lundi, avril 16, 2012

Lettres du Familistère





Jean-Baptiste André Godin naît en 1817 dans une famille très modeste à Esquéhéries (Aisne). C'est en parcourant la France pour perfectionner son métier de serrurier qu'il se met en quête d'un idéal pratique de justice sociale. Cet ouvrier inventif crée en 1840 un petit atelier de fabrication de poêles en fonte de fer, matériau ductile, plus résistant et plus calorifique que la tôle de fer alors communément employée. Il adhère peu après à la doctrine du philosophe et réformateur socialiste Charles Fourier. Une vingtaine d'années plus tard, Godin est devenu un remarquable capitaine d'industrie, à la tête d'importantes fonderies et manufactures d'appareils de chauffage et de cuisson à Guise (Aisne) et à Bruxelles. L'industriel autodidacte se révèle aussi un ingénieur social de premier plan, plus déterminé que le polytechnicien Victor Considerant dont il a soutenu en 1853 l'essai de colonie fouriériste au Texas. De 1859 à 1884, Godin bâtit à proximité de son usine de Guise une cité de 2 000 habitants, le Familistère ou Palais Social, la plus ambitieuse expérimentation de l'association du travail, du capital et du talent qui ait été conduite. Le Familistère est une interprétation critique originale du Phalanstère de Fourier, une utopie réaliste.

Pendant trente ans, Godin se consacre entièrement à sa mission réformatrice. Il surmonte toutes les oppositions : du Second Empire puis de la République conservatrice, de ses concurrents en industrie, des fouriéristes, des habitants de la ville, de sa femme, de son fils, des employés et ouvriers de ses usines. Il a cependant des correspondants dans le monde entier et reçoit au Familistère des centaines de visiteurs curieux de l'expérience de Guise.

Godin meurt en 1888. Il laisse un patrimoine bâti d'une ampleur exceptionnelle, plusieurs ouvrages importants sur la question sociale et, surtout, l'exemple d'une organisation profondément réformatrice. Jusqu'en 1968, le Palais Social et l'usine ont été la propriété collective de ses travailleurs-habitants, réunis dans l'Association coopérative du Capital et du Travail du Familistère de Guise, fondée en 1888. Longtemps méconnu, Jean-Baptiste André Godin est considéré aujourd'hui comme un des pères de l'économie sociale.





Guise Familistère, 19 janvier 1886
À Monsieur le Directeur du Courrier de Londres

Monsieur,

Votre journal du 16 courant reproduit ma lettre au Times en réponse à l'imputation de matérialisme faite à mon sujet dans les articles publiés par le Times sur l'Association du Familistère fondée par moi à Guise, articles qui, du reste, étaient sérieusement étudiés et inspirés d'un excellent esprit.

The Spectator du 9 courant s'occupe, à son tour, de l'Association du Familistère dans un article qui n'a pas le même mérite. Tout en reconnaissant les avantages dont jouissent les 1800 personnes habitant les palais de l'Association et ceux assurés même aux ouvriers résidant au dehors, il en conclut que tout cela n'est rien et que je n'ai même pas abordé la question sociale.

Permettez-moi de profiter des colonnes de votre journal pour examiner comment The Spectator pose la question sociale, au cours de l'énumération qu'il fait des conséquences de l'Association du Familistère.

Mais, d'abord, un mot sur les considérations préliminaires auxquelles se livre l'auteur de l'article à propos de l'habitation en général et de ce qu'il prétend être l'état de l'opinion publique en Angleterre au sujet des palais donnant tout le confort que l'habitation isolée ne peut offrir.

Jetant quelque peu d'encens à la routine et surtout à la parcimonie des spéculateurs, il dit que beaucoup de personnes pensent toujours que les maisons du peuple doivent être renouvelées, mais que ces personnes « envisagent de meilleurs bâtiments, des dispositions plus scientifiques, des loyers plus légers plutôt qu'un plan de vie en commun ».

Je le demande au Spectator : Où sont les dispositions les plus scientifiques ? Est-ce dans le palais édifié pour 400 familles et réunissant tous les bienfaits de l'Association ? Ou bien dans l'habitation isolée où chacun ne peut compter sur l'aide de personne ?

D'après The Spectator, « les philanthropes disent que l'Anglais préfère une pauvre chambre dans un cottage à lui à la meilleure chambre dans un Palais dont il partageait la jouissance avec un millier d'autres ».

Singulière contradiction ! On voit tous les Anglais riches lorsqu'ils viennent à Paris, au lieu de rechercher de petits cottages descendre au Grand Hôtel boulevard des Capucines, à l'Hôtel du Louvre, à l'Hôtel Continental ; tous les grands hôtels de Paris ne sont pas assez grands pour eux et ils vivent là au milieu de centaines d'autres habitant les mêmes édifices ? Montrer ces inconséquences est la meilleure réponse à faire au prétendu amour de l'isolement.

Passant à l'Association du Familistère, The Spectator constate : « Que tous les ouvriers y sont admis à participer aux bénéfices, suivant leurs capacités et qu'ils accumulent ces profits pour rembourser le capital de fondation :

« Que j'ai construit pour le personnel des travailleurs des palais d'habitation offrant des conditions d'existence comparativement confortables ;

« Que 400 familles sont ainsi logées dans des appartements aussi indépendants que s'ils constituaient autant de maisons ;

« Que l'établissement possède, en outre, des nourriceries où, en l'absence de la mère, aucun soin ne fait défaut aux enfants ;

« Des écoles où les enfants reçoivent une instruction exceptionnellement bonne ;

« Des magasins coopératifs où toute la communauté peut facilement s'approvisionner ;

« Des salles de bains, lavoirs, buanderies, étendoirs, etc. ;

« Une bibliothèque avec une salle de lecture ;

« Un café, un théâtre, des jardins, le tout ouvert à toute la communauté ;

« Dans ce palais , dit-il, vivent les ouvriers et leurs familles et ce sont eux qui, sous la gérance de M. Godin, administrent les affaires de l'Association ;

« Ils élisent les membres de leur comité gouvernant. »

The Spectator rappelle que les enfants y sont dans de bonnes conditions ; il aurait pu affirmer qu'aucun bourgeois de Londres n'a les siens mieux soignés que ne le sont les enfants les plus pauvres de cette population de 1 800 personnes.

Il termine son énumération en disant : « Les ouvriers et leurs femmes sont évidemment contents puisqu'ils restent là jusqu'à la vieillesse ; en toute apparence, le paupérisme est vaincu. »

Il aurait pu dire, en outre, que des assurances de secours mutuels sont constituées de telle sorte qu'elles possèdent, aujourd'hui, un capital de sept cent mille francs avec lequel elles garantissent les subsides nécessaires à la famille pendant la maladie, les soins du médecin et les remèdes, des pensions de retraite à tous les travailleurs en cas de vieillesse ou d'incapacité de travail ; que ces caisses d'assurance sont administrées par les ouvriers eux-mêmes et que les comités de direction en sont élus par moitié tous les six mois.

Voyons maintenant la conclusion du Spectator. Voici comment il s'exprime : « La question sociale n'est-elle pas résolue ? Malheureusement non, elle est à peine touchée. M. Godin n'a pas véritablement abordé même la grande difficulté sociale... Le problème est de savoir si une société où la paresse est tolérée, où l'ivrognerie est possible, où l'impulsion humaine accumule graduellement ses effets et où il n'y a aucune discipline directe supérieure peut être aussi confortable; or, ce problème n'a pas encore été résolu. »

Cette manière de poser le problème de l'amélioration du sort des classes ouvrières sera trouvée au moins étrange par tous les hommes de bon vouloir qui s'occupent des moyens de cette amélioration.

Quoi ! Rien ne serait fait parce qu'il reste quelque chose à faire ! Le bien-être organisé pour 1 800 personnes, sous le régime absolu de la liberté du travail et de la liberté des familles, les bienfaits de la mutualité s'étendant à 4 000 personnes par le fait de l'Association, tout cela ne serait rien parce que cette association n'aurait pas commencé par se recruter de voleurs, d'assassins, d'ivrognes et de fainéants ! Certainement, c'est là une étrange manière de voir.

Donnons à chacun son rôle les chefs d'industrie ne peuvent agir que sur les groupes d'ouvriers qui les entourent ; ils n'ont pas les pouvoirs du gouvernement pour appliquer les lois ; la société a son rôle à remplir à l'égard des réfractaires ; les industriels et les détenteurs de la richesse n'ont de devoirs qu'à l'égard des classes laborieuses.

Je serais heureux si tous les capitalistes et chefs d'industrie d'Angleterre et d'ailleurs me tendaient la main pour associer les ouvriers aux bénéfices de l'industrie, comme je l'ai fait afin de réaliser au profit des travailleurs toute la somme de bien-être que les progrès de la production moderne permet de leur donner ! Alors l'industrie et la richesse feraient cause commune avec les gouvernants pour les mesures législatives à faire intervenir, afin de prendre la question d'aussi haut que l'entrevoit le rédacteur du Spectator.

Mais, en attendant que les Gouvernants et que les hommes chargés des destinées des nations s'élèvent à la hauteur de leur rôle, ne serait-il pas heureux que ceux qui possèdent la richesse comprissent qu'il y a des déshérités en ce monde et qu'il est de notre devoir de reconnaître leurs droits ? Que des industriels commencent par introduire dans leurs usines et manufactures le genre de despotisme que le Spectator m'attribue en associant leurs ouvriers à leur industrie, alors sera grande la surprise du Spectator de voir que, sous cette communauté d'efforts, la classe ouvrière s'élevant à l'aisance, au bien-être, à l'amour de la famille par un chez-soi confortable, à la moralité par l'instruction, les fainéants, les paresseux et les ivrognes se confondront dans la masse commune des ouvriers rangés. Ce qu'il en restera sera l'affaire de la société ; elle devra toujours avoir des hospices pour soigner les gens malades, voire même des maisons de réclusion pour les voleurs et les assassins. Ce n'est pas avec ceux-là que l'industrie doit commencer par aborder les améliorations sociales.

Le rédacteur du Spectator trouve que je n'ai pas abordé la question sociale ; je voudrais bien que cet écrivain me fit toucher cette question. Je croyais la connaître, je croyais l'avoir très sérieusement développée dans mes écrits et dans mes actes. Si je me suis trompé, je voudrais revenir de cette erreur. J'ai toujours cru que la question sociale consistait dans l'amélioration du sort des classes ouvrières, et je crois encore que lorsqu'un chef d'industrie a par l'association doté une population ouvrière d'environ 2 000 personnes de l'aisance, du bien-être et d'un confort relatif, quand par cette association, il a étendu les bienfaits de la mutualité, les soins et subsides pendant la maladie, la retraite pour la vieillesse à tous les autres ouvriers auxiliaires de l'établissement, quand il a supprimé la misère autour de lui, je crois qu'il a fait un grand pas vers la solution du problème social, puisqu'il a fourni un exemple qu'il suffit d'imiter et de généraliser.

Certainement, il reste beaucoup à faire. D'abord, il faut des imitateurs et il faut surtout que les gouvernants aident à la solution du problème en faisant des lois favorables à une plus juste répartition de la richesse. Mais quelle est donc l’œuvre qui arrive à sa perfection tout d'un coup ?

Godin
Fondateur du Familistère
Ancien député


Lettres du Familistère

Nombre d'ouvrages sont parus à propos du fondateur du Familistère et de son œuvre. Mais avec les Lettres du Familistère, le lecteur est en prise direct avec l'homme privé, dépouillé des analyses. Les visiteurs découvrant le site du Familistère nous demandent fréquemment : « Mais quand cet homme trouvait-il le temps de dormir ? » Et à la lecture de ses lettres, nous nous posons la même question ! On y trouve se juxtaposant les remontrances au papa du petit Jules qui se comporte mal à l'école, ses soucis de constructeur, le schéma d'une machine à vapeur griffonnée à la va-vite dans la marge d'une lettre adressée à son fils, ses préoccupations dans sa maîtrise d'une usine en plein essor et de son système économique innovant, ses déboires conjugaux, sa défense zélée de son projet social, ses contacts parfois critiques avec les fouriéristes. Ces documents dévoilent Jean-Baptiste-André Godin, sa dimension personnelle, sa dimension de capitaine d'industrie, d'architecte, mais aussi de novateur dans le domaine des idées et dans sa volonté acharnée de les diffuser. Parallèlement, au fil des pages, le lecteur découvre ou redécouvre le Familistère d'aujourd'hui au travers des photos d'Hugues Fontaine. Quand on croise celui-ci en plein travail, on imaginerait plutôt un reporter baroudeur couvrant les points chauds de la planète qu'un photographe cherchant à fixer des images du patrimoine national. Son objectif débusque des détails, des angles, des perspectives, des couleurs chaudes et veloutées qui surprennent même les gens habitués à arpenter le Familistère en tout sens. Chacun de ses clichés restitue l'âme des lieux en captant sa lumière et ses personnages.

Cette mise en perspective d'une vision artistique du Familistère au XXI siècle et des mots pensés et écrits par Godin rend l'ouvrage réellement original, authentique et passionnant.



Phtographie :
Palais social de Godin.



Sur le fouriérisme :

dimanche, avril 15, 2012

L'iboga, le bois sacré





Le chamanisme fait souvent penser aux hauts plateaux d'Asie et aux étendues septentrionales d'Amérique. Mais il s'est également développé en Afrique, notamment en Afrique Équatoriale, au sein de l'aire Bantoue. Il s'est transmis et développé ensuite plus particulièrement au Gabon, chez les Mitsogho (ou Tsogho).

Les Mitsogho ont en effet un rite chamanique, le bwiti. Il fait appel à l'iboga, une plante psychoactive employée dans un but initiatique (localement appelée « eboga »). Le rite bwiti est tant lié à cette plante qu'on parle parfois de religion Eboga, ce qui est un peu réducteur. Le rite bwiti est également passé chez certains groupes Fang (au Cameroun, mais aussi au Gabon), chez lesquels il remplace un autre rite, celui du byeri. Le byeri fait appel à une autre plante psychoactive, l'alan (Alchornea floribunda), aux effets réputés moins puissants, raison qui ont conduits certains Fang à adopter le bwiti. Au Congo-Kinshasa, le bwiti a donné naissance au rite Zebola chez les Mongo, une forme de psychothérapie traditionnelle.

Le rite bwiti

Il s'agit d'une cérémonie secrète de passage d'un néophyte — un jeune homme — vers la vie adulte. Schématiquement, celui-ci est d'abord invité à retrouver symboliquement l'état d'avant la naissance. Puis on lui fait mastiquer de la racine d'iboga, sous la surveillance d'un aîné initié qui lui sert de « mère symbolique » durant le rite. La mastication d'iboga entraîne tout d'abord l'apparition de violents et incontrôlables vomissements. Le néophyte se vide symboliquement. « y compris du lait de sa mère ». Ensuite surviennent les hallucinations, sous forme d'images se succédant rapidement. Durant cette phase, le néophyte reste en contact avec sa « mère » et les autres hommes participant au rite, qui peuvent l'interroger sur ses sensations. Ils disposent en effet d'un antidote à l'iboga, si les choses venaient à se compliquer. Le néophyte doit passer par quatre stades successifs, dont le dernier consiste à ressentir l'état de « mort initiatique ». consistant à entrer en contact avec les fondateurs de la cosmogonie Mitsogho, Nzamba-Kana et Disumba. Ce n'est qu'a ce prix que le néophyte sera considéré comme ayant l'instruction suffisante pour gagner la qualité d'initié. Il devient un nganga, c'est-à-dire un guérisseur (en langage politiquement correct, on parlera de « tradipraticien »). Les stades successifs correspondent en réalité à une intoxication graduelle par l'iboga, effectuée sous contrôle.

Comme de très nombreux rites tribaux à travers le monde, le bwiti connaît des variantes locales, avec par exemple une forme destinée aux femmes.

Du bwiti à la médecine...

En 1962-1963, Howard Lotsof, un jeune américain en proie à l'héroïne, expérimenta l'iboga et découvrit une propriété intéressante de la plante : dans des conditions bien particulières, elle supprime l'addiction physique aux drogues opiacées. Lotsof étudia d'abord sur lui, puis sur d'autres, la propriété qu'a l'iboga de jouer le rôle d'un « interrupteur de la dépendance chimique ». Lotsof deviendra chercheur, déposera 20 ans plus tard deux brevets à propos de la « procédure Lotsof », au moment où d'autres études arrivaient aux mêmes conclusions. Lotsof développa une méthode de sevrage direct des personnes sous l'emprise de l'héroïne. Mais parallèlement, dès 1967, l'iboga fut aussi employé aux États-Unis pour un usage récréatif, en substitut du LSD.

Et de la médecine au bwiti

Le militantisme de Lotsof fera des émules, durant. les années 90, lorsque la consommation d'héroïne battait son plein en France. Quelques personnes iront en Afrique accomplir le rite bwiti et à leur tour organiser en France des stages de désintoxication, en associant. l'aspect spirituel du chamanisme (un « nouveau départ »), un passage au vert, pendant. quelque temps, et un aspect plus médical (la possibilité de décrocher). Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'époque ne voyait pas d'un œil favorable les consommateurs d'héroïne. Ces stages se déroulaient sans que quiconque s'en soucie ou s'y intéresse : après tout, tout cela n'était que des histoires de junkies !

En dehors d'un cadre médical, l'usage de l'iboga présente pourtant des risques, notamment de convulsions. Mais pas seulement. Paradoxalement, le danger d'une overdose de drogue opiacée est augmenté par la prise d'iboga. Lotsof avait noté qu'un cinquième environ des sujets traités à l'iboga reprenait leur consommation de stupéfiants comme avant. Or l'iboga supprimant l'accoutumance à l'héroïne et à la. méthadone (accoutumance qui a progressivement amené le drogué à augmenter ses doses), le sujet se retrouve comme vierge vis-à-vis de ces drogues. S'il reprend de l'héroïne (ou de
la méthadone) aux même doses qu'auparavant, il s'expose alors à l'overdose.

Au début des années 2000, l'iboga commença à se trouver dans la ligne de mire des pouvoirs publics. Deux drames vont accélérer le mouvement. En juillet 2006, un toxicomane décède au cours d'un stage de désintoxication organisée par une association, en Ardèche, en lien avec une « Association africaine d'aide humanitaire à l'occident ». En décembre 2006, un ressortissant français meurt dans des conditions similaires, au Gabon. Le 28 janvier 2007, un tribunal condamne l'association ardéchoise pour sa responsabilité dans le drame survenu en Ardèche. Huit jours plus tard, un arrêté d'interdiction de l'iboga est soumis à la signature du Directeur général de la santé. L'iboga est dorénavant interdit dans plusieurs pays européens, notamment en Belgique.

Cette histoire laisse une impression d'inachevé. Dans la logique du Vieux Monde, les plantes politiquement incorrectes ont presque toujours connu le même trajet : ignorées, suspectées, surveillées, dénoncées, interdites avant d'être réhabilitées. Or l'iboga, ou du moins la substance active principale, l'ibogaïne, offre un espoir particulièrement intéressant de délivrer les personnes prisonnières de la nasse à opiacés. Si les recherches médicales se poursuivent, l'iboga reviendra peut-être sur le devant de la scène...

Jean-Michel Groult, Plantes interdites.







Plantes interdites

Saviez vous que...

... le cannabis fut, aux USA dans les années 30, l'objet d'une violente campagne médiatique car l'alcool étant à nouveau autorisé, il fallait bien continuer à justifier les activités du Bureau des stupéfiants ?

... de la coca pousse librement sur les bords des chemins, quelque part en France ?

... l'absinthe fut interdite, notamment à cause de la concurrence déloyale qu'elle causait aux producteurs de vin, confrontés à la crise du phylloxéra ?

... sous le IIIe Reich, des botanistes allemands cherchèrent à éradiquer une plante " bolchévique " venue de Sibérie, afin de protéger la pureté de la flore germanique ?

... les avortements ont fait, dans l'Antiquité, la richesse d'une province, avant que la plante employée ne s'éteigne pour cause de surexploitation ?

A travers la grande et la petite histoire, Jean Michel Groult décrypte toutes les raisons, scientifiques, culturelles ou économiques, qui ont conduit à mettre au ban de la société certaines plantes : cannabis, absinthe, coca, peyotl, pavot, iboga, khat, etc. Innombrables sont ces plantes, psychotropes, chamaniques, abortives, invasives, transgéniques... qui selon les époques et les lieux, sont out à tour acceptées et prohibées. L'iconographie témoigne avec force de l'évolution de la société sur ces questions. Un beau livre passionnant qui permet de faire le point dans un débat encore souvent explosif !


Jean-Michel Groult est botaniste, journaliste et photographe. Passionné de plantes, il cultive dans son jardin une grande diversité d'espèces. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages aux éditions Ulmer, dont Jardiner durablement, les solutions bio qui marchent vraiment (Prix Saint-Fiacre 2007).


Photographie :
Une thérapeute française participe à un rite d'initiation pour femmes.

samedi, avril 14, 2012

« Apportez-nous la vérité »





Les grenouilles de La Fontaine suppliaient le Ciel de leur envoyer un roi. Aujourd'hui, on demande des gourous. « Dites-nous ce que nous devons croire et comment nous devons agir. »

Devenir adulte, c'est reconnaître, sans trop souffrir, que le Père Noël n'existe pas. C'est apprendre à vivre dans le doute et dans l'incertitude.

Il ne suffit pas d'apporter la connaissance, le vulgarisateur doit encore signaler les limites de la démarche scientifique. « Telle théorie est modérément crédible. » « Telle affirmation est encore largement spéculative et ne doit être acceptée qu'avec prudence. » « A telle question, il y a plusieurs réponses possibles, entre lesquelles nous ne pouvons pas encore choisir. »

Il importe également de signaler les limites et les dangers du discours simplifié utilisé par le vulgarisateur : « Telle image est ambiguë ; telle comparaison peut prêter à confusion. »

« Quel plaisir de comprendre ! Je me sens intelligent. Je croyais ces notions bien au-dessus de mes capacités intellectuelles. » Ces propos, les vulgarisateurs scientifiques les entendent souvent. Ils signalent, à mon avis, une grave déficience de nos systèmes d'éducation.

Loin de donner envie d'apprendre et d'accroître l'aptitude à penser, les institutions, trop souvent, privent les étudiants du plaisir de la connaissance et injectent, en prime, un sentiment d'incompétence.

« Quel dommage que l'astronomie ne soit plus enseignée au lycée ! » disent quelquefois les spectateurs après une projection de photos astronomiques. « En êtes-vous bien sûr ? » est ma réponse habituelle. « Pourriez-vous encore y prendre du plaisir ? »

Les dommages causés par l'école ne sont pas (nécessairement) irréparables. Redonner confiance, ressusciter le goût d'apprendre, le plaisir de connaître, voilà certes une des plus hautes missions de la vulgarisation scientifique.

« Où en est la recherche aujourd'hui ? Quelles sont les questions à l'ordre du jour ? Sur tel sujet, quelles sont les hypothèses, les théories rivales ? » Personne n'aime se sentir « hors du coup ». Quoi de plus valorisant que cette intégration, que ce sentiment d'appartenir à la culture contemporaine ?

Si la science ne peut pas répondre aux questions telles que « Dieu existe-t-il ? La vie a-t-elle un sens ? Y a-t-il une vie après la mort ? », les connaissances scientifiques nous permettent néanmoins de nous situer dans le cosmos par rapport aux étoiles, aux plantes, aux animaux. La science retrace notre passé, retrouve nos racines cosmiques et décrit l'aventure de la matière qui s'organise, où notre existence s'insère.

Pour vivre, pour se comporter parmi ses semblables, pour prendre les décisions qui s'imposent, chacun de nous développe sa propre philosophie de la vie (philosophie avec un petit p), sa propre vision du monde. C'est dans l'élaboration de cette vision du monde que les connaissances scientifiques jouent un rôle primordial.

Hubert Reeves


vendredi, avril 13, 2012

Thérapies miraculeuses





Accusé d'escroquerie, Benoît Yang Ting, gourou des faux souvenirs induits, faisait payer 320 euros l'heure. Le cancérologue David Khayat demande 500 euros pour une consultation. Médiatique mandarin et auteur d'un livre au titre  prétentieux, « Le vrai régime anticancer », David Khayat est un gourou "officiel". La maladie permet à toutes sortes de charlatans de s'enrichir.

L'actrice Shirley Maclaine a fait connaître le guérisseur Alex Orbito. Elle écrit :

« J'ai invité Orbito à venir passer quelques semaines dans ma maison de Malibu afin qu'il puisse continuer à m'observer. Peu de temps avant Noël, j'ai fait savoir qu'Alex opérerait ses guérisons à Noël et que chacun pourrait, dans la mesure de ses moyens, contribuer par des dons à la construction de son centre de soins. Près d'une centaine de personnes sont venues ce jour-là et le lendemain des amis, des amis d'amis, des chercheurs spirituels poussés par la curiosité et quelques personnes réellement malades.

J'ai logé Alex, sa femme et leur assistante dans les chambres d'amis et j'ai transformé ma salle de yoga en clinique.

Ma table de massage a servi à allonger les patients. Alex s'est installé derrière, sa femme et son assistante à ses côtés. J'ai assisté à de nombreuses interventions, à certaines même que je n'aurais jamais cru avoir l'estomac de supporter. Mais je l'ai fait et j'ai regardé de très près.

Les gens méditaient paisiblement avant d'entrer dans la pièce. Presque tous avaient confiance, ce qui ne les empêchait pas de se montrer aussi anxieux et effrayés que je l'avais été. Je comprenais fort bien la contradiction. J'étais passée par là. Ils se soutenaient mutuellement. Alex a conduit une prière et une « connexion commune avec Dieu » avant de commencer à opérer.

Au cours des interventions dont j'ai été témoin, je l'ai vu sortir l’œil de l'orbite d'une malade avec ses doigts, en nettoyer l'arrière et le remettre en place. La patiente n'a rien senti. Elle s'est levée et a quitté la pièce toute souriante en disant qu'elle n'avait perçu qu'une pression.

Il a retiré des tumeurs pulmonaires et abdominales, extrait une dent avec ses doigts et arrêté l'hémorragie, sorti des kystes et des excroissances de toutes les parties imaginables du corps.

Lorsque les patients souffraient de problèmes génitaux, je quittais toujours la pièce. J'ai su qu'Alex avait opéré des hémorroïdes et des fibromes, mais il les atteignait généralement de l'extérieur, rarement par le vagin et l'anus.

Il a extrait des cancers du sein et un goitre.

Il a retiré des caillots de sang du cou d'un ami de quatre-vingt-six ans souffrant d'artériosclérose.

Il a ouvert des gencives pour guérir une pyorrhée.

Il a sorti une tumeur d'un cerveau.

Certains souhaitaient parfois voir opérer les autres, mais Alex préférait qu'ils soient peu nombreux car, disait-il, les énergies sceptiques drainaient la sienne.

Au cours de cette même période de congé, il s'est rendu à Ojai pour y prodiguer ses soins. Beaucoup ont quitté Los Angeles pour l'accompagner sur mon invitation.

Je me souviens de la première journée passée à Ojai. Alex avait installé sa salle d'opération dans l'entrée d'une chapelle de témoins de Jéhovah. Une trentaine de personnes tenaient à le voir pratiquer sur quelqu'un avant de permettre le moindre traitement sur leur propre corps. Je me suis portée volontaire, car beaucoup étaient venus là à cause de moi.

Ils sont entrés à la file dans le vestibule où j'étais allongée tout habillée. Alex, la tête dans ses mains, priait derrière la table. Il a prié longtemps. J'ai senti que la diversité d'énergies accumulées l'y obligeait (les psychiques et les sensitifs captent tous les schémas d'énergie. L'impact sur eux s'avère parfois négatif).

Alex tardait à relever la tête. Finalement, le visage toujours baissé, il m'a chuchoté d'une voix hésitante : « Shirley... l'homme en sweater bleu, contre le mur... son énergie est négative.., très négative.., il ne m'aime pas... ni ce que je fais... Très difficile... s'il vous plaît... vous pouvez lui demander de sortir ? »

Je suis restée allongée et j'ai tourné la tête pour repérer l'homme en question. C'était l'ami d'un journaliste que j'avais invité. Plutôt que le renvoyer seul, j'ai préféré dire : « Quelqu'un parmi vous dégage un grand scepticisme et beaucoup d'énergie négative. Cette personne le sait. Il vaudrait mieux qu'elle revienne plus tard, lorsqu'elle se sentira plus positive. » (Avec l'âge j'ai fini par apprendre la diplomatie.)

L'homme au sweater bleu est sorti sans faire d'histoire, suivi de deux autres personnes et nul ne leur en a tenu rigueur. Alex s'est remis à prier. Son expression a changé à mesure qu'il entrait en légère transe. Il a commencé à m'« opérer ». Je n'ai pas regardé ses mains pénétrer dans mon abdomen, préférant contempler les visages des spectateurs. Ils étaient stupéfaits, horrifiés, choqués, ahuris. Comment décrire l'expression de ceux qui observent ce qui défie leur notion de la réalité ? Quelqu'un s'est écrié : «Oh non !... Soyez prudente, Shirley ! » Cette personne était si inquiète que je l'ai rassurée de ma table. Certains semblaient surpris que je puisse discuter avec Alex, alors que ses mains étaient enfouies jusqu'aux poignets dans mon abdomen d'où s'échappaient des bruits de succion et les remous habituels. Le sang s'écoulait de chaque côté de mon corps à jets quasi continus. J'ai ressenti une forte pression à l'intérieur de mon ventre et je dois reconnaître que, cette fois, j'ai éprouvé une légère douleur, provenant du manque de confiance des observateurs. J'ai fermé les yeux et me suis efforcée de communiquer à mon esprit un état de confiance absolue, mais la douleur a subsisté. » Pendant qu'Orbito fouille ses entrailles, l'actrice américaine a une illumination : « C'est alors que j'ai compris très clairement l'importance de la confiance pour ce qui concerne le spirituel en général et la guérison en particulier. »

Mais la confiance s'estompa en 2005, quand Orbito fut accusé de charlatanisme par les autorités canadiennes.





Illustration :



jeudi, avril 12, 2012

Philosophie des hommes sans projets





Gamin, j'ai changé maintes fois d'école. C'est dans les cours de récréation que j'ai acquis la conviction, jamais ébranlée par la suite, que l'homme est un loup pour l'homme. Et, même si ce n'est pas très glorieux, je dois avouer que la peur que suscitent en moi les humains est une de mes passions dominantes.

Sans grand risque de me tromper, je pense que le pire est surtout à craindre de l'homme qui a des projets. Versant dans l'illusion que le neuf est possible sous le soleil, Monsieur J'ai-des-projets se figure qu'il en sera, comme il dit, le « promoteur » et l'« acteur », qu'il deviendra, en somme, indispensable. Rien de plus effrayant à mes yeux que cette obsession du projet. Je ne puis oublier que les cimetières sont pleins d'hommes indispensables et qu'ils y jetèrent avant eux, prématurément, quantité de gens qui ne furent pas très convaincus de la nécessité de leurs projets.

Mais je remarque que Monsieur J'ai-des-projets, représente une nuisance sans même qu'il passe à l'action : il suffit qu'il parle, qu'il déverse sans cesse et partout, comme on l'y autorise, le langage de la motivation et de l'investissement personnel. Jadis c'était le militant politique qui s'exprimait de la sorte, mais avec d'autres mots. Il ne se posait pas en homme motivé mais concerné. Il ne s'investissait pas dans tel ou tel objectif ciblé, mais adhérait à une cause et s'engageait à y faire adhérer les autres. Imprégné d'existentialisme sartrien, son projet était que le monde et les hommes aillent dans le sens historique du meilleur, fût-il au fond d'un charnier ou derrière des barbelés. À présent, les discours optimistes du militant politique ont laissé place aux paroles optimisantes de Monsieur J'ai-des-projets. Non seulement ses palabres ne laissent présager elles aussi que de la casse, mais déjà, en elles-mêmes, de par leur diffusion médiatique, elles se répandent comme une pollution intellectuelle. Croyant incarner le nouveau sens de l'Histoire, l'Innovation, sans même recourir à l'existentialisme sartrien, Monsieur J'ai-des-projets milite, infatigable, dans le parti totalitaire de la vulgarité.

Davantage qu'à Lucrèce, l'Ecclésiaste me fait penser à Arthur Schopenhauer, auteur d'une philosophie du vouloir-vivre aveugle à l'usage des hommes sans projets.

Pour Schopenhauer la vie d'un humain n'a d'autre sens que de payer au prix fort le crime d'être né. Durant des années il lui faut satisfaire ses besoins, éviter la maladie, combattre la misère, se protéger de l'agressivité d'autrui, toutes sortes d'efforts humiliants car, in fine, il n'aura d'autre récompense que la décrépitude et ne trouvera de délivrance que dans la mort.

Le sentiment qui m'affecte depuis longtemps, est celui de la stérilité. Tout se passe comme si j'avais en moi un élan créateur destiné à exploiter de riches réserves de sens ou d'imagination, mais que je ne pouvais mettre en action faute d'une énergie suffisante. Sitôt que je me mets à une tâche, une voix intérieure m'en dissuade et je me sens disqualifié. Du coup, épuisé par l'inertie de mon génie, j'incline en permanence à dormir, autrement dit à opter pour la version inconsciente de ma stérilité. Mais comme nulle sieste, même répétée dans une journée, ne me déleste de cette pesanteur, je donne l'image d'un type n'ayant d'autre éthique que la flemme. Combien de fois, durant ma prime jeunesse, ma mère, mes maîtres à l'école, mes professeurs au lycée et même mes amis, me serinaient que j'étais un « fatigué de naissance ». Aujourd'hui encore, j'entends ce refrain. Mon père, lui, ne me fit jamais cette réflexion. Comme je l'ai déjà dit, il m'a vu naître et atteindre l'âge de neuf ans ; puis la vie s'est brutalement fatiguée de lui. Schopenhauer dit que le besoin métaphysique vient de la « stupéfaction douloureuse » qu'on éprouve face au spectacle de la vie ; je dirais plutôt que, pour moi, le goût de philosopher est venu suite à une douleur stupéfiante.

Après un désastre affectif, certains, paraît-il, trouvent la force de se reconstruire. Depuis près de quarante ans je me maintiens plutôt bien dans le délabrement, ballotté entre la tentation d'une vie sociale qui, à ce qu'on prétend, offre des consolations, et le réflexe de la déserter de peur de m'y dissoudre. N'étant visiblement pas fait pour ce monde, je me suis résigné à l'idée qu'il n'en existait pas d'autre et qu'il valait mieux que j'en fusse spectateur plutôt qu'acteur — vocation incertaine qui m'amène à n'être qu'un dilettante vaguement philosophe, vaguement esthète, sans autre projet que de jouir sans entraves de ses temps morts.

Si j'ai fait de Schopenhauer un de mes pères spirituels adoptifs, c'est parce que grâce à lui, je ne me sens aucunement coupable de ma vie comme velléité et comme contemplation. À l'en croire, le dilettante, sensible aux œuvres majeures de l'art et de la philosophie, présente un meilleur visage que l'homme d'action, celui qui aime à se qualifier de « professionnel », ou pire, de « pro ». Inversant une logique commune, Schopenhauer affirme que, pour être plein de vitalité, l'homme d'action est passif, tandis que, pour en manquer, l'homme de la contemplation est actif. Rien de plus illusoire que l'action dont s'enorgueillit le « pro ». S'il peut rendre compte des mobiles personnels de ses faits et gestes, il ignore tout de ses réels motifs qui ressortissent à la force impérieuse et aveugle du vouloir-vivre qui le manœuvre. Le dilettante, au contraire, observant à la loupe, dans une œuvre, la sempiternelle tragi-comédie des gesticulations de ses semblables, ne se laisse pas aveugler par le vouloir-vivre. Animé d'une vive démotivation, le voilà disposé à la connaissance, forme supérieure de l'action selon Schopenhauer, et même, parfois au génie créateur — deux activités relativement gratuites, sans grand danger pour les autres.

Le voilà condamné à la lucidité, avancerais-je pour ma part. La lucidité est la morsure de la mort dans la chair de la conscience. La douleur en est tantôt vive, tantôt lancinante. Une torture intime qui s'appelle le cafard. Comme le cafard n'est pas de tout repos, la morale est sauve.

Frédéric Schiffter, Le plafond de Montaigne.


Le plafond de Montaigne

En 1571, Michel de Montaigne a trente-huit ans. Lassé de ses charges de magistrat et de sa vie de soldat, écœuré des guerres de religion, il se retire en son château orné de deux petites tours. Dans l’une d’elles, au dernier étage, il aménage sa “ librairie ”, un bureau bibliothèque où il rédige jusqu’à son dernier souffle les Essais.

Quand on visite aujourd’hui ce lieu, on aperçoit sur les poutres de la charpente, artistement gravées, des citations d’auteurs que Montaigne affectionnait. Pêle-mêle : Sophocle, Euripide, Xénophane, Pline, Térence, Horace, Lucrèce, Sextus Empiricus, saint Paul, Érasme. Au faîte de ce panthéon, l’Ecclésiaste.

Tout le scepticisme et le pessimisme de Montaigne se reflètent sur ce plafond.

Montaigne disait aimer les citations parce que, ramassant la pensée d’un grand esprit, elles lui donnaient l’occasion de penser par lui-même. Comme les auteurs de Montaigne sont aussi ceux de Frédéric Schiffter, ce dernier a prélevé quelques-unes des sentences et maximes de son choix pour se livrer à son tour à un essai de méditation.

Le Plafond de Montaigne est un ciel d’intelligence vers lequel s’élève l’âme de n’importe quel honnête homme.





mercredi, avril 11, 2012

Démasqué





Jacques Lacarrière résume la pensée gnostique en ces termes : « Nous sommes des exploités à l'échelle cosmique, les prolétaires du bourreau-démiurge, des esclaves exilés dans un monde soumis viscéralement à la violence, les sédiments d'un ciel perdu, des étrangers sur notre propre terre ». (« Les gnostiques », Albin Michel)

Pour les gnostiques, le démiurge, bourreau pervers de l'humanité, représente l'esclavagisme qui règne dans le monde matériel et dans la sphère astrale (l'au-delà des occultistes ou le « Paradis » des religions). L'énergie vitale de l'homme est l'objet d'un véritable parasitisme durant la vie et après la mort.

Michaël, lecteur de Bouddhanar, présente « Démasqué », livre écrit par Jan Van Rijckenborgh, un gnostique du XXe siècle. Ce texte est une véhémente dénonciation du système d'exploitation instauré dans le monde matériel et la sphère astrale.

Démasqué

Un livre visionnaire pour éclairer l’obscure lumière de notre époque.

Par Michaël


4. Jésus leur répondit : Prenez garde que personne ne vous séduise.
5. Car
plusieurs viendront sous mon nom, disant : C'est moi qui suis le Christ.
Et ils séduiront beaucoup de gens.
23. Si quelqu'un vous dit alors : Le Christ est ici, ou : Il est là, ne le croyez pas.
24. Car il s'élèvera de faux Christs et de faux prophètes ; ils feront de grands prodiges et des miracles, au point de séduire, s'il était possible, même les élus.
25. Voici, je vous l'ai annoncé d'avance.
[Mathieu 24 :4-5, 23-25,]

Notre époque semble porter de nombreux signes avant-coureurs de la fin d’un monde, de la clôture d’une ère qui a eu son sens, ses conflits, ses lueurs d’espoir et qui se doit de passer son chemin comme tout dans notre univers rempli de cycles. Nous sommes en train de vivre une transition fondamentale pour notre espèce, l’ancien monde se craquèle de toute part, la religion, la philosophie, la famille, les sciences, les rapports sociaux rien de ce en quoi nous avons cru jusqu’ici ne semble tenir le choc de cette mutation. Alors, devant l’angoisse du changement, les uns fuient en arrière en retournant vers les traditions du passé et les autres fuient en avant en fixant leur croyance sur un monde technologique garant de notre salut. Très rares sont les êtres qui ne fuient ni en arrière, ni avant et restent là, ici et maintenant, avec ce qui est, le fait que rien de ce qui fait partie de notre connu nous aidera à franchir le cap. Comme le disait les gnostiques d’Orient et d’Occident avant hier et hier Krishnamurti, il nous faut nous libérer de toutes les structures mentales liées à l’ancien monde pour être réellement créateur et vivre la mutation en pleine conscience. Ainsi, je vous invite à relire les écrits de ces hommes et femmes pour y puiser une force qui n’est pas de ce monde et qui pourtant remplie de lumière notre monde intérieur quand cette force se mue en conscience de vérité.

Le livre de Jan Van Rijckenborgh nous invite à comprendre les rouages occultes qui sous-tendent la crise actuelle. Je parlais plus haut de la fuite en arrière, de ce retour aux religions d’antan par celles et ceux qui perçoivent (avec raison parfois) la crise du monde moderne. On peut le comprendre, c’est humain, mais ce retour à des structures non adaptées à notre ère causera lui aussi de nombreuses désillusions et surtout des conflits inter-communautaires sans précédent à l’échelle mondiale. Nous le voyons dans l’actualité, le retour des identitarismes qu’ils soient nationaux ou religieux se fait sentir comme une attitude de repli et de protection face au monstre mondialiste qui écrase et broie l’âme humaine. Le livre « Démasqué » nous propose de soulever le voile et nous permet la compréhension et le constat lucide que tout se joue sur les plans énergétiques de notre planète, dans les coulisses du théâtre planétaire. Les égrégores religieux (qui sont depuis longtemps coupés de leur source divine au profit des forces anti-divine de ce monde) ont démarré une lutte pour leur survie énergétique et ils manipulent leurs fidèles par un besoin d’auto-conservation. Les rayonnements du Verseau mettent à mal leurs structures énergétiques et pour conserver la vie ils ont ainsi besoin de générer un maximum d’énergie émotionnelle. La peur, la haine de l’autre, le repli identitaire, les prières dirigées contre les ennemis sont un formidable réservoir énergétique pour ces égrégores et les victimes sont encore et toujours les humains. Le drame religieux réside dans la croyance auto-suggérée et alimentée par les égrégores par le biais des prédicateurs qui ne possèdent plus les clés ésotériques des écrits sacrés. J’ai cité l’évangile selon Mathieu en introduction de ce texte, mais ne croyez pas que les religieux chrétiens comprendront le sens ésotérique de ce passage. Non, la plupart percevront leurs ennemis comme les faux prophètes qui s’opposent et menacent leur foi, et au nom d’un texte mal compris justifieront la guerre sainte. Au même titre que le djihad (guerre sainte en arabe) est ésotériquement la guerre contre l’ego, et non la lutte armée contre les impies. Le scénario entrevu dans ce livre nous invite à faire preuve d’un profond discernement quant aux événements qui surviennent et surtout envers ceux qui vont advenir à court et moyen terme. Car que recherchent les fidèles des religions du monde que l’on a coupé de leurs voies initiatiques ? Le retour de leur messie respectif, la validation de leur foi et qu’il soit Jésus, le Machi’ah fils de David, le Mahdi, le Bouddha Maitreya ou Krishna, ils font tous partie des mêmes structures manipulatoires présentent dans notre sphère astrale et se nourrissant de l’émotivité des fidèles pour les maintenir en esclavage.

Ce livre vous permettra de comprendre en détail les processus mystico-occultes qui créent l’esclavage énergétique de l’humanité et son emprisonnement de notre sphère terrestre. Et, je l’espère de tout mon cœur, vous permettre de ne pas vous laisser manipuler par les forces terrestres et leurs propagandes haineuses mais aussi par les forces astrales qui sont la source de nos maux. Je donnerai un avertissement spécial aux tenants du Nouvel Age et au nombre considérable d’individus qui sont reliés à ces groupes, se croyant libérés de la religion ils s’enchaînent à une illusion beaucoup plus subtile, celle de leur Maîtres ascensionnés qui, vous le verrez dans l’ouvrage, sont interreliés avec les égrégores religieux.

Que faire ?

Lire et relire ce livre dans un premier temps, le prendre en soi pour l’infuser et l’intégrer puis vous relier à votre Être intérieur, à cette présence calme et rayonnante qui vibre dans le silence. Par-delà toutes formes de manifestations lumineuses ou d’apparitions de saints ou de maîtres. Relisez abondamment les ouvrages de Krishnamurti, ils vous offrent des clés essentielles pour franchir cette période trouble de notre histoire commune. Et pratiquer le wei-wu-wei (agir-sans-agir) des taoïstes pour ne pas être pris dans le lutte pour la survie qui écrase l’autre et voile notre cœur.

Sincèrement,
Michaël.

Télécharger gratuitement Démasqué :

Illustration :


lundi, avril 09, 2012

L'alimentation des Français





L'UNESCO a inscrit la gastronomie française au patrimoine de l'Humanité. Mais l'art gourmand des Brillat-Savarin, destiné aux nantis suralimentés, était heureusement inaccessible aux classes populaires. Pour la Doctoresse Catherine Kousmine, la suralimentation bourgeoise serait responsable d'une inexorable déchéance physiologique et morale.

Le véritable régime français

Au début du XXe siècle, la France était majoritairement paysanne. Vers 1910-1920, « dans nos campagnes, le boucher passait le samedi et les paysans riches mangeaient de la viande le dimanche. La base de la nourriture était, à ce moment, le pain, l'honnête pain bis, aliment presque complet, dont on accompagnait les légumes de saison, cuits « à la française », c'est-à-dire à l'étouffée, sans eau, mijotés tout doucement avec un bon morceau de beurre, ou de lard ou bien avec une cuillerée d'huile d'olives, suivant la région.

En été et en automne, on ajoutait au menu les fruits de la saison ; l'hiver des oignons, des châtaignes, des noix, des pommes. Le soir, on mangeait une bonne soupe faite de légumes cuits à petit feu toute la journée dans de l'eau, mais cette eau, on ne la jetait pas, comme dans la cuisson à l'anglaise : elle servait à tremper les tranches de pain coupées dans la soupière, conservant ainsi les sels précieux contenus dans les légumes et mis en dissolution par la cuisson. C'était une alimentation presque parfaite », écrit Henri-Charles Geffroy.  


dimanche, avril 08, 2012

Le perroquet spirite





Rien n'est plus triste que cette Champagne pouilleuse balayée de siècle en siècle par l'invasion. On y sent toujours la pourriture des batailles et les troupes de corbeaux s'abattent avec délices sur ces plaines monotones que traversent, dans un alignement sans fantaisie, des files d'arbres frissonnants.

Au-dessus de Troyes aux ruelles gothiques, il n'y a rien ou presque rien pendant des heures. C'est une Hollande sans moulins, une Castille sans couleurs.

Las du parcours et surpris par la nuit, je m'arrête dans un gros village où l'enseigne du « Lion d'Argent » grince sous le vent d'automne.

Bonsoir, m'sieurs-dames, dis-je d'un ton guilleret, afin de me mettre dans l'ambiance et d'inspirer la sympathie du cercle des consommateurs accoudés au comptoir. Un silence hostile et dédaigneux répond à mes avances. Seule une mouche, quittant son plafond familier, vient me souhaiter une bienvenue dont le patron s'est dispensé. Au fait, où est-il, ce patron ?

Une mince créature, au dos voûté que reflète un miroir graisseux, pourrait bien être sa moitié. Je m'apprête à lui adresser la parole lorsqu'un géant à face patibulaire paraît, jailli d'une porte invisible :

Vous désirez ?

Une chambre et dîner.

Bien tard !... Il n'y a plus que des œufs.

Je m'en contenterai.

Faudra bien, mon gars.

Monsieur... 


— Au pays de Danton, on dit : mon gars !

Puis-je voir la chambre ?

Si vous n'avez pas votre contentement, vous n'aurez qu'à le dire : ce sera le même prix.

Je décide de rester pour voir jusqu'à quel point le malotru poussera l'insolence. Vrai coupe-gorge, en vérité, que ce cabaret, mais j'en ai vu d'autres pendant la guerre !

Je commande une bouteille de vin blanc. Le géant la tire des profondeurs et la pose brutalement sur la table tandis que les assistants ricanent.

Examinant l'entourage à la dérobée, je constate que personne ne boit, et que l'on semble attendre quelque chose qui tarde à venir.

Dans l'arrière-salle, la voix criarde d'un perroquet répète d'un ton monotone : « C'est bon, hein ! », accompagnant cette appréciation d'affreux sifflements.

On apporte l'animal en grande pompe pour l'installer sur un perchoir de bois doré. C'est une bête superbe, d'une espèce que je n'ai jamais vue. Avec son plumage noir et rouge et son aigrette flamboyante, il a l'allure d'un Méphistophélès d'opéra.

En m'apercevant, il se met à claquer furieusement du bec, puis, la tête penchée, les doigts crispés, il me fixe d'un œil sournois.

Tout à coup, sans que rien ne laisse prévoir son geste, il saute sur le plancher et se précipite sur mes souliers qu'il veut lacérer. De hauts rires accueillirent cet exploit. Je recule.

Il n'a pas l'air de vous aimer beaucoup, mon Timboum ! grogne le patron. Moi, je ne trouve pas ça bon signe. Heureusement que vous êtes un client, et que les clients, chez moi, c'est sacré, n'est-ce pas, les amis ?... Un murmure d'approbation lui répond. Timboum, cependant, volète de table en table, et l'on pourrait croire qu'il dit un mot à chacun.

Parle-t-il ? demande quelqu'un.

Il dit que Bébert est un filou !

II n'a pas tort.

Il connaît ceux qui nous sont favorables... Les autres, il leur bouffe les panards, ah, ah, ah !

Est-il facétieux ! remarque la patronne attendrie. Sur quoi, Timboum de lui donner un gracieux bécot au coin de l'oreille, laissant la mégère toute pâmée. La joie est vive parmi l'assistance.

Pas jaloux, patron ? fait un mauvais plaisant.

Penses-tu ! un confrère !

En effet, le géant a un bec d'oiseau, des yeux ronds, des mouvements saccadés, un faciès cruel. Je me demande avec une angoisse croissante comment la soirée va se terminer. Par bonheur, le vin est excellent et soutient mon courage.

Je reçois enfin une omelette sans lard avec un quignon de pain rassis que je grignote distraitement. Tous les regards sont dirigés vers moi, mais je baisse les yeux sur mon assiette d'un air absorbé. J'ai à peine avalé la maigre pitance, que la patronne vient m'annoncer d'une voix hypocrite que ma chambre est prête et qu'il faut monter car on va fermer et se coucher.

J'ai droit, au premier étage, à un réduit glacé avec lit de fer, matelas bourré de foin et cuvette fêlée. Étendue depuis cinq minutes sur mon grabat, le dos déjà endolori, j'entends soudain comme un bruit de dispute. Me relevant d'un bond, je reste un instant immobile pour essayer de saisir les bribes de la discussion. Dans l'obscurité, j'aperçois un rais de lumière qui filtre à travers un interstice du plancher. Je m'abaisse aussitôt, colle un œil à la fente et vois en panorama ce qui se passe dans la salle du café.

Les faux consommateurs, très agités, se tiennent en cercle autour du perroquet Timboum juché sur un haut pupitre. On a placé devant lui une planchette sur laquelle les lettres de l'alphabet sont grossièrement gravées au couteau. Sur chacune de ces lettres, on a posé une graine de tournesol. —

La présence d'un étranger dans la maison pourrait bien le troubler ! dit quelqu'un d'un ton méchant.

Il doit dormir à présent, assure le patron. Attendez, je vais aller contrôler. Il monte l'escalier avec précaution et s'arrête devant ma porte. Je me mets immédiatement à ronfler de toutes mes forces et, après un court instant, il s'en retourne comme il est venu.

En bas, la scène reprend.

Frétillant de la queue, dodelinant du chef, Timboum contemple les graines. Il paraît hésiter. Enfin, d'un coup, il en happe une, puis une autre, puis une troisième, pendant que les assistants épellent : M... F... V...

Eh bien, qu'est-ce qu'il veut dire ?... demande-t-on à la patronne qui semble jouer le rôle de truchement.

M.F.V. ? réfléchit-elle. Ça veut dire : méfiez-vous !

Tous se regardent, consternés.

Tout à coup, la sale bête déploie ses ailes et, gigotant comme un diable se met à hurler : « Timboum a soif ! » Et chacun de s'affairer pour apporter, qui du vin rouge, qui de l'eau-de-vie. Timboum goûte à tous les verres et, désaltéré, s'exclame : « C'est bon, hein ! »

Je l'aperçois alors, tout ébouriffé, se livrant à une sorte de danse sauvage, sautillant, titubant, donnant les signes les plus évidents de l'ébriété.

Continuons à consulter l'oracle, insiste le géant que ce spectacle paraît surexciter. Il faut en savoir davantage, nous sommes peut-être en danger...

On replace l'animal devant sa planchette. Il picore cette fois les lettres E et S.

E...S répète la patronne, le front dans sa main. Ah ! il dit : ESPION.

Mais qui est l'espion ? questionne le chœur.

J'ai mon idée là-dessus... mais Timboum va nous le dire. Timboum prend une dernière graine, celle de la lettre O.

En haut, traduit la patronne. C'est l'étranger qui est là-haut !

Et c'est ainsi qu'au beau milieu de la nuit, par la grâce d'un perroquet trop savant, je suis empoigné par des bras vigoureux, transporté brutalement au rez-de-chaussée et jeté dehors sans autre forme de procès.

Guy de Wargny



samedi, avril 07, 2012

Une souris verte







Une souris verte :

« Comptine inepte que l'on apprend aux enfants dès la maternelle pour être sûr que, lorsqu'ils seront plus grands, ils seront prêts à réciter par cœur n'importe quoi. »

Jean-François Kahn


L'Occident aura les pires difficultés à se remettre d'un orage magnétique même en trois siècles

  11 mai 2024 : "Une tempête solaire d'une rare intensité s’est dirigée vers la Terre et a provoqué des perturbations sur les résea...