Krishnamurti
souhaitait une transformation totale de l'homme entraînant une
révision de toutes ses valeurs morales, religieuses et sociales.
Krishnamurti
naquit dans le petit village de Madanapalle, Présidence de Madras
(Inde du sud) le 11 mai 1895.
Son
nom de famille est Jiddu. Il s'appelle Krishnamurti en vertu d'une
coutume de l'Inde méridionale qui veut que le huitième enfant, s'il
est un garçon, porte ce nom en l'honneur de Krishna, incarnation
divine, qui était lui-même un huitième enfant.
L'enfance
de Krishnamurti fut douloureuse. Sa mère était une fervente
adoratrice de Krishna. Elle lui enseigna la pitié et l'entoura de
tendresse. Elle mourut prématurément lorsque Krishnamurti atteignit
sa cinquième année.
Il
fut dès lors soumis à l'autorité d'un père extrêmement dur et
brutal. Celui-ci, à la tête d'une famille de neuf enfants, perdit
la situation qu'il occupait au ministère des finances et tomba dans
une grande misère. D'une nature très irritable, sa violence et sa
colère ne firent que s'accroître au cours de ces circonstances
malheureuses. Les enfants reçurent plus de coups que de nourriture.
La sensibilité du jeune Krishnamurti en fût profondément affectée.
Ainsi que l'écrit Ludovic Réhault « son enfance fut plutôt celle
d'un paria alors qu'il appartenait à la caste aristocratique des
brahmanes.
Vers
1906-1907, Krishnamurti jouait avec son jeune frère Nityananda sur
les plages du Golfe de Bengale près de la rivière Adyar. M. Van
Manen, bibliothécaire au Quartier Général de la Société
Théosophique fut alors frappé par le rayonnement des deux enfants.
Il
fit part de sa rencontre aux deux chefs du mouvement théosophique,
Mme Annie Besant et Charles Leadbeater. Mis en présence des deux
jeunes enfants, Charles Leadbeater déclarait percevoir en
Krishnamurti un potentiel de richesses spirituelles exceptionnelles.
Le
père de Krishnamurti fut consulté et c'est avec son consentement
que les deux enfants devinrent les pupilles de Mme Annie Besant.
Les
leaders du mouvement théosophique, Mme Annie Besant et Charles
Leadbeater étaient en contact avec un groupe de Sages indiens ayant
atteint un grand degré d'éveil intérieur. Ceux-ci avaient annoncé
aux chefs théosophiques la venue imminente d'un nouvel instructeur
spirituel.
Dès
l'âge de seize ans Krishnamurti se rendit en Europe avec son jeune
frère Nityananda. Ils résidèrent aux environs de Paris, puis en
Angleterre.
En
1922, Krishnamurti se rend en Californie. On espérait que le climat
favoriserait la santé très précaire de son frère. En dépit de
tous les soins donnés, et de cures en Suisse, Nityananda mourut en
1925.
Ce
fut une grande souffrance pour Krishnamurti et le point de départ
d'une transformation spirituelle fondamentale. Il écrira plus tard :
«
Il est mort, j'ai pleuré dans la solitude. Partout où j'allais,
j'entendais sa voix et son
rire heureux. Je cherchais son visage sur tous les passants et
demandais partout si l'on
avait
vu mon frère. Mais personne ne put me réconforter. J'ai prié, j'ai
adoré, mais les dieux
restaient silencieux. »
La
douleur éprouvée par la mort de son frère le plongea dans une
crise intérieure d'une grande acuité dont les conséquences furent
décisives.
Krishnamurti
douta de tout. Il mit à néant toutes les valeurs soigneusement
enseignées par ses maîtres théosophes ; ce fut l'écroulement
de ses croyances, de ses idoles. Nityananda était pour lui le point
d'appui sur lequel se cristallisaient les derniers vestiges de son
passé : l'Inde, la famille, l'enfance. C'est alors, que mourant
complètement à lui-même, à toutes les associations psychologiques
sur lesquelles s'était bâtie « l'entité Krishnamurti », il fut
irrésistiblement conduit au seuil de cette mutation psychologique et
spirituelle que certains appellent l'Éveil intérieur. Ainsi que
l'écrit René Fouéré dans son excellente étude sur Krishnamurti :
«
Cette crise, apparemment insoluble, va pourtant se dénouer
d'elle-même, de façon soudaine et surprenante. Un phénomène aussi
curieux que rare, sur lequel Krishnamurti reviendra souvent dans son
enseignement ultérieur, mais dont il aura été d'abord lui-même le
sujet ébloui, va surgir imprévisiblement. »
«
Parvenue à un paroxysme de dépouillement et d'acuité, l'immense
douleur, la douleur désespérée de Krishnamurti va se résoudre
d'elle-même, faisant place à une suprême extase. »
«
Du plus profond des ténèbres où se débat Krishnamurti, une lueur
fulgurante jaillit qui, d'un coup, va illuminer à jamais son être
intérieur. »
Il
est évident qu'une expérience d'une telle acuité bouleversa de
fond en combleson climat psychologique et son sens des valeurs. Ses
pensées, ses émotions, sa sensibilité subirent une métamorphose
considérable qui devait entraîner un ensemble d'actes inattendus
surprenant son entourage. Il s'agissait d'une véritable révolution
intérieure devant se matérialiser par des bouleversements
extérieurs très importants.
Krishnamurti
renonça soudainement au caractère spécial et un peu trop «
messianique » de la mission spirituelle que ses éducateurs
espéraient lui voir remplir. Est ce à dire qu'il renonça
totalement à cette mission elle-même ?
Certes
non. Mais il la poursuivit de façon magistrale dans un sens assez
différent de celui qu'avaient prévu ses éducateurs théosophes
dont la sincérité et le dévouement ne font d'ailleurs aucun doute.
Au-delà
des apparences timides et frêles du jeune Krishnamurti, sommeillait
la puissance d'un dynamisme spirituel dont l'éclosion ne tardera pas
à briser toutes les barrières, tous les cadres, toutes les
traditions, toutes les autorités. Une telle attitude était adoptée
non par plaisir de détruire mais parce qu'une sève spirituelle
impétueuse bouillonnait en ce puissant athlète de l'esprit. Son
acuité et sa profondeur de perception se traduisaient par un intense
désir de liberté, de création authentique, de refus de toute
autorité.
Krishnamurti
souhaitait une transformation totale de l'homme entraînant une
révision
de toutes ses valeurs morales, religieuses et sociales.
Dès
lors, le langage de Krishnamurti changea brusquement. Il devint plus
vif, plus incisif, plus révolutionnaire.
«
Il nous faut tout mettre en doute, dit-il, afin que du paroxysme du
doute, naisse la certitude. »
Ainsi
que l'exprimait René Fouéré dans sa remarquable étude sur «
Krishnamurti, l'homme et sa pensée. » (p. 9.)
«
Krishnamurti n'avait dit jusque-là que de vagues généralités.
Maintenant, il déclare qu'il est l'Instructeur du Monde (...). Quoi
qu'il en soit, cette nouvelle provoque un déchaînement
d'enthousiasme (...). A Trichinopoly, le plancher de son wagon
disparaît sous les jasmins et les roses. On lui fait présent d'un
château historique entouré d'un domaine de 5 000 acres. Tout cet
encens qui monte vers lui ne parvient pas à l'étourdir. Il reste
tout à fait lucide et d'une simplicité déconcertante. Cependant de
nouvelles difficultés vont surgir. Non seulement les chefs
théosophes avaient annoncé la venue de l'Instructeur du Monde, mais
encore, si l'on peut dire, ils en avaient réglé d'avance tout le
cérémonial (...). Krishnamurti allait-il endosser les vêtements
rituels confectionnés pour lui ? Allait-il en particulier prendre en
mains ces organismes constitués exprès pour le servir, je veux
parler de la « Court Masonry » et de l'Église Catholique Libérale,
dont le rituel, calqué sur celui de l'Église romaine, avait été
soigneusement expurgé de toute trace de la haine ou de la colère
divines ? Allait-il consentir à monter sur les autels préparés
pour lui ? Question angoissante pour ses adorateurs. (…)
«
Finalement l'orage pressenti éclate : Krishnamurti rejette en bloc
et les organisations et les cérémonies qui s'y accomplissent. (...)
Sans hésiter il s'engage dans la voie difficile et annonce, dans un
remarquable discours, la dissolution de l'Ordre de l'Étoile. »
Cette
prise de position historique s'accomplit au Camp International
d'Ommen (Hollande) l'été 1929 :
«
J'ai dit, et je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit, que vous ne
pouvez pas approcher la Vérité par un sentier, une religion, un
rituel quels qu'ils soient, ni par une cérémonie nouvelle ou
ancienne. Beaucoup parmi vous ont délaissé les vieilles formes pour
en adopter de nouvelles dans l'espoir de trouver la Vérité.
«
La Vérité est un pays sans chemins que l'on ne peut atteindre par
aucune route, quelle qu'elle soit : aucune religion, aucune secte.
Tel est mon point de vue et je le maintiens d'une façon absolue et
inconditionnelle. »
Les
conséquences de cette très énergique déclaration ne se firent pas
attendre. Krishnamurti se désolidarisa de l'Église Catholique
Libérale, de la Société Théosophique et demanda la dissolution
pure et simple de l'Ordre de l'Étoile d'Orient.
Entre
1929 et 1938, veille de la seconde guerre mondiale, Krishnamurti
donnait de nombreuses conférences, en Hollande, en Angleterre, en
Italie, en Norvège, en Amérique du Nord et du Sud, en Australie, en
Inde.
Réfugié
en Californie de 1939 à 1945 durant la guerre, il reprit ses
conférences dès 1944. La période de 1939 à 1944 fut
extérieurement la moins active tandis qu'intérieurement
Krishnamurti s'orientait vers l'élaboration d'une nouvelle technique
d'expression. Le fond restait identique mais la forme tendait à se
renouveler et à s'affranchir surtout de l'atmosphère de querelles
et contestations, qui, de 1929 à 1938 émanaient de certains milieux
théosophiques.
Dès
1947, Krishnamurti reprenait ses grandes tournées de conférences
dans le monde entier, les Indes, l'Europe, les Amériques. Son
ouvrage First and Last freedom préfacé par le célèbre
écrivain anglais Aldous Huxley donna soudain à sa pensée un
rayonnement considérable. De mars à mai 1950 il séjournait à
Paris où il donnait de nombreuses conférences dans le grand
amphithéâtre de la Sorbonne ainsi qu'à l'Institut Pasteur.
Il
quittait Paris par la voie des airs, fin mai 1950 pour prendre la
parole à New-York et Washington.
Entre
1951 et 1955, Krishnamurti donna des cycles de conférences tant en
Angleterre, qu'en Inde, en Amérique, en Hollande.
En
mai et juin 1956, il se rendit à Bruxelles et prit la parole pour la
première fois en Belgique dans la grande salle du Palais des
Beaux-arts, en la présence de la Reine Elisabeth de Belgique qui
s'intéressait depuis 1928 à l'ensemble de son œuvre.
De
1961 à 1970, en plus de ses conférences en Inde et en Amérique,
Krishnamurti prit la parole chaque été à Saanen en Suisse au cours
de nombreuses conférences et de discussions traduites en plusieurs
langues.
Il
est, depuis une dizaine d'années, invité de plus en plus
fréquemment par de nombreuses universités. Les étudiants et la
jeunesse en général sont de plus en plus attirés par la façon
nouvelle et non traditionnelle d'envisager les problèmes
fondamentaux de l'existence humaine tels : la connaissance de soi, la
peur, l'amour, le sexe, la religion véritable.
Krishnamurti
s'adresse à tous, sans distinction aucune. Il accorde cependant une
certaine préférence à la jeunesse pour son absence de
conditionnement.
Il
ne se contente pas d'énoncer un enseignement qui, de prime abord
peut paraître abstrait et aride. Etant l'incarnation vivante du
message qu'il nous présente, il veille à ce que certaines
réalisations pratiques prennent corps dans la matérialité des
faits.
Citons,
parmi elles, les écoles nouvelles dont Krishnamurti est
l'inspirateur, un peu partout dans le monde. Après les essais d'une
école nouvelle en Californie, dès 1945, avec la collaboration
d'Aldous Huxley et Charles Morgan dans la « Happy Valley School »
d'Ojai, Krishnamurti a pris une part active dans le développement de
deux écoles nouvelles en Inde : celle de la Rishi Valley, non loin
de Madanapalle son village natal, et l'autre près de Rajgat.
En
1969, la « Krishnamurti Foundation » achetait un domaine à
Brockwood près de Bramdean (Hampshire) afin de fonder la première
école nouvelle en Angleterre. Cette école s'inspire des méthodes
d'éducation exposées dans les œuvres de Krishnamurti consacrées
aux problèmes pédagogiques.
Des
réunions internationales ont lieu plusieurs fois par an dans le
domaine de Brockwood.
Robert
Linssen
Très
précocement attiré, et presque au même degré, par la religion et
la science, René Fouéré, né dans un milieu de tradition
catholique, s'intéressa si fortement à sa foi natale qu'on put
croire qu'il deviendrait un prêtre.
En
lui faisant découvrir certains aspects de la pensée orientale, la
rencontre de théosophes le jeta dans une grave crise intérieure qui
devait le conduire à une attitude de libre recherche et à une
adhésion profonde aux thèmes essentiels de l'enseignement de
Krishnamurti, enseignement qui a fait pendant plus de trente ans la
matière de ses réflexions.
Ecrites
en toute liberté, avec un constant souci de lucidité et de clarté,
d'équité et de mesure, les pages qu'il nous propose n'ont aucun
caractère dogmatique.
Toujours
attentif à ne pas séparer la vie spirituelle de cette vie
quotidienne qui est si importante
et qu'on qualifie si étourdiment de banale, se refusant à faire de
l'individu une
abstraction
psychologique solitaire et désincarnée, affranchie des réalités
physiques et sociales
dont elle a surgi, étrangère à la vision scientifique et
technicienne du monde,
échappant
aux nécessités de l'action, l'auteur s'est efforcé de faire
prendre au lecteur une conscience
claire, précise et aiguë de cette plaie psychologique, mal étudiée
et mal connue, qui est à l'origine des pires tourments de l'humanité
et qui résiste depuis des millénaires à tous les remèdes
illusoires par lesquels on s'est évertué à la guérir.
L'objet
essentiel de l'auteur a été, non de répéter les propos de
Krishnamurti, mais de comprendre
à leur lumière les mécanismes profonds de la conscience humaine,
de mettre à nu la source cachée des aberrations et des déchirements
auxquels elle est en proie, et qui ne cessent d'engendrer, chez les
individus, toutes les affres, toutes les violences du désarroi et,
dans la société, un désordre cruel, millénaire et sanglant.
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