mercredi, juillet 27, 2011

La Gnose et ses simulacres





Ce que l'on a coutume d'appeler "la gnose" peut revêtir des formes très diverses entre lesquelles des esprits malveillants ou mal éclairés peuvent faire des confusions regrettables. Il y a d'abord ce que nous proposons d'appeler gnose métaphysique ou non-dualiste, dont le prototype nous est fourni par la voie de la connaissance (jnâna marga) du Védânta non-dualiste (Advaïta Védânta) et dont on retrouve des équivalents dans les doctrines non-dualistes que nous rencontrons aussi bien dans les traditions asiatiques (Tchouang-Tseu, Nagarjuna) que dans les traditions monothéistes (Maître Eckhart, Ibn Arabî).

La gnose métaphysique ou non-dualiste. c'est la connaissance de l'identité intemporelle, verticale ou essentielle du fini et de l'infini, au-delà de toutes les formes de dualités que l'on peut poser entre Dieu, le monde et l'homme. La réalité vers laquelle tend cette connaissance et avec laquelle le gnostique aspire à s'identifier, est littéralement infinie, et à plus forte raison, supra-ou trans-personnelle. Cette connaissance nous paraît constituer le sommet de la vie spirituelle et de l'activité contemplative dans laquelle se trouvent évacuées toutes les formes de nature fantasmatique, émotionnelle ou conceptuelle que l'ego peut projeter, produire ou découvrir comme des médiations entre la réalité à connaître et la réalité connaissante (entre l'objet et le sujet). Cette connaissance est corrélative de ce que nous proposons d'appeler la dé-construction ou la transmutation de l'ego.

Si la pensée de l'Occident traditionnel nous offre avec Plotin ou Maître Eckhart des formes authentiques de gnose métaphysique, c'est dans les traditions de l‘Asie que celle-ci nous apparaît dans tout son éclat et sa parfaite cohérence. La gnose hindouiste de l'Advaïta Védânta (telle que l'école shankarienne l'a théorisée) nous apporte une sorte d'essence de la gnose avec sa "voie de la connaissance"(jnâna mârga).

Comme ses équivalents asiatiques - dans le Taoïsme ou le Bouddhisme du Grand Véhicule - l'affirmation de la Non-dualité métaphysique s'y trouve étroitement liée à celle des conditions de possibilité de sa réalisation. La Transcendance transpersonnelle de l'Atman shankarien (ou de la Shunyatâ nagarjunienne) est en rapports étroits avec les techniques de concentration et de méditation (dhyâna patanjalien ou Ch'an) c'est-à-dire de déconstruction/transmutation de l'ego.

Pour qu'à la plénitude non-duelle puisse advenir la gnose contemplative ou la contemplation gnostique (nirvikalpa-samâdhi, satori), il faut que soit maîtrisé et développé notre pouvoir de concentration ou notre puissance d'attention au réel.

Cette relation entre l'acte ou l'état de connaissance contemplative qui est au cœur de la gnose et de l'activité de déconstruction à tous ses niveaux (postures-prânâyâma, dhâranâ) permet de comprendre le paradoxe constitutif de la gnose : elle est, au-delà de toute activité volitionnelle, émotionnelle, sentimentale ou conceptuelle. (cf. notamment le nirvakalpa samdhi) une attitude qui repose sur l'absence totale d'orgueil. Cette humilité doit être comprise dans le contexte de l'affirmation de la Transcendance intégrale de l'Absolu, posé au terme d'une "voie négative" ou d'une métathéologie apophatique dont le Taoïsme, les Néoplatoniciens ou les Upanishads ont apporté des formulations sans équivoque : il ne s'agit pas seulement de nier en Dieu les modalités humaines des qualités qu'on lui attribue (intelligence, bonté, etc.) mais de nier radicalement toute qualité (cf. le Brahma nirguna ou non qualifié que l'Advaïta Vêdanta distingue du Brahma saguna, qualifié.) Le Divin est bien, en un sens, le radicalement Autre par rapport auquel moi je ne su s rien. Et que ouvert par la déconstruction transmutatrice de l'illusion que constitue l'ego. Elle est la connaissance de l'origine vraiment radicale, de la réalité originaire, illimitée, au-delà de tous les conditionnements qui peuvent l'occulter ou la réfracter. Elle tend à coïncider avec ce que certains mystiques iraniens (1) ont appelé la connaissance orientale, celle que symbolisent l'aurore, le lever du soleil et le mouvement vers la plénitude de son éclat et de sa présence.

L'homme oriental - ou le gnostique véritable - dans l'Orient aussi bien que dans l’Occident géographiques et culturels - c'est l'homme de la connaissance plénière de la plénitude, de la réalité ultime et intime des choses dans leur infinie plénitude (2). L'homme occidental, en revanche, c'est celui qui symbolise le coucher du soleil, celui chez qui, dans l'Occident aussi bien que dans l'Orient géographique et culturels, se produit l'occultation progressive de cette plénitude : l'homme occidental, c'est l'homme de l'ego, de l'idolâtrie mutilatrice, qui sépare et divise, c'est l'homme qui n'est que dans la mesure où il désire, où il veut et chez qui l'avoir tend à devenir la mesure de l'être (2).

De cette gnose métaphysique ou non-dualiste qui nous paraît constituer la forme authentique, universelle (catholique), orthodoxe et traditionnelle (au sens guénonien de ces termes) de la gnose, on peut distinguer au moins deux autres formes de gnose qui sont comme des réfractions, des déformations, des perversions ou des simulacres de la première au contact de l'esprit "occidental" tel que nous venons de le décrire :

1) La gnose dualiste, qu'on rencontre notamment chez les gnostiques chrétiens des premiers siècles de notre ère et qui transforme en doctrine ontologique ce qui n'était, dans le non-dualisme, qu'une opposition méthodologique et provisoire (notons que ce dualisme a été condamné aussi bien par Plotin que par les théologiens catholiques).

2) La gnose moniste, telle qu'elle se déploie dans le système hégélien, véritable inversion prométhéenne du Non-dualisme et produit d un contresens que l'égolâtrie occidentale est naturellement conduite à secréter concernant l'identité du fini et de l'infini : identité horizontale et non verticale ; selon laquelle l'Esprit ou Dieu ne devient qu'à travers la réalité du temps et de l'homme historique ce qu'il est dans sa vérité. Il est curieux de noter que cette inversion caricaturale a son origine dans une lecture de certains textes d'un gnostique chrétien non-dualiste, Maître Eckhart ("L’œil par lequel je me vois et l’œil par lequel Dieu se voit sont un seul et même œil") (3). Cette inversion naturelle nous amène à comprendre les condamnations très légitimes lancées par les théologiens contre la gnose en général. Sans parler des extravagances doctrinales et souvent délirantes ou "sectaires" qu'on rencontre dans la gnose du deuxième type, on comprend que les théologiens, au cœur d'une culture imprégnée par la croyance à l'incontournable réalité de l'ego, aient condamné la gnose dans laquelle ils voyaient une forme d'orgueilleuse suffisance de l'homme se prenant absurdement pour Dieu et évacuant, avec la grâce, la césure qui sépare le Créateur et la créature. Ce genre de critique se rencontre d'ailleurs aussi bien chez des théologiens chrétiens, comme Jean XXII condamnant les propositions "hérétiques" de Maître Eckhart que chez le "théologien" vishnouite du XIIème siècle Râmânuja s'attaquant à la gnose de Shankara. Mais si l'amour ou la foi en un Dieu personnel sont plus adaptés aux structures psycho-mentales de l'homme "occidental" (dans les deux sens du terme) qui est comme condamné à trans-former la gnose Non-dualiste en une gnose prométhéenne ou diabolique du 3ème type, il n'en reste pas moins qu'en dépit des contre-sens, des perversions et des simulacres qu'elle fait naître, la gnose non-dualiste envisagée dans son contexte "oriental" et ses implications spirituelles, correspond à une forme d'humilité et de grâce parfaitement authentiques quoique différentes de celles que notre impérialisme monothéiste a considérées comme seules possibles ou légitimes.

Si la gnose métaphysique est humilité, il convient de rappeler qu'elles est avant tout connaissance, sommet et perfection (idéale) de l'humilité parce que sommet et perfection de la connaissance (4).

Shankara ne laisse aucun doute concernant la rigueur et la certitude de cette connaissance du Soi (Atmâbodhi) qui est évidente par elle-même (svayamsiddhah). Nous avons affaire ici à une évidence indépassable qui rappelle le Cogito cartésien (l'évidence du moi que je suis étant pour Descartes plus indubitable que celles des vérités mathématiques) mais du point de vue de la gnose de l'Advaïta shankarien, le Cogito cartésien repose lui-même sur le postulat d'une égoïté incontournable, c'est-à-dire sur une illusion. L'évidence du savoir gnostique peut être beaucoup mieux cernée à la lumière de la problématique de la connaissance que Platon développe à la fin du sixième Livre de la République. Bien plus, nous pensons que le Bien de Platon est rigoureusement équivalent à l'Absolu transpersonnel des gnoses asiatiques et qu'il peut être interprété lui-même dans le langage du Non-dualisme, c'est-à-dire de la gnose (5) telle que nous tentons de la décrire ici.

On sait qu'au dessus de l'opinion, connaissance qui a pour objet les réalités soumises au changement, Platon place ce qu'il appelle la science qui a pour objet les réalités immuables. La science elle-même, domaine de la connaissance certaine, comporte deux degrés : d'abord celui des mathématiques, dont les propositions sont certaines’ Mais leur certitude n'est pas absolue ; elle repose sur des postulats, des hypothèses qui ne sont pas radicalement transparents à la subjectivité connaissante. Au-dessus de la certitude mathématique, Platon pose celle de la "dialectique", qui a pour objet fondamental l'Anhypothétique, ou l'Absolument absolu : l'idée du Bien qui constitue l'objet suprême de la connaissance la plus rigoureuse, la plus certaine, la plus indubitable. Au livre V de la République Platon remarquait déjà que ce qui existe d'une manière absolue est absolument connaissable. La réalité la plus haute la plus immuable, qui correspond à ce que nous avons coutume d'appeler Dieu, est donc l'objet de la connaissance la plus "scientifique" (au sens plénier et platonicien de ce terme) et cette connaissance, ce n'est pas Dieu lui-même - dans le sens où en parlent nos théologiens à la suite d'Aristote - c'est l'être même de l'homme qui en constitue le support ou le sujet. Telle nous apparaît la raison fondamentale qui a placé longtemps la métaphysique au soumet de l'échelle du savoir humain. Cette prétention ne peut avoir de sens que dans la problématique non-dualiste de la gnose, dans le contexte de laquelle l'être de l'homme n'est pas soumis à l'enfermement - ou au conditionnement - de l'ego, de telle sorte qu'il est absurde de dire que l"homme" connaît absolument "Dieu"; c'est la Déité trans-personnelle en tant qu'elle constitue ma racine et mon essence qui se connaît absolument pour ainsi dire elle-même en moi.

Cette connaissance constitutive de la gnose métaphysique nous paraît pouvoir être située dans le cadre de ce que Kant appelle l'intuition intellectuelle (6), c'est-à-dire la saisie intuitive de la réalité au-delà des déterminations spatio-temporelles, l'intellect (Nous, Buddhi) au-delà du mental égoïque, se trouvant être l'instrument de cette appréhension.

Mais la gnose implique une procédure d'actualisation de l'intellect, normalement occulté par l'activité "rajaso-tamasique" du mental (activité de projection et de division). La concentration et la méditation permettent à l'intellection potentielle de se réaliser de manière plus ou moins progressive et plus ou moins subite. Il y a là une véritable méthode à propos de laquelle Mircea Eliade a pu employer le terme de Techniques, signifiant une sorte d'adaptation rationnelle de moyens à la réalisation d'un but. Il y a comme une exploration méthodique et progressive de ce que l'on f pourrait appeler le Surconscient ou le Supramental qui constitue l'objet des divers degrés ou modalités de l'"intuition intellectuelle", comme il apparaît dans les Yogas-Sûtras de Patanjali, avec les diverses formes de samâdhi (la contemplation enstatique sur la quelle débouche le râjâ-yoga).

Comme le remarque Eliade, au terme de la concentration (dhâranâ), de la méditation (dhyâna) et de la contemplation (samâdhi), la réalité se révèle telle qu'elle est en elle-même (7) et non pour elle-même, ni pour ou par moi-même (grâce aux instances médiatrices dans les réseaux desquelles je tente normalement de la capter) mais telle qu'elle est "en soi". La chose en soi du Kantisme cesse alors d'être un fantôme philosophique pour devenir un véritable objet de (quasi) expérience.

Notons que cette réalité n'est pas produite : elle se manifeste au terme de la désoccultation/déconstruction de l'activité égoïque et mentale qui débouche sur un "laisser-être » (selon l'expression heideggerienne) ou un "lâcher-prise" (selon la terminologie du Bouddhisme Zen). Nous sommes ici au cœur de l'expérience appelée "mystique », mais également au cœur de la connaissance que Platon a pu légitimement appeler "scientifique" dans la mesure où elle se produit au niveau de ce que l'on pourrait appeler le degré zéro de la subjectivité (au-delà du désir, des fantasmes et des concepts secrétés par la subjectivité égoïque). La réalité dont il est question ici peut être indifféremment ou simultanément posée comme naturelle ou immanente dans la mesure où elle se donne sans l'intervention manifeste d'une puissance extérieure et supérieure à ce que je suis et comme surnaturelle et transcendante, dans la mesure où cette réalité se situe au-delà des frontières de l'ego et des divers types de conditionnements et de limitations qui caractérisent l'ego en général et la connaissance scientifique (au sens moderne et courant du terme) aussi bien que la connaissance "empirique".

Comme on peut le voir chez Platon de même que chez Shankara cette Réalité ultime "au-delà de l'essence" (8) qui est l'objet de la plus éminente et de la plus rigoureuse des connaissances constitue également le fondement de toutes les formes de connaissance vraie et par conséquent le fondement des autres formes de connaissance rigoureuse ou scientifique.

S'il y a une sorte de dénivellation ontologique entre toutes les formes de connaissance portant sur le conditionné et la connaissance de la réalité non-duelle et inconditionnée, il y a lieu toutefois de noter la rigoureuse continuité reliant à la gnose c'est-à-dire à la connaissance scientifique originaire, toutes les formes dérivées de la connaissance scientifique. Ce point nous paraît d'une extrême importance. Contrairement à un certain "savoir théologique" qui s'est souvent méfié de et senti menacé par les découvertes de la science, la gnose n'est jamais ébranlée par la science en général dont elle constitue simultanément la modalité suprême et le fondement originaire. L'évidence anhypothétique de la non-dualité n'a rien à redouter des évidences dérivées et hypothétiques du savoir scientifique tel qu'il s'exprime dans la géométrie euclidienne ou la physique mathématique. Mais peut-être convient-il d'aller jusqu'au bout d'une telle remarque et de reconnaître qu'il y a plus de rigueur scientifique, au sens platonicien du terme, dans la gnose telle que nous l'avons cernée que dans le matérialisme prométhéen qui anime le développement effectif de la science et des techniques dans le monde moderne et contemporain (9). Ce développement doit une grande partie de son prodigieux essor à la volonté de puissance de l'homme occidental, acharné à dominer et à transformer l'ordre naturel afin de satisfaire son désir et sa volonté de posséder et de jouir beaucoup plus qu'au désintéressement apparent qu'on peut à juste titre attribuer à l'esprit scientifique.

Celui-ci considéré de façon abstraite, correspond à une incontestable objectivité qui a fait s'évanouir bien des fantasmes individuels et collectifs (10) mais il fonctionne en fait comme une expression de la subjectivité égoïque de l'homme occidental. Nous rappellerons à cet égard que l'Occident , tel que nous l'entendons ici, sans tenir compte du sens idéologique et politique de ce terme, doit être pris dans son sens symbolique et signifiant l'accroissement de l'obscurité "tamasique" et de l'isolement de l'ego et de sa volonté de puissance caractérisant la manière d'être fondamentale de l'homme moderne (11) qui s'oppose à celle de l'homme traditionnel, centrée sur la primauté de l'activité contemplative.

Il va sans dire que le scientisme, avec sa prétention à produire une explication intégralement rationnelle et une connaissance scientifique absolument rigoureuse de la réalité des phénomènes, peut être considéré, à plus forte raison, non comme un reflet, mais comme une inversion caricaturale de la gnose.

Si l'esprit scientifique, envisagé dans la rigueur formelle de ses procédures, peut apparaître comme un reflet direct de la gnose, en parfaite continuité avec elle et tel que plus d'un savant a cru pouvoir déceler de remarquables affinités entre certains développements théoriques de la physique contemporaine, (notamment en ce qui concerne les rapports entre la matière, l'énergie et la conscience) et certaines applications de la gnose asiatique et de son non-dualisme (12) ; la science effective, intégrée a la machinerie politico-économique dès grandes puissances contemporaines, apparait plutôt comme une caricature ou un simulacre de la gnose.

Il convient à cet égard de distinguer soigneusement entre l'intellectualité de la gnose, qui a pour domaine le supra-formel ou ce que Platon appelle l'Idée (1ère et 2ème hypostase de Plotin) et le rationalisme, qui postule la clôture de l'entendement diviseur et égoïque sur lui-même. Le rationalisme, c'est la volonté d'objectivation radicale de la réalité. L'intellectualité de la gnose, c'est l'objectivité radicale d'un savoir délesté de toute trace de désir égoïque et de volonté passionnelle de dominer et de transformer le réel.

Tandis que l'objectivation rationaliste est corrélative de l'affirmation du vouloir et de la puissance de l'ego, l'objectivité "scientifique" de la gnose dépasse non seulement la dualité subjective objectivante (égoïque) et la réalité objectivée (13), mais également la dualité sujet connaissant et objet connu en général. Ce qui nous conduit à préciser le sens dans lequel il faut entendre la nature de la connaissance de la science qu'on peut voir à l’œuvre dans la gnose. En nous appuyant sur l'exemple de la gnose védantique chez Shankara, l'activité originaire et ultime de la gnose ne constitue pas en elle-même un connaissance, au sens ordinaire du terme, dans la mesure où l'activité connaissante se porte normalement sur un objet qui est distinct d'elle-même. L'essence de la gnose correspond à la désubjectivation et à la désobjectivation simultanées de l'activité connaissante telle qu'on peut la voir fonctionner par exemple dans la pensée mathématique. Il s'agit bien de la science (vidyâ) la plus certaine et la plus rigoureuse dans la mesure où il y a une sorte de transparence intégrale et de proximité radicale de "l'objet" connaissant. Mais cet "objet" c'est, en un sens l'intellect lui-même en tant qu'il réalise son identification avec l'intime, ultime et infinie réalité qui le constitue en même temps qu'elle constitue celle de tout objet possible en général. Et c'est pourquoi cette connaissance ou cette science suprême, qui est la connaissance la plus indubitable et la plus absolue, parce qu'elle est la manière même dont l’Absolu se manifeste à la fois en moi, à travers moi et au-delà de moi dans son illimitation originaire et radicale, se trouve en même temps dans l'impossibilité d'être signifiée d'une manière directe et adéquate par le terme de connaissance.

D'où les paradoxes classiques qui foisonnent dans les textes upanishadiques, bouddhistes, taoïstes ou néoplatoniciens concernant l'inconnaissabilité du suprême connaissable, la nécessité de renoncer aux formulations affirmatives pour utiliser la négation et l'ellipse pour mieux cerner cette réalité qui se profile au terme de l'intériorisation progressive du "sujet" de la conscience, et qui débouche sur la coïncidence de l'acte et l'état, du sujet et de l'objet, de l'être et du non-être.

Si l'acte fondamental de la gnose peut justement apparaître comme ce qui porte sur la plus indubitable des réalités, il m'échappe nécessairement dans la mesure où je cherche à le formuler, à le plier aux procédures langagières. Cette connaissance suprême est donc, en un sens, suprême inconnaissance.

Mais cette négation doit être soigneusement distinguée de celle qu'implique l'ignorance (a-vidyâ). Tandis que le non-savoir de l'ignorance me maintient dans le cercle de l'illusion en deçà de la réalité occultée à la fois par la pesanteur et l'agitation frénétique de l'ego désirant, l'Inscience de la gnose est au-delà de la science envisagée sous ses formes habituelles, de même que le Bien platonicien est posé comme au-delà de l'essence. La négation, comme le dit Proclus dans son Commentaire du Parménide de Platon, correspond à un gain et à une libération par rapport aux limites de l'objet nié et dépassé, et non à une perte ou à une exclusion par rapport à la positivité de ce dernier.

Aussi n'est-il pas surprenant de voir que la connaissance de la non-dualité - telle qu'on la rencontre par exemple dans le Taoïsme - se trouve étroitement liée à un rejet catégorique de "l'intelligence", de l'intellectualité, dans la mesure où celle-ci est mise en rapport (14) avec la violence et l'artifice qui s'opposent à ce qui est naturel et spontané. Mais cet anti-intellectualime n'est nullement un irrationalisme, car s'il rejette les artifices verbeux de certaines spéculations - comme le fera le Bouddha – ce n'est pas pour s'adonner à la spontanéité des pulsions instinctuelles, mais pour réaliser une ouverture supra-rationnelle au Transpersonnel (Tao), une aperception spontanée et quasi intuitive de la Réalité, au-delà des fantasmes irrationnels d'un désir non-maîtrisé. Cet anti-intellectualisme est également évident dans le Bouddhisme mahâyânique et doit être compris à la lumière de la discontinuité, de l'incontournable césure à laquelle on se heurte lorsqu'on envisage le cheminement conduisant de l'ego vers le Trans-personnel. La non-dualité du nirvana et du samsâra - expression de la gnose mahâyânique - volatilise et nihilise en un sens tous les modes de connaissance fondés sur l'ego, donc sur l'ignorance ou l'illusion.

L'actualisation de la gnose correspond alors à une irruption, à une sorte de cataclysme spirituel, à une formidable "implosion" (une explosion vers le dedans et vers le haut) que connote la notion zen de "satori" et qui n'a apparemment rien de commun avec en ce que l'on peut appeler connaissance, intelligence ou logique.

Mais il faut rappeler ici que l'univers de la gnose ne repose pas sur l'exclusion de la logique et de l'intelligence ; il s'agit en fait d'une forme plus haute, plus essentielle de l'intelligence, que l'on préfère ne pas qualifier par ce terme, afin d'éviter tout amalgame, et d'une autre forme de logique. Certains textes du Mahayânâ indien, tels que le Prasannapâda de Candra-kîrti, commentant les Mahâprajnâpâramitâ-sûtras de Nâgârjuna, nous montrent comment peut s'exercer une logique dialectique, très serrée, reposant sur le dépassement, analogue à celui que réalisera Hegel - mais d'essence toute différente - du principe de non-contradiction et dont le Védânta shankarien lui-même nous donne un bon exemple avec sa célèbre formule : "Mâyâ n'est ni différente de Brahma ni identique à lui". (15)

La pensée gnostique doit donc être dite trans-logique et non illogique. De toute évidence, comme on peut le voir chez Shankara ou Nâgârjuna notamment ainsi que chez Plotin, elle peut s'exprimer (16) dans un langage démonstratif très rigoureux, qui fait penser à l'argumentation philosophique beaucoup plus qu'à des envolées "mystiques."

Mais l'argumentation conceptuelle n'est pas son mode exclusif d'expression. Elle n'est qu'un moyen parmi d'autres, et a non sans doute le plus essentiel, pour signifier la réalité trans-logique et non-duelle visée par la gnose. Aussi bien celle-ci peut-elle se greffer sur une symbolique très éloignée de la sécheresse de l'argumentation philosophique et déboucher sur la splendeur chaleureuse du langage poétique avec son rythme incantatoire et ses métaphores inouïes. Les Upanishads nous en apportent un témoignage éclatant. La gnose s'y révèle simultanément poésie et philosophie. La poésie, inspirée par l'expérience "gnostique" de la non-dualité" met en lumière les multiples équivalences et correspondances régnant dans un monde qui est perçu comme une modalité du "Divin" et comme identique, dans son essence intime, à l'Atman trans-personnel dont il est le reflet. La métaphore a proprement ici une fonction métaphysique, loin d'être le produit fantastique d'un délire de l'ego. Comme Henry Corbin l'a montré à propos d'un Ibn Arabî, nous avons affaire ici à une "imagination créatrice", - véritable prolongement et expression de ce que nous avons proposé d'appeler l'intuition intellectuelle que nous définissions comme la saisie de l'identité des contradictoires. Cette identité secrète et ultime éclate à travers les métaphores de la poésie védique et upanishadiqne. Une symbolique foisonnante nous y révèle d'une manière charnelle et concrète ce que la notion de non-dualisme vient signifier de manière plus "spéculative" : une unité qui n'est pas celle d'un monisme massif et réducteur mais qui se manifeste dans l'inépuisable variété des formes que revêt, en mode à la fois diachronique et synchronique, Shiva, le Dieu de la danse, dans un jeu (lîlâ) simultanément créateur et destructeur mais essentiellement "transformateur". L'analogie entre les formes (par exemple Logos, feu, esprit, homme, œil, miel, aigle, soleil etc.) que signifie la métaphore poétique nous renvoie finalement à l'Unité sans forme qui se profile à la fois au-delà et au cœur même des formes. Et le rythme de cette poésie métaphysique et gnostique évoque le rythme même du Tândava de la Danse divine, où l'immuable non-dualité de l'Infini et du fini (I7) ne cesse d'être présente au cours et au cœur des métamorphoses. Mais le rythme poétique fait ici plus qu'évoquer. Il fait du poème "gnostique" un "mantram", un support symbolique de concentration qui permet à ego du récitant en instance de déconstruction d'égaler progressivement son rythme à celui de l'Univers. La parole poétique évoque - en mode métaphysique plutôt que religieux - l'Unité que le récitant s'efforce de réaliser. La beauté des métaphores et du rythme est une sorte d'anticipation bienheureuse de l'identité métaphysique que le Védânta formule d'une manière plus abstraite dans les énonciations de forme philosophique telles que le célèbre "Tat tvam asi" des anciennes Upanishads.

Georges Vallin, Lumière du non-dualisme.


(1) cf. H.Corbin : Histoire de la philosophie islamique (Gallimard.
(2) cf. Brhad-Aranyaka Upanishad V,l,l et le très beau commentaire de P. Mus.
(3) Sermon 12. Edit. Aubier.
(4) Simone Weil apporte des aperçus très éclairants sur cette relation. cf. la Pesanteur et la Grâce.
(5) Il convient de rappeler ici le caractère elliptique et allusif du langage écrit de Platon, qui était parfaitement conscient du danger que représentent certaines formulations et qui est fort éloigné
des étonnantes audaces verbales de la gnose eckartienne qui fait penser aux audaces "primordiales" des formules upanishadiques.
(6) pour la dénier à très juste titre, à ce qu'il prenait à tort pour l'homme en général, mais qui correspond à ce que nous avons appelé "l'homme occidental".
(7) cf. M. Eliade : Techniques du Yoga (Gallimard).
(8) cf. Platon : République VI, 509 b.
(9) ce matérialisme prométhéen est aussi bien celui de pays dits capitalistes que des pays soi-disant socialistes.
(10) cf. les remarques de Freud concernant l'humiliation subie par l'homme avec l'héliocentrisme, le darwinisme et la découverte de l'inconscient par la psychanalyse
(11) L'homme"moderne" c'est l'homme qui a développé au maximum les propriétés de l'Occident symbolique qui coïncide aujourd'hui avec l'Occident planétaire.
(12) cf. le colloque de Cordoue publié sous le titre Science et Conscience - Stock et F. Capra : Le Tao de la physique -Tchou. Et R. Ruyer : La Gnose de Princeton - A.Fayard.
(13) réduite à n'être qu'une matière à "informer" ou a transformer par l'action humaine.
(14) Bergson apporte, dans une optique très différente, des aperçus similaires.
(15) dont la logique "analytique" du théologien Râmânuja contestera la validité au nom du principe de non-contradiction.
(16) comme nous l'avons montré dans notre Perspective métaphysique - 2ème édition Dervy-livres - 1977
(17) Cette coïncidence entre l'Infini et le fini est admirablement signifiée par les statues de l'Inde du Sud représentant la danse de Shiva : la tête du Dieu, droite et impassible, contrastant et coexistant avec le reste du corps en mouvement, et symbolisant l'éternité qui est à la fois au-delà et au cœur même du temps.



Lumière du non-dualisme


La méditation philosophique de Georges Vallin ne fut qu’un long et puissant approfondissement de la même vérité venue l’habiter au début de sa carrière, qui n’a cessé de travailler en lui et de développer son évidence. Après avoir élaboré une phénoménologie de l’homme moderne dans Être et individualité (P.U.F., 1959), puis dessiné le cadre général de sa doctrine dans La perspective métaphysique (2e édition, Dervy, 1977), il en montra l’application aux questions spirituelles dans Voie de gnose et voie d’amour (Présence, 1980), fournissant ainsi des « éléments de mystique comparée ». Mais il se proposait aussi, et depuis longtemps, de jeter les fondements d’une doctrine de la philosophie comparée qui, soumettant la pensée occidentale à l’impitoyable Lumière du Non-dualisme asiatique, pouvait seule nous en révéler la véritable nature. La mort (1983) ne lui a pas permis de réaliser cette œuvre.

De cette entreprise, unique dans l'histoire de la philosophie contemporaine, le présent ouvrage offre quelques réalisations majeures. Elles témoignent de l’acuité et de la générosité intellectuelles avec lesquelles Georges Vallin était en mesure d’appliquer sa méthode aux domaines les plus divers, de la non-violence au sentiment du tragique, de la théologie nysséenne à l’ontologie spinozienne, de l'Extrême-Occident à l’Extrême-Orient.
Rassemblés, ces articles épars en diverses revues, manifestent l’unité d’une œuvre et d’une vie.




SOMMAIRE


Avant-propos

Première partie : Philosophie et Non-dualisme .

Chapitre 1 : Pourquoi le Non-dualisme asiatique ?
Chapitre 2 : Réflexions sur la notion de philosophie éternelle
Chapitre 3 : Difficultés d’approche de la Non-dualité

Deuxième partie : Nature, Théologie, Gnose et Non-dualisme

Chapitre 4 : Nature intégrale et nature mutilée
Chapitre 5 : Essence et formes de la théologie négative
Chapitre 6 : La gnose et ses simulacres

Troisième partie: Problèmes du mal et Non-dualisme

Chapitre 7 : Remarques sur la non-violence
Chapitre 9 : Le tragique et l'Occident

Conclusion : Les deux Vides




Illustration :
http://www.flickr.com/photos/nypl/3110868424/

mardi, juillet 26, 2011

Fondamentalisme chrétien, franc-maçonnerie et racisme d'extrême-droite, le cocktail de Breivik






Les « frères la grattouille » et l'Ordre germano-chrétien des Templiers

Alain Bauer, l'un des francs-maçons de Sarkozy, a déclaré sur le plateau de l'émission C dans l'air, à propos de l'affiliation maçonnique du tueur de masse Anders Behring Breivik, qu'il existait une franc-maçonnerie aryenne et raciste dans l'Allemagne nazie. Bauer fait probablement allusion à la transformation d'une partie de la franc-maçonnerie allemande en ordre germano-chrétien des templiers ? Selon une circulaire adressée par la Grande Loge aux Trois Globes à ses loges :

"Dans la matinée du lundi 11 avril (1933), le Grand Maître de la Grande Loge Nationale, von Heeringen, est venu à notre siège à Berlin. Il nous a communiqué la substance de son entretien du vendredi 7 avril avec le ministre Göring. […] Celui-ci lui a déclaré qu'il n'y avait pas de place pour la Franc-maçonnerie dans un état national-socialiste fondé sur le fascisme. Le Grand Maître a déclaré en tirer les conséquences : la Grande Loge Nationale cesse d'exister en tant qu'ordre maçonnique mais se perpétue sous le nom d'Ordre germano-chrétien des Templiers. [...]"

Le véritable Adversaire

Les livres du penseur français René Guénon sont bien connus dans le milieu maçonnique en France et à l'étranger (il existe une loge René Guénon en Suisse). Guénon, érudit converti à l'islam, dénonce une conspiration qui œuvre depuis des siècles à l'avènement d'un ordre mondial, d'une société contre-tradionnelle qui aura à sa tête un imposteur, un Chakravartî ou « monarque universel ». Face au règne de la « contre-tradition », les chrétiens et les musulmans ne peuvent que se comprendre. En effet, ce monarque (ou cette oligarchie) est l'Antéchrist des textes révélés des monothéistes. Les prêtres et les oulémas fanatiques, ainsi que les pseudo-initiés, tous ceux qui attisent la haine et le racisme sont probablement des agents, conscients ou inconscients, de cette conspiration que René Guénon désigne sous le nom de « contre-initiation ». La contre-initiation est particulièrement active dans l'ensemble du spiritualisme contemporain, des sociétés secrètes aux sectes du Nouvel Age en passant par les faux ashrams.

Un cycle propice à l’Éveil

A une époque où tout se délite, les spiritualistes, qui ne sont pas entre les griffes de gourous ou prisonniers de doctrines obsolètes, peuvent atteindre rapidement l’Éveil. Toutefois, la possibilité de parvenir à l'éveil spirituel grâce aux énergies destructrices de cette fin de cycle, détruisant aussi l'illusion qui nous emprisonne dans le samsara, est souvent contrée par la contre-initiation qui ne cesse de répandre des mensonges, des angoisses et des peurs paralysantes.


Sur René Guénon :

Photo :

lundi, juillet 25, 2011

L'intériorité à notre époque





En ces temps de bouleversements culturels et religieux, le message d'intériorité de l’Inde est plus urgent que jamais. Les vieux mythes sont tous bousculés et tout autant les systèmes de pensée qui prétendirent en prendre la relève. Une atmosphère de relativisme généralisé a envahi les esprits ; l'homme a été arraché de ses bases traditionnelles et il ne sait plus où reprendre pied.

L'Eveil

L'état de veille sans aucun doute est bien supérieur aux états de sommeil avec rêve, et de sommeil profond, - ces trois états de conscience de l'homme sur lesquels les Voyants upanishadiques aimaient tant faire méditer leurs disciples. Cependant cet état de veille lui-même est loin d'être un état idéal et une unique source de plaisirs, de plénitude et de satisfaction pour l'homme. Il est sujet à d'innombrables liens et limitations c'est-à-dire à la condition du samsâra - être dans le monde et dépendre de lui - condition absolument insupportable pour quiconque aspire à la liberté et la libération dans la tradition bouddhiste ou hindoue.

Dans l'état de veille, ma conscience d'être moi-même est évidemment liée - donc aussi limitée - aux actions de mon esprit et de mon corps par l'intermédiaire desquelles je prends conscience d'être, d'être moi-même. Ma paix, mon bonheur sont conditionnés par ces « événements » de ma vie ; tant par ce qui arrive au-dehors et qui est reçu par mes sens que par tout ce qui se passe au-dedans de moi-même ainsi que par les activités inconscientes de la psyché qui nous ont été révélées par la psychologie moderne. S'il fait beau, je suis heureux, si j'ai mal aux dents je souffre. Si je reçois de bonnes nouvelles, je suis excité, si j'en reçois de mauvaises, je suis abattu. D'où cette peur qui sous-tend toute mon existence : bhayam l'un des mots-clefs des Upanishads, quelque chose comme l'« Angst », (angoisse) de l'existentialisme, finalement la peur de la mort et de tout le processus de dépérissement/vieillesse qui culmine en elle, le sarvam dukham : tout est souffrance du Bouddhisme.

Pour surmonter cette peur et cette insécurité fondamentale de la condition humaine, l'homme s'est engagé sur différentes voies au cours de son histoire et dont les trois principales sont les suivantes :

Il y a d’abord la voie religieuse avec toutes ses ramifications depuis le culte le plus primitif des forces cosmiques personnifiées et des esprits jusqu’aux hauteurs spirituelles du Christianisme avec sa foi en la résurrection et la vie éternelle.

Il y a ensuite la voie philosophique. Le philosophe considère comme de purs mythes toutes les consolations de la religion et, l'espoir d'un au-delà, d'une éternité où toutes choses seraient rétribuées et compensées équitablement. Il considère la joie, la souffrance, tous les événements de la vie comme étant des « idées » et les contrecarre par d'autres idées, - nous pouvons songer ici aux Stoïciens par exemple, Tout est matière à penser, et affaire de volonté. Si nous devenons les maîtres de nos pensées et de nos décisions nous nous rendrons maîtres de notre destinée.

Enfin il y a le sage - après ou au-delà du saint, de l’homme religieux et du philosophe. Le sage considère que les consolations de la philosophie sont tout aussi extérieures que celles de la religion, qu'elles n'atteignent pas le cœur du problème car il a réalisé et non pas seulement imaginé ou pensé qu’il y a un niveau de l'Être, du Vrai, du Soi, en lequel lui-même est au-delà de tous les dvandvas - les paires de contraires - de sécurité/ insécurité (abhayam/bhayam), mort/vie (mrityu/amritam) etc.

Trois grandes Traditions sont témoins de cette intuition, les Traditions upanishadique, bouddhiste et taoïste. Leurs formulations peuvent être différentes, toute formulation étant inévitablement conditionnée par l’environnement culturel et linguistique, mais leur expérience fondamentale est identique.

Souffrance, douleur et joie, vieillesse, naissance et mort, tout cela appartient au niveau du monde phénoménal, sans être pour autant de l'imagination ou de l'illusion ; toutes ces choses sont évidemment vraies, à leur propre niveau. Il y a en l'homme un autre niveau, celui de l’Absolu, du permanent ; toutefois ce niveau reste hors d’atteinte, tant pour les sens que pour l’entendement ; nul ne peut l’obtenir ou l’atteindre par quelque pratique que ce soit - rituelle, ascétique, ni par aucune acuité mentale, cela ne peut être que « réalisé ». Cela est, tout simplement.

Henri Le Saux, « Initiation à la spiritualité des Upanishads ».


Initiation à la spiritualité des Upanishads 


Henri Le Saux (1910-1973), moine bénédictin à l'abbaye de Kergonan (Bretagne), quitte son monastère avec l'autorisation de ses supérieurs pour vivre en Inde. Il y rencontrera des sages, tels Ramana Maharshi et Gnânânanda. Grâce à sa connaissance du sanscrit, il s'adonne à la lecture des Upanishads. Envisagées dans une perspective chrétienne, celles-ci deviennent pour lui une véritable révélation du Soi à travers le soi. Elles lui enseignent les étapes du total renoncement donnant accès à la voie de la libération conduisant à l'éveil.

Initiation à la spiritualité des Upanishads groupe différents textes dont des traductions et des commentaires des Upanishads, et un article consacré au monachisme hindou, l'état de sannyâsâ, composé quelques semaines avant sa mort. Henri Le Saux est déjà connu par de nombreuses publications. Celles-ci permettent de suivre sa démarche de chrétien vivant en Inde l'expérience de l'advaïta (non-dualité). Il semble qu'aucun de ses ouvrages n'ait auparavant atteint une telle profondeur. Cet itinéraire relate la traversée de l'abîme qui sépare le monde de l'âtman de celui du Braman, le passage sur l'autre rive : celle de l'éveil.

Dom Le Saux, moine chrétien et sannyâsî, fidèle à sa vocation bénédictine, apporte à l'Occident le message de l'Inde. Celui-ci présente la voie suivie par les sages, les rishis, les sannyâsîs, c'est-à-dire par des hommes enracinés dans le Mystère et qui n'ont d'autre but que de le vivre intensément dans le secret. En cela ils sont les frères des grands mystiques chrétiens, tels les rhénans.

Ce témoignage ne peut que séduire ceux qui sont à la recherche de l' "éveil" et qui pour y parvenir souhaitent connaître le chemin qui conduit à "l'Autre Rive", celle de l'illumination. A une époque où les guides spirituels deviennent de plus en plus rares, le témoignage d'Henri Le Saux répond à un appel et à une nécessité.





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Séjour dans la jungle de Periyar


Le père Emmanuel Vattakuzhy, prête indien du diocèse de Kothamangalam (Kerala) a soutenu une thèse à l'université pontificale grégorienne (Pontificia Università Gregoriana) de Rome sur le sannyâsa chrétien dans la vie et la vision du père Le Saux. Avec l’accord de son évêque, le père a fondé un petit ashram dans la jungle de Periyar où il s’est retiré, accueillant des hôtes en quête de spiritualité.


Adresse : Santhi Sadan Avolichal, Neriamangalam P.O. 686693, Kerala (Inde).



dimanche, juillet 24, 2011

Breivik, la tuerie de masse et la mort de Dieu





Quand André Breton, encore tout jeune, déclara que l'acte surréaliste le plus simple serait de descendre dans la rue et de tirer au hasard sur les passants, il anticipait sur ce que quelques représentants des dernières générations devaient réaliser plus d'une fois après la seconde guerre mondiale, passant ainsi de la théorie à la pratique, et cherchant à atteindre, à travers l'action absurde et destructive, le seul sens possible de l'existence, après avoir refusé de voir dans le suicide une solution radicale pour l'individu métaphysiquement seul.
Julius Evola


Si l'on veut exprimer symboliquement le processus complexe qui a conduit à la crise par où passent aujourd'hui la morale et la vision de la vie, la meilleure formule est celle de Nietzsche : « Dieu est mort. »

Nous pouvons prendre la thématique de Nietzsche comme point de départ de notre propos, car elle n'a nullement perdu sa valeur d’actualité. On a dit avec raison que la personne et la pensée de Nietzsche ont aussi le caractère d'un symbole : « C'est pour la cause de l'homme moderne qu'on lutte ici, de cet homme qui n'a plus de racines dans le sol sacré de la tradition, qui oscille entre les cimes de la civilisation et les abîmes de la barbarie, qui est à la recherche de soi-même, c'est-à-dire qui s'efforce de trouver un sens satisfaisant à une existence complètement laissée à elle-même » (R. Reiniger).

Frédéric Nietzsche est celui qui, mieux que tout autre, avait prédit le « nihilisme européen », comme un avenir et un destin « qui s'annonce partout par la voie de mille signes et de mille présages ». Le « grand évènement, obscurément pressenti, la mort de Dieu », c'est le début de l'effondrement de toutes les valeurs. A partir de ce moment, la morale, privée de sa sanction, « est incapable de se maintenir », et l'interprétation et la justification que l'on avait données auparavant à toutes les normes ou valeurs disparaissent.

Dostoïevski avait exprimé la même idée en disant : « Si Dieu n'existe pas, tout est permis. »

« La mort de Dieu » est une image qui sert à caractériser tout un processus historique. Elle exprime « la mécréance devenue réalité quotidienne », cette désacralisation de l'existence, cette rupture totale avec le monde de la Tradition qui, apparues en Occident à l'époque de la Renaissance et de l'humanisme, ont pris, de plus en plus, dans l'humanité actuelle, les caractères d'un état de fait définitif, évident et irréversible. Cet état de fait n'est pas moins réel là où on ne le remarque pas encore distinctement parce que subsiste un régime de couvertures et de succédanés du « Dieu qui est mort ».

Il faut distinguer différents degrés dans le processus en question. Le fait élémentaire est une rupture ontologique : toute référence réelle à la transcendance disparaît de la vie humaine. Dans ce fait, tous les développements du nihilisme sont déjà virtuellement contenus. Après la mort de Dieu, et pour essayer de cacher celle-ci à la conscience, apparaît un premier phénomène : une morale désormais indépendante de la théologie et de la métaphysique et fondée sur la seule autorité de la raison, ce qu'on appelle la morale « autonome ». Du niveau du sacré – perdu dorénavant – l'absolu descend à celui de la morale purement humaine ; c'est le propre de la phase rationaliste du « stoïcisme du devoir », du « fétichisme moral ». C'est, entre autres, un des traits caractéristiques du protestantisme. Sur le plan spéculatif, cette phase est marquée ou symbolisée par la théorie kantienne de l'impératif catégorique, le rationalisme éthique, la « morale autonome ».

Mais, ayant perdu ses racines, c'est-à-dire le lien effectif et originel de l'homme avec un monde supérieur, la morale cesse d’avoir une base invulnérable; la critique a bientôt raison d'elle. Dans la morale « autonome », c'est-à-dire laïque et rationnelle, on ne peut plus opposer aux impulsions de la nature qu'un commandement vide et rigide, un « tu dois » - simple écho de l'ancienne loi vivante. Et, quand on cherche à donner à ce « tu dois » quelque contenu concret et à justifier ce contenu, le sol manque ; il n'y a plus aucun appui pour qui sait penser jusqu'au bout. Ceci s'applique déjà à l'éthique kantienne. En réalité, à ce stade, il n'est pas d'« impératif » qui n'en suppose un autre, non exprimé, qui n'implique pas que l'on attribue une valeur d'axiome à certaines prémisses implicites, tenant simplement à une équation personnelle ou à la structure de fait - acceptée - d'une société donnée.

Après le rationalisme éthique, la période de dissolution se poursuit avec l'éthique utilitaire ou « sociale ». Renonçant à trouver un fondement intrinsèque et absolu du « bien » et du « mal », on propose de justifier ce qui reste de norme morale par ce que recommandent à l'individu son intérêt et la recherche de sa tranquillité matérielle dans la vie sociale. Mais cette morale est déjà empreinte de nihilisme. Comme il n'existe plus aucun lien intérieur, tout acte, tout comportement devient licite lorsqu'on peut éviter la sanction extérieure, juridico-sociale, ou lorsque l'on y est indifférent. Rien n'a plus de caractère intérieurement normatif et impératif. Tout se réduit à se régler d'après les codes de la société, qui remplacent la loi religieuse renversée. Après être passé par le puritanisme et le rigorisme éthique, le monde bourgeois s'oriente vers des formes d'idolâtrie sociale et un conformisme fondé sur l'intérêt, la lâcheté, l'hypocrisie ou l'inertie. Mais l'individualisme de la fin du siècle dernier a marqué à son tout le début d'une dissolution anarchique qui s'est vite étendue et aggravée. Il a déjà préparé le chaos derrière la façade de tout ce qui est ordre apparent.

Limitée à des zones restreintes, la phase précédente avait été celle des héros romantiques : l'homme qui se sent seul devant l'indifférence divine, et l'individu supérieur qui s'affirme en dépit de tout, dans un cadre tragique, qui enfreint les lois communes, pas encore pour en contester la validité, mais pour revendiquer à son profit un droit exceptionnel à ce qui est défendu, au mal comme au bien. Sur le plan des idées, le processus s'épuise cependant chez un Max Stirner, qui voit dans toute morale la dernière forme de la divinité fétichiste à abattre. Dans cet au-delà qui subsiste à l'intérieur de l'homme et voudrait lui dicter une loi, il dénonce un « nouveau ciel », transposition insidieuse de l'au-delà extérieur, théologique, dont l'existence est niée. En surmontant le « dieu intérieur », en exaltant l'« Unique » sans loi qui confie « sa cause au néant », en s'opposant lui-même à toute valeur ou prétention de la société, Stirner marque la limite de la voie que les révolutionnaires sociaux nihilistes (ceux dont le mot nihilisme tire son origine) avaient déjà suivie, mais au nom d'idées sociales utopiques auxquelles ils croyaient toujours, au fond, idées de « justice », de « liberté » et d'« humanité » opposées à l'injustice et à la tyrannie qu'ils voyaient dans l'ordre existant.

Revenons à Nietzsche. Le nihilisme européen, annoncé par lui comme un phénomène général et non sporadique, attaque, outre le domaine de la morale au sens étroit, celui de la vérité, de la vision du monde et de la finalité. La « mort de Dieu » a ici pour effet d'ôter tout sens à la vie, toute justification transcendante à l'existence. La thématique nietzschéenne est bien connue : par besoin d'évasion, par défaut de vitalité, on avait inventé un « monde de la vérité », ou « monde-valeur », qui était détaché de ce monde-ci et lui était même opposé, qui lui conférait un caractère de fausseté et lui déniait toute valeur ; on avait inventé un monde de l'être, du bien et de l'esprit qui était la négation ou la condamnation de celui du devenir, des sens et de la réalité vivante. Ce monde fabriqué s'est défait ; on aurait découvert qu'il s'agissait d'une illusion - la genèse en aurait même été reconstituée, et l'on en aurait montré les racines humaines, « trop humaines », et irrationnelles. En tant que « libre esprit » et « immoraliste », la contribution de Nietzsche au nihilisme a consisté à ramener certaines valeurs « supérieures », « spirituelles », non seulement à de simples impulsions vitales, mais, dans la plupart des cas, aux impulsions d'une vie « décadente » et affaiblie.

Ainsi, seul demeure réel ce qui avait été nié ou condamné au nom de cet autre monde « supérieur », de « Dieu », de la « vérité », de ce qui n'est pas, mais doit être. La conclusion est que « ce qui devrait être n'est pas, et ce qui est, c'est ce qui ne devrait pas être ». C'est ce que Nietzsche appelle « la phase tragique » du nihilisme. C’est le commencement de la « misère de l'homme sans Dieu ». L'existence semble alors perdre toute signification, tout but. En même temps que tous les impératifs, toutes les valeurs morales, et tous les liens, s'effondrent tous les appuis. Nous trouvons de nouveau une idée analogue chez Dostoïevski lorsqu'il fait dire à Kirillov que l'homme n'avait inventé Dieu que pour pouvoir continuer à vivre - et donc, comme une « aliénation du moi ». Sartre définit brutalement la situation à laquelle on aboutit, lorsqu'il déclare que l'existentialisme n'est pas un athéisme dans le sens où il se réduirait à démontrer que Dieu n'existe pas. Ce qu'il affirme, « c'est que même si Dieu existait, rien ne serait changé ». L'existence est laissée a elle-même, dans sa réalité nue, sans aucun point de référence en dehors d'elle-même qui puisse lui donner un sens aux yeux de l'homme.

Il y a donc deux phases. La première est une sorte de rébellion métaphysique ou morale. Dans la seconde, les motifs mêmes qui avaient implicitement nourri cette révolte disparaissent, se dissolvent, deviennent illusoires pour un type d'homme nouveau – et c'est la phase nihiliste, ou spécifiquement nihiliste, dont le thème dominant est le sens de l'absurde, de l'irrationalité pure de la condition humaine.

Il faut dès à présent noter qu'il existe un courant de pensée et une « historiographie » dont le propre a été de présenter ce processus, tout au moins ses premières phases, comme quelque chose de positif, comme une conquête. C'est un autre aspect du nihilisme contemporain, avec, à l'arrière-plan, une sorte d'« euphorie du naufragé » inavouée. On sait que depuis le siècle des lumières et le libéralisme, jusqu'à l'historicisme immanentiste, d'abord « idéaliste », puis matérialisme et marxiste, ces phases de dissolution ont été interprétées et exaltées comme celles de l'émancipation et de la réaffirmation de l'homme, du progrès de l'esprit, du véritable « humanisme ». Nous verrons plus loin dans quelle mesure la thématique de Nietzsche relative à la période post-nihiliste se ressent, par ses mauvais côtés, de cette mentalité. Pour le moment, il convient de préciser le point suivant.

Aucun Dieu n'a jamais lié l'homme ; il n'y a pas que le despotisme divin qui soit une invention fantaisiste, mais aussi, dans une large mesure, celui auquel, selon les interprétations illuministes, le monde de la Tradition aurait dû son organisation, reçue d'en haut et dirigée vers le haut, son système hiérarchique, ses diverses formes d'autorité légitime et de puissance sacrée. Tout ce système trouvait au contraire son fondement véritable et essentiel dans la structure intérieure particulière, les capacités de récognition et les divers intérêts congénitaux d'un type d'homme qui a presque complètement disparu. L'homme, à un moment donné, a voulu « être libre ». On l'a laissé faire, on l'a même laissé trancher des liens qui le soutenaient plus qu'ils ne l'entravaient ; puis on l'a laissé tirer toutes les conséquences de sa libération, selon un enchaînement rigoureux, jusqu'à ce qu'il parvienne a l'état de choses actuel, où « Dieu est mort » (Bernanos dit : « Dieu s'est retiré ») et où l'existence devient le domaine de l'absurde, où tout est possible, où tout est licite. Seule a agi en tout cela ce qu'on appelle en Extrême-Orient la loi des actions et des réactions concordantes, objectivement, « par-delà le bien et le mal », par-delà toutes les petites morales.

Ces derniers temps, la rupture s'est étendue du plan moral au plan ontologique et existentiel. Les valeurs que l'on avait mises en doute hier et qu'ébranlait seule la critique de quelques précurseurs relativement isolés, perdent aujourd'hui toute consistance, dans la vie quotidienne, pour la conscience générale. Il ne s'agit plus de « problèmes », mais d'un état de fait qui fait paraître le pathos immoraliste des rebelles d'hier on ne peut plus anachronique et périmé. Depuis quelque temps, une bonne partie de l'humanité occidentale trouve normal que l'existence soit dépourvue de toute vraie signification et ne doive être rattachée à aucun principe supérieur, si bien qu'elle s'est arrangée pour la vivre de la façon la plus supportable, la moins désagréable possible. Ceci a toutefois pour contrepartie et pour conséquence inévitables une vie intérieure de plus en plus réduite, informe, précaire, instable et fuyante et la disparition rapide de toute droiture et de toute force morale.

Par ailleurs, un système de compensations et d'anesthésiants agit dans le même sens, et le fait de n'avoir pas été reconnu comme tel par la plupart des gens, ne lui enlève pas, pour autant, ce caractère. Un personnage d’E. Hemingway fait le bilan lorsqu'il dit : « Opium du peuple, la religion... Et aujourd'hui l'économie est l'opium du peuple, comme le patriotisme... Et les rapports sexuels ne seraient-ils pas aussi un opium pour le peuple ? Mais s'adonner à la boisson, c'est le meilleur des opiums : excellent, même s'il y en a qui préfèrent la radio, cet opium à bon marché. »

Toutefois, lorsqu'on pressent cette vérité, la façade chancelle, l'assemblage se disloque et, après la dissolution des valeurs vient un moment où l'on dénonce tous les succédanés auxquels on recourait pour suppléer à l'absence de signification d'une vie désormais laissée à elle-même. Alors apparaît le thème existentiel de la nausée, du dégoût, du vide ressenti derrière tout le système du monde bourgeois, le thème de l'absurdité de toute la nouvelle « civilisation » imposée à la terre. Chez ceux dont la sensibilité est plus aiguë, on constate diverses formes de traumatismes existentiels, on voit apparaître les états que l'on a qualifiés de « spectralité du devenir », de « dégradation de la réalité objective », d'« aliénation existentielle ».

Julius Evola, « Chevaucher le tigre ».


Evola et la révolte totale prônée par les traditionalistes





samedi, juillet 23, 2011

Deux textes de Shankara (Vivekacûdâmani & Aparokshânubhuti)





Le Chan/Zen, qui naquit en Chine au VIe siècle, présente de nombreuses similitudes avec le Vedânta.

Shankara (788-820), un des plus grands philosophes indiens, mena une existence errante, prêchant les doctrines du Vedânta advaitiste fondées sur la théorie de la Mâyâ (illusion) et sur le Connaissance (Jñâna) comme source de liberté et de libération des liens qui attachent le Moi. Il provoqua un renouveau de l'hindouisme après le recul lié au développement du bouddhisme.

Vivekacûdâmani

« Le diadème du discernement » ( Vivekacûdâmani), renferme cinq cent quatre-vingts versets. Après avoir énuméré les qualités dont l'aspirant doit faire preuve, Shankara indique le moyen de franchir l’océan des renaissances (samsâra). Il explique ensuite que l'âtman est au-delà des cinq gaines ou fourreaux (pañcakoça) qui enveloppant l'individualité : gaines du corps et de l'énergie vitale, gaines de l'esprit et de l'intellect, gaine enfin de la félicité.

Les rites amènent la purification de l'esprit et non la perception de la Réalité. La manifestation de la vérité est causée par la discrimination et point du tout par dix millions de rites. (11)

Il y a de bonnes âmes, calmes et magnanimes, qui font lever le bien autour d’elles comme le printemps. Ayant elles-mêmes franchi l’océan des naissances et des morts, elles aident les autres à le traverser, sans aucune pensée de récompense. (37)

Un père peut compter sur ses fils pour le débarrasser de ses dettes, mais il ne peut compter que sur lui-même pour sa libération. (51)

L’étude des Écritures est inutile aussi longtemps que la Réalité suprême n’est pas connue ; de même, quand cette Réalité est perçue, l'étude des Écritures devient inutile. (59)

La maladie ne quitte pas le patient s’il prononce simplement le mot : médecine, sans la prendre ; semblablement, sans pratiquer l'ascèse, on ne peut être libéré en prononçant le mot Brahman. (62)

Le moi éprouve du plaisir quand les objets des sens lui sont favorables, et il éprouve de la souffrance quand ils lui sont hostiles. Aussi bien plaisir et souffrance sont des propriétés du moi et non du souverain âtman. (105)

Comme le parfum du bois de santal, le parfum du Soi suprême est étouffé par la poussière de ces désirs véhéments et persistants (vâsanâ) qui ont imprégné notre esprit, il est perçu clairement quand il est purifié par le contact intime avec la connaissance. (274)

Le Soi est Brahmâ, le Soi est Vishnu, le Soi est Indra, le Soi est Shiva, le Soi est tout cet univers. Rien d’autre n’existe que le Soi. (388)

Regarder tout avec la même indifférence en ce monde plein de qualités et de défauts, naturellement divers, est un privilège de l'homme libéré. (433)

Comme le ciel, je suis au-dessus de toute contamination, comme le soleil, je suis différent des choses illuminées. Je suis immobile comme une montagne. je suis illimité comme l’océan. (499)

Quelquefois fou, quelquefois sage ; quelquefois revêtu de la splendeur d’un roi ; quelquefois doux, quelquefois dangereux comme un serpent ; quelquefois honoré, quelquefois méprisé, quelquefois inconnu, ainsi vit le sage toujours heureux de la félicité suprême. (542)


Aparokshânubhuti

« L'expérience directe du Soi » (Aparokshânubhuti) renferme cent quarante-quatre stances. C’est un manuel (prakarana) d'initiation. Le thème central de ce court traité est l'identité du Soi individuel (jivâtman) avec le Soi suprême ( paramâtman).

Les quatre qualifications préliminaires, telles que le renoncement, etc., peuvent apparaître chez les hommes grâce au culte du Seigneur Hari ( Vishnu), à leurs austérités, à l'accomplissement des devoirs relatifs aux différentes castes et périodes de l’existence. (3)

Le dégoût avec lequel on considère la fiente d’un corbeau – et cela à l'égard des objets des sens, depuis Brahmâ jusqu’aux choses inertes – voilà en vérité ce que l’on appelle le pur dégoût. (4)

Qui suis-je ?... D’où vient ce monde ?... Quel est son créateur ?... De quelle matière ce monde est-il fait ?... Voilà la façon dont on doit mener l’enquête (vichâra). (12)

De la même manière qu’un objet en or a toujours la nature de l'or, un être né du Brahman possède toujours la nature du Brahman. (51)

De même qu’il existe toujours une relation de cause à effet entre la terre et la jarre, semblablement, la même relation existe entre Brahman et le monde phénoménal. Ceci a été établi sur la foi des textes scripturaires et par le raisonnement. (66)

Transformant la vision ordinaire en une vision de connaissance, on doit regarder le monde comme le Brahman. Voilà la plus noble de toutes les visions, et non celle qui consiste à fixer son attention sur le bout de son nez. (116)
Les personnes qui sont très habiles à discuter du Brahman n’arrivent pas à la réalisation du Soi. Elles sont très attachées aux plaisirs du monde. Ces êtres naissent et meurent constamment par le seul fait de leur ignorance. (133) 

On doit d’abord chercher la cause par la méthode négative (vyatirekena) et ensuite la trouver par la méthode positive (anvayena), comme toujours présente dans l'effet. (138)


Shankara : La quête de l'être 

« De même qu'en ce monde un bloc de cristal assume fictivement diverses teintes de vert, de bleu, etc. quand il est au contact des objets qui ont cette couleur, de même la lumière du Soi se diversifie fictivement en vision, audition, etc. » Tel est le monde des apparences, celui que nous prenons pour vrai. Et tel est ce que Shankara ignorait et négligeait complètement, pour fixer la grande lumière de l'Absolu. Ce qui apparaît dans la lumière ne le concernait pas. Aventurier de l'être, sensible à sa seule lumière, Shankara, autrefois secret et accessible aux rares élus qui, par statut et appétit, pouvaient le comprendre dans une langue qu'on ne traduisait pas, est maintenant la référence de toutes les philosophies indiennes. Sa philosophie revisitée a été promue au rang de « philosophie indienne par excellence ». Les textes présentés dans cette anthologie, dégagés de la gangue des interprétations qui en ont émoussé le tranchant, témoignent principalement de l'actualité de l'expérience spirituelle de Shankara.


Michel Angot est sanskritiste. Il a notamment publié « L'Inde classique ».



Photo :
Le Shankarachârya de Kancipuram parmi ses disciples (1970)

L'attentat d'Oslo





Quelques jours avant l'attentat d'Oslo, Bouddhanar a mis en ligne un texte de Philippe Baillet à propos de la révolte totale (et meurtrière) de l'extrême-droite (traditionaliste) :

http://bouddhanar.blogspot.com/2011/07/evola-la-revolte-totale-pronee-par-les.html


Photo :
SS norvégien (un Untersturmführer du régiment Norge) et Anders Behring Breivik, le fondamentaliste chrétien responsable de l'attentat d'Oslo et de
 la fusillade de l'île d'Utoya.





vendredi, juillet 22, 2011

Les estivales de la question animale





Les estivales de la question animale se dérouleront du samedi 30 juillet au samedi 6 août 2011 à Marlhes (42), à 25 km de Saint-Étienne (Voir le programme ci-dessous).

Chaque année, ces rencontres donnent lieu à des discussions passionnantes et à d'intéressantes rencontres.

Les Estivales sont des rencontres d'échange de savoirs et d'informations, d'expériences et d'opinions, ouvertes à toutes les personnes qui s'intéressent à la question animale: particuliers, représentants de diverses associations, «intellectuels» et «militants de terrain», tenants d'approches philosophiques et stratégiques différentes... LIRE LA SUITE : http://question-animale.org/fr/projet.html


Samedi 30 juillet

accueil des participants

Dimanche 31 juillet

Un point sur l’action menée en Europe, et au Canada, qui a conduit à l’adoption du règlement européen fermant les portes de l’UE aux produits issus de la chasse aux phoques et autres pinnipèdes.

La droite et les animaux.

Lundi 1 août

La question animale en Colombie, plus particulièrement à travers la relation aux ânes dans la région nord atlantique.

Projection du court-métrage « Le compagnon déloyal » :
Les chiens sont-ils devenus les nouveaux maîtres des hommes, prêts à céder à tous leurs caprices et à dépenser des fortunes pour eux ?
Au-delà des apparences, quelle est la réelle nature sociologique de notre relation avec les canidés et quel lien éthique unit notre espèce à la leur ?

Projections d’autres courts-métrages :
  • Déchirement (expérimental)
  • Laissez l’iguane tranquille (Reportage)
  • Ludique macabre (Fiction)


Mardi 2 août

Réflexion sur le rôle des élevages bio, "éthiques", développement durable, etc. en tant que secteur crucial de l'esclavage animal. 
Les poules pondeuses en France : conditions de vie, lois, recherche scientifique, situation européenne…

Mercredi 3 août

La violence sociale à l'encontre du végétarisme pour les animaux. État des lieux et analyse de la végéphobie.

L’Initiative Citoyenne pour les Droits des Végétariens

Jeudi 4 août

Débat pour l’abolition de la viande : quelle pertinence ? quelles stratégies ?

Vendredi 5 août

Réflexions et discussions sur la sentience des invertébrés

Spécisme, sexisme, racisme. Intersectionnalité des discriminations.

Illustration :


Intuition & spontanéité





En observant le spiritualisme moderne, il apparaît que la manipulation mentale est pratiquée par la plupart des organisations qui prétendent être des voies de réalisation spirituelle. La philosophie libertaire, qui est au centre de plusieurs traditions orientales, y est presque toujours ignorée ou dévalorisée.

De nos jours, des gourous, qui imposent à leurs élèves des pratiques et des rites aliénants, invoquent l'école des Nātha sans préciser que :

Les Nātha visent à se libérer durant la vie. Les mesures prises en ce but sont simples. Ils ne préconisent ni les pratiques religieuses extérieures ni la connaissance des traités. Ils insistent uniquement sur une voie directe aussi brève que possible, celle que découvre le mystique en lui-même et jusque dans son propre corps, lieu privilégié de l'expérience, que celle-ci concerne la divinité, l'énergie ou l'univers.

A cette fin les Nātha recourent à un seul moyen : l'intuition et le sahajasamâdhi, l'absorption spontanée. On les appelle en conséquence « Sahajîya » adeptes de la spontanéité. Ils se caractérisent par la simplicité du cœur et de l'esprit. Grâce a au sahajasamâdhi la pensée s'absorbe dans la félicité, l'impression erronée d'objectivité et de dualité s'estompe et finalement disparaît.

Lorsqu'un tel samâdhi se répand dans toutes les activités journalières, le yogin, quelles que soient les circonstances, n'éprouve qu'une seule et même saveur (samarasa) qui imprègne l'univers entier.

Lilian Silburn, « La kundalini ».


La kundalini
L'énergie des profondeurs

La kundalinî, cet axe dressé au centre même de la personne et de l’univers, est à l’origine de la puissance de l’homme dont elle draine et épanouit les énergies. Plutôt que sur les pouvoirs extraordinaires habituellement décrits dans nombre d’ouvrages souvent très fantaisistes, l’auteur s’est attaché ici, suivant en cela les maîtres des écoles non-dualistes du Shivaïsme du Cachemire, à mettre l’accent sur l’apaisement qu’elle confère.

Si les témoignages et les études se multiplient actuellement sur ce sujet, ils restent trop souvent sans rapport avec la réalité sur l’expérience ; la plupart des phénomènes qu’on y trouve relèvent de troubles psychiques, de fantaisies de l’imagination ou de la tension due aux efforts d’une concentration trop prolongée…

L’auteur a réuni dans cet ouvrage des extraits relatifs à la kundalini et conformes à l’enseignement des écoles non dualistes Kaula, Trika et Krama afin de proposer une vue d’ensemble cohérente. Cette étude se présente donc sous la forme de traductions et d’explications de textes ; elle s’inspire essentiellement de l’œuvre capitale du grand mystique cachemirien du Xe siècle Abhinavagupta : le Trantrâloka (Lumière sur les Tantra) et de la glose qu’en fit Jayaratha. Un tel choix concerne les plus hautes initiations intérieures d’ordre mystique.

Il est à noter qu les textes choisis diffèrent des descriptions du Hathayoga et de nombreux Tantra shivaïtes, bouddhistes ou vishnouites habituellement exposés et mieux connus.




Lilian Silburn, directeur de recherches honoraire au C.N.R.S. est une des autorités les plus éminentes, dans le domaine du Shivaïsme du Cachemire et de l’œuvre d’Abhinavagupta. Elle est l’auteur de nombreuses traductions et études dont : le Paramârthasâra, la Bhakti dans le Shivaïsme du Cachemire (1964), le Vijñâna Bhairava (1961), la Mahârthamañjarî (1968), les Hymnes de Abhinavagupta (1970), Hymnes aux Kali (1975), Sivasûtra et Vimarsinî de Ksemarâja (1980), et La Lumière sur les Tantra, chapitres 1 à 5 du Tantrâloka d’Abhinavagupta. Elle a également dirigé et publié un volume consacré au Bouddhisme (1977).


Photo :
« Les sannyāsis du Gorakha Nātha portent plusieurs symboles qui les distinguent des autres sādhus, entre autres le petit sifflet (nādî) attaché à des fils de laine. »
R. BEDI




"L'Occident moderne est la chose la plus dégoûtante de l'histoire du monde"

Une performance d'art moderne occidental : Être traîné avec une bougie dans l'anus sur un sol inondé et sale. La Russie est en train...