mot l’indique conduit à des situations où on finit par se retrouver au point de départ. S’engager à adopter une stratégie de communication douce permettra à mon sens d’engager cette évolution collective grâce à notre évolution individuelle. La démarche d’individuation que nous observons aujourd’hui par la montée en puissance de l’individualisme, entraîne certes la volonté de défendre son point de vue, ses envies etc. mais oblige en contre partie à apprendre à écouter l’Autre. Cela nécessite donc beaucoup de remises en question de notre manière d’Être en groupe. Sans cela, sans une démarche de coconstruction des projets communautaires avec pour objectif la recherche du consensus il serait difficile d’entrevoir une quelconque élévation de nos démocraties, quand bien même les outils fussent-il mis à notre disposition.

La société est particulièrement injuste, c’est le moins que l’on puisse dire. Et bien peu de gens se soucient d'y remédier trop absorbés par les profits mirobolants qu’engrangent les marchés financiers.

Contrairement à une légende savamment entretenue pour justifier les multiples plans d'austérité, le capitalisme n'est pas en train de s'assainir. La bourgeoisie veut nous faire croire qu'il faut aujourd'hui payer pour les folies de ces dernières années afin de repartir sur des bases assainies. Rien n'est plus faux, l'endettement est encore le seul moyen dont dispose le capitalisme pour repousser les échéances de l'explosion de ses propres contradictions... et il ne s'en prive pas, contraint qu'il est de poursuivre sa fuite en avant. En effet, la croissance de l'endettement est là pour pallier à une demande devenue historiquement insuffisante depuis la première guerre mondiale. La conquête entière de la planète au tournant de ce siècle représente le moment à partir duquel le système capitaliste est en permanence confronté à une insuffisance de débouchés solvables pour assurer son « bon » fonctionnement. Régulièrement confronté à l'incapacité d'écouler sa production, le capitalisme s'autodétruit dans des conflits généralisés. Ainsi, le capitalisme survit dans une spirale infernale et grandissante de crises (1912-1914 ; 1929-1939 ; 1968-aujourd'hui), guerres (1914-1918 ; 1939-1945) et reconstructions (1920-1928 ; 1946-1968). Aujourd'hui, la baisse du taux de profit et la concurrence effrénée que se livrent les principales puissances économiques poussent à une productivité accrue qui ne fait qu'accroître la masse de produits à réaliser sur le marché. Cependant, ces derniers ne peuvent être considérés comme marchandises représentant une certaine valeur que s'il y a eu vente. Or, le capitalisme ne crée pas ses propres débouchés spontanément, il ne suffit pas de produire pour pouvoir vendre. Tant que les produits ne sont pas vendus, le travail reste incorporé à ces derniers ; ce n'est que lorsque la production a socialement été reconnue utile par la vente que les produits peuvent être considérés comme des marchandises et que le travail qu'ils incorporent se transforme en valeur.

L'endettement n'est donc pas un choix, une politique économique que les dirigeants de ce monde pourraient suivre ou non. C'est une contrainte, une nécessité inscrite dans le fonctionnement et les contradictions même du système capitaliste. Voilà pourquoi l'endettement de tous les agents économiques n'a fait que se développer au cours du temps et particulièrement ces dernières années. Voilà pourquoi aussi la pauvreté ne cesse de s’accroître et pas seulement dans les pays pauvres mais chez nous également.

Les idéologues du capital ne voient la crise au niveau de la spéculation que pour mieux la cacher au niveau réel. Ils croient et font croire que les difficultés au niveau de la production (chômage, surproduction, endettement, etc.) sont le produit des excès spéculatifs alors qu'en dernière instance, s'il y a « folie spéculative », « déstabilisation financière », c'est parce qu'il y avait déjà des difficultés réelles. La « folie » que les différents « observateurs critiques » constatent au niveau financier mondial n'est pas le produit de quelques dérapages de spéculateurs avides de profits immédiats. Cette folie n'est que la manifestation d'une réalité beaucoup plus profonde et tragique : la décadence
avancée, la décomposition du mode de production capitaliste, incapable de dépasser ses contradictions fondamentales et empoisonné par l'utilisation de plus en plus massive de manipulations de ses propres lois depuis bientôt près de trois décennies.

Le capitalisme n'est plus un système conquérant, s'étendant inexorablement, pénétrant tous les secteurs des sociétés et toutes les régions de la planète. Le capitalisme a perdu la légitimité qu'il avait pu acquérir en apparaissant comme un facteur de progrès universel. Aujourd'hui, son triomphe apparent, repose sur un déni de progrès pour l'ensemble de l'humanité. Le système capitaliste est de plus en plus brutalement confronté à ses propres contradictions insurmontables.

Nolan Romy

lundi, octobre 01, 2012

La synarchie



Les députés de gauche trahiront leurs électeurs en votant pour le traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. 

Les élus socialistes français sont-ils aux ordres de la « nouvelle synarchie » mondiale qui entend soumettre les peuples européens ?

Synarchie et socialisme virant au fascisme


Avant la seconde guerre mondiale, le noyau des « Deux Cents Familles » (les 200 plus gros actionnaires de la Banque de France) formait la synarchie, une « loge » de grands banquiers et industriels.

« La synarchie avait financé la scission « néo » de la SFIO (Marcel Déat, Adrien Marquet, etc.), en préparation depuis la fin de la décennie 1920 et devenue officielle en juillet 1933. Ce contact avec des socialistes virant au fascisme offrit le lien idéal avec les cégétistes - tous membres de la SFIO - tentés par la même évolution et séduits par le « Plan », dit « plan de la CGT », mais né hors des milieux syndicaux... »
Lire la suite : http://www.xn--lecanardrpublicain-jwb.net/spip.php?article593

L'historienne Annie Lacroix-Riz (vidéo ci-dessus) défend la thèse du complot synarchique : des banquiers, patrons, militaires, politiciens et syndicalistes trahirent la France en 1940.

De nos jours, un nouveau pouvoir synarchique, constitué de patrons de multinationales, de grands financiers, de politiciens corrompus..., gouverne-t-il l'Europe avec la complicité des élus européens et des socialistes français qui s'apprêtent à voter pour le traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ?

Papus, occultiste démagogue, s'efforce de convaincre ses lecteurs de la supériorité de la synarchie sur la démocratie (l'« indolence ») et l'anarchie (le « désordre ») dans « Anarchie, indolence et synarchie », texte publié en 1894, au moment de la vague des attentats anarchistes et au moment où la revue symboliste « Entretiens politiques et littéraires » donnait la recette de la fabrication des bombes !

« Anarchie, indolence et synarchie » est dans le n° 4 de « L'Initiation » (1969, dernier trimestre), le bulletin de l'Ordre Martiniste, une société secrète para-maçonnique fondée par Papus, alias Gérard Encausse (1865-1916), et Augustin Chaboseau.


Anarchie, indolence et synarchie 

Après avoir passé près de vingt années à l'étude approfondie de l'histoire, un chercheur contemporain, le marquis de Saint-Yves d'Alveydre établit l'existence d'une loi d'organisation des sociétés telle que les peuples qui avaient mis cette loi en application avaient vu leur gouvernement durer des siècles, tandis qu'au contraire ceux qui avaient perdu la notion de cette loi ne tardaient pas à se troubler plus ou moins profondément. De là le nom de synthèse du gouvernement ou Synarchie donné à cette loi d'organisation sociale.

Avant tout, qu'il nous soit permis de bien différencier les recherches de M. de Saint-Yves d'avec les conceptions plus ou moins utopiques des socialistes contemporains. La Synarchie a été appliquée pendant des siècles à l'humanité et fonctionne encore avec peu de modifications en Chine (dans la Chine de la fin du 19ème siècle). Ce n'est donc pas un rêve, ni une invention destinée à faire ses preuves ; c'est une réalité dont on peut tenir plus ou moins compte, mais qui n'en existe pas moins.

La Synarchie est la loi de vitalité existant aussi bien dans l'organisme social que dans l'organisme humain et, à la rigueur, tout chercheur peut découvrir cette loi en appliquant à la société les principes de physiologie qui dirigent l'organisme humain, considéré comme le plus évolué des organismes animaux.

Après avoir consacré plusieurs ouvrages à la vérification de cette loi dans l'histoire : la Mission des Juifs exposant l'histoire universelle, la Mission des Souverains, l'histoire de l'Europe, la Mission des Français, l'histoire de France M. de Saint-Yves a fait tous ses efforts pour montrer comment, par simple décret, on pouvait appliquer cette loi à notre société actuelle. Il y a donc loin de là à la révolution pacifique ou violente prêchée par les socialistes et à la destruction des rouages sociaux prêchée par les anarchistes.

Efforçons-nous donc tout d'abord de résumer de notre mieux cette synarchie.

Ce qui frappe en premier lieu le chercheur dans les ouvrages de notre auteur, c'est la généralité de ces principes qui sont ici appliqués uniquement au social. Nous pouvons affirmer sans crainte d'être contredit que Saint-Yves d'Alveydre a trouvé la physiologie de l'Humanité ; bien plus, qu'il a déterminé la loi de relation des divers groupes de l'humanité entre eux.

C'est l'Analogie qui a guidé partout les investigations de cet auteur, et pour le prouver nous allons exposer son idée de la Synarchie uniquement par la physiologie humaine. Ayant poussé particulièrement nos recherches vers ce point, il nous sera d'autant plus facile de l'exposer au lecteur. (Papus était médecin)

Tout est analogue dans l'Univers ; la loi qui dirige une cellule de l'homme doit scientifiquement diriger cet homme ; la loi qui dirige un homme doit scientifiquement diriger une collectivité humaine, une nation, une race.

Étudions donc rapidement la constitution physiologique d'un homme. Point n'est besoin pour cela d'entrer dans de grands détails et nos déductions seront d'autant plus vraies qu'elles s'appuieront sur des données plus généralement admises.

L'homme mange, l'homme vit, l'homme pense.

Il mange et se nourrit grâce à son estomac, il vit grâce à son cœur, il pense grâce à son cerveau.

Ses organes digestifs sont chargés de diriger l'économie de la machine, de remplacer les pertes par de la nourriture et de mettre en réserve les excédents à l'occasion.

Ses organes circulatoires sont chargés de porter partout la force nécessaire à la marche de la machine, de même que les organes digestifs fournissent la matière. Ce qui a la force, c'est un pouvoir, les organes circulatoires exercent donc le pouvoir dans la machine humaine.

Enfin les organes nerveux de l'homme dirigent tout cela. Par l'intermédiaire du grand sympathique inconscient marchent les organes digestifs et circulatoires ; par l'intermédiaire du système nerveux conscient, les organes locomoteurs. Les organes nerveux représentent l'Autorité.

Économie, Pouvoir, Autorité : voilà le résumé des trois grandes fonctions renfermées dans l'homme physiologique.

Quelle est la relation de ces trois principes entre eux ?

Tant que le ventre reçoit la nourriture nécessaire, l'économie fonctionne bien. Si le cerveau, de propos délibéré, veut restreindre la nourriture, l'estomac crie : « J'ai faim, ordonne aux membres de me donner la nourriture nécessaire. » Si le cerveau résiste, l'estomac cause la ruine de tout l'organisme et par lui-même celle du cerveau ; l'homme meurt de faim.

Tant que les poumons respirent à l'aise, un sang vivificateur, c'est-à-dire puissant, circule dans l'organisme. Si le cerveau refuse de faire marcher les poumons ou les conduit dans un milieu malsain, ceux-ci préviennent le cerveau de leur besoin par l'angoisse qui peut se traduire : Donne-nous de l'air pur, si tu veux que nous fassions marcher la machine. Si le cerveau n'a plus assez d'autorité pour le faire, les jambes ne lui obéissent plus, elles sont trop faibles, tout s'écroule et l'homme meurt d'asphyxie.

Nous pourrions pousser cette étude plus loin, mais nous pensons qu'elle suffit à montrer au lecteur le jeu des trois grandes puissances : Économie, Pouvoir, Autorité, dans l'organisme humain.

Retrouvons maintenant ces grandes divisions dans la société.

Réunissez en un groupe toute la richesse d'un pays avec tous ses moyens d'action, agriculture, commerce, industrie, vous aurez le ventre de ce pays, constituant la source de son ÉCONOMIE.

Réunissez en un groupe toute l'armée, tous les magistrats d'un pays, vous aurez la poitrine de ce pays, constituant la source de son POUVOIR.

Réunissez en un groupe tous les professeurs, tout les savants, tous les membres de tous les cultes, tous les littérateurs d'un pays, vous aurez le cerveau de ce pays, constituant la source de son AUTORITÉ.

Voulez-vous maintenant découvrir le rapport scientifique de ces groupes entre eux, dites :

VENTRE = ÉCONOMIE = ÉCONOMIQUE
POITRINE = POUVOIR = JURIDIQUE
TÊTE = AUTORITÉ = ENSEIGNANT

et établissez les rapports physiologiques.

Qu'arrivera-t-il si, dans un État, l'Autorité refuse de donner satisfaction aux justes réclamations des gouvernés ?

Établissez cela analogiquement, et dites : Qu'arrivera-t-il si, dans un organisme, le cerveau refuse de donner satisfaction aux justes réclamations de l'estomac ?

La réponse est facile à prévoir. L'estomac fera souffrir le cerveau et finalement l'homme mourra.

Les gouvernés feront souffrir les gouvernants et finalement la nation périra.

La loi est fatale.

Ainsi dans la physiologie de la société comme dans celle de l'homme individuel, il existe un double courant :

- 1° Courant des gouvernants aux gouvernés, analogue au courant du système nerveux ganglionnaire aux organes viscéraux ;

- 2° Courant réactionnel des gouvernés aux gouvernants, analogue au courant des fonctions viscérales aux fonctions nerveuses.

Les pouvoirs Enseignant, Juridique, Économique, constituent le second courant.

Le premier est formé par les pouvoirs Législatif, Judiciaire, Exécutif.

Tels sont les deux pôles, les deux plateaux de la balance synarchique.

Nous avons choisi cette façon d'exposer le système de M. Saint-Yves d'Alveydre afin de mieux faire sentir à tous son caractère dominant : une analogie toujours strictement observée avec les manifestations de la vie dans la nature.

Tel est et sera toujours le cachet d'une création se rattachant au véritable ésotérisme ; tout système social ne suivant pas analogiquement les évolutions naturelles est un rêve et rien de plus.

On voit que, somme toute, la découverte mise à jour dans les Missions est celle de la loi des gouvernés Enseignant, Juridique, Économique ; car la loi des gouvernants Législatif, Judiciaire, Exécutif est connue depuis bien longtemps, transmise par le monde païen.

Déterminer scientifiquement l'existence et la loi de la vie organique d'un peuple ; déterminer de même la vie de relation de peuple à peuple et de race à race : tels sont les problèmes étudiés dans les ouvrages de Saint-Yves d'Alveydre. Partout la vie doit suivre des lois analogues ; aussi, pour ne parler qu'en passant de la vie de relation des peuples européens entre eux, il ne faut pas être grand clerc pour voir son organisation antinaturelle. Représentez-vous, en effet, des individus agissant entre eux comme le font les grandes puissances ? Combien de temps resteraient-ils sans aller à Mazas ? La loi qui règle aujourd'hui les relations de peuple à peuple c'est celle des brigands, toujours armés, toujours prêts à s'allier pour tomber sur le plus faible et se partager sa fortune. Quel exemple pour les citoyens !

C'est pourquoi le chercheur peut scientifiquement parler à tous les peuples et leur dire : « Changez vos rois, changez vos gouvernements, vous ne ferez rien qu'aggraver vos maux. Ceux-ci viennent non pas de la forme gouvernementale, mais bien de la Loi qui la constitue. Appliquez la loi de la nature et l'avenir s'ouvrira radieux pour vous et vos enfants »
Papus

Télécharger gratuitement « Anarchie, indolence et synarchie » :
http://www.propheticmystic.com/Teachings/Martinism/papus%20Anarchie%20indolence%20synarchie.pdf



Bulletin de l'Ordre Martiniste
« Anarchie, indolence et synarchie »


dimanche, septembre 30, 2012

L'Étoile de la Rédemption




En 1982, lorsque L'Étoile de la Rédemption fut publié aux Éditions du Seuil (grâce à Olivier Mongin, qui dirigeait alors la collection Esprit) dans la magnifique traduction d'Alexandre Derczanski et Jean-Louis Schlegel, le livre fut salué comme marquant la découverte d'un grand philosophe jusque-là inconnu en France. Annonçant la prochaine sortie du livre, ainsi que celle du commentaire qui l'accompagnait , la revue Le Débat avait présenté L'Étoile de la Rédemption comme « l'un des ouvrages philosophiques les plus importants de notre époque », et comme « le dernier grand livre peut-être, porté par une inspiration religieuse ».

Paru en Allemagne six ans avant L'Être et le Temps, l'ouvrage de Rosenzweig anticipait, par beaucoup de ses thèmes, certaines des idées centrales du livre de Heidegger. Emmanuel Levinas s'en était inspiré dans Totalité et Infini, dont l'introduction rendait un hommage appuyé à Franz Rosenzweig et à L'Étoile de la Rédemption. Cette redécouverte de Rosenzweig en France marquait, en effet, la fin d'une longue éclipse. Lors de sa parution en 1921, L'Étoile de la Rédemption était passé presque inaperçu. Seul le jeune Gershom Scholem (il était âgé alors de 23 ans) avait compris d'emblée l'importance de cette œuvre, et en avait instamment recommandé la lecture à son ami Walter Benjamin, qui en avait été d'ailleurs profondément marqué. Mais l'Allemagne des années 20 avait d'autres soucis. Dans une Allemagne ruinée par la défaite, bouleversée par l'écroulement du régime impérial, menacée par l'anarchie et la Révolution, voici qu'un livre entreprenait d'élaborer une vaste construction spéculative qui, tout en se présentant comme universelle, se réclamait de certaines des catégories fondamentales de la pensée juive.

En 1929, Rosenzweig mourut ignoré par ses contemporains. Quatre ans plus tard, l'avènement du nazisme allait marquer la fin du judaïsme allemand, qui, de Moses Mendelssohn à Martin Buber, en passant par Heine et Kafka, Marx et Freud, Einstein et Schönberg, avait apporté à la civilisation de l'Europe moderne une contribution si exceptionnelle. Du même coup, l'œuvre de Rosenzweig allait être pratiquement oubliée, sauf par quelques initiés.

L'Étoile de la Rédemption porte clairement la marque de l'époque qui l'a vu naître. Conçu entre 1917 et 1918 dans les tranchées des Balkans, où Rosenzweig servait dans les rangs du corps expéditionnaire allemand, rédigé en six mois, de juillet 1918 à février 1919, le livre (comme le Tractatus de Wittgenstein, écrit à la même époque et dans des conditions comparables) a comme toile de fond l'écroulement, dans le feu et dans le sang, de l'Europe traditionnelle et des valeurs qu'elle incarne. Quelques mois auparavant, Rosenzweig avait publié, sept ans après l'avoir terminée, sa thèse de doctorat, Hegel et l'État, dans laquelle il reconstruisait minutieusement la genèse et les différentes étapes de la pensée politique de Hegel. Mais dans l'intervalle sa vision du monde, et en particulier son attitude vis-à-vis de Hegel, avaient radicalement changé. Ce qui l'avait amené à rompre brutalement, non seulement avec la pensée politique de Hegel, mais surtout avec sa philosophie de l'histoire et avec la métaphysique qui la sous-tendait, avait été l'expérience directe de la guerre.

Comme beaucoup d'hommes de sa génération, Rosenzweig avait vécu la guerre de 1914-1918 comme une catastrophe historique sans précédent, comme l'écroulement d'un ordre séculaire où s'attestait la stabilité d'une civilisation européenne, qui, par-delà guerres et révolutions, avait su garantir un minimum d'équilibre politique entre les nations, une apparence de paix civile dans la société, et où l'homme semblait occuper sa place naturelle dans l'harmonie générale du monde. Mais de ce sentiment largement partagé, Rosenzweig avait tiré une leçon philosophique de portée universelle. Pour lui, les champs de bataille de 1914-1918 ne marquent pas seulement la fin d'un ordre politique ancien, mais la ruine de toute une civilisation fondée, depuis les Grecs, sur la croyance en la capacité de la pensée de mettre en lumière la rationalité ultime du réel. Toute la tradition philosophique occidentale se résume dans l'affirmation selon laquelle le monde est intelligible, qu'il est en fin de compte transparent à la raison, et que l'homme lui-même n'acquiert sa dignité que dans la mesure où il fait partie de cet ordre rationnel.

Or, pour Rosenzweig, ce sont précisément ces présuppositions que la guerre de 1914-1918 est venue désavouer à jamais devant le spectacle du carnage insensé auquel se livrent les nations européennes — celles-là mêmes qui avaient inventé l'idéal philosophique d'un monde régi par le Logos il n'est plus possible d'affirmer que le réel est rationnel, ou qu'à la lumière de la Raison le chaos originel se transforme nécessairement en un cosmos intelligible.

D'un autre côté, l'individu, censé s'épanouir comme sujet autonome dans un monde réglé par la Raison, devient, dans la logique meurtrière instaurée par la guerre, un simple objet de l'histoire, quantité négligeable, numéro matricule sans visage, emporté malgré lui, avec des millions d'autres, dans le tourbillon des batailles. Or, dans sa Philosophie du droit. Hegel avait soutenu l'idée que tous les « peuples historiques » avaient été, chacun à son tour, investis par l'Esprit universel (Weltgeist) de la mission de faire progresser la Raison dans l'histoire et que cette mission les autorisait, pour la durée de leur domination, à régenter le monde selon leur bon vouloir. Rosenzweig avait décelé dans cette thèse, inspirée à Hegel par le spectacle des guerres napoléoniennes, la source philosophique du nationalisme moderne. Depuis la Révolution française, avait-il écrit dès 1916, tous les peuples occidentaux se pensent, de manière plus ou moins consciente, comme porteurs d'une mission universelle. C'est pourquoi il avait déchiffré la guerre de 1914-1918 comme un affrontement de nationalismes à caractère messianique. Aux yeux de Rosenzweig, l'expérience de la guerre avait été décisive, non pas parce qu'elle réfutait la philosophie de l'histoire de Hegel, mais au contraire parce qu'elle en confirmait la tragique vérité. « Hegel pris au mot » : telle était pour lui la clef de cette guerre où se révélait la logique secrète de l'histoire de l'Europe moderne. Dans la Philosophie du droit, Hegel avait soutenu l'idée que la civilisation européenne (qu'il dénomme « civilisation germanique ») représente l'accomplissement suprême de l'histoire universelle. En poussant cette idée jusqu'à sa conséquence logique, ne faut-il pas dire alors que l'écroulement, dans le feu et le sang, de l'Europe des États nationaux signifie en même temps la faillite de l'histoire universelle elle-même ? Telle est en tout cas l'une des affirmations centrales de L'Étoile de la Rédemption : l'histoire de l'Occident, qui est elle-même le dernier avatar de l'histoire universelle, repose nécessairement sur la violence et la guerre.

Le refus radical de l'histoire représente un des aspects centraux, et certainement les plus étonnants, de la pensée de Rosenzweig. On peut en distinguer deux autres, très différents en apparence, bien qu'en réalité ils finissent par s'articuler parfaitement les uns aux autres dans la logique interne de sa pensée : d'une part, une critique radicale de toute la philosophie occidentale, « de l'Ionie jusqu'à Iéna », et de son projet central, qui est de penser l'Être, c'est-à-dire d'englober la totalité du réel dans le système de la Raison ; d'autre part — et peut-être avant tout — le caractère spontanément religieux de sa vision du monde. Pour Rosenzweig, la guerre de 1914-1918 avait définitivement condamné la thèse centrale de toute la tradition philosophique occidentale, celle de l'identité fondamentale de l'Être et de la Pensée. Contre cette thèse, qui culmine dans l'idéalisme allemand, Rosenzweig se réfère à un autre système de représentations qui, parce qu'il lui paraît plus spontanément enraciné dans le concret de l'expérience, rend compte plus fidèlement que la philosophie classique de la réalité de l'homme et du monde : celui de la pensée religieuse, telle qu'elle s'était exprimée d'abord dans la vision du monde de l'Antiquité grecque, puis dans les catégories du judaïsme et du christianisme.

Ce qui, pour Rosenzweig, caractérise la philosophie occidentale, c'est qu'elle a toujours aspiré à rendre compte de la totalité du réel. Or, cette vision de la réalité comme Totalité, qui prétend libérer l'homme en le soumettant à un ordre raisonnable. l'enferme en réalité dans un système de lois anonymes, indifférentes à son destin personnel. La critique de la Totalité trouve sa source, chez Rosenzweig, dans le sentiment aigu que l'homme éprouve de son existence de sujet, existence qu'aucun système ne pourra jamais absorber. Cette évidence se dévoile à lui à travers deux expériences qui sont toutes deux de nature religieuse : l'angoisse devant la mort, dans la mesure où l'homme y prend conscience de sa finitude essentielle, et l'expérience personnelle de la Révélation, où il se découvre dépendant d'une altérité absolue qui le dépasse infiniment.

L'Étoile de la Rédemption s'ouvre par l'évocation de la première de ces deux expériences, alors que la description de la seconde forme le cœur du chapitre central du livre. Sur l'horizon de la guerre, le cri d'angoisse de l'individu devant la menace de la mort imminente exprime à la fois sa révolte devant la violence qui lui est faite — et qui, dans ce cas précis, est la violence de l'histoire —, et l'affirmation d'une évidence élémentaire, celle de son irréductible existence de sujet. C'est au moment où l'individu — défini comme simple partie d'un Tout — est menacé d'anéantissement, que le sujet en lui s'éveille à la pleine conscience de son unicité. Ce renversement paradoxal, par lequel la conscience fulgurante de sa condition mortelle révèle soudain à l'homme la réalité irréfutable de son existence personnelle, représente à la fois l'expérience originelle dont la philosophie de Rosenzweig est issue, et la figure de rhétorique qui sous-tend en permanence le déploiement de sa pensée. Celle-ci aboutira, à la fin de la troisième et dernière partie du livre, à une théorie de la vérité par laquelle la construction du système s'achève.

Dans cette théorie de la vérité se dévoile ce qui fait l'essentiel de la pensée religieuse de Rosenzweig, à savoir le parallélisme rigoureux entre le judaïsme et le christianisme, comme les deux paradigmes les plus accomplis de la Révélation. Pour Rosenzweig, l'essence du fait religieux renvoie moins à une attitude subjective qu'a la réalité quasi ethnologique d'un ordre spécifique, celui du sacré. Celui-ci est constitué par un temps, un espace et un rituel particuliers, vécus à travers l'appartenance à une communauté spécifique. Mais au-delà de leur horizon commun, ces deux paradigmes religieux sont profondément différents, et ce avant tout parce qu'ils symbolisent deux rapports opposés à l'histoire.

Pour Rosenzweig, la chrétienté incarne une visée collective vers la Rédemption à travers la réalité du monde et de l'histoire. Le peuple juif au contraire (dans sa pure essence religieuse) dessine le modèle d'une existence collective entièrement arrachée à l'histoire et qui anticipe, dès aujourd'hui, le monde de la Rédemption. Théorie paradoxale, dans la mesure où elle semble inverser la représentation que ces deux religions ont d'elles-mêmes : le christianisme est tout entier fondé sur l'idée que le Messie est déjà arrivé, le judaïsme sur la croyance en son avènement encore à venir. C'est que Rosenzweig ne part pas des contenus dogmatiques de ces deux religions, mais de leur réalité sociale et de leur place dans l'histoire. De ce point de vue, judaïsme et christianisme sont donc complémentaires. Le premier anticipe le modèle d'une humanité réconciliée, l'autre travaille à son avènement. Tous deux témoignent de leur propre part de vérité, mais la « Vérité-Une » les transcende l'un et l'autre.

Depuis la parution, il y a trente ans, de L'Étoile de la Rédemption en traduction française, l'analyse de la pensée de Rosenzweig s'est considérablement développée. Celle-ci avait d'abord été interprétée, surtout aux États-Unis et en Allemagne, comme une version religieuse de la philosophie de l'existence et comme une première tentative de mettre en lumière les convergences et les différences entre judaïsme et christianisme. C'est à Emmanuel Levinas que l'on doit la redécouverte de la dimension proprement philosophique de cette pensée, et avant tout de l'importance centrale, chez Rosenzweig, de la critique de l'idée de Totalité. A la suite de la réception en France des travaux de Hannah Arendt, la constellation intellectuelle des années 1980 avait été dominée par la critique du totalitarisme idéologique et politique. La pensée de Rosenzweig permettait de donner à cette critique un soubassement métaphysique, en soulignant l'affinité entre l'idée d'un Logos tout-puissant prétendant rendre compte de la réalité tout entière, y compris de la singularité irréductible du sujet, et la tyrannie d'idéologies visant à régenter le monde.

Cette affinité devint particulièrement sensible en 1986, lors du premier congrès international consacré à Rosenzweig à Kassel, où un groupe de jeunes philosophes polonais d'inspiration néo-marxiste témoigna du rôle central qu'avait joué pour eux la philosophie politique de Rosenzweig, et en particulier sa critique de l'État. Depuis, les études sur les aspects spécifiquement philosophiques de la pensée de Rosenzweig, en particulier sur sa conception du temps et sur sa philosophie du langage, se sont multipliées de par le monde.

En France, les travaux du regretté Jacques Rolland, de Guy Petitdemange, Bernard Dupuy, André Neher, Arno Münster, Dominique Bourel, Gérard Bensussan, Marc de Launay et Marc Crépon, Catherine Chalier, Pierre Bouretz, et ceux de Paul Ricœur, Jean-Luc Marion, et de Jacques Derrida ont mis en lumière l'actualité d'une pensée qui n'a pas fini de nous sur-prendre, et qui n'a pas encore livré tous ses secrets.

Stéphane Mosès, L'Étoile de la Rédemption, préface à la deuxième édition.


samedi, septembre 29, 2012

Gomo Tulku, le lama rappeur




Pendant la pause d’une session de mixage, dans un studio d’enregistrement à Milan, Gomo Tulku, un artiste de Hip Hop tibétano-américain, joue le sample qu’il va insérer dans l’intro de son premier single – un ensemble vocale qui ressemble étrangement à un chant du Bouddhisme tibétain. Un de ses producteurs italiens l’avait programmé sur son clavier, et quand Gomo l’a entendu pour le première fois, se rappelle-t-il, il a dit « c’est une drogue, je le veux. Yo, c’est ma culture ! »

Assis derrière la console multi-pistes, pivotant sur sa chaise Aeron et discutant avec les ingénieurs qui travaillent sur le mix (« Si, perfecto, bello »), Gomo Tulku ressemble comme deux gouttes d’eau à un aspirant rappeur : jeans, doudoune noire, chapeau Pork Pie gris, lunettes oversize noir et or Super (la marque milanaise préférée de Jay-Z et de Rihanna). Mais le jeune homme de 23 ans n’est pas vraiment le tombeur qu’il incarne dans la vidéo de son premier single, « Photograph », où il boit dans un club et conduit une limousine pendant qu’une foule de beautés italiennes à longues jambes l’assaillent. Gomo est connu comme « le lama rappeur ». On l’a préparé toute son enfance à devenir un lama de haut rang, et la vidéo a causé un petit tollé au sein de la communauté bouddhiste en ligne. Mais Gomo ne boit quasiment pas d’alcool, et il insiste sur le fait que « Photograph » est une chanson de rupture salutaire sur la seule histoire d’amour qu’il a eu depuis son départ du monastère. « Écoutez les paroles ! » dit-il. Le style beau gosse du hip hop était une idée de son directeur italien.

Le mot tulku, dans le nom de Gomo, fait référence à son statut – dans la tradition tibétaine, un tulku est la réincarnation d’un haut lama récemment décédé, « reconnu » dans un jeune garçon par le biais d’une procédure mystique de présages et de visions. Gomo a été consacré par le Dalaï-lama lui-même, et l’histoire de la propre reconnaissance de ce dernier est bien connue en occident – un jeune paysan venu d’un coin paumé arrive comme par magie à identifier les possessions préférées de son prédécesseur – ce qui a servi de base à une publicité de 2002 pour les M&M's.

Gomo a appelé son single « Take One » (première prise), parce que « c’est ma première prise, la première véritable expérience de ma vie en tant que laïc dans ce monde matérialiste », dit-il. Gomo, tibétain né au Québec et élevé au Canada, dans l’Utah et en Inde, a suffisamment de bon sens pour comprendre que les années qu’il a passées en tant que moine au crâne rasé constituent une irrésistible trame de fond pour un MC (« Master of Ceremony », c'est-à-dire un rappeur). Sa boucle sonore digitale – un grondement hypnotique de Oms qui ressemble à un croisement entre le coassement du crapaud-buffle et une guimbarde baissée de plusieurs tons - « évoque un univers de moines en robes bordeaux et safran soufflant dans des trompettes en os. Mais cela pose également la question suivante : quand le Dalaï-lama, âgé de 77 ans, quittera la scène, ce monde fait de 1500 ans de traditions religieuses et d’explorations spirituelles se réduira-t-il à un ersatz samplé dans une chanson hip hop ?

L’Amérique a été colonisée par le Bouddhisme tibétain a un degré extraordinaire. Le noyau de la communauté comprend peut-être 100 000 pratiquants purs et durs dans tout le pays.

Tout autour, gravitent plusieurs millions de voyageurs spirituels qui vont peut-être acheter les best-sellers du Dalaï-lama ou assister à ses conférences (il a acquis un statut de rock-star, depuis qu’à New York il a attiré une foule de 65 000 personnes venues à Central Park juste pour l’entendre parler). Aider à alimenter le phénomène est un pouvoir soft (mais réel) qui rend sa cause célèbre et constitue une deuxième religion dans le monde de la solidarité : des stars d’Hollywood comme Richard Gere gravitent dans l’entourage américain du Dalaï-lama, les concerts constellés de stars organisés par feu Adam Yauch des Beastie Boys (qui était pratiquant du Bouddhisme tibétain) pour soutenir la cause tibétaine, sans oublier les statues de Bouddha, les thangkas (peintures sacrées sur toile), et les drapeaux de prières qui ornent les studios de yoga du coin et les clubs de forme dans tout le pays.

Pour les centaines de tulkus tibétains qui ont atteint leur majorité après la prise de pouvoir de leur pays par la Chine en 1959, l’Inde est peut-être le pays où ils peuvent servir au monastère, mais c’est en occident que se trouvent les étudiants, la presse, et l’argent.

Pourtant il est difficile de savoir si le système des tulkus – qui, depuis ses débuts à l’époque médiévale, a été beaucoup plus une histoire de transfert du pouvoir monastique que la reconnaissance d’un génie spirituel – peut continuer à faire progresser l’engagement du Dalaï-lama avec l’occident. Le jeune Karmapa est l’héritier présomptif au rôle de ce dernier en tant que représentant mondial du Bouddhisme tibétain. Il se morfond dans le nord de l’Inde, en raison de tensions politiques en rapport avec la Chine. En son absence, les jeunes tulkus occidentalisés pourraient être la clé pour attirer une nouvelle génération d’Américains vers le Bouddhisme tibétain. Le problème, c’est que ces tulkus cosmopolites, sceptiques quant au fait d’être des lamas décédés, ne sont pas sûrs de vouloir le job.

Le sutra d'un rappeur

Le sort de Gomo semble avoir été scellé à l’âge de 3 ans, lorsque le Dalaï-lama a déclaré qu’il était la réincarnation du grand-père du garçon, un éminent lama tibétain.

Quand la lettre de reconnaissance officielle arriva du bureau de sa Sainteté, la pieuse mère de Gomo fut « à la fois triste et heureuse », dit-il. Elle perdait son fils qui devait partir au monastère mais, selon la tradition bouddhisme tibétaine, elle retrouvait l’esprit de son père.

Les premières années de la vie de Gomo furent nomades : né et élevé dans la ville francophone de Montréal, à l’âge de 5 ans il partit avec sa mère (ses parents avaient divorcé) pour Bountiful, dans l’Utah, banlieue essentiellement mormone de Salt Lake City. Quand il eut 6 ans, la mère et l’enfant (unique) voyagèrent jusqu’au minuscule village toscan de Pomaia. L’année suivante, le Dalaï-lama coupa les cheveux de Gomo, première étape de son initiation à la vie monastique. « Je me souviens que j’étais nerveux », dit Gomo, « il avait une telle présence ». Pendant son intronisation, Gomo était assis sur un trône élevé couvert de brocards, pendant que des centaines de moines et d’étudiants occidentaux se pressaient pour voir de plus près ce nouvel enfant lama. « Je me disais « Waouh, c’est incroyable », se rappelle-t-il. « Il y avait des photographes de douzaines de journaux et agences de presse du monde entier ». Il retourne au langage hip hop : « les flics, le 5-03 (Police en argot américain), étaient là et les repoussaient ».

Après une journée entière au studio, Gomo et moi partons pour un trajet de 4h vers le sud, direction Pomaia. Nous arrivons à minuit. Là, dans une villa en pierre du 19ème siècle, se trouve l’institut Lama Tsong Khapa. « Le petit Tibet de Toscane » (comme le décrit un site web touristique) est une étape régulière pour des éminences comme Richard Gere ou le Dalaï-lama. Une imagerie stéréotypée de Bella Toscana (des cyprès maigres et coniques, un paysage joli et broussailleux d’herbes parfumées) se marie bien avec des ajouts plus récents comme des drapeaux de prières et un moulin à prière géant en cuivre.

Le matin, au milieu des statues dorées de Bouddha de la salle de méditation, des tapisseries de soie, et des portraits du Dalaï-lama, Gomo apporte une détermination feutrée à ses prières.

« Ça me ramène à l’époque où j’étais au monastère », dit-il après avoir fini ses prosternations. « Nous avions l’habitude de prier tout le temps. Dès que je reviens dans ce genre d’endroit, j’essaie de toujours avoir de bonnes pensées, de bonnes intentions, j’essaie de me souvenir du but que je poursuis ». Gomo n’a passé qu’un an à Pomaia avant d’être envoyé au monastère de Sera Jey dans le Mysore, en Inde. Il lui a donné, en tout, 12 ans de sa jeune vie. Ses journées en tant que moine se déroulaient de la façon suivante : debout à 6h du matin, prières, chant, mémorisation de textes, page après page, et pratique des débats logiques bouddhistes jusqu’à minuit environ tous les soirs. « J’en ai bavé », dit-il, « pas de ce qu’on me donnait, mais beaucoup plus de ce qu’on m’avait enlevé ». Pas besoin d’un expert de Dylan pour déchiffrer les paroles de sa chanson « Lost and Found » (Perdu et trouvé) : « tout est parti, tout est parti, les baisers de ma maman me manquent / essayer de faire grandir un enfant / en le laissant tout seul / destiné à être sur un trône/ … Pourquoi n’es-tu pas restée, pourquoi n’es-tu pas restée ? »

Gomo est resté un bon soldat monastique jusqu’à l’âge de 15 ans, quand une idée audacieuse s’est emparée de lui : retrouver sa mère pour une année de lycée en Amérique. A Bountiful, c’était le gamin asiatique bizarre qui parlait un anglais fait de bric et de broc et « avait probablement l’air d’un crétin ». Il avait encore ses vœux de moines – pas de sexe, pas d’alcool –, ce qu’il cachait à ses camarades de classe, excepté à son meilleur ami. « Je voulais être capable de faire l’expérience de cette vie de môme », dit-il. « S’ils avaient su que j’étais un lama, ça aurait été un désastre ». Mais comparé à sa vie d’avant, ce séjour était une libération pure et simple. Son moment d’illumination sous l’arbre de la Bodhi eut lieu quand il entra dans une nouvelle boutique Apple à Salt Lake City et vit la vidéo de T.I. « Bring Em Out », qui passait sur un Ipod de 60 gigas récemment sorti. Ce morceau cru de gangster rap le « bouleversa », dit-il. « Quelque part son énergie fut une révélation ».

Bien qu’il eut fortement soupçonné qu’il n’allait pas garder la robe de moine, Gomo retourna à Sera Jey pour boucler les trois dernières années, obtenant l’équivalent d’un baccalauréat monastique, parce qu’il voulait finir ce qu’il avait commencé – ou ce qu’on lui avait fait commencer. La musique, particulièrement le hip hop, était vitale pour lui, sous la forme d’un casque audio et d’un lecteur de cd portable. « Je passais des heures à écouter de la musique jusqu’à, mettons, cinq heures du matin », dit-il. « Je me sentais connecté à elle, comme si c’était mon meilleur ami, une chose qui me comprenait. Mon serviteur frappait à la porte et me disait quelque chose du style, « Yo, rinpoché, il faut aller au lit maintenant ».

Il y a trois ans il a rendu ses vêtements de moine et il est retourné à Pomaia. Son enseignant monastique principal fut compréhensif, et il dit qu’en dépit de la déception, même sa mère lui dit « tant que tu ne dis pas le mot « fuck » (équivalent approximatif de « putain ») dans tes chansons ça me va ».

Cela fait un an et demi qu’il habite à Milan, et à l’exception d’une brève histoire d’amour avec une étudiante guatémaltèque dans le cadre d’un programme d’échange, il poursuit une carrière musicale avec une dévotion monacale, vivant d’une allocation versée par des bienfaiteurs italiens.

Bien que l’an dernier il ait été proclamé Meilleur Chanteur lors des Tibetan Music Awards (Version tibétaine des Victoires de la Musique) sur la base de son unique single en ligne (« Photograph »), Gomo peut assez bien être décrit comme un petit poisson dans un petit étang. Il attend, anxieusement, que l’industrie de la musique le sorte de l’obscurité.

Dans son studio de Milan, il écoute en boucle le play-back de « Let Me Down », dans lequel il rappe : « Impossible de s’étouffer, je me sens comme la cravate/ du dirigeant qui vous dit si ce que vous avez fait de mieux/ sera suffisant… Peur d’avoir l’air ridicule, mais j’ai assez de courage pour le faire/ Si tu as jamais douté de tes rêves/ Passe juste cette merde en boucle ».

Il écrit des mélodies bien construites, moitié rappées moitié chantées, prononcées d’une voix légère et douce – qui fait penser à Chris Brown ou à Drake avec une bonne dose de boys band. La branche italienne de Universal Records aime ce qu’elle a entendu, mais il attend encore de signer pour un disque. Jusqu’ici, les lamas les plus anciens ont gardé le silence sur son choix de carrière. J’ai demandé à Gomo quelle peut être la réaction du Dalaï-lama. « Il consulte mes vidéos sur YouTube – et, « C’est chaud ! », plaisante Gomo. Puis, dans un style plus sérieux qui n’est jamais loin derrière le vernis hip hop : « Je serais honoré s’il avait entendu parler de moi. En fait je pensais aller le voir. Voyons d’abord ce qui se passe avec ma musique, et si les choses commencent à mûrir, j’irai peut-être lui l’expliquer ».

Article de Joseph Hooper, « Partis de leur OM, les lamas perdus du bouddhisme »




L'histoire de Gomo Tulku fait penser à un autre tulku défroqué, Ösel Hita Torres, un jeune espagnol né à Grenade en 1985, reconnu par le Dalaï-lama comme la réincarnation d’un hiérarque du lamaïsme. 

Ösel Hita Torres reproche aux lamas son enfance volée. Il préfère étudier le cinéma et travailler que de vivre en maître adulé, soit-disant réincarnation de ThubtènYéshé (1935–1984). 


mercredi, septembre 26, 2012

Inde, ce que les médias ne disent pas





En Inde, prétendue terre de spiritualité, une armée de prolétaires athées s'oppose à la plus grande « démocratie » du monde. En effet, l'armée populaire, fondée par des paysans maoïstes, lutte contre le pouvoir capitaliste de Delhi qui dépouille les villageois de leurs ressources naturelles.

En Inde, les paysans endoctrinés par les prêtres étaient résignés quand on les spoliait. "C'est votre karma !" leur disait-on. A la fin des années 60, un vent venu de Chine maoïste balaya les superstitions et les dogmes religieux qui font si bien le jeu des exploiteurs.

La rébellion indienne s'est répandue dans la plupart des États de l'Inde, en particulier le long d'un « corridor rouge » couvrant le Jharkhand, le Bengale occidental, l'Orissa, le Bihar, le Chhattisgarh, l'Andhra pradesh.

Les médias se gardent bien d'évoquer la lutte armée du peuple indien contre le capitalisme, cela pourrait donner des idées aux populations occidentales qui subissent la crise et la rigueur pendant que les riches continuent à s'enrichir sans complexe.

Faut-il soutenir la jacquerie du peuple indien ?

"Depuis le soulèvement de Naxalbari en 1972, la Guerre Populaire dirigée par les forces maoïstes n'a pas cessé. Depuis 2004, elle connaît même un nouveau développement avec la création du Parti Communiste d'Inde (maoïste), fruit de l'union des principaux groupes maoïstes. Aujourd'hui, l'Armée Populaire de Libération dirigée par le PCI est présente sur un tiers du territoire indien, ce qui a permis dans certaines régions de développer la démocratie nouvelle. Dans ces zones libérées par les révolutionnaires, les problèmes ne sont pas posées en terme de garantir les profits des multinationales, des propriétaires terriens et des intermédiaires mais plutôt de garantir une amélioration des conditions de vie :

- mise en place de centres de santé (le taux de mortalité infantile est près de 13 fois supérieur à celui de la France),

- développement d'une éducation accessible à toutes et tous (26% d'analphabètes — 18% pour les hommes et 35% pour les femmes),

- construction de canaux d'irrigation pour améliorer l'indépendance alimentaire (en 2000, 70% de la population en dessous du seuil de pauvreté calorique),

- garantie de l'accès à la terre (le système semi-féodal est toujours en cours),

- préservation de l'environnement (pollution des sols par les compagnies minières, assèchement des eaux par les usines comme Coca-Cola, cultures OGM de coton improductives, construction d'un réacteur nucléaire par Areva sur une zone sismique),

- abolition des castes (plus de 6200 crimes et délits contre les intouchables),

- égalité hommes/femmes,

- etc.

Plutôt présent dans les zones rurale ; les révolutionnaires se sont fermement opposés à l'accaparement des terres et des ressources par les grandes sociétés multinationales minières (à Singur, Nandigram et Lalgarh notamment) conduisant à l'appauvrissement des populations locales et à la destruction de l'environnement dont elles tirent leur subsistance.

Suite à cette résistance légitime, l’État indien a décidé en 2009 de lancer une offensive contre sa propre population : l'opération « Green Hunt ». Plus de 100 000 soldats et paramilitaires ont donc été envoyés dans les zones contrôlées par les maoïstes. De nombreux rapports issus de personnalités et d'organismes divers mettent aujourd'hui en avant les tortures, massacres et disparitions commises par les forces armées gouvernementales.

Une partie des intellectuels, des pacifistes, soutient ou sympathise avec les maoïstes et proteste contre les assassinats de dirigeants, de militants et dénoncent les exactions, massacres, viols exercés contre les civils par l'armée indienne. L'influence des révolutionnaires dans les villes commence à grandir.

Cette année 2012 a été témoin d'une augmentation de la colère des masses indiennes : plus grosse grève générale de l'histoire en février, soulèvement dans l'usine Suzuki et Regency KC,...

Pays émergent de plus d'un milliard d'habitant; l'Inde a des visées impérialistes en Afrique, comme la Russie, la Chine et le Brésil. D'un autre côté, elle facilite grandement l'implantation des sociétés multinationales en créant des Zones Économiques Spéciales où le droit du travail est modifié et où les terres, l'eau et l'électricité sont très peu cher voire gratuit. Les répercussions sont dramatiques. L'exemple le plus frappant est sûrement celui de la ruine de dizaines de milliers de paysans devenus dépendants du coton transgénique. Depuis 25 ans, 200 000 se seraient donné la mort pour échapper à la misère (8 000 suicides par an !).

L'impérialisme français n'est pas en reste puisqu'il existe une Chambre de Commerce franco-indienne de 49 conseillers et un groupe d'avocats (UGGC) spécialisé dans l'assistance aux « entreprises européennes à leurs différents stades d'intervention sur le marché indien. » En 1998, un partenariat stratégique a été établi entre la France et l'Inde autour de 3 axes : coopération nucléaire civile, coopération de défense, coopération spatiale. L'impérialisme français est en outre présent dans différents secteurs en Inde dont voici certains des principaux représentants : Dassault (armes), Thalès (aviation), Thompson (électronique), Areva (nucléaire), Total (énergie), Suez (eau), Carrefour (distribution), Danone (agroalimentaire), Lafarge (ciment), Michelin (pneus), Alstorn (ferroviaire), Geodis (transport), L'Oréal, Sodhexo,...

Les actionnaires et patrons de ces entreprises exploitent les ouvriers et travailleurs indiens, profitent des bas salaires, de manque de droits sociaux, d'avantages multiples (prix des terrains, remise d'impôts et de taxes, etc). Les mêmes patrons exploitent ici en France les ouvriers et travailleurs, licencient à tour de bras, ferment des entreprises, augmentent les cadences. Soutenir la guerre populaire est en fait soutenir ici et là-bas la lutte contre les mêmes patrons.

Nous devons prendre exemple sur les ouvriers de Michelin Clermont-Ferrand qui se sont opposés à la construction d'une usine en Inde sur les terres des paysans pauvres. Dans leur communiqué, ils affirment : « En Inde, un conflit terrible oppose un village d'Intouchables — les plus méprisés de ce pays de castes — et Michelin, notre grande transnationale du pneu. Thervoy Kandigai est un bourg du Tamil Nadu, État du sud de l'Inde. Il compte environ 1500 familles, qui vivent depuis toujours des pâturages et forêts proches de Thervoy. Tel est leur territoire, que Michelin s'apprête à détruire pour l'éternité avec cette usine. Non seulement la forêt, espace indispensable à la survie de cette population sans terre, est confisquée mais elle a déjà commencé à être détruite, risquant par la même de tarir les tacs approvisionnant les villages focaux en eau. »

Nous devons soutenir la Guerre Populaire en Inde car elle est le seul moyen par lequel les paysans et travailleurs, hommes et femmes, d'Inde pourrons trouver la voie vers une société débarrassée de l'exploitation et de l'oppression qu'ils et elles subissent tous les jours.

Nous devons condamner le rôle de l'impérialisme français en Inde en nous unissant à nos frères et sœurs de lutte.

Une réunion d'information pour préparer la Conférence Internationale de Soutien à la Guerre Populaire se tiendra à Hambourg le 24 novembre 2012.

Nous organisons un départ commun. L'hébergement se fera sur place et sera pris en charge."

Si vous ne pouvez pas venir à cette réunion, prenez contact avec le Comité de Soutien à la Révolution en Inde csrinde@yahoo.fr / http://csrinde.wordpress.com/

Source : http://csrinde.wordpress.com/


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