jeudi, juin 02, 2011

Les saints de l'Inde



Le peuple des saints de l'Inde forme une société extrêmement mêlée. La plupart sont de braves gens inoffensifs qui ne peuvent pas grand-chose et savent encore moins. D'autres sont des déclassés ou des gens qui n'aiment pas au se fatiguer. Un de ceux-là accourt un jour pour me demander l'aumône. Ses cheveux broussailleux, son visage couvert de cendre, sa face de canaille lui donnent un aspect repoussant. Je décide de passer mon chemin, ne fût-ce que pour voir ce qui arrivera. Ma résistance fait qu'il s'accroche. A bout d'arguments il finit par m'offrir de me vendre son chapelet, un objet crasseux s'il en est mais auquel il doit tenir beaucoup, à en juger par le prix exorbitant qu'il en demande. Naturellement, je l'envoie promener.

Moins communs sont ces fous qui s'infligent en public des tortures variées. L'homme qui tient un bras levé jusqu'à ce que ses ongles aient poussé de cinquante centimètres rivalise avec celui qui se tient debout sur une jambe pendant des années. Je ne vois pas quel bénéfice ils retirent de ces dégoûtantes exhibitions en dehors des quelques annas qu'on jette dans leur sébile.

Quelques-uns pratiquent la sorcellerie. Ce sont les vaudous de l'Inde ; ils travaillent surtout dans les villages ; moyennant une petite rémunération ils jetteront un sort à votre ennemi, vous vendront une femme ou favoriseront vos ambitions en gratifiant votre rival de mal mystérieux. On raconte de singulières histoires de ces tristes individus qui ne s'en recommandent pas moins du titre de Yogi ou de fakir.

Quand on a analyse toutes ces variétés, il ne reste plus qu'un faible résidu, composé d'ascètes qui se condamnent à de longues années de méditation solitaire, de pénible reniement, qui se bannissent volontairement de toute société humaine, sans autre but que de se mettre en quête de la vérité. Leur instinct leur dit que vérité et félicité ne font qu'un, et s'il nous est permis de douter de la valeur de ce procédé cher aux Indiens, il est impossible de mettre en question la légitimité du besoin qui les y pousse.

Nous n'avons pas de temps à dépenser en Occident pour une telle recherche et il y a une excuse à notre indifférence : nous savons que si nous nous trompons nous nous trompons tous ensemble. Notre époque sceptique considère la recherche de la vérité comme une superfétation, sans paraître se douter de la vanité des objets auxquels elle consacre le meilleur de son énergie.

Il ne nous vient pas à l'idée que les quelques solitaires qui passent leur vie à la recherche du sens profond de la vie ont plus de chance de se former une juste opinion des problèmes de l'heure que la foule des gens qui usent aveuglément leurs forces à servir des intérêts contradictoires et consacrent à peine une pensée à la poursuite des vérités essentielles.

Un de nos ancêtres descendit un jour dans les plaines du Penjab dans un tout autre but que le mien : il y rencontra des hommes qui le détournèrent de sa route au point de lui faire dangereusement oublier l'objet premier de son expédition. Parti pour conquérir un vaste empire Alexandre le Grand, entré aux Indes en soldat, semblait bien destiné à en sortir philosophe. Je me demande souvent quelles pensées devaient assaillir l'esprit du roi de Macédoine lorsque son char parcourait les montagnes neigeuses et les déserts torrides de l'Inde ; conquis à son tour par les Sages et les Yogis rencontrés sur sa route il avait passé des jours à les questionner et à discuter leur philosophie : peu-être un séjour de quelques années parmi eux l'eût-il décidé à lancer l'Occident dans des voies toutes différentes de celles qu'il choisit alors.

Il y a encore parmi les Sages de nos jours quelques hommes qui consacrent leur vie à entretenir la flamme d'idéalisme et de spiritualité que leur pays garde encore comme son plus pur trésor ; qu'il y ait parmi eux une majorité d'imposteurs, cela se peut ; mais si cela est, ce n'est que le résultat déplorable de la décadence des temps ; il ne doit pas nous aveugler sur la survivance certaine de quelques rédempteurs inspirés. Malheureusement le type est si divers qu'aucune formule de louange ou de blâme ne vaut pour tous, et cela explique l'attitude de ces têtes chaudes des grandes villes qui préconisent l'extermination de ces « saints parasites » comme une bénédiction pour l'Inde. On comprend mieux les esprits plus modérés ou simplement moins enfiévrés qui nous disent que l'Inde périra le jour où elle perdra le sens du trésor qu'elle recèle.

Le problème est important pour l'Inde à d'autres points de vue, en un moment où la détresse économique appelle une révision de certaines valeurs. Les Saints de l'Inde n'exercent, bien entendu, aucune fonction proprement utile à la société. Des milliers de vagabonds s'abattent sur les villages et les villes où se tiennent les foires religieuses. Impertinents le plus souvent et toujours importuns, ces gens-là constituent pour la société une charge sans contre-partie. Mais il existe par ailleurs de grands et nobles hommes qui ont tout quitté pour marcher dans la voie de la vérité et, au terme du chemin, trouver Dieu. Ces hommes sont, partout où ils passent, un motif d'exaltation. Leur effort pour s'élever et aider les autres à s'élever vers ces sommets sublimes vaut bien le morceau de pain ou l'écuelle de riz qui sont tout ce qu'ils demandent.

Il ne faut pas se fier aux apparences, mais gratter l'écorce et juger l'arbre à ses fruits.

Paul Brunton


Illustrations :
"Bonjour les Indes", Dodo, Ben Radis, Jano. Edition épuisée.


***


Baba Ramdev, un riche gourou indien, s'apprête à lancer une campagne anti-corruption...
Lire la suite :
http://inde.aujourdhuilemonde.com/l%E2%80%99univers-de-baba-ramdev-entre-yoga-business-et-politique



Baba Ramdev et le Dalaï-lama

Swami Ramdev est réputé proche des nationalistes hindous et a le soutien de plusieurs membres du Rashtriya Swayamsevak Sangh, parent idéologique du BJP, l'extrême-droite indienne.



mercredi, juin 01, 2011

Profession marabout



Pour l'Occidental, « marabout» évoque communément des images provenant de deux passés de sa culture. Les premières renvoient à l'Afrique coloniale - aujourd'hui, à l'exotisme de cette période -, où le colonisateur le compare au prêtre catholique. La colonisation diffuse en métropole la représentation d'un obscurantiste de la religion musulmane, un propagateur de superstitions archaïques et un obstacle « aux progrès de la civilisation ». En face, homme du Livre, ayant le respect du savoir dans les populations locales où il est né, le marabout se montre rebelle aux lois du colonisateur qu'il juge contraires aux enseignements de l'islam et, souvent, fomente des révoltes dont certaines ont eu quelques succès militaires. Les secondes images concernent le fonds historique de croyances en la sorcellerie, avec la figure de l'envoûteur dont le marabout serait la version noire, selon une définition fréquemment entendue. Envoûteur et marabout auraient en commun d'agir pour eux-mêmes ou pour un tiers, directement sur leur victime, à l'inverse du jeteur de sorts européen ou du « mangeur d'âme » africain qui s'attaque aux éléments constitutifs de la personne (cheptel, enfant, principe vital, etc.) pour affaiblir son potentiel énergétique de vie. Dans les deux cas. L'objectif est identique : au sein d'un groupe social restreint (famille, couple, voisins, commerces), il s'agit de rétablir l'équilibre bouleversé par un malheur en annihilant. sa cause qui est toujours personnalisée (amant, maîtresse, concurrent, jaloux). Marabout et envoûteur cherchent à contrôler le responsable et à l'éliminer s'il ne revient pas à ses engagements amoureux, ses obligations de parenté ou à ses devoirs professionnels.

Aujourd'hui, les pratiques maraboutiques s'affichent dans l'espace urbain occidental sous forme de publicités format carte de visite: «Spécialité du retour immédiat de l'être aimé ou qui vous est cher, amour perdu, guérit l'impuissance sexuelle, désenvoûtement, chance aux jeux, fidélité absolue entre époux », etc. Elles sont distribuées aux entrées du métro, sur les marchés et, en milieu rural, directement dans les boîtes aux lettres. Elles ne dévoilent jamais l'identité du marabout fondu dans la foule des travailleurs immigrés dont il a souvent le statut. Sa personne demeure dans l'ombre d'un numéro de téléphone et d'une station de métro, imposant au consultant un véritable trajet à la marge de l'inconnu et du licite. Un peu à la manière de l'envoûteur qui, s'il se signale par une plaque d'immeuble, n'écrira jamais sa véritable activité : il sera magnétiseur, astrologue ou «thérapeute quelque chose». Leur savoir-faire se présente en creux d'une profession qui ne doit pas se dire, comme la carte professionnelle sans adresse du cabinet ou la plaque sans le cuivre du diplôme en médecine. Annonciatrice du secret fondateur de la puissance, la discrétion gage et protège le «pouvoir de faire» que la place publique (justice, fiscalité, médias) est toujours prompte à dénoncer.

Étymologiquement, un marabout (murâbit) est un guerrier prosélyte de l'Islam, mais, dans l'acception courante, il est avant tout un lettré : celui qui lit le Coran. Corollaire immédiat : tout lecteur du Saint Livre peut se déclarer marabout.

Cependant, en Afrique, le titre prend beaucoup d'autres sens : directeur d'école coranique, guérisseur, devin, voyant, chef de confrérie musulmane ou encore, au Maghreb, saint homme dont le cénotaphe deviendra un lieu de culte thérapeutique. Un marabout peut combiner plusieurs de ces techniques, en acquérir de nouvelles, en rejeter d'autres au cours de rencontres, d'initiations diverses avec des tradipraticiens, des devins, des «féticheurs »..., et de lectures plus ou moins savantes. Il peut en faire profession unique, activité secondaire ou temporaire. Là comme ailleurs, il est impossible de proposer un modèle pour ces praticiens : fonctions et statuts sont en mouvement constant et en transformation perpétuelle.

Nous pouvons, malgré tout, retenir deux traits récurrents de la pratique maraboutique. D'abord, sa souplesse et son dynamisme s'accommodent parfaitement à la diversité culturelle et à l'évolution des sociétés contemporaines. Ensuite, elle met sans cesse en œuvre une continuité entre les religions de terroir africaines et l'Islam, au risque, parfois, de se voir reprocher son hétérodoxie, voire son impiété.

Le travail maraboutique recourt à une multitude de procédés :

- divinatoires : jets de cauris (coquillages), de graines sèches ou de pierres ; chapelet coranique; calcul de lignes tracées dans le sable (listikhat) ; simple voyance ou interprétation des rêves, etc.;

- apotropaïques, tels les talismans et amulettes fabriqués essentiellement à l'aide de versets du Coran recopiés sur une feuille de papier vierge à l'encre noire ou au jus de citron, repliée en un petit carré et cousue dans un étui en cuir ou scellée dans une corne de cervidé. Ils seront portés en bracelet de biceps, collier ou ceinture ventrale ;

- prophylactiques et thérapeutiques, qui reposent sur une pharmacopée à base végétale (racines, feuilles et lianes séchées), administrée en décoction, et d'eau (mélangée à du parfum) bénite par la récitation du Coran, servant à purifier le corps (par absorption et par lavage) pendant la durée du traitement. Au total, infidélité, divorce, jalousie, impuissance ou frigidité sexuelle, faillite économique, malchances répétées... sont perçus comme les symptômes sociaux du franchissement de la frontière avec le monde des forces invisibles. Le marabout est le technicien du retour : il fait retraverser, revenir ses patients dans le quotidien du visible.

André Julliard, anthropologue, université d'Aix-Marseille.


Illustration :
Marabout sénégalais. Lithographie de Jacques François Llanta tirée des Esquisses sénégalaises.


Réparation de votre PC par télépathie.

Qui a dit que le marabout (ou le mage vaudou) est un obstacle aux progrès de la civilisation ? (photo envoyée par Véronique)

Les Soixante-Douze mènent le monde


Selon plusieurs auteurs, il existe une communauté initiatique sous-jacente au mondialisme effréné imposé par les agents (conscients ou inconscients) de cette communauté véritablement démoniaque.

Le scénario de la révolution nationale allemande et de la prise de pouvoir des nazis se reproduit aujourd'hui à l'échelle planétaire, la mondialisation et la sauvegarde de la planète remplaçant le pangermanisme et le mythe du sang des hitlériens.

Le plan pangermaniste a été établi sur ses bases fondamentales dès 1895. Plus tard, écrit René Alleau, « le Kaiser, en établissant son plan pangermaniste, avait donc formellement résolu l’anéantissement de cinq grandes puissances. La disparition de l’Autriche-Hongrie était prévue par son absorption, déguisée par son entrée dans l’Union douanière allemande. L’anéantissement de la France et de la Russie devait résulter de la destruction totale de leurs forces militaires au moyen d’une guerre préventive foudroyante. La mise hors de cause de l’Angleterre devait se produire par l’effet d’une opération ultérieure qui fût devenue très aisée une fois la France et la Russie démembrées et réduites à une complète impuissance. Quant à l’Italie, destinée à devenir un simple État satellite, elle n’était pas considérée comme capable d’offrir la moindre résistance aux ambitions pangermanistes.

« Le plan pangermaniste est fondé sur la connaissance très exacte acquise par les Allemands au prix d’un travail intense, de tous les problèmes politiques, ethnographiques, économiques, sociaux, militaires et navals, non seulement de l’Europe, mais du monde entier. Or, ce travail formidable n’a pas été fait par la diplomatie officielle allemande : il a été effectué soit par des adhérents de l’Alldeutscher Verband ou Union pangermaniste, soit par des agents du service allemand secret, lequel a reçu un développement extraordinaire. Ce sont ces divers agents, rouages intermédiaires entre les espions classiques et les diplomates officiels — le baron de Schenk qui a opéré à Athènes en 1915-1916 est le type d’une catégorie de ces agents — qui ont étudié méthodiquement tous les problèmes - bases du plan pangermaniste, qui ont préparé les moyens de fausser l’opinion des neutres, de paralyser la révolte des Slaves de l’Autriche-Hongrie, de corrompre ceux des neutres (personnes ou journaux) qui pourraient l’être, etc. Les rapports de ces multiples agents, une fois contrôlés et résumés, ont été envoyés à la fois à la Wilhelmstrasse, au grand état-major allemand — dont les opérations d’ensemble sont toujours combinées de façon à correspondre aussi bien aux nécessités politiques qu’aux nécessités militaires. [...]

« La Confédération germanique de l’Europe centrale devait former un immense Zollverein ou Union douanière. Des traités de commerce spéciaux imposés aux États balkaniques et à la Turquie asservie auraient eu pour résultat de réserver ces vastes régions exclusivement à la Grande Allemagne comme débouchés économiques. » 


Le démantèlement des États-nations et le "Zollverein" mondial sont aujourd'hui une réalité qui ne profite qu'à une puissante caste (la race des seigneurs-prédateurs) devant laquelle se prosternent des politiciens, des journalistes, des intellectuels, ainsi que les instigateurs de la contestation et des révolutions dont la principale aspiration est d'obtenir plus de pouvoir d'achat.

Parmi les agents des 72 il y a aussi des gourous, notamment des maîtres lamaïstes. Gustav Meyrink écrit : « D’après les occultistes orientaux, il y aurait au Tibet une secte : les Dugpas — qui doit être considérée comme un instrument direct des forces «démoniaques» de destruction. » (Mon éveil à la voyance, Meyrink.)

L’Ordre du Dragon (ou du Dragon Vert), émanation directe des 72 Supérieurs Inconnus séthiens, a été localisé au Tibet. 
Le gourou Samaël Aun Weor prétendait appartenir à un Ordre Sacré du Tibet comptant 201 membres et un état-major formé de 72 Brahmanes. 

Dans l'Islam, des oulémas sont aussi des agents de la contre-initiation. Jean Robin écrit :

« Il faut savoir en effet que selon ‘Abd al Wahid (In memoriam René Guénon, éd. Archè), « certaines turuq [organisations initiatiques islamiques], ou tout au moins certains de leurs sièges (zuwaya) qui furent dans le passé des centres légitimes pour la propagation de l’Islam ou pour l’indépendance de certains pays islamiques, deviennent aujourd’hui les instruments plus ou moins conscients de ces mouvements activistes et militants surgis quelquefois justement de la déviation d’une tariqat particulière. » Il s’agit là en somme d’une « croisade anachronique à l’envers, marque de ce qui n’est plus que le masque du véritable Islam », et dont le dernier mot est un extrémisme « qui incite à la révolte » et au terrorisme en vue de la constitution d’un califat rénové (...) non seulement dans les pays islamiques mais dans le monde entier (...). »

« Cette perversion de la notion de Califat est à mettre en parallèle avec celle du Saint-Empire, ces deux contrefaçons devant être « l’expression de la «contre-tradition» dans l’ordre social ; et c’est aussi pourquoi l’Antéchrist doit apparaître comme ce que nous pouvons appeler, suivant le langage de la tradition hindoue, un Chakravartî (ou «monarque universel») à rebours. » (René Guénon, le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, éd. Gallimard.)





Photo :
L’Ordre du Dragon (ou du Dragon Vert), émanation directe des 72 Supérieurs Inconnus séthiens, a été localisé au Tibet. Cette information se trouve dans le livre de Jean Robin, Hitler, l'Élu du Dragon :
http://www.scribd.com/doc/18944424/h...-Elu-Du-Dragon





mardi, mai 31, 2011

Hitler et l'Ordre du Dragon



« Il émanait d'Hitler un froid glacial. Personne ne m'a donné comme lui l'impression qu'il lui manquait quelque chose. Qu'au plus profond de lui-même il n'y avait que néant. »

Cette phrase est tirée d'une interview qu'accorda Albert Speer à Playboy, et qui parut dans ce magazine en juin 1971.

Le lieutenant colonel Eugène K. Bird, commandant US de la prison de Spandau de 1964 à 1972, écrit :

J 'avais apporté à Hess, dans sa cellule, une coupure de cette interview de Speer et je venais de lui lire le passage ci-dessus, lorsqu'il m'interrompit.

« C'est Hitler tout craché. Ce que dit Speer de lui ne pourrait être plus exact. Mais je me demande bien pourquoi il a accordé une interview à un magazine qui ne publie que des photos de nus. J'avoue que cela me dépasse.

« Ce qu'il exprime au sujet du Führer, je l'ai ressenti moi aussi. J'en ai discuté une fois avec Speer et nous sommes tombés d'accord, tous les deux, qu'il y avait avec Hitler un certain point de familiarité qu'on ne pouvait dépasser.

« L'impression qu'on se heurtait à un mur. Il y a eu des moments où je me suis senti proche d'Hitler, mais ils ont été bien rares. Il ne se dégageait de lui aucune chaleur humaine. Il nous restait volontairement étranger. Hitler se croyait destiné à accomplir de grandes choses. A mon avis, il se sentait supérieur à tous ceux qui l'entouraient, et à plus forte raison aux gens du commun. Et c'est parce qu'il éprouvait ce sentiment de supériorité qu'il est devenu ce qu'il était.

« Ainsi, je ne l'ai jamais tutoyé. Je l'ai toujours vouvoyé. Oui, nous en sommes toujours restés au “vous”. Même au moment où nous nous sommes connus, et même pendant la guerre où nous avons travaillé en étroite collaboration. Comme le dit justement Speer, seules quatre personnes le tutoyaient: Roehm, Julius Streicher, Christian Weber et Hermann Esser. Et, bien entendu, Eva Braun.

« D'ailleurs il ne faisait pas bon de se trop lier avec lui. Pensez à ce qui s'est passé avec Roehm.

« Speer, reprit Hess en pesant ses mots, s'était acquis l'admiration du Führer par ses dons et son génie, mais plus encore peut-être par ce talent qu'il avait de répondre à ses désirs, et parfois même de les précéder. Bien entendu Hitler n'était qu'un architecte amateur, mais il avait néanmoins l'impression que Speer et lui parlaient le même langage. Dans ce domaine dont j'ignorais à peu près tout, Hitler n'avait aucune considération pour moi. Que de fois j'ai vu Speer arriver dans mon bureau, après que j'eus pris rendez-vous pour lui avec le Führer, les bras chargés de plans et d'esquisses ! Il désirait discuter avec Hitler de quelque important édifice auquel je ne m'intéressais guère. Je n'avais pas, non plus, le sens des couleurs et le Führer estimait même qu'à ce point de vue j'étais une totale nullité. »

Le vieil homme assis sur son lit, dans son costume de treillis tout froissé, sa chemise blanche à moitié sortie de son pantalon retenu par des bretelles, se tut; ses yeux profondément enfoncés dans leurs orbites et à demi dissimulée par ses épais sourcils étaient pleins de nostalgie et je compris qu'il évoquait le passé.

« Hess, lui dis-je, rompant le silence, si vous pouviez revenir en arrière, agiriez-vous de même ?

- Que voulez-vous dire ?

- Étudieriez-vous à nouveau cette science qu'est la géopolitique et vous y plongeriez-vous au point de la mettre au service d'un homme tel qu'Adolf Hitler ?

- Sans aucun doute, me répondit-il vivement. J'aurais suivi la même voie et j'aurais fini ici, à la prison de Spandau. Et je serais certainement parti en avion pour l’Écosse. J'avais des idées bien arrêtées et un seul moyen de les mettre en pratique. Quand je me suis pleinement rendu compte que nous étions en train de perdre la guerre, et ce qu'il en résulterait pour l'Allemagne, j'ai compris qu'il n'y avait plus qu'une seule issue... conclure la paix avec l'Angleterre. Et c'était également le désir d'Hitler.

« Oui, je me suis toujours entièrement voué à la cause que je servais, parce que j'y croyais.

- Même si agrandir par la force les frontières de l'Allemagne signifiait la guerre ?

- Dès le début je n'ai eu d'autre aspiration que de rendre à l'Allemagne la grandeur qu'elle avait atteinte avant la Première Guerre mondiale. Et avant le Traité de Versailles qui fut une profonde erreur. Je voulais voir mon pays retrouver sa fierté et sa gloire. Et c'est ce que j'avais dans l'esprit lorsque tout jeune encore, en 1923, je me suis lancé dans la politique. Je commençais à y jouer un rôle lorsque...

« Dites-moi, reprit Hess en élevant la voix, existe-t-il au monde un jeune homme qui, s'il se mêle de politique, ne cherche pas à améliorer la situation de son pays... tout comme cela se passe aujourd'hui ?

- En réalité, Hess, ce que je voulais savoir, c'est ceci ; si vous pouviez revenir en arrière, vous dévoueriez vous à nouveau corps et âme à un homme tel qu'Hitler ? »

- Il me lança un regard scrutateur par-dessus ses lunettes en serrant les mâchoires. Il avait roulé les manches de sa chemise au-dessus de ses coudes et posé ses mains sur ses genoux.

« Sans aucun doute, colonel Bird. Je n'aurais pour rien au monde laissé échapper l'occasion de devenir l'adjoint d'Adolf Hitler. Je vous l'ai dit, je suis un homme qui se voue à une seule cause et à un seul homme. »

(Eugène K. Bird, Rudolf Hess dévoile son mystère.)

Le vieux détenu n'était pas assez fou pour révéler à son geôlier américain les véritables arcanes du nazisme. Selon Charles Le Brun, l'histoire occulte du nazisme est liée aux sociétés secrètes et notamment à l'Ordre du Dragon.

L'ordre du Dragon, fondé en 1418 par Sigismond de Luxembourg, véhiculait les mystères typhoniens du dieu égyptien à tête d'âne dont on sait qu'ils contiennent les secrets les plus redoutables des sciences maudites. C'est à ces secrets que Sigismond aurait été initié par des maîtres inconnus que René Guénon désigne comme les agents de la Contre-initiation.

Hitler, écrit Charles Le Brun, rêva d'une Europe allemande ; et peut-être d'un monde allemand. Ce rêve, nourri des conceptions les plus hétéroclites et les plus funestes, n'allait pas tarder à devenir le cauchemar que l'on sait.

« Quand nous voudrons créer notre grand Reich allemand dans son ampleur définitive, nous aurons le devoir d'éliminer ces peuples (ceux des États baltes, de la Bohême, de la Moravie et des régions occidentales de la Pologne). Il n'y a aucune raison pour que nous ne le fassions pas. Notre époque nous fournit les moyens techniques de réaliser avec une facilité relative tous ces plans de transplantation... Il faut chasser les Tchèques de l'Europe centrale. Car tant qu'ils y resteront ils constitueront un foyer de décomposition hussite et bolchevique. »

« C 'est seulement quand nous aurons la volonté et le pouvoir d'atteindre ce but que je serai prêt à prendre la responsabilité de sacrifier toute une génération de la jeunesse allemande. Même si tel doit en être le prix, je n'hésiterai pas un seul instant à me charger la conscience de la mort de deux à trois millions d'Allemands, en pleine lucidité du poids de ce sacrifice. »

« Pour les États baltes, la situation est différente. Nous germaniserons facilement la population. Il y a là des races qui, ethniquement, nous sont apparentées et qui seraient devenues allemandes depuis longtemps si les préjugés et l'orgueil social des barons baltes n'avaient pas dressé des obstacles artificiels. »

Après le pacte germano-soviétique, signé le 23 août 1939, le Führer, changeant brusquement de discours et abandonnant ses projets de déplacement de populations, déclara que la Pologne serait rayée de la carte des Nations. Un peu plus tard, il annonçait sa volonté de repeuplement en Silésie. Puis, en 1942, c'était la mise en place de la diabolique « solution finale ».

Sous l'Unterberg, en face du nid d'aigle de Hitler à Berchtesgaden, repose l'empereur endormi qui doit revenir disperser les ennemis du Reich et lui rendre sa gloire passée. Son règne durera mille ans. Ce rêve, depuis des siècles, hante les tréfonds de l'âme allemande.

L'aspiration millénariste s'était cristallisée vers le XIIe siècle autour des empereurs Hohenstaufen et plus particulièrement de Frédéric Ier, dit Barberousse, mort noyé en Orient en 1190 lors de la troisième croisade. Elle n'était pas sans relation avec la légende du prêtre Jean, ou celle du Mahdi islamique. Hitler la fit sienne et put dire, au cours d'une allocution prononcée à Munich le 14 mars 1936 :

« Je marche sur la Voie que m'indique la Providence avec l'assurance d'un somnambule. » A l'écrivain allemand Hans Grimm il avait déclaré un jour :

« Je sais que quelqu'un doit paraître. J'ai cherché cet homme. Je me suis levé afin d'accomplir la tâche préparatoire, car je sais que je ne suis pas Celui qui doit venir. »

L'étrangeté de ces propos laisse à penser. Associée à tous les égarements maniaques du Führer, elle a conduit bien des historiens à se poser la question de son équilibre mental. Certains ont même parlé de possession. Car, se sont-ils demandés, Hitler fut-il vraiment le maître de ses actes ? Et dans la négative, de quelle puissance redoutable fut-il l'instrument obéissant ?

Une personne de son entourage raconte que Hitler s'éveillait la nuit, poussant des cris convulsifs et appelant à l'aide. S'asseyant sur le bord de sa couche, il y restait alors prostré, comme paralysé, pendant des minutes entières. Puis l'effroi s'emparait à nouveau de lui et le faisait trembler au point de secouer le lit. Il proférait des vociférations confuses et haletait, comme sur le point d'étouffer.

« J'avais toujours été frappé, rapporte John Toland, par l'aspect de ses traits. Sa physionomie semblait composée d'éléments disparates incapables de se fondre en un tout véritable. » (J. Toland Hitler Pygmalion, 1978). Parfois, debout dans sa chambre et les yeux fixes, le chef du IIIe Reich s'écriait soudain : « C'est lui ! C'est lui ! Il est venu ici ! » Il prononçait alors des chiffres et des mots insensés. Puis à nouveau : « Là ! dans le coin : qui est là ? » Joseph Goebbels qui l'approcha fréquemment avouait qu'à de certains moments, il lui donnait le frisson.

Hitler fut-il un possédé ? À bien des visiteurs, il donna l'impression d'un être halluciné et manœuvré par une entité redoutable. Certaines forces le traversaient, des forces quasi-démoniaques dont le personnage nommé Hitler n'était que le vêtement momentané. Délivré de son démon, il retombait dans la médiocrité. On le pressait de questions, il écoutait sans rien dire ; ou bien il se mettait à parler sans écouter, à perte de vue.

En 1418, raconte Jean Robin dans son livre Hitler, l'Élu du Dragon, Sigismond, roi de Hongrie et empereur d'Allemagne, sous l'adroit prétexte de combattre les Turcs qui menaçaient ses frontières orientales (l'invasion ne se fit que plus tard), créa le mystérieux Ordre du Dragon. Pour éclairer sur les tendances de cette société, il suffit de signaler que le prince de Valachie, Vlav IV, en fut l'un des membres éminents. Or ce personnage, mieux connu sous le nom de Vlav Tepez - l'Empaleur - passa à la postérité sous celui de Dracula qui ne signifie rien d'autre que « Fils du Dragon » !

L’Ordre du Dragon transmettait ses mystères par le biais d'un recueil qui portait le titre de Magie sacrée d'Abramelin et dont on peut encore voir un exemplaire à la bibliothèque de l'Arsenal à Paris. L'enseignement qu'il contient promet la victoire sur la vie et la mort à ceux qui porteront le signe de la Bête - celle de l'Apocalypse.

La ténébreuse société secrète de la Golden Dawn (l'Aube Dorée) fondée quatre siècles plus tard à Londres en fit sa Bible. Or la plupart des auteurs qui étudièrent et répandirent les idées sur le pan-germanisme, l'aryosophie et le Mythe du Sang furent en contact avec la Golden Dawn dont il faut souligner qu'elle possédait de nombreuses succursales en Allemagne. Bien des idées circulèrent dont les dirigeants du IIIe Reich ne furent pas ignorants. Bien des idées, mais aussi et surtout des influences dont ils n'eurent pas toujours la parfaite conscience cette fois ni, conséquemment, le parfait contrôle.

Hitler répéta souvent qu'il fallait acquérir la « vision magique », que c'était là le but ultime de l'évolution de l'humanité. « Il croyait, rapporte Rauschning, qu'il était lui-même au seuil de ce pouvoir, source de ses succès présents et futurs. [...] Il ne pouvait s'expliquer autrement que par l'action de forces cachées la merveille de son propre destin. Il attribuait à ces forces sa vocation surhumaine d'annoncer aux hommes un évangile nouveau... Le surhomme vit au milieu de nous. Il est là. [...] J'ai vu le surhomme. » Où eut-il cette vision ?

Un épisode totalement inconnu de son existence est rapporté par Robert Payne dans The Life and death of Adolf Hitler. Il y est question d'un séjour qu'il fit en Grande-Bretagne en 1913 pour y rendre visite à son demi-frère Aloïs. Quand on sait qu'il n'entretenait aucun rapport avec ce dernier,on peut se demander la véritable raison de ce voyage.

Il est permis de croire, et c'est l'avis de Jean Robin, qu'il fut alors mis en contact avec les membres de la Golden Dawn.

L'affaire se situe à la limite extrême du raisonnable. Et pourtant, bien des indices donnent à croire que si quelque chose est à découvrir dans l'univers trouble de cette période, c'est dans cette direction qu'il faut aller chercher.

Source : Actualité de l'Histoire



Lire gratuitement « Hitler, l'Élu du Dragon » :

Lire gratuitement le livre de H. Rauschning, « Hitler m'a dit » :



Publié en 1939 comme un avertissement et un cri d'alarme, ce livre est un document d'histoire d'un intérêt capital, bien plus important pour la compréhension du nazisme que le très officiel Mein Kampf. C'est un Hitler en liberté qui se livre ici : à la fois politicien retors et visionnaire titubant, messianique et sentimental, fasciné par fascisme qui le délivrera de son fardeau d'anxiété. Membre du parti nazi de 1926 à 1934, Hermann Rauschning a su comprendre, avec la prescience d'un compagnon de route désabusé, ce que tant de contemporains se sont obstinés à ignorer : la dynamique de l'une des pulsions révolutionnaires les plus puissantes et les plus destructrices de notre siècle.

lundi, mai 30, 2011

Existe-t-il plusieurs races ?




Quand j'étais jeune étudiant, j'ai appris consciencieusement, comme beaucoup d'autres, et sans trop y croire, les classifications des « races humaines ». Elles étaient encore au programme, alors que le développement de la biologie au niveau microscopique en faisait déjà des catégories totalement caduques. On ne peut pas taxer de racistes toutes les tentatives de classification anciennes, au sens où, en science, c'est la différence qui fait l'information : on compare et on range en « paquets » distincts, chaque fois, qu'on peut le faire. En un siècle de découvertes, on a tout simplement vu se dessiner d'autres frontières au sein de l'humanité. Si l'on reprend le sens zoologique du mot (deux sous-espèces d'une même espèce se distinguent l'une de l'autre, mais demeurent inter-fécondes, contrairement à deux espèces), il n'y a aujourd'hui, à la surface de la Terre, qu'une « race » humaine celle de l'Homo sapiens sapiens.

Ce que la recherche paléontologique et son prolongement anthropologique essaient d'établir, entre autres, ce sont les filiations, les liens de parenté qui unissent cette humanité.

L'homme moderne est apparu dès 500 000 ans avant notre ère. Avec, déjà, des différenciations régionales : par exemple, entre des squelettes de Chinois vieux de 400 000 ans, de 200 000 ans et contemporains, on retrouve des caractères communs. Mais s'ils ont une fréquence plus grande chez les Chinois, on les retrouve aussi partout ailleurs éparpillés. Il y a continuité du peuplement, mais à l'intérieur de ce que j'appelle des « provinces bio-géographiques »?

A la surface de la Terre, il, n'y a qu'une « race » humaine connue, celle de l'Homo sapiens sapiens

En revanche, deux « races » ont parfois pu coexister dans la préhistoire. L'homme a commencé à se diversifier très tôt, voilà au moins 2,5 millions d'années, dès qu'il a bougé d'Afrique orientale, où il est né. Il s'est répandu à travers tout l'Ancien Monde : Afrique, Europe et Asie. Or, il y a 2 millions d'années, les glaciations ont fabriqué deux isolats géographiques : l'Europe, dont le nord fut entièrement recouvert de glaciers, et l'Indonésie qui, liée au continent asiatique, s'en trouva coupée à chaque période interglaciaire. Ces deux isolements ont entraîné des « dérives génétiques », et façonné deux humanités, le pithécanthrope en Indonésie, l'homme de Neandertal en Europe, très différents anatomiquement de notre ancêtre, l'homme moderne, qui vivait déjà ailleurs. Il y a 50 000 ans, celui-ci a repoussé ses frontières de tous les côtés, lors d'une deuxième vague de peuplement : en Europe, en Indonésie, en Australie, en Amérique. Neandertal et notre ancêtre l'homme moderne (Cro-Magnon) ont au moins constitué en Europe deux races distinctes. « Au moins », parce que l'on ne sait pas, aujourd'hui, si ces populations pouvaient être inter-fécondes (donc, si elles furent de la même espèce) ni si l'homme de Neandertal, comme le pithécanthrope indonésien disparu il y a environ 30 000 ans, s'est fondu dans la population des Homo sapiens sapiens ou s'il s'est éteint. C'est peut-être la seule question sur les traces humaines que la science puisse désormais se poser.

Yves COPPENS, paléontologue, professeur au Collège de France, directeur du laboratoire d'anthropologie, Muséum national d' histoire naturelle, Paris.


Une étude publiée dans la revue Science montre qu'une infime partie du génome humain provient de celui des Néandertaliens. L'auteur, Richard E. Green (Université de Californie) travaille actuellement au Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology (Leipzig, Allemagne) dans le cadre du projet de déchiffrage du génome de Neandertal dirigé par Svante Pääbo... Lire la suite :

dimanche, mai 29, 2011

L'homme charnel et l'homme spirituel




L'homme charnel et l'homme spirituel se tiennent donc sur deux plans différents. Le premier, tant qu'une ouverture ne se produit pas en lui à l'égard du spirituel, appartient au temps : il passe... Saint Bernard dira que l'homme lié uniquement aux biens terrestres est semblable aux animaux : « Il naît, vit et meurt à leur façon. » Dans un autre texte, ce même auteur place un tel homme au-dessous des animaux, ce qui est plus juste, car l'animal conserve son orientation, il répond à sa fonction ; par contre l'homme détourné de sa destinée se trouve acculé à une voie sans issue.

L'homme spirituel relève d'un monde tout différent de celui auquel est lié l'homme charnel. Il est pourvu de sens intérieurs, il possède un autre langage, il est en voie de recouvrir la parfaite ressemblance de l'image qu”il porte en lui. Délié du temps, ouvert à l'éternité, son corps, son âme, son esprit participent déjà à la gloire de la résurrection.

Pour comprendre cette distinction fondamentale il suffit d'évoquer Pascal, dont la pensée nous est sans doute plus familière que celle de l'époque que nous étudions (XIIe siècle). Il importe ici de se rappeler l'ordre du monde et celui de la charité, ou bien encore le divertissement pascalien correspondant à l'homme charnel, tandis que l'homme spirituel s'inscrit dans l'ordre de la charité.

Le charnel, l'extériorité concernent une nature dévoyée, désorientée. Le spirituel, l'intériorité appartiennent à une nature ordonnée. L'orientation de l'être est d'une grande importance, la conversion n'étant rien d'autre qu'une orientation juste. L'homme charnel est isolé. C'est à lui que s'applique le vae soli de l'Écriture (Ecclé., IV, IO). Dépourvu de communication et de communion, il ne participe à la vie des hommes que d'une façon toute extérieure. Privé de rapports vrais avec lui-même et par conséquent avec le cosmos, le voici entraîné dans le tourbillon du temps et les jeux de l'histoire.

Certes l'homme spirituel appartient à l'histoire, mais il la dépasse car il relève d'autres lois. Intégré dans le cosmos, il œuvre corps, âme, esprit à l'avènement du royaume de Dieu, c'est-à-dire à la transformation du monde. Autrui bénéficie de la maturation qui s'opère en lui. Homme de lumière, il répand la clarté qui émane de son être. Toutefois, son expérience est incommunicable dans sa totalité, lui seul en est le lieu, et c'est là son secret. Pour rendre compte de cette expérience ineffable il recourt aux symboles. Ainsi le sage raconte à ses auditeurs des histoires, des anecdotes qui apparaissent invraisemblables. Elles le sont en effet, car ce n'est pas la lettre qu'il convient de retenir, mais l'esprit. Le mystique évoque des songes, il présente des images, il crée des contacts, instaure des rapports. Dans l'un et l'autre cas toutes les créatures sont pourvues de langage : les oiseaux parlent, les animaux sauvages cherchent une protection près de l'homme en qui l'esprit se meut.

Quand Dieu est né dans l'homme et l'homme en Dieu, il s'entame aussitôt un dialogue entre cet homme nouveau-né et le cosmos. Il n'existe plus d'isolement, une parenté profonde, une sympathie (au sens de sympatheia) s'établissent entre lui et tout ce qui vit. Il existe moins de différence entre ce qu'on nomme communément les vivants et les morts, qu'entre l'homme charnel et l'homme spirituel. La mort ne crée pas une rupture ; il ne s'agit point d'évoquer les morts à la façon de Saül qui fait « remonter » Samuel grâce à la pythonisse d'Endor (Samuel, XXVIII, ll). L'homme spirituel est déjà engagé dans l'au-delà de la mort terrestre car ses racines n'appartiennent plus au monde qui passe, elles se trouvent insérées dans le monde céleste. Il s'ébauche ainsi - dira Guillaume de Saint-Thierry - la gloire future de son corps. De ce fait, un tel homme se tient tourné vers les temps à venir, c'est-à-dire qu'il relève de l'eschatologie.

Cette entrée dans l'éternité, cette sortie du fugace engendrent en lui une joie, un enthousiasme, une jubilation, une éternelle jeunesse. La vieillesse n'atteint pas l'homme intérieur, la maturité coïncide avec un achèvement et non avec une décrépitude. Cette fraîcheur, nous la retrouvons dans l'emploi des symboles, des images ; c'est ainsi que les anecdotes, les songes, le sens du merveilleux auxquels nous avons fait déjà allusion (De natura et dignitate amoris, p. 54), qui apparaissent dérisoires à l'homme charnel, sont chargés de sens pour l'homme spirituel.

L'homme spirituel ne méprise rien. On le voit bien avec un saint Bernard, par exemple, dont la vie a été extrêmement active, toutefois le primat est toujours donné à la contemplation au dialogue intime. Saint Bernard dira qu'il importe « d'interrompre les doux baisers pour allaiter », c'est-à-dire qu'il convient de quitter la vie contemplative pour s'adonner à l'enseignement d'autrui.

La transfiguration de l'homme crée un monde transfiguré et libre. La liberté des enfants de Dieu dont parle saint Paul (Rom., VII, 21) appartient à l'homme intérieur. Au risque de nous répéter il convient de redire que l'homme charnel et l'homme spirituel ne sont pas régis par les mêmes lois ; l'homme spirituel dépasse toutes les dualités, qu'il s'agisse du bien et du mal, de l'esprit ou de la chair, des ténèbres ou de la lumière ; la transfiguration qu'il opère inaugure un monde nouveau : celui de l'âge d'or, de la maturité ; les ténèbres cessent d'être obscures.

Nous avons parlé de la transformation du cosmos grâce à l'homme spirituel. D'autres éléments interviennent encore. Si l'homme spirituel n'a plus le même visage que l'homme charnel, le Dieu de l'homme spirituel est rigoureusement différent du Dieu de l'homme charnel. Pour l'homme charnel Dieu est une sorte de César, c'est-à-dire de potentat, de banquier ; il est pourvu de force, de puissance. Pour l'homme spirituel Dieu est Amour et par conséquent ce qui est le plus inconnu dans sa réalité profonde. Dieu est comparable à un mendiant, au plus ignoré, au plus délaissé, au plus faible. Nous le verrons, Dieu est l'Amant et l'homme l'Aimé. Entre l'Amant et l'Aimé se crée une union indéfectible. Les amours de l'homme charnel sont illusoires et fragiles, l'Aimé dans l'ordre spirituel en se transformant en l'Amant devient lui aussi Amour. Il cesse d être l'Aimé en devenant Amour.

D'où la nouvelle perspective, la nouvelle vision, le nouveau langage de l'Aimé devenu par grâce ce que Dieu est par nature selon l'expression employée par Guillaume de Saint-Thierry.

Pour l'homme charnel le langage de l'homme spirituel est sans contenu, et lui semble insipide. Non seulement il se détourne de l'homme spirituel, mais il le réprouve et le juge illuminé ou fou, ces deux termes d'ailleurs signifiant pour lui la même chose. Sa pesanteur, les poids et mesures dont il fait usage ne lui. permettent pas de saisir le trésor de l'homme de lumière, ces chemins ne sont pas ses propres chemins, c'est pourquoi il ne le rencontre jamais car il serait incapable de le reconnaitre. Les hommes spirituels se retrouvent entre eux, tels des oiseaux sauvages appartenant à la même race. Leur chant est identique, les symboles qu'ils présentent sont semblables et cela en dépit de leur origine. Les mêmes contenants possèdent d'identiques contenus. C'est pourquoi les hommes spirituels ont le même langage, décrivent les mêmes images indépendamment des époques, des races, des religions ; l'unité ne pouvant se réaliser qu'à la fine pointe de l'être, c'est-à-dire au sommet situé au-delà des oppositions et des dualités. Par contre l'homme charnel est la proie de la division, des contraires, des affrontements, du sectarisme. L'homme charnel brûle celui qui ne pense pas comme lui, en cela même il tente de le détruire. L'homme spirituel brûle aussi, mais le feu qu'il communique vient de lui-même, il est transmutation, transfiguration, il ne tend pas à anéantir mais à transformer.

D'où l'on voit comment à l'époque romane, comme d'ailleurs en tous les temps, le charnel et le spirituel se sont mélangés : les massacres des juifs, des musulmans, des hérétiques relèvent d'hommes en qui l'esprit n'était pas encore né. L'inquisition n'est scandaleuse et irritante que dans la mesure où l'on pense que des hommes d'église, des moines sont obligatoirement des hommes spirituels. Si on discerne qu'il s'agit ici d'une violence exercée par des hommes charnels, extérieurs, terrestres, on ne s'en étonne point tout en s'attristant d'une telle méprise.

Cette distinction apparaît toujours nécessaire. La pensée médiévale n'est pas exempte des ersatz, des masques, des travestissements, et pour employer le langage bernardin, des amours adultères.

M.-M. Davy, « Initiation à la symbolique romane ».




Illustrations :
- La discipline cistercienne conférait une grande importance au travail manuel (manuscrit enluminé du XIIIe siècle provenant de l'abbaye de Cîteaux, Bibliothèque municipale).
- Socialism for the rich.
http://www.ritholtz.com/blog/2008/12/socialism-for-the-rich/





Initiation à la symbolique romane


Le douzième siècle, cette Renaissance médiévale, est le grand âge de l'art roman. L'homme de ce temps possède une exacte connaissance de sa situation : il est pèlerin de la Jérusalem céleste et, de ce fait, voué à une marche ascendante. Relié à un monde invisible dans lequel il se meut, il sait d'où il vient et où il va. Sa certitude relève de sa foi. Que cette foi se développe à l'intérieur de l’Église ou qu'elle soit hétérodoxe, elle demeure vivante. Le moine y répond à l'intérieur de son cloître, le professeur dans son enseignement ; l'artiste en témoigne sur la pierre ou par la couleur. Le monde est un, du macrocosme au microcosme, et il est signe de l'Invisible. L'art et ses symboles l'enseignent. Du portail de Cluny à la littérature du Graal, Marie Madeleine Davy nous donne accès à l'extraordinaire richesse symbolique du douzième siècle.



vendredi, mai 27, 2011

La notion de personne dans le bouddhisme





A. La doctrine du « non-moi ».

Après avoir fait son premier sermon à Bénarès sur les Quatre Vérités saintes, le Bouddha en fit un second sur la non-réalité du moi, anâtman, c'est-à-dire, non-existence de l'âtman. Le moi n'a pas plus de consistance que les autres « formations » […] (« formations » ou agrégats, skhandha, sont les constituants psychophysiques de l'être humain qui se désagrègent totalement lors du trépas.)

Cette doctrine du non-soi est, comme je l'ai dit, une réaction contre la théorie brahmanique qui faisait du « soi », de l'âtman humain, une réalité identique à l'Absolu, le Brahman. Dans le bouddhisme primitif, cet âtman n'a pas de consistance.

Il n'y donc pas dans l'homme d'entité permanente à laquelle on pourrait donner les noms d'âme, de soi ou d'ego. Le Petit Véhicule et le Grand Véhicule sont l'un et l'autre constants sur ce point. Après avoir rappelé d'une manière rapide la théorie chrétienne et la théorie hindouiste de l'âme, Walpola Rahula continue :

« Le bouddhisme se dresse, unique dans l'histoire de la pensée humaine en niant l'existence d'une telle Âme, d'un soi ou de l'Âtman. Selon l'enseignement du Bouddha, l'idée du Soi est une croyance fausse et imaginaire qui ne correspond à rien dans la réalité... »

Pour les bouddhistes, le moi n'est qu'une formation passagère qui est le fruit des cinq éléments physiques ou moraux (skandha). Le Moi se forme, change, évolue au gré de la rencontre de ces éléments. Le Moi humain est donc pure impermanence et constante fluidité. Tout ce qui existe, c'est un « moi » psychologique qui assure la continuité temporelle de l'être humain. Mais ce moi n'a pas de consistance réelle. Quand viendra la mort, il disparaîtra. Il ne laissera aucune trace dans la réalité ultime.

Walpola Rahula est plus que formel sur ce point et il s'insurge contre toute autre interprétation du bouddhisme ancien. Comme le dit Glasenapp : « La négation d'un Âtman impérissable est la caractéristique commune de tout système dogmatique, que ce soit du Petit ou du Grand Véhicule, et il n'y a dès lors aucune raison de prétendre que cette tradition bouddhiste qui est en accord complet sur ce point, ait dévié de l'enseignement originel du Bouddha. »

Ici, Walpola Rahula s'insurge à la pensée que certains érudits ont voulu prétendre que le Bouddha n'avait pas nié l'existence de l'âtman.

« Ces érudits admirent, respectent et vénèrent le Bouddha et son enseignement. Mais ils ne peuvent imaginer que le Bouddha qu'ils considèrent comme le penseur le plus clair et le plus profond, puisse avoir nié l'existence d'un Âtman ou d'un Soi dont ils ont tellement besoin. Ils cherchent inconsciemment l'appui du Bouddha pour ce besoin d'existence éternelle - bien sûr pas dans un pauvre soi individuel, avec un « s » minuscule; mais dans un grand Soi, avec une majuscule. Il vaut mieux dire franchement que l'on croit en un Âtman ou Soi ; ou on peut même aller jusqu'à dire que le Bouddha s'est totalement trompé en niant l'existence d'un Âtman ; mais certainement il n'est pas bon pour quiconque d'essayer d'introduire dans le bouddhisme une idée que le Bouddha n'a jamais acceptée aussi loin que nous puissions remonter dans les textes originaux existants. » « Les gens sont irrités par l'idée que, d'après l'enseignement du Bouddha sur Anatta, le Soi qu'ils s'imaginent avoir sera détruit. »

Le Bouddha est formel dans son enseignement : « O bhikkhus, cette idée : je ne serai plus, je n'aurai plus, est effrayante pour l'homme ordinaire non instruit. » Et pourtant c'est bien ce qu'il dit. Mais Walpola Rahula représente vraiment la tendance la plus radicale en cette matière. L'évolution de la pensée bouddhique a apporté des nuances à cette théorie radicale, comme je le dirai plus loin.

Qu'arrive-t-il quand le karma de l'homme est épuisé ?... Il y a le nirvâna... mais je ne puis dire que j'entre dans le nirvâna, car je ne suis plus. Le nirvâna Est...

Il me semble que l'on peut dire que le nirvâna, c'est la Vérité Ultime en tant qu'elle est présentée dans le prolongement d'une suite d'existences qui cesse définitivement. Quand le samsâra cesse pour une suite d'existences la Vérité Ultime est, si je puis dire, manifestée, comme le radicalement autre et c'est le nirvâna. Mais on ne peut pas dire que ce soit un état dans lequel entrerait quelqu'un...

C'est pourquoi Walpola Rahula fait remarquer que cela n'a aucun sens de dire que «le Bouddha est entré dans le Nirvâna », après sa mort. Le Bouddha, suivant les textes anciens, est « entièrement trépassé », « entièrement soufflé » (image de la flamme éteinte), « entièrement éteint »...

B. Développement de la notion de moi dans le mahâyâna.

Mais les disciples du Bouddha ont, au cours des âges, apporté bien des nuances à cette théorie radicale de la non-existence du moi, avec les conséquences que cela peut avoir pour la définition du nirvâna.

Plus tard, on verra se faire jour une théorie, celle du « moi-série ». Cette théorie a pour but de sauvegarder la transmission de la responsabilité morale des actes, responsabilité qui est difficilement explicable si l'on tient que le moi est une pure succession de formations psychiques sans lien réel. Dans la théorie du moi-série, on a une conscience continue, mais cette conscience n'est consciente que d'elle-même et de rien d'autre. Cette théorie du moi-série est surtout développée par les Sautrantikas. Elle prépare les théories du Grand Véhicule.

Il faut signaler l'existence d'un autre courant qui semble remonter aux origines mêmes du bouddhisme et dans lequel on considère qu'il existe une personne autonome sous-jacente aux revêtements phénoménaux. Cette personne porte le nom de pugdala, Mais ces pudgdalavâdin sont souvent considérés comme des hérétiques.

Peu à peu on voit se développer dans le Grand Véhicule l'idée que la nature profonde des choses est la nature de Bouddha, nature commune et unique de tous les Bouddhas. Il y a donc dans tous les êtres une nature de Bouddha qui est leur être substantiel celui qui est et demeure sous l'illusion des apparences. Cette théorie est propre au Grand Véhicule.

Dans une telle perspective, l'homme a plusieurs « moi », dont le plus profond est l'identité avec le Bouddha. « L'insistance mise sur l'identité du Bouddha et de ce monde a habitué les Mahayanistes à l'idée que la nature de Bouddha réside dans chaque portion de l'univers, et, partant, dans le cœur de chacun de nous.

« Le Seigneur Bouddha sur son trône-de-lion habite dans chaque particule de sable et de pierre. »

« Si l'on admet que nous luttons pour le salut par nos propres efforts, quelle partie de nous-mêmes est-ce alors qui cherche le Nirvâna ? Est-ce notre soi individuel, ou peut-être notre « soi plus élevé » ou encore notre « soi de Bouddha », qui fait cette recherche ? Le mahâyâna en est venu à cette conclusion que c'est réellement le Bouddha en nous qui fait la recherche, que c'est la nature de Bouddha en nous qui cherche la Bouddhéité. » (Conze, Le Bouddhisme dans son essence et son développement.)

La Bouddhéité, la Buddhatô est un autre aspect de l'Ultime Réalité à laquelle on donne le nom de tathatâ ou bhutatathatâ. Cette réalité foncière indescriptible ne peut se désigner autrement que « ce qui est comme c'est ». En français on pourrait traduire son nom par « ainsité »... ce qui est ainsi. Cette réalité est recouverte par l'illusion.

Dans une telle perspective, il faut arriver à dépasser le moi illusoire pour s'identifier à son moi profond et réel. Or ce moi profond est la nature de Bouddha. Quand nous en sommes arrivés là nous avons retrouvé notre identité profonde avec le Bouddha, nous avons atteint la Bouddhéité... mais la question demeure : existons-nous encore d'une existence personnelle ? On arrive à un état de conscience parfaite mais qui n'est plus personnelle. En se réalisant dans sa perfection d'être, la conscience personnelle a disparu... il n'y a plus de personne. Les hommes émergent dans un nirvâna où il n'y a plus qu'un grand « Je », trans-personnel...

Évidemment ces subtilités doctrinales dépassent les capacités intellectuelles et spirituelles des bons dévots d'Amida qui considèrent le nirvâna comme l'entrée dans la béatitude du Paradis de l'Ouest. Pour eux il n'y a plus simplement ce grand « je » trans-personnel, il y a une relation entre un « je » et un « tu »... dans une relation de foi et d'amour. Je pense que ceci est vrai pour la plupart des âmes simples dans le bouddhisme, comme dans les religions qui reconnaissent un Dieu personnel.

Yves Raguin, « Bouddhisme - Christianisme ».

Vide et plénitude
Deux relations spirituelles


Yves Raguin après ses études à l’École des Langues orientales et au Département chinois de Harvard fut professeur à Shangai et au Sud-Vietnam. Spécialiste du bouddhisme chinois et des religions orientales, il était directeur de l'Institut Ricci pour l'Extrême-Orient.



Illustration :
La naissance du Bouddha (temple de Yong Ju).



Ils veulent nos âmes

  Henry Makow : "Ils veulent nos âmes. Les mondialistes veulent nous faire subir à tous ce que les Israéliens font aux Palestiniens. Et...