Une lobotomie néo-spiritualiste
Voyage
au-delà de mon cerveau
Le jour où Jill Bolte Taylor, chercheuse en neurosciences à Harvard, est victime à trente-sept ans d'un accident vasculaire cérébral, sa vie bascule : elle assiste à la dégradation de ses facultés au point qu'en l'espace de quelques heures elle ne peut plus marcher, parler, lire, écrire, ni même se rappeler à quoi sa vie ressemblait jusque-là. Il y a quelque chose de Christophe Colomb chez cette femme qui a découvert et exploré les territoires les plus reculés de son cerveau. A travers son récit, elle nous confie avec autant de précision que d'humanité ses observations, ses émotions et ses techniques pour se réapproprier le monde durant les huit années qu'il lui a fallu pour retrouver toutes ses facultés. Expérience scientifique unique, cette fascinante exploration des rouages du cerveau se double d'un guide précieux à l'usage des victimes d'un accident cérébral, mais aussi d'un témoignage profondément émouvant sur la paix intérieure à laquelle chacun de nous peut accéder.
Extraits :
Notre empathie, notre capacité à nous mettre à la place d'autrui, prend naissance dans notre cortex frontal droit.
Notre hémisphère gauche traite l'information d'une manière en tous points différente. Il rattache les uns aux autres, selon un ordre chronologique, les instants riches de sensations dont nous prenons conscience dans notre hémisphère droit. Il ne cesse de comparer les particularités de tel moment donné à celles du précédent. En retraçant l'évolution au fil du temps de ce qui a caractérisé un instant ou un autre, notre hémisphère gauche nous donne une idée du passé, du présent et du futur. Leur succession dans le cadre d'une structure établie nous permet de comprendre qu'il faut accomplir telle action au préalable à telle autre. […]
Extraits :
Notre empathie, notre capacité à nous mettre à la place d'autrui, prend naissance dans notre cortex frontal droit.
Notre hémisphère gauche traite l'information d'une manière en tous points différente. Il rattache les uns aux autres, selon un ordre chronologique, les instants riches de sensations dont nous prenons conscience dans notre hémisphère droit. Il ne cesse de comparer les particularités de tel moment donné à celles du précédent. En retraçant l'évolution au fil du temps de ce qui a caractérisé un instant ou un autre, notre hémisphère gauche nous donne une idée du passé, du présent et du futur. Leur succession dans le cadre d'une structure établie nous permet de comprendre qu'il faut accomplir telle action au préalable à telle autre. […]
Tandis
que notre hémisphère droit pense par images, en se formant une vue
d'ensemble de l'instant présent, notre hémisphère gauche, lui,
s'attache aux détails, à une infinité de détails.
Je
dois avouer que la nécessité d'admettre que notre vision du monde
extérieur et notre relation à lui découlent de notre « câblage »
neurologique, m'a libérée tout en me posant un défi de taille.
Jusque-là, je n'étais donc que le pur produit de mon imagination !
[…]
La
cérébralité de mon hémisphère gauche, pour l’heure en
veilleuse, ne refoulait plus ma conviction innée d'incarner une
force de vie à l'état pur. Je gardais conscience d'un changement en
moi mais pas une seule fois mon hémisphère droit ne m'a laissé
entendre que je valais moins qu'avant. Me voilà devenue un être de
lumière dont l'énergie se diffusait dans le reste du monde !
[…]
Depuis
que mon hémisphère droit régnait en maître sur ma conscience, je
débordais d'empathie. [...]
Imaginez-vous,
si vous le voulez bien, privé petit à petit de l'ensemble de vos
facultés mentales. […] Votre incapacité à vous rendre compte des
variations de température ou de la position de vos membres, modifie
votre perception de votre corps. Votre énergie se diffuse à tous
ceux qui vous entourent. Voilà que vous atteignez les dimensions de
l'univers ! La petite voix dans votre tête, qui vous rappelle qui
vous est et où vous habitez, se tait. Vous oubliez les émotions qui
vous ont façonné au fil des ans. La plénitude de l'instant présent
vous absorbe tout entier. Tout, y compris la force vitale à l'œuvre
en vous, rayonne d'énergie à l'état pur. Mû par une curiosité
enfantine, votre esprit découvre la possibilité inédite de baigner
dans une mer d'euphorie et votre cœur connaît enfin la paix.
Demandez-vous alors : seriez-vous vraiment motivé pour renouer avec
les contraintes d'une routine établie. […]
Au
cours du long processus de ma guérison, je me suis efforcée de
parvenir à un équilibre harmonieux entre les deux hémisphères et
surtout de déterminer quelles tendances prendraient le pas à tel
moment donné. Cela me tenait à cœur dans la mesure où une
profonde inquiétude mêlée de compassion pour le reste de
l'humanité habite mon hémisphère droit. Plus nous mobilisons les
réseaux de neurones qui suscitent en nous sérénité et sympathie
pour autrui, plus notre entourage le ressentira et plus la paix
s'étendra par contagion, si je puis dire, sur notre planète.
D'un
point de vue neuroanatomique, la paix intérieure a envahi mon
hémisphère droit quand le centre du langage et l'aire associative
pour l'orientation de mon hémisphère gauche ont cessé de
fonctionner. […]
En
tant que créature biologique, nous disposons d'une emprise
extraordinaire sur nous-mêmes. Nos neurones communiquent entre eux
en fonction de circuits établis, ce qui rend au final leur
activation assez prévisible. Plus nous nous concentrons sur un
réseau de cellules en particulier, c'est-à-dire plus nous passons
de temps à entretenir telle ou telle pensée, plus notre influx
nerveux aura tendance à suivre le même parcours à l'avenir.
En
un sens, nos esprits ressemblent à des programmes de recherche
sophistiqués qui se concentrent presque exclusivement sur l'objet de
leur quête. Si je prends plaisir à voir du rouge autour de moi, je
ne tarderai pas à en repérer un peu partout. Peut-être pas tant
que ça au départ mais, plus je me focaliserai sur mon envie de
rouge, plus j’en distinguerai dans mon environnement.
Chacun
de mes deux hémisphères voit les choses sous un angle différent.
Mon hémisphère droit ne se soucie que de l'ici et maintenant. Il
sourit sans cesse et se montre très amical. Mon hémisphère
gauche s'attache quant à lui aux détails en organisant mon
quotidien. C'est lui qui me pose des limites et juge de ce qui est
bon ou pas, juste ou non.
Mon
cerveau droit se concentre sur la plénitude de l'instant présent.
Il jouit de ce qui fait la richesse de ma vie au quotidien.
Éternellement satisfait, il ne renonce jamais à son optimisme. Il
ne juge pas en termes de bien ni de mal ; tout existe de son
point de vue dans un continuum ; tout est relatif.
C'est
dans mon hémisphère droit que résident les tendances mystiques, ma
sagesse, mes facultés d'observation, d'intuition, de clairvoyance.
Mon cerveau droit en perpétuel éveil se laisse happer par
l'écoulement du temps. Mon cerveau droit (d'autant plus libre qu'il
ne s'attache à aucune limite) affirme que j'appartiens à un tout
qui me dépasse. […]
Non
content d'échafauder des contes à dormir debout qu'il prenait
ensuite pour argent comptant, mon cerveau gauche manifestait une
fâcheuse tendance à la redondance, c'est-à-dire à ressasser sans
arrêt les mêmes idées. Beaucoup d'entre nous voient leurs pensées
s'enchaîner sans répit et se surprennent plus souvent qu'à leur
tour à imaginer les scénarios catastrophes. Hélas ! Notre société
n'apprend pas aux enfants à cultiver le jardin de leur esprit.
J'ai
décidé de tirer une croix sur la partie de mon hémisphère gauche
qui m'incitait à la mesquinerie, aux tracasseries incessantes et au
dénigrement de moi-même et des autres. Mieux valait renoncer aux
circuits neuronaux qui ravivaient en moi des souvenirs douloureux. La
vie me paraît trop courte pour que je me soucie encore des
souffrances qui appartiennent au passé.
Certains
programmes de notre système limbique (à l'origine de nos émotions)
se déclenchent par automatisme en libérant des substances chimiques
qui se diffusent dans l'ensemble de notre organisme, mais
disparaissent en moins d'une minute et demie de notre circulation
sanguine. Prenons l'exemple de la colère : il nous arrive de nous
emporter comme par réflexe dans certaines circonstances. Des
substances chimiques qui perturbent notre équilibre physiologique
nous envahissent alors pendant une minute et demie. Elles se
dissipent ensuite et notre réaction automatique n'a plus lieu
d'être. En résumé : ma colère ne persiste plus d'une minute et
demie que lorsque je laisse le circuit neuronal correspondant activé
en boucle. Je n'en reste pas moins libre à tout moment d'attendre
que ma réaction se dissipe en me concentrant sur l'instant présent
plutôt que de me laisser happer par le fonctionnement répétitif de
mes neurones.
Le
« câblage » de notre système limbique a tellement tendance à
programmer nos réactions que nous avançons souvent dans la vie en
pilotage automatique. J'ai découvert que, plus les cellules de mon
cortex supérieur se montraient attentives à ce qui se passait au
sein de mon système limbique,mieux je maîtrisais mes pensées et
mes sentiments. La surveillance des cellules responsables de mes
réactions automatiques m’aide à maintenir mon emprise sur
moi-même en m’amenant à prendre conscience des décisions de mon
organisme. À long terme, j'assume ainsi la responsabilité de ce à
quoi ressemble ma vie au quotidien.
Rien
ne m'a plus donné confiance en moi que de me découvrir enfin libre,
de ne plus ressasser des pensées génératrices de souffrance.
Quelle
délivrance que de me convaincre qu'il ne dépendait que de moi
de me laisser envahir par l'amour et la quiétude « de mon
hémisphère droit », peu importe ce qui m'arrivait ! Il me
suffisait de « virer à droite » en me focalisant sur l'instant
présent. […]
Si
je veux échapper aux idées noires que mon hémisphère gauche prend
un malin plaisir à ressasser, il est impératif que je les identifie
au plus vite.
Dès
que je repère un circuit cognitif en train de s'activer dans mon
cerveau, je me concentre sur ce que je ressens au plus profond de
moi-même. Comment qualifierais-je mon état ? Mes pupilles se
dilatent ? Le souffle me manque ? Mon cœur se serre ? La tête me
tourne ? Mon estomac se noue ? L'anxiété me gagne ? Toutes sortes
de stimuli sont susceptibles de mettre en branle le circuit de nos
neurones qui suscitent en nous la crainte ou la colère, en
provoquant une réaction physiologique type qu'il nous est par
ailleurs loisible d'étudier. […]
Quand
j'éprouve une douleur quelconque, je me tais le temps de panser les
plaies en cédant à ma souffrance, ce qui lui permet de se dissiper
plus rapidement. La douleur avertit notre cerveau qu'une partie de
notre organisme vient de subir un traumatisme et qu'il ferait bien
d'en prendre note. Une fois parvenue à ma conscience, ma douleur a
joué son rôle et si elle ne disparaît pas complètement, du moins
elle s'estompe.
Si
je me fie à mon expérience, la paix intérieure provient d'un
circuit de neurones dans le cerveau droit qui, parce qu'ils ne se
reposent jamais tout à fait, restent susceptibles de prendre le pas
sur les autres à tout moment. Notre sentiment de quiétude s’ancre
dans l'instant présent. Il ne nous vient pas d'un souvenir du passé
ni d'une projection dans l'avenir. Pour atteindre la paix intérieure,
il me semble impératif de se laisser absorber par l'ici et
maintenant.
Il
ne faut pas s'en étonner : nos sociétés occidentales attachent
plus de valeur aux facultés actives de notre hémisphère gauche que
celle du droit, plus contemplatif. S'il vous semble malaisé de
laisser s'exprimer votre hémisphère droit, c'est sans doute parce
que vous avez trop bien retenu ce que l'on vous a enseigné toute
votre enfance.
Ce
qui me met sur la voie de la paix intérieure, c'est d'abord de me
rappeler que j'appartiens à un tout qui me dépasse, un flot
d'énergie éternelle dont je ne saurais me dissocier. Cela me
rassure de me dire que je me rattache au flux cosmique de l'univers
tout entier. Il me semble alors que le paradis m'attend sur terre.
Mon hémisphère gauche me considère comme un individu fragile qui
risque fatalement, à un moment ou un autre, de perdre la vie. Mon
hémisphère droit s'attache au contraire à l'essence éternelle de
mon être. Peu importe si je meurs. Mon énergie se diluera dans le
vaste monde qui m'environne. [...]
Le
retour à la méditation (qui me conduit à un enchaînement d'idées
riches en émotions) me fournit encore un autre moyen d'éloigner de
ma conscience les pensées dont je ne veux pas. La prière, par
laquelle nous substituons un ordre de réflexion à un autre, nous
permet aussi d'échapper aux pièges du ressassement au bénéfice de
notre tranquillité d'esprit.
Le Dr Jill Bolte Taylor, née en 1957, est neuro-anatomiste affiliée à l'université de l'Indiana et porte-parole de la Banque des cerveaux de Harvard.