La secte lamaïste Rigpa est exclue de l'Union bouddhiste de France,
son gourou est écarté.
Le
leader spirituel de l'école de pensée bouddhiste Rigpa, a annoncé
sa retraite forcée, frappé par un scandale d'agressions sexuelles
et physiques, et d'abus financiers.
Au cœur de la
tempête, Sogyal Rinpoché, l'un des artisans de la
popularisation du bouddhisme en Occident et auteur en 1992 du "Le
livre tibétain de la Vie et de la Mort", paru en 1992 et
vendu à 2,8 millions d'exemplaires. Une figure donc, qui est
définitivement tombée de son piédestal mi-juillet, lorsque huit de
ses plus proches disciples, comme
l'a révélé Marianne, envoient une lettre
à 1 500 membres de Rigpa. Sur sept pages, on lit les
claques, les humiliations, les agressions sexuelles, le train de vie
trop luxueux.
Cette lettre, Olivier Raurich
l'a lue, avec soulagement. Ancien traducteur de Sogyal Rinpoché, il
a quitté Rigpa en 2014. Il avait dénoncé en vain ces
agissements. Deux femmes lui ont confié avoir été
violées.Olivier Raurich a constaté lui même des abus
financiers : "En 2014, dans une
grande retraite pour 600 à 800 personnes dans le centre principal
près de Montpellier [NDLR : le centre de Lerab Ling], Sogyal
Rinpoché nous a demandé des offrandes abondantes en argent liquide,
et il a insisté pour que ce soit abondant et pour que ce soit en
liquide. J’ai regardé les enveloppes tomber dans les paniers et je
me suis dit que ça faisait beaucoup d’argent liquide et que si
c’était destiné à des causes humanitaires et pures, pourquoi
faire cela sous cette forme illégale".
La dénonciation d'Olivier
Raurich, et quelques mois plus tard, la parution du livre "Les
dévots du bouddhisme" (éd. Max Milo) de l'ethnologue,
Marion Dapsance, n'ont rien changé. La lettre des disciples, en
revanche, a créé un électrochoc, car elle émane de bouddhistes
qui n'ont pas voulu quitter la communauté. Le moine
Matthieu Ricard a fini par qualifier les actes de Sogyal Rinpoché
d'"inadmissibles".
Le Dalaï Lama en
personne a dû prendre position, début août, lors d'une conférence
à Ladakh en Inde : "Certaines
institutions lamaïques sont influencées par le système féodal.
C’est dépassé, ça doit s'arrêter. Ces gens ne suivent pas
l''enseignement du Buddha.
La seule chose à faire c’est de rendre ça public, dans les journaux, à la radio. Rendez ça public ! Sogyal Rinpoché était mon grand ami, mais c’est fini, il est tombé en disgrâce.
Dans la foulé, la communauté
Rigpa a annoncé une enquête interne et la mise en place d'un code
éthique.
Le scandale Rigpa est-il l'arbre qui cache la forêt ?
Tous les interlocuteurs, même
ceux qui ont eu à accompagner des victimes d'abus, soulignent qu'il
ne faut pas jeter l'opprobre sur la communauté bouddhiste dans son
ensemble. Les dérives sont rares et localisées, mais elles
existent.
Quand on demande à Olivier
Raurich s'il avait eu vent d'autres abus, ailleurs, quand il était
encore chez Rigpa, il le confirme, tout en ayant lui même du mal à
y croire : "J’ai quelques bruits par des amis qui
sont dans d’autres centres, mais bizarrement je pensais que c’était
réservé aux autres. Quelque part c’est presque impensable, car
les grands maîtres sont de droit divin, donc il faut avoir le nez
dessus pour l’accepter et même dans ce cas, c’est difficile."
Ces soupçons, l'Union
Bouddhiste de France, qui
condamne toute dérive et vient d'exclure Rigpa,
en a également entendu parler, comme l'explique l'un de ses
dirigeants, Olivier Wang Genh. "Je pense que ça
touche la communauté bouddhiste dans son ensemble et
ça montre que toute forme d’angélisme ou de naïveté n’a pas
sa place. On doit écouter des enseignements avec clairvoyance et
toujours rester dans cette vigilance. Mais on fait très attention à
ce que ça n’arrive pas ou le moins possible."
Reste que malgré tout cela
arrive, parfois. Certains interlocuteurs, qui ne veulent pas en faire
état au micro, évoquent la Dordogne, l'Auvergne, Montpellier. Des
témoignages aussi sur les forums bouddhistes, avec toutes les
précautions indispensables.
Et puis un cas un peu plus
concret. C'était en 2011 au Temple des 1000 bouddhas en
Saône-et-Loire. Trois lamas ont été exclus, après des dépôts de
plainte. L'une est toujours en cours d'instruction, les trois autres
avaient abouti à des relaxes fautes de preuve. Et on touche là le
cœur du problème
Une parole qui a du mal à se libérer
Difficile de dénoncer, par
honte de s'être laissé avoir, par douleur, par peur que son affaire
ne discrédite tout le bouddhisme. Ceux qui franchissent la porte des
associations d'aide aux victimes renoncent parfois aussi à porter
plainte sur les conseils de ces mêmes associations qui ont peur que
les personnes soient broyées par des années de procédure,
peut-être inutile.
Daniel Sisco est
le président de l'Association des familles et individus victimes de
sectes, l'Adfi Paris Île de France : "Rassembler
les preuves dans le domaine de l’emprise psychique c’est très,
très difficile. Il y a heureusement une loi qui protège
c’est la loi
About-Picard, qui permet aux gens
de faire référence à la mise en état de sujétion, mais il n’y
a rien de plus difficile à prouver que l’état de sujétion car
c’est la parole d’une personne contre une autre. Là où ça peut
commencer à construire l’assise d’une procédure juridique,
c’est quand vous avez cinq ou dix personnes qui disent la même
chose à propos d’un individu".
L'ADFI Paris Île de France a
répertorié 18 cas de signalements d'abus dans la communauté
bouddhiste l'an dernier. Le bouddhisme, peut être un point d'entrée
séduisant pour les mal intentionnés, poursuit Daniel Sisco, car les
préceptes sont rassurants.
Si la lettre envoyée cet été
pour dénoncer les actes de Sogyal Rinpoché est une révolution,
c'est parce qu'elle montre que la parole commence à
se libérer. Le linge sale continue à se laver en
famille, mais plus de manière aussi confidentielle.
En attendant, les associations
et les Bouddhistes eux mêmes le disent : il est temps que la lune de
miel entre l'Occident et le bouddhisme se termine, chacun doit
prendre conscience que toute religion peut avoir ses brebis galeuses.
Par Delphine Evenou