samedi, juillet 28, 2012

Le fascisme américain et le fordisme





Au pays de Ford, c'est l'ordre, la discipline, le respect absolu des règles et de l'autorité, la soumission totale aux lois édictées par le patron qui justifient les décisions. C'est bien en vertu du principe d'autarcie juridique que fonctionnait la Ford Motor Company, coupée du monde et coupant du monde ceux qui y évoluaient. Dans les écrits de Ford, les lois fédérales semblent inexistantes. Il n'y est simplement question que de ses directives, ses règlements, la façon dont il entend gérer son entreprise. Il faut donc garder à l'esprit le climat de peur qui régnait chez les ouvriers et le sentiment d'un contrôle étroit de leurs faits et gestes.

La morale de Ford fut elle aussi érigée en modèle à suivre. Il n'y avait pas de place pour la liberté de pensée, il était impératif d'adhérer et de se conformer aux valeurs, toutes issues de son éducation puritaine, qu'il prônait. La propreté, la rigueur, la bonne conduite, les bonnes mœurs étaient autant de domaines sur lesquels l'entreprise restait intransigeante. Les ouvriers aux mœurs dissolues, qui s'adonnaient à la boisson ou fumaient, fréquentaient « des maisons de mauvaise réputation » étaient immédiatement renvoyés.

Avec un code de valeur aussi strict et aussi proche des obédiences puritaines les plus rigoristes, c'est la vie quotidienne et même la vie intime des ouvriers qui était dirigée.

Un contrôle étroit de la population ouvrière

L'organisation de la population ouvrière à Highland Park dépendait d'une institution : le Sociological Department. Favoriser l'intégration de nouveaux ouvriers et assurer le bien-être des employés fut dans un premier temps le but de ce « service sociologique ». Créé en 1913, au lendemain de la réforme des salaires et de la mise en place de la journée à cinq dollars, son importance grandit de façon considérable. En 1919, l'effectif des enquêteurs, au nombre de 30 à l'origine, avait été multiplié par cinq. Ces détectives étaient chargés d'enquêter sur les familles de chacun des employés de la Ford Motor Company. Le Sociological Department désignait les ouvriers méritant de bénéficier du plan de partage des bénéfices.

Le rôle des enquêteurs, parfois secondés par un traducteur, était de soumettre les employés à une série de questions destinées à évaluer le degré de leur moralité. Il s'agissait, selon l'expression de Ford, de s'assurer que les « participations bénéficiaires basées sur la bonne conduite » soient remises à ceux, et seulement à ceux, qui le méritaient. « Si vous doublez les revenus d'un homme et vous lui permettez de vivre au-dessus du pair, il pourrait dérailler. D'où l'utilité du Sociological Department qui permet d'enseigner aux hommes la façon de mener une vie saine et bien rangée. » Les ouvriers devaient répondre à des exigences de sobriété et de propreté, il était fortement conseillé de faire des économies, de mener une vie respectable, de ne pas se comporter de façon séditieuse ni d'accueillir trop de pensionnaires, ces derniers risquant de compromettre l'équilibre du cocon familial. Les couples mariés étaient privilégiés et l'on incitait les ouvriers vivant maritalement à régulariser leur situation. Le « service sociologique » accordait un très grand nombre d'avantages aux familles déclarées aptes : des loyers à prix modérés et des prix préférentiels sur les produits de première nécessité. Elles pouvaient bénéficier de services sanitaires et éducatifs.

Cependant, ce service était perçu par certains comme un véritable « ministère de la Morale », un organe de promotion de la vertu et de lutte contre le vice, apparemment autonome et bienveillant, mais qui n'obéissait qu'à une seule logique : maintenir les ouvriers sur le chemin de la vertu, au sens biblique du terme, et en accord avec les préceptes d'un seul homme, Henry Ford.

D'abord placé sous la responsabilité de John R. Lee, le service fut confié à partir de novembre 1915 au révérend Samuel Simpson Marquis, conseiller spirituel de Clara Ford qui recommanda cet ancien doyen de la cathédrale épiscopale de Detroit à son époux. Après 1921, Charles Sorensen fut chargé d'administrer le Sociological Department. Il dénatura complètement sa vocation première d'assistance et de soutien aux employés pour en faire un vrai outil de contrôle coercitif. […]

Malgré les bonnes volontés affichées de ses dirigeants, l'existence de ce service, surtout après 1921, était très mal vécue par la population ouvrière de Detroit et de Dearborn. Elle dénonçait, avec ses moyens limités et sans grande efficacité face au puissant dispositif fordiste, une violation de sa vie privée et s'en plaignait auprès des quelques organisations ouvrières en constitution. En plus des impératifs contraignants de productivité, s'ajoutait ce fardeau supplémentaire du Sociological Department qui enquêtait sur la vie intime des ouvriers, leur mode de vie et la gestion de leurs salaires. L'ouvrier de M. Ford s'apparentait de plus en plus à un rouage, un élément malléable à merci et contrôlé de cette immense machine dont le patron restait le maître omnipotent. Il était de plus en plus évident que ce système économique se doublait d'un appareil de façonnage social complexe et évoluait dans le sens d'une coercition accrue et d'un autoritarisme à peine voilé.

Damien Amblard, Le "fascisme" américain et le fordisme


Le "fascisme" américain et le fordisme

Un "fascisme" américain ? L'expression peut surprendre, tant le terme de "fascisme" est le plus souvent associé à l'Italie mussolinienne.

Certes, aux États-Unis le fascisme n'est jamais parvenu au pouvoir, il n'a pas disposé de porte-parole désigné ni de groupe important réellement constitué en son nom. Pour autant, que ce soit dans la culture politique ou dans l'histoire nationale, les États-Unis de l'entre-deux-guerres portaient en germe tous les éléments constitutifs d'une imprégnation fasciste particulière qui est loin d'être un simple phénomène d'importation.

Damien Amblard concentre son étude du fascisme américain sur le personnage emblématique que fut Henry Ford. Ruraliste, populiste, antimarxiste, antisémite et nationaliste, Ford mit en place avec sa Ford Motor Company une idéologie industrielle basée sur les principes d'ordre et d'autorité.

Avec son Juif international, ouvrage traduit en allemand et largement diffusé par les nazis, il donna même à penser que si l'idée d'un "complot juif" n'avait pas finalement été désavouée par l'opinion internationale, il n'aurait pas hésité à exploiter ce motif dans le contexte de la crise économique.

Nombreux furent les mouvements américains qui prirent la suite de Ford pour raviver un antisémitisme national latent qui, contrairement à l'antisémitisme européen, ne se fondera jamais sur une idéologie mais préférera toujours s'appuyer sur les préjugés populaires - au premier rang desquels la hantise d'un "complot judéo bolchévique".



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vendredi, juillet 27, 2012

Les grandes imperfections du Dalaï-lama





Le Dalaï-lama est l'auteur du livre Dzogchen, l'essence du cœur de la Grande Perfection. Mais, comme la plupart des gourous et des hiérarques lamaïstes, les actes de Sa Sainteté ne montrent pas une véritable réalisation spirituelle. Au contraire, l'homme qui se dissimule derrière sa toge safran incarne toutes les imperfections du féodalisme théocratique de l'absolutisme au népotisme en passant par l'obscurantisme et l'hypocrisie... N'est-il pas temps de mettre fin à une tartuferie qui a assez duré ?

Les « élites » étasuniennes, apôtres du darwinisme social, du fordisme autoritaire, du fascisme invisible, ont fait la promotion du lamaïsme, trouvant en lui un système qui ne diffère guère de leurs conceptions de la domination des populations.

L'esclavagisme moderne, fondé sur l'addiction à la consommation, et l'asservissement orchestré par les lamas au nom du karma et de la promesse d'une meilleure réincarnation ont en commun la soif de pouvoir d'une caste de prédateurs.

L'esclavage dharmique

« Alexandra David-Néel était une grande voyageuse, amie et spécialiste incontestée du Tibet, rappelle Maxime Vinas. Elle avait été reçue à Dharamsala par le dalaï-lama et, après sa mort, il se rendit à deux reprises (octobre 1982 et mai 1986) dans sa maison natale à Digne, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Il lui rendit publiquement hommage pour avoir fait connaître la culture tibétaine aux Occidentaux. Dans son livre Grand Tibet et vaste Chine, elle concède : « Une sorte d'esclavage assez bénin subsiste encore en maintes parties du Tibet. » Les dalaï-lamistes acharnés à nier cette réalité ergotent sur certaines libertés accordées aux pauvres et grâce auxquelles on ne saurait parler d'esclavage.

Or, on constate dans les lois du Tibet des dalaï-lamas des similitudes frappantes avec un texte français de 1685, L'Édit du roi touchant la police des îles de l'Amérique française, dit « Code noir », de Colbert, qui visait officiellement à assurer une protection légale des esclaves. Dans la France royaliste de jadis et dans le Tibet théocratique de naguère, les maîtres avaient le droit de punir leurs gens, de les obliger à pratiquer une religion, de sanctionner les fuyards et les voleurs, de les faire enchaîner, fouetter, emprisonner, amputer, de les mettre à mort, d'accorder ou pas l'autorisation de mariage. Quant à ceux qui auraient osé porter la main sur leur maître, une palette de punitions assez semblables existait en fonction de la gravité du geste et de l'importance de la personne touchée. Le goût de l'humour noir sera reconnu à ceux pour qui les lois quasi identiques définissaient l'esclavage chez nous et un banal « métayage » au Tibet.

Nous comptons donc dix-sept ans de formation au métier, plus de neuf ans de règne avant l'annonce chafouine de la volonté du dalaï-lama, dictée par sa bonté et son amour de la démocratie, d'en finir plus tard avec un héritage féodal qui fit la puissance et l'opulence de quatorze dalaï-lamas et des leurs.

Certes, nombre de Français trouveront à juste titre beaucoup à redire sur la conception chinoise de la démocratie et le système qui prévaut à ce jour à Lhassa. Mais ils objecteront plus encore à la découverte de ce que fut le gouvernement du dalaï-lama et de ce qu'est le programme du gouvernement tibétain en exil. »

L'obscurantisme lamaïste

« Quels enseignements étaient dispensés aux Tibétains, ou plus exactement aux cinq pour cent d'entre eux qui en bénéficiaient, s'interroge Maxime Vinas ?

D'abord, « cinq sujets mineurs » qui concernent « l'art dramatique, la danse et la musique, l'astrologie, la poésie, la composition littéraire ». Toutes ces matières ? Non, les élèves moines peuvent se contenter d'étudier « l'astrologie et la composition littéraire ».

Puis « cinq sujets majeurs » qui correspondent à un enseignement supérieur et qui sont : « l'art de guérir, l'étude du sanscrit, la dialectique, les arts et métiers, la métaphysique et la philosophie religieuse [...] dont le dernier — métaphysique et philosophie religieuse — est de loin le plus important [...] » et qui se subdivisent eux-mêmes en cinq parties : perfection de la sagesse, sentier du milieu, règles de la discipline monastique, métaphysique, logique et dialectique.

Bien formaté, l'érudit tibétain n'en sait guère plus que le serf analphabète sur ce qui, à travers le monde et au fil des siècles, a enrichi l'intelligence et la pensée, et amélioré la vie au quotidien. Physique, chimie, mécanique, architecture, économie, courants philosophiques ou artistiques et autres babioles impies sont bloqués aux portes du Tibet mystique par une politique délibérée dite « d'isolement ». Nul ne savait ou n'était censé savoir, ou en tout cas ne devait enseigner par exemple la géométrie ou l'algèbre, hérésies considérées comme utiles partout ailleurs depuis des siècles avant notre ère.

Bien entendu, l'histoire du monde et la géographie n'étaient pas davantage à l'honneur, disciplines inutiles pour perpétuer la théocratie, voire dangereuses. […]

Ignorance voulue, organisée, garante d'un immobilisme qui convient si bien à la caste dirigeante, ignorance sans laquelle le peuple tibétain, « fier, courageux et guerrier », selon la description qu'en fait le dalaï-lama lui-même, aurait probablement secoué le joug d'une oppression religieuse unique au monde à l'époque où ce dernier a accédé au pouvoir. Orphelin de cette révolte qui lui aurait permis de garder les moines, mais sans leur pouvoir temporel et sans l'aristocratie parasitaire, le peuple tibétain s'est vu, plus que d'autres, pris dans la nasse d'un enfermement multiple, privé qu'il était de connaissances, de modernité, de droits démocratiques, de justice non religieuse, d'autorisation de voyager et de recevoir des étrangers. »

L'art du bonheur de Sa Sainteté : heureux comme un pape et con comme un panier

Maxime Vinas poursuit sa critique du lamaïsme : « Dans Histoire d'un bon bramin, un conte qu'on dirait bien écrit pour le dalaï-lama, Voltaire met en scène la rencontre d'un voyageur avec un prêtre de la religion hindoue qui observait une vieille femme. Elle « croyait aux métamorphoses de Vitsnou de tout son cœur, et, pourvu qu'elle pût avoir quelquefois de l'eau du Gange pour se laver, elle se croyait la plus heureuse des femmes ». Le prêtre confie : « Je me suis dit cent fois que je serais heureux si j'étais aussi sot que ma voisine, et cependant je ne voudrais pas d'un tel bonheur. » L'auteur pose alors cet aphorisme célèbre : « Je n'aurais pas voulu être heureux à condition d'être imbécile » et il conclut : «Je ne trouvai personne qui voulût accepter le marché de devenir imbécile pour devenir content. »

Sera-t-il permis de préférer sur ce point la sagesse voltairienne de 1761 à celle du dalaï-lama, c'est-à-dire le Tibet d'aujourd'hui à celui d'hier ? »

Maxime Vinas, Dalaï-lama pas si Zen.








Maxime Vivas ose s'attaquer au mythe : et si le dalaï-lama était un théocrate qui remplit d'or les coffres de ses palais tandis que les Tibétains n'étaient que des serfs auxquels on refuse toute éducation ? Et si, en bon opportuniste, il tenait un discours changeant à l'égard des Chinois, tantôt amis, tantôt ennemis ? Et s'il faisait le jeu des Américains et de la CIA davantage que celui des Tibétains qu'il prétend défendre ?

S'appuyant sur les propos mêmes du dalaï-lama, sur les témoignages de prosélytes ainsi que sur son propre voyage au Tibet, l'auteur dresse un portrait au vitriol de Sa Sainteté et nous démontre que tout n'est pas si zen au royaume de Bouddha.

Maxime Vivas, journaliste, est coadministrateur du site d'information alternative legrandsoir.info. Il anime également une émission culturelle sur Radio Mon Païs et a été référent littéraire d'ATTAC-France. Il a publié La face cachée de Reporters sans frontières. De la CIA aux faucons du Pentagone (Aden, 2007).
***

Pourquoi le Dalaï-lama a-t-il reçu le prix Nobel de la Paix ? http://bouddhanar.blogspot.fr/2011/01/pourquoi-le-dalai-lama-t-il-recu-le.html 

Wikileaks : le Dalaï-lama & « Establishment 22 » 

jeudi, juillet 26, 2012

Introduction du Tch'an chinois au Tibet





Le Tch'an (Ch'an) ne figure pas officiellement au nombre des diverses écoles de pensée du Bouddhisme tibétain. En effet, si nous conservons des preuves écrites de son introduction au Tibet, son implantation est restée sous-jacente et n'a pas donné naissance à une secte propre. Son évolution et ses ramifications sont donc souterraines.

Pour comprendre la part d'imprégnation du Tch'an dans les fondements de la mystique tibétaine et pour situer le problème qu'a soulevé cet impact, il est indispensable d'avoir présents à l'esprit les faits majeurs concernant la diffusion du Bouddhisme dans ce pays et la formation, dans ses très grandes lignes, des principaux ordres monastiques qui subsistent encore de nos jours.

Pour cela, il faut se reporter au VIIIe siècle, époque cruciale pour la destinée du Tibet car elle fut celle de sa plus grande expansion territoriale (jusqu'à Touen-houang et même, de façon épisodique, jusqu'à Tch'ang-ngan, alors capitale de la Chine ) et surtout le point de départ de son rayonnement spirituel.

Les auteurs tibétains distinguent deux vagues de diffusion du bouddhisme. La première qui avait probablement débuté au vue siècle s'affirma au VIIIe siècle avec l'arrivée de l'éminent pandit indien Santaraksita puis celle du grand tantriste Padmasambhava. Après une terrible proscription de la Doctrine à partir du IXe siècle, la seconde diffusion commença avec l'arrivée d'Atisa en 1042.

Cette distinction traditionnelle est d'importance puisque seront critiquées par la suite les sectes qui se réfèrent aux tantra anciens, c'est-à-dire traduits avant la seconde diffusion.

De fait, les Nyingmapa ou « Anciens », ainsi appelés parce qu'ils se réclament de la tradition issue de Padmasambhava, et surtout les Dzogchenpa ou « Tenants du Grand Achèvement » qui se rattachent à Vairocana, disciple de Padmasambhava, furent les premiers à être attaqués pour leurs doctrines fondées sur des tantra considérés comme apocryphes.

Certains auteurs « orthodoxes » ont décrit les doctrines des Kagyüpa ou « Tenants des enseignements oraux » issus de Marpa (1012-1096), maître de Milarépa, ainsi que les doctrines Nyingmapa et surtout celles de sa branche Dzogchen comme étant le prolongement du Tch'an chinois.

Et par ailleurs, le grand érudit Kagyupa Padma dKarpo ( XVIe siècle) rapporte dans sa Chronique que certains textes de son école ( tout comme certains textes de l'école Nyingmapa ) sont des œuvres qui auraient été enterrées en tant que « gter-ma » ou « trésors » par le maître chinois Mahayana, le défenseur du Tch'an lors de la célèbre controverse du VIIIe siècle. [...]

La controverse sino-indienne du VIIIe siècle

Cette doctrine du Dhyàna chinois fut appelée d'abord « Grand Yoga » et par la suite « Hva-çan lugs » ou « manière des hva-çan » ( ce dernier terme étant la transcription du mot chinois ho-chang, « bonze »). Les récits concernant son introduction au Tibet nous ont d'abord été connus à travers les chroniques tibétaines tardives. Celles-ci relatent toutes une controverse religieuse qui aurait eu lieu au Tibet sous le règne du roi Trisong detsen ( 755-797 ), désireux d'adopter comme religion officielle la forme de bouddhisme la plus authentique, mais certainement aussi conscient de devoir choisir la forme la mieux appropriée au tempérament de son peuple.

Cette controverse qui portait sur la nature des méthodes conduisant à l'Éveil, opposa le Hva-çan chinois Mahayana aux partisans des maîtres indiens Santaraksita et Kamalasila qui le soumirent à un interrogatoire dogmatique.

Comme le rapporte entre autres l'historien Butön (1290-1364) dans sa chronique, les partisans du Hva-çan formaient « l'École de la méthode subite » (sTon-mun-pa), et ceux de son concurrent indien formaient « l'École de la méthode graduelle » (rCen-min-pa), ces deux expressions étant la transcription phonétique de deux termes tirés de la scolastique chinoise.

Comme tous les auteurs de chroniques tardives, Butön affirme qu'à la suite de cette controverse, le maître chinois fut défait et que seul, le bouddhisme indien intervint dans la formation du bouddhisme tibétain.

Mais le dépouillement des manuscrits trouvés à Touen-houang, capital pour la connaissance de cette période, allait apporter un éclairage tout à fait nouveau.

C'est le regretté sinologue P. Demiéville qui ouvrit ce champ d'études du Dhyana chinois au Tibet, en éditant et en traduisant dans une œuvre magistrale intitulée « Le Concile de Lhasa », le dossier chinois de cette controverse qui porte pour titre : « Ratification des vrais principes du Grand Véhicule (conformes à la doctrine) de l'Éveil subit ».

Ce texte est d'une historicité incontestable puisqu'il a été rédigé par un laïc chinois nommé Wang Si, probablement témoin oculaire de la controverse.

Or, contrairement à la tradition tibétaine, d'après la tradition chinoise, le roi semble s'être prononcé en faveur du prédicateur chinois, puisque Wang Si achève sa préface par la conclusion suivante :

« En l'année siu, le 15 de la première lune, fut enfin promulgué ce grand édit :

«La doctrine du Dhyana qu'enseigne Mahayana est un développement parfaitement fondé du texte des sutra ; il n'y a pas la moindre erreur. Que désormais religieux et laïcs soient autorisés à pratiquer et à s'exercer selon cette Loi. » (P. 42.)

Au cours des vingt dernières années, de nombreux travaux ont vu le jour et l'on sait maintenant que cette controverse sino-indienne a bien eu lieu au Tibet, vers 780 (et non pas de 792 à 794), à Samyé (et non à Lhasa) et probablement même dans des lieux divers, sous forme de discussions faites par écrit. Pourtant on ignore encore les faits exacts car s'il est sans doute vrai que dans un premier temps le roi trancha en faveur du parti chinois, il est incontestable que par la suite toutes les écoles du bouddhisme tibétain se référèrent aux deux écoles indiennes du Madhyamika fondé par Nagarjuna et du Yogacara fondé par Asanga.

En tout cas, il est vrai aussi qu'il n'existe aucune preuve écrite de la condamnation officielle du Dhyana chinois au Tibet et si les maîtres chinois furent finalement battus, on retrouve encore trace de leur doctrine dans certains ordres, en particulier ceux des Nyingmapa et des Kagyupa, qui ont été accusés de prolonger le Tch'an. [...]

C'est l'expérience de l'intériorité profonde qui donne à l'homme sa grandeur : les Tibétains le savent bien, eux qui s'efforcent depuis des siècles de vivre cette vérité. Le Tch'an est une réalisation mystique, centrée uniquement sur l'expérience intérieure qui vise à une prise de conscience intuitive, en état de samadhi. Comment les Tibétains, pour la plupart si enclins au mysticisme, auraient-ils pu rester insensibles à une doctrine qui faisait appel à une réalisation intime profonde, sans appui extérieur ? Le succès des Hva-çan fut immédiat et foudroyant, si l'on en croit le dossier chinois. Certes, le Tch'an, comme toute autre doctrine implantée au Tibet, a pris dans ce pays une couleur particulière : la couleur tibétaine qui trahit la nature d'un peuple imprégné d'occultisme.

Guilaine Mala



Note sur le Dzogchen Bönpo :

L’influence du Ch'an chinois sur le Dzogchen des Bönpo est trop souvent ignoré malgré de nombreuses similitudes et l'enseignement d’un patriarche du nom de Darma Bode. Le nom de Darma Bode fait dire à Samten Karmay, né dans une famille Bönpo du Tibet et directeur de recherche au CNRS : « Il nous rappelle Bodhidharma, le patriarche de la tradition Ch'an/Zen ».

mercredi, juillet 25, 2012

Yoga, méditation et cætera





Récemment, j'ai voyagé avec une personne qui pratique le yoga et la méditation depuis des années. Elle fréquente aussi un monastère où l'on se gargarise de philosophie bouddhiste et de techniques tantriques. Mais, l'esprit de cette personne est confus. Longchenpa (XIVe siècle), auteur de textes sur le Dzogchen, prévenait : « tous ces véhicules empêtrent votre esprit immaculé ». (Longchenpa, « La liberté naturelle de l'esprit ».)

Bien avant Longchenpa, au VIIIe siècle, un patriarche du Zhang Zhung (tradition Bönpo du Tibet) nommé Tapihritsa se moquait des grands méditants, des érudits hâbleurs et des pratiquants du tantrisme. Tapihritsa disait :

« Les grands méditants qui emprisonnent et contrôlent les pensées sont somnolents et dorment quand ils méditent.

Le langage et la logique de la philosophie sont comparables à des armes et à de sombres filets. Le débat n'est que concepts verbaux.

Les pratiques tantriques transforment l'esprit et ne le laissent pas dans sa nature.

Les érudits ont une compréhension vide de sens et leur Vue et leur méditation sont semblables à des bulles, de simples mots qu'ils ne mettent pas en application.

Tout cela n'est pas la pratique véritable ; l'état ultime est inconditionné.

Point de pratique à faire, aucun obscurcissement, une fois la véritable compréhension atteinte, plus rien à forcer ou à changer. »

(D'après « Les prodiges de l'esprit naturel » de T. Wangyal)


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mardi, juillet 24, 2012

Le rêve de l'Aborigène



Le rêve de l'Aborigène 2012, photo Félix

Il y avait beaucoup de monde à Airvault (79) pour le dixième anniversaire du festival Le rêve de l'aborigène (du 20 au 23 juillet 2012).

Le rêve de l'Aborigène selon l'agenda du Routard :

« Cette véritable invitation à la découverte de la culture aborigène est en fait le seul festival français de didgeridoo (sorte de flûte), à la guimbarde et au chant diphonique. Il est dédié à ces trois instruments ancestraux et aux cultures dont ils sont issus. En plus des concerts sur une prairie de 15 hectares, aussi des expositions, des stands et des ateliers autour des peuples premiers, des films et des animations en présence d'associations humanitaires et d'artistes du monde entier. En 2011, ils viennent d'Australie, de Mongolie, d'Inde et du Gabon.

Le festival Le rêve de l'Aborigène véhicule la notion de respect de la nature et de l'humain, de conscience écologique : panneaux solaires, restauration bio, tri des déchets... Chaque année, un cèdre est planté en signe de la renaissance du festival et pour la reforestation. Enfin, pour marquer la solidarité avec les peuples indigènes victimes de l'alcool, la fête est 100 % sans alcool... et d'autant plus folle. »

Les Aborigènes sont-ils télépathes ?

Questionnés sur la télépathie, les aborigènes présents au festival ont dit qu'elle ne serait pratiquée que par des hommes-médecine.

Dans son best-seller, Message des hommes vrais au monde mutant, l'américaine Marlo Morgan fait comprendre que tous les aborigènes ont la faculté de communiquer par télépathie :

« La journée commença comme les autres et je ne pressentis rien de ce qui m'était réservé, écrit Marlo Morgan. Seul fait exceptionnel, nous prîmes un petit déjeuner. La veille, sur la piste, nous étions passés près d'une meule à grain. C'était un gros rocher ovale et très lourd, trop lourd à transporter, si bien qu'on le laissait là, à la disposition des voyageurs assez chanceux pour avoir du grain à moudre. Les femmes avaient réduit des tiges en fine poudre qu'elles avaient mélangée avec une herbe à goût salé et de l'eau, pour faire des galettes qui ressemblaient à des petites crêpes.

Durant notre prière matinale, face à l'est, nous remerciâmes pour toutes ces bénédictions et adressâmes notre message quotidien au royaume de la nourriture. Un jeune homme vint se placer au centre du groupe et parla. On m'expliqua qu'il s'offrait pour une tâche spéciale ce jour-là et il quitta le campement très tôt, nous précédant sur notre route.

Nous marchions depuis plusieurs heures quand l'Ancien s'arrêta et s'agenouilla. Tout le monde l'entoura tandis qu'il restait à genoux, oscillant doucement, les bras étendus devant lui. Je demandai à Ooota ce qui se passait, mais il me fit signe de me taire. Personne ne parlait, les visages étaient attentifs. À la fin Ooota se tourna vers moi et me dit que le jeune éclaireur nous envoyait un message demandant la permission de couper la queue du kangourou qu'il venait de tuer.

Je compris alors pourquoi le groupe était tellement silencieux toute la journée quand nous marchions : la tribu communiquait la plupart du temps par télépathie. On n'entendait rien, mais des messages s'échangeaient entre des gens à trente-cinq kilomètres de distance. Comme c'était le cas en ce moment même. [...]»

Message des hommes vrais au monde mutant est présenté comme le témoignage authentique d’une initiation qu’aurait vécue Marlo Morgan auprès des Aborigènes d'Australie. Le livre devient rapidement un best-seller. Mais pour les Aborigènes, Message des hommes vrais au monde mutant n'est qu'un tissu d'affabulations. Confrontés à huit aborigènes, les « Anciens », Marlo Morgan finira par admettre que son livre n'est qu'une fiction. Les éditions ultérieures du livre mentionnent :

« Ceci est un livre de fiction inspiré par une expérience, vécue en Australie, mais qui aurait pu l'être en Afrique ou en Amérique du Sud, partout où il existe encore un sens véritable de la civilisation. Qu'à travers mon histoire, le lecteur entende son propre message. » 
Marlo Morgan

jeudi, juillet 19, 2012

Les déviations de l'instinct





Les déviations de l'instinct
chez l'homme et l'animal et leurs conséquences

L'homme jouit de l'intelligence, mais ne suit pas beaucoup son instinct. Par contre, l'animal a moins d'intelligence, mais suit davantage son instinct.

Si l'homme suivait pleinement son instinct, la plupart des gens n'auraient pas mangé la viande à l'état naturel, c'est-à-dire crue et sans assaisonnement ni préparation. Ceux qui aiment la viande dans cet état sont la minorité avec un instinct dépravé. En effet, l'homme ne possède pas les équipements anatomiques et physiologiques pour tuer une bête et pour la manger. Cela ne veut pas dire que les animaux ont l'instinct parfait. Toutefois, ils le suivent plus que l'homme. En effet, les physiologistes ont classé les singes parmi les frugivores, mais on a vu parfois et rarement des singes manger de petits animaux. Ces singes n'ont pas suivi leur instinct pour une raison qu'on ignore et pour leur malheur. C'est ce qui a porté certains auteurs à déclarer que le singe — et donc l'homme — est un petit carnivore. C'est une erreur, car le tableau d'anatomie et de physiologie comparées, établi par les grands physiologistes, classe l'homme et le singe parmi les frugivores. Leurs organes anatomiques et physiologiques ne sont pas adaptés à la viande.

L'animal qui mange les aliments qui ne lui sont pas destinés par la Nature le paye dans sa santé, comme l'homme subit les pénalités à la suite de ses transgressions pour avoir mangé le fruit défendu.

C'est ainsi que dans la nature sauvage, le cancer est répandu et plusieurs animaux souffrent d'hypertension, de durcissement des artères, de rhumatisme, et d'autres maladies nombreuses.

L'excès nutritif, comme les carences nutritives, produisent la dénutrition. Une plante arrosée à l'excès finit par crever, tout comme celle qui ne reçoit pas d'eau du tout. L'excès d'aliments azotés, que la médecine préconise, finit par produire des croissances cancéreuses et l'infection de l'organisme.

« L'antithèse du développement provenant d'une alimentation illégitime et excessive, est courante dans la nature. Je rejette le point de vue théologique selon lequel, des glaciers du nord aux côtes de l'Inde, seul l'homme est vil. Il y a un tas de preuves qui montrent que l'homme n'est pas le seul animal qui ait goûté du fruit défendu et qui paye pour avoir transgressé la loi. Tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, dans le royaume où l'on lutte pour sa survie ».

« Dans le domaine de l'évolution pathologique chez les animaux, les paléontologistes ont montré plusieurs exemples de changements chez un grand nombre d'espèces certaines parties atrophiées au point de devenir de simples vestiges ; alors que d'autres parties se sont hypertrophiées jusqu'à l'acromégalie. Nous voyons dans la nature sauvage un grand nombre d'asymétries, de dystrophies, d'atrophies, d'hypertrophies, d'acromégalies précoces, de précocités, de disharmonies, de gigantismes, de monstruosités, de parasitismes, de dégénérescences, et d'autres anomalies qui montrent à quel point le royaume animal s'est éloigné des normes de comportement ». Shelton.

Quand je lis Marchesseau et Burger préconiser un peu de viande en disant que l'homme est un petit carnivore, comme le singe, cela me fait sourire. Prétendent-ils que l'instinct est parfait chez l'animal ?

« La physiologie est déterminée par le comportement biologique, poursuit Shelton. Les changements structuraux proviennent des perversions nutritionnelles et des nourritures illégitimes. Les développements antithétiques en tant que compensations et corrélations, les atrophies dans certaines structures osseuses, simultanément à un accroissement morbide ou à des hypertrophies chez d'autres, ces développements pathologiques surviennent par suite d'habitudes alimentaires biologiquement illégitimes.

« Mais le biologiste, incapable de distinguer entre la pathologie et la santé, entre ce qui est normal de ce qui est anormal, considère tous ces changements comme des normes de la biologie. Il voit l'acromégalie (comme celle des incisives supérieures de l'éléphant moderne) et l'atrophie (comme celle des incisives inférieures chez le même éléphant) comme de simples « variations ».

« C'est ainsi que de nombreuses pathologies dans la nature sont considérées par le biologiste comme étant des développements normaux, lesquels sont camouflés par l'usage des termes incorrects suivants : adaptation, variation, mutation, et spécialisation ».

« Le biologiste et l'anthropologue, étant peu familiers avec les états pathologiques, ont tendance à considérer comme normal tout ce qu'ils rencontrent très répandu dans la nature. J'ai souvent conseillé aux biologistes d'étudier la pathologie, mais qui suis-je pour prétendre donner des conseils à un corps de savants érudits ! Un vrai savant peut apprendre d'un microbe, mais le pédantisme du biologiste moyen lui a fermé l'esprit devant tout ce qui proviendrait en dehors du cercle fermé de sa spécialité. Il préfère demeurer ignorant plutôt que d'admettre qu'une personne étrangère à son cercle sait ce qu'il ne sait pas ». — Shelton.

L'adaptation ? Plutôt un état pathologique

L'idée scientifique est que l'homme s'est adapté depuis tant de siècles qu'il consomme la viande et le pain. Mais que voyons-nous ? L'homme ne s'est pas du tout adapté à ces aliments illégitimes. Ses griffes n'ont pas poussé. Il n'a toujours pas de fourrure. Son foie est toujours très petit et ses intestins pas aussi courts que ceux des carnivores. Il n'a pas développé un gésier broyeur comme celui des granivores. En un mot, il n'y a pas eu adaptation. On lira le premier chapitre de mon livre « La nourriture idéale et les combinaisons simplifiées » (Ed. Courrier du Livre, Paris).

Selon le Dr René Larger, cité par Shelton, les paléontologues n'ont pas reconnu les développements pathologiques qu'ils ont toujours considérés comme des développements normaux. (Contre-Evolution par le Dr R. Larger.)

Le front bombé chez l'homme des cavernes est un développement pathologique, tout comme les développements acromégaliques ou atrophiques que l'on voit partout dans la nature sauvage, et qu'on prend pour des développements normaux.

« L'anthropologue qui étudie les restes des hommes préhistoriques, de même que le biologiste qui étudie les spécimens tordus et déformés d'espèces vivantes, ignorent le caractère pathologique de ce qu'ils considèrent comme une adaptation.

Question : Quand est-ce qu'une anomalie n'est pas une anomalie ?

Réponse : Quand c'est une « adaptation » !

« L'asymétrie à tous les niveaux est toujours une indication d'anomalie. Que ce soit dans la nature ou dans la domestication, les aliments illégitimes ou en excès, accompagnés d'indolence, comme c'est d'habitude le cas, produisent des croissances morbides et des monstruosités.

« L'éléphant est un géant acromégalique. Or, c'est l'animal le plus glouton. C'est aussi un assassin de végétaux, ce qui lui procure des aliments illégitimes, donc pas convenables. Comparativement, les cas légers d'acromégalie humaine et de gigantisme sont plus courants qu'on ne l'avait cru. En effet, nous sommes fiers d'avoir une grande taille, mais le gigantisme naissant est un développement pathologique indésirable. D'ailleurs, cet accroissement de la taille est accompagné de nombreux stigmates d'anomalies croissantes, telles que la carte dentaire, les tumeurs, les cancers, les névroses, etc.

« Je ne dis pas que les aliments illégitimes sont la seule cause de la dégénérescence humaine, mais c'est sûrement la principale ».

«Au fur et à mesure que le régime devient de plus en plus carnivore, la dégénérescence augmente et s'accélère ». Shelton's Hygienic Review, déc. 1954, p. 90.

Comme en agriculture

En agriculture, les cultures forcées par des engrais chimiques azotés produisent des aliments plus gros, mais malsains. Les grosses tomates, les grosses carottes n'ont pas le goût parfait des aliments normaux cultivés sans engrais chimiques azotés.

Il en est de même chez l'enfant qui est nourri en excès d'aliments azotés. Il pousse plus vite, mais mal. Il devient précoce, sa puberté arrive de bonne heure, il vieillit plus tôt et meurt avant l'âge, rongé par la maladie. On connaît l'oiseau Australien Kéa qui était végétarien, beau et sain. Pour une raison qu'on ignore, il devint carnivore et dégénéra tout récemment dans notre temps.

Les causes de la déviation de l'instinct

On peut incriminer l'intelligence dévoyée, la sorcellerie, la magie noire, et même la médecine. C'est ainsi que chez les tribus primitives Africaines, on dit que la consommation du cœur d'un ennemi rend courageux, celle de ses testicules rend viril et boire son sang, manger sa chair donnent de la force. En médecine, on prône un régime carné pour fortifier, et pour surmonter la répugnance à manger des cadavres, on les cuit et on les assaisonne pour masquer leur goût dégoûtant. C'est ainsi que l'instinct peut être perverti, même chez les bébés, par les artifices culinaires, par l'exemple de la mère qui est très incitateur ou enfin par l'hérédité.

Enfin, pour déterminer quels sont les aliments spécifiques de l'homme, au lieu de s'en tenir à l'instinct, il est plus sûr d'étudier le tableau d'anatomie et de physiologie comparées pour déterminer quelle est la place de l'homme parmi les animaux. On voit donc l'erreur de l'instinctothérapie.

Nous sommes apparentés aux singes

L'homme est apparenté aux singes, surtout aux grands primates. L'étude de ces animaux est passionnante dans le domaine de la nutrition, de la santé et du comportement. Dans le numéro hors série, consacré aux grands singes, de la revue Terre Sauvage, nous lisons plusieurs études passionnantes à ce sujet. Les singes ne peuvent pas parler. Alors comment communiquer avec eux ? Les Américains ont réussi à leur enseigner le langage des sourds-muets et à leur parler de la sorte. Ainsi, on leur a appris une centaine de mots simples. Les singes rient. Le rire n'est donc pas le propre de l'homme, comme on dit.

Dans le domaine sexuel, il semble que le gorille observe une certaine retenue, alors que les femelles ne sont disponibles que durant une certaine période, seulement tous les quatre ans, entre deux accouchements. N'est-ce pas l'état normal de la femme ? Celle-ci devrait allaiter son bébé durant trois ans et ne pas être disponible durant toute cette période d'allaitement. De toute façon, si elle est en bonne santé, elle est stérile tant qu'elle allaite son petit. Elle tire tout son plaisir de l'allaitement et n'a besoin d'aucun autre plaisir.

Pour l'orang-outan, un autre primate proche de l'homme, la grossesse durant sept à huit mois et le bébé ne pèse que un kilo environ. La période d'allaitement dure trois à sept ans durant laquelle la femelle ne peut concevoir et évite tout contact avec les mâles. Et que pèse le bébé humain ? Trois à quatre kilos, parfois plus ! D'ailleurs, il perd du poids tout de suite dès les premiers jours de sa naissance. La femme est suralimentée, son accouchement est difficile, le bébé est trop gros. Nos bébés ne devraient pas peser plus de deux kilos.

A six mois, l'orang-outan a doublé son poids et pèse environ sept kilos. Les mâles pèsent deux fois plus que les femelles et leur taille est aussi le double. Les ethnologues prétendent que les termites fournissent un apport précieux de protéines. Mais qui prétendraient que ces singes ont l'instinct parfait ? Ne commettent-ils pas aussi des erreurs ? Quand ils grandissent, ils atteignent les cent kilos.

L'orang-outan après son sevrage apprend à sélectionner son alimentation en regardant ses parents. Sa nourriture comprend quelque trois cents espèces végétales, et rarement des insectes ou du miel pour la gourmandise.

Les orangs-outans connaissent parfaitement le moment exact où les arbres donneront les fruits et le jour où ils mûrissent. Ils adorent les figues.

Les petits aiment aussi jouer avec d'autres petits sous le regard attentif de leur mère, qui n'aime pas beaucoup que ses petits s'éloignent d'elle.

« Un jeune de trois ans et demi attire l'attention de sa mère en tendant la main, paume vers le ciel dans un geste de mendicité bien connu chez les chimpanzés. Mais la mère semble peu disposée à satisfaire la requête de son fils. Le petit commence alors à s'énerver, pique une violente colère et entame une série d'acrobaties plus inquiétantes les unes que les autres : il se tient sur un pied au bout d'une maigre branche, menace de se lancer dans le vide et revient à la charge, moulinant l'air de ses bras. Après cette "crise", la mère, excédée, mais vaincue, cède à ses exigences alimentaires . Le jeune orang-outan n'a donc pas utilisé une branche pour rapprocher un fruit convoité, comme aurait pu le faire le chimpanzé. Il s'est servi d'un instrument incomparablement plus sophistiqué : sa mère. Parfois, elle lui donne un coup avec sa main, mais suivi tout de suite d'une caresse pour le consoler. »

Quand un jeune se perd dans la forêt, il pousse des cris stridents pour appeler sa mère qui accourt vers lui. Mais quand il grandit, sa mère cherche à l'éloigner d'elle. S'il mendie quelque fruit, avec la main tendue et la voix languissante, sa mère le repousse en lui lançant des cris aigus et même en levant sa main sur lui.

Après le repas du matin, qui dure deux heures ou plus, les gorilles font la sieste sur l'herbe. Les petits, eux, jouent ensemble et ne dorment pas.

La mortalité des bébés gorilles est assez élevée à cause du froid et du manque d'hygiène. Leur croissance est deux fois plus rapide que celle des bébés humains. Ils dorment douze à treize heures. Leur régime comprend du céleri sauvage, gaillet, chardons, orties. Ils ne boivent jamais, car leurs aliments sont toujours aqueux. Ils ne mangent pas d'aliments concentrés. Ils mangent aussi des baies, des moelles de jeunes pousses, l'écorce de certains arbres qu'ils découpent avec leurs dents acérées.

Les gorilles mesurent deux mètres trente de hauteur et pèsent environ cent quatre-vingt kilos. Ils ont une force gigantesque et ne mangent pratiquement aucun aliment azoté concentré, sinon rarement. Comment forment-ils toute cette musculature impressionnante sans produits azotés ?

Albert Mosséri, L'homme, le singe et le paradis.

mardi, juillet 17, 2012

Les médicaments ont-ils été le progrès que l'on croit ?





Médecins et pharmaciens ont toujours eu le talent de se faire passer pour les bienfaiteurs de l'humanité. En particulier, depuis le XXe siècle, en raison des progrès scientifiques accomplis : la découverte des antibiotiques, les sulfamides en 1935, la pénicilline en 1941 et la streptomycine en 1943 ; mais également de la cortisone (1949), des psychotropes (1952), du facteur VIII – pour soigner l'hémophilie – (1958), de la pilule contraceptive (1960), des antihypertenseurs (1964), de l'héparine (1974), des trithérapies du sida (1996)... Les pasteuriens vantent les mérites des sérothérapies et des vaccinations, qui auraient permis d'éradiquer la variole, peut-être un jour prochain la poliomyélite. On rappelle à qui veut l'entendre les incroyables avancées du diagnostic, la traque de la maladie.

Après l'invention du stéthoscope, en 1816, par Théophile R. M. H. Laennec (1781-1826), une accumulation exponentielle de nouvelles techniques a doté le médecin d'outils merveilleux et sans cesse plus perfectionnés, d'abord la radioscopie, puis les tests biologiques, chimiques, immunologiques, les techniques d'imagerie (scanner, caméras à positon, résonance magnétique), enfin le robot caméra miniature que l'on avale comme une pilule : celui-ci est un médicament diagnostique d'un genre révolutionnaire, il inaugure l'ère future des nanotechnologies thérapeutiques. Il ne faut tout de même pas désespérer de la science, nonobstant ses erreurs et les défauts de ceux qui la font.

Les chirurgiens ne déméritent pas non plus, depuis qu'Ignace F. Semmelweiss (1818-1865) leur a appris à se laver les mains. Ils opèrent maintenant avec des automates ultra-précis et effectuent des prouesses à faire pâlir d'envie le Dr Frankenstein —, greffes de visage, de jambes, etc. Elles n'auraient pas été possibles sans la découverte de la cyclosporine, un médicament antirejet « immunodépresseur » ; le tacrolimus (FK-506) est plus récent.

Dans l'inconscient collectif contemporain, toutes ces avancées auraient permis à l'humanité de sortir des âges barbares des grandes épidémies. Elles auraient repoussé l'âge de la retraite finale de 43 ans à 85 ans en à peine cent ans ; et multiplié le nombre des humains par trois et des poussières, de deux milliards au début du XXe siècle, à plus de six milliards à sa fin.

Cette légende dorée de la médecine contemporaine est pourtant contestée, parfois avec vigueur, par deux catégories de critiques, celle des déclinistes et celle des détracteurs, la plus ancienne. La première ne remet pas en cause le progrès médical. Elle admet volontiers ce qui vient d'être décrit, mais doute du futur. Philippe Pignarre en fait partie. Pour cet ancien de l'industrie (il a travaillé chez Synthélabo), le rendement de la créativité pharmaceutique se serait inversé à partir de 1975. Le déclin se serait accéléré depuis. Aucune nouvelle molécule véritablement novatrice n'aurait été découverte depuis, à quelques exceptions près comme les trithérapies ou l'anticancéreux Glivec (hercéptine). Son analyse montre que la courbe du coût de la R&D (Recherche et Développement) a augmenté moins vite que celle de la découverte de nouveaux traitements entre 1935 et 1975. Ensuite les pentes se sont inversées : l'augmentation des coûts est devenue exponentielle tandis que le nombre de découvertes a décru abruptement. Pignarre appelle ce renversement « l'effet ciseau ». Sa conséquence est que l'on paie de plus en plus cher le développement de médicaments de moins en moins innovants. « Le nombre de molécules intéressantes s'est considérablement réduit ces dernières années [...] dans toute l'industrie pharmaceutique, confirme le Pr Silvio Garattini. Cette industrie a beaucoup de difficultés à trouver de nouveaux remèdes et ne fait plus que des copies de médicaments existants. »

La tendance est particulièrement préoccupante en ce qui concerne les antibiotiques. Depuis une dizaine d'années, l'apparition de streptocoques résistants à la fois à la méthicilline et à la vancomycine, par exemple, limite l'efficacité de l'antibiothérapie. Les alternatives sont rares et incertaines à défaut de nouvelle découverte décisive. La peur de se retrouver dépourvu de munitions contre les agents pathogènes est à l'origine de l'une des rares campagnes de santé publique ne servant pas l'intérêt des firmes « Les antibiotiques ? C'est pas automatique ! »

À l'opposé des déclinistes, les détracteurs de la médecine ne croient pas aux « très riches heures de la science médicale ». Pour eux, les médecins sont des vantards, ils s'attribuent le mérite des autres, dans le meilleur des cas. Sinon, ce sont des policiers imposant leurs normes à la population avec froideur au nom d'une idéologie hygiéniste sans fondement scientifique réel. Parmi les plus virulents, il faut d'abord mentionner le prêtre catholique et philosophe autrichien Ivan Illich (1926-2002). Il est le théoricien du monopole radical. Quand une technique fait la preuve de sa supériorité (ou le prétend), elle s'érige inévitablement en monopole. C'est le cas de l'automobile. Mais ce monopole, fondé sur la liberté, finit par devenir une prison, et l'on met maintenant plus de temps à traverser Paris en voiture qu'à bicyclette, on sacrifie une part immense de sa vie à gagner l'argent nécessaire aux traites et aux frais de réparation du sacro-saint véhicule. Pour Illich, il en est allé ainsi du christianisme, théologie libératoire au commencement, devenu catholicisme, un « universalisme » qui impose ses normes. La médecine moderne a suivi le même chemin. Son monopole l'a rendue contre-productive et dangereuse.

Son livre Némésis médicale s'ouvre sur une phrase paradoxale « L'entreprise médicale menace la santé. » En s'appuyant sur des données chiffrées et des tableaux statistiques, Illich affirme que la médecine n'a pas tellement amélioré l'état de santé de l'humanité. Au contraire, elle a créé de nouvelles maladies, des iatrogènes, en s'alliant à l'industrie pharmaceutique notamment. Elle a privé les individus de leur liberté, de leur autonomie, a rendu la mort inacceptable de même que la vieillesse et la souffrance. Dans un article écrit deux ans avant sa mort, le philosophe revient sur sa Némésis publiée vingt-quatre ans plus tôt : « Aujourd'hui, je commencerais mon argumentation en disant : "La recherche de la santé est devenue le facteur pathogène prédominant." » Il y constate à quel point notre société médicalisée est minée par la contradiction ; la santé objective, définie par des courbes de mortalité et de morbidité en baisse, prétendument grâce à la médecine, s'y oppose à une santé subjective, quant à elle déclinante : « Plus grande est l'offre de "santé", plus les gens répondent qu'ils ont des problèmes, des besoins, des maladies, et demandent à être garantis contre les risques [...] » La propagande de l'industrie pharmaceutique n'y est sans doute pas étrangère.

Après la publication de son livre, Ivan Illich s'était attiré la foudre de nombreux médecins et non-médecins « qui le consid[éraient) comme dominé par ses a priori et ses passions qui le portaient à voir uniquement les côtés négatifs de la médecine ». Il n'est pourtant pas le seul à avoir contesté l'autosatisfaction médicale et les dérives de la médecine. Michel Foucault (1926-1984) avait ainsi, quatorze ans plus tôt, décrit l'asile psychiatrique inventé sous l'Ancien Régime, comme un lieu d'enfermement et un moyen de traiter par une forme de répression des problèmes avant tout de nature sociale : système médicalisé de domination.

C'est à un professeur de médecine sociale de Birmingham, Thomas McKeown, que revient le mérite d'avoir tenté de contester scientifiquement l'hybris (orgueil démesuré) médicale. Dans deux articles abondamment commentés, il s'est interrogé sur les raisons de la baisse de mortalité due aux maladies contagieuses transmises par l'air, notamment la tuberculose, au XIXe et au XXe siècle. Après avoir éliminé toutes les autres causes possibles, il est arrivé à la conclusion que seule l'augmentation du niveau de vie, plus particulièrement la meilleure alimentation, pouvait l'expliquer. L'aération des logements, la ségrégation dans des sanatoriums, l'éradication de la tuberculose bovine et même les antibiotiques, aucun de ces facteurs n'aurait joué un rôle déterminant.

Sa thèse a fait l'objet de vives critiques, non seulement de la part des médecins cliniciens, mais aussi des partisans des campagnes sanitaires (Public Health Campaigns) auxquelles McKeown était hostile. On lui a opposé de nombreux arguments, comme la diminution spontanée de la virulence des fièvres scarlatines à streptocoques au XIXe siècle, indépendamment des ressources alimentaires ou du niveau social des populations. On lui a aussi fait le reproche d'avoir confondu les morts par pneumonie et ceux par tuberculose, rendant inexploitables certaines de ses données. Des travaux plus récents ont encore essayé de discréditer la thèse de McKeown quant au rôle des antibiotiques.

Le tableau est moins clair avec les vaccins, plus pour des questions de santé publique, d'ailleurs, que d'efficience. La fréquence et la mortalité de la plupart des maladies virales ont en effet très nettement diminué généralement bien avant l'introduction du vaccin préventif. La rougeole par exemple, était devenue une maladie très rarement mortelle aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Elle ne tuait plus que 20 enfants par an en France en 1983, année de l'introduction du vaccin, contre 3 754 en 1906. La variole avait perdu une grande partie de sa virulence au milieu du XIXe siècle. La pertinence des grandes campagnes de vaccination ainsi que le caractère impératif de certains vaccins sont en conséquence discutables. Le simple fait que le BCG ne soit plus obligatoire alors qu'il l'a été pendant presque un siècle en relativise a posteriori l'intérêt. Ce vaccin n'a pas empêché le retour de la tuberculose, observé depuis une vingtaine d'années. De plus, un examen détaillé des certificats de décès des morts de la tuberculose a montré que la plupart des patients avaient pourtant été vaccinés.

En conclusion, il faut concéder aux antibiotiques, en premier lieu, d'avoir été un incontestable progrès médical, de même que les nouveaux traitements antiviraux. Le cas des psychotropes a été traité ailleurs. Pour le reste, l'hygiène, l'alimentation, l'éducation et le niveau de vie ont certainement été, de loin, la principale cause de l'augmentation de l'espérance de vie. Concernant les médicaments « plus ou moins efficaces » du métabolisme destinés à traiter ces nouvelles maladies du siècle que sont l'obésité, le diabète de type 2 qui en est la conséquence fréquente, l'hypercholestérolémie, leur bilan est controversé. Quelle est la cause de ces maladies? Malbouffe, chômage, sédentarité, pollution chimique ?

Corinne Lalo, Patrick Solal
Le livre noir du médicament


Le livre noir du médicament

Chaque année, les médicaments font quatre fois plus de victimes que les accidents de la route. Et dire que nous croyions qu'ils étaient destinés à soigner et pas à nuire ! L'affaire du Mediator a créé un véritable électrochoc. L'enquête inédite de ce livre montre que nous ne savions pas tout...

Le Mediator serait-il l'arbre qui cache la forêt ? Il n'est ni le premier ni le dernier. Pourquoi ? Parce que les liens incestueux entre les laboratoires, certains médecins et les pouvoirs publics ne sont pas près de changer en dépit des dernières réformes. La toxicité de certains médicaments, anti-inflammatoires, antidiabétiques et autres, a déjà été révélée. Mais combien sont-ils encore sur le marché? Anticholestérol, antidépresseurs, bêtabloquants, vaccins, antidouleurs, sirops contre la toux, etc. Ils sont légion à encombrer les tiroirs de nos officines.

Cette enquête nous permet de décrypter les stratégies mises en œuvre par les laboratoires pour augmenter leur clientèle. Elle décrit la pénétration du secteur public par le privé. Les autorités sanitaires deviennent parfois les colporteurs de maladies inventées de toutes pièces ou de pandémies imaginaires comme celle de la grippe A (H1N1), sur laquelle cette enquête jette un regard neuf. Ce livre nous fait prendre conscience que, en réalité, cette situation dure depuis toujours et qu'elle fait partie de l'histoire même de notre médecine. Combien de morts faudra-t-il encore pour que nous arrêtions enfin de jouer à l'apprenti sorcier ?


Dessin :

Fuir l’aliénation collective consiste à se connaître soi-même

Les véritables maîtres du monde sont des prédateurs et des illusionnistes Carlos Castaneda nommait ces prédateurs les "Flyers".  L...