jeudi, novembre 24, 2011

Véronique Jannot et la manipulation spiritualiste





Dans sa biographie intitulée « Trouver le chemin », chemin qui conduit au bouddhisme tantrique tibétain, l'actrice Véronique Jannot relate sa rencontre avec le sulfureux gourou Sogyal :

« Pour moi, ce maître était dans une autre sphère. Il ne m'était même pas venu à l'esprit que je puisse le rencontrer et encore moins avoir le bonheur de l'écouter. J'étais aux anges... »

Le dalaï-lama est lui aussi caressé dans le sens du poil :

« J'ai aussi eu la chance d'écouter le dalaï-lama à plusieurs reprises. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le simple fait de le regarder procure déjà du bonheur tant il est l’incarnation de ce qu'il enseigne. Je suis bouleversée par l'humilité profonde de cet homme, sa fraîcheur, sa spontanéité. C'est une éminence religieuse, un chef d’État, le représentant de tout un peuple, mais quand il vient s'asseoir sur le trône rituel - comme le veut la coutume au cours de ses voyages en France et à l'étranger -, il précise en souriant que ce trône fait simplement partie du décor. Il pourrait aussi bien être assis sur une chaise : pour lui, l'important est d'être parmi nous. »

Mais le dalaï-lama, qui serait « quelqu'un de très avant-gardiste, politiquement révolutionnaire avec des idées démocratiques très poussées » (cette phrase est dans le livre de Véronique Jannot), n'a jamais renoncé à s'assoir sur un trône doré pour enseigner ou discourir.

La seconde partie de la biographie de Véronique Jannot fait la promotion du lamaïsme et, parce qu'on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, elle ne mentionne jamais les inquiétantes pratiques de l'ésotérisme tantrique des sectes rouges et jaunes du Vajrayana tibétain.

Véronique Jannot, totalement acquise au bouddhisme himalayen, a été rapidement invitée chez les hiérarques tibétains installés en Inde et au Népal. Elle a séjourné dans la maison du gourou Sogyal et a rencontré les principaux maîtres qui sont les figures de proue du marché spirituel occidental.

Véronique Jannot a certainement fait la connaissance d'Orgyen Tobgyal, c'est l'un des plus importants prélats du Vajrayana et un ami intime du gourou de l'actrice, le gros rinpoché Sogyal.

A Bir, dans l'Himachal Pradesh, un état du nord de l'Inde, Orgyen Tobgyal réside dans un temple ou plus exactement dans un faux temple car derrière une façade religieuse se dissimule un vrai palace.

En Inde, j'avais sympathisé avec un chanteur tibétain installé aux USA. L'artiste disait très bien connaître Orgyen Tobgyal et il se mit dans la tête l'idée de me présenter à son ami le grand lama. Quelques jours plus tard, n'osant pas dire au chanteur que les gourous ne me passionnent pas vraiment, je me suis retrouvé à Bir avec l'artiste tibétain qui nous a rapidement introduit dans le palace d'Orgyen Tobgyal absent ce jour là. Toutefois, son intendant, un moine impressionné par la notoriété du chanteur, nous a offert des boissons et nous a fait visiter la demeure de son seigneur et maître. Le luxe qui s'étale dans la demeure d'Orgyen Tobgyal est l'un des scandales que les propagandistes du lamaïsme dissimulent aux naïfs à qui l'on donne une image tronquée du bouddhisme tibétain; un bouddhisme fait de sagesse, de compassion, de simplicité, de renoncement...

Avec la participation de célébrités comme Véronique Jannot, des lamas soit-disant très sages et très détachés vivent dans un luxe révoltant grâce à un spiritualisme mercantile et un charity-business éhonté.

Un an avant la parution du livre de Véronique Jannot, le témoignage d'une internaute aurait pu éviter à l'actrice de s'impliquer dans l'une des plus grandes manipulations du spiritualisme contemporain :

"Je ne souhaite pas faire hurler tous les bouddhistes du monde, car on ne peut pas généraliser une situation, d’une part, et parce que j’ai beaucoup de respect pour le peuple tibétain et sa philosophie que je pratique en ion libre ; tout comme je respecte sa sainteté le Dalaï Lama et son combat, et je sais qu’avec cet article je ne vais pas me faire que des copains ! Mais voilà, je suis une femme qui croit ce qu’elle voit et j’ai vu ce que je raconte ici même...
Mon premier choc lors de ce dernier voyage au Népal en 2000 fut de croiser des moines dans tous les endroits huppés de la ville de Kathmandou : restaurants chics, cafés pour européens, boulangeries allemandes, magasins de fringues de sports à la mode et burgers machins chouettes. Drôles d’endroits pour côtoyer des religieux censés pratiquer l’austérité ! Mais bon, on leur pardonne parce qu’ils sont réfugiés et que leur peuple a subi les pires traitements. Mais moi je plains ceux qui sont restés là bas et qui ne peuvent pas échapper à la dictature chinoise. Pour une fois je ne voyageais pas à pieds et ne dormais pas dans des grottes parce que j’avais de la famille en visite, il m’était donc donné de fréquenter les hôtels un peu chicos et les restos trois étoiles pour ménager mes invités et j’en croisais partout, des moines !
Dans les rues, on se faisait klaxonner par de grosses bagnoles reluisantes pleines de moines avec des grosses lunettes noires et chaussés de super baskets branchées.
Devant les restos ou les enfants mendiants népalais cherchaient la pitance, se prenant des coups de pieds lorsqu’ils demandaient des morceaux de croissants ou des bonbons qui dépassaient des poches des moinillons grassouillets et hautains se goinfrant de confiseries payées aves de gros billets. Là c’était trop pour moi, il y avait quelque chose qui clochait, qui ne tournait pas dans le sens des stupas ! Je ruminais en mangeant mes momos à la cantine des pauvres, regardant tourner les pèlerins autour du grand monument, entouré de riches magasins tibétains de tankas, fausses antiquités, restaurants luxueux. D’où venait le fric pour construire et entretenir de tels édifices quand on sait que ces gens ont quitté le Tibet sans le sou.
Dans le quartier de Bodanath dont il est question, vivaient mes frères népalais Babou, Furpa et Vijay. Leur quartier était une banlieue sans cesse en construction, avec des terrains vagues boueux ou des gamins jouaient au foot pieds nus, seuls les moinillons portaient chaussettes et baskets de sport. Quelques années auparavant, je venais à travers champs de Katmandou jusqu’à la stupa. Aujourd’hui, il faut traverser une grande artère polluée et poussiéreuse encerclée de taxis nauséabonds. Ne perdons pas de vue que dans le présent, la vallée de Katmandou est noire de pollution et qu’on ne voit plus la chaîne himalayenne des terrasses de la ville.
A Bodha, il y avait de belles maisons ornées et richement décorées, appartenant toutes à des tibétains. Celles des népalais étaient plutôt grises et mal finies, faute de moyens, avec des toits en cours de finitions, des bouts de ferraills dépassaient de tous côtés et les fenêtres n’avaient que la moitié des carreaux. Les monastères étaient entourés de barbelés électrifiés et gardés par des chiens de race européens, les moines craignaient- ils donc les attaques des pauvres de la rue ?! Je nai pas voulu m’approcher de l’entrée, craignant d’y trouver une caméra ou un interphone.
Il régnait ici une ambiance tirée au couteau entre les deux ethnies habitant les lieux. J’interrogeai mes amis pour en savoir plus et Babou me raconta que dans son village natal, lieu de pèlerinage bien connu, un pauvre moine en haillons était venu réclamer à son père, le chef du village, un bout de terrain pour y méditer en paix. Le vieux lui offrit un petit pré, plein de compassion pour l’ascète qui semblait en pleine détresse. Quelques temps plus tard, le moine délimita le terrain, puis l’on vit un défilé d’ouvriers et de porteurs venant entamer un chantier et les villageois virent se construire un luxueux monastère près de chez eux qui devint un hôtel pour pèlerins, coupant ainsi les vivres aux habitants ne vivant que du faible passage touristique. Trop tard, la fourberie était faite et l’on vit aussi la femme et les enfants du religieux soi disant ascète s’installer dans la riche demeure construite sur la confiance d’un vieux chef de village. C’était aussi arrivé dans d’autres endroits à d’autre personnes...
Je retournais autour de la grande stupa en tâchant de me réconcilier avec tout le monde, car la colère me fait toujours mal aux os. Tout cela me rendait un peu amère. Et plus moyen de boire un petit Chy à deux roupies sur cette place ! Que des restaurants en haut des immeubles avec vue sur le monument. il y avait forcément beaucoup de mendiants car beaucoup de passage et de nombreux commerces. Mais les pèlerins tibétains faisaient glisser leurs billets dans des boites à donations, pour les moines réfugiés et ce qui me laissa rêveuse, c’est que ces boites dégorgeant de fric étaient transparentes. J’ai pensé que ça représentait beaucoup de bonbons tous ces billets ! Mais que cet étalage semblait indécent !
Vraiment, quelque chose ne tournait pas rond ici, nom d’un moulin à prières... Pourtant les cercles étaient partout autour de moi... Mandalas, moulins, mouvement de la foule tournant autour de la stupa.
Il y a des aliments que notre organisme se refuse à digérer parce que trop fort, trop salé ou trop amer. Cette soupe là avait un petit peu de tout. Je ne pouvais pas haïr les tibétains, j’avais trop de respect pour leur philosophie mais je devais admettre cette vérité indéniable : l’habit ne fait pas le moine ! Mais c’était là tout un rêve qui s’achevait, l’intégrité pure avait définitivement disparu de la planète. Mon dernier espoir tombait juste à l’eau.
Je fis quelques tours de stupa moi aussi à cette tombée du jour au milieu des tibétains civils comme pour conjurer le sort, pour garder espoir et amour et ne pas tomber dans la haine facile. Ce mouvement avait vraiment une énergie spéciale, un truc qui nous faisait décoller du sol et se sourire les uns aux autres. Je n’ai jamais aimé généraliser, dans mon esprit, tout reste relatif.
Il me revint en mémoire que c’était le nouvel an tibétain et que non loin d’ici on pouvait admirer les danses gracieuses folkloriques que j’allais voir, ravalant mes rancœurs. Mais je n’étais que de passage en ces lieux c’était facile pour moi. Je pouvais quitter les lieux de suite pour ne plus y revenir et fermer ma conscience.
Mais je ne pouvais m ’empêcher de penser aux locaux dépouillés par leurs confrères accueillis d’un pays envahi, la porte leur avait été ouverte, trop grande sans doute ! Je n’étais pas dans la peau d’une mendiante népalaise devant supporter le spectacle quotidien des faux vrais moines me narguant dans leurs grosses bagnoles, m’éclaboussant au passage, sirotant ma boisson gazeuse détestée et mâchant des chewing-gums à la menthe. Je n’étais pas non plus dans celle du balayeur au service de la riche patronne d’hôtel tibétaine. Je n’étais qu’une blanche avec sa vision de blanche, malgré quelques années dans la jungle, je restais quelqu’un qui avait le choix, sauf celui d’occulter. Cette facilité était partie de moi avec les eaux des moussons de la forêt indienne et dans de telles circonstances, elle me manquait terriblement !...Mais pour beaucoup, il sera facile de ne pas se souvenir et de ne même pas avoir vu. La corruption n’aura pas touché que nos gros abbés bedonnants.
Cependant, en ce nouvel an là bas, sur le toit de monde, et charmée par la grâce des danses des villageoises aux vêtements faits de mille couleurs, j’avais une pensée pour que la paix perdure dans la chaîne encore paisible des Himalayas..."


Trouver le chemin

mercredi, novembre 23, 2011

J'irai revoir mon Harmonie




« Adepte de la pensée sauvage, révolutionnaire brut et total, mettant en question jusqu'à la morale et les valeurs civilisées, Charles Fourier est un utopiste qui prétend rompre avec l'utopie. Celle-ci, estime-t-il, entendait brimer les passions et les désirs, les ramener sous le joug exclusif de la raison, alors qu'il importe, au contraire, de les laisser s'épanouir afin de les utiliser pour le plus grand bien de la société. »
Frédéric Rouvillois


« Dès le début du XIX’ siècle, entre 1808 et 1835, un original de génie bouleversait toutes les notions morales admises de son temps et traçait les linéaments d’une révolution sexuelle, si percutante et si audacieuse que, d'un coup d'aile, il se portait au-delà des plus avancés des défricheurs d’aujourd'hui, et qu’en comparaison, les Freud, les Wilhelm Reich, les Kinsey font presque figure de timides. »
Daniel Guérin

Pour Charles Fourier, la clé de l'harmonie c'est l'utilisation des passions. Il écrit :

"Étudions les moyens de développer et non pas réprimer les passions. Trois mille ans ont été sottement perdus à des essais de théories répressives : il est temps de faire volte-face en politique sociale. [...] La raison humaine, au lieu de critiquer ces puissances invincibles qu'on nomme passions, aurait fait plus sagement d’en étudier les lois dans la synthèse de l'attraction.

Les détracteurs des passions, les philosophes et prêtres, n'ont imaginé des institutions que pour comprimer les passions d’autrui et satisfaire les leurs. Dieu spécula en sens contraire. Toutes ses institutions ou coutumes, qu’établira le code passionnel, ont pour but d'assurer à chaque passion un essor isolé ; puis à toutes un essor collectif. Il veut qu’après s’être satisfaites chacune séparément elles se satisfassent combinément, qu'elles imitent nos sybarites qui passent des plaisirs particuliers du ménage aux plaisirs collectifs de la société ; qu’elles présentent dans leur jeu les alternatives du concert musical, où l’on voit l’orchestre passer des solos aux tuttis, puis des tuttis aux solos, et entremêler ces alternats par des concerts partiels, comme des morceaux de duos, trios, quatuors, etc., où les voix et instruments figurent successivement en combinaisons variées. Telle est la marche que doivent suivre les passions dans leurs développements d’Harmonie (X, vol. n, 191-192).

Tant que l'essor de nos passions est contraire au bien de nos concitoyens, il n’existe point d’unité naturelle entre eux et nous ; l’accord n’est que forcé. Il faut donc découvrir un ordre de choses où chaque individu, en se livrant à ses passions, puisse coopérer au bien de tous et de leur propre aveu. La Civilisation étant inhabile à produire pareil effet, il faut découvrir une société d’ordre supérieur (XII, 143).

Je ferai usage d'un levier tout à fait inconnu, et dont on ne peut pas juger les propriétés avant que je ne les aie expliquées. La série passionnelle opère comme le laboureur qui, d’un ramas d'immondices va tirer des germes de richesse ; les détriments, les boues, les ordures et matières immondes qui ne serviraient qu’à souiller et infecter nos maisons, deviennent pour lui des sources de fortune. Il en est de même des immondices passionnelles dont la politique ne sait faire aucun emploi. Nous allons, grâce à ce levier transformer en matériaux précieux tous ces levains de fureurs sociales [...]. L’humanité a tardé quatre mille ans à inventer l'étrier et la soupente, que tout bon simple pouvait découvrir et qui furent inconnus d'Athènes et de Rome ; doit-on s'étonner qu’un calcul immense, comme celui des séries passionnelles ait échappé aux sciences modernes qui ne l'ont même pas cherché et n’en ont pas soupçonné l'existence ? (III, 30-31)

Ma théorie se borne à utiliser les passions réprouvées telles que la nature les donne, et sans y rien changer. C’est là tout, le grimoire, tout le secret du calcul de l'attraction passionnée (V, 157)."

Charles Fourier, Vers la liberté en amour, textes choisis et présentés par Daniel Guérin.


Vers la liberté en amour


Á l'orée du XIXe siècle, un original de génie déclarait la guerre aux moralistes. Après un réquisitoire contre les mœurs qu'avait observées sa vue perçante, stigmatisant, à la manière de Juvénal, le mariage, le cocuage, la famille, l'oppression de la femme, les frustrations de la vieillesse, l'hypocrisie d'interdits partout violés en secret, Fourier ouvrait la voie à la révolution sexuelle.

Le grand «utopiste» (mais était-ce de l'utopie ?) annonçait la venue d'une société heureuse où l'amour, sous toutes ses formes et à tous les âges, serait libre, où marcheraient de front plaisir et travail, où les passions, cessant d'être réprimées, ne tourneraient plus en névroses et contribueraient, chacune à sa manière, au bonheur de tous, où l'orgie ne serait plus débauche mais lien social.



Peut-être plus défraîchi, un exemplaire du livre est en vente sur le site Priceminister pour 4€

Photo :

mardi, novembre 22, 2011

Les chemins de l'utopie





La crise planétaire incitera-t-elle des personnes encore lucides à sortir de la masse humaine de plus en plus uniformisée et conditionnée par une gouvernance mondiale qui agit dans l'ombre ? N'oublions pas cette déclaration d'Alain Minc : « On croit qu’il n’y a pas de gouvernance mondiale, c’est faux. Il y a une forme de gouvernance mondiale sauf qu’elle n’est pas codifiée, elle est empirique, elle est implicite, mais elle est décisive. » (France Inter, 26 septembre 2009).

Les coups d'état de novembre 2011, qui ont mis au pouvoir en Grèce et en Italie des sbires de la finance internationale, marquent-ils la fin de la démocratie européenne et le début de l'instauration progressive de la dictature mondiale ? La mondialisation est bien un processus totalitaire qui réduit les peuples en une populace informe et aisément contrôlable. Il est probable que la population mondiale sera de plus en plus illusionnée par la réussite matérielle et le faux bien-être d'un spiritualisme matérialiste ou d'une religion scientifique prônant l'immortalité physique, un transhumanisme mystique en quelque sorte.

Est-il encore temps de prendre les chemins du maquis ou les sentiers de l'utopie ?


Les sentiers de l'utopie

« Quand les tempêtes de la crise financière ont commencé à souffler en 2007, Isabelle Fremeaux et John Jordan se sont lancés sur les routes européennes pour faire l'expérience de vies post-capitalistes. Ils n'étaient pas à la recherche d'un pays de nulle part, d'un modèle universel ou d'un avenir parfait, mais voulaient rencontrer des communautés qui osent vivre différemment, malgré cette catastrophe qu'est le capitalisme. Pendant sept mois, ils ont voyagé et visité onze communautés et projets. D'un Camp Climat installé illégalement aux abords de l'aéroport d'Heathrow, jusqu'à un hameau squatté par des punks Cévenols, en passant par une communauté anglaise à très faible impact écologique, des usines occupées en Serbie, un collectif pratiquant l'amour libre dans une ancienne base de la Stasi ou une ferme ayant aboli la propriété privée, Isabelle Fremeaux et John Jordan ont partagé différentes manières d'aimer et de manger, de produire et d'échanger, de décider des choses ensemble et de se rebeller. Avec le maire d'un village espagnol qui avait exproprié les terres du duc local, avec les élèves en charge d'une école anarchiste et le facteur philosophe de la Libre Ville danoise de Christiania, les auteurs ont vu vivre dans les interstices invisibles du système dominant des Utopies bien vivantes. De cette expérience a émergé un film-livre (le DVD est fourni avec l'ouvrage). Le texte est un récit de voyage captivant, analysant les communautés, leurs pratiques et leurs histoires. Le film est un docu-fiction, tourné pendant le périple, prenant la forme d'un road-movie poétique situé dans un futur post-capitaliste. Les personnages et les lieux circulent du livre au film. Dans Les Sentiers de l'Utopie, les mots et les images jouent avec les frontières entre présent et futur, imagination et action. Cette publication unique nous donne envie de vivre d'autres vies, et nous met au défi de commencer dès aujourd'hui. »


John Jordan est un artiste-activiste, cofondateur de Reclaim the Streets et de l'Armée des clowns. Il a été un des caméramans du film de Naomi Klein, The Take, et a notamment codirigé le livre We Are Everywhere. The Irresistible Rise of Global Anti-Capitalism (Verso, 2003). Isabelle Fremeaux est maître de conférences en Media & Cultural Studies au Birkbeck College-niversity of london. Sa recherche-action explore l'éducation populaire et les formes créatives de résistance. Ensemble, ils ont fondé le collectif The Laboratory of Insurrectionary Imagination.


Entretien avec John Jordan & Isabelle Frémeaux :
http://www.mouvements.info/Impasse-du-capitalisme-chemins-de.html



Vidéo Les sentiers de l'utopie :
http://www.dailymotion.com/video/xizie2_les-sentiers-de-l-utopie-1-3_news#rel-page-3

lundi, novembre 21, 2011

République totale ou État mondial totalitaire





Dans Totalité, une encyclopédie philosophique, Christian Godin écrit : « La première organisation à s'être déployée à l'échelle du globe fut l’Église catholique : une hiérarchie identique se répète sur tous les continents. La puissante centralisation à Rome assure la cohésion de l'ensemble ».

Depuis de nombreuses années, des utopistes, des philosophes, des politiques... parviennent à cette conclusion : « Dans un avenir rapproché, l'Humanité, définitivement et consciemment, s'organisera en un grand État mondial. » Cette phrase est de H.G. Wells, elle se trouve dans son livre La Découverte de l'avenir et le Grand État, 1913. H.G.Wells est considéré comme le père de la science-fiction. Il a imaginé : la machine à remonter le temps, l'exploration des frontières de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, l'attaque des extra-terrestres... Notons que le mondialisme est singulièrement répandu dans le domaine de l'anticipation et de la science-fiction (lire les précédents posts et regarder la vidéo ci-dessous signalée par Dup, un lecteur du blog).

L’idée d'un État mondial a été portée au début de la Révolution française par Anacharsis Cloots (1753-1794). Cloots se proclamait « l'orateur du genre humain » et « l'ennemi personnel de Jésus-Christ ». Pour ce « citoyen de l'humanité », la république universelle remplacera l’Église catholique. Il envisageait la « fusion parfaite » du genre humain en un seul corps. « Alors que pour Rousseau la souveraineté était l'attribut du peuple, donc d'un peuple, pour Anacharsis Cloots, elle réside dans le genre humain tout entier. », écrit Christian Godin. En effet, Cloots envisageait la « fusion parfaite » du genre humain en un seul corps n'ayant plus d'intérêts divergents ni séparés. L'État unique, tout puissant et centralisé, n'aura plus en face de lui que de simples individus. « Plus une nation est grande, disait Cloots, plus les individus sont petits et plus étroitement ils peuvent être subordonnés « à la masse » […] Le Tout, le despote par excellence, la Loi universelle réalisera les fables de l'Âge d'or. » Anacharsis Cloots, Basses constitutionnelles de la république du genre humain.

Le gouvernement mondial ne sera rien d'autre que l'apparition au grand jour de l'oligarchie qui œuvre depuis des décennies à la fusion du genre humain en une masse malléable. Cette masse est asservie par des besoins artificiels créés par ceux qui détiennent le pouvoir financier et économique. Le gouvernement de tous les asservis de la planète, c'est la dictature mondiale !


En anglais, The New World Order by H. G. Wells, à lire sur Google books




Bernard Werber utilise des mots (imposer, contrôler, police...) qui révèlent bien la nature du gouvernement mondial qu'il appelle de ses vœux. Werber évoque la lutte contre les dictatures. Mais derrière ces dictatures fantoches, il y a le pouvoir financier mondial et l'oligarchie qui veut maintenant gouverner ouvertement le monde. 

dimanche, novembre 20, 2011

Enki Bilal est un propagandiste du gouvernement mondial





Le dimanche 19 novembre 2011, Enki Bilal, invité de Laurence Garcia dans le 5/7 du week-end (France Inter), a déclaré :

« Il est temps de songer très sérieusement à une gouvernance mondiale. On ne s'en sortira pas autrement... On n'a pas le choix... »

Par ailleurs, Enki Bilal a dit à propos de Jacques Attali : « Je pense comme lui qu’une gouvernance mondiale peut régler les problèmes d’aujourd’hui. » 


Enki Bilal est un dessinateur visionnaire, en 1983, dans « Partie de Chasse » (scénario de Pierre Christin), il met en image la chute de l’empire soviétique et imagine les attentats du 11 septembre 2001 dans « Le Sommeil du Monstre », publié en 1998.

Le Sommeil du Monstre :

« L'histoire se déroule en 2026, dans un contexte de mondialisation et de terrorisme orchestré par l'Obscurantis Order, mouvement monothéiste radical qui souhaite éliminer toute science et tout savoir, mais ne se gêne pas pour employer des technologies de doublures robotiques et de mouchard miniatures divers dirigé par les « numéros premiers », trois individus mystérieux, dont le docteur Optus Warhole, autoproclamé « incarnation du mal suprême ».

Nike Hatzfeld, le personnage principal, a une mémoire phénoménale et se souvient jusqu'à ses premiers jours auprès de Amir et Leyla dans l'hôpital de Sarajevo. Il a juré dès ce jour de les protéger et souhaite les rencontrer, et va se retrouver pris dans une vaste machination de l'« O.O. ». »
 (Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Sommeil_du_monstre )

Ecouter l'émission :

Enki Bilal a réalisé plusieurs films : Immortel, Tykho Moon, Bunker Palace Hotel.



samedi, novembre 19, 2011

Le Démon et mademoiselle Prym





Bernard Werber s'est transformé en « channel » occasionnel en écrivant en écriture automatique une partie de son livre « Les Thanatonautes » (Bernard Werber, la philosophie-fiction ou leNouveau Nouvel Age ?) Des prophètes du Nouvel Age seraient des « channels », c'est-à-dire des médiums, des intermédiaires, choisis par des maîtres ascensionnés, des dieux, des archanges, des extraterrestres... Ces prophètes ne craignent pas d'être trompés par des Asura, des anti-dieux, des démons qui personnalisent les forces négatives dans toutes les traditions religieuses.

Dans « Le Démon et mademoiselle Prym », Paulo Coelho évoque le combat d'Ahriman et des démons contre Ormuzd. Selon la mythologie de l'ancienne Perse, la race humaine fut créée afin de lutter avec Ormuzd contre Ahriman et ses cohortes infernales.

Dans une note introductive, Paulo Coelho écrit :

« La première histoire à propos de la Division naît dans, l’ancienne Perse : le dieu du temps, après avoir créé l’univers, prend conscience de l’harmonie qui l'entoure mais sent qu’il manque quelque chose d’important - une compagnie avec laquelle jouir de toute cette beauté.

Durant mille ans, il prie afin d’avoir un fils. L’histoire ne dit pas qui il implore, étant donné qu’il est tout-puissant, seigneur unique et suprême. Néanmoins il prie et finit par concevoir.

A l’instant même où il perçoit qu’il a obtenu ce qu’il souhaitait, le dieu du temps regrette d’avoir voulu un fils, conscient que l’équilibre des choses est très fragile. Mais il est trop tard. A force de supplications, il obtient cependant que le fils qu’il porte dans son ventre se scinde en deux.

La légende raconte que, de même que de la prière du dieu du temps naît le Bien (Ormuzd), de son repentir naît le Mal (Ahriman) – frères jumeaux.

Préoccupé, il fait en sorte qu’Ormuzd sorte le premier de son ventre, pour maîtriser son frère et éviter qu’Ahriman ne provoque des dégâts dans l’univers. Toutefois, comme le Mal est rusé et habile, il parvient à repousser Ormuzd au moment de l’accouchement et il voit le premier la lumière des étoiles.

Dépité, le dieu du temps décide de fournir des alliés à Ormuzd : il fait naître la race humaine qui luttera avec lui pour dominer Ahriman et empêcher que celui-ci ne s’empare de tout.

Dans la légende persane, la race humaine naît comme l’alliée du Bien et, selon la tradition, elle finira par vaincre. Une autre histoire de la Division, cependant, surgit des siècles et des siècles plus tard, cette fois avec une version opposée : l’homme comme instrument du Mal.

Je pense que la majorité de mes lecteurs sait de quoi je parle : un homme et une femme vivent dans le jardin du paradis, savourant toutes les délices qu’on puisse imaginer. Une seule chose leur est interdite – le couple ne peut pas connaître ce que signifient Bien et Mal. Le Seigneur tout-puissant dit (Genèse, 2, 17): « De l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas.»

Et un beau jour surgit le serpent qui leur garantit que cette connaissance est plus importante que le paradis et qu’ils doivent l'acquérir. La femme refuse, en disant que Dieu l’a menacée de mort, mais le serpent l'assure que rien de tel ne lui arrivera, bien au contraire : le jour où leurs yeux s’ouvriront, ils seront comme des dieux qui connaissent le bien et le mal. Convaincue, Ève mange le fruit défendu et en donne un morceau à Adam. A partir de ce moment, l'équilibre originel du paradis est rompu et le couple est chassé et maudit. Mais Dieu alors prononce une phrase énigmatique : « Voilà que l'homme est devenu comme l’un de nous, pour connaître le bien et le mal ! »

Dans ce cas également (comme dans celui du dieu du temps qui prie pour demander quelque chose alors qu’il est le seigneur absolu), la Bible n’explique pas à qui Dieu s’adresse, ni – s’il est unique – pourquoi il dit « l’un de nous ».

Quoi qu’il en soit, depuis ses origines la race humaine est condamnée à se mouvoir dans l’éternelle Division entre les deux opposés. Et nous nous retrouvons ici et maintenant avec les mêmes doutes que nos ancêtres. Ce livre a pour objectif d’aborder ce thème en utilisant, à certains moments de son intrigue, des légendes qui l'illustrent.

Avec Le Démon et Mademoiselle Prym, je conclus la trilogie « Et le septième jour... », dont font partie Sur le bord de la rivière Piedra, je me suis assise et j'ai pleuré (1995) et Veronika décide de mourir (2000). Ces trois livres évoquent ce qui arrive en une semaine à des personnes ordinaires, soudain confrontées à l'amour, à la mort et au pouvoir. J’ai toujours cru que les profonds changements, tant chez l'être humain que dans la société, s’opèrent dans des laps de temps très courts. C’est au moment où nous nous y attendons le moins que la vie nous propose un défi destiné à tester notre courage et notre volonté de changement ; alors, il est inutile de feindre que rien n’arrive ou de se défiler en disant que nous ne sommes pas encore prêts.

Le défi n’attend pas. La vie ne regarde pas en arrière. Une semaine, c’est une fraction de temps plus que suffisante pour savoir si nous acceptons ou non notre destin. »

Buenos Aires, août 2000

Extrait :

Depuis lors, la présence du démon était devenue de plus en plus assidue. Il partageait sa vie et savoir qu’il s’était totalement emparé de son âme ne lui causait ni plaisir ni tristesse.

A mesure qu’ il se familiarisait avec le démon, il s’efforçait d’en savoir davantage sur l'origine du Mal, mais aucune de ses questions ne recevait de réponse précise :

« Il est vain d’essayer de découvrir pourquoi j’existe. Si vous voulez une explication, vous pouvez vous dire que je suis la façon que Dieu a trouvée de Se punir pour avoir décidé, dans un moment de distraction, de créer l'univers. »

Puisque le démon ne parlait guère de lui-même, l’homme se mit à chercher toutes les informations relatives à l'enfer. Il découvrit que, dans la plupart des religions, existait un « lieu de châtiment » où allait l'âme immortelle après avoir commis certains crimes contre la société (tout semblait être une question de société, non d'individu). Selon une croyance, une fois loin du corps, l’esprit franchissait une rivière, affrontait un chien, entrait par une porte qui se refermait derrière lui à jamais. L'usage étant d’ensevelir les cadavres, ce lieu de tourments était décrit comme un antre obscur situé à l'intérieur de la terre, où brûlait un feu perpétuel – les volcans en étaient la preuve – et c’est ainsi que l’imagination humaine avait inventé les flammes qui torturaient les pécheurs.

L’homme trouva une des plus intéressantes descriptions de la damnation dans un livre arabe où il était écrit que, une fois exhalée du corps, l'âme devait cheminer sur un pont effilé comme la lame d’un rasoir, avec à sa droite le paradis et à sa gauche une série de cercles qui conduisaient à l'obscurité interne de la Terre. Avant d’emprunter le pont (le livre ne disait pas où il conduisait), chacun tenait ses vertus dans la main droite et ses péchés dans la gauche – le déséquilibre le faisait tomber du côté où ses actes l’avaient entraîné.

Le christianisme parlait d’un lieu où s'entendait une rumeur de gémissements et de grincements de dents. Le judaïsme se référait à une caverne intérieure ne pouvant recevoir qu’un nombre déterminé d’âmes – un jour l’enfer serait comble et le monde finirait. L’islam évoquait un feu où nous serions tous consumés, « à moins que Dieu ne désire le contraire ». Pour les hindous, l’enfer ne serait jamais qu’un lieu de tourments éternels, puisqu’ils croyaient que l’âme se réincarnait au bout d’un certain temps afin de racheter ses péchés au même endroit où elle les avait commis, c’est-à-dire en ce monde. Toutefois, ils dénombraient vingt et un lieux d’expiation, dans un espace qu’ils avaient l’habitude d’appeler les « terres inférieures ».

Les bouddhistes, de leur côté, faisaient des distinctions parmi les différents types de punition que l’âme pouvait subir : huit enfers de feu et huit de glace, sans compter un royaume où le damné ne sentait ni froid ni chaleur, mais souffrait d’une faim et d’une soif sans fin.

Cependant, rien ne pouvait se comparer à la prodigieuse variété d’enfers qu’avaient conçue les Chinois. A la différence de ce qui se passait dans les autres religions – qui situaient l’enfer à l'intérieur de la Terre –, les âmes des pécheurs allaient à une montagne appelée Petite Enceinte de Fer, elle-même entourée par une autre, la Grande Enceinte. Entre les deux existaient huit grands enfers superposés, chacun d’eux contrôlant seize petits enfers qui, à leur tour, contrôlaient dix millions d’enfers sous-jacents. Par ailleurs, les Chinois expliquaient que les démons étaient formés par les âmes de ceux qui avaient déjà purgé leur peine. Du reste, ils étaient les seuls à expliquer de façon convaincante l'origine des démons : ils étaient méchants parce qu’ils avaient souffert de la méchanceté dans leur propre chair et qu’ils voulaient maintenant l'inoculer aux autres, selon un cycle de vengeance éternel.


Le Démon et mademoiselle Prym





vendredi, novembre 18, 2011

Bernard Werber, la philosophie-fiction ou le Nouveau Nouvel Age ?






Werber ? Il est inclassable disent ses lecteurs. Lorsqu’il faut cependant se résoudre à le définir, tous en tout cas récusent l'étiquette science-fiction souvent attachée à ses livres. Certains proposent le mot anticipation mais en ajoutant immédiatement que ses histoires tiennent aussi du roman policier et de la quête spirituelle. Bref, Werber est un genre à lui tout seul, et, comme il reconnaît être lui-même son meilleur public, il a d’ailleurs inventé un terme pour le désigner: la « philosophie-fiction ».

Un genre où les questions importent plus que les réponses et où, pour lui, « philosophie et science se rejoignent dans ce qu’on pourrait nommer la spiritualité laïque ». On semble bien loin de l'ésotérisme, même sous sa forme recomposée : c’est d’ailleurs un terme que les lecteurs n’emploient presque jamais (ils disent plus volontiers qu’il invente une nouvelle religion), tandis que lui-même nie véhiculer des idées proches de celles du New Age, d’un bouddhisme revu par l'Occident et même de l’écologie. Pourtant, tout comme Paulo Coelho, il est l’une des principales références des lecteurs de James Redfield ( auteur de La Prophétie des Andes. Certains ont d’ailleurs commencé des lectures plus directement ésotériques après avoir lu les Thananatonautes ou L’Empire des anges. Deux livres qui, avec Nous les Dieux – le dernier de la trilogie qui, étant lui-même en trois volumes, constituera une nouvelle trilogie. à lui tout seul (les lecteurs s’y perdent) –, sont d’ailleurs à l’honneur dans les vitrines des librairies spécialisées.

Il est vrai que le contenu même de ces derniers livres - NDE, descriptions du paradis, vie des anges gardiens, explications sur le cycle des réincarnations, tout cela étayé par des grands textes religieux ou ésotériques – ne laisse aucun doute sur ses sources d'inspiration. Pourtant, la présence au paradis d’anges historiques – comme Émile Zola ou Marylin Monroe - ou sur Aeden de chimères, de centaures et de toute la clique des dieux grecs, invite très clairement à prendre l'histoire au second degré. Néanmoins, et au-delà même de ces romans, il semble bien y avoir chez Werber un ensemble d’idées qui commence à nous devenir familier. Notons tout d’abord sa volonté, omniprésente, de réconcilier la science et les grandes religions pour aboutir à une nouvelle forme de conscience. Sa façon aussi de mettre systématiquement en relation l'infiniment grand et l'infiniment petit et sa façon de faire varier l'échelle des regards portés sur notre espèce (l'infra-humain avec les fourmis pour qui nous pouvons apparaître comme des dieux, le suprahumain avec les dieux pour qui nous ne valons guère mieux que des fourmis). Son insistance sur la notion même de relativité : d’une certaine façon, et on reviendra plus tard sur sa passion des paradoxes, il n’est d’absolu que dans le relatif. Son adhésion à l’idée de noosphère (qu’il appelle aussi idéosphère) et qui expliquerait les phénomènes de synchronicité et autres bizarreries parfois observables. Sa conviction que l'homme n’a de compte à rendre qu’à lui même et ne doit apprendre que de lui-même (avec la doctrine des 4 A : autodidacte, autonome, anarchiste, agnostique). L'idée que des sagesses anciennes se sont perdues (avec des thèmes comme le chamanisme, le féminin sacré. . .). Le sentiment enfin que si l'homme ne change pas, nous sommes à la veille d'une catastrophe écologique et humaine, avec une vision de l'avenir qui oscille entre optimisme et apocalypse. S’y ajoute bien sûr l’idée corollaire que les hommes de bonne volonté doivent mener une révolution douce, qui, pour lui, doit passer par Internet. Il a d’ailleurs créé un site, dont l'adresse est maintenant indiquée sur la quatrième de couverture de ses livres ( http://www.bernardwerber.com/ ) et qui sert de relais à ses idées. Avec une page d’accueil présentant un tunnel de lumière sur fond de ciel nuageux, ce site n’est pas seulement une annonce de l'actualité de l'auteur, mais un lieu où il parle longuement de lui (il semble intarissable sur le sujet) et plus encore le moyen de constituer une communauté virtuelle composée d’individus qui essayent d’imaginer l'avenir de l'humanité, les internautes participant ainsi à la création des branches de ce qu’il nomme « l'arbre des possibles ».


Toutes ces idées étaient présentes dès les premiers livres de Werber et sont assez couramment répandues pour en devenir presque invisibles ou relever d’un simple humanisme allié à une culture de journaliste scientifique et de passionné de science-fiction (son « maître» étant Philip K. Dick). Il n’en reste pas moins que Bernard Werber semble cultiver une certaine ambiguïté quant à son degré d’adhésion aux histoires qu’il raconte. Parlant des Thanatonautes, il explique par exemple :

« Certains passages ont été écrits en écriture automatique. C'est-à-dire qu’il n’y avait pas d'intention d'intégrer le récit à une intrigue, mes doigts couraient tout seuls sur le clavier et je relisais après pour découvrir ce que j'avais écrit. J'ai très peu changé la structure de la première mouture. Tout simplement parce que je ne comprenais pas bien pourquoi j’avais écrit ça comme ça et que ça m'intriguait. Encore maintenant ce livre exerce sur moi une étrange fascination. Plus tard j'ai d’ailleurs compris pourquoi j’avais ainsi rédigé certains passages. Parfois je rencontre des lecteurs qui me parlent des Thanas et qui semblent avoir compris plus de choses que moi dans ce livre. » (Sur http://www.bernardwerber.com/

Il ne va pas jusqu’à dire qu’il s’est par moment transformé en channel mais c’est bien ainsi que certains comprendront la chose.

De même, il ne cesse de revendiquer le fait qu’il ait enquêté sur les sujets dont il parle et que ses livres s’appuient sur des données scientifiques exactes. Il dit faire de la vulgarisation scientifique, avec certaines libertés toutefois :

« Je me suis fixé une limite qui est la vraisemblable par rapport au vrai prouvé. Dans Vingt mille lieux sous les mers, Jules Verne explique le fonctionnement du sous-marin électrique; quand on le lit on se dit: ça peut exister, ça va exister...

Si un jour je parlais de l'existence de lutins dans les forêts, je ne conclurais qu’après avoir mené l'enquête contradictoire des indices possibles. »

Mais qu’en est-il lorsqu'il s’agit des NDE ou des anges gardiens ?

Dernier exemple, Le Livre du voyage est un véritable manuel de méditation et de développement personnel. C’est le livre dont le lecteur est le héros. Il y est convié à un voyage particulier, une expérience de sortie du corps, dans laquelle il survolera sous la forme d’un albatros les quatre éléments, apprendra à vaincre son ennemi intérieur, à combattre le système, la maladie, la malchance, la mort, à se créer un refuge secret. Il rencontrera ainsi son passé, ses ancêtres, Gaïa la terre qui lui parle, puis la galaxie, avant de rentrer à nouveau dans son corps et de se retrouver le livre entre les mains.

« La particularité de ce voyage, c’est que tu en es le héros principal. Tu l’as déjà été. Mais c’était jusque-là, comment dire, plus... indirect. On ne te l'avait pas signalé mais : Jonathan Livingstone, du roman de Richard Bach c’était déjà toi. De même que Le Petit Prince de Saint-Exupéry, L’Homme qui voulut être roi de Kipling, Le Prophète de Khalil Gibran, le messie de Dune et Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. Ces héros étaient, encore et toujours, toi. Mais ce n'était pas ouvertement exprimé. » (P. 9.)

Werber y pousse d’ailleurs jusqu’au bout cette manière de contrat que nous avions vu Lee Carroll mettre en œuvre avec ses lecteurs : ne lisez pas ce chapitre si vous pensez qu’il va vous choquer. Ici, c’est le livre qui met le marché en main :

« Si tu n’es pas prêt, mieux vaut nous séparer tout de suite. Si tu te sens mûr pour sceller ce contrat, il va falloir que tu accomplisses un geste... Tu tourneras la page quand tu auras lu la phrase : Alors... tu y vas ? Si tu accomplis cet acte, je considère le contrat comme signé. » (P. 16.)

Il s’agit, nous dit Werber, d’un livre expérimental qui a fait suite à des recherches qu’il a menées sur l'hypnose. Il n’en reste pas moins que cet ouvrage entretient avec la fiction des rapports ambigus, un peu comme le Manuel du guerrier de la lumière de Paulo Coelho.

Que faut-il donc en déduire ? Faut-il y voir une astuce d’écrivain profitant d’une mode, l'évolution de la pensée d’un auteur vers une forme de spiritualité, ou le dévoilement progressif et raisonné d’un message ésotérique dont il se pense vraiment le vecteur ? Impossible d’apporter une réponse.

L'incertitude s’accentue encore et confine au malaise à la lecture d’une interview de Bernard Werber à Nouvelles clés, une des meilleures revues consacrées à la spiritualité, dirigée par Patrice van Eersel, un ancien journaliste d’Actuel qui s’est depuis spécialisé dans les enquêtes sur le paranormal, en particulier sur les expériences de mort imminente. Werber y parle de sa théorie de la VMV, la voie de la moindre violence :

« Parmi tous les possibles, il y en a forcément un qui se réalise avec moins de violence que les autres. Il se peut qu’il faille un peu de violence à court terme pour éviter beaucoup de violence à long terme. Et alors se pose la question inévitable du despote éclairé. Aujourd’hui, en politique, le sujet est tabou. Les sondages l'interdisent. Dès que la nécessité de mesures pénibles approche, tout le monde se sauve. »

Et il est vrai que ses histoires semblent présenter un modèle de gouvernement idéal avec un (ou plus souvent une) leader, éveillé spirituellement, qui constitue une sorte de récepteur de l’énergie qu’elle redistribue à ses sujets, des citoyens éduqués, dynamiques, dotés d’un grand sens des responsabilités. La critique de la démocratie au profit d’une société spirituelle et plus ou moins théocratique est, il est vrai, un topos de la littérature de science-fiction, mais l'adhésion tacite qu’elle semble susciter, chez les jeunes surtout, n’en est peut-être que plus sensible.

Si l’on quitte le fond pour la forme, on se rend compte que l'écriture même de Werber, ou ce qu’il en dit, s'inspire également d’une certaine vision de la tradition ésotérique. Il considère l'écriture comme un artisanat, pour lequel il applique des règles précises, une discipline rigoureuse. Les Fourmis, nous dit-il, a été écrit sur le modèle de l'architecture de la cathédrale d’Amiens. Il (ou plutôt son personnage Jacques Nemrod lancé dans l’écriture d’un roman sur les rats) nous en explique la technique dans L’Empire des anges.

« Je me rends compte qu’il me faut construire un échafaudage qui soutiendra toute l'histoire et fera que les scènes tomberont à tel endroit et non à tel autre, de façon purement aléatoire. Utiliser une structure géométrique ? Bâtir des histoires en forme de cercle ?... déjà vu. Une histoire en forme de spirale ? déjà vu aussi... Je songe à des figures géométriques plus compliquées. Pentagone, Hexagone, Cube, Cylindre. Pyramide. Tétraèdre. Décaèdre. Quelle est la structure géométrique la plus complexe ? La cathédrale. J’achète un livre sur les cathédrales et je découvre que leurs formes correspondent à des structures liées aux dispositions des étoiles dans le cosmos. Parfait, je vais écrire un roman en forme de cathédrale... Je reproduis méticuleusement le plan de la cathédrale sur une grande feuille de papier à dessin et m'arrange pour que les évolutions de mon récit s'intègrent dans ses repères millénaires. Les croisements de mes intrigues correspondront aux croisement des nerfs, mes coups de théâtre aux clefs de voûte. »

Il tentera même une version en « acrostiche », où la première lettre de chaque phrase construisait une autre histoire cachée.

Il revendique aussi de pratiquer une forme d’écriture didactique, non seulement parce que ses histoires ont une morale, comme les fables ou les contes philosophiques, mais parce qu’il larde ses récits d’anecdotes scientifiques, de devinettes, d’exposé de paradoxes célèbres... Dans Les Fourmis, par exemple, il conte simultanément ce qui se passe chez les hommes, ce qui arrive dans la cité des fourmis et cite des extraits de L’Encyclopédie du savoir relatif et absolu d’Edmond Wells, un biologiste et philosophe ayant passé sa vie à étudier la civilisation fourmi, personnage et manuscrit que l’on retrouve dans presque tous les livres de Werber. L’Encyclopédie, publiée indépendamment (sous deux versions : Le Livre secret des fourmis et L’Encyclopédie du savoir relatif et absolu, ESRA pour les habitués) est d’ailleurs devenue le livre culte des amateurs de Werber. Elle est essentiellement composée d’anecdotes scientifiques, de réflexions sur les comportements humains, l'histoire, les rapports entre civilisations, l'univers, mais aussi d’énigmes (carrés magiques, paradoxe d’Épiménide, charade de Victor Hugo...), de décryptages symboliques (les chiffres, les cartes, le nombre d’or, le mot vitriol, la formule abracadabra.. .) et de recettes de cuisine (le pain et les îles flottantes). Statut ambivalent donc que celui de L’Encyclopédie qui, même incluse dans la fiction, n’en reste pas moins un texte argumentatif, mais aussi une sorte de morale permanente, un guide de décryptage. 

On se tromperait cependant en pensant que les livres de Werber sont compliqués. Leurs « secrets» sont plus faits pour être découverts et stimuler le lecteur que pour cacher quoi que ce soit. Leur simplicité stylistique est même l’un des reproches récurrents faits à l’auteur qui réplique en affirmant que seule compte l'intrigue. Tenant de la fable (qui utilise le monde animal pour parler de celui des hommes), du conte initiatique (le lecteur comme le héros doit sortir transformé de l’aventure), et de romans que l'on pourrait qualifier de « civilisationnels » (ceux qui inventent des mondes), ces histoires sont incontestablement construites pour toucher le plus grand nombre et apporter du plaisir. Werber est un conteur qui se préoccupe de ceux à qui il s’adresse. Et son public le lui rend bien. Car les lecteurs de Werber sont des fidèles qui ont tout lu de lui, et même si certains préfèrent la trilogie des fourmis et d’autres celle des Thanatonautes, tous en tout cas adorent L’Encyclopédie du savoir relatif et absolu.

Claudie Voisenat et Pierre Lagrange, L'ésotérisme contemporain et ses lecteurs.



L'ésotérisme contemporain et ses lecteurs







jeudi, novembre 17, 2011

Apocalypse & tyrannie mortifère




Un tour d'horizon dans l'imaginaire permet de dénouer, à travers nos fantasmes d'angoisse, les signes de mort d'une société malade de ses progrès. L'homme d'aujourd'hui a peur, et, entre autres symptômes, la science-fiction est une mine d'éléments captivants pour qui se propose de mesurer l'ampleur de son désarroi.
Louis-Vincent Thomas

La hantise de l'apocalypse est inséparable du sentiment de culpabilité. La peur que nous inspire la fin du monde prend sa source dans l'inconfort de nos consciences. Même si on ne craint plus le châtiment de Dieu, les preuves de nos erreurs et de nos maladresses nous font appréhender chaque jour davantage des calamités que nous croyons avoir méritées. Pourtant, dans les obsessions que nous venons d'envisager qu’il s’agisse de cataclysmes, d’accidents, d'effets pervers de la technique ou d'agression animale, l'homme apparaît plutôt comme la victime impuissante d’un ordre de choses qui le dépasse. Bien sûr, la victime sait bien qu’elle n’est pas pure et que cet ordre de choses lui est, plus ou moins imputable. Mais du moins n’a-t-elle pas voulu explicitement ces conséquences fâcheuses dans son illusion de servir l'homme par la conquête du bien-être, même au prix du crime de lèse-nature. Si l’ère des lumières a connu cette naïveté sereine, nous commençons à douter sérieusement de la qualité de notre vie et de l'avenir qui nous attend.

Que la technologie tue par inadvertance ou à petit feu par l'aliénation qu’elle impose, cela suffit amplement à fonder notre culpabilité. Mais si l’on considère, en outre, qu’elle prépare minutieusement l'arsenal des guerres atomiques qui mettront l'humanité en péril, la hantise de l'apocalypse n’est plus dans l'ordre des divagations. Elle, procède de la lucidité et se rationalise selon un schéma parfaitement logique. Plus question d'apprenti-sorcier coupable tout au plus d’orgueil et d'inconséquence. La volonté de mort est explicite même si on escamote la culpabilité sous les arguments de la dissuasion. L'angoisse atomique qui commence à tenailler le monde moderne est à la mesure de l'infamie que représente la course aux armements et de l'horreur de l'anéantissement qui nous guette.

Nous avons lourdement insisté sur cette espèce de délire frénétique et dévastateur qui déconsidère ceux qui nous gouvernent et ceux qui dépendent de leur pouvoir. Empruntant à M. Serres le terme de thanatocratie, nous avons tenté de définir cette vaste conspiration mortifère qui menace l’humanité. Qu’il s’agisse du pouvoir paranoïaque qui vise la domination totale par la guerre ou du pouvoir pervers qui installe son hégémonie sur le triomphe de l’Économie, tous les efforts se combinent et se rejoignent pour enclore le monde dans un système qui le tue. Il n’est que de constater l'échec des tentatives timorées de désarmement pour comprendre que le commerce et la fabrication des armes sont un impératif dont se nourrit le pouvoir, même quand il se prétend démocratique et libéral. […]

La peur et l'indignation ont déjà soulevé des remous mais ce n'est pas le mode d’action qui nous intéresse ici. Nous reviendrons à l'imaginaire en cherchant, dans la Science-Fiction, vers quels fantasmes nous égare la hantise d’une apocalypse ouvertement fomentée par les hommes eux-mêmes.

La panoplie moderne n’a pas manqué d’exciter l'imagination des auteurs qui rivalisent d'invention diabolique. La « pierre-zéro » de J. Moselli (La fin d'Illa) est de l'hélium solidifié : chauffée à une certaine température, elle se désintègre, volatilisant les objets vivants et inanimés sur un rayon considérable. Le « ravageur » de C. D. Simak (Le dernier cimetière) est une machine infernale avec puissance nucléaire incorporée qui est en outre indestructible car elle s’autorépare. L’« arme Icare » de P. K. Dick (L'homme variable) est un cylindre de métal dont la vitesse peut atteindre 50 fois celle de la lumière, sa longueur devenant, à la limite, nulle et sa masse infinie. Quand il revient dans l'univers spatio-temporel, la collision avec la matière provoque alors une explosion titanesque. La « bombe solaire » de R. Barjavel (La nuit des temps) dégage une température fantastique qui provoque la fusion des roches; elle disloque les continents, provoquant de terribles séismes qui font basculer la Terre. Au cinéma, l'imagination ne manque pas non plus, mais l'explosion de la seule bombe H, telle qu’on la suppose déjà réalisée, suffit à suggérer l’horreur dans plusieurs films (Docteur Falamour, The War Game, The Day the Earth Caught Fire...) .

Mais ce qui est intéressant dans ces récits, c’est peut-être moins la manière dont on tue ou menace de tuer que les modalités qui conduisent à l’inéluctable destruction. C’est le Pouvoir en place qui détient les moyens de mort et en use et, dans les différents romans ou films, on retrouve, fidèlement calquées ou démesurément grossies, les procédures classiques des dirigeants modernes. Ou bien il s’agit d’un tyran belliqueux qui terrorise par une répression sans merci et se lance dans des guerres exterminatrices ; ou bien ce sont des technocrates pervers qui, par un hyper-conditionnement savamment calculé, règnent sur une société pétrifiée. Les deux peuvent coexister ; mais, dans la réalité aussi, « le charisme devient technocratique et la technocratie se personnalise » (E. Enriquez).

La société industrielle du XXIIe siècle, aux yeux de M. Adlard (Interface), est, à coup sûr, le modèle caricatural de la société perverse : Tcité, mégalopole close, rigoureusement assujettie aux lois des dirigeants d’un complexe industriel, est d'une espèce de microcosme qui ressemble étrangement au système clos, État universel et homogène, vers lequel tendent les technocrates de notre fin du XXe siècle. Les citoyens-consommateurs n’ont plus rien d’humain ; enlisés dans la passivité, ils n’ont même pas conscience de leur aliénation, englués qu’ils sont dans la jouissance que dispensent des robots, auto-copains et aphrobelles, et les « paquets de félicité », sorte de drogue aphrodisiaque : « Une cohorte de morts, une légion de condamnés » encerclés dans un univers entièrement automatisé, fichés, contrôlés par les « cyborgs » dont le cerveau électronique ne connaît que la règle. Aussi ont-ils perdu la faculté de créer, la technologie ayant tué l'art ; et c’est « l’âge de la Dénaissance ».

Le même relent de mort émane de la nouvelle Société décrite par F. Pohl et C. M. Kornbluth dans Planète à gogos. Là, le machiavélisme est au service de la publicité, chaque individu étant une machine à produire et un consommateur forcé : « Nous étions tous au fond capables de n’importe quoi pour servir notre dieu de la vente. » Ce « n’importe quoi » recouvre de stupéfiantes techniques de conditionnement qui abolissent toute différence et suppriment toute liberté. Ainsi se constitue une forme particulière de société totalitaire telle que l’a dénoncée H. Marcuse, non pas sous la pression du terrorisme mais par le jeu de la violence symbolique dans l'habile manipulation des besoins.

L'orbite déchiquetée de J. Brunner nous transporte à New York en 2014 où cette manipulation des besoins s’est faite un sens très particulier pour promouvoir une technologie de la violence. Sabotages, trahisons, assassinats sont le lot quotidien d’une ville surpeuplée et empoisonnée par les haines raciales. Reprenant le schéma bien connu des trafiquants d’armes de notre époque, on pousse les gens à s’armer toujours davantage, ce qui multiplie la peur et le danger et assure l’escalade de la vente et de la production. Une mafia contrôle le marché, attisant les antagonismes, vendant moins cher aux Noirs pour forcer les Blancs à acheter à n'importe quel prix. De surenchère en surenchère, c’est le triomphe de la technologie dévastatrice dans un monde dévoré d’angoisse et complètement asservi à l'appareil de production : « Nous finirons sur une orbite déchiquetée, comme une fusée désemparée aux moteurs enrayés, parfois la tête en haut, parfois la tête en bas, et parfois penchés selon des angles inquiétants. »

La perversité atteint son comble avec le Saint-Office Dirigeant de Fœtus-party (P. Pelot) qui se veut démocratique et fraternel. Nous avons rappelé plus haut comment, dans ce monde surpeuplé, il pallie la pénurie par le recyclage des ordures et des cadavres afin de distribuer, conformément à la justice et à l'égalité, de maigres rations alimentaires. Par tous les moyens on s’efforce de limiter le nombre des consommateurs : le « jeu du Piniachet » qu’on propose dans les rues se solde par la mort du gagnant et du perdant ; on pousse à l'avortement en amenant les femmes enceintes à subir un test au cours duquel le fœtus est soi-disant amené à refuser la vie ; les slogans publicitaires ne vont plus dans le sens de la consommation-gaspillage mais, au nom d’une nouvelle mystique du Bien et de la vie,on exhorte les gens à mourir pour être récupérés : « Crématoire 12 – Engrais de qualité : vieillards, communiez ! Donnez votre vie pour une autre. » Ainsi, 15 milliards d'humains acceptent un régime qui a « domestiqué » la technologie pour survivre sur une terre ruinée en richesses naturelles. Mais en fait, les visées généreuses du Saint-Office Dirigeant recouvrent la cupidité et la soif du pouvoir : c'est une politique du Mal et de la Mort qui se poursuit dans le mensonge et s'achèvera dans le suicide de l'espèce humaine.

Les mêmes motivations avec des modalités plus brutales et des conséquences analogues se retrouvent dans la société imaginée par G. Orwell dans un livre écrit en 1950. L'auteur installe à Londres, en 1984, le siège du gouvernement d’un super-État, l'Océania, où Big Brother règne en maître absolu. Dans ce monde sinistre, toutes les valeurs sont inversées : « La guerre, c’est la paix » - La liberté, c’est l'esclavage - L'ignorance, c’est la force. » Tels sont les trois slogans du Parti. La Police de la Pensée fait observer la nouvelle orthodoxie ; les hélicoptères patrouillent devant les fenêtres et, dans les maisons, les « télécrans » sont en même temps émetteurs et récepteurs : ils assurent le conditionnement idéologique et enregistrent les réactions des individus. Big Brother, comme tout leader charismatique, est en outre l'objet d'un culte, « un point de concentration pour l'amour, la crainte et le respect ». Cette mystique est dûment entretenue par les effigies innombrables et de grand format placardées partout et soulignées d'un obsédant avertissement : BIG BROTHER VOUS RBGARDE. La visée totalitaire de ce chef infaillible et tout-puissant est double : « Conquérir toute la surface de la terre et éteindre une fois pour toutes les possibilités d’une pensée indépendante. » La recherche scientifique est exclusivement axée sur ces deux problèmes. Il faut perfectionner les techniques de la Police de la Pensée pour contrôler ce qui se passe dans la tête d’un être humain a rechercher de nouvelles armes pour « tuer plusieurs centaines de millions de gens en quelques secondes ». Le résultat final, auguré pour 2050, sera consacré par l'adoption d'une nouvelle langue qui marquera la généralisation des nouvelles manière de penser des rescapés de la répression et de la guerre.

Reinhart, le Préfet de Sécurité de L'homme variable (P. K. Dick), n’a rien à envier à Big Brother ; bien qu’il donne un faux-semblant de démocratie à sa tyrannie, il met tout en œuvre pour mener à bien la guerre nucléaire afin d'anéantir ses rivaux planétaires, les Centauriens. Tout aussi avide de pouvoir est le dictateur d’Illa (I. Moselli, La fin d’Illa) dont l'auteur, qui écrivit son roman en 1925, n’a pourtant pas connu, en acte avec Hitler, les méthodes draconiennes du despotisme nazi. A une époque indéfinie dans un passé lointain, l'ignoble Rair - « un cerveau, une machine à calculer, pas de cœur ni de nerfs » - a régné sur une ville qui était la « reine du monde ». Ses inventions pour triompher, de Nour, la cité rivale, sont aussi ingénieuses que diaboliques. Pour renforcer les facultés psychophysiologiques des Illiens, il décide de les nourrir de sang humain prélevé et mis en réserve par des « machines à sang ». Les suppliciés condamnés par l'appareil de répression constituent une partie de la matière première mais ce sont les Nouriens que Rair veut utiliser à grande échelle. Il possède une arme de guerre, la pierre-zéro (nous en avons parlé plus haut) dont les possibilités de destruction suffisent à intimider les Nouriens qui finiront par livrer le cheptel requis. Pendant ce temps, les « hommes-singes », Illiens dont le cerveau a été atrophié et la force décuplée par des moyens artificiels, s’activent dans les mines pour produire l'hélium de la pierre-zéro. A la fin, le narrateur, un opposant miraculeusement échappé à la folie sanguinaire de Rair, se servira de l'arme-miracle pour faire sauter ce monde infernal. Des explorateurs retrouveront longtemps après son journal parmi les vestiges de la ville maudite enfouie sous les glaces du pôle depuis la déflagration. Ainsi se trouva acheminé à la solution finale un univers où la technologie servit les désirs les plus délirants. Bel exemple d'une stratégie politique où se conjuguent le pouvoir paranoïaque et le pouvoir pervers.

Bien d’autres ouvrages de Science-Fiction sont inspirés par la vision apocalyptique d’un monde dévasté par la guerre, tant à l'échelon de la planète qu’à l'échelon de l’Univers. Certains récits démarrent sur une apocalypse consommée, tel Le désert du inonde (J. P. Andrevon). […] C. D. Simak, utilisant le macabre symbole d’une humanité décimée et d’une planète désertifiée, fait de la Terre le dernier cimetière. Les survivants l’ont abandonnée pour s’installer ailleurs dans l'espace ; mais après dix millénaires, on y revient pour en faire « un vaste cimetière galactique... ; plus qu’un champ de repos ordinaire : un mémorial et un lien qui unit toute l'humanité ». Une entreprise capitaliste dénommée Terre-Mère S.A. assure les services d'inhumation et d’entretien des monuments funéraires, et organise des pèlerinages touristiques à bord du « vaisseau funèbre ». Il s’agit donc bien ici de la destruction physique, totale ou partielle, de la Terre et de ses habitants et ce thème d'inspiration n’est pas rare. Mais ne faut-il pas voir également une véritable apocalypse en acte dans les récits qui décrivent une société paroxystique où l'homme a cessé d’exister en tant qu’homme ? Broyées dans les rouages de la technologie ou anéanties par la menace et le conditionnement, les créatures que les auteurs placent dans ces mondes aberrants ne sont plus que des objets manipulés, des morts. N’est-ce pas déjà cela l'apocalypse : l'hyper-rationalité au service d’un pouvoir absolu qui a stérilisé la vie ?

S’il est un domaine où la Science-Fiction peut être taxée de science-affliction, c’est bien lorsqu'elle met en scène les outrances du Pouvoir dont l'actualité et l'histoire fournissent l'exemple. Divagations masochistes, exorcisme ou mise en garde, ce futurisme est en fait inventé et reçu comme un « futurible » qui défie le présent. L'auteur qui le crée et le lecteur qui s’en délecté trouvent la même satisfaction morbide dans l'exaltation de la culpabilité et la vision du châtiment.

Louis-Vincent Thomas, Civilisation et divagations.


Civilisation et divagations
mort, fantasmes, sciences-fiction



"L'Occident moderne est la chose la plus dégoûtante de l'histoire du monde"

Une performance d'art moderne occidental : Être traîné avec une bougie dans l'anus sur un sol inondé et sale. La Russie est en train...