samedi, septembre 20, 2014

Le gouvernement mondial selon le lamaïste français Matthieu Ricard



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Le 7 novembre 2011, invité à l'émission Service Public de France Inter, Matthieu Ricard, VRP du lamaïsme et apôtre de la méditation, déclare : « On doit en arriver à une gouvernance mondiale ». Dans son livre Plaidoyer pour l'altruisme, Matthieu Ricard développe sa vision politique.

Une démocratie informée et une méritocratie responsable

Comment faire en sorte que les peuples se donnent le meilleur gouvernement possible ? Comme l'a dit le Dalaï-lama après avoir « librement, joyeusement et fièrement » mis fin à quatre siècles de collusion entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel au sein de l'administration tibétaine en exil : « Le temps de la mainmise des dictateurs et des chefs religieux sur les gouvernements est révolu. Le monde appartient à 7 milliards d'êtres humains, et c'est eux et seulement eux qui doivent décider démocratiquement du sort de l'humanité. » Tels sont les propos qu'il a prononcés à maintes reprises depuis 2011, lorsqu'il abandonna les dernières prérogatives politiques qui étaient jusqu'alors associées à sa fonction, au terme d'un processus de démocratisation des institutions tibétaines qu'il entreprit dis son arrivé en exil sur le sol de l'Inde. « La démocratie, plaisantait Churchill, est le pire système de gouvernement, à l'exception de tous les autres qui ont été expérimentés. » Comment faire, en effet, pour que les décisions les meilleures pour l'ensemble de la population puissent émerger d'une immense masse d'individus qui n'ont pas toujours accès à un savoir leur permettant de décider en toute connaissance de cause ? Les dictateurs ont résolu la question en décidant pour tout le monde, et les chefs religieux en décidant selon les dogmes de leur religion respective. À de rares exceptions près, les premiers comme les seconds ont causé, et causent encore, d'incommensurables souffrances.

La plupart des tribus primitives [...] étaient de nature fondamentalement égalitaires. Lorsqu'elles se sont sédentarisées, ce sont généralement les individus considérés comme les plus sages, ceux qui avaient le plus d'expérience et qui avaient fait leurs preuves, qui étaient pris pour chefs. Le choix des dirigeants conciliait ainsi consensus et méritocratie. À mesure que ces communautés ont grandi, ont accumulé des richesses et se sont hiérarchisées, d'autres systèmes sont apparus, notamment la conquête brutale du pouvoir et la soumission des populations a l'autorité de potentats. L'histoire humaine a fini par montrer que la démocratie était la seule forme de gouvernement susceptible de respecter les aspirations d'une majorité de citoyens.

Mais comment éviter les dérives du populisme, des décisions hâtives prises en vue de satisfaire les demandes de ceux qui ne jugent les politiques qu'en fonction des avantages et des inconvénients à court terme ? Les politiciens assurent leur réélection en accédant à ces demandes et n'osent pas s'engager dans des réformes en profondeur dont les fruits ne seront pas récoltés immédiatement, et qui impliquent parfois des décisions impopulaires.

Les risques de la démagogie sont aujourd'hui particulièrement évidents dans le cas du déni du réchauffement global, très en vogue aux États-Unis, déni dont les arguments fondraient cent fois plus vite que les glaces de l'Arctique si la majorité de la population, des médias et des hommes politiques étaient mieux au fait des connaissances acquises par la science, et si ceux qui sont correctement informés étaient en mesure de prendre les décisions nécessaires à la prospérité à long terme de l'humanité. Il faut aussi que la science se plie moins aux exigences des marchés financiers qui l'éloignent de la production de connaissances au profit d'une valorisation économique de la recherche. La marchandisation de la science et de la médecine fait souvent passer les intérêts des laboratoires pharmaceutiques devant ceux des malades, et les intérêts des firmes agroalimentaires devant ceux des agriculteurs et des consommateurs.

L'Institut Berggruen pour la gouvernance, fondé par le philanthrope d'origine allemande Nicolas Berggruen, qui a décidé de consacrer sa fortune à l'amélioration des systèmes de gouvernance dans le monde, définit la « gouvernance intelligente » comme la réalisation d'un équilibre entre une méritocratie construite grâce à une série de choix effectués à différents niveaux de la société (des autorités locales aux responsables nationaux) et un processus démocratique qui permet aux citoyens d'empêcher les dérives potentielles du pouvoir vers la corruption, le népotisme, les abus et le totalitarismes.

Selon Nicolas Berggruen et l'éditorialiste politique Nathan Gardels, une démocratie informée implique une décentralisation maximale du pouvoir décisionnel, confiée à des communautés citoyennes actives dans les domaines relevant de leur compétence. Afin de gérer et d'intégrer ces pouvoirs interdépendants mais délocalisés, il faudrait, selon ces auteurs, mettre en place une instance politique fondée sur les compétences et sur l'expérience, qui dispose d'une vue d'ensemble sur le système et prenne les décisions sur les questions qui concernent le bien commun des citoyens. Cette instance constitue une méritocratie éclairée, protégée des pressions correspondant aux intérêts immédiats de certains groupes d'influence. Toutefois, pour rester légitime, cette instance doit être transparente, tenue de rendre des comptes, et son fonctionnement doit être surveillé par des représentants des citoyens, démocratiquement élus.

Berggruen et Gardels conçoivent une structure pyramidale qui encouragerait l'émergence, à chaque niveau de représentation, de communautés à taille humaine d'élus qui se connaissent et sont capables de juger de l'expérience et des capacités de leurs paire. Imaginons que ce système soit appliqué à un pays de 80 millions d'habitants. Le pays est divisé en 100 districts de 800 000 habitants. Chaque communauté de 2 000 habitants, constituant un «arrondissement» élit 10 délégués. Ceux-ci se rencontrent, délibèrent et élisent l'un des leurs, appelé à siéger dans un conseil de «secteur» composé de 20 membres représentant au total 40 000 habitants. Ceux-ci élisent à leur tour 1 représentant régional et 20 représentants régionaux élisent un député qui représente un district de 800 000 habitants et siège au Parlement national composé ainsi de 100 députés.

Les élus représentent ainsi des groupes qui, à différents niveaux, reflètent l'ensemble du corps électoral. Ce système est notamment utilisé en Australie et en Irlande. La différence avec l'élection directe de 1 député représentant 800 000 habitants est qu'à chaque niveau les personnes qui élisent celui qui les représentera au niveau supérieur se connaissent et sont à même d'apprécier de première main l'expérience, la sagesse et les capacités de la personne qu'ils élisent. À chaque niveau, les candidats doivent prouver qu'ils disposent de capacités (connaissances et expérience) proportionnelles au degré de responsabilité visé. Cette solution consiste donc à fragmenter le système politique en petites unités gérables, à taille humaine, chacune élisant celle qui lui est immédiatement supérieure.

Vers une fédération mondiale ?

De son côté, dans Demain qui gouvernera le monde ? Jacques Attali estime que le fédéralisme est la forme d'administration du monde qui a le plus de chances d'être efficace. Une gouvernante mondiale doit en effet posséder une dimension de supranationalité sans pour autant être centralisée. D'où le fédéralisme. «Le fédéralisme, précise Attali, obéit à trois principes : la séparation, qui consiste à répartir les compétences législatives entre gouvernement fédéral et gouvernements fédérés; l'autonomie, qui permet à chaque niveau de gouvernement d'être seul responsable dans son domaine de compétence; l'appropriation, grâce à laquelle les entités fédérées, représentées au sein des institutions fédérales et participant à l'adoption des lois fédérales, éprouvent un sentiment d'appartenance à la communauté et à ses règles, et ont la certitude de la capacité du centre de maintenir la diversité et le compromis. » En bref, conclut Attali :

Pour survivre, l'humanité doit même aller beaucoup plus loin que l'actuelle prise de conscience d'une vague «communauté internationale». Elle doit prendre conscience de l'unité de son destin, et d'abord de son existence en tant que telle. Elle doit comprendre que, rassemblée, elle peut faire beaucoup plus que divisée.

Matthieu Ricard, Plaidoyer pour l'altruisme.

vendredi, septembre 19, 2014

De la servitude moderne



Épigraphe

Mon optimisme est basé sur la certitude que cette civilisation va s’effondrer. Mon pessimisme sur tout ce qu’elle fait pour nous entraîner dans sa chute.

La servitude moderne

"Quelle époque terrible que celle où des idiots dirigent des aveugles."
William Shakespeare

La servitude moderne est une servitude volontaire, consentie par la foule des esclaves qui rampent à la surface de la Terre. Ils achètent eux-mêmes toutes les marchandises qui les asservissent toujours un peu plus. Ils courent eux-mêmes derrière un travail toujours plus aliénant, que l’on consent généreusement à leur donner, s’ils sont suffisamment sages. Ils choisissent eux-mêmes les maîtres qu’ils devront servir. Pour que cette tragédie mêlée d’absurdité ait pu se mettre en place, il a fallu tout d’abord ôter aux membres de cette classe toute conscience de son exploitation et de son aliénation. Voila bien l’étrange modernité de notre époque. Contrairement aux esclaves de l’Antiquité, aux serfs du Moyen-âge ou aux ouvriers des premières révolutions industrielles, nous sommes aujourd’hui devant une classe totalement asservie mais qui ne le sait pas ou plutôt qui ne veut pas le savoir. Ils ignorent par conséquent la révolte qui devrait être la seule réaction légitime des exploités. Ils acceptent sans discuter la vie pitoyable que l’on a construite pour eux. Le renoncement et la résignation sont la source de leur malheur. Voilà le mauvais rêve des esclaves modernes qui n’aspirent finalement qu’à se laisser aller dans la danse macabre du système de l’aliénation.

L’oppression se modernise en étendant partout les formes de mystification qui permettent d’occulter notre condition d’esclave.
Montrer la réalité telle qu’elle est vraiment et non telle qu’elle est présentée par le pouvoir constitue la subversion la plus authentique.
Seule la vérité est révolutionnaire

L’aménagement du territoire et l’habitat

« L’urbanisme est cette prise de possession de l’environnement naturel et humain par le capitalisme qui, se développant logiquement en domination absolue, peut et doit maintenant refaire la totalité de l’espace comme son propre décor. »

La Société du Spectacle, Guy Debord.

À mesure qu’ils construisent leur monde par la force de leur travail aliéné, le décor de ce monde devient la prison dans laquelle il leur faudra vivre. Un monde sordide, sans saveur ni odeur, qui porte en lui la misère du mode de production dominant.Ce décor est en perpétuel construction. Rien n’y est stable. La réfection permanente de l’espace qui nous entoure trouve sa justification dans l’amnésie généralisée et l’insécurité dans lesquelles doivent vivre ses habitants. Il s’agit de tout refaire à l’image du système : le monde devient tous les jours un peu plus sale et bruyant, comme une usine.

Chaque parcelle de ce monde est la propriété d’un État ou d’un particulier. Ce vol social qu’est l’appropriation exclusive du sol se trouve matérialisé dans l’omniprésence des murs, des barreaux, des clôtures, des barrières et des frontières… ils sont la trace visible de cette séparation qui envahit tout.

Mais parallèlement, l’unification de l’espace selon les intérêts de la culture marchande est le grand objectif de notre triste époque. Le monde doit devenir une immense autoroute, rationnalisée à l’extrême, pour faciliter le transport des marchandises. Tout obstacle, naturel ou humain doit être détruit.

L’habitat dans lequel s’entasse cette masse servile est à l’image de leur vie : il ressemble à des cages, à des prisons, à des cavernes. Mais contrairement aux esclaves ou aux prisonniers, l’exploité des temps modernes doit payer sa cage.

« Car ce n’est pas l’homme mais le monde qui est devenu un anormal. »
Antonin Artaud


La marchandise

« Une marchandise paraît au premier coup d’œil quelque chose de trivial et qui se comprend de soi-même. Notre analyse a montré au contraire que c'est une chose très complexe, pleine de subtilité métaphysique et d'arguties théologiques. »
Le Capital, Karl Marx

Et c’est dans ce logis étroit et lugubre qu’il entasse les nouvelles marchandises qui devraient, selon les messages publicitaires omniprésents, lui apporter le bonheur et la plénitude. Mais plus il accumule des marchandises et plus la possibilité d’accéder un jour au bonheur s’éloigne de lui.

« A quoi sert à un homme de tout posséder s’il perd son âme. »
Marc 8 ; 36

La marchandise, idéologique par essence, dépossède de son travail celui qui la produit et dépossède de sa vie celui qui la consomme. Dans le système économique dominant, ce n’est plus la demande qui conditionne l’offre mais l’offre qui détermine la demande. C’est ainsi que de manière périodique, de nouveaux besoins sont créés qui sont vite considérés comme des besoins vitaux par l’immense majorité de la population : ce fut d’abord la radio, puis la voiture, la télévision, l’ordinateur et maintenant le téléphone portable.

Toutes ces marchandises, distribuées massivement en un laps de temps très limité, modifient en profondeur les relations humaines : elles servent d’une part à isoler les hommes un peu plus de leur semblable et d’autre part à diffuser les messages dominants du système. Les choses qu’on possède finissent par nous posséder.

L’alimentation

« Ce qui est une nourriture pour l’un est un poison pour l’autre. »
Paracelse

Mais c’est encore lorsqu’il s’alimente que l’esclave moderne illustre le mieux l’état de décrépitude dans lequel il se trouve. Disposant d’un temps toujours plus limité pour préparer la nourriture qu’il ingurgite, il en est réduit à consommer à la va-vite ce que l’industrie agrochimique produit. Il erre dans les supermarchés à la recherche des ersatz que la société de la fausse abondance consent à lui donner. Là encore, il n’a plus que l’illusion du choix. L’abondance des produits alimentaires ne dissimule que leur dégradation et leur falsification. Il ne s’agit bien notoirement que d’organismes génétiquement modifiés, d’un mélange de colorants et de conservateurs, de pesticides, d’hormones et autres inventions de la modernité. Le plaisir immédiat est la règle du mode d’alimentation dominant, de même qu’il est la règle de toutes les formes de consommation. Et les conséquences sont là qui illustrent cette manière de s’alimenter.

Mais c’est face au dénuement du plus grand nombre que l’homme occidental se réjouit de sa position et de sa consommation frénétique. Pourtant, la misère est partout où règne la société totalitaire marchande. Le manque est le revers de la médaille de la fausse abondance. Et dans un système qui érige l’inégalité comme critère de progrès, même si la production agrochimique est suffisante pour nourrir la totalité de la population mondiale, la faim ne devra jamais disparaître.

« Ils se sont persuadés que l’homme, espèce pécheresse entre toutes, domine la création.
Toutes les autres créatures n’auraient été créées que pour lui procurer de la nourriture, des fourrures, pour être martyrisées, exterminées. »
Isaac Bashevis Singer

L’autre conséquence de la fausse abondance alimentaire est la généralisation des usines concentrationnaires et l’extermination massive et barbare des espèces qui servent à nourrir les esclaves. Là se trouve l’essence même du mode de production dominant. La vie et l’humanité ne résistent pas face au désir de profit de quelques uns.

La destruction de l’environnement

« C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain ne l’écoute pas. »
Victor Hugo

Le pillage des ressources de la planète, l’abondante production d’énergie ou de marchandises, les rejets et autres déchets de la consommation ostentatoire hypothèquent gravement les chances de survie de notre Terre et des espèces qui la peuplent. Mais pour laisser libre court au capitalisme sauvage, la croissance ne doit jamais s’arrêter. Il faut produire, produire et reproduire encore.

Et ce sont les mêmes pollueurs qui se présentent aujourd’hui comme les sauveurs potentiels de la planète. Ces imbéciles du show business subventionnés par les firmes multinationales essayent de nous convaincre qu’un simple changement de nos habitudes de vie suffirait à sauver la planète du désastre. Et pendant qu’ils nous culpabilisent, ils continuent à polluer sans cesse notre environnement et notre esprit. Ces pauvres thèses pseudo-écologiques sont reprises en cœur par tous les politiciens véreux à cours de slogan publicitaire. Mais ils se gardent bien de proposer un changement radical dans le système de production. Il s’agit comme toujours de changer quelques détails pour que tout puisse rester comme avant.

Le travail

Travail, du latin Tri Palium trois pieux, instrument de torture.

Mais pour entrer dans la ronde de la consommation frénétique, il faut de l’argent et pour avoir de l’argent, il faut travailler, c'est-à-dire se vendre. Le système dominant a fait du travail sa principale valeur. Et les esclaves doivent travailler toujours plus pour payer à crédit leur vie misérable. Ils s’épuisent dans le travail, perdent la plus grande part de leur force vitale et subissent les pires humiliations. Ils passent toute leur vie à une activité fatigante et ennuyeuse pour le profit de quelques uns.

L’invention du chômage moderne est là pour les effrayer et les faire remercier sans cesse le pouvoir de se montrer généreux avec eux. Que pourraient-ils bien faire sans cette torture qu’est le travail ? Et ce sont ces activités aliénantes que l’on présente comme une libération. Quelle déchéance et quelle misère !

Toujours pressés par le chronomètre ou par le fouet, chaque geste des esclaves est calculé afin d’augmenter la productivité. L’organisation scientifique du travail constitue l’essence même de la dépossession des travailleurs, à la fois du fruit de leur travail mais aussi du temps qu’ils passent à la production automatique des marchandises ou des services. Le rôle du travailleur se confond avec celui d’une machine dans les usines, avec celui d’un ordinateur dans les bureaux. Le temps payé ne revient plus.

Ainsi, chaque travailleur est assigné à une tache répétitive, qu’elle soit intellectuelle ou physique. Il est spécialiste dans son domaine de production. Cette spécialisation se retrouve à l’échelle de la planète dans le cadre de la division internationale du travail. On conçoit en occident, on produit en Asie et l’on meurt en Afrique.

La colonisation de tous les secteurs de la vie

« C’est l’homme tout entier qui est conditionné au comportement productif par l’organisation du travail, et hors de l’usine il garde la même peau et la même tête. »
Christophe Dejours

L’esclave moderne aurait pu se contenter de sa servitude au travail, mais à mesure que le système de production colonise tous les secteurs de la vie, le dominé perd son temps dans les loisirs, les divertissements et les vacances organisées. Aucun moment de son quotidien n’échappe à l’emprise du système. Chaque instant de sa vie a été envahi. C’est un esclave à temps plein.

La médecine marchande

« La médecine fait mourir plus longtemps. »
Plutarque

La dégradation généralisée de son environnement, de l’air qu’il respire et de la nourriture qu’il consomme ; le stress de ses conditions de travail et de l’ensemble de sa vie sociale, sont à l’origine des nouvelles maladies de l’esclave moderne.

Il est malade de sa condition servile et aucune médecine ne pourra jamais remédier à ce mal. Seule la libération la plus complète de la condition dans laquelle il se trouve enfermé peut permettre à l’esclave moderne de se libérer de ses souffrances.

La médecine occidentale ne connaît qu’un remède face aux maux dont souffrent les esclaves modernes : la mutilation. C’est à base de chirurgie, d’antibiotique ou de chimiothérapie que l’on traite les patients de la médecine marchande. On s’attaque aux conséquences du mal sans jamais en chercher la cause. Cela se comprend autant que cela s’explique : cette recherche nous conduirait inévitablement vers une condamnation sans appel de l’organisation sociale dans son ensemble.

De même qu’il a transformé tous les détails de notre monde en simple marchandise, le système présent a fait de notre corps une marchandise, un objet d’étude et d’expérience livré aux apprentis sorciers de la médecine marchande et de la biologie moléculaire. Et les maîtres du monde sont déjà prêts à breveter le vivant.

Le séquençage complet de l’ADN du génome humain est le point de départ d’une nouvelle stratégie mise en place par le pouvoir. Le décodage génétique n’a d’autres buts que d’amplifier considérablement les formes de domination et de contrôle.

Notre corps lui-aussi, après tant d’autres choses, nous a échappé.

L’obéissance comme seconde nature

« À force d’obéir, on obtient des réflexes de soumission. »
Anonyme

Le meilleur de sa vie lui échappe mais il continue car il a l’habitude d’obéir depuis toujours. L’obéissance est devenue sa seconde nature. Il obéit sans savoir pourquoi, simplement parce qu’il sait qu’il doit obéir. Obéir, produire et consommer, voilà le triptyque qui domine sa vie. Il obéit à ses parents, à ses professeurs, à ses patrons, à ses propriétaires, à ses marchands. Il obéit à la loi et aux forces de l’ordre. Il obéit à tous les pouvoirs car il ne sait rien faire d’autre. La désobéissance l’effraie plus que tout car la désobéissance, c’est le risque, l’aventure, le changement. Mais de même que l’enfant panique lorsqu’il perd de vue ses parents, l’esclave moderne est perdu sans le pouvoir qui l’a créé. Alors ils continuent d’obéir.

C’est la peur qui a fait de nous des esclaves et qui nous maintient dans cette condition. Nous nous courbons devant les maîtres du monde, nous acceptons cette vie d’humiliation et de misère par crainte.

Nous disposons pourtant de la force du nombre face à cette minorité qui gouverne. Leur force à eux, ils ne la retirent pas de leur police mais bien de notre consentement. Nous justifions notre lâcheté devant l’affrontement légitime contre les forces qui nous oppriment par un discours plein d’humanisme moralisateur. Le refus de la violence révolutionnaire est ancré dans les esprits de ceux qui s’opposent au système au nom des valeurs que ce système nous a lui-même enseignés.

Mais le pouvoir, lui, n’hésite jamais à utiliser la violence quand il s’agit de conserver son hégémonie.

La répression et la surveillance

« Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, la place de l’homme juste est aussi en prison. »
La désobéissance civile, Henry David Thoreau

Pourtant, il y a encore des individus qui échappent au contrôle des consciences. Mais ils sont sous surveillance. Toute forme de rébellion ou de résistance est de fait assimilée à une activité déviante ou terroriste. La liberté n’existe que pour ceux qui défendent les impératifs marchands. L’opposition réelle au système dominant est désormais totalement clandestine. Pour ces opposants, la répression est la règle en usage. Et le silence de la majorité des esclaves face à cette répression trouve sa justification dans l’aspiration médiatique et politique à nier le conflit qui existe dans la société réelle.

L’argent

« Et ce que l’on faisait autrefois pour l’amour de Dieu, on le fait maintenant pour l’amour de l’argent, c’est-à-dire pour l’amour de ce qui donne maintenant le sentiment de puissance le plus élevé et la bonne conscience.»
Aurore, Nietzsche

Comme tous les êtres opprimés de l’Histoire, l’esclave moderne a besoin de sa mystique et de son dieu pour anesthésier le mal qui le tourmente et la souffrance qui l’accable. Mais ce nouveau dieu, auquel il a livré son âme, n’est rien d’autre que le néant. Un bout de papier, un numéro qui n’a de sens que parce que tout le monde a décidé de lui en donner. C’est pour ce nouveau dieu qu’il étudie, qu’il travaille, qu’il se bat et qu’il se vend. C’est pour ce nouveau dieu qu’il a abandonné toute valeur et qu’il est prêt à faire n’importe quoi. Il croit qu’en possédant beaucoup d’argent, il se libérera des contraintes dans lesquels il se trouve enfermé. Comme si la possession allait de paire avec la liberté. La libération est une ascèse qui provient de la maîtrise de soi. Elle est un désir et une volonté en actes. Elle est dans l’être et non dans l’avoir. Mais encore faut-il être résolu à ne plus servir, à ne plus obéir. Encore faut-il être capable de rompre avec une habitude que personne, semble-t-il, n’ose remettre en cause.

Pas d’alternative à l’organisation sociale dominante

Acta est fabula
La pièce est jouée

Or l’esclave moderne est persuadé qu’il n’existe pas d’alternative à l’organisation du monde présent. Il s’est résigné à cette vie car il pense qu’il ne peut y en avoir d’autres. Et c’est bien là que se trouve la force de la domination présente : entretenir l’illusion que ce système qui a colonisé toute la surface de la Terre est la fin de l’Histoire. Il a fait croire à la classe dominée que s’adapter à son idéologie revient à s’adapter au monde tel qu’il est et tel qu’il a toujours été. Rêver d’un autre monde est devenu un crime condamné unanimement par tous les médias et tous les pouvoirs. Le criminel est en réalité celui qui contribue, consciemment ou non, à la démence de l’organisation sociale dominante. Il n’est pas de folie plus grande que celle du système présent.

L’image

« Sinon, qu’il te soit fait connaître, o roi, que tes dieux ne sont pas ceux que nous servons, et l’image d’or que tu as dressé, nous ne l’adorerons pas. »
Ancien Testament, Daniel 3 :18

Devant la désolation du monde réel, il s’agit pour le système de coloniser l’ensemble de la conscience des esclaves. C’est ainsi que dans le système dominant, les forces de répression sont précédées par la dissuasion qui, dès la plus petite enfance, accomplit son œuvre de formation des esclaves. Ils doivent oublier leur condition servile, leur prison et leur vie misérable. Il suffit de voir cette foule hypnotique connectée devant tous les écrans qui accompagnent leur vie quotidienne. Ils trompent leur insatisfaction permanente dans le reflet manipulé d’une vie rêvée, faite d’argent, de gloire et d’aventure. Mais leurs rêves sont tout aussi affligeants que leur vie misérable.

Il existe des images pour tous et partout, elles portent en elle le message idéologique de la société moderne et servent d’instrument d’unification et de propagande. Elles croissent à mesure que l’homme est dépossédé de son monde et de sa vie. C’est l’enfant qui est la cible première de ces images car il s’agit d’étouffer la liberté dans son berceau. Il faut les rendre stupides et leur ôter toute forme de réflexion et de critique. Tout cela se fait bien entendu avec la complicité déconcertante de leurs parents qui ne cherchent même plus à résister face à la force de frappe cumulée de tous les moyens modernes de communication. Ils achètent eux-mêmes toutes les marchandises nécessaires à l’asservissement de leur progéniture. Ils se dépossèdent de l’éducation de leurs enfants et la livrent en bloc au système de l’abrutissement et de la médiocrité.

Les divertissements

« La télévision ne rend idiots que ceux qui la regardent, pas ceux qui la font. »
Patrick Poivre d’Arvor

Ces pauvres hommes se divertissent, mais ce divertissement n’est là que pour faire diversion face au véritable mal qui les accable. Ils ont laissé faire de leur vie n’importe quoi et ils feignent d’en être fiers. Ils essayent de montrer leur satisfaction mais personne n’est dupe. Ils n’arrivent même plus à se tromper eux-mêmes lorsqu’ils se retrouvent face au reflet glacé du miroir. Ainsi ils perdent leur temps devant des imbéciles sensés les faire rire ou les faire chanter, les faire rêver ou les faire pleurer.

On mime à travers le sport médiatique les succès et les échecs, les forces et les victoires que les esclaves modernes ont cessé de vivre dans leur propre quotidien. Leur insatisfaction les incite à vivre par procuration devant leur poste de télévision. Tandis que les empereurs de la Rome antique achetaient la soumission du peuple avec du pain et les jeux du cirque, aujourd’hui c’est avec les divertissements et la consommation du vide que l’on achète le silence des esclaves.

Le langage

« On croit que l'on maîtrise les mots, mais ce sont les mots qui nous maîtrisent. »
Alain Rey

La domination sur les consciences passe essentiellement par l’utilisation viciée du langage par la classe économiquement et socialement dominante. Étant détenteur de l’ensemble des moyens de communication, le pouvoir diffuse l’idéologie marchande par la définition figée, partielle et partiale qu’il donne des mots.

Les mots sont présentés comme neutres et leur définition comme allant de soi. Mais sous le contrôle du pouvoir, le langage désigne toujours autre chose que la vie réelle. C’est avant tout un langage de la résignation et de l’impuissance, le langage de l’acceptation passive des choses telles qu’elles sont et telles qu’elles doivent demeurer. Les mots travaillent pour le compte de l’organisation dominante de la vie et le fait même d’utiliser le langage du pouvoir nous condamne à l’impuissance.

Le problème du langage est au centre du combat pour l’émancipation humaine. Il n’est pas une forme de domination qui se surajoute aux autres, il est le cœur même du projet d’asservissement du système totalitaire marchand.

C’est par la réappropriation du langage et donc de la communication réelle entre les personnes que la possibilité d’un changement radical émerge de nouveau. C’est en cela que le projet révolutionnaire rejoint le projet poétique. Dans l’effervescence populaire, la parole est prise et réinventée par des groupes étendus. La spontanéité créatrice s’empare de chacun et nous rassemble tous.

L’illusion du vote et de la démocratie parlementaire

« Voter, c’est abdiquer. »
Élisée Reclus

Pourtant, les esclaves modernes se pensent toujours citoyens. Ils croient voter et décider librement qui doit conduire leurs affaires. Comme s’ils avaient encore le choix. Ils n’en ont conservé que l’illusion. Croyez-vous encore qu’il existe une différence fondamentale quant au choix de société dans laquelle nous voulons vivre entre le PS et l’UMP en France, entre les démocrates et les républicains aux États-Unis, entre les travaillistes et les conservateurs au Royaume-Uni ? Il n’existe pas d’opposition car les partis politiques dominants sont d’accord sur l’essentiel qui est la conservation de la présente société marchande. Il n’existe pas de partis politiques susceptibles d’accéder au pouvoir qui remette en cause le dogme du marché. Et ce sont ces partis qui avec la complicité médiatique monopolise l’apparence. Ils se chamaillent sur des points de détails pourvu que tout reste en place. Ils se disputent pour savoir qui occupera les places que leur offre le parlementarisme marchand. Ces pauvres chamailleries sont relayées par tous les médias dans le but d’occulter un véritable débat sur le choix de société dans laquelle nous souhaitons vivre. L’apparence et la futilité dominent sur la profondeur de l’affrontement des idées. Tout cela ne ressemble en rien, de près ou de loin à une démocratie.

La démocratie réelle se définit d’abord et avant tout par la participation massive des citoyens à la gestion des affaires de la cité. Elle est directe et participative. Elle trouve son expression la plus authentique dans l’assemblée populaire et le dialogue permanent sur l’organisation de la vie en commun. La forme représentative et parlementaire qui usurpe le nom de démocratie limite le pouvoir des citoyens au simple droit de vote, c'est-à-dire au néant, tant il est vrai que le choix entre gris clair et gris foncé n’est pas un choix véritable. Les sièges parlementaires sont occupés dans leur immense majorité par la classe économiquement dominante, qu’elle soit de droite ou de la prétendue gauche sociale-démocrate.

Le pouvoir n’est pas à conquérir, il est à détruire. Il est tyrannique par nature, qu’il soit exercé par un roi, un dictateur ou un président élu. La seule différence dans le cas de la « démocratie » parlementaire, c’est que les esclaves ont l’illusion de choisir eux-mêmes le maître qu’ils devront servir. Le vote a fait d’eux les complices de la tyrannie qui les opprime. Ils ne sont pas esclaves parce qu’il existe des maîtres mais il existe des maîtres parce qu’ils ont choisi de demeurer esclaves.

Le système totalitaire marchand

« La nature n’a créé ni maîtres ni esclaves, Je ne veux ni donner ni recevoir de lois. »
Denis Diderot

Le système dominant se définit donc par l’omniprésence de son idéologie marchande. Elle occupe à la fois tout l’espace et tous les secteurs de la vie. Elle ne dit rien de plus que : « Produisez, vendez, consommez, accumulez ! » Elle a réduit l’ensemble des rapports humains à des rapports marchands et considère notre planète comme une simple marchandise. Le devoir qu’elle nous impose est le travail servile. Le seul droit qu’elle reconnaît est le droit à la propriété privée. Le seul dieu qu’elle arbore est l’argent.

Le monopole de l’apparence est total. Seuls paraissent les hommes et les discours favorables à l’idéologie dominante. La critique de ce monde est noyée dans le flot médiatique qui détermine ce qui est bien et ce qui est mal, ce que l’on peut voir et ce que l’on ne peut pas voir.

Omniprésence de l’idéologie, culte de l’argent, monopole de l’apparence, parti unique sous couvert du pluralisme parlementaire, absence d’une opposition visible, répression sous toutes ses formes, volonté de transformer l’homme et le monde. Voila le visage réel du totalitarisme moderne que l’on appelle « démocratie libérale » mais qu’il faut maintenant appeler par son nom véritable : le système totalitaire marchand.

L’homme, la société et l’ensemble de notre planète sont au service de cette idéologie. Le système totalitaire marchand a donc réalisé ce qu’aucun totalitarisme n’avait pu faire avant lui : unifier le monde à son image. Aujourd’hui, il n’y a plus d’exil possible.

Perspectives

A mesure que l’oppression s’étend à tous les secteurs de la vie, la révolte prend l’allure d’une guerre sociale. Les émeutes renaissent et annoncent la révolution à venir. La destruction de la société totalitaire marchande n’est pas une affaire d’opinion. Elle est une nécessité absolue dans un monde que l’on sait condamné. Puisque le pouvoir est partout, c’est partout et tout le temps qu’il faut le combattre.

La réinvention du langage, le bouleversement permanent de la vie quotidienne, la désobéissance et la résistance sont les maîtres mots de la révolte contre l’ordre établi. Mais pour que de cette révolte naisse une révolution, il faut rassembler les subjectivités dans un front commun.

C’est à l’unité de toutes les forces révolutionnaires qu’il faut œuvrer. Cela ne peut se faire qu’à partir de la conscience de nos échecs passés : ni le réformisme stérile, ni la bureaucratie totalitaire ne peuvent être une solution à notre insatisfaction. Il s’agit d’inventer de nouvelles formes d’organisation et de lutte.

L’autogestion dans les entreprises et la démocratie directe à l’échelle des communes constituent les bases de cette nouvelle organisation qui doit être antihiérarchique dans la forme comme dans le contenu.

Le pouvoir n’est pas à conquérir, il est à détruire.

Épilogue

« O Gentilshommes, la vie est courte… Si nous vivons, nous vivons pour marcher sur la tête des rois. »
William Shakespeare

Jean-François Brient

Télécharger gratuitement « De la servitude moderne » :

jeudi, septembre 18, 2014

Se tenir dans l'ici et maintenant


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Se tenir dans l'ici et maintenant est une praxis qui s'acquiert et qui grandit par une mise en application continue et déterminée de l'instant présent, permettant à l'être, ce lieu le plus intime de soi-même, que les anciens Chinois nommèrent la fleur d'or, de se manifester.
Seule une conscience verticale, une conscience totale de l'ici et maintenant nous permettrait de nous affranchir de ces deux grandes illusions que sont le passé et le futur.

Charles Antoni



Crise... Mutation. Fin d'un cycle. Fin d'une époque.

C'est sans doute d'une grande mutation qu'il s'agit, d'une fin d'époque comme cela a pu déjà se produire dans l'histoire de notre planète Terre. Incontestablement nous sommes arrivés à saturation.

Un autre monde est-il possible ? Ou bien sommes-nous proches d'une catastrophe sans précédent ? D'une explosion qui nous conduirait au néant, à notre extermination pure et simple comme ce fut le cas pour les dinosaures ?

Nous sommes à présent voués à la survie. Chacun pour soi. Affrontement sans restriction des ego qui ne pourra que déboucher sur une guerre de tous contre tous telle qu'annoncée dans l'Apocalypse de Jean. Déjà en son temps, dans La Doctrine du But de la Vie, Nietzsche nous parlait des humains en ces termes : « Que je considère les hommes avec bonté ou malveillance, je les trouve toujours, tous tant qu'ils sont et chacun en particulier occupés d'une même tâche : se rendre utile à la conservation de l'espèce. Et ce, non point par amour de cette espèce, mais simplement parce qu'il n'est rien en eux de plus ancien, de plus puissant, de plus impitoyable et de plus invincible que cet instinct..., parce que cet instinct est proprement l'essence de notre espèce, de notre troupeau. »

Les humains, en général, ne sont qu'agrégats artificiels mus par la survie matérielle et la volonté de perpétuation au travers de la procréation, projetant sans aucune culpabilité les futurs enfants dans un monde où ne règne que souffrance. Il n'en demeure pas moins que le moyen fondamental pour la survie d'un organisme vivant en est la conscience, comme pour l'homme : la raison.

Les humains offrent le plus souvent l'apparence d'êtres vivants, alors qu'en réalité ils ne sont que des morts-vivants, poursuivant leur vie dans une totale absence d'eux-mêmes.

C'est ici que le combat devra être engagé pour la quête de l'instant présent. Il nous faudra faire preuve d'une grande vigilance pour tenter d'échapper à la tyrannie de nos pensées et de nos émotions.

Le véritable traqueur devra se tenir sans vaciller dans l'instant présent. Pour ceux que cette perspective n'enchante guère il y a de fortes chances pour que, dans la vie courante, se maintenir hors des eaux soit des plus difficiles.

Dans son traité De la Guerre le grand théoricien Clausevitz écrit : « Lorsqu'on a vu la guerre tout devient clair. Et pourtant, il est extrêmement difficile de décrire ce qui suscite ce changement, de nommer ce facteur invisible qui agit partout. Tout est très simple dans la guerre mais les choses les plus simples sont difficiles. Ces difficultés s'accumulent et produisent une friction dont celui qui n'a pas vu la guerre ne peut se faire une idée juste. »

Se tenir dans l'ici et maintenant est une praxis qui s'acquiert et qui grandit par une mise en application continue et déterminée de l'instant présent, permettant à l'être, ce lieu le plus intime de soi-même, que les anciens Chinois nommèrent la fleur d'or, de se manifester.

Seule une conscience verticale, une conscience totale de l'ici et maintenant nous permettrait de nous affranchir de ces deux grandes illusions que sont le passé et le futur.

Sachant qu'il ne peut y avoir séparation dans le continuum espace-temps, il semble tout à fait opportun d'écouter ce que nous dit au sujet de l'espace Sri Nisargadatta Maharaj : « L'espace est à l'extérieur et il est également ici. Il n'y a aucune différence entre l'espace extérieur et l'espace intérieur, il n'y a qu'un seul espace. »

Charles Antoni, Ici et maintenant.





mercredi, septembre 17, 2014

L'élitisme éthique de Julius Evola






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Ce qu’il faut favoriser, c’est [...] une révolution silencieuse, procédant en profondeur, afin que soient créées d’abord à l’intérieur et dans l’individu les prémisses de l’ordre qui devra ensuite s’affirmer aussi à l’extérieur, supplantant en un éclair, au bon moment, les formes et les forces d’un monde de subversion.
Evola


On sait que pour Evola, toute l’histoire humaine depuis deux millénaires et demi peut se lire comme un processus d’involution, assez lent d’abord, puis de plus en plus accéléré, et qui culmine dans la modernité. Ce processus de décadence obéit à la loi de « régression des castes », qui a fini par consacrer les valeurs marchandes, économiques — qui pour Evola sont aussi celles de la femme et du peuple — et par donner le pouvoir à leurs représentants. Il se caractérise par une progressive déperdition de l’élément spirituel, viril et héroïque, caractéristique de la « Lumière du Nord », et par une montée corrélative des valeurs dissolvantes des cultures « gynécocratiques » du Sud. Son résultat est l’effacement des « visions du monde » (Weltanschauungen) impersonnelles, ordonnées à des principes métaphysiques supérieurs, au profit du seul savoir livresque et de l’intellectualisme abstrait, mais aussi le primat de l’« âme », domaine des pulsions instinctives et des passions indifférenciées, sur l’« esprit », domaine de la clarté « apollinienne » et de la rationalité. Pour Evola, ce processus constitue un fait premier, qui justifie le regard péjoratif qu’il porte sur l’histoire : celle-ci n’est qu’histoire d’un déclin toujours plus accentué et, inversement, le déclin commence dès que l’homme veut s’inscrire dans l’histoire.
 

Cette vision s’inscrit elle-même dans une structure de type à la fois dualiste et hiérarchique. Tout le système d’Evola se fonde sur une double opposition : d’une part entre ce qui est « en haut » et ce qui est « en bas », d’autre part entre la plus lointaine origine (ce qu’il appelle la « Tradition primordiale ») et la fin de cycle actuelle. Les termes de cette opposition se recouvrent : l’origine renvoie aux principes fondateurs supérieurs, l’état des choses présent à l’abaissement final. La décadence se résume dès lors au mouvement ascendant de la base et au mouvement descendant du sommet.

La pensée évolienne se veut bien entendu fondamentalement orientée vers le haut, c’est-à-dire rigoureusement élitiste et « hiérarchiste ». Evola rappelle qu’étymologiquement, « hiérarchie » signifie « souveraineté du sacré ». La perspective hiérarchique doit donc s’entendre à la fois dans un sens synchronique (« plus la base est vaste, plus le sommet doit être haut »), et dans un sens diachronique, le passé étant par définition toujours meilleur que le présent — et même d’autant meilleur qu’il est plus éloigné. L’idée-clé est ici que l’inférieur ne peut jamais précéder le supérieur, car le plus ne saurait sortir du moins. (C’est la raison pour laquelle Evola rejette la théorie darwinienne de l’évolution). Adversaire résolu de l’idée d’égalité, Julius Evola condamne donc avec force toute forme de pensée démocratique et républicaine — les républiques de l’Antiquité n’étant selon lui que des aristocraties ou des oligarchies —, tant parce que de telles formes de pensée proviennent du « bas » que parce qu’elles sont des produits de la modernité, les deux raisons n’en formant d’ailleurs qu’une à ses yeux. L’histoire étant conçue comme chute accélérée, il n’y a dès lors, du libéralisme au bolchevisme, qu’une différence de degré : « Libéralisme, puis démocratie, puis socialisme, radicalisme, enfin communisme et bolchevisme ne sont apparus dans l’histoire que comme des degrés d’un même mal, des stades dont chacun prépare le suivant dans l’ensemble d’un processus de chute »

Face à cette évolution négative, Evola place en politique tous ses espoirs dans l’Etat. Mais puisque pour lui c’est toujours le « bas » qui doit dériver du « haut », et non l’inverse, il importe que cet Etat ne procède d’aucun élément « inférieur ». Rejetant toutes les doctrines classiques qui font de l’Etat la forme organisée de la nation, le produit de la société ou la création du peuple, il affirme donc — et réaffirme sans cesse — que c’est au contraire l’Etat qui doit fonder la nation, mettre le peuple en forme et créer la société. « Le peuple, la nation, écrit-il, n’existent qu’en tant qu’Etat, dans l’Etat et, dans une certaine mesure, grâce à l’Etat ». Cet Etat doit se fonder exclusivement sur des principes supérieurs, spirituels et métaphysiques. C’est seulement ainsi qu’il sera un « Etat vrai », un « Etat organique », non pas transcendant par lui-même, mais fondé sur la transcendance de son principe.

Cet « étatisme » est certainement ce qu’il y a de plus frappant dans la pensée politique d’Evola. Sans doute est-il assorti d’un certain nombre de précisions destinées à dissiper tout malentendu. Evola prend ainsi le soin de dire que la « statolâtrie des modernes », telle qu’on la trouve par exemple chez Hegel, n’a rien à voir avec l’« Etat vrai » tel qu’il l’entend. Il souligne aussi que bien des Etats forts ayant existé dans l’histoire ne furent que des caricatures de celui qu’il appelle de ses voeux. Il critique d’ailleurs avec vigueur le bonapartisme, qu’il qualifie de « despotisme démocratique », comme le totalitarisme, dans lequel il voit une « école de servilité » et une « extension aggravante du collectivisme ». Le primat qu’il attribue à l’Etat n’en est pas moins significatif, surtout lorsqu’on le rapporte à ce qu’il dit du peuple et de la nation. Tandis que la notion d’« Etat » a presque toujours chez lui une connotation positive, celles de « peuple » ou de « nation » ont presque toujours une valeur négative. L’Etat représente l’élément « supérieur », tandis que le peuple et la nation ne sont que des éléments « inférieurs ». Qu’il soit demos ou ethnos, plebs ou populus, le peuple n’est aux yeux d’Evola que « simple matière » à conformer par l’Etat et les termes comme « peuple », « nation », « société », apparaissent même dans ses écrits comme pratiquement interchangeables : tous correspondent à la dimension purement physique, « naturaliste », indifférenciée, fondamentalement passive, de la collectivité, à la dimension de la « masse matérialisée » qui, par opposition à la forme que seule peut conférer l’Etat, reste de l’ordre de la matière brute. Evola se situe de ce point de vue à l’exact opposé des théoriciens du Volksgeist, comme Herder : le peuple ne saurait représenter pour lui une valeur en soi, il ne saurait être le dépositaire privilégié de l’« esprit » créateur d’une collectivité donnée. Evola est tout aussi indifférent à la question du lien social, voire au social lui-même, qu’il englobe volontiers dans l’« économico-social », autre désignation chez lui du monde de l’horizontal ou du règne de la quantité. « Tout ce qui est social, écrit-il, se limite, dans la meilleure des hypothèses, à l’ordre des moyens ». C’est pourquoi l’on ne trouve pas chez lui de pensée sociologique, ni d’ailleurs de véritable pensée économique.

Ce regard posé sur le peuple n’explique pas seulement l’hostilité d’Evola envers toute forme de démocratie ou de socialisme, fût-il « national ». Il est également sous-jacent à sa critique du nationalisme. Celle-ci repose en fait sur deux éléments distincts : d’une part une adhésion au modèle de l’Empire, contre lequel se sont bâtis les royaumes nationaux et les nationalismes modernes — Evola souligne ici avec bonheur que l’idée d’Empire n’a rien à voir avec les impérialismes modernes, qui ne sont en général que des nationalismes aggravés —, et d’autre part, l’idée que la nation, comme la patrie, est d’essence fondamentalement « naturaliste » en tant qu’elle ressortit à la fois au domaine de la « quantité » et au pur « sentiment ». Evola admet certes que le nationalisme vaut mieux que le cosmopolitisme politique, dans la mesure où il représente un niveau d’existence plus différencié, et qu’il peut ainsi constituer le « prélude d’une renaissance », mais il n’en décrit pas moins le nationalisme comme une doctrine sentimentale et naturaliste, qui trouve son principe dans le primat du collectif et, de ce fait, s’accorde mal avec sa conception de l’Etat. Se « dissoudre » dans la nation vaut à peine mieux que se « dissoudre » dans l’humanité

Se refusant à faire de l’Etat l’expression de la société et réagissant contre ceux qui voient dans l’Etat une sorte de famille agrandie (où le souverain jouerait le rôle du pater familias), Evola en explique l’origine à partir de la « société d’hommes ». Il rejoint ici Hans Blüher, qui plaçait lui aussi les anciennes « Männerbünde » à la source de toute véritable autorité politique. Cette société d’hommes est à concevoir d’abord comme une association exclusivement masculine, ensuite comme lieu de regroupement d’une élite. La forme d’association « virile » par excellence est pour Evola celle de l’Ordre. Les exemples qu’il donne sont principalement l’Ordre des Templiers et celui des Chevaliers teutoniques.

La notion d’Ordre permet de comprendre tout ce qui sépare l’élitisme prôné par Evola, élitisme essentiellement éthique, de l’élitisme libéral ou méritocratique. Appartient à l’élite, non le « meilleur » au sens darwinien du terme ou le plus performant au sens de Pareto, mais celui chez qui l’ethos domine sur le pathos, celui qui a « le sens d’une supériorité vis-à-vis de tout ce qui n’est que simple appétit de “vivre” », celui qui a fait siens « le principe d’être soi-même, un style activement impersonnel, l’amour de la discipline, une disposition héroïque fondamentale ». L’élite est donc d’abord chez lui une aristocratie. Elle incarne une « race de l’esprit », un type humain particulier qu’Evola définit comme « homme différencié », et dont il pose l’avènement (ou la renaissance) comme un préalable indispensable à toute action sur le monde : « Ce qu’il faut favoriser, c’est [...] une révolution silencieuse, procédant en profondeur, afin que soient créées d’abord à l’intérieur et dans l’individu les prémisses de l’ordre qui devra ensuite s’affirmer aussi à l’extérieur, supplantant en un éclair, au bon moment, les formes et les forces d’un monde de subversion ».

Sa proposition finale, toujours la même, est donc d’en revenir à l’Idée et de susciter la naissance d’un Ordre, au sein duquel se retrouveraient des hommes supérieurs restés fidèles à cette Idée : « Ne pas comprendre ce réalisme de l’Idée signifie rester sur un plan qui est, au fond, infrapolitique : le plan du naturalisme et du sentimentalisme, pour ne pas dire carrément de la rhétorique patriotarde [...] Idée, Ordre, élite, Etat, hommes de l’Ordre — qu’en ces termes soit maintenue la ligne, tant que cela sera possible » ! Cette consigne a chez Evola valeur de solution. Qu’un certain type éthique surgisse ou resurgisse, et les problèmes politiques et sociaux seront, sinon résolus, du moins « simplifiés » : « Lorsque cet esprit s’affirmera, de nombreux problèmes, y compris d’ordre économique et social, se simplifieront ». La position adoptée par Evola face aux problèmes politiques est donc en définitive celle d’un élitisme éthique à fort contenu « viril », déduit d’une conception métaphysique de l’histoire.
 

Alain de Benoist


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http://www.alaindebenoist.com/pdf/julius_evola.pdf


lundi, septembre 15, 2014

Le temps des Marouts et des Pachous




Des individus, nommés « marouts » dans la tradition ésotérique, ont pris le contrôle des Etats, des multinationales et des institutions internationales comme l’OMS, l’ONU, l’OTAN...

Marout » est un terme sanskrit ou dravidien de même racine que « Morigu » (en gallo-celtique) et mort.

« Le marout, dit Jean Louis Bernard, est un être à l’âme morte, au psychisme mort quant à son essence, quoique susceptible de donner des apparences de vie à ce faux vivant ou mort-vivant. Notion mystérieuse, troublante ! Dans la légende hindoue, les marouts seraient les instruments (les marionnettes) du dieu védique Roudra qui se servirait d’eux et de leur poison morbide pour répandre les épidémies. C’était l’opinion du sage Apollonius de Tyane, selon son historiographe. Une épidémie grave ravageant Ephèse, le thaumaturge y mit fin en faisant lapider à mort un marout ayant l’apparence d’un mendiant. Le dieu hindou Roudra, très ambigu car régentant à la fois la maladie et la médecine et déchaînant ouragans et tempêtes cosmiques, s’est peu à peu fondu dans Shiva, le destructeur divin des religions, nations ou grandes familles, mortes en essence, et des civilisations épuisées. Or la notion de marout est l’un des tragiques arcanes de l’ésotérisme politique, celui-ci se comprenant mieux sous l’optique shivaïte que chrétienne. Les brahmanes disent que lorsque Shiva (= la Providence, le Destin) veut rabaisser une nation, caste ou famille régnante, il place à la tête de cette nation, caste ou famille, un marout qui en deviendra le chef ou l’épouse du chef. Ne possédant par nature qu’une âme pourrie, cet être hybride contaminera les hautes sphères de la société par exemple, ou les arts ou la religion, et le déclin deviendra inéluctable si des hommes n’extirpent à temps le marout. »

Les Tibétains nomment ces marouts « cadavres vivants ». Notre temps a donné la vedette aux marouts, directement ou indirectement politiques, barrant en tout cas la route aux hommes forts et l’ouvrant aux écroulements.

Le type dominant des « élites » est le marout. D'un autre côté, dans le peuple, le type humain dominant est le pachou.

« Le pashu (pachou), explique Bernard Dubant, l'être « lié », hylique (sthûla, grossier, « matériel ») n'adore que son pasha, son lien, dont il fait son « dieu ». Il est soumis à Mâyâ, le principe de séparation du sujet et de l'objet. Dans le topique de la corde et du serpent, où le serpent est pris pour la corde. Mâyâ est le « serpent », et Brahman, la corde. Dans cet exemple, il n'y a que la « corde », que l'on ne « perçoit » pas, car seul le serpent est perçu. La corde a-t-elle créé le serpent ? Nullement. Le serpent a-t-il une « certaine existence » ? Aucunement. Le serpent, c'est « l'univers », « connu », c'est-à-dire créé, par « identification » et « division ». L'univers, qui n'a pas la moindre existence, est pris pour Brahman, qui n'est pas la cause de l'univers — la causalité, qui est une perception erronée, surimposée, ne commence qu'avec Mâyâ — cause ne précédant pas son effet, ne lui étant pas concomitante, ni, bien sûr, postérieure. Cause qui ne devient cause que lorsque l'effet est produit — causée donc en tant que cause par son effet. Les religions et les philosophies ne sont que « sous le soleil de Mâyâ ».

C'est ainsi que le pashu ne s'intéresse nullement à la « vérité » (satya, Brahman) — il ne s'intéresse qu'à la surimposition, l'imposture, et la foule attend incessamment le grand imposteur, celui qui feindra d'avoir assez d'autorité pour imposer l'illusion comme vérité définitive — la foule, gobeuse d'illusion (moha), est cependant toujours sceptique — ce n'est pas assez — et déçue par son propre scepticisme — d'où les mesures antipyrrhonniennes qui sont prises jusque dans les prétoires...

Le « monde » ainsi, n'est qu'un « discours », qu'un « faire ». Le « monde » s'édifie par le faire, qui est le discours de la perception erronée. C'est le Ne-Pas-Faire qui « détruit » le « monde », qui le « dissipe » — faisant entendre le « rugissement de la vacuité » (shûnyatâ simhanâda), la « non-naissance » (ajatâ) dont les « dualistes » ont peur. L'être n'est que surimposition, et les perceptions de l'état de veille (jagrat), de l'état de rêve (svapna, taijasa), les perceptions « extérieures » et « intérieures », ne sont que « surimpositions » — c'est ainsi que Lin Tsi dit qu'il n'y a rien à chercher à l'extérieur ni à l'intérieur.

Le pashu est le bhogin — bhoga signifie « jouissance » et aussi « effort » ; il est celui qui ne « sacrifie pas », qui n'abolit pas le combustible dans le feu du yajña de la gnose. Ne-pas-faire peut se traduire aussi par abhoga, non-effort, non-attachement. Le pashu « construit » son monde par l'effort et l'identification à autre que lui-même — que ce soit son individualité ou sa non-individualité — par la « jouissance », la « manducation » — bhuj signifie « manger », « jouir de », « expérimenter » — le pashu, le bhogin, est l'« expérimentateur », le « faiseur », le tueur de Brahman, pour la grande gloire de l'illusoire Mâyâ. Le pashu est le karmin, l'idiot qui tisse son karma, qui est son «univers», qui est son linceul.


Le Saint-Empire Euro-Germanique

"Sous Ursula von der Leyen, l'UE est en train de passer d'une démocratie à une tyrannie."  Cristian Terhes, député europée...