dimanche, novembre 09, 2014

Le visage du silence

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Le Visage du Silence, sous ce titre, Dhan-Gopal Mukerji nous donne une très intéressante « Vie de Rama Krishna », le déjà légendaire « saint » hindou.

La traduction de Madame G. Godet, souple et aisée, nous permet de goûter au mieux la saveur de l'original anglais.

Ce nouvel « appel de l'Orient » est un des livres les plus prenants qui soient. Son attrait est indéniable et un somptueux drapé poétique, un arc-en-ciel de fines remarques et d'anecdotes, savamment choisies, adoucissent certains angles où se blessent parfois notre sensibilité occidentale et notre foi chrétienne.

Ce livre n'est pas écrit par un hindou pour ses frères de race. Traduit en anglais et en français, il veut être le reflet du « message » de Rama Krishna à l'Occident. C'est donc de notre point de vue occidental qu'il convient de l'examiner, sans parti pris. [...]

Parcourons rapidement le livre.

Au premier chapitre, nous faisons connaissance avec le monastère de Rama Krishna et le mode d'existence des moines deux heures de méditation le matin, deux heures d'enseignement intellectuel et de discussion du Védanta dans l'après-midi, exercices de concentration et de contemplation dans la soirée. Leur existence n'est pas purement contemplative, si quelque fléau vient à frapper l'Inde, « prompts comme l'aigle fondant sur sa proie, ils apportent des secours aux sinistrés. » [...]

Au chapitre trois, signalons une magnifique description de la déesse Kali, personnification du Temps et symbole de la marche des choses créées.

Il faut évidemment un être de l'élévation de Rama Krishna pour pressentir, à travers elle, l'au-delà des choses, l'au-delà du Temps. La longue description que lui consacre l'auteur est digne de son sujet, tout commentaire serait ici superflu.

Dhan-Gopal Mukerji continue ensuite à nous faire connaître Rama Krishna, au moyen d'anecdotes charmantes, où se détache la bonhomie malicieuse et le profond bon sens du maître. Citons celle-ci, particulièrement caractéristique :

« Un de ses jeunes élèves était allé faire des achats. Il dédaigna de marchander, jugeant cela comme une chose fort matérielle et, par conséquent, au-dessous de sa dignité. Dès son retour au monastère de Dakshinesvar, le maître voulut savoir pourquoi il avait payé si cher pour si peu de choses. Le jeune apôtre répondit : « Je n'ai point marchandé, maître... Ce ne serait pas agir selon l'esprit. ». « Quoi répondit Rama Krishna, tu t'imagines que parce que tu négliges l'art de marchander, Dieu fera de toi un saint ? Allons donc ! l'homme vraiment saint est celui qui n'a de dédain pour rien. Tant que tu vas et viens dans le bazar de la vie, tu dois apprendre à en connaître à fond les lois. Garde-toi de confondre l'idiotie avec la sainteté ! »

Le quatrième chapitre nous narre comment, à l'âge de trente ans, Rama Krishna fit sa première expérience de l'illumination.

« Ayant accompli tous les rites matinaux du Temple, il s'assit devant la déesse Kali et lui dit « Ô Mère, si je n'ai pas reçu aujourd'hui même l'illumination, je m'enlèverai la vie demain. J'ai maintenant passé douze années en prières et en méditation. J'ai pratiqué toutes les austérités que chacun des Gourous rencontrés m'a prescrites. J'ai vécu selon les enseignements des saints livres que tu as révélés aux hommes. Malgré tout cela, Mère, tu ne m'as point accordé la vision de ta face... »

Subitement, le bras de pierre de la déesse remua... Ses lèvres se changèrent en deux brûlants pétales de lumière... Puis la lumière dansa et courut tout le long du corps de Kali... le flamboiement s'étendit, gagnant en un instant tout le sanctuaire... Partout où regardait Rama Krishna, il n'y avait plus que lumière ; lumière, encore lumière ! »

Cette injonction à Kali est très amusante. Comment ne pas la mettre en opposition avec l'attitude du chrétien (nous voulons dire du vrai chrétien)

« Que votre volonté soit faite ! » Toutes les macérations, tous les renoncements de Rama Krishna, quelle que soit leur sublimité, sont entachés, dans leur principe, par ce fait qu'ils ne constituent pas de vrais sacrifices, mais des marchandages : c'est le renoncement à ceci, à condition d'obtenir cela.

Pareil à ces moines naïfs de nos contrées qui passent leur vie à dompter leur chair dans le but d'éviter l'enfer ou de « gagner » le paradis, notre héros en arrive à penser que la « révélation » lui est bien due, et qu'il l'a payée assez cher pour être en droit. de l'exiger ou de se déclarer frustré.

Aussi, dans l'« illumination » sur laquelle s'étend complaisamment l'auteur, est-il difficile de voir autre chose qu'une exaltation, une exacerbation cérébrale. Notons à la base la volonté de voir, beaucoup plus que le désir d'aimer. Or, qui veut voir, à toute force, surtout s'il suit certains entraînements, arrive fatalement à « voir ». La valeur propre de cette vision n'est pas convaincante. Passer douze ans à concentrer sa pensée sur une image, donne à la substance mentale la force. nécessaire pour la former, à la volonté la force nécessaire pour l'extérioriser. Elle n'en reste pas moins subjective dans son essence, quelque objective que soit son apparence.

Former et dissoudre de telles images est l'a, b, c, de l'initiation lamaïque, pour ne citer que celle-là. Mais au moins le lama n'est pas dupe de sa création.

Cet intérêt personnel, que la psychologie primaire d'un occidental « moyen » peut aisément démêler à l'origine des macérations du « saint », nous en trouvons un reflet dans l'attitude de ceux qui viennent l'admirer, comme dans celle de ses protecteurs : « Vous êtes les bienvenus - disaient ces derniers aux pèlerins - ne nous remerciez pas ; nous ne désirons QUE NOUS ACQUÉRIR DES MÉRITES en servant NOTRE saint ». (page 46).

En somme, la différence fondamentale entre les mobiles de Rama Krishna et ceux de ses admirateurs, est celle qui sépare les convoitises grossières des convoitises spirituelles - qui ne sont peut-être pas les moins dangereuses.

Nous assistons ensuite à la rencontre de notre « saint » avec un mystérieux étranger, auquel il devra de connaître le Samadhi (l'extase de l'Unité Parfaite, de l'identification suprême avec la Divinité).

À la proposition de l'étranger, Rama Krishna répond d'un bel élan : « Mais, que gagnerais-je à atteindre l'Unité Parfaite ? ». Ainsi, nous ne sortons pas des calculs intéressés, si hautement spirituel que semble le domaine où s'échafaudent ces calculs

Après l'avoir convaincu, le très singulier Gourou lui propose de l'initier à l'Advaita Vêdanta - la science de l'identité. Il lui explique que, lorsqu'il a passé par le Samadhi, l'homme ne se sent plus seulement une part de la Divinité, « il se sent tout entier Dieu. Il est devenu l'épine dorsale de l'Univers. »

Le Tentateur ne parlerait pas autrement...
Tatapuri (c'était le nom donné par Rama Krishna au Gourou inconnu), vit avec une certaine stupeur notre « saint » lui objecter qu'il lui fallait d'abord le consentement de la Divine Mère. Celle-ci le lui permit. Notons que cela coïncidait avec son propre désir, et qu'a notre sens la Divine Mère ne pouvait guère vouloir autre chose que ce qu'il désirait... On est rarement en désaccord avec les dieux qu'on a « objectivés »

Quoi qu'il en soit, dit l'auteur, le Gourou, grand védantiste « ne croyait pas à un Dieu personnel, pas plus qu'il n'admettait l'efficacité de la prière, ni le culte rendu à un Créateur. Mais il ne fit aucune observation sur ce point à Rama Krishna, pensant que, sous sa direction, le disciple apprendrait à discerner la vérité et rejetterait spontanément de telles superstitions. »

Nous voyons, par ceci, que le Gourou, logique avec lui-même, ne prend pas au sérieux les rapports que croit entretenir Rama Krishna avec la Grande Déesse : « Tu n'es qu'un visionnaire, la déesse de pierre n'est pas une Mère. - Il n'y a d'autre Dieu que toi... discerne la vérité des superstitions ! » De ces propositions les unes justes, les autres fausses, on peut conclure que Rama Krishna avait un bien inquiétant initiateur, et que l'ordre d'idées vers lequel celui-ci l'orienta ne fut pas sans influence sur sa conception future du Divin, ni sur ses expériences.

Les voici donc, tous deux, assis, méditant sur cette parole « Je suis Dieu. Je suis le Bonheur infini. Je suis la Connaissance infinie. Je suis sans nom et sans forme. Je suis Un ! Je suis Lui ! » Cela dura des heures, pendant lesquelles la récitation du mantra de l'unité alterna avec la concentration de l'esprit sur le suprême Brahma. De telles incantations, répétées sans cesse, ne peuvent se résoudre que dans l'autosuggestion. C'est en somme la méthode de Coué transposée. Si elle semble donner souvent des résultats à ceux qui se l'appliquent, elle ne saurait en rien influer sur les autres et, placé devant le problème : « Suis-je ou non identique à Dieu ? », prétendre en trouver la solution en se répétant : « je le suis », c'est simplement en fausser les termes et y introduire un arbitraire qu'aucune considération métaphysique ne pourrait justifier !

Après deux tentatives infructueuses, Rama Krishna réussit enfin à atteindre le Samadhi, tant désiré et, selon son sentiment, à ne faire plus qu'Un avec l'Absolu, la notion affaiblie du « moi » s'affirmant par intermittences, avec une grise monotonie.

Notons ici que cet état, étant donné les circonstances qui l'amenèrent, nous apparaît comme absolument artificiel et qu'il n'a, dans tous les cas, rien à voir avec l'extase d'un saint chrétien, un vrai : l'un a tendu son esprit vers un but qu'il s'est fixé, a développé sa sphère mentale à un degré extraordinaire, au moyen de procédés artificiels ; l'autre n'a rien cherché, sinon à servir son Dieu, n'a pas suivi d'entraînements, pas prononcé d'incantations, pas fait de concentration mentale, le résultat est d'autant plus probant chez lui, qu'il n'a pas nécessité d'efforts anormaux et qu'il n'a pas été « voulu » - d'autant plus douteux chez le premier.

C'est alors, continue Dhan-Gopal Mukerji, que le Gourou donna à son élève son nom d'initiation : Raina Krishna Paramhamsa. Ceci pourrait signifier à peu près le Seigneur ayant maîtrisé la dualité (Raina et Krishna sont deux incarnations classiques de Vishnou, dont l'un exprime la blancheur de la lumière (Raina) et l'autre (Krishna) la profondeur des Ténèbres). Le symbolisme est transparent. Quant à Paramhamsa, ce nom signifie : le cygne planant. Chacun sait que le cygne, le fabuleux oiseau hamsa , monture de Brahma, représente l'énergie intellectuelle. Le nom du lac où il est censé se réfugier, Manasa, se rapporte d'ailleurs à l'intellect supérieur de l'être humain, manas. Ainsi, ce nom révélateur, (car aucun nom d'initiation n'est choisi au hasard), nous décrit la plus haute réalisation intellectuelle, mais n'a rien à faire avec la sphère spirituelle où le Christianisme situe ses saints authentiques. Cette différence est de toute importance.

Rama Krishna, après cette initiation, fonde donc un monastère. Une nouvelle anecdote va nous permettre de montrer la fragilité de ces cultures artificielles et combien peu elles affectent le centre profond de l'être.

Un après-midi, le premier disciple du maître, Brahmananda ne lui parut pas communier avec le Seigneur aussi aisément que d'habitude... Il en découvrit vite la cause sans mauvaise intention, on avait donné au disciple un morceau de beurre un peu plus gros qu'à l'ordinaire. Cela avait suffi à obscurcir l'âme du disciple.

Cette histoire est assez amusante. Qu'un morceau de beurre plus gros que d'habitude ait suffi à empêcher la communion mystique nous laisse rêveur. Le Christ, Lui, disait : « Ne vous occupez pas de ce que vous mangez !... Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille ! » Force nous est donc de croire que la communion avec le « Seigneur » est fort différente d'essence dans les deux cas. Nous verrons plus tard qu'il n'est pas inutile d'insister sur ce point, Rama Krishna considérant la voie du Christ comme identique, dans ses ultimes résultats, avec la sienne. Il est d'ores et déjà permis d'en douter...

Écoutons Rama Krishna nous parler des religions en général et du Christianisme en particulier :
« Si les religions ne sont que des moyens divers de trouver Dieu, pourquoi quereller sur leurs mérites ou leurs défauts respectifs ? Tout cela est entièrement vain ! »

Après avoir médité pendant deux années sur la personne du Christ et sur le Nouveau Testament, il sortit de sa retraite et déclara « J'ai trouvé Dieu à l'extrémité de la route que suit le christianisme. Ainsi, si quelqu'un sert le Christ, il arrivera à Dieu. J'en ai acquis la preuve. » Àun missionnaire anglais, il déclara « Il y a d'autres incarnations de Dieu que le Christ, qui veillent constamment sur leurs fidèles. Elles sont toutes aussi réelles que votre Seigneur. »

Certes, les religions sont un acheminement vers Dieu, comme l'école primaire peut être un acheminement vers l'université. Si l'âme vit réellement sa religion, elle peut lentement s'élever à une autre plus haute et plus pure. La religion du Christ est, pour nous, le couronnement de toutes les autres, car nul ne peut être définitivement régénéré que par le Christ.

Ce n'est d'ailleurs pas le rite qui fait le chrétien. Sont chrétiens les vrais serviteurs du Christ. Ils sont certainement peu nombreux, même au sein de sa propre Église. Si le Christ est bien, comme nous en avons la certitude, le Seigneur Suprême, le Fils Unique du Père, s'il peut, seul, comme il l'a promis, nous faire connaître son Père, on comprend aisément que, pour être totalement autre que celle de l'initiation indoue, la voie que suivent ses serviteurs en Esprit et en Vérité n'en est pas moins difficultueuse. Si les sentiers de l'initiation orientale sont peu fréquentés, les chemins les plus directs de l'initiation christique ne sont non plus encombrés. Or, ce sont ceux-là seuls qui se sont engagés sur ce que Jésus appelle « la Voie étroite », qui peuvent se dire chrétiens, au sens que nous donnons à ce terme. C'est, sous ce seul aspect que nous estimons le Christianisme supérieur, aux autres « religions », car ainsi entendu, il est la Religion, toutes querelles théologiques, dogmatiques ou rituéliques mises bien entendu de côté.

Devant le Christianisme, la méthode de Rama Krishna reste la même : concentration mentale, méditation, volonté d'aboutir. Cette méditation qui lui faisait voir et entendre Kali, parce qu'il le voulait, lui fait voir Dieu au bout des religions diverses, parce qu'il le veut. D'ailleurs, il ne faut pas oublier qu'il s'est « identifié » à Dieu et considère Christ, Bouddha, Mahomet, comme identifiés d'une manière analogue. Même le missionnaire qui lui rend visite peut lui sembler (page 66) « une incarnation de Jésus-Christ », ce qui n'est pas étonnant si l'on suit le même raisonnement que lui. Il est d'ailleurs curieux qu'il faille deux ans de méditation à celui qui s'est identifié à Dieu et à la Connaissance infinie, pour se mettre au clair avec lui-même sur le Christ et le christianisme.

Notons d'autre part que Rama Krishna, avec son étonnant bon sens, se gardait bien, personnellement, de détourner de sa voie, un chrétien séduit par lui. Un hindou converti au christianisme, trop faible pour résister à l'attrait personnel du « saint » se déclare prêt à le suivre. Il s'écrie « j'aimerais tout abandonner pour VOUS suivre ! »

Mais Rama Krishna le lui défendit : « Non, non, suivez votre sentier propre, le seul qui vous convienne ! »

Page 71, l'auteur résume le sens d'une parabole de Rama Krishna, par la sentence suivante « À chaque âme convient l'image personnelle qu'elle se fait de son Dieu ». « Pour le « saint », peu importe le nom donné à ce Dieu, Vishnou, Jéhova, Christ, Raina, Nirvana, sont des identités».

Ceci n'est pas juste et n'a rien, à voir avec la spiritualité. Ces lieux communs métaphysiques, d'ordre assez rudimentaire, étonnent, sortant de la bouche d'un être aussi remarquable. Il lui échappe d'ailleurs - de temps en temps - des observations vraiment superficielles. Que signifie, par exemple, cette phrase creuse : « L'avenir est une matrice féconde... pourquoi n'enfanterait-elle pas un Dieu ? »

Mais ces faiblesses sont rachetées par des pages magnifiques. Nous recommandons au lecteur la méditation des pages 78, 79, 80, 81, dont nous extrayons ce trop court passage:
« S'ils ne font pas chanter de joie notre cœur, les rites et les routines du culte ne sont d'aucune utilité. La fleur tombe de l'arbre au moment où le fruit apparaît. Ainsi les rites et les prières doivent se détacher comme des écailles d'une âme qui est libérée. Le salut est à l'âme ce que la liberté est au prisonnier. »

Celui-ci est également magnifique : « La façon dont agissent la plupart des gens désireux d'aimer et de connaître Dieu est un scandale. Sans doute le croient-ils plus affamé que le premier mendiant venu, qui tend la main, et que l'on contente aisément en lui jetant une poignée de ceci ou de cela... »

Dures et fortes vérités, qui valent autant sur les bords de la Seine que sur les rives du Gange !

Page 95, la comparaison des aspects de Dieu avec ceux du caméléon éclaire bien la pensée de Rama Krishna. Seulement, peut-on assimiler la conception que chacun se fait de Dieu, à Dieu lui-même ? Relevons ici l'aveu implicite qu'il n'a qu'une certaine conception de Dieu, dissemblable de celle d'un autre, mais non, au sens littéral, la vision même de Dieu, l'union avec Lui.

Remarquons en passant (page 112) que le récit d'un incident arrivé à l'un de ses disciples nous montre clairement qu'il se servait de la yoga et l'enseignait.
Or, nous pouvons lire (page 240) que Rama Krishna n'était pas yogi et désapprouvait la yoga, de même que « toutes les formes de prostitution spirituelle ». Il y a là une évidente contradiction.

L'auteur nous décrit ensuite la vie des principaux disciples du maître.
Le « mariage spirituel » du swami Brahmananda est une page très belle et très touchante, dont plus d'un Occidental pourrait faire son profit.

Un peu plus loin (page 126), nous voyons que le fameux Vivekananda, disciple du maître, n'avait pas une mince opinion de ses talents : une humilité de surface trahit un orgueil spirituel qui éclate à chacune de ses phrases. Et comme il parle haut de son « droit » à l'initiation ! Cette page est à méditer profondément, si l'on veut saisir un des points faibles de cette méthode et surtout, si l'on veut comprendre que les pouvoirs incroyables (pour des Occidentaux), que possèdent de tels surhommes, ne sont pas une preuve suffisante de spiritualité. Mais combien plus haute se dresse la stature spirituelle de la mère de Vivekananda. Celui-ci hésitait à se détacher du monde, parce qu'il craignait la pauvreté pour elle. Et voici la belle réponse :« Depuis quand a-t-on vu un membre de notre famille renoncer à Dieu par crainte de la pauvreté ? Ton propre grand-père a quitté son épouse, ses enfants, sa fortune et sa position, dès l'instant qu'il a entendu le Secret des secrets frapper à la porte de son cœur. N'ai-je pas promis à Dieu, longtemps avant ta naissance, que tu serais un homme voué à la religion ? Et maintenant que l'Infini se tient aux portes de ta vie, tu voudrais l'en éconduire ? Aucun de tes ancêtres n'aurait fait pareille chose ! De quel droit redoutes-tu la pauvreté pour moi ? »

Nous devons abréger cette étude, déjà trop longue. Glanons encore en passant cette phrase, qui pourrait être d'un vrai mystique chrétien : « Divine Mère, reprends tous ces livres et toutes ces sciences. La seule chose dont j'ai besoin, c'est de t'aimer. »

Et celle-ci : « Aucun Maître ne descend sur la terre sans y amener avec lui sa troupe de fidèles. Ce sont eux qui, les premiers, lui donnent leur adhésion, qui l'expliquent au reste du monde. »

Cette vérité n'est pas neuve et, même dans cet Occident obscurantiste, nous l'avons entendu énoncer bien souvent. C'est avec plaisir que nous la voyons dans la bouche de Rama Krishna, sur son lit d'agonie où, dans un abandon complet à la volonté de Dieu, il nous semble, à nous, profane, bien grand, bien près des plus hauts sommets de la spiritualité proprement chrétienne.

Nous terminerons cette maladroite critique (et qui ne se sentirait maladroit devant un tel géant ?), par ces paroles de Dhan-Gopal Mukerji : « Peu importe, en vérité, l'opinion de qui que ce soit ; ce qui importe, c'est la vie vécue par Rama Krishna. Si l'exemple de cette vie ne réveille pas en nous la spiritualité, toutes les paroles que nous pourrions entendre ou prononcer à son sujet n'y changeront rien. »

Souhaitons, en terminant, que beaucoup lisent ce livre, non dans un esprit d'admiration aveugle ( «l'Orient, mon cher ! ») ou de stupide dénigrement, mais avec le pieux espoir d'y recueillir les parcelles de vérité et de lumière qui scintillent, ça et là, à travers les pauvres mots humains.

A. SAVORET.

« André Savoret (1898-1977) druide puis alchimiste est un mystique chrétien Connu pour ses livres régulièrement réédités tels que « Visages du Druidisme » ou plus récemment « Du Menhir à la Croix », il est avant tout considéré comme un exégète de la gnose. »


Vie de Rama Krishna.
DHAN GOPAL MUKERJI 


   Traduit de l'anglais par Mme Gabrielle Godet



lundi, novembre 03, 2014

La révolution libérale


Interprète du Dalaï-lama, Matthieu Ricard a été ordonné moine dans l'ordre Nyingma du bouddhisme tantrique, dont la lignée de Mindröling a renié le véritable bouddhisme pour se vouer au culte de l'argent. Selon l'ex-moine Christian Pose, la hiérarchie de Mindröling est « l'un des lobbys les plus "côtés" des milieux d'affaires bouddhistes de Taïwan, de Singapour, de Hong Kong, de Tokyo, des Rotary's et des Lion's Club indiens, américains, européens, canadiens. Mindröling était en fait un club tantrique fortuné très sélect et très fermé comme la plupart des monastères tantriques tibétains de "l'ancien régime" liés à l'Occident fortuné, réactionnaire et militariste ». Le soutien de Matthieu Ricard au capitalisme des "business-lama" ou "golden card lama", au néo-bouddhisme utilitaire et magique, au « sans-frontiérisme » (Matthieu Ricard est pour un gouvernement mondial) se comprend mieux quand on connaît les idée de son père, le philosophe Jean-François Revel.

« Jean-François Revel, explique Eric Zemmour, bien que porté par un antimarxisme militant qui l’aveuglait souvent, fut un des rares intellectuels français à deviner ce qui se passait. Peut-être une affaire de génération : il était né vingt ans après les Sartre et Aron. Il n’avait pas leur vision traditionnelle de la révolution. Dans son livre qui le rendit célèbre dans le monde entier, « Ni Marx ni Jésus », Revel eut la formidable intuition que la révolution ne viendrait pas de Moscou, de La Havane, de Pékin, ou même de Paris, mais qu’elle était partie de San Francisco. La révolution serait libérale ou ne serait pas. La révolution serait encore une fois américaine, même si, comme au XVIIIe siècle, la révolution française parvint à aimanter tous les regards. Revel vit dans Woodstock la révolution des individus ; et dans les mouvements noirs, féministes et gays, la révolution des minorités. Il comprit que la conjonction des deux forgeait, dans les universités américaines des années 1960, ce « politically correct » qui balaierait la société traditionnelle et patriarcale. Ni Marx : en France, les révolutionnaires de Mai 68 utilisaient la langue marxiste, pour accoucher d’une révolution capitaliste. Ni Jésus : la quasi-extinction de la pratique du culte catholique accoucha d’un postchristianisme, une sorte de millénarisme chrétien sans le dogme (« les fameuses idées chrétiennes devenues folles » de Chesterton) mariant un universalisme qui vira au « sans-frontiérisme » et un amour de l’autre poussé jusqu’à la haine de soi. Un pacifisme absolu, tiré encore des Évangiles, se dénatura en un refus absolu de toute guerre, de tout conflit, de toute violence, associés à la virilité, par ailleurs dénoncée par les féministes comme coupable de tous les maux. »

Pour Eric Zemmour, « nous vivons dans une ère carnavalesque. Nicolas Sarkozy fut un Bonaparte de carnaval ; François Hollande est un Mitterrand de carnaval et Manuel Valls, un Clemenceau de carnaval. La Ve République est devenue la République radicale en pire. En ce temps-là, les Clemenceau, Jaurès, Waldeck-Rousseau, Poincaré, Briand etc. avaient encore de la tenue, de l’allure, du caractère, mais les institutions les entravaient et les étouffaient. Aujourd’hui, seules les institutions, comme le corset des femmes d’antan, maintiennent droit nos molles éminences. Chirac dissimulait sous un physique de hussard une prudence matoise de notable rad-soc. Sarkozy masquait par une agitation tourbillonnante et un autoritarisme nombriliste une crainte irraisonnée de la rue et une sensibilité d’adolescent. Hollande cache derrière un humour potache un cynisme d’airain et une main de velours qui tremble dans son gant de fer.

La plupart de nos élites ont renoncé. Nos élites politiques ont abandonné la souveraineté et l’indépendance nationale au nom de leur grand projet européen. Nos élites économiques trahissent les intérêts de la France au nom de la mondialisation et de la nécessaire internationalisation. Plus de la moitié des entreprises du CAC 40 appartient à des fonds étrangers. La France industrielle n’appartient plus à la France. Le CAC 40 n’a plus accueilli de nouvelles entreprises depuis vingt ans. Les patrons quittent l’Hexagone, suivent ou précèdent leurs enfants qui font leurs études à Londres, New York, Montréal, Los Angeles, installent les sièges sociaux de leurs sociétés en Angleterre, aux Pays-Bas, en Amérique, à Singapour ou à Shanghai, comme si leur croissance future ne dépendait que des pays émergents, comme si leur croissance passée ne devait rien au cher et vieux pays.

Nos élites médiatiques justifient et exaltent ce grand renoncement, admonestent et traquent les rares rebelles, et déversent un flot continu de « moraline » culpabilisante sur l’esprit public.

Leur objectif commun est d’arrimer la France à un ensemble occidental qui se liguera face à la nouvelle menace venue de l’Est, en particulier de la Chine. Le traité de libre-échange transatlantique a pour but, aux dires mêmes des négociateurs américains, d’édifier « une OTAN commerciale ». Cet accord soumettrait l’économie européenne aux normes sanitaires, techniques, environnementales, juridiques, culturelles des États-Unis ; il sonnerait le glas définitif d’une Europe cohérente et indépendante. »

Eric Zemmour, « Le suicide français ».




Les Français ont perdu confiance. Ils ont le sentiment que le pays fait fausse route. Mais ils hésitent encore sur les raisons qui ont pu les conduire dans cette impasse. A quel moment se sont-ils égarés ? Ont-ils été trompés ?

Pour les éclairer, Eric Zemmour se livre à une analyse sans tabou de ces quarante dernières années qui, depuis la mort du général de Gaulle, ont « défait la France ». En historien et en journaliste qui a connu bien des protagonistes de cette triste épopée, il mobilise aussi bien la politique que l'économie ou la littérature, le cinéma et même la chanson. Revenant sur des faits oubliés ou négligés, mais décisifs, comme la loi de 1973 nous obligeant à nous endetter auprès des marchés financiers, il nous réserve quelques surprises.

L'auteur relit chronologiquement le passé pour démasquer une succession d'aveuglements technocratiques, de « politique spectacle » délétère, de faux débats et de mensonges, notamment sur la famille, l'immigration, l'Europe ou la mondialisation... Il souligne notamment la responsabilité des élites dans ce fiasco.

Quarante ans d'indifférence au sort des vrais « invisibles » de la République (ouvriers, paysans, employés et cadres « rurbains » chassés en grande banlieue) ont, avec la crise économique, engendré un peuple blessé et perdu, livré aux nouveaux despotes de Bruxelles. Il est temps de faire les comptes ! C'est le premier pas nécessaire pour espérer pouvoir un jour guérir de nos maux.



samedi, novembre 01, 2014

Pourquoi la Chine consolide les marches de son empire


Le Tibet et le Xinjiang sont deux régions de la Chine hautement stratégiques. C’est pourquoi la main de l’étranger n’est pas innocente dans les revendications séparatistes dont elles sont le théâtre. C’est aussi pourquoi Pékin y conduit une politique de colonisation systématique.

Cet empire-milieu du monde, à la fois ethnie et civilisation, est une dynamique de peuplement, celle des Han, sur des territoires sans cesse extensibles, au moins jusqu’aux frontières d’autres civilisations sédentaires. Dans son Histoire de la Chine, René Grousset comparait la construction territoriale de la Chine à celle du Canada et des États-Unis en ce qu’elle était aussi l’histoire de la conquête d’immenses territoires vierges « par un peuple de laboureurs qui ne trouvèrent devant eux que de pauvres populations semi-nomades ». Commencé aux confins du loess et de la Grande Plaine aux alentours du IIe millénaire avant J.-C., le processus colonial se poursuit encore aujourd’hui dans les marches de la Chine : au Tibet, dans les déserts du Turkestan chinois (Xinjiang), dans l’Extrême-Orient russe (la sinisation venant ici pallier l’effondrement de la dynamique coloniale russe) et jusque dans les terres « barbares » par l’établissement de colonies de peuplement en Europe, en Amérique, en Afrique subsaharienne. Telle la colonisation romaine, l’avancée chinoise procède, au Xinjiang comme au Tibet, par l’établissement de paysans soldats, cultivant les terres conquises et prenant femme sur place. Les coûts d’occupation sont ainsi réduits, la zone conquise assurée par un maillage redoutable de soldats pionniers, les autochtones remplacés par captation de leurs reproductrices. Ailleurs, ce sont des colonies marchandes qui s’établissent et s’accroissent à une vitesse vertigineuse.

Entouré des plus hautes montagnes du monde, le plateau tibétain (situé entre 4000 et 5 000m d’altitude et sur plus d’un million de km2 pour la seule région autonome du Tibet) est le château d’eau de la Chine ; il est la source de deux grands fleuves nourriciers, le fleuve Jaune et le Yangzi. Poste d’observation idéal de la Chine et de l’Inde, il offre un avantage stratégique à ceux qui le contrôlent.

Le Tibet a rarement été souverain dans son histoire. Ce n’est qu’entre les VIIe et IXe siècles qu’il pose problème à l’Empire chinois, lorsque ses guerriers fondent sur l’ouest (Pamir), sur l’est (Yunnan), sur le nord (Tarim). S’il n’a été qu’épisodiquement souverain, c’est parce que les Tibétains (dont la langue, l’écriture et le modèle théocratique sont hérités de l’Inde) ont toujours été divisés et que la théocratie des moines les a affaiblis. Installé à Lhassa, le dalaï-lama, souverain politico-religieux, ne contrôlait ni les franges musulmanes de l’ouest du Tibet, ni le sud dominé par des rajahs indiens. Cette faiblesse du système politique intérieur explique que les Tibétains aient régulièrement cherché protection auprès des Chinois et que l’aristocratie tibétaine ait tissé des liens avec les dynasties impériales chinoises.

À la fin du XVIIIe siècle, la Chine des Qing avait atteint une influence maximale, en protégeant notamment le Tibet du Népal. Jusqu’à ce que les Britanniques fassent irruption dans la région, les Chinois se sont contentés de leur suzeraineté sur le Tibet, laquelle découlait naturellement de la demande de protection de leurs vassaux. Après leur contrôle du Sikkim, les Britanniques reconnurent cependant cette suzeraineté (convention tibéto-birmane de 1886). Mais, intéressés par le commerce tibétain, les Britanniques contribuèrent (en sous-main et depuis l’Inde) à renforcer le nationalisme tibétain. En 1947, à la fin de l’Empire britannique des Indes et au début de la guerre froide, les Américains prirent le relais des Britanniques. Le Tibet devint alors un enjeu stratégique majeur dans la compétition entre la République populaire de Chine (créée en 1949), l’Inde et les États-Unis. Dès 1951 (au moment de la guerre de Corée), la CIA mène des opérations au Tibet et entraîne les séparatistes tibétains à la lutte armée contre les autorités chinoises. C’est l’ingérence américaine qui devait alors conduire Pékin à passer d’une logique d’administration indirecte (suzeraineté traditionnelle) à une logique plus directe et répressive. Le soutien américain ne cessera jamais : arracher le Tibet à la Chine constitue l’un des objectifs de la politique asiatique des États-Unis. Mais, pour Pékin, un Tibet indépendant, allié des États-Unis, et où seraient déployés missiles et radars américains, est évidemment inacceptable. (…)



La mondialisation-occidentalisation

Caressé par le président Franklin D. Roosevelt en 1941, le rêve d’un gouvernement mondial sous l’égide des valeurs américaines est apparu réalisable depuis l’effondrement de l’URSS. D’où la volonté de Washington de globaliser l’Otan, le bras armé de sa politique. En commençant par y intégrer la totalité des États européens…

À l’époque de la guerre froide, deux mondialisations s’opposaient, celle du capitalisme, dominée par les États-Unis, et celle du communisme, dans laquelle Chine populaire et URSS se faisaient concurrence. Pour les États-Unis, l’effondrement de l’URSS a ouvert la perspective d’un élargissement rapide de la « mondialisation-occidentalisation ». Le communisme soviétique abattu, il devenait possible d’œuvrer à la transformation globale du monde, d’y absorber notamment les civilisations chinoise et islamique. Il devenait possible de revenir au rêve de Terre-Neuve où, en 1941, Roosevelt et Churchill avaient signé la charte de l’Atlantique : un rêve de gouvernement mondial qui organiserait la mondialisation libérale et démocratique. Rêve, enfin, qui justifia au moins jusqu’en 1947 une politique américaine dite « convergenciste » (selon le terme proposé par l’historien Georges-Henri Soutou) à l’égard de l’URSS.

C’est seulement en 1947, lorsque les Américains commencèrent à comprendre qu’ils ne parviendraient pas à entraîner les Soviétiques dans leur projet, qu’ils se résignèrent à le rétrécir géographiquement : l’atlantisme remplaça le mondialisme, les accords du GATT de 1948 ne s’étendant qu’à une partie seulement de l’économie mondiale. On entra alors dans la guerre froide, et une quarantaine d’années passèrent, jusqu’à ce que, en 1989, le « nouvel ordre mondial » du président George Bush vienne donner une nouvelle jeunesse aux idées de la Charte atlantique de 1941. En disparaissant, le mondialisme soviétique laissait au mondialisme américain de vastes perspectives… Le « convergencisme » fut alors restauré autour du thème mobilisateur de la lutte contre le terrorisme global, thème qui connut certes une accélération en 2001, mais qui fut mis en avant dès la sortie de la guerre froide.
Buts géopolitiques des USA

• Empêcher la Chine de devenir la première puissance mondiale par une stratégie d’encerclement régional, de contrôle de la dépendance énergétique, de dépassement de l’équilibre nucléaire (bouclier antimissile).

• Détruire l’influence russe dans sa périphérie et la ramener à l’intérieur des frontières de la Fédération de Russie.

• Soutenir la géopolitique israélienne par la transformation politique d’un Grand Moyen-Orient musulman démocratisé sous forme de régimes proaméricains ayant établi des relations avec Israël.

• Consolider la construction d’un grand bloc transatlantique, qui s’étendrait jusqu’aux frontières de la Russie et de la Chine, et qui engloberait la périphérie méditerranéenne.

Ce qui n’est pas compatible avec ces objectifs, c’est que les Européens, les Russes ou les Chinois puissent entretenir un quelconque projet de puissance. Un monde multipolaire, c'est-à-dire un monde où des pôles de puissance régionaux s’équilibrent, n’est pas compatible avec l’horizon d’une « mondialisation-occidentalisation » dirigée par les États-Unis. C’est donc bien dans ce cadre géopolitique et idéologique que le rôle de l’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) doit être envisagé. L’Otan est en effet l’un des moyens (mais ce n’est pas le seul) que les États-Unis s’efforcent de mettre au service des buts géopolitiques énoncés précédemment. (« S’efforcent », car l’Otan réunit des pays souverains, et l’unanimité est requise dans la décision.)

De fait, depuis 1990, l’Otan est devenue, dans son action comme dans sa composition, de moins en moins euratlantique et de plus en plus globale.
Aymeric Chauprade


Dans « Chronique du choc des civilisations », Aymeric Chauprade démontre que la géopolitique n'est pas une science réservée à un aréopage restreint de spécialistes, mais une clé dont chacun peut se servir pour décrypter l'histoire du début de ce troisième millénaire et pour répondre aux questions souvent angoissantes que pose l'actualité.



Chronique du choc des civilisations


mardi, octobre 28, 2014

La vie de l'initié shivaïte


Les règles de conduite du « participant » (bacchant ou bhakta), du « compagnon » (kaula) qui veut se consacrer à la recherche de la sagesse, sont, d'après le Linga Purâna (I chap. 89, 24-29), au nombre de cinq : ne pas voler (astéya); errance et non-mariage (brahma-chârya) ; absence d'ambition (ahbha); renoncement aux biens matériels (tyâga) et non-violence(ahimsâ). A celles-ci, s'ajoutent pour les apprentis : absence de colère (akrodba) ; service du maître (gurusushruta) ; propreté (shaucha) ; modération dans la nourriture (ahâralâghava) et études (adhyaya).

Dans le monde chrétien, les membres des ordres religieux prononcent trois vœux, de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, c'est-à-dire qu'ils renoncent, en faveur du supérieur de l'ordre considéré comme représentant de « Dieu», aux trois biens essentiels de l'homme, le plaisir, la richesse et la liberté. La différence entre la conception chrétienne et shivaïte est profonde. Le non-mariage n'implique pas nécessairement la chasteté, mais le fait de rester en dehors des responsabilités sociales que le mariage implique. Il ne s'agit pas d'absence d'actes sexuels, ce qui est d'ailleurs une impossibilité pratique. Nous retrouvons quelque chose de similaire dans l'agéla grecque. La pauvreté, absence de convoitise et de possession exclut chez les bhaktas la propriété collective, le monastère. Le bhakta errant est un solitaire et un vagabond. Il mendie sa nourriture et ne fait pas de provisions.

L'obéissance n'est une vertu que pour l'étudiant, et encore se limite-t-elle au service du maître. Jamais le disciple n'abdique son libre arbitre, son indépendance. Jamais le maître ne doit prendre la responsabilité d'imposer un mode de vie ou de penser. Il ne répond qu'aux questions qu'on lui pose et son avis n'est que consultatif. La propreté, le soin du corps, est un devoir essentiel. Le corps est une image du dieu et doit être considéré comme tel. Il est l'instrument de toutes les réalisations. Il faut le maintenir par l'exercice, les bains, les massages dans le meilleur état d'harmonie physique. [...]

La société shivaïte est originellement matriarcale. La propriété, la maison, les terres, les serviteurs appartiennent aux femmes. L'homme n'est qu'un fécondateur, un errant qui s'intéresse aux arts, à la guerre, au jeu, ou bien se consacre à la vie intellectuelle ou spirituelle. Dans les sociétés sédentaires qui s'adonnent à l'agriculture, la propriété normalement appartient à la femme, l'héritage se fait de mère à fille. Le système de la dot en est une survivance. Par contre, dans les sociétés nomades fondées sur l'élevage, c'est l'homme qui prédomine. La femme s'achète. Le principal problème des sociétés issues des invasions aryennes réside dans le fait qu'elles sont devenues des sociétés sédentaires tout en maintenant un système patriarcal de société nomade. La femme représente la propriété, le monde matériel, l'esclavage de l'homme. […]
 

La réalisation de soi-même sur le plan érotique est un aspect essentiel du développement de l'être humain. La prostitution qui permet à l'errant, au moine, au pauvre, mais aussi à l'homme marié, dont les rapports à but procréatif n'ont pas la même valeur, de pratiquer l'extase érotique devient une profession bénéfique et sacrée. Elle correspond, sur un autre plan, à l'aumône, abri et nourriture, due aux errants. Dans l'Inde, de nombreuses jeunes filles étaient dédiées au temple pour y accomplir ce devoir social et religieux qu'est le don de l'amour. Elles recevaient une éducation raffinée comprenant la musique, la danse et les techniques érotiques. Nous voyons de même dans le monde grec, en particulier à Corinthe, la prostitution considérée comme une sorte de service divin. Les Hébreux ont connu eux aussi la prostitution sacrée féminine et masculine.

En dehors de son rôle religieux qui est de permettre à tout homme d'expérimenter l'extase érotique, la prostitution joue également un rôle social essentiel pour la stabilité de la famille. Les traités de politique tels que l'Artha Shastra lui attribuent une grande importance et en définissent les règles. Lorsque le gouvernement Nehru voulut interdire la prostitution dans l'Inde, une délégation de sévères brahmanes se rendit à Delhi pour protester et rappeler que, selon la parole des textes sacrés : « Dans les pays sans prostituées, toutes les maisons deviennent des bordels. » Comme les membres des autres professions artisanales, les prostitués des deux sexes forment des associations très organisées. La corporation des prostitués masculins avait, au moment de l'indépendance de l'Inde, offert son support au gouvernement du Congrès national.

L'institution des danseuses-prostituées des temples, qui en comptaient parfois des milliers, fut interdite par le législateur anglais et provoqua, entre autres, un déclin des arts de la musique et de la danse très liés à cette institution.

La prostitution masculine, principalement sous la forme de travestis, existe toujours dans beaucoup de petites villes et villages indiens, comme elle existait à Athènes. Elle a joué également un rôle rituel lié au culte de l'Androgyne, comme c'est le cas aussi dans le Shamanisme, mais semble aujourd'hui décadente. Toutefois, les prostitués travestis ont une place dans la société. Ce sont eux qui jouent le rôle des bergères amantes de Krishna dans les représentations populaires du Krishna-lîlâ. Les prostitués travestis sont installés généralement à la périphérie des villes, comme autrefois les sanctuaires de Shiva-Dionysos. Par contre, les prostituées femmes sont établies dans l'enceinte même du temple.

Le Shivaïsme est une religion de la nature. Il préconise, pour les initiés, la vie dans la forêt, l'errance, l'éloignement de la cité. Cela implique une obligation d'assistance de la part de ceux qui restent dans la vie active. Les hommes qui se consacrent à l'acquisition des biens matériels ont pour fonction et pour devoir de financer les temples, les prêtres, les moines, les artisans et les artistes, et d'avoir toujours table ouverte pour les errants. L'hospitalité est un devoir absolu. L'errant, le voyageur égaré ne doit jamais trouver une porte fermée. Avant de prendre sa nourriture, chacun doit regarder s'il n'y a pas près de la porte un moine mendiant ou quelque voyageur qui a besoin de nourriture et qui doit être servi en premier.

Théoriquement, les devoirs envers les hôtes sont sans limites. « Vénérer un hôte est la meilleure façon d'acquérir des mérites. Le sage Sudarshana (Bel-àvoir), qui voulait par ses vertus vaincre le dieu de la Mort, dit un jour à sa chaste épouse : Jamais vous ne devez refuser d'honorer un hôte. Un voyageur est toujours l'image de Shiva et tout lui appartient. Dharma (la loi morale) prit alors l'apparence d'un moine errant et s'approcha de la maison du sage en son absence. L'épouse de Bel-à-voir lui offrit l'hospitalité d'usage. Une fois rassasié, il dit : J'ai assez de riz cuit et d'autres nourritures, vous devez maintenant vous donner à moi. Elle s'offrit donc à lui. C'est alors que Bel-à-voir revint et appela son épouse. Ce fut l'hôte qui répondit : Je suis en train de faire l'amour avec ta femme. Dis-moi simplement ce qu'il y a à faire maintenant, car j'ai terminé et suis satisfait. Bel-à-voir lui dit : Excellent homme ! Prenez en paix votre plaisir, je vais m'éloigner un moment. Dharma alors se révéla à lui et lui dit : Par cet acte de piété, tu as vaincu la mort. Tout hôte doit être honoré de la même manière. » (Linga Purâna)
 

Alain Daniélou, Shiva et Dionysos.





dimanche, octobre 26, 2014

Le retour de Shiva-Dionysos


Le Shivaïsme représente l'héritage d'expériences religieuses et humaines accumulées depuis les origines de l'humanité. Sa codification, telle que nous la connaissons, n'est apparue nécessaire que lorsque se développèrent des civilisations urbaines importantes qui pouvaient menacer l'équilibre de l'ordre naturel.

Selon la doctrine des Tantras, le culte de Shiva-Dionysos et les pratiques du Tantrisme sont les seules voies ouvertes pour l'humanité dans l'Âge des Conflits où elle se trouve à présent. Sans un retour au respect de la nature et à la pratique des rites érotico-magiques, qui permettent l'épanouissement de l'être humain et son harmonisation avec les autres formes d'êtres, la destruction de l'ensemble de l'espèce humaine ne saurait tarder. Seuls les fidèles du dieu pourront survivre et donner naissance à une humanité nouvelle.

Toutes les religions qui se sont opposées au Shivaïsme, au Dionysisme, aux sectes mystiques, ont accentué les tendances qui mènent à la destruction de l'harmonie du monde. Chaque retour à des conceptions shivaïtes - même lorsqu'il ne s'agit que d'une tendance – équivaut à une ère nouvelle d'équilibre et de créativité. Les grandes périodes de l'art, de la culture, sont toujours liées à un renouveau érotico-mystique. Tout au long de l'histoire, le Shivaïsme est resté dans l'Inde la religion du peuple. Il reprit graduellement une place très importante dans la vie religieuse des hautes castes grâce au Tantrisme. Il s'infiltra également dans le monde bouddhiste sous la forme du Mahâyâna. Il apparaît revivifié, vers la même époque, dans le monde égyptien, dans le Moyen-Orient, en Grèce et en Italie. Le culte de Dionysos, comme le dieu, renaît toujours de ses cendres.

Maintes fois au cours des âges, la tradition éternelle, liée au culte de Shiva-Dionysos, a été vaincue par les religions nouvelles, issues des ambitions et des illusions des hommes. Pourtant, elle est toujours réapparue, est née à nouveau de ses cendres, comme elle doit renaître dans l'âge moderne.

De nos jours, les conditions semblent favorables pour un retour vers les conceptions traditionnelles du Shivaïsme. Même dans le monde occidental dans lequel les survivances dionysiaques ont été sauvagement persécutées, un retour instinctif vers les valeurs shivaïtes est apparent. Un instinct de survie dans un monde menacé se manifeste sous des formes velléitaires telles que l'écologie, la réhabilitation de la sexualité, certaines pratiques de Yoga, la recherche d'états extatiques par les drogues. Ces velléités, généralement dévoyées et perverties, sont toutefois les indices d'un besoin profond pour retrouver une approche du monde, de l'homme, de la vie, qui soit fondée sur des valeurs réelles, soit conforme à la nature véritable de l'homme et à son rôle dans la création. Ces formes d'expérience ne trouveront leur logique et leur épanouissement que dans un retour au Dionysisme. Ce retour exige la reconnaissance de certains principes fondamentaux, car c'est avec leur aide qu'il peut être possible de retrouver les bases d'une civilisation véritable et de contribuer à limiter les désastres d'un anthropocentrisme aberrant. Ces principes tels que l'on peut les résumer sur les bases des données shivaïtes apparaissent comme les suivants :

1) La création est une. Les divers aspects du monde, de l'être, de la vie, de la pensée, de la sensation, sont inextricablement liés et interdépendants. Les sciences, les arts, les systèmes sociaux et religieux ne sont valables que comme les applications diverses de principes communs.

2) L'être humain est un. Il ne saurait être divisé en un corps, un esprit et une âme. On ne peut séparer les fonctions vitales des éléments émotifs et intellectuels, les activités du corps physique de celles du mental. Nos croyances, qui ont souvent le caractère de passions irraisonnées, et les tendances de notre pensée sont dirigées par des forces cachées qui nous habitent et dont nous devons prendre conscience pour pouvoir les contrôler.

3) La vie est une. Il n'existe pas de séparation entre le monde végétal, animal et humain. Ils sont interdépendants et leur survie commune dépend du respect de leur harmonie où nul n'assume le rôle de prédateur, nul ne s'arroge le droit d'altérer l'équilibre de la nature.

4) Les dieux, les esprits subtils et les êtres vivants sont issus des mêmes principes, sont indissolublement liés. Les dieux et les énergies subtiles sont partout présents dans le monde et en nous-mêmes. Il n'est pas possible pour l'être vivant d'atteindre ou de concevoir le principe causal au-delà de ses manifestations multiples. Il n'existe pas pour l'homme de Dieu unique, mais des dieux multiples.

5) La vérité est une. Il n'existe pas une sagesse orientale et une autre occidentale, une science qui s'oppose à la religion. Il ne peut s'agir que de formes diverses d'une même recherche. Les religions ne sont valables que dans la mesure où elles représentent les efforts de l'homme pour appréhender le divin, pour comprendre la nature du monde, pour mieux jouer le rôle qui lui est dévolu dans l'ensemble de la création. C'est une recherche qui doit rester toujours ouverte, qui ne saurait s'exprimer par des dogmes intangibles.

D'après les textes orphiques et pythagoriciens, c'est durant la deuxième partie de l'Âge de Fer, du Kali Yuga, que doit reparaître la suprématie de Dionysos et que seule la forme de religion que représente son culte reste valable. Cela est également l'affirmation du Shivaïsme. Seules les méthodes du Yoga tantrique sont efficaces dans cet âge où les valeurs se confondent et les rites, l'ascétisme et les vertus des autres âges sont sans effet. Nous pouvons observer que les découvertes récentes des sciences humaines, de la psychologie des sciences naturelles, de l'écologie, suggèrent des approches à des problèmes humains et universels que le Shivaïsme a toujours préconisé. « Il n'est pas exclu que notre époque passe à la postérité comme la première qui ait redécouvert les « expériences religieuses diffuses », abolies par le triomphe du Christianisme... On pressent que tout ces éléments préparent l'essor du nouvel humanisme qui ne sera pas la réplique de l'ancien, car ce sont surtout les recherches des orientalistes, des ethnologues, des psychologues des profondeurs, des historiens des religions, qu'il s'agit maintenant d'intégrer pour arriver à une connaissance totale de l'homme. » (M. Éliade, Méphistophélès et l'Androgyne.) Cette connaissance de l'homme implique celle de la place qu'il occupe dans la création, la reconnaissance de ses limites, du rôle qu'il peut jouer dans la hiérarchie des êtres. Le retour à la sagesse shivaïte apparaît comme la seule voie qui puisse assurer un répit à une humanité qui court vers sa perte à un rythme sans cesse accéléré.

Selon René Guénon : « Il ne s'agirait donc, en somme, que d'une reconstitution de ce qui a existé avant la déviation moderne, avec les adaptations nécessaires aux conditions d'une autre époque... L'Orient peut très bien venir au secours de l'Occident, si toutefois celui-ci le veut bien, non pour lui imposer des conceptions qui lui sont étrangères, comme certains semblent le craindre, mais bien pour l'aider à retrouver sa propre tradition dont il a perdu le sens. » (René Guénon, La Crise du monde moderne.) 


Alain Daniélou

dimanche, septembre 28, 2014

La joie intérieure


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"L'homme est Dieu si la joie coule à flots de lui jusqu'au ciel" Râmatîrtha


Les principales Upanisads enseignent que la Joie Suprême - la Félicité, le bonheur, l'ananda universel - est partout et imprègne tout cet univers visible, est l'essence de cet univers et de chaque être vivant : "Et il est heureux partout ! Autrement, où y aurait-t-il vraiment joie si cette joie suprême n'était pas l'âme véritable de tous les êtres" (Kathrudva Upanisad.)

Car l'on est heureux que lorsqu'on a reçu (perçu ?) l'essence - qui respirerait, qui vivrait, si la Félicité qui est dans l'espace n'était pas ? C'est cette essence seule qui donne la Félicité." (Taittiriya Upanisad)

Dans "Sâdhanâ", Tagore ne fait que répéter que l'Upanisad (sans dire que c'est la Taittiriya Upanisad) exprime : "C'est de la Joie que sont nées toutes les créatures, par la Joie qu'elles sont soutenues, vers la Joie qu'elles progressent et dans la Joie qu'elles pénètrent".

Oui, la Joie est l'essence de l'univers mais comme le souligne Michel Hulin quand en se détourne de son âme, de son essence, on cherche à se réunifier "(...) chaque fois qu'un sujet humain - ou même un quelconque être pensant fini - se détourne de son âtman et selon la pente de son désir extraverti cherche vainement à travers la jouissance des choses extérieures et la domination de ses semblables à se réconcilier avec lui-même, en quelque sorte à se ressouder."

Mais toute cette société détourne les individus de leur âme, de leur essence et de l'essentiel - de leur essence qui est celle de tout dans l'univers, qui est pourtant la seule source de bonheur - et, cela dès l'enfance, avec le "dressage scolaire" qui consiste à éradiquer, à mutiler l'âme de l'enfant, à l'empêcher de la trouver (pour E. Fromm, l'école est un processus d'asservissement qui assassine la créativité de l'enfant). Et pas de meilleur moyen pour "assassiner l'âme" (l'expression est de l'Isha Upanisad) que la futilité, le divertissement et le spectacle, encore plus intensif avec l'audio-visuel qui agresse la vie humaine dès l'enfance, futilité sur laquelle Râmatîrtha avait prophétisé dès 1903 : "Que le monde européen et yankee soit en train de réussir dans sa dévotion complète à la futilité, personne ne peut le nier."

Michel Fromaget a osé dire que dans tout ce système d'éducation "l'esprit, à peine levé, se rétracte et s'atrophie. Et c'est l'enfant lui-même qui finira par étouffer son propre esprit. Car tout enfant aime être aimé, aime être valorisé, il a naturellement peur d être rejeté, ridiculisé. Or, un tel pilonnage s'exerce avec force dès l'enfance la plus tendre, au moins dès l'entrée en cours préparatoire, pour ensuite ne plus guère cesser."

C'est encore Michel Hulin, dans le même petit ouvrage excellent, qui insiste sur le fait que : "l'ignorance métaphysique ne se contente pas de voiler nos pouvoirs naturels de connaissance, elle nous cache également la béatitude incréée, innée, en laquelle nous baignons à chaque instant puisque nous sommes ce "brahman". Et elle n'y parvient cependant pas totalement puisqu'il existe des joies et des plaisirs de caractère "mondain" en lesquels cette béatitude transparaît, quoique émiettée, déformée et souillée par l'avidité du désir et la crispation de la crainte."

Trouver son âme, son essence, sa véritable identité pour cesser de faire du mal à autrui, de l'exploiter ou d'exploiter son pays, de s'enrichir en l'appauvrissant ["La voie du ciel enlève à l'excédent pour compenser le manque, mais la voie des humains enlève à l'indigent pour engraisser le riche." (Lao Tseu)] de détruire la nature par cupidité et désir d'un haut niveau de vie, d'arrêter la violence et l'injustice sur Terre, issues de l'insatisfaction et des frustrations de l'ignorance de l'âme, de la dichotomie entre le corps-mental et l'âme (Atman) qui est la véritable identité de chacun et que l'ignorance métaphysique ambiante occulte dès l'enfance - Et pourtant, on oublie que dans l'Inde antique (si différente de la violence de l'Inde moderne,que je regrette) pour les Dharma-Sûtra, la société devait "mettre en place toutes les conditions possibles pour favoriser un développement moral et spirituel de l'être humain et pour le conduire à travers les différentes étapes de l'existence et quelque soit son niveau social et psychologique, vers un bien suprême, le plus haut but de la vie humaine qui est appelé l'obtention du soi (âtma-lâbha), c'est-à-dire la réalisation de la nature essentiellement divine et immortelle de son être intérieur" (Tara Michaël). La société devait donc favoriser les moyens pour chacun de trouver son âme, son Atman (l'esprit pour Michel Fomaget) et non en être la répression sous des prétextes économiques ou idéologiques...

Avec l'âme, la vie ne peut être que poétique et la vie poétique c'est de percevoir l'essence (la "vérité") à chaque instant, ce que l'Ishâ Upanisad exprime si bien : "Voir que tout ce qui existe demeure en vérité en Soi, et que l'on est soi-même en tout ce qui existe, cela met un terme au désir de pensée."

La poésie commence (ou l'Intuition) quand s'arrête la pensée discursive qui fragmente et découpe la réalité, qui refoule ou néglige ce besoin d'unité. Comme l'écrit Yves Bonnefoy qui précise "La poésie est la mémoire de l'Un (...), la poésie est aussi la théologie de la terre"...

Et ce très bon choix des "Œuvres complètes" de Râmatîrtra, de mon ami Jacques Vigne, ce florilège, nous montre que Râmatîrtra était un "poète à l'air libre", que réalisation du Soi et poésie se rejoignent, que trouver son âme mène à la vie poétique, à la Joie sans objet de trouver son essence, son âme, en toute chose...

Il pouvait dire : "J'aime la terre et je sens sa vie comme une partie de moi. Ma seule prière, c'est le bonheur que j'aime."

"La Joie de se mêler avec soleil et brise ! Oh ! la Joie d'errer dans les profondeurs de la forêt céleste(...)"

"La brise qui nous embrasse et les rivières qui murmurent etc.. ne doivent pas être mises de côté comme des aides extérieures ; tout est en nous (...)"
Michel Jourdan, poète.

jeudi, septembre 25, 2014

Que faire ?


Tout «faire», toute activité nécessite un but. Cela commence par un concept venant du passé, qui ensuite est projeté dans un fantasme du futur. «Faire» ne peut jamais vous amener ailleurs que dans le connu ou dans ce qui a déjà été conceptualisé. Remontez à la racine de la pensée qui déclenche le «faire». Là, vous découvrirez la fin du voyage qui, en fait, n'a jamais commencé. «Faire» ne peut jamais vous amener à ce que vous êtes déjà. «Faire» vous en éloigne et ne vous en rapproche jamais.

Y a-t-il encore des désirs après l'Éveil ?

Avant l'Éveil, le désir doit être celui de l'Éveil. Cependant, ce n'est pas un vrai désir, c'est l'attraction du Soi. Et pour qu'un tel désir apparaisse, d'autres désirs doivent disparaître. Les désirs ordinaires doivent s'effacer afin de créer l'espace pour le vrai désir, le désir de l'Éveil.

Après l'Éveil, le Soi Réalisé est au-delà de la forme, au-delà des sens, et par conséquent il n'est pas affecté par des désirs ordinaires. Ceux-ci peuvent continuer d'apparaître, mais ils n'affectent en rien le Soi.

Un jour, Krishna se tenait au bord de la rivière lors d'une célébration religieuse. Toutes les laitières portaient leurs offrandes et désiraient traverser la rivière pour se rendre au temple situé sur l'autre rive. Mais il n'y avait aucun bateau ni aucun pont pour le faire.

Alors Krishna leur déclara : « Dites à la rivière que si Krishna n'a jamais embrassé de jeunes filles, elle s'ouvre pour leur laisser le passage. »

Les femmes ne pouvaient croire en ses paroles. On disait qu'il avait eu seize mille amantes. La rivière ne s'ouvrirait jamais ! Krishna ayant déjà embrassé chacune de ces femmes, elles ne pouvaient le croire. Pourtant, elles s'adressèrent à la rivière : » Si Krishna n'a jamais embrassé une femme, ouvre-toi pour nous. » Et la rivière s'ouvrit pour les laisser passer.

C'est parce que le Soi (Krishna représente le Soi véritable) est immaculé et hors du temps. Il n'a jamais embrassé ou été embrassé.

Je viens de voir le Dalaï-lama. Il a parlé des problèmes de ce monde et du besoin que chacun soit dans l'action juste. Qu'est-ce que l'action juste ?

Un être Éveillé ne tient pas compte du passé et de l'avenir. Aucune considération n'est donnée aux fruits de l'action. Plus précisément, l'action naît dans l'instant et vient du Vide. Les fruits se prendront en charge d'eux-mêmes.

Le Dalaï-lama s'adressait à l'homme ordinaire qui a besoin d'une morale pour guider ses actions. L'être Éveillé, lui, reconnaît que la morale est elle-même vide, comme l'est toute chose. Ainsi, l'action juste, la parole juste et le chemin des huit étapes de Bouddha peuvent être une conséquence du Vide, mais ne conduisent pas au Vide. Par conséquent, un chercheur de Vérité cherchera uniquement le Vide et tout le reste suivra.

Quelle pratique recommandez-vous alors ?

Aucune pratique. Laissez-moi vous donner un exemple. Un jour, une lavandière travaillait au bord de la rivière, quand une lionne apparut pour se désaltérer. Un chasseur, caché dans les buissons la
tua... Il ne voulait que sa peau. Tandis qu'il dépeçait le corps de l'animal, il en retira un lionceau et le laissa sur la berge.

La lavandière prit le nouveau-né, le nourrit et l'éleva. Le lionceau la suivait partout où elle allait. Lorsqu'il fut assez fort, la lavandière le chargea de linge, comme elle le faisait avec ses ânes. Ainsi, le lion grandit, ponant le linge sur son dos et fin traité comme s'il était un âne.

Un jour, un lion qui chassait dans les environs découvrit des ânes en train de brouter l'herbe dans un champ. Il ne pouvait en croire ses yeux... Parmi les ânes, un lion broutait de l'herbe !

« Comment est-ce possible ? pensa le lion. Les ânes sont normalement de la bonne nourriture pour un lion et en voilà un qui mange de l'herbe ! » Le lion sortit du buisson et se dirigea vers le troupeau. Tous les ânes s'enfuirent, ainsi que le lion apprivoisé. Ce dernier avait aussi peur que les ânes ! Le lion sauvage poursuivit le lion apprivoisé et l'attrapa. Il lui sauta dessus et le mit à terre.

Le lion apprivoisé était terrifié. « S'il vous plaît, Monsieur, ne me mangez pas ! Laissez-moi repartir et retrouver les miens. - Mais tu es un lion ! lui répondit l'autre. - Non, Monsieur, je suis un âne. » Alors, le lion chasseur le souleva et l'emmena à la rivière. « Regarde ton reflet, nous sommes identiques » dit-il. Le lion se regarda dans l'eau et vit deux lions qui le regardaient. « Rugis maintenant ! » dit le lion chasseur. Et le lion rugit !

C'est aussi simple que ça. Ne vous exercez pas à être un lion. Rugissez !

Mais Monsieur, combien de temps cela pend-il pour se réaliser ? Combien de temps dure l'enseignement ?

Aucun temps ! Combien de temps cela prend-il pour rugir ? Vous ouvrez la bouche et c'est fini !

Eli Jaxon-Bear, Satsang avec H.L.W. Poonja, « LE SECRET DE L'EVEIL ».


LE SECRET DE L'EVEIL
La transmission de Poonjaji

Ce livre présente au monde une avancée extraordinaire. Le plein éveil est possible ici et maintenant pour chacun, peu importent les circonstances personnelles, le passé ou la pratique à laquelle on s'adonne. C'est cette possibilité qu'offrent l'enseignement et la transmission de Sri H.W.L Poonja.

Beaucoup de chercheurs ont entrevu la Vérité à travers des pratiques psychédéliques, en méditant ou pendant des moments de grâce inattendus. Pourtant, par une compréhension erronée, ces moments sont assimilés par l'ego comme une expérience parmi tant d'autres. Une croyance ancrée nous fait croire qu'il n'est pas possible d'être pleinement Éveillé dans cette vie. Le secret de l'éveil, la transmission de Poonjaji révèle la possibilité de découvrir la véritable Liberté maintenant.

Aucune pratique, aucun délai ne sont nécessaires ! Voici l'offrande de Poonjaji à ce monde.

Swami H.W.L. Poonja fut un des êtres les plus remarquables qu'il m'ait été donné de rencontrer dans ma vie.
Charles Antoni



Extrait de l'avant-propos

Le 1er janvier 1990, j'ai quitté ma vie active et suis parti en quête de l'Illumination. Mon épouse et mes amis pensaient que j'étais fou, et puisque j'approchais de mes quarante-trois ans, ils mirent ce départ sur le compte de la crise de la quarantaine. Une irrésistible force me poussait, et bien que je ne connusse pas ma destination, ni ce que je découvrirais, je n'avais pas le choix. N'étant pas novice sur le chemin, j'avais certains critères en tête : couper définitivement le mental égotique et m'éveiller dans la réalité non-duelle.

Je suis de la génération qui découvrit les psychédéliques : les années soixante furent l'époque où, dans ma quête de liberté, j'expérimentai différents hallucinogènes. Grâce à cela, je découvris que «ma» réalité n'était qu'un rêve et fis l'expérience du Soi, Conscience immortelle. Pourtant, cela ne me suffisait pas, car la souffrance égotique subsistait. Et cette expérience, cette réalisation, fut rapidement absorbée par l'ego qui se l'appropria.

J'offris ma vie au service de la terre et de l'humanité et mis à l'épreuve mes convictions dans les mouvements pour la paix et la défense des droits civils. Je pensais que «je» devais faire quelque chose pour arrêter la souffrance du monde, mais constatai que ce quelque chose conduisait inéluctablement à la souffrance, et rien ne s'arrêtait.

A la suite d'une réelle ouverture de conscience, que beaucoup de personnes de ma génération expérimentèrent grâce aux psychédéliques, la première vague des gurus arriva en Amérique. Je suivis les aventures de Râm Dass avec Neem Karoli Baba et autres maîtres. J'aimais lire Rajneesh et Da Free John. Je découvris la Shakti et la Bhakti en présence de Muktananda.

Je n'aurais jamais cru possible qu'un état non-psychédélique pût être aussi puissant, et pourtant j'en faisais l'expérience. Cependant, je ne me sentis pas particulièrement attiré par la vie en ashram. De tous les gurus que je connaissais, de Sai Baba à Maharaji, je constatais, en voyant les disciples de leurs ashrams, qu'ils ne s'éveillaient pas, mais devenaient seulement des dévots.

Je ne cherchais rien d'autre que l'Illumination et quelqu'un qui pourrait directement me la transmettre. Aussi riches et réjouissants que puissent être les états de shakti, ils ne conduisaient pas à la pleine Réalisation du Soi, du moins pour moi-même ou quiconque que je connaissais.

Puis, la lecture de Carlos Castaneda, des travaux de Gurdjieff, d'Evans-Wentz et du Livre des morts tibétain m'attira vers le bouddhisme tibétain. En 1976, je partageais la lecture des livres d'Evans-Wentz sur le bouddhisme tibétain avec ma future épouse et je voulus rencontrer les véritables héritiers de cette lignée. C'est en 1978, dans notre petite ville de Californie, que je fis la connaissance de Kalu Rinpoche, maître de méditation de la lignée Kagyu. Il me confia plus tard la direction du centre Dharma. Nous faisions des pujas, méditations, chantions en tibétain... Mais là encore je restai insatisfait.

Au début des années quatre-vingts,je rencontrai le plus vieux maître zen de cette époque au Japon. Je l'appelais O'ji isan et l'aimais profondément. Je fis l'expérience d'un Éveil profond lors d'un séjour au monastère Saikoj en présence du maître des lieux. Je fus honoré par tous, et une grande fête qui dura toute la nuit fut organisée pour l'événement. Malheureusement, le même mental réapparut le lendemain et mon insatisfaction persistait. 


Biographie de l'auteur
Eli Jaxon-Bear est un enseignant spirituel et auteur américain. Il vit à Ashland, Oregon avec sa femme, Gangaji. Avant de rencontrer son Maître, Sri HWL Poonja, en 1990, il était surtout connu pour son travail sur la dimension spirituelle de l'Ennéagramme.








mercredi, septembre 24, 2014

GetEasy, la vérité




GetEasy (traduisez « Obtenez facilement ») est une escroquerie qui se développe particulièrement bien en France.

Malgré ses tentatives pour se présenter comme une entreprise «globale internationale », GetEasy est une chaîne de Ponzi (Ponzi scheme en anglais) c'est-à-dire un montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants.

L'adresse de la société à Macao (20 / F, AIA Tour, 251A-301, Av. Comercial de Macao) est uniquement de nature virtuelle. Une recherche sur Google révèle que plusieurs autres entreprises utilisent cette même adresse. Ce sont des "bureaux virtuels" référencés par L'Executive Center du 20ème étage de la Tour de l'AIA.

Le nom de domaine de GetEasy "geteasygroup.com" (NDD en notation abrégée française ou DN pour Domain Name en anglais) a été enregistré de façon anonyme.

Les prétendues opérations commerciales effectuées depuis Macao n'existent pas, c'est un mensonge. L'adresse fournie sur le site Web GetEasy ne fonctionne pas avec Google Maps, même si plusieurs vidéos sur YouTube montrent un immeuble, le pseudo siège de GetEasy. Il s'agit en fait d'un montage utilisé pour duper les victimes de la chaîne de Ponzi nommée GetEasy.

GetEasy prétend vendre à grande échelle des services : tracker GPS, Bitcoin et GetMusic. C'est faux, GetEasy ne se livre pas à des activités commerciales légitimes pouvant générer un important chiffre d'affaires.

Une véritable activité commerciale fondée sur la vente de services, notamment de traçage par GPS, est introuvable sur Internet. En réalité, inviter les gens à rejoindre la société, puis à investir dans des «packs de participation» est la seule source de revenus que GetEasy génère.

Le succès de GetEasy démontre que les populations soumises au culte de l'argent font preuve d'une avidité incommensurable et d'un manque total de scrupule. Il révèle ainsi toute la médiocrité de la mentalité moderne.



samedi, septembre 20, 2014

Le gouvernement mondial selon le lamaïste français Matthieu Ricard



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Le 7 novembre 2011, invité à l'émission Service Public de France Inter, Matthieu Ricard, VRP du lamaïsme et apôtre de la méditation, déclare : « On doit en arriver à une gouvernance mondiale ». Dans son livre Plaidoyer pour l'altruisme, Matthieu Ricard développe sa vision politique.

Une démocratie informée et une méritocratie responsable

Comment faire en sorte que les peuples se donnent le meilleur gouvernement possible ? Comme l'a dit le Dalaï-lama après avoir « librement, joyeusement et fièrement » mis fin à quatre siècles de collusion entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel au sein de l'administration tibétaine en exil : « Le temps de la mainmise des dictateurs et des chefs religieux sur les gouvernements est révolu. Le monde appartient à 7 milliards d'êtres humains, et c'est eux et seulement eux qui doivent décider démocratiquement du sort de l'humanité. » Tels sont les propos qu'il a prononcés à maintes reprises depuis 2011, lorsqu'il abandonna les dernières prérogatives politiques qui étaient jusqu'alors associées à sa fonction, au terme d'un processus de démocratisation des institutions tibétaines qu'il entreprit dis son arrivé en exil sur le sol de l'Inde. « La démocratie, plaisantait Churchill, est le pire système de gouvernement, à l'exception de tous les autres qui ont été expérimentés. » Comment faire, en effet, pour que les décisions les meilleures pour l'ensemble de la population puissent émerger d'une immense masse d'individus qui n'ont pas toujours accès à un savoir leur permettant de décider en toute connaissance de cause ? Les dictateurs ont résolu la question en décidant pour tout le monde, et les chefs religieux en décidant selon les dogmes de leur religion respective. À de rares exceptions près, les premiers comme les seconds ont causé, et causent encore, d'incommensurables souffrances.

La plupart des tribus primitives [...] étaient de nature fondamentalement égalitaires. Lorsqu'elles se sont sédentarisées, ce sont généralement les individus considérés comme les plus sages, ceux qui avaient le plus d'expérience et qui avaient fait leurs preuves, qui étaient pris pour chefs. Le choix des dirigeants conciliait ainsi consensus et méritocratie. À mesure que ces communautés ont grandi, ont accumulé des richesses et se sont hiérarchisées, d'autres systèmes sont apparus, notamment la conquête brutale du pouvoir et la soumission des populations a l'autorité de potentats. L'histoire humaine a fini par montrer que la démocratie était la seule forme de gouvernement susceptible de respecter les aspirations d'une majorité de citoyens.

Mais comment éviter les dérives du populisme, des décisions hâtives prises en vue de satisfaire les demandes de ceux qui ne jugent les politiques qu'en fonction des avantages et des inconvénients à court terme ? Les politiciens assurent leur réélection en accédant à ces demandes et n'osent pas s'engager dans des réformes en profondeur dont les fruits ne seront pas récoltés immédiatement, et qui impliquent parfois des décisions impopulaires.

Les risques de la démagogie sont aujourd'hui particulièrement évidents dans le cas du déni du réchauffement global, très en vogue aux États-Unis, déni dont les arguments fondraient cent fois plus vite que les glaces de l'Arctique si la majorité de la population, des médias et des hommes politiques étaient mieux au fait des connaissances acquises par la science, et si ceux qui sont correctement informés étaient en mesure de prendre les décisions nécessaires à la prospérité à long terme de l'humanité. Il faut aussi que la science se plie moins aux exigences des marchés financiers qui l'éloignent de la production de connaissances au profit d'une valorisation économique de la recherche. La marchandisation de la science et de la médecine fait souvent passer les intérêts des laboratoires pharmaceutiques devant ceux des malades, et les intérêts des firmes agroalimentaires devant ceux des agriculteurs et des consommateurs.

L'Institut Berggruen pour la gouvernance, fondé par le philanthrope d'origine allemande Nicolas Berggruen, qui a décidé de consacrer sa fortune à l'amélioration des systèmes de gouvernance dans le monde, définit la « gouvernance intelligente » comme la réalisation d'un équilibre entre une méritocratie construite grâce à une série de choix effectués à différents niveaux de la société (des autorités locales aux responsables nationaux) et un processus démocratique qui permet aux citoyens d'empêcher les dérives potentielles du pouvoir vers la corruption, le népotisme, les abus et le totalitarismes.

Selon Nicolas Berggruen et l'éditorialiste politique Nathan Gardels, une démocratie informée implique une décentralisation maximale du pouvoir décisionnel, confiée à des communautés citoyennes actives dans les domaines relevant de leur compétence. Afin de gérer et d'intégrer ces pouvoirs interdépendants mais délocalisés, il faudrait, selon ces auteurs, mettre en place une instance politique fondée sur les compétences et sur l'expérience, qui dispose d'une vue d'ensemble sur le système et prenne les décisions sur les questions qui concernent le bien commun des citoyens. Cette instance constitue une méritocratie éclairée, protégée des pressions correspondant aux intérêts immédiats de certains groupes d'influence. Toutefois, pour rester légitime, cette instance doit être transparente, tenue de rendre des comptes, et son fonctionnement doit être surveillé par des représentants des citoyens, démocratiquement élus.

Berggruen et Gardels conçoivent une structure pyramidale qui encouragerait l'émergence, à chaque niveau de représentation, de communautés à taille humaine d'élus qui se connaissent et sont capables de juger de l'expérience et des capacités de leurs paire. Imaginons que ce système soit appliqué à un pays de 80 millions d'habitants. Le pays est divisé en 100 districts de 800 000 habitants. Chaque communauté de 2 000 habitants, constituant un «arrondissement» élit 10 délégués. Ceux-ci se rencontrent, délibèrent et élisent l'un des leurs, appelé à siéger dans un conseil de «secteur» composé de 20 membres représentant au total 40 000 habitants. Ceux-ci élisent à leur tour 1 représentant régional et 20 représentants régionaux élisent un député qui représente un district de 800 000 habitants et siège au Parlement national composé ainsi de 100 députés.

Les élus représentent ainsi des groupes qui, à différents niveaux, reflètent l'ensemble du corps électoral. Ce système est notamment utilisé en Australie et en Irlande. La différence avec l'élection directe de 1 député représentant 800 000 habitants est qu'à chaque niveau les personnes qui élisent celui qui les représentera au niveau supérieur se connaissent et sont à même d'apprécier de première main l'expérience, la sagesse et les capacités de la personne qu'ils élisent. À chaque niveau, les candidats doivent prouver qu'ils disposent de capacités (connaissances et expérience) proportionnelles au degré de responsabilité visé. Cette solution consiste donc à fragmenter le système politique en petites unités gérables, à taille humaine, chacune élisant celle qui lui est immédiatement supérieure.

Vers une fédération mondiale ?

De son côté, dans Demain qui gouvernera le monde ? Jacques Attali estime que le fédéralisme est la forme d'administration du monde qui a le plus de chances d'être efficace. Une gouvernante mondiale doit en effet posséder une dimension de supranationalité sans pour autant être centralisée. D'où le fédéralisme. «Le fédéralisme, précise Attali, obéit à trois principes : la séparation, qui consiste à répartir les compétences législatives entre gouvernement fédéral et gouvernements fédérés; l'autonomie, qui permet à chaque niveau de gouvernement d'être seul responsable dans son domaine de compétence; l'appropriation, grâce à laquelle les entités fédérées, représentées au sein des institutions fédérales et participant à l'adoption des lois fédérales, éprouvent un sentiment d'appartenance à la communauté et à ses règles, et ont la certitude de la capacité du centre de maintenir la diversité et le compromis. » En bref, conclut Attali :

Pour survivre, l'humanité doit même aller beaucoup plus loin que l'actuelle prise de conscience d'une vague «communauté internationale». Elle doit prendre conscience de l'unité de son destin, et d'abord de son existence en tant que telle. Elle doit comprendre que, rassemblée, elle peut faire beaucoup plus que divisée.

Matthieu Ricard, Plaidoyer pour l'altruisme.

L'Occident aura les pires difficultés à se remettre d'un orage magnétique même en trois siècles

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