Épigraphe
Mon
optimisme est basé sur la certitude que cette civilisation va
s’effondrer. Mon pessimisme sur tout ce qu’elle fait pour nous
entraîner dans sa chute.
La
servitude moderne
"Quelle
époque terrible que celle où des idiots dirigent des aveugles."
William
Shakespeare
La
servitude moderne est une servitude volontaire, consentie par la
foule des esclaves qui rampent à la surface de la Terre. Ils
achètent eux-mêmes toutes les marchandises qui les asservissent
toujours un peu plus. Ils courent eux-mêmes derrière un travail
toujours plus aliénant, que l’on consent généreusement à leur
donner, s’ils sont suffisamment sages. Ils choisissent eux-mêmes
les maîtres qu’ils devront servir. Pour que cette tragédie mêlée
d’absurdité ait pu se mettre en place, il a fallu tout d’abord
ôter aux membres de cette classe toute conscience de son
exploitation et de son aliénation. Voila bien l’étrange modernité
de notre époque. Contrairement aux esclaves de l’Antiquité, aux
serfs du Moyen-âge ou aux ouvriers des premières révolutions
industrielles, nous sommes aujourd’hui devant une classe totalement
asservie mais qui ne le sait pas ou plutôt qui ne veut
pas le savoir. Ils ignorent par conséquent la révolte qui devrait
être la seule réaction légitime des exploités. Ils acceptent sans
discuter la vie pitoyable que l’on a construite pour eux. Le
renoncement et la résignation sont la source de leur malheur. Voilà
le mauvais rêve des esclaves modernes qui n’aspirent finalement
qu’à se laisser aller dans la danse macabre du système de
l’aliénation.
L’oppression
se modernise en étendant partout les formes de mystification qui
permettent d’occulter notre condition d’esclave.
Montrer
la réalité telle qu’elle est vraiment et non telle qu’elle est
présentée par le pouvoir constitue la subversion la plus
authentique.
Seule
la vérité est révolutionnaire
L’aménagement
du territoire et l’habitat
«
L’urbanisme est cette prise de possession de l’environnement
naturel et humain par le capitalisme
qui, se développant logiquement en domination absolue, peut et doit maintenant
refaire la totalité de l’espace comme son propre décor. »
La
Société du Spectacle, Guy Debord.
À
mesure qu’ils construisent leur monde par la force de leur travail
aliéné, le décor de ce monde devient la prison dans laquelle il
leur faudra vivre. Un monde sordide, sans saveur ni odeur, qui porte
en lui la misère du mode de production dominant.Ce décor est en
perpétuel construction. Rien n’y est stable. La réfection
permanente de l’espace qui nous entoure trouve sa justification
dans l’amnésie généralisée et l’insécurité dans lesquelles
doivent vivre ses habitants. Il s’agit de tout refaire à l’image
du système : le monde devient tous les jours un peu plus sale et
bruyant, comme une usine.
Chaque
parcelle de ce monde est la propriété d’un État ou d’un
particulier. Ce vol social qu’est l’appropriation exclusive du
sol se trouve matérialisé dans l’omniprésence des murs, des
barreaux, des clôtures, des barrières et des frontières… ils
sont la trace visible de cette séparation qui envahit tout.
Mais
parallèlement, l’unification de l’espace selon les intérêts de
la culture marchande est le grand objectif de notre triste époque.
Le monde doit devenir une immense autoroute, rationnalisée à
l’extrême, pour faciliter le transport des marchandises. Tout
obstacle, naturel ou humain doit être détruit.
L’habitat
dans lequel s’entasse cette masse servile est à l’image de leur
vie : il ressemble à des cages, à des prisons, à des cavernes.
Mais contrairement aux esclaves ou aux prisonniers, l’exploité des
temps modernes doit payer sa cage.
«
Car ce n’est pas l’homme mais le monde qui est devenu un anormal.
»
Antonin
Artaud
La
marchandise
«
Une marchandise paraît au premier coup d’œil quelque chose de
trivial et qui se comprend
de soi-même. Notre analyse a montré au contraire que c'est une
chose très complexe,
pleine de subtilité métaphysique et d'arguties théologiques. »
Le
Capital, Karl Marx
Et
c’est dans ce logis étroit et lugubre qu’il entasse les
nouvelles marchandises qui devraient, selon les messages
publicitaires omniprésents, lui apporter le bonheur et la plénitude.
Mais plus il accumule des marchandises et plus la possibilité
d’accéder un jour au bonheur s’éloigne de lui.
«
A quoi sert à un homme de tout posséder s’il perd son âme. »
Marc
8 ; 36
La
marchandise, idéologique par essence, dépossède de son travail
celui qui la produit et dépossède de sa vie celui qui la consomme.
Dans le système économique dominant, ce n’est plus la demande qui
conditionne l’offre mais l’offre qui détermine la demande. C’est
ainsi que de manière périodique, de nouveaux besoins sont créés
qui sont vite considérés comme des besoins vitaux par l’immense
majorité de la population : ce fut d’abord la radio, puis la
voiture, la télévision, l’ordinateur et maintenant le téléphone
portable.
Toutes
ces marchandises, distribuées massivement en un laps de temps très
limité, modifient en profondeur les relations humaines : elles
servent d’une part à isoler les hommes un peu plus de leur
semblable et d’autre part à diffuser les messages dominants du
système. Les choses qu’on possède finissent par nous posséder.
L’alimentation
«
Ce qui est une nourriture pour l’un est un poison pour l’autre. »
Paracelse
Mais
c’est encore lorsqu’il s’alimente que l’esclave moderne
illustre le mieux l’état de décrépitude dans lequel il se
trouve. Disposant d’un temps toujours plus limité pour préparer
la nourriture qu’il ingurgite, il en est réduit à consommer à la
va-vite ce que l’industrie agrochimique produit. Il erre dans les
supermarchés à la recherche des ersatz que la société de la
fausse abondance consent à lui donner. Là encore, il n’a plus que
l’illusion du choix. L’abondance des produits alimentaires ne
dissimule que leur dégradation et leur falsification. Il ne s’agit
bien notoirement que d’organismes génétiquement
modifiés, d’un mélange de colorants et de conservateurs, de
pesticides, d’hormones et autres inventions de la modernité. Le
plaisir immédiat est la règle du mode d’alimentation dominant, de
même qu’il est la règle de toutes les formes de consommation. Et
les conséquences sont là qui illustrent cette manière de
s’alimenter.
Mais
c’est face au dénuement du plus grand nombre que l’homme
occidental se réjouit de sa position et de sa consommation
frénétique. Pourtant, la misère est partout où règne la société
totalitaire marchande. Le manque est le revers de la médaille de la
fausse abondance. Et dans un système qui érige l’inégalité
comme critère de progrès, même si la production agrochimique est
suffisante pour nourrir la totalité de la population mondiale, la
faim ne devra jamais disparaître.
«
Ils se sont persuadés que l’homme, espèce pécheresse entre
toutes, domine la création.
Toutes
les autres créatures n’auraient été créées que pour lui
procurer de la nourriture, des
fourrures, pour être martyrisées, exterminées. »
Isaac
Bashevis Singer
L’autre
conséquence de la fausse abondance alimentaire est la généralisation
des usines concentrationnaires et l’extermination massive et
barbare des espèces qui servent à nourrir les esclaves. Là se
trouve l’essence même du mode de production dominant. La vie et
l’humanité ne résistent pas face au désir de profit de quelques
uns.
La
destruction de l’environnement
«
C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain ne l’écoute pas.
»
Victor
Hugo
Le
pillage des ressources de la planète, l’abondante production
d’énergie ou de marchandises, les rejets et autres déchets
de la consommation ostentatoire hypothèquent gravement les chances
de survie de notre Terre et des espèces qui la peuplent. Mais pour
laisser libre court au capitalisme sauvage, la croissance ne doit
jamais s’arrêter. Il faut produire, produire et reproduire encore.
Et
ce sont les mêmes pollueurs qui se présentent aujourd’hui comme
les sauveurs potentiels de la planète. Ces imbéciles du show
business subventionnés par les firmes multinationales essayent de
nous convaincre qu’un simple changement de nos habitudes de vie
suffirait à sauver la planète du désastre. Et pendant qu’ils
nous culpabilisent, ils continuent à polluer sans cesse notre
environnement et notre esprit. Ces pauvres thèses pseudo-écologiques
sont reprises en cœur par tous les politiciens véreux à cours de
slogan publicitaire. Mais ils se gardent bien de proposer un
changement radical dans le système de production. Il s’agit comme
toujours de changer quelques détails pour que tout puisse rester
comme avant.
Le
travail
Travail,
du latin Tri Palium trois pieux, instrument de torture.
Mais
pour entrer dans la ronde de la consommation frénétique, il faut de
l’argent et pour avoir de l’argent, il faut travailler,
c'est-à-dire se vendre. Le système dominant a fait du travail sa
principale valeur. Et les esclaves doivent travailler toujours plus
pour payer à crédit leur vie misérable. Ils s’épuisent dans le
travail, perdent la plus grande part de leur force vitale et
subissent les pires humiliations. Ils passent toute leur vie à une
activité fatigante et ennuyeuse pour le profit de quelques uns.
L’invention
du chômage moderne est là pour les effrayer et les faire remercier
sans cesse le pouvoir de se montrer généreux avec eux. Que
pourraient-ils bien faire sans cette torture qu’est le travail ? Et
ce sont ces activités aliénantes que l’on présente comme une
libération. Quelle déchéance et quelle misère !
Toujours
pressés par le chronomètre ou par le fouet, chaque geste des
esclaves est calculé afin d’augmenter la productivité.
L’organisation scientifique du travail constitue l’essence même
de la dépossession des travailleurs, à la fois du fruit de leur
travail mais aussi du temps qu’ils passent à la production
automatique des marchandises ou des services. Le rôle du travailleur
se confond avec celui d’une machine dans les usines, avec celui
d’un ordinateur dans les bureaux. Le temps payé ne revient
plus.
Ainsi,
chaque travailleur est assigné à une tache répétitive, qu’elle
soit intellectuelle ou physique. Il est spécialiste dans son domaine
de production. Cette spécialisation se retrouve à l’échelle de
la planète dans le cadre de la division internationale du travail.
On conçoit en occident, on produit en Asie et l’on meurt en
Afrique.
La
colonisation de tous les secteurs de la vie
«
C’est l’homme tout entier qui est conditionné au comportement
productif par l’organisation
du travail, et hors de l’usine il garde la même peau et la même
tête. »
Christophe
Dejours
L’esclave
moderne aurait pu se contenter de sa servitude au travail, mais à
mesure que le système de production colonise tous les secteurs de la
vie, le dominé perd son temps dans les loisirs, les divertissements
et les vacances organisées. Aucun moment de son quotidien n’échappe
à l’emprise du système. Chaque instant de sa vie a été envahi.
C’est un esclave à temps plein.
La
médecine marchande
«
La médecine fait mourir plus longtemps. »
Plutarque
La
dégradation généralisée de son environnement, de l’air qu’il
respire et de la nourriture qu’il consomme ; le stress de ses
conditions de travail et de l’ensemble de sa vie sociale, sont à
l’origine des nouvelles maladies de l’esclave moderne.
Il
est malade de sa condition servile et aucune médecine ne pourra
jamais remédier à ce mal. Seule la libération la plus complète de
la condition dans laquelle il se trouve enfermé peut permettre à
l’esclave moderne de se libérer de ses souffrances.
La
médecine occidentale ne connaît qu’un remède face aux maux dont
souffrent les esclaves modernes : la mutilation. C’est à base de
chirurgie, d’antibiotique ou de chimiothérapie que l’on traite
les patients de la médecine marchande. On s’attaque aux
conséquences du mal sans jamais en chercher la cause. Cela se
comprend autant que cela s’explique : cette recherche nous
conduirait inévitablement vers une condamnation sans appel de
l’organisation sociale dans son ensemble.
De
même qu’il a transformé tous les détails de notre monde en
simple marchandise, le système présent a fait de notre corps une
marchandise, un objet d’étude et d’expérience livré aux
apprentis sorciers de la médecine marchande et de la biologie
moléculaire. Et les maîtres du monde sont déjà prêts à breveter
le vivant.
Le
séquençage complet de l’ADN du génome humain est le point de
départ d’une nouvelle stratégie mise en place par le pouvoir. Le
décodage génétique n’a d’autres buts que d’amplifier
considérablement les formes de domination et de contrôle.
Notre
corps lui-aussi, après tant d’autres choses, nous a échappé.
L’obéissance
comme seconde nature
«
À force d’obéir, on obtient des réflexes de soumission. »
Anonyme
Le
meilleur de sa vie lui échappe mais il continue car il a l’habitude
d’obéir depuis toujours. L’obéissance est devenue sa seconde
nature. Il obéit sans savoir pourquoi, simplement parce qu’il sait
qu’il doit obéir. Obéir, produire et consommer, voilà le
triptyque qui domine sa vie. Il obéit à ses parents, à ses
professeurs, à ses patrons, à ses propriétaires, à ses marchands.
Il obéit à la loi et aux forces de l’ordre. Il obéit à tous les
pouvoirs car il ne sait rien faire d’autre. La désobéissance
l’effraie plus que tout car la désobéissance, c’est le risque,
l’aventure, le changement. Mais de même que l’enfant panique
lorsqu’il perd de vue ses parents, l’esclave moderne est perdu
sans le pouvoir qui l’a créé. Alors ils continuent d’obéir.
C’est
la peur qui a fait de nous des esclaves et qui nous maintient dans
cette condition. Nous nous courbons devant les maîtres du monde,
nous acceptons cette vie d’humiliation et de misère par crainte.
Nous
disposons pourtant de la force du nombre face à cette minorité qui
gouverne. Leur force à eux, ils ne la retirent pas de leur police
mais bien de notre consentement. Nous justifions notre lâcheté
devant l’affrontement légitime contre les forces qui nous
oppriment par un discours plein d’humanisme moralisateur. Le refus
de la violence révolutionnaire est ancré dans les esprits de ceux
qui s’opposent au système au nom des valeurs que ce système nous
a lui-même enseignés.
Mais
le pouvoir, lui, n’hésite jamais à utiliser la violence quand il
s’agit de conserver son hégémonie.
La
répression et la surveillance
«
Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, la place de l’homme
juste est aussi en prison. »
La
désobéissance civile, Henry David Thoreau
Pourtant,
il y a encore des individus qui échappent au contrôle des
consciences. Mais ils sont sous surveillance. Toute forme de
rébellion ou de résistance est de fait assimilée à une activité
déviante ou terroriste. La liberté n’existe que pour ceux qui
défendent les impératifs marchands. L’opposition réelle au
système dominant est désormais totalement clandestine. Pour ces
opposants, la répression est la règle en usage. Et le silence de la
majorité des esclaves face à cette répression trouve sa
justification dans l’aspiration médiatique et politique à nier le
conflit qui existe dans la société réelle.
L’argent
«
Et ce que l’on faisait autrefois pour l’amour de Dieu, on le fait
maintenant pour l’amour de
l’argent, c’est-à-dire pour l’amour de ce qui donne maintenant
le sentiment de puissance
le plus élevé et la bonne conscience.»
Aurore,
Nietzsche
Comme
tous les êtres opprimés de l’Histoire, l’esclave moderne a
besoin de sa mystique et de son dieu pour anesthésier le mal qui le
tourmente et la souffrance qui l’accable. Mais ce nouveau dieu,
auquel il a livré son âme, n’est rien d’autre que le néant. Un
bout de papier, un numéro qui n’a de sens que parce que tout le
monde a décidé de lui en donner. C’est pour ce nouveau dieu qu’il
étudie, qu’il travaille, qu’il se bat et qu’il se vend. C’est
pour ce nouveau dieu qu’il a abandonné toute valeur et qu’il est
prêt à faire n’importe quoi. Il croit qu’en possédant beaucoup
d’argent, il se libérera des contraintes dans lesquels il se
trouve enfermé. Comme si la possession allait de paire avec la
liberté. La libération est une ascèse qui provient de la maîtrise
de soi. Elle est un désir et une volonté en actes. Elle est dans
l’être et non dans l’avoir. Mais encore faut-il être résolu à
ne plus servir,
à ne plus obéir. Encore faut-il être capable de rompre avec une
habitude que personne, semble-t-il, n’ose remettre en cause.
Pas
d’alternative à l’organisation sociale dominante
Acta
est fabula
La
pièce est jouée
Or
l’esclave moderne est persuadé qu’il n’existe pas
d’alternative à l’organisation du monde présent. Il s’est
résigné à cette vie car il pense qu’il ne peut y en avoir
d’autres. Et c’est bien là que se trouve la force de la
domination présente : entretenir l’illusion que ce système qui a
colonisé toute la surface de la Terre est la fin de l’Histoire. Il
a fait croire à la classe dominée que s’adapter à son idéologie
revient à s’adapter au monde tel qu’il est et tel qu’il a
toujours été. Rêver d’un autre monde est devenu un crime
condamné unanimement par tous les médias et tous les pouvoirs. Le
criminel est en réalité celui qui contribue, consciemment ou non, à
la démence de l’organisation sociale dominante. Il n’est pas de
folie plus grande que celle du système présent.
L’image
«
Sinon, qu’il te soit fait connaître, o roi, que tes dieux ne sont
pas ceux que nous servons, et
l’image d’or que tu as dressé, nous ne l’adorerons pas. »
Ancien
Testament, Daniel 3 :18
Devant
la désolation du monde réel, il s’agit pour le système de
coloniser l’ensemble de la conscience des esclaves. C’est ainsi
que dans le système dominant, les forces de répression sont
précédées par la dissuasion qui, dès la plus petite enfance,
accomplit son œuvre de formation des esclaves. Ils doivent oublier
leur condition servile, leur prison et leur vie misérable. Il suffit
de voir cette foule hypnotique connectée devant tous les écrans qui
accompagnent leur vie quotidienne. Ils trompent leur insatisfaction
permanente dans le reflet manipulé d’une vie rêvée, faite
d’argent, de gloire et d’aventure. Mais leurs rêves sont tout
aussi affligeants que leur vie misérable.
Il
existe des images pour tous et partout, elles portent en elle le
message idéologique de la société moderne et servent d’instrument
d’unification et de propagande. Elles croissent à mesure que
l’homme est dépossédé de son monde et de sa vie. C’est
l’enfant qui est la cible première de ces images car il s’agit
d’étouffer la liberté dans son berceau. Il faut les rendre
stupides et leur ôter toute forme de réflexion et de critique. Tout
cela se fait bien entendu avec la complicité déconcertante de leurs
parents qui ne cherchent même plus à résister face à la force de
frappe cumulée de tous les moyens modernes de communication. Ils
achètent eux-mêmes toutes les marchandises nécessaires à
l’asservissement de leur progéniture. Ils se dépossèdent de
l’éducation de leurs enfants et la livrent en bloc au système de
l’abrutissement et de la médiocrité.
Les
divertissements
«
La télévision ne rend idiots que ceux qui la regardent, pas ceux
qui la font. »
Patrick
Poivre d’Arvor
Ces
pauvres hommes se divertissent, mais ce divertissement n’est là
que pour faire diversion face au véritable mal qui les accable. Ils
ont laissé faire de leur vie n’importe quoi et ils feignent d’en
être fiers. Ils essayent de montrer leur satisfaction mais personne
n’est dupe. Ils n’arrivent même plus à se tromper eux-mêmes
lorsqu’ils se retrouvent face au reflet glacé du miroir. Ainsi ils
perdent leur temps devant des imbéciles sensés les faire rire ou
les faire chanter, les faire rêver ou les faire pleurer.
On
mime à travers le sport médiatique les succès et les échecs, les
forces et les victoires que les esclaves modernes ont cessé de vivre
dans leur propre quotidien. Leur insatisfaction les incite à vivre
par procuration devant leur poste de télévision. Tandis que les
empereurs de la Rome antique achetaient la soumission du peuple avec
du pain et les jeux du cirque, aujourd’hui c’est avec les
divertissements et la consommation du vide que l’on achète le
silence des esclaves.
Le
langage
«
On croit que l'on maîtrise les mots, mais ce sont les mots qui nous
maîtrisent. »
Alain
Rey
La
domination sur les consciences passe essentiellement par
l’utilisation viciée du langage par
la classe économiquement et socialement dominante. Étant détenteur
de l’ensemble des moyens de communication, le pouvoir diffuse
l’idéologie marchande par la définition figée, partielle et
partiale qu’il donne des mots.
Les
mots sont présentés comme neutres et leur définition comme allant
de soi. Mais sous le contrôle du pouvoir, le langage désigne
toujours autre chose que la vie réelle. C’est avant tout un
langage de la résignation et de l’impuissance, le langage de
l’acceptation passive des choses telles qu’elles sont et telles
qu’elles doivent demeurer. Les mots travaillent pour le compte de
l’organisation dominante de la vie et le fait même d’utiliser le
langage du pouvoir nous condamne à l’impuissance.
Le
problème du langage est au centre du combat pour l’émancipation
humaine. Il n’est pas une forme de domination qui se surajoute aux
autres, il est le cœur même du projet d’asservissement du système
totalitaire marchand.
C’est
par la réappropriation du langage et donc de la communication réelle
entre les personnes que la possibilité d’un changement radical
émerge de nouveau. C’est en cela que le projet révolutionnaire
rejoint le projet poétique. Dans l’effervescence populaire, la
parole est prise et réinventée par des groupes étendus. La
spontanéité créatrice s’empare de chacun et nous rassemble tous.
L’illusion
du vote et de la démocratie parlementaire
«
Voter, c’est abdiquer. »
Élisée
Reclus
Pourtant,
les esclaves modernes se pensent toujours citoyens. Ils croient voter
et décider librement qui doit conduire leurs affaires. Comme s’ils
avaient encore le choix. Ils n’en ont conservé que l’illusion.
Croyez-vous encore qu’il existe une différence fondamentale quant
au choix de société dans laquelle nous voulons vivre entre le PS et
l’UMP en France, entre les démocrates et les républicains aux
États-Unis, entre les travaillistes et les conservateurs au
Royaume-Uni ? Il n’existe pas d’opposition car les partis
politiques dominants sont d’accord sur l’essentiel qui est la
conservation de la présente société marchande. Il n’existe pas
de partis politiques susceptibles d’accéder au pouvoir qui remette
en cause le dogme du marché. Et ce sont ces partis qui avec la
complicité médiatique monopolise l’apparence. Ils se chamaillent
sur des points de détails pourvu que tout reste en place. Ils se
disputent pour savoir qui occupera les places que leur offre le
parlementarisme marchand. Ces pauvres chamailleries sont relayées
par tous les médias dans le but d’occulter un véritable débat
sur le choix de société dans laquelle nous souhaitons vivre.
L’apparence et la futilité dominent sur la profondeur de
l’affrontement des idées. Tout cela ne ressemble en rien, de près
ou de loin à une démocratie.
La
démocratie réelle se définit d’abord et avant tout par la
participation massive des citoyens à la gestion des affaires de la
cité. Elle est directe et participative. Elle trouve son expression
la plus authentique dans l’assemblée populaire et le dialogue
permanent sur l’organisation de la vie en commun. La forme
représentative et parlementaire qui usurpe le nom de démocratie
limite le pouvoir des citoyens au simple droit de vote, c'est-à-dire
au néant, tant il est vrai que le choix entre gris clair et gris
foncé n’est pas un choix véritable. Les sièges parlementaires
sont occupés dans leur immense majorité par la classe
économiquement dominante, qu’elle soit de droite ou de la
prétendue gauche sociale-démocrate.
Le
pouvoir n’est pas à conquérir, il est à détruire. Il est
tyrannique par nature, qu’il soit exercé par un roi, un dictateur
ou un président élu. La seule différence dans le cas de la «
démocratie » parlementaire, c’est que les esclaves ont l’illusion
de choisir eux-mêmes le maître qu’ils devront servir. Le vote a
fait d’eux les complices de la tyrannie qui les opprime. Ils ne
sont pas esclaves parce qu’il existe des maîtres mais il existe
des maîtres parce qu’ils ont choisi de demeurer esclaves.
Le
système totalitaire marchand
«
La nature n’a créé ni maîtres ni esclaves, Je ne veux ni donner
ni recevoir de lois. »
Denis
Diderot
Le
système dominant se définit donc par l’omniprésence de son
idéologie marchande. Elle occupe à la fois tout l’espace et tous
les secteurs de la vie. Elle ne dit rien de plus que : « Produisez,
vendez, consommez, accumulez ! » Elle a réduit l’ensemble des
rapports humains à des rapports marchands et considère notre
planète comme une simple marchandise. Le devoir qu’elle nous
impose est le travail servile. Le seul droit qu’elle reconnaît est
le droit à la propriété privée. Le seul dieu qu’elle arbore est
l’argent.
Le
monopole de l’apparence est total. Seuls paraissent les hommes et
les discours favorables à l’idéologie dominante. La critique de
ce monde est noyée dans le flot médiatique qui détermine ce qui
est bien et ce qui est mal, ce que l’on peut voir et ce que l’on
ne peut pas voir.
Omniprésence
de l’idéologie, culte de l’argent, monopole de l’apparence,
parti unique sous couvert du pluralisme parlementaire, absence d’une
opposition visible, répression sous toutes ses formes, volonté de
transformer l’homme et le monde. Voila le visage réel du
totalitarisme moderne que l’on appelle « démocratie libérale »
mais qu’il faut maintenant appeler par son nom véritable : le
système totalitaire marchand.
L’homme,
la société et l’ensemble de notre planète sont au service de
cette idéologie. Le système totalitaire marchand a donc réalisé
ce qu’aucun totalitarisme n’avait pu faire avant lui : unifier le
monde à son image. Aujourd’hui, il n’y a plus d’exil possible.
Perspectives
A
mesure que l’oppression s’étend à tous les secteurs de la vie,
la révolte prend l’allure d’une guerre sociale. Les émeutes
renaissent et annoncent la révolution à venir. La destruction de la
société totalitaire marchande n’est pas une affaire d’opinion.
Elle est une nécessité absolue dans un monde que l’on sait
condamné. Puisque le pouvoir est partout, c’est partout et tout le
temps qu’il faut le combattre.
La
réinvention du langage, le bouleversement permanent de la vie
quotidienne, la désobéissance et la résistance sont les maîtres
mots de la révolte contre l’ordre établi. Mais pour que de cette
révolte naisse une révolution, il faut rassembler les subjectivités
dans un front commun.
C’est
à l’unité de toutes les forces révolutionnaires qu’il faut
œuvrer. Cela ne peut se faire qu’à partir de la conscience de nos
échecs passés : ni le réformisme stérile, ni la bureaucratie
totalitaire ne peuvent être une solution à notre insatisfaction. Il
s’agit d’inventer de nouvelles formes d’organisation et de
lutte.
L’autogestion
dans les entreprises et la démocratie directe à l’échelle des
communes constituent les bases de cette nouvelle organisation qui
doit être antihiérarchique dans la forme comme dans le contenu.
Le
pouvoir n’est pas à conquérir, il est à détruire.
Épilogue
«
O Gentilshommes, la vie est courte… Si nous vivons, nous vivons
pour marcher sur la tête des rois. »
William
Shakespeare
Jean-François
Brient
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