mardi, mars 06, 2012

Le pouvoir des rites





Quelques jours avant de décéder d'un myélome, Jean-marc  m'a demandé de venir à l'hôpital afin de procéder à un rituel tibétain et de m'associer à un chaman pour repousser la mort annoncée trop brutalement par un médecin. Ne pouvant se résigner à mourir après plus de six année de lutte contre la terrible maladie, mon ami avait rejeté son athéisme viscéral pour s'accrocher aux croyances les plus archaïques de l'humanité. Avait-il tort ?

« Milan Ryzl, auteur de livres de parapsychologie, relate une série d'expériences télépathiques où l'émetteur essaya de transmettre des accès d'émotion. Quand l'émetteur se concentrait sur l'angoisse de la suffocation, évoquant d'affreuses crises d'asthme, le receveur, à plusieurs kilomètres, souffrait d'un intense accès d'étouffement. Quand l'émetteur se concentrait sur des émotions lugubres et prenait un sédatif, le receveur manifestait la réaction d'EEG appropriée et se mettait à ressentir de violents maux de tête ainsi qu'un état de nausée qui durait des heures. Voilà qui jette une lumière entièrement neuve sur la vieille notion de magie noire. Il ne fait aucun doute qu'une personne qui croit avoir été ensorcelée peut se rendre malade et même mourir par le pouvoir de sa pensée ; pourtant, ces nouveaux travaux donnent à croire qu'il n'est pas nécessaire d'avoir soi-même les pensées destructrices. Quelqu'un d'autre peut les imaginer et les diriger vers nous.

William Seabrook vécut des années parmi le peuple malinké de l'ancienne Afrique occidentale française et nous parle d'un chasseur belge qui maltraitait et tuait ses porteurs locaux jusqu'au jour où, se faisant eux-mêmes justice, ils lui firent jeter un sort par un sorcier. Dans une clairière de la jungle, les Noirs disposèrent un cadavre d'homme réquisitionné dans un village proche, lui passèrent une des chemises du Belge, mêlèrent à ses cheveux quelques cheveux de celui-ci, fixèrent à ses doigts des rognures d'ongles en provenant et rebaptisèrent le corps du nom du chasseur. Autour de cet objet d'envoûtement, ils psalmodièrent et jouèrent du tam-tam, concentrant leur haine malveillante sur l'homme blanc qui se trouvait à des kilomètres. Un certain nombre de ses employés, jouant l'amitié, eurent soin de mettre le Belge au courant de tous ces agissements et ce jusqu'à sa mort. Il ne tarda pas à tomber malade et mourut en effet, apparemment d'autosuggestion. Pour des phénomènes de cet ordre, l'explication admise est qu'une croyance inconsciente en les pouvoirs du sort, même s'il n'a pas été jeté en réalité, peut tuer. Mais la découverte de ce qui semble être une maladie transmise par télépathie donne à soupçonner que la cérémonie elle-même pourrait bien avoir de l'importance. La frénésie de haine autour du cadavre, dans la jungle, avait certainement eu un effet hypnotique sur les participants, ce qui produisait exactement les conditions que l'on sait aujourd'hui nécessaires à la création d'un état télépathique, la « poupée de cire », dans ce cas, ne servant peut-être que de point de rassemblement à des émotions qui exerçaient par elles-mêmes leur action nocive à distance.

On peut considérer dans cette optique, et par hypothèse, tous les accessoires de la magie comme des objets sur quoi, de même que sur l'autel à l'église, l'attention peut être concentrée et autour de quoi l'émotion peut être suscitée. Les sorts qui provoquent l'inhibition sexuelle, la possession, la paralysie et toutes formes de dépérissement reposent indubitablement pour une grande part sur la suggestion. Beaucoup fonctionnent parce que les sorciers croient posséder ces pouvoirs et parce que leurs victimes les croient capables de les utiliser ; cependant, la possibilité d'une action directe sur une personne ignorante ne saurait être négligée.

Il n'y a guère de doute que les procédés de magie rituelle de toute espèce peuvent provoquer des hallucinations. Richard Cavendish décrit le magicien en train de se préparer à l'action par « abstinence et manque de sommeil, ou par la boisson, les drogues et la sexualité. Il inhale des vapeurs capables d'affecter son cerveau et ses sens. Il exécute des rites mystérieux qui font appel aux niveaux les plus profonds, les plus affectifs et les plus irraisonnés de son esprit et il s'enivre davantage encore par le meurtre d'un animal, la blessure d'un être humain ou, dans certains cas, l'approche et l'accomplissement de l'orgasme ». Ce qui inclut à peu près toutes les émotions connues de l'homme. Guère étonnant qu'après tout cela lui et son entourage aient des visions et évoquent de terrifiants démons personnels.

Un complément fréquent à l'art du sorcier et du magicien, c'est un philtre apprêté avec soin en vue d'un effet particulier. Les sorciers étaient des empoisonneurs notoires — les noms bibliques aussi bien qu'italiens pour les désigner se réfèrent spécifiquement à ce talent —, et les poisons préparés se révélaient sans aucun doute efficaces, mais on admet en général que les rites complexes employés pour la réunion et le mélange des ingrédients ne constituaient que des embellissements superstitieux et inutiles. Cela pourrait bien être inexact. Il existe une tradition ancienne d'après quoi on peut préparer à partir du gui un remède contre le cancer, mais que son efficacité dépend entièrement du moment où la plante est cueillie. Un institut suisse de recherche sur le cancer en a récemment fait l'épreuve en effectuant soixante-dix mille expériences sur des parties de la plante cueillies à une heure d'intervalle, de jour et de nuit. On a mesuré le degré d'acidité, analysé les éléments constitutifs, essayé l'effet de toutes les préparations sur des souris blanches. On n'a pas encore découvert un traitement pour le cancer, mais ce que l'on a constaté, c'est que les propriétés de la plante étaient radicalement affectées non seulement par l'heure locale et les conditions météorologiques, mais par des facteurs extraterrestres comme la phase lunaire et la survenue d'une éclipse. Rien ne reste pareil d'un instant à l'autre. L'orientaliste De Lubicz a décrit une drogue qui opérait de façon presque miraculeuse si on la préparait conformément au rituel égyptien traditionnel, mais qui, préparée de n'importe quelle autre manière, était un poison. Le moment, l'endroit et la façon dont quelque chose est accompli importent en réalité beaucoup.

Il n'y a pas tant d'années que la médecine orthodoxe rejetait complètement les causes psychosomatiques. Les choses ont aujourd'hui changé ; cependant, j'ai l'impression que dans la nouveauté de notre enthousiasme pour les phénomènes psychosomatiques, nous risquons d'aller trop loin et de leur attribuer tout ce pour quoi nous ne pouvons découvrir une autre explication raisonnable. Notre avenir est dans l'esprit et dans la compréhension que nous en aurons ; néanmoins, les rituels et les cérémonies complexes qui autrefois entouraient les pratiques occultes associées aux pouvoirs de l'esprit pourraient nous surprendre et se révéler avoir des effets directs de leur cru. Matière, esprit et magie sont tout un dans le cosmos. »

Lyall Watson

Dans certains cas, les rites peuvent êtres efficaces. Toutefois, rappelle René Guénon, « on ne saurait trop se méfier, à cet égard plus encore peut-être qu’à tout autre point de vue, de tout appel au «subconscient», à l’«instinct», à l’«intuition» infra-rationnelle, voire même à une «force vitale» plus ou moins mal définie, en un mot à toutes ces choses vagues et obscures que tendent à exalter la philosophie et la psychologie nouvelles et qui conduisent plus ou moins directement à une prise de contact avec les états inférieurs. À plus forte raison doit-on se garder avec une extrême vigilance (car ce dont il s’agit ne sait que trop bien prendre les déguisements les plus insidieux) de tout ce qui induit l’être à «se fondre», nous dirions plus volontiers et plus exactement à «se confondre» ou même à «se dissoudre» dans une sorte de «conscience cosmique» exclusive de toute «transcendance», donc de toute spiritualité effective ; c’est là l’ultime conséquence de toutes les erreurs antimétaphysiques que désignent, sous leur aspect plus spécialement philosophique, des termes comme ceux de «panthéisme», d’«immanentisme» et de «naturalisme», toutes choses d’ailleurs étroitement connexes, conséquence devant laquelle certains reculeraient assurément s’ils pouvaient savoir vraiment de quoi ils parlent ».


Site de Jean-Marc  

Source de l'illustration :

dimanche, mars 04, 2012

Cankahneries dominicales





Spiritualisme

Le spiritualiste est rarement spirituel. Il peut en revanche développer une pratique solidement matérialiste. Cela ne doit en rien occulter la beauté et la luminosité irradiantes qui caractérisent la façon dont certains vivent cette idéologie fausse.

Luc Ferry

Philosophe élégant. A développé une critique forte et lucide de La Pensée 68, mais il n'a pas osé aller au-delà de cette démystification, et s'est peu à peu laissé engluer, puis engloutir, par l'establishment qui l'avait à la bonne. Sa fascination pour le beau monde l'a empêché d'élucider ce qu'était en train de devenir le monde.

Amoral

Priorité donnée à l'efficacité concrète sur la vertu abstraite. Caractéristique d'une politique rationnelle en système capitaliste pur. Ne pas confondre avec immoral.

Jean-François Kahn


Amoralité et prix du carburant en quelques dessins




Radio-Vipères



Source de la photo :
Regard de Shinzo http://regardeshinzo.blogspot.com/, blog consacré à la photographie d'art. 

samedi, mars 03, 2012

Michel Onfray, nouveau BHL ?





Jean-Pierre Garnier n'aime pas Michel Onfray qu'il qualifie de « philosophe pour tête de gondole de supermarché », d'« anarchiste renégat », de « nain de la pensée », de « mystificateur »...

Dans le numéro du Monde diplomatique de mars 2012, Jean-Pierre Garnier dit tout le mal qu'il pense de Michel Onfray et de son livre L'ordre libertaire. La vie philosophique d'Albert Camus. « Pour qui souhaite connaître la pensée d’Albert Camus, écrit Jean-pierre Garnier, il suffira de lire son œuvre. A défaut d’être toujours profonde, elle a le mérite de la clarté. A cet égard, l’ouvrage que Michel Onfray vient de lui consacrer n’est d’aucune utilité. En revanche, pour qui s’intéresserait à la vision du monde et surtout de lui-même de ce philosophe à succès, la lecture de cette somme est indispensable. »

La critique du freudisme par Michel Onfray, exposée dans ce blog, est-elle fondée ? (La secte de monsieur Freud)

Élisabeth Roudinesco, directrice de recherches à l'université de Paris-VII considère que le livre de Michel Onfray, Le Crépuscule d'une idole, L'affabulation freudienne, comporte de nombreuses erreurs. Elle écrit :

« Dans un brûlot truffé d'erreurs et traversé de rumeurs, Michel Onfray, qui ignore tout des travaux produits depuis quarante ans par les historiens de Freud et de la psychanalyse, se présente comme un psychobiographe de Freud, seul capable de décrypter certaines légendes dorées pourtant invalidées depuis des décennies. S'attachant à percer de prétendues vérités qui auraient été dissimulées par la société occidentale — elle-même dominée par la dictature freudienne et par ses « milices » —, il regarde les Juifs, inventeurs d'un monothéisme mortifère, comme les précurseurs des régimes totalitaires, peint Freud en tyran domestique soumettant toutes les femmes de sa maisonnée à ses caprices et en abuseur sexuel de sa belle-sœur : homophobe, phallocrate, faussaire, avide d'argent, n'hésitant pas à faire payer une séance d'analyse l'équivalent de 450 euros. Chiffre sans fondement sérieux avancé lors d'une émission de télévision et repris par de nombreux médias.

Il décrit le savant viennois comme un admirateur de Mussolini, complice du régime hitlérien (par sa théorisation de la pulsion de mort), et fait de la psychanalyse une science fondée sur l'équivalence du bourreau et de la victime. Tout en se déclarant freudo-marxiste — alors qu'il se veut antifreudien et adepte de Proudhon, et donc ni marxiste ni freudien —, il réhabilite le discours de l'extrême droite française avec lequel (sans le savoir) il entretient une certaine communauté de pensée. De telles positions ne relèvent plus du nécessaire débat intellectuel sur la question de Freud et du statut de la psychanalyse. Car à force d'inventer des faits qui n'existent pas et de fabriquer des révélations qui n'en sont pas, l'auteur de cette charge favorise la prolifération des rumeurs les plus extravagantes: c'est ainsi que des médias ont annoncé, avant même la parution de l'ouvrage, que Freud avait séjourné à Berlin durant l'entre-deux-guerres, qu'il avait été le médecin de Hitler et de Göring, l'ami personnel de Mussolini et un formidable abuseur de femmes. La rumeur aidant, on apprendra bientôt qu'il battait sa gouvernante, sodomisait ses animaux domestiques ou faisait rôtir les petits enfants.

Quand on sait que huit millions de personnes en France sont traités par des thérapies qui dérivent de la psychanalyse, on voit bien qu'une telle démarche s'apparente à une volonté de nuire. Elle ne pourra, à terme, que soulever l'indignation de tous ceux qui — psychiatres, psychanalystes, psychologues, psychothérapeutes — apportent une aide indispensable à ceux qui sont autant frappés par la misère économique — les enfants en détresse, les fous, les immigrés, les pauvres — que par cette souffrance psychique que mettent au jour tous les collectifs de spécialistes. »

Il est certain que Michel Onfray irrite beaucoup de personnes. Cette irritation est nettement perceptible dans le portrait qu'Élisabeth Roudinesco fait du philosophe :

« Fondateur d'une université populaire à Caen, titulaire d'un doctorat de troisième cycle (ancien régime), Michel Onfray est connu pour avoir rassemblé autour de lui un vaste public qui adhère à ses propos comme à une entreprise de rénovation du discours philosophique.

Convaincu que l'Université française et l'École républicaine sont autant de lieux de perdition dans lesquels des professeurs assènent à des enfants soumis des vérités officielles, Onfray a entrepris une révision de l'histoire des savoirs dits « officiels ». Il se veut libertaire, d'extrême gauche, adepte de Proudhon contre Marx, antifreudien, antimarxiste (et non pas freudo-marxiste) et se proclame le défenseur du peuple exploité par le capitalisme. Aussi a-t-il été pendant un temps proche du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), avant d'appeler à voter pour le Front de gauche aux dernières élections régionales.

Depuis plusieurs années, il a entrepris de populariser une «contre-histoire de la philosophie », qui prétend lever les refoulements sur des savoirs qui auraient été censurés par les professeurs, par le pape, par les prêtres. Aussi a-t-il mis au point une méthodologie qui s'appuie sur le principe de la préfiguration : tout est déjà dans tout avant même la survenue d'un événement.

En vertu de cette méthodologie, qui rencontre un vrai succès populaire auprès d'un public fasciné par ce qu'il perçoit comme un appel à une insurrection des consciences, Onfray a pu affirmer qu'Emmanuel Kant, philosophe allemand des Lumières, n'était qu'un précurseur d'Adolf Eichmann — l'organisateur de la « Solution finale », qui se voulait kantien —, que les trois monothéismes (judaïsme, christianisme, islam) sont en eux-mêmes des entreprises meurtrières, que l'évangéliste Jean est l'ancêtre de Hitler, que Jésus pré-figure Hiroshima, et qu'enfin le monde musulman est fasciste.

À l'origine de cette sombre affaire, les Juifs, fondateurs du premier monothéisme — c'est-à-dire d'une religion sanguinaire axée sur la pulsion de mort —, seraient donc, selon Onfray, les responsables de tous les malheurs de l'Occident, les véritables «inventeurs de la guerre sainte» : « Car le monothéisme tient pour la pulsion de mort, il chérit la mort, il jouit de la mort, il est fasciné par la mort, il est fasciné par elle [...]. De l'épée sanguinaire des Juifs exterminant les Cananéens à l'usage d'avions de ligne comme de bombes volantes à New York, en passant par le largage de charges atomiques à Hiroshima et Nagasaki, tout se fait au nom de Dieu, béni par lui mais surtout béni par ceux qui s'en réclament» (Traité d'athéologie, p. 201, 212, 228, etc.).

À cette humanité monothéiste (juive, chrétienne, musulmane) vouée à la haine et à la destruction, Onfray oppose une humanité athéologique, soucieuse de l'avènement d'un monde hygiéniste, paradisiaque, hédoniste: celle qui serait orchestrée par un dieu solaire et païen, entièrement investi par la pulsion de vie et dont lui, Onfray, serait le représentant avec pour mission d'inculquer à ses disciples la meilleure manière de jouir de leur corps et du corps de leurs voisins : par la masturbation. Bien qu'il semble ignorer les travaux de référence sur la question, et en particulier le livre de Thomas Laqueur, Onfray se montre bien décidé à faire du pénis l'objet d'un culte phallique et volcanique hérité des anciens dieux de la Grèce, lesquels, en tant que présocratiques, seraient les précurseurs de Nietzsche. Que Nietzsche ait effectué un grand retour aux présocratiques ne fait pourtant pas de ceux-ci un précurseur de celui-là.

Au fil d'un enseignement fortement médiatisé, Onfray a réussi à convaincre un large public que les représentants de ce dieu païen, célébrant les vertus de la foudre, des comètes et des orages, n'ont jamais fait la guerre à quiconque et sont des pacifistes admirables. Dans cette Grèce vertueuse du bocage de Basse-Normandie, inventée par Onfray, Homère n'existe pas, ni la guerre de Troie, ni Ulysse, ni Achille, ni Zeus, ni Ouranos, ni les Titans, ni la tragédie...

Onfray raconte qu'il a été, dans son enfance, la victime de méchants prêtres « salésiens », dont certains étaient pédophiles (Le Crépuscule, p. 15) et qui ont fait de lui ce qu'il est devenu. Rebelle en émoi, hanté par le complot œdipien qui se serait abattu sur lui, il affirme que son père, « malheureux employé de laiterie », aurait été une victime permanente tout au long d'un drame ayant pour toile de fond le « marché de la sous-préfecture d'Argentan » (p. 15). Sa mère avait été elle-même abandonnée dans un cageot à sa naissance et elle en avait conçu une détestation de son propre fils, explique-t-il, au point de le frapper et de lui prédire qu'il finirait sa vie sous l'échafaud: «Sans jamais avoir tué père (et surtout) mère, ni visé une carrière de bandit de grand chemin, encore moins envisagé l'art de l'égorgeur, je me voyais mal sous le couteau de la veuve. Ma mère si !»

Pour se venger de la détestation qui l'habite et dont il ne cesse de parler, il a donc décidé de s'en prendre à celui qu'il considère comme le responsable de tous les complots contre le père: Sigmund Freud, dont on sait qu'il fut adoré par sa mère. Onfray l'avait admiré autrefois au point de lire quelques-uns de ses ouvrages, dès son enfance, et en se masturbant, comme il le dit lui-même, puis d'inclure sa glorieuse histoire dans celle de l'athéologie (Traité, p. 265). Mais voilà que, depuis sa conversion quasiment mystique à l'antifreudisme radical, Onfray a entrepris de dénoncer le complotisme freudien qui consiste, selon lui, à promouvoir la haine des pères et l'adoration des mères pour mieux les séduire sexuellement: telle est à ses yeux l'essence de la psychanalyse, pur et simple récit autobiographique de ce fondateur dépravé dont il «n'avait pas prémédité l'assassinat »

Et du coup il tente, contre Freud, héritier du judéo-christianisme, de réhabiliter la figure maltraitée du père: un père solaire, flamboyant et phallique. Mais il n'aime les pères qu'à condition... qu'ils ne soient jamais pères.

Fervent adepte du célibat, Onfray ne cesse ainsi d'affirmer son refus de la paternité: «Les stériles volontaires aiment autant les enfants, voire plus, que les reproducteurs prolifiques [...]. Qui trouve le réel assez désirable pour initier son fils ou sa fille à l'inéluctabilité de la mort, à la fausseté des relations entre les hommes, à l'intérêt qui mène le monde, à l'obligation du travail salarié? [...] Il faudrait appeler amour cet art de transmettre pareilles vilenies à la chair de sa chair ? »

Élisabeth Roudinesco, Mais pourquoi tant de haine ?



Mais pourquoi tant de haine ?



vendredi, mars 02, 2012

Guernica & Indignados





La contemplation de Guernica, célèbre tableau de Picasso, a insufflé une énergie nouvelle à Tony Gatlif pour réaliser son film Indignados.

Guernica

Malgré l'anarchisme humanitaire de son œuvre de jeunesse, Picasso, jusqu'en 1936, ne semble guère avoir eu de préoccupations politiques. Comme le dit Kahnweiler dans les Entretiens : « Picasso était l'homme le plus apolitique que j'aie connu. Je me souviens qu'autrefois, il y a très longtemps, lui ayant demandé : « Au point de vue politique, qu'est-ce que vous êtes ? » il m'a répondu : « Je suis royaliste. En Espagne, il y a un roi, je suis royaliste. » Cet apolitisme lui fut parfois reproché à une époque où « l'engagement » paraissait inévitable à la plupart des intellectuels et des artistes. Georges Hugnet peut bien écrire en 1935 : « Picasso sait, nous savons que nous serions parmi les premières victimes du fascisme, de l'hitlérisme français, celui-ci ne nous sous-estime pas. Picasso continue, et c'est pourquoi nous l'admirons tout d'abord, à frapper les grands coups de la violence. Son comportement, la dignité imperturbablement agressive de son œuvre... font de lui à proprement parler un homme authentiquement révolutionnaire. » Mais il s'agit ici de révolution au sens poétique, surréaliste du terme, non de celle qu'attend l'intelligentsia progressiste qui, même lorsqu'elle n'est pas victime de l'esthétique stalinienne, ne conçoit plus guère l'art qu'au service du peuple et de la liberté. « On a dit en U.R.S.S. de l'œuvre de Picasso, écrit Zervos en 1935, qu'elle constituait la dernière étape des manifestations de l'art bourgeois... Force est à l'artiste de tenir l'art pour un jeu supérieur de l'esprit où se joue tout ce qu'il y a de frémissant et de sublime en lui... Obnubilés par l'idée politique, les intellectuels militants voient en cette attitude de Picasso une volonté de destruction et de négation, et, ce qui est pis, une résignation devant la destinée humaine... Ils y voient un narcissisme esthétique qui se refuse à servir la révolution. »

Mais, dit Zervos, « son œuvre n'est-elle pas l'image de la cruauté qui régit de nos jours la condition humaine? ». L'argument n'était sans doute pas de nature à convaincre les « intellectuels militants » et moins encore ces lignes assez embarrassées où, pour défendre l'œuvre de Picasso, Zervos déclare « qu'elle prépare pour l'avenir la conception très élargie du social, intégré dans le moral et le spirituel, par là même une œuvre vivace, digne de l'homme, à l'échelle du nouvel esprit qui sortira peut-être du conflit social et psychologique actuel ». Sans doute on ne peut dire de Picasso « qu'il a moins conscience du social parce qu'il cherche des conquêtes sur l'inconscient » mais les « conquêtes sur l'inconscient » paraissent en 1936 un problème fort secondaire et c'est le soulèvement franquiste, la guerre d'Espagne, qui vont amener Picasso à sortir de « son narcissisme esthétique », et à donner, pour quelque temps, à son œuvre une tournure épique. A quel point il est demeuré espagnol, on peut le comprendre par la violence et la soudaineté de ses réactions devant la tragédie qui déchire son pays. « Ce n'étaient pas les événements eux-mêmes qui se passaient en Espagne qui ont éveillé Picasso, écrit Gertrude Stein, mais le fait qu'ils se passaient en Espagne ; il avait perdu l'Espagne et voilà que l'Espagne n'était pas perdue, elle existait : l'existence de l'Espagne a réveillé Picasso, il existait lui aussi. » Picasso soutient avec ardeur la cause des républicains, vend plusieurs de ses tableaux à leur profit, accepte le poste de directeur du musée du Prado. En janvier 1937, il grave deux planches, accompagnées d'un poème : Sueño y Mentira de Franco (« Songe et Mensonge de Franco ») où le dictateur espagnol nous est présenté comme une sorte de « Malbrough s'en va-t-en guerre » dont les aventures sont racontées dans des dessins rectangulaires qui font penser à une bande dessinée. Nous retrouvons dans ces gravures le cheval éventré, le taureau des « Minotauromachies », nous voyons apparaître les corps disloqués, les hurlements d'agonie des femmes de Guernica et le don caricatural de Picasso ne s'est peut-être jamais manifesté de façon aussi immédiate, presque journalistique, que dans l'image obscène et répugnante qu'il nous a laissée de Franco lui-même. Notons, comme un signe de l'extrême liberté de l'iconographie de l'artiste, que c'est le taureau qui est ici le justicier, et apparaît même comme un symbole rustique, tranquille et puissant, de l'héroïsme du peuple espagnol.

Au début de 1937, Picasso avait accepté la commande d'une grande composition destinée à décorer le pavillon espagnol de l'Exposition universelle de Paris. Les républicains espagnols souhaitaient évidemment que cette composition fût une œuvre engagée, politiquement efficace, à l'exemple du Deux Mai de Goya, comme le dit José Bergamin dans un article qui sonne un peu comme une mise en demeure : « Je considère la peinture de Picasso jusqu'à ce jour comme une introduction de son œuvre future. Je considère Picasso comme le véritable peintre espagnol, indépendant et révolutionnaire, de l'avenir. D'un avenir immédiat qui nous l'offre comme le peintre actuel de l'avenir le plus fécond... Comme notre peuple espagnol qui tient aujourd'hui entre ses mains l'avenir de l'homme... Notre actuelle guerre de l'indépendance donnera à Picasso, comme l'autre l'avait donnée à Goya, la plénitude consciente de son génie pictural, poétique, créateur. » En fait, Picasso a été assez long à se mettre au travail et les œuvres qu'il exécute pendant les premiers mois de l'année ne manifestent aucune intention politique ni même aucune inquiétude particulière : portraits de Dora Maar, scènes de plage d'une curieuse géométrie surréaliste, natures mortes « à la bougie », « au pichet », « au compotier », presque toutes assez frustes et d'une grande sérénité malgré, parfois, la présence d'un objet insolite, comme dans la Nature morte à la sculpture nègre. Seul le motif de la Cage d'oiseaux trahit un certain malaise, bien que Picasso n'atteigne pas ici au naturalisme monumental, à l'humour endiablé de certaines des eaux-fortes destinées à illustrer l'Histoire naturelle de Buffon. Mais en janvier 1937, Picasso peint encore la Femme assise, qui est un des portraits les plus tendres et les plus gais que ses compagnes lui aient inspirés.

Le grand tableau, qui allait devenir l’œuvre la plus célèbre de Picasso, n'est donc pas né d'une élaboration rationnelle ni d'un changement d'humeur ou d'orientation artistique, comme La Danse et Les Demoiselles d'Avignon. Ce n'est pas davantage, malgré sa complexité, une œuvre à programme, mais une image, presque un instantané, née de la réaction de l'artiste à un des épisodes les plus dramatiques et cruels de la guerre civile. Image autour de laquelle se sont cristallisés quantité de thèmes et de motifs apparus depuis quelques années dans son œuvre. Le 26 avril 1937, des avions allemands bombardaient et incendiaient la petite ville basque de Guernica. L'émotion fut d'autant plus grande que Guernica ne présentait aucun intérêt stratégique et que les victimes se trouvèrent toutes parmi la population civile. « Avec une atroce férocité et une minutie scientifique, écrit le 29 avril le correspondant du New York Times, les bombes incendiaires et explosives des avions Heinckel et Junker ont anéanti le centre de la culture et de la tradition politique basques. » « Le bombardement, pouvait-on lire dans le Times du même jour, de cette ville ouverte qui se trouvait loin derrière les lignes a duré exactement trois heures un quart, pendant lesquelles une puissante escadrille d'avions allemands de bombardement et de chasse n'a cessé de déverser sur la ville des bombes pesant près de cinq cents kilos et plus de trois mille projectiles incendiaires. Les avions de chasse se sont lancés autour de la ville pour mitrailler ceux de ses habitants qui s'étaient réfugiés dans les champs. Tout Guernica fut bientôt en flammes à l'exception de la Casa de Juntas, qui contient les archives du peuple basque, et du fameux chêne de Guernica où jadis les rois d'Espagne juraient de respecter les droits démocratiques de la Biscaye en échange du serment d'allégeance que leur rendaient ses habitants » Le passé de Guernica donna à sa destruction la valeur d'un symbole politique, d'un symbole moral aussi, tant les agresseurs mirent de cruauté gratuite à s'acharner sur la population qui fuyait l'incendie. « Nous nous trouvions en ville, écrit une des rescapées, lorsque le bombardement commença. Pour fuir, nous avons essayé de gagner les hauteurs qui contournent Guernica. Les avions qui tournoyaient à faible altitude mitraillaient les issues et épuisaient leurs bombes sur les petits groupes de rescapés qui s'égaillaient dans la campagne. Les fermes isolées où cherchaient à s'abriter les fugitifs ont été systématiquement bombardées. A 19 heures, Guernica n'était plus qu'une immense torche qui flambait au crépuscule. »

Le 1er mai, Picasso dessina les premières études pour Guernica. L'esquisse générale de la composition, datée du 9 mai, est reportée le 11 mai sur la toile qui comprendra huit états successifs et sera achevée au début de juin. Picasso a conservé et daté l'ensemble des études et des esquisses et les divers états du tableau nous sont connus par des photographies que prit Dora Maar dans l'atelier de la rue des Grands-Augustins, où il fut réalisé.

André Fermigier

A voir à la piscine de Roubeix, du 18 février au 20 mai, l'exposition photographique Picasso à travers l'objectif de David Douglas.


Indignados


1er mars 2012, les Basques chassent le marout*.




* « Les brahmanes disent que lorsque Shiva (la Providence, le Destin) veut rabaisser une nation, une caste, ou une famille régnante, il place à la tête de cette nation, caste ou famille, un marout qui en deviendra le chef ou l'épouse du chef. Ne possédant par nature qu'une âme pourrie, cet être hybride contaminera les hautes sphères de la société par exemple, ou les arts ou la religion, et le déclin deviendra inéluctable si des hommes n'extirpent pas le marout. »
Jean Louis Bernard


jeudi, mars 01, 2012

Le Karma





Réseau Parental Europe m'informe que http://www.aiiap.org, site espagnol de lutte contre les manipulations mentales, a mis en ligne les témoignages de deux victimes du bouddhisme tibétain.

Dans les deux cas, la doctrine du karma est utilisée pour abuser les adeptes des centres bouddhistes incriminés : Sakya Tashi Ling du Garraf en Catalogne, connu pour ses CD de mantras, et La Nouvelle Tradition Kadampa.

Le karma

« Le nirvana reste dans l'ensemble un concept trop vague pour la plupart des pratiquants, un but lointain qu'on ne mentionne que pour la forme, un cadre absolu qui sert surtout à relativiser l'existence et à la mettre en perspective. L'acte (karma), ou plus exactement la rétribution des actes, fournit un concept beaucoup plus opératoire, car il permet d'expliquer les structures de ce monde et de l'autre, les inégalités sociales et le destin individuel. Sans remettre en question la hiérarchie sociale, il autorise à espérer une amélioration de la destinée individuelle en cette vie ou dans les suivantes. Mais il fonde aussi la morale, et renforce toutes les idéologies de domination : on naît pauvre ou esclave parce qu'on le mérite, il n'y a plus de raisons de se révolter, mieux vaut chercher à se réformer soi-même dans l'espoir d'une renaissance heureuse. L'accumulation des mérites, le bon karma, permet bien sûr d'espérer la délivrance finale, et tel est le but avoué de la pratique bouddhique. Mais dans la réalité, on en attend surtout l'amélioration de l'existence présente ou future, les honneurs et la richesse si l'on est laïc, l'obtention de pouvoirs spirituels ou magiques si l'on est moine et ambitieux.

Le karma a aussi servi, dans une certaine mesure, à « désenchanter le monde » en y introduisant une rationalité inexorable. Dura lex, sed lex. Cette loi d'airain vaut mieux, à tout prendre, que les redoutables caprices des dieux et des démons des mythologies archaïques. Rien n'est plus effrayant que l'inconnu, et un au-delà infernal, mais bien connu, humanisé malgré ses tortures inhumaines, peut paraître dans le fond préférable à l'angoisse d'un vague monde des ombres comme le Sheol juif, l'Hadès grec ou l'ancien yomi no kuni japonais. L'enfer chrétien, quant à lui, a hérité nombre de ses motifs des enfers bouddhiques. […]

Dans le « subitisme » Chan, on voit apparaître une tendance à nier, non seulement tout acte qui entraînerait rétribution, mais la pertinence de la loi karmique elle-même. Le maître Chan Linji représente sans doute l'exemple le plus radical de cette réinterprétation :

« Vous dites de toutes parts qu'il y a des pratiques à cultiver, des fruits à éprouver. Ne vous y trompez pas ! S'il y a quelque chose à obtenir par la culture, tout cela relève de l'acte, qui fait naître et mourir. Vous dites que vous cultivez toutes ensemble les dix mille pratiques des Six Perfections : je ne vois là que fabrication d'actes. Chercher le Bouddha, chercher la Loi : autant d'actes fabricateurs d'enfer. Chercher le Bodhisattva, c'est aussi fabriquer de l'acte. Ou encore lire les Textes, lire l'Enseignement — fabrication d'actes. Les Bouddha et les maîtres-patriarches sont gens sans affaires. Adeptes, il n'y a pas de travail dans le bouddhisme. Le tout est de se tenir dans l'ordinaire, et sans affaires : chier et pisser, se vêtir et manger... Soyez votre propre maître où que vous soyez, et « sur-le-champ vous serez vrais ». Les objets qui viennent à vous ne pourront vous détourner. Il n'est pas jusqu'à vos imprégnations antérieures, et aux cinq péchés entraînant damnation immédiate, qui ne vous deviennent alors océan de délivrance. »

Tous les maîtres Chan, et à plus forte raison les autres bouddhistes chinois, ne partageaient cependant pas le radicalisme de Linji, et beaucoup le jugeaient dangereux, dans la mesure où il remettait en cause la discipline monastique et les œuvres méritoires. »
Bernard Faure, Bouddhismes, philosophies et religions.

De nos jours, toutes les écoles bouddhistes, même celles qui prétendent transmettre l'enseignement de Linji, recommandent la pratique d'actes méritoires afin de capitaliser du bon karma. Donner son argent et ses biens au gourou est considéré comme l'œuvre méritoire par excellence qui procurera le bonheur... dans une autre vie.


mercredi, février 29, 2012

Mondialisation & démocratie





Le candidat socialiste à la présidentielle, François Hollande, lance un appel au patriotisme des riches pour qu'ils contribuent eux aussi à l'effort de redressement de la France. Les personnes qui gagnent plus d'un million d'euros par an seront taxés à hauteur de 75 % si les socialistes parviennent au pouvoir.

Mais le patriotisme, le civisme, l'altruisme... ne seraient pas des vertus de riches. Selon une étude réalisée aux États-Unis et au Canada et publiée dans la Revue de l'Académie nationale des Sciences (PNAS), les personnes issues des classes les plus aisées ont davantage tendance à enfreindre les règles, à chaparder ou à mentir dans le but de s'enrichir encore plus.


L'histoire et les réalités d'aujourd'hui nous apprennent que les riches et les privilégiés de toutes les sociétés ont, fondamentalement, peu d'attachement au principe d'égalité. Les membres des classes supérieures, une fois leur position dans le monde assurée, se montrent bien trop prêts à retirer l'échelle pour empêcher leurs inférieurs d'accéder à leur niveau. Pour la plupart, ils se satisferaient d'un monde dans lequel seraient préservés des avantages pouvant être transmis à leur descendance.

On peut donc raisonnablement avancer que la flamme de l'égalité, et donc celle de la démocratie, doit être entretenue par la vaste majorité de la population qui n'appartient pas aux classes supérieures. Le mouvement vers l'égalité et la démocratie vient surtout d'en bas, pas d'en haut. 


Sous ce jour, quelles sont les perspectives de l'égalité et de la démocratie dans un monde globalisé, s'appuyant sur une technologie avancée, et dans lequel une poignée d'États ont beaucoup plus de pouvoir — militaire, économique, politique et culturel — que tous les autres réunis ? 


À l'avenir, la démocratie dépendra autant des luttes sociales que lors de son développement passé. La démocratie n'est jamais immobile, ce n'est pas un monument en l'honneur de gloires passées et de déclarations retentissantes. Soit elle avance, soit elle recule, et ses partisans ne pourront jamais cesser de défendre leurs actions ou leurs idées. 


Paradoxalement, les obstacles sur le chemin de la démocratie et les conditions de son avancée relèvent d'aspects contradictoires des mêmes problèmes. Certaines des grandes interrogations de notre époque qui détermineront la force de la démocratie sont les écarts de richesse et de revenus, pas seulement entre tel ou tel pays, mais entre les pays avancés et ceux du reste du monde : accéder à une éducation de qualité pour toute la population ; bénéficier de services de santé universels, obtenir un emploi qui soit protégé, lutter contre la marginalisation selon l'ethnie, la race, le sexe, les choix sexuels et la religion ; endiguer la guerre et prévenir la diffusion d'aunes encore plus meurtrières ; ouvrir les frontières pour permettre l'émigration là où le développement économique oblige les populations à se déplacer ; enfin, sauvegarder l'environnement, par exemple en arrêtant de détruire les autres espèces de manière incontrôlée. 


Chacune de ces questions est un défi pour les démocrates, non seulement pour se servir du meilleur de leurs propres traditions nationales, mais pour trouver les moyens d'établir des cultures démocratiques capables de dépasser les frontières. En même temps, ces questions érigent des barrières vertigineuses sur le chemin de la démocratie, tout simplement parce qu'elles seront susceptibles de se traduire (et se traduiront) en séries de mesures préservant les avantages des privilégiés — particuliers, pays ou cultures — au moyen de l'exclusion et de la marginalisation de grands pans de la population, et sur certains problèmes, de la majorité de l'espèce humaine.

L'histoire montre que les mouvements politiques autoritaires particulièrement puissants sont capables de mobiliser des millions de personnes pour agir et résoudre des problèmes de base au moyen de programmes qui sont l'antithèse absolue de la démocratie. Dans les années 1930, le fascisme et le nazisme ont démontré que les tergiversations des démocrates et leur incapacité à prendre à bras-le-corps les problèmes urgents, comme le chômage de masse ou la pauvreté, ont laissé le loisir d'agir à d'autres. Et les solutions autoritaires peuvent entraîner, outre la liquidation des droits démocratiques, l'incarcération de milliers de personnes et, dans les cas extrêmes, l'assassinat de millions d'êtres humains. 


La vitalité de la démocratie dépendra de la manière dont les partis et les mouvements politiques relèveront le défi. Pas seulement sur les problèmes socio-économiques et environnementaux qui ravagent notre monde, mais aussi sur les campagnes menées par les intolérants qui utiliseront ces problématiques pour défendre de fausses solutions basées sur la haine et la désignation de boucs émissaires. Aujourd'hui les démocrates constatent que des murs de haine s'élèvent à perte de vue, sous la double forme du sentiment anti-immigrés et du fondamentalisme religieux. 


Dans le quart de siècle qui vient de s'écouler, les partis démocratiques de toutes tendances en Europe et en Amérique du Nord ne sont absolument pas parvenus à résorber l'écart croissant entre les ressources d'un petit segment de la population qui s'est énormément enrichi et celles de la vaste majorité des habitants des pays avancés, et plus encore, au niveau mondial, de toute l'humanité. Des partis de centre droit comme les chrétiens-démocrates allemands jusqu'aux démocrates américains ou aux socialistes français, aucun n'a réussi à arrêter la course d'une économie de marché mondialisée vers une inégalité de plus en plus prononcée.

L'inégalité, entre autres problématiques — et non des moindres —, s'est révélée une question brûlante en septembre et octobre 2008, quand a surgi la crise financière mondiale la plus grave depuis la grande dépression qui avait commencé en 1929. Des institutions financières ont implosé, des bourses se sont effondrées, des marchés de crédit ont cessé de fonctionner et des gouvernements ont été obligés de renflouer les banques et autres institutions financières au prix de centaines de milliards de dollars. Dans certains cas, notamment au Royaume-Uni, le gouvernement a nationalisé des banques. Le système de marché que le monde connaissait depuis trente ans a sombré dans le chaos. Les gouvernements sont entrés dans la danse, en espérant que leurs interventions, concertées et de grande ampleur, relanceraient l'économie. Le ressentiment et la peur ont assailli les nations du monde entier, lorsque des dizaines de millions de personnes se sont considérées comme trahies par leurs dirigeants économiques et politiques.

La grande colère des exclus du progrès peut ouvrir la porte à une démocratie renforcée, mais, dans le même temps, apporter de l'huile au moulin de ceux qui élaborent des mensonges en soutenant que le monde est mené par tel ou tel groupe religieux ou ethnique que l'on peut isoler et attaquer. Dans la doctrine nazie, le monde était mené par les financiers juifs qui avaient poignardé l'Allemagne dans le dos lors de la Première Guerre mondiale.

Aujourd'hui, le monde regorge de nouvelles théories à usage discriminatoire : en Europe, on a peur des immigrés musulmans et de leurs descendants ; aux États-Unis, des immigrants hispaniques ; et dans bien des parties du monde, on redoute la propagande des religieux fondamentalistes, qui cherche à accuser de tous les maux les adeptes des autres religions. Ce sont ces formes de haine qu'on peut utiliser pour expliquer que les immigrants retirent leur travail aux Français, que les nouveaux arrivants sapent le niveau de vie des Américains de classe moyenne ou que Dieu a un plan divin pour les croyants d'une foi particulière, que les desseins des autres religions ne doivent pas contrarier.

Au moment où la démocratie, confrontée à des obstacles sérieux, décline dans de nombreux endroits de la planète, des mouvements qui veulent la défendre ont vu le jour ces dernières années. Les menaces qui pèsent sur la démocratie ne doivent pas être sous-estimées, mais à l'inverse il ne faudrait pas négliger les forces qui la sou-tiennent et la répandent. C'est une nouvelle politique qui est en train de naître sur la planète, venant d'origines très variées : des progressistes aux sociaux-démocrates, socialistes, humanistes, environnementalistes, croyants non fondamentalistes, féministes, syndicalistes, activistes urbains ou s'opposant à la misère, étudiants et écrivains. Elle est nécessairement diverse, pluraliste et démocratique. Ses origines philosophiques sont aussi anciennes que contemporaines. Dans chaque pays, cette politique planétaire prend une forme spécifique, venue de conditions et de cultures particulières.

Pour les démocrates, le grand défi est de revigorer la démocratie aux niveaux local et national, en défendant des projets qui, pour la première fois dans l'histoire, soient de l'intérêt de tous, partout. L'objectif doit être planétaire. Mais alors que les entreprises ont conçu des plans dépouillant les États-nations de leurs pouvoirs, le projet démocratique doit rendre le vrai pouvoir aux nations afin qu'elles puissent élaborer leurs plans sociaux, diriger leurs propres économies et se comporter comme les intendants de leur portion de planète.

Ce type de projet peut sembler nourri de paradoxes et de contradictions, certes. Il prend le contre-pied, en grande partie, de ce qui a déterminé les perspectives de la planète dans les trois dernières décennies, pendant la phase dite de mondialisation, qui a en effet nettement resserré les liens des personnes et des nations. Mais ces liens étaient basés sur une amplification du pouvoir de quelques-uns aux dépens de celui du plus grand nombre, sur toutes sortes de sujets. À tel point que nous pouvons en tirer une conclusion : la mondialisation a bel et bien paralysé la démocratie à un degré inquiétant.

James Laxer, La démocratie





La démocratie 

Les Occidentaux sont attachés aux modèles démocratiques qui les gouvernent. Mais peut-on parler de démocratie lorsque les décisions réelles sont prises par ceux qui détiennent le capital et que les droits de certaines minorités ne sont pas pris en compte ?

Car la démocratie, James Laxer le démontre, c'est beaucoup plus qu'un simple bulletin de vote dans l'urne... Un essai clair et engagé pour mieux comprendre le fonctionnement des systèmes politiques.






29 février 2012, journée de lutte contre l'austérité.

lundi, février 27, 2012

La secte néolibérale






Pour être le plus souvent informulé parce que brutal, le constat n'en est pas moins flagrant :

1. Les néolibéraux, à la fois hyper-minoritaires et ultra-influents, constituent une véritable secte.

2. Cette secte reproduit en creux, mais en l'inversant formellement, le discours communiste du temps où la vulgate marxiste brillait de tous ses feux.

3. Le néolibéralisme est au libéralisme véritable ce que le stalinisme fut au socialisme, à la fois sa prolongation et sa totale perversion.

4. Sous les dehors de l'internationalisme (ou du mondialisme), le néolibéralisme véhicule une formidable haine de toute spécificité nationale non conforme, dont le rejet hargneux de toute « exception française » n'est qu'une composante.

5. Cela étant dit, et comme le communisme des années 30, il charrie, au milieu d'un fatras d'erreurs, un certain nombre de relatives vérités.

Déclinons :

1. Les néolibéraux constituent une secte. D'abord, ils ont leur propre dieu, qu'ils appellent « le marché ». Comme toutes les divinités uniques, celle-ci est invisible, irreprésentable, immatérielle, ineffable, omniprésente, inaccessible, intemporelle et incontournable. Son ubiquité le dispute à sa transcendance. Elle est à la fois le vrai, le bon, le droit et le juste. Nul ne doit, ou ne peut, se soustraire à sa volonté, car sa « main invisible » n'est que l'autre forme de la divine providence. Ses ordres, révélés à quelques prophètes, ont été gravés dans les tables de la loi et nul ne saurait, sans préjudice grave, s'en émanciper ou s'y soustraire. S'écarter de cette orthodoxie confine à l'hérésie. La seule ligne séculière possible est donc celle qui consiste à se soumettre passivement à la « loi du marché » comme métaphore de la volonté de Dieu. Toute résistance, c'est-à-dire toute tentative de correction ou de régulation, s'apparente à une rébellion hérétique que le réel (comme reflet du Ciel) sanctionne immanquablement. Au Dieu Marché, les néolibéraux élèvent des temples - les Bourses des valeurs —, servis par des prêtres initiés qui seuls ont le droit d'officier dans le saint des saints. Ils lui consacrent un culte, lui adressent (en anglais, leur langage liturgique) des prières et des cantiques, lui dédient un droit canon. Mais, surtout, autour de lui, inspirés par lui, affirment-ils (comme pour le protéger), ils élaborent un dogme qui se veut l'armature de leur théologie. Dogme simple, simpliste même, tenant en une dizaine de credo seulement (par exemple : « Je crois que la seule raison ici-bas est celle qui s'incarne dans le libre processus de formation des prix sur un marché libre »), principes évidemment sacrés qu'ils psalmodient à satiété et dans lesquels ils s'enferment à double tour, n'acceptant jamais, sous aucun prétexte, d'en réviser la moindre parcelle.

Tout est jugé à cette aune, interprété à cette lumière. Aucune réalité ne peut être prise en compte qui ne rentre dans ce carcan. Sur quarante faits que leur offre l'actualité, trente-huit infirmeraient-ils un tant soit peu leurs certitudes, les néolibéraux ne prendraient en compte que les deux faits qui restent et qui les confortent.

En fonction de quoi ils restent entre eux, devisent entre eux, dialoguent entre eux, confinés dans les lieux qu'ils contrôlent, scotchés à leur caste et ancrés à leur classe, coupés de tout ce qui, dans le monde extérieur, ne reproduit pas à l'identique leur intime conviction. Infirmes du réel, ils ne lisent rien, n'écoutent rien qui ne rentre totalement dans le cadre de leur rationalité. Toute pensée différente est fallacieuse par définition, une vérité unique introduisant nécessairement un discours unique dont ils sont les détenteurs des droits.

Toutes ces particularités suffiraient, à l'évidence, à en faire une secte.

Mais il y a plus significatif encore : c'est que les néolibéraux sont ultra-minoritaires (s'ils se présentaient aux élections sous leurs vraies couleurs, ils recueilleraient moins de 5 % des suffrages, comme Arlette Laguiller, score que n'a même pas atteint Alain Madelin aux présidentielles), tout en exerçant une influence majeure grâce à leur omniprésence dans les lieux de pouvoir et de propagande. Et, en particulier, grâce à leur conquête des grands médias. Certes, il y a partout des journalistes qui récusent la nouvelle « vulgate ». Mais pratiquement tous les services économiques des radios (il faut écouter l'inénarrable De Witt sur France Info), des télévisions, de la presse écrite sont au mieux sous l'influence, au pire sous le contrôle des néolibéraux. Tous les autres courants, y compris (et surtout) le courant authentiquement libéral, sont soit purement et simplement exclus, soit implacablement marginalisés.

Quant aux centres de décision (c'est-à-dire là où siègent les « décideurs », comme on dit), du Medef au conseil monétaire de la Banque de France, de l'université Dauphine à Radio Classique — y compris ceux où la gauche a ses grandes entrées —, les néolibéraux les ont systématiquement investis. D'un côté, ils se sont emparés de l'ex-Parti républicain, devenu Démocratie libérale, puis un courant dominant de l'UMP, de l'autre, ils commencent à infiltrer le courant du PS dit de la gauche « moderne ». En termes démocratiques, ils ne représentent rien, mais ils sont — et en position de force — partout où se forge le destin de la France.

2. Cette secte reproduit, en l'inversant, le discours communiste d'antan : ce qui précède le montre déjà éloquemment. A quoi on ajoutera : le simplisme théorique (enlever partout l’État devient aussi miraculeux que le mettre partout) ; le dualisme manichéen absolu (pas de troisième voie possible) ; la conception purement guerrière du dialogue (le débat n'est qu'un combat) ; la langue de bois (toujours les mêmes mots et expressions qui s'enroulent comme des fils de fer barbelés autour des mêmes arguments de plomb) ; le rejet des déviationnismes et des révisionnismes ; la diabolisation de la contradiction (tout ce qui n'est pas strictement néolibéral est rejeté dans l'enfer du socialisme étatiste et collectiviste) ; l'internationalisme comme alibi d'un ralliement à un leadership hégémonique ; la conviction, très stalinienne, qu'une vérité unique induit une pensée unique, comme l'a théorisé Alain Minc ; la fascination qu'exercent les concepts de « conquête » et de « taille critique » en justification de l'impérialisme économique et de l'ultra-concentration financière ; la pratique, enfin, d'une lutte des classes à l'envers.

Mais, surtout, comme hier les sectateurs de l'Union soviétique, les néolibéraux ont un modèle absolu - les États-Unis d'Amérique - dont il convient, selon eux, non seulement d'adopter la philosophie et les valeurs, mais encore d'imiter scrupuleusement les méthodes et les procédés. L'Union soviétique, aux yeux des communistes, affichait sa supériorité à travers ses mirifiques taux de croissance, ses prix qui n'augmentaient jamais, ses plans quinquennaux prométhéens. Jamais, évidemment, ils ne se posaient la question du coût social et humain, ni ne s'interrogeaient sur l'indice subjectif de bonheur, ni sur l'indice objectif de liberté. Les néolibéraux ne raisonnent pas autrement. Pour eux, les États-Unis, outre un credo et un symbole, ce sont d'abord de merveilleuses statistiques. Ils ne veulent pas savoir ce qu'il y a derrière. Quand on le leur dit, ils n'écoutent pas. Aucun d'entre eux, en réalité (et on aurait pu en dire de même des communistes) n'accepterait la régression absolue que représenterait, dans de nombreux domaines, un total alignement sur le modèle américain. Mais ils font comme si.

3. Le néolibéralisme est à la fois la prolongation et la négation du libéralisme authentique (ce qu'avait très bien compris déjà Schumpeter). Dans les années 30, en France, une tendance minoritaire apparut au sein du Parti socialiste, SFIO. Conduite par André Marquet et Marcel Déat, elle entendait pousser jusqu'au bout « l'étatisme » théorique du parti de Léon Blum en lui donnant ouvertement une signification autoritaire. On qualifia cette tendance, qui finit par fusionner avec le fascisme, de « néosocialisme ». Or le néolibéralisme est au libéralisme un peu ce que le néosocialisme fut au socialisme. Ou le stalinisme au marxisme. Il en est à la fois l'émanation et la totale négation. Un véritable libéral, au nom du respect de la concurrence et du libre accès au marché, redoute par-dessus tout les concentrations monopolistiques. En ce sens, la loi libérale par excellence fut la loi antitrust américaine. Le néolibéral, en revanche, plaide pour la constitution de firmes géantes, intégrées, qui permettent de contrôler tout un marché à l'échelle internationale. Ainsi, les fusions Boeing-McDonnell Douglas, Grand Metropolitan-Guinness ou Axa-UAP, profondément choquantes aux yeux des libéraux, ont mis les néolibéraux dans un état de quasi-extase.

Tout découle de cette rupture : le libéral rêve d'une propriété diffuse, le néolibéral d'une propriété concentrée, fût-ce au prix d'une ruine de la petite propriété. Le libéral est obsédé par la diversité et la pluralité, le néolibéral trouve, au contraire, tout à fait normal qu'il n'existe qu'un seul journal par région, que Murdoch contrôle 70 % de la presse australienne, ou qu'on ne vende que du Coca-Cola à Disneyland. Le libéral condamne le mélange pervers des genres qui permet de contrôler toutes les phases d'un même processus, le néolibéral appréciait tout à fait, lui, que la Générale des eaux, alias Vivendi, contrôle Havas qui elle-même contrôlait à la fois le marché de la publicité et ses importants supports que sont la CEP (L'Express et Le Point) et Canal +. Le libéral est soucieux de l'égalité d'accès au marché, le néolibéral, à l'inverse, considère qu'il est essentiel de contrôler, puis de protéger des parts de plus en plus importantes du marché.

Alain Madelin, par exemple, n'a cessé d'appuyer l'impérialisme des grandes surfaces et de leurs centrales d'achat au détriment du commerce libre. Le libéral affiche, fût-ce parfois hypocritement, une finalité « justicialiste », le néolibéral aucune. Il accepte même froidement la régression sociale au nom de l'efficacité financière du « tout-compétitif ». La cassure est telle, entre libéralisme et néolibéralisme, qu'un archéolibéral comme le prix Nobel français d'économie Maurice Allais a pu s'opposer sur quasiment tous les points à un chantre du néolibéralisme comme Sarkozy. N'est-il pas d'ailleurs significatif qu'aux États-Unis ce soit la gauche qui est qualifiée de « libérale » et la droite de « néolibérale » ?

4. Les néolibéraux détestent la France. C'est évidemment la conséquence de tout ce qui a été constaté plus haut. Pour eux, tout ce qui, en tant que spécificité nationale, ne s'intègre pas au modèle anglo-saxon est à éradiquer. A cet égard, l'exception française représente une horreur absolue. Rien de ce qui déprécie notre pays, qualifié d'étriqué, de ringard, de prétentieux, de conservateur, de replié sur ses illusions, ses tabous et ses acquis, n'est jamais à leurs yeux trop outrancier. Les insupporte, surtout, l'idée qu'il pourrait, lui aussi, être porteur d'un modèle. Ce qui se traduit, en privé, par cette phrase passe-par-tout qu'ils répètent à tout bout de champ : « La France est un pays de merde. » Que les Américains et les Anglais aient construit leur modèle à partir de leurs propres spécificités ne leur est apparemment pas venu à l'esprit.

5. Reste qu'il en est du néolibéralisme comme du communisme. De même que le communisme continuait de véhiculer, au milieu d'un fatras d'absurdités et d'horreurs, certaines des idées fortes que lui avaient léguées ses origines sociales-démocrates, de même le néolibéralisme porte en lui — en ce qui concerne, par exemple, l'esprit d'entreprise, l'autonomie personnelle, le libre-échange, la critique des gestions bureaucratiques, le rejet de l'étatisme ou la nécessité d'une certaine rigueur financière — quelques vérités essentielles de la pensée libérale originelle. C'est pourquoi il ne faut en aucun cas se comporter à son égard comme lui-même se comporte envers ses contradicteurs. Le critiquer, le démystifier, le contrer, oui, mais l'écouter, l'entendre, le décrypter.

Jean-François Kahn, Dictionnaire incorrect.



Dictionnaire incorrect

Comment mener un combat en utilisant toutes les armes à la fois ? La forme de dictionnaire qu'adopte ce livre est une réponse.

L'auteur pourrait reprendre à son compte, au fond, la dernière tirade du Cyrano d'Edmond Rostand quand, rapière au poing, le bretteur défie ses éternels ennemis : la bêtise, le mensonge, la lâcheté, la courtisanerie. On y ajoutera la bienpensance et les nouveaux conformismes.

Sauf que ce livre est, justement, à l'image de la guerre qu'il mène : c'est-à-dire que les longues offensives y côtoient les rapides coups de main, les actions de commando, les manœuvres d'encerclement, les pilonnages d'artillerie, les opérations de guérilla, mais s'y intègrent également - car la guerre c'est aussi cela - les permissions, les théâtres aux armées, les fiestas arrosées à la caserne, les sorties en ville, les parties de belote et les distractions plus libertines.

Quatre armes sont ici utilisées : la satire chansonnière, dérision blagueuse et farce drolatique d'abord ; puis le fouet du pamphlet politico-social, ensuite la méthode encyclopédiste - au sens XVIIIe siècle du terme - qui consiste à démystifier en parlant de tout et donc à travers toutes les approches possibles ; et enfin, le dictionnaire philosophique voltairien qui permet de passer au crible, de façon iconoclaste, les idéologies dont nous continuons à être les héritiers ou les victimes.

Feu sur le quartier général ! Cet ouvrage (d'autant qu'il n'épargne pas le pouvoir intello-médiatique), fera grincer des dents. Fortement. C'est fait pour.

dimanche, février 26, 2012

Philosophie dominicale





Il y a toujours un sermon dominical pour rappeler aux chrétiens que le premier couple humain fut chassé du jardin d’Éden à cause d’Ève.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) propose une interprétation quelque peu iconoclaste du mythe chrétien. « Le paradis terrestre lui paraît un lieu et un temps de grande bêtise dont heureusement Adam et Ève sont sortis par la grâce de leur pêché : ils ont, en désobéissant à leur Créateur, montré qu'ils pouvaient affirmer leur volonté, donc leur liberté (dans cette histoire, c'est la femme qui eut le beau rôle : de fait les allégories de la liberté ont toujours été féminines) », écrit Christian Godin.

Dans leur « Panorama de la philosophie », Emmanuel Pougeoise et Jean-Michel Ridou reviennent sur les premières réflexions de Hegel :

« Dans une lettre à Schelling du 2 novembre 1800, Hegel écrit : « Partant des besoins subordonnés des hommes, j'ai dû me pousser à la science, et l'idéal de ma jeunesse a dû se transformer en une forme de la réflexion, en un système. » Hegel n'a pas été d'emblée un pur métaphysicien. Ses premières interrogations furent de nature religieuse et politique. La question qu'il se pose alors est celle-ci : quelle doit être la religion d'un peuple pour qu'il soit libre ? Hegel, durant sa jeunesse, veut transformer la réalité politique de l'Allemagne. Mais son problème n'est pas uniquement politique car il sait, en idéaliste, que pour transformer la réalité il faut au préalable transformer les esprits (donc la religion). La réflexion de Hegel se nourrit de deux thèmes majeurs : la Grèce et le christianisme.

L'idéal grec

A l'époque de Hegel, Lessing et Winckelmann ont répandu une vision de la Grèce qui faisait de celle-ci le lieu de l'harmonie et de la sérénité. Hegel à son tour voit dans la Grèce une harmonie entre l'individu et l’État ; une période heureuse pour l'homme qui plaçait son bonheur dans sa participation active comme citoyen à la chose publique (la « chose même »). Bonheur terrestre qui détournait l'homme de toute recherche de satisfaction illusoire dans un quelconque au-delà.

Le christianisme

Il n'en va plus du tout de même pour le christianisme qui, en faisant de l'homme un citoyen du Ciel, a séparé le salut personnel, le destin individuel, de celui de la Cité, et émoussé du même coup l'intérêt pour la chose publique. En fait, c'est un échec historique qui a entraîné la fuite religieuse hors du monde ; c'est la misère répandue par le despotisme des princes romains qui a poussé l'homme à chercher et à attendre le bonheur dans le Ciel.

On comprend bien ici l'étroite relation qu'entretiennent politique et religion, les deux objets de réflexion du jeune Hegel : la religion ne se développe pas indépendamment de la politique, elle traduit le degré de liberté d'un peuple. Ainsi le paganisme est une religion d'hommes libres, le christianisme une religion d'esclaves.

Conséquence : l'aliénation

L'harmonie entre la Cité et l'individu dans la « belle totalité grecque » entraînait pour l'homme une vie en harmonie avec le monde, ignorant le malheur de la transcendance. Avec le christianisme en revanche, l'homme ne se sent plus chez lui dans le monde, comme en témoigne l'épisode biblique du Déluge d'où il ne peut plus ressortir qu'une grande méfiance à l'égard de la nature. Abraham qui ne fit qu'errer sur une terre qu'il ne cultiva jamais illustre également cette rupture radicale entre l'homme et la nature.

A la base du christianisme, il y a l'idée judaïque d'un Dieu transcendant qui écrase ses créatures que sont l'homme et la nature. Dieu est désormais une puissance étrangère dont on ne peut qu'être l'esclave. Le christianisme est dans l'incapacité de concilier Dieu et le monde. »




dessin :


Des apparitions et d'autres phénomènes surnaturels

Hologramme de dragon projeté dans le ciel lors d'un match de baseball en Corée du Sud. Fox News : "Le Vatican s'apprête à publi...