jeudi, mai 26, 2011

Le libéralisme économique & la religion



Le bouddhisme, sa recherche de l'extinction de la personnalité et ses techniques de déconnexion de la vie (conçue comme une illusion), développe une indifférence qui peut faire le jeu du capitalisme libéral. En revanche, l'archevêque de Cambrai, Monseigneur Guerry, rappelle que l’Église défend une doctrine sociale qui rejette catégoriquement le libéralisme économique :

Le libéralisme économique ignore et viole les lois de la morale à plusieurs points de vue :

1° dans son but : pour lui, le but suprême de la vie économique est de produire toujours davantage pour réaliser la plus grande accumulation des richesses en vue d'un plus grand bien-être matériel.

Certes, la doctrine sociale de l’Église ne sous-estime pas la nécessité d'une productivité croissante pour assurer l'une des conditions du bien commun temporel. Mais elle enseigne qu'il existe une hiérarchie des valeurs. La valeur suprême ici-bas, ce n'est pas la vie économique, ni le bien-être matériel : c'est l'homme et tout doit être subordonné à la personne humaine, mis au service de sa destinée, tout, y compris la vie économique.

Il y a, au fond du libéralisme, toute une conception de l'homme et de l'économie sociale, qui est en contradiction avec la conception chrétienne.

2° dans les mobiles de l'activité économique : la règle suprême est, pour le libéralisme, l'intérêt personnel. Que chacun poursuive son intérêt personnel en toute liberté et l'intérêt général sera réalisé!

La doctrine sociale de l’Église admet la légitimité de l'intérêt personnel, du gain et de l'accroissement honnête des biens individuels et familiaux : elle y voit un stimulant de l'homme à accomplir son devoir, une condition du progrès économique, la rétribution d'un service rendu. Mais elle connaît l'homme, son égoïsme foncier, fruit du péché originel : elle sait que ses passions sont un obstacle à la claire vision et à la poursuite du bien commun. Elle enseigne que ce n'est pas par le simple jeu des libertés individuelles que ce bien commun sera assuré, mais qu'il y faut un effort de la conscience pour se soumettre à une loi morale, qui lui rappelle les exigences du bien commun, de la justice et de la charité.

3° dans la condition de la vie économique : le libéralisme réclame la liberté complète des producteurs et la libre concurrence pour la poursuite du profit maximum. Donc pas de groupements d'ordre économique et social, qui limiteraient ou gêneraient la liberté des individus : pas d'organisation professionnelle, ni de syndicats.

Conséquences : C'est la porte ouverte à tous les abus dans l'exploitation des travailleurs.

C'est le déchainement de l'individualisme dans les relations professionnelles et d'une lutte âpre, acharnée entre concurrents au mépris de toute justice et de toute charité.

C'est le primat du profit, l'ignorance systématique du bien commun, le renversement des valeurs humaines et de l'ordre voulu par Dieu.

Un tel comportement habituel engendre une obnubilation de la conscience, une durcissement des producteurs, esclaves du libéralisme, ils deviennent insensibles aux souffrances et aux misères des hommes.

C'est finalement une matérialisation et une paganisation de l'économie, à l'opposé de la conception chrétienne de l'économie sociale.

Le capitalisme libéral.

Toutes ces conséquences expliquent les jugements sévères et les condamnations des Souverains Pontifes sur le capitalisme.

Léon XIII - fin du XIX° siècle (1891) - C'est alors le régime de la libre-concurrence. La recherche du plus grand profit conduit le chef d'entreprise à réduire son prix de revient, et donc sur les conditions de travail de la main d'œuvre pour l'emporter sur ses concurrents.

Léon XIII dénonce dans l'Encyclique Rerum Novarum les bas salaires que les ouvriers « isolés et sans défense » doivent accepter et subir, « livrés à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d'une concurrence effrénée ». Le Pape condamne aussi les abus dans le travail des femmes et des enfants : on les embauche de préférence parce qu'ils sont une main d'œuvre moins onéreuse. Le Pape dénonce enfin la durée excessive du travail et l'absence d'hygiène et de repos hebdomadaire.

Ce régime amoral, cause de tant de maux, Léon XIII le définit dans ce contraste saisissant : d'une part une concentration des richesses et des moyens de production dans les mains d'un petit nombre, d'autre part la multitude des prolétaires laissée dans l'indigence et subissant un joug presque servile.

Pie XI - Quarante ans après. Au régime libéral de la concurrence a succédé un régime super-capitaliste, « une véritable dictature économique », comme le Pape l'appelle dans l'Encyclique Quadragesimo Anno : c'est l'époque des ententes et coalitions, des cartels et des trusts. « Ce n'est plus seulement la concentration des richesses mais encore l'accumulation d' une énorme puissance, d'un pouvoir économique discrétionnaire, aux mains d'un petit nombre d'hommes qui, d'ordinaire, ne sont pas les propriétaires, mais les simples dépositaires et gérants du capital qu'ils administrent à leur gré ».

Le Pape Pie XI, avec force, condamne les désordres économiques et sociaux d'un tel régime, son caractère inhumain. « Toute la vie économique est devenue horriblement dure, implacable, cruelle...» «Soif insatiable des richesses...» « endurcissement de la conscience ». Beaucoup « uniquement préoccupés d'accroître par tous les moyens leur fortune, ont mis leurs intérêts au-dessus de tout et ne se sont fait aucun scrupule, même des plus grands crimes », contre le prochain.

Or à quoi sont dus tous ces désordres ? à ce fait que la science économique a été séparée de la loi morale.

Sans doute, considéré en soi, abstraitement, ce régime capitaliste, déclare Pie XI, n'est pas intrinsèquement mauvais, mais en fait il a été vicié. « Il n'est pas à condamner en lui-même ». «Mais il y a violation de l'ordre quand le capital n'engage les ouvriers ou la classe des prolétaires qu'en vue d'exploiter à son gré et à son profit personnel l'industrie et le régime économique tout entier, sans tenir aucun compte ni de la dignité humaine des ouvriers, ni du caractère social de l'activité économique, ni même de la justice sociale et du bien commun. »

En 1937, dans l'Encyclique Divini Redemptoris, où il affirme que « le libéralisme a frayé la voie au communisme », Pie XI condense tout son enseignement de Quadragesimo Anno en ces mots : il a « montré les moyens de sauver le monde actuel de la misère dans laquelle le libéralisme amoral nous a plongés ». Il ajoute, en s'adressant aux patrons, qu'ils portent « le lourd héritage d'un régime économique injuste qui a exercé ses ravages durant plusieurs générations. »

Bien entendu, des adversaires de l’Église continueront à accuser l’Église de n'avoir jamais dénoncé le régime économique du capitalisme libéral et de s'être inféodée à lui. Les Papes se sont élevés avec indignation contre cette accusation qu'ils appellent une « calomnie ». Calomnie en effet, car les textes sont là, clairs, formels, indiscutables. Ce qui est vrai, hélas ! c'est que trop de chefs d'entreprise ont voulu les ignorer. Pie XI a condamné sévèrement cette attitude. […]

En résumé, la doctrine sociale de l’Église, jugeant le régime capitaliste par référence à la loi morale, le condamne non pas sans doute en lui-même d'une manière abstraite et intemporelle, puisqu'elle reconnaît la légitimité du salariat et du profit dès lors qu'ils respectent la justice, mais tel qu'il est en fait, organisé et pratiqué : car ce ne sont pas seulement des abus, des erreurs de particuliers qui sont visés, c'est « le système social » lui-même, là où il se fonde sur une conception de la propriété privée, qui s'oppose à la fin communautaire assignée par Dieu aux biens de la terre, méconnaît sa subordination au bien commun, condamne l'ouvrier « à une dépendance, à une servitude économique inconciliable avec ses droits de personne » et devient « un pouvoir dirigé vers l'exploitation du travail d'autrui ».

Mgr Guerry, « La doctrine sociale de l’Église », Bonne Presse, 1960.





Marx est mort, Jésus revient


La chute du mur de Berlin a marqué la fin de la lutte acharnée entre économie libérale et marxisme. Le capitalisme reste seul à prétendre apporter le bonheur aux hommes. Mais quel bonheur ? Celui des scandales financiers, des golden parachutes côtoyant la misère et la ruine ? Dans ce libéralisme débridé, où se trouve la place de l'homme ? Qui prendra sa défense ?

Le marxisme hors jeu, il est temps pour l'Eglise catholique de se souvenir qu'elle a développé une doctrine sociale. Aujourd'hui, face à la dictature de l'argent, elle peut et doit devenir une alternative crédible. Pour ne pas prendre parti entre libéralisme et marxisme, elle a préféré s'enfermer dans sa vocation spirituelle. L'heure est venue pour elle de s'engager sur le terrain économique et social de manière pratique et réaliste, pour rappeler à nos sociétés l'importance de la dignité humaine, de la justice sociale, de l'esprit de solidarité et de ce qu'elle nomme « l'option préférentielle pour les pauvres " et " la destination universelle des biens ». Surtout, il lui faut aller au-delà des mots, redevenir concrète, et montrer qu'un autre type de société peut exister. Pierre Deusy nous donne plusieurs exemples de ce que pourrait être cette action, ouvrant la voie vers ce qu'il appelle « l'alter-économie ». Un système qui ne soumette pas l'homme à de prétendues lois économiques, mais qui le respecte dans sa totalité et sa diversité.

 

Pierre Deusy est docteur en économie, il a passé plusieurs années comme fonctionnaire international à la Commission européenne de Bruxelles. Marx est mort, Jésus revient est son premier livre.


Illustrations :

mercredi, mai 25, 2011

La spiritualité des sixties



Une effervescence désordonnée

La croyance en un progrès matériel indéfini, le matérialisme athée devenu une foi, puis la faillite des Églises et la chute des idéologies ne pouvaient qu'engendrer une profonde crise morale, qui, pour certains, ne trouva d'issue que dans une quête spirituelle, vitale mais incohérente.

Des mouvements divers nés de cette demande, on ne peut dresser aujourd'hui qu'un inventaire provisoire, sans pouvoir tirer des conclusions qui seraient prématurées.

Retour aux sources

Ce « réveil » avait été préparé indirectement par les travaux des ethnologues qui avaient révélé aux Occidentaux les spiritualités archaïques encore vivantes. Quelques-uns d'entre eux en reçurent même les enseignements et les publièrent, à la suite du Dieu d'eau (1943), de M. Griaule. L'enquête, qui s'étendit de l'Afrique noire à l'Océanie et à l'Australie, eut, entre autres, pour conséquence la revalorisation de l'héritage traditionnel des Amérindiens dès 1932, avec la publication du témoignage d'un chef sioux visionnaire, Élan noir parle. En France, les multiples témoignages recueillis par la suite furent l'objet de la collection «Terre humaine », fondée en 1955 par Jean Malaurie et inaugurée par la publication de Tristes Tropiques de C. Lévi-Strauss. En outre, les travaux de synthèse des comparatistes religieux démontraient que le sens du sacré était un élément constant et irréductible de la conscience humaine. L'histoire comparée des religions fut particulièrement illustrée par le Roumain Mircea Eliade (1907-1986), qui enseigna à Paris, puis à Chicago de 1958 à sa mort. Ayant pratiqué le yoga dans l'Himalaya avec Shivânanda, il publia sur ce sujet en 1936 une étude qui eut un grand retentissement, comme celle qu'en 1951 il consacra au chamanisme.

Mystique et contestation

L'absurdité de l'interminable seconde guerre du Viêt Nam, qui mobilisa une grande partie de la jeunesse américaine, entraîna chez celle-ci une réaction qui, à partir de 1966, prit la forme d'un raz de marée. Le mouvement hippie naquit dans les communautés qui se formèrent en Californie et devint une révolte contre l'« american way of life ». Les hippies entendaient mener une vie simple, dépouillée, en contact étroit avec la nature, une vie, en somme, édénique, ce que proclamait l'un de leurs slogans : Paradise now. Bientôt les hippies eurent leurs inspirateurs, les poètes de la Beat Generation, comme Jack Kerouak et Allen Ginsberg, leurs gourous, les universitaires Allan Watts, Timothy Leary et Richard Alpert, et leurs grandes fêtes collectives, dont la plus importante, à Woodstock en 1969, rassembla 400 000 participants. On a pu parler d'une mystique hippie qui se recommandait de Jésus «superstar», mais surtout du bouddhisme zen et tantrique, de Gandhi et de Sri Aurobindo. Mais les moyens employés pour «voir Dieu en face» étaient les drogues dites d'« expansion de la conscience » expérimentées par Leary et Alpert, qui s'en firent les propagandistes. De leur démarche devait s'inspirer plus tard Carlos Castañeda, dont les nombreux ouvrages relatent son expérience du peyotl guidée par un mystérieux sorcier yaqui. La révolte de la jeunesse américaine contre la société de consommation eut son écho dans tout l'Occident, en particulier lors de la crise de mai 68, qui, en Europe, prit très vite un aspect politique. Mais une des conséquences de ce mouvement fut l'afflux des jeunes allant en pèlerinage à la recherche de gourous, en Asie et particulièrement en Inde. Richard Alpert leur avait montré l'exemple. Professeur à l'université Harvard, il partit pour l'Inde en 1967, y rencontra un maître et revint aux États-Unis, où, sous le nom de Ram Dass (serviteur de Dieu), il fonda la Seva (« service », en sanskrit) Foundation, qui apporte une aide désintéressée à tous ceux qui en ont besoin dans le monde entier.

Les sectes

Cette impulsion, en soi féconde, vers la spiritualité donna naissance à un marché, celui d'un soi-disant ésotérisme initiatique, alimenté par la crédulité, sous-produit de la croyance, qui fut très vite exploité. On vit reparaître le vieux fonds occultiste, dûment modernisé, qui mêlait allègrement extra-terrestres et pouvoirs supranormaux aux « secrets » des Templiers ou de la Rose-Croix. Cela eût été sans conséquence grave s'il n'y avait eu les sectes, qui, inspirées du même esprit, se mirent à proliférer. Le mot « secte », qui vient du latin sequi « suivre », mais contaminé par sectio, de secare, «couper », n'a pris que récemment le sens de société secrète se réclamant d'une pensée religieuse ou mystique, étrangère aux grandes religions constituées, et exerçant sur ses adeptes une pression psychologique irrésistible. En vue de se protéger contre les intrusions des autorités, les sectes se donnent comme des mouvements religieux minoritaires et persécutés. Bien qu'elles semblent aujourd'hui déjà sur le déclin - par suite du choc provoqué par les informations concernant les suicides ou meurtres collectifs -, on en compterait actuellement en France 172, avec quelque 300 000 adeptes. Certaines sectes n'eurent qu'une existence éphémère, ainsi l'ashram fondé à Poona par Bhagwan Shree Rajneesh (1931-1990), qui attira des milliers d'Occidentaux. Mais, épris de puissance et devenu colossalement riche, Rajneesh fonda en 1981 en Oregon Rajneeshpuram (la ville de Rajneesh), et son insatiable ambition entraîna sa perte. Mais d'autres, véritables « multinationales », en place depuis longtemps, sont très puissantes, même sur le plan financier. Fondée aux États-Unis par Ron Hubbard, l’Église de la scientologie s'étendrait sur 107 pays et compterait de 8 à 11 millions d'adhérents. Presque aussi riche et aussi puissante est l’Église de l'unification du Coréen Sun Myung Moon. Certaines, d'ailleurs moins dangereuses, se présentent comme un rappel des traditions oubliées, ainsi l'Association internationale pour la conscience de Krishna, de Swâmi Prabhuna, ou modernisées, comme la Méditation transcendantale, répandue dès 1957 en Occident par Mahârishi Mahêsh Yogi. On n'en finirait plus de citer les sectes placées « sous haute surveillance » qui se proclament «ordre souverain », comme autrefois les Templiers et aujourd'hui le respectable ordre de Malte : ordre rénové du Temple, ordre du Temple solaire, ordre du Temple initiatique, Chevaliers du Lotus d'or (le Mandarum)... En principe surveillées, en tous cas repérées, celles-ci sont moins dangereuses que celles qui prolifèrent à l'ombre et qui ne se révèlent que lorsque le scandale éclate. On peut cependant considérer que ce ne sont là que les dérives d'un courant de recherche active qui redécouvre la spiritualité à travers les œuvres des grands mystiques, aujourd'hui republiées, mais aussi grâce à des maîtres spirituels dûment investis et appartenant à des traditions toujours intactes après avoir traversé les siècles.

Jacques Brosse

Les maîtres spirituels

Des religions antiques à l'enseignement bouddhiste, de la naissance de l'islam au monachisme chrétien, des mystiques hindous aux penseurs indépendants comme Boulgakov, Gurdjieff et Simone Weil, Jacques Brosse présente ici la grande fresque de l'aventure spirituelle de l'humanité à travers ses maîtres et ses écoles. L'auteur, dont l'œuvre a été couronnée par le Grand Prix de l'Académie française en 1987, est à la fois philosophe, maître zen, naturaliste et spécialiste des traditions spirituelles d'Orient et d'Occident. II offre au public la quintessence de son savoir dans ces cent vingt-cinq chapitres allant à l'essentiel, Mystiques et " accoucheurs d'âmes " de tous lieux et de toutes époques sont réunis dans cette synthèse encyclopédique.





Télécharger gratuitement DIEU D'EAU, entretiens avec Ogotemmêli, de Marcel Griaule :



Source :

La collection "Les classiques des sciences sociales" dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.





DIEU D'EAU

Entretiens avec Ogotemmêli

T A B L E  D E S  M A T I È R E S



Ogotemmêli.
La première parole et la jupe de fibres.
La seconde parole et le tissage.
La troisième parole et le grenier de terre pure.
La troisième parole et le classement des choses.
La troisième parole, la descente du grenier de terre pure et la mort.
La troisième parole et le vomisse­ment du système du monde.
La troisième parole et les travaux de rédemption.
La troisième parole et les tambours.
Le verbe et le métier à tisser.
Le verbe et les travaux des champs.
Le verbe, la parure et l’amour.
La Forge. La Poterie.
La grande maison de famille.
Le Sanctuaire.
Le Sanctuaire et les peintures de façade.
Le Sanctuaire et les peintures de façade (suite).
Le culte du Lébé.
Le culte des Binou.
Le Sacrifice.
La parole fécondante.
Le sang des femmes.
Le sang des femmes et le bat­tage de Digitaria.
La double âme et la circonci­sion.
Les autels personnels.
Invention de la mort.
Le culte des morts, les boissons fermentées. 
Les morts vivants.
La danse.
Le culte du feu.
Les jumeaux et le commerce.
Les jumeaux et le commerce (suite).
Les signes du Zodiaque.
Adieu à Ogotemmêli.

mardi, mai 24, 2011

Somnambulisme et Médiumnité.


 Le Défi du magnétisme 

&
Le Choc des sciences psychiques 


Dans cet ouvrage, Bertrand Méheust se livre à un immense travail d'exhumation sur le somnambulisme. Partant de la chronique d'un événement qui eut une portée considérable sur les conceptions philosophiques et psychologiques du XIXe siècle, il retrace la bataille des idées - aujourd'hui oubliée - qui en résulta et ses retombées dans la culture du XXe siècle, avec le surréalisme et le freudisme. Tout débute en 1784 lorsque le marquis de Puiségur, utilisant les passes magnétiques mises au point par Anton Mesmer, plonge un jeune paysan dans un état de conscience inconnu : il manifeste une activité mentale intense, prévoit le déroulement de sa maladie et semble lire les pensées de son maître. Le marquis baptise cet état « somnambulisme magnétique ». Il le reproduit sur d'autres patients et publie ses observations. Son mémoire fait aussitôt surgir le même phénomène partout dans la France aristocratique et éclairée, puis en Europe et dans le Nouveau Monde. 


La polémique qui éclate alors s'explique par la hauteur des enjeux : certains faits de « lucidité » revendiqués par les magnétiseurs contredisent la conception de l'homme comme conscience close, élaborée par la philosophie des Lumières. Faut-il alors inventer de nouvelles procédures pour authentifier ces faits, comme le proposent Puiségur et les savants qui, à sa suite, défendent le magnétisme, quitte à remettre en cause certains présupposés de la psychologie occidentale ? Faut-il rejeter ces expériences dans les ténèbres de l'erreur et de la superstition, comme s'emploiera à le faire l'Académie de médecine entre 1826 et 1842 ? 

Plus tard, tandis que Charcot et ses disciples cherchent à réduire le somnambulisme aux vues de la science positive, le magnétisme connaîtra, entre 1875 et 1935, un nouvel essor sous le nom de « sciences psychiques » dans les milieux universitaires anglo-saxons, puis en France. Certains philosophes (William James, Charles Richet) et des médecins proposent une approche scientifique de ces phénomènes médiumniques et avancent des hypothèses explicatives. Ces expériences et ces débats trouveront un écho dans la pensée d'Henri Bergson, d'André Breton, de Wilhelm Reich, de Sigmund Freud et de Sándor Ferenczi... La reconstitution minutieuse de B. Méheust montre cependant que, loin d'être une « préhistoire de la psychanalyse », le magnétisme était porteur d'une conception alternative de l'homme et de l'inconscient.

Magali Molinié

Source : http://www.scienceshumaines.com/_accueil


Somnambulisme et Médiumnité 



 Le Défi du magnétisme, commentaire d'un lecteur :

Ce volume est le premier des 2 gros volumes consacrés par Bertrand Méheust à l'histoire du somnambulisme (1er nom de l'hypnose) et aux phénomènes de la médiumnité (pour une bonne partie les perceptions extrasensorielles associées à l'hypnose). 

Lecteur curieux et bien informé en matière de psychologie et d'histoire des sciences humaines je croyais qu'il suffisait de connaître quelques noms allant de Mesmer à Freud pour se faire une idée suffisante de l'hypnose avant les découvertes freudiennes. 

Je dois dire que ce livre m'a fait découvrir que je ne savais rien mais vraiment rien sur le sujet et que le XIXe S et le début du XXe siècle a été un foisonnement inouï de recherches, de découvertes et de controverses féroces autour du somnambulisme et de l'hypnose en particulier en France.

L'auteur montre que le somnambulisme était essentiellement un système médical permettant de guérir les maladies organiques (et très accessoirement psychiques) par l'état de lucidité dans lequel était plongé le sujet, qui de plus accédait à des ressources inexplicables sur la nature de sa maladie et à une vision prophétique de la manière de la soigner. Les somnanbulistes activaient une sorte de supersubjectivité du patient dans l'état somnanbulique, la lucidité, et ils se sont rendus compte très vite qu'elle était liée à des facultés extrasensorielles ce qui a ouvert tout un champ de recherches complémentaires à l'aspect curatif du somnabulisme proprement dit.

Plus étonnant encore le refoulement incroyable dont toutes ces recherches ont fait l'objet et qui explique probablement aussi que le travail exceptionnel de Méheust n'ait pas reçu l'accueil qu'il méritait.

Déjà un auteur comme Janet à la fin du XIXe ne nous livre qu'une version très expurgée du somnanmbulisme et on comprend enfin grâce à Méheust les innombrables allusions au somnanbulisme dont sont parsemés un ouvrage comme "l'automatisme psychologique". On se rend compte aussi comment des travaux beaucoup plus récents comme l'hypnose ericksonnienne ne développent qu'une toute petite partie de l'héritage du somnambulisme.

Après avoir lu l'ouvrage on ne peut manquer de voir dans ce grand refoulement l'origine de cet aspect mutilé et unidimensionnel qu'a tout particulièrement la conception de l'homme dans la culture française en particulier médicale et ce militantisme scientiste borné et pontifiant si souvent mis en avant par tant de revues et de mandarins de la science académique. C'est que la lutte pour refouler le somnanbulisme et tous ces avatars a été longue violente et souvent indécise.


Illustration : Séance de traitement magnétique. E. Sibley, A Key to magic and occult sciences, v. 1800.

lundi, mai 23, 2011

God's own country




Pour l'individu comme pour l'humanité en général, la vie est difficile à supporter. La civilisation à laquelle il a part lui impose un certain degré de privation, les autres hommes lui occasionnent une certaine dose de souffrance, ou bien en dépit des prescriptions de cette civilisation ou bien de par l'imperfection de celle-ci. A cela s'ajoutent les maux que la nature indomptée - il l'appelle le destin - lui inflige. Une anxiété constante des malheurs pouvant survenir et une grave humiliation du narcissisme naturel devraient être la conséquence de cet état. Nous savons déjà comment l'individu réagit aux dommages que lui infligent et la civilisation et les autres hommes : il oppose une résistance, proportionnelle à sa souffrance, aux institutions de cette civilisation, une hostilité contre celle-ci. Mais comment se met-il en défense contre les forces supérieures de la nature, du destin, qui le menacent ainsi que tous les hommes ?

La civilisation le décharge de cette tâche et elle le fait de façon semblable pour tous. Il est d'ailleurs remarquable que presque toutes les cultures se comportent ici de même. La civilisation ne fait pas ici halte dans sa tâche de défendre l'homme contre la nature elle change simplement de méthode. La tâche est ici multiple le sentiment de sa propre dignité qu'a l'homme et qui se trouve gravement menacé, aspire à des consolations ; l'univers et la vie doivent être libérés de leurs terreurs ; en outre la curiosité humaine, certes stimulée par les considérations pratiques les plus puissantes, exige une réponse.

Le premier pas dans ce sens est déjà une conquête. Il consiste à « humaniser » la nature. On ne peut aborder des forces et un destin impersonnels, ils nous demeurent à jamais étrangers. Mais si au cœur des éléments les mêmes passions qu'en notre âme font rage, si la mort elle-même n'est rien de spontané, mais un acte de violence due à une volonté maligne, si nous sommes environnés, partout dans la nature, d'êtres semblables aux humains qui nous entourent, alors nous respirons enfin, nous nous sentons comme chez nous dans le surnaturel, alors nous pouvons élaborer psychiquement notre peur, à laquelle jusque-là nous ne savions trouver de sens. Nous sommes peut-être encore désarmés, mais nous ne sommes plus paralysés sans espoir, nous pouvons du moins réagir, peut-être même ne sommes-nous pas vraiment désarmés : nous pouvons en effet avoir recours contre ces violents surhommes aux mêmes méthodes dont nous nous servons au sein de nos sociétés humaines, nous pouvons essayer de les conjurer, de les apaiser, de les corrompre, et, ainsi les influençant, nous leur déroberons une partie de leur pouvoir. Ce remplacement d'une science naturelle par une psychologie ne nous procure pas qu'un soulagement immédiat, elle nous montre dans quelle voie poursuivre afin de dominer la situation mieux encore.

Car cette situation n'est pas nouvelle, elle a un prototype infantile, dont elle n'est en réalité que la continuation. Car nous nous sommes déjà trouvés autrefois dans un pareil état de détresse, quand nous étions petit enfant en face de nos parents. Nous avions des raisons de craindre ceux-ci, surtout notre père, bien que nous fussions en même temps certains de sa protection contre les dangers que nous craignions alors. Ainsi l'homme fut amené à rapprocher l'une de l'autre ces deux situations, et, comme dans la vie du rêve, le désir y trouve aussi son compte. Le dormeur éprouve-t-il un pressentiment de mort, qui cherche à le transporter dans la tombe, l'élaboration du rêve sait choisir la condition grâce à laquelle cet événement redouté devient la réalisation d'un désir, et le rêveur se trouvera par exemple transporté dans un tombeau étrusque, dans lequel il se croira descendu plein de joie de pouvoir enfin satisfaire à ses intérêts archéologiques. De même l'homme ne fait pas des forces naturelles de simples hommes avec lesquels il puisse entrer en relation comme avec ses pareils - cela ne serait pas conforme à l'impression écrasante qu'elles lui font - mais il leur donne les caractères du père, il en fait des dieux, suivant en ceci non pas seulement un prototype infantile mais encore phylogénique, ainsi que j'ai tenté de le montrer ailleurs.

Au cours des temps, les premières observations révélant la régularité et la légalité des phénomènes de la nature font perdre aux forces naturelles leurs traits humains. Mais la détresse humaine demeure et avec elle la nostalgie du père et des dieux. Les dieux gardent leur triple tâche à accomplir : exorciser les forces de la nature, nous réconcilier avec la cruauté du destin, telle qu'elle se manifeste en particulier dans la mort, et nous dédommager des souffrances et des privations que la vie en commun des civilisés impose à l'homme.

Mais entre ces trois fonctions des dieux l'accent se déplace peu à peu. On finit par remarquer que les phénomènes de la nature se déroulent d'eux-mêmes suivant des nécessités internes ; certes les dieux sont les maîtres de la nature, c'est eux qui l'ont faite telle qu'elle est et maintenant ils peuvent l'abandonner à elle-même. Ce n'est qu'à de rares occasions que les dieux interviennent dans le cours des phénomènes naturels, lorsqu'ils font un miracle, et ceci comme pour nous assurer qu'ils n'ont rien perdu de leur pouvoir primitif. En ce qui touche aux vicissitudes du destin, un sentiment vague et désagréable nous avertit qu'il ne saurait être remédié à la détresse et au désemparement du genre humain. C'est surtout ici que les dieux faillent : s'ils font eux-mêmes le destin, alors il faut avouer que leurs voies sont insondables. Le peuple le plus doué de l'Antiquité soupçonna vaguement les Moires d'être au-dessus des dieux et les dieux eux-mêmes d'être soumis au destin. Et plus la nature devient autonome, et plus les dieux s'en retirent, plus toutes les expectatives se concentrent sur leur troisième tâche, plus la moralité devient leur réel domaine. Alors la tâche des dieux devient de parer aux défauts de la civilisation et aux dommages qu'elle cause, de s'occuper des souffrances que les hommes s'infligent les uns aux autres de par leur vie en commun, de veiller au maintien des prescriptions de la civilisation, prescriptions auxquelles les hommes obéissent si mal. Une origine divine est attribuée aux prescriptions de la civilisation, elles sont élevées à une dignité qui dépasse les sociétés humaines, et étendues à l'ordre de la nature et à l'évolution de l'univers.

Ainsi se constitue un trésor d'idées, né du besoin de rendre supportable la détresse humaine, édifié avec le matériel fourni par les souvenirs de la détresse où se trouvait l'homme lors de sa propre enfance comme aux temps de l'enfance du genre humain. Il est aisé de voir que, grâce à ces acquisitions, l'homme se sent protégé de deux côtés : d'une part contre les dangers de la nature et du destin, d'autre part contre les dommages causés par la société humaine.

Tout ceci revient à dire que la vie, en ce monde, sert un dessein supérieur, dessein dont la nature est certes difficile à deviner, mais dans lequel un perfectionnement de l'être de l'homme est à coup sûr impliqué. Probablement la partie spirituelle de l'homme, l'âme, qui s'est séparée si lentement et si à contrecœur du corps, au cours des temps, sera-t-elle l'objet de cette exaltation. Tout ce qui a lieu en ce monde doit être considéré comme l'exécution des desseins d'une Intelligence supérieure à la nôtre, qui, bien que par des voies et des détours difficiles à suivre, arrange toutes choses au mieux, c'est-à-dire pour notre bien. Sur chacun de nous veille une Providence bienveillante, qui n'est sévère qu'en apparence, Providence qui ne permet pas que nous devenions le jouet des forces naturelles, écrasantes et impitoyables ; la mort elle même n'est pas l'anéantissement, pas le retour à l'inanimé, à l'inorganique, elle est le début d'une nouvelle sorte d'existence, étape sur la route d'une plus haute évolution. Et, en ce qui regarde l'autre face de la question, les mêmes lois morales sur lesquelles se sont édifiées nos civilisations gouvernent aussi l'univers, mais là une cour de justice plus haute veille à leur observation avec incomparablement plus de force et de logique. Le bien trouve toujours en fin de compte sa récompense, le mal son châtiment, si ce n'est pas dans cette vie ci, du moins dans les existences ultérieures qui commencent après la mort. Ainsi toutes les terreurs, souffrances, cruautés de la vie seront effacées ; la vie d'après la mort, qui continue notre vie terrestre, comme la partie invisible du spectre s'adjoint à la visible, nous apportera toute la perfection, tout l'idéal, qui nous ont peut-être fait défaut ici-bas. Et la sagesse supérieure qui préside à ces destinées, la suprême bonté qui s'y manifeste, la justice qui s'y réalise, telles sont les qualités des êtres divins qui ont créé et nous et l'univers. Ou plutôt de l'Être divin unique en lequel, dans notre civilisation, tous les dieux des temps primitifs se sont condensés. Le peuple qui réalisa le premier une pareille concentration des qualités divines ne fut pas peu fier d'un tel progrès. Il avait mis au jour le nucleus paternel, dissimulé mais présent dans toutes les figures divines ; c'était un fond un retour aux débuts historiques de l'idée de Dieu. A présent que Dieu était l'unique, les relations de l'homme à lui pouvaient recouvrer l'intimité et l'intensité des rapports de l'enfant au père. Qui avait tant fait pour le père voulait aussi en être récompensé ; au moins être le seul enfant aimé du père, le peuple élu. Bien plus tard, la pieuse Amérique devait émettre la prétention d'être God's own country, et en ce qui regarde l'une des formes sous lesquelles l'homme adore la divinité, cette prétention est justifiée.

Les idées religieuses qui viennent d'être résumées ont naturellement subi une longue évolution et ont été adoptées à leurs diverses phases par les diverses civilisations. J'ai choisi ici une seule de ces phases évolutives, celle qui correspond à peu près à la phase finale que présente la civilisation chrétienne actuelle des races blanches occidentales. Il est aisé de voir que les pièces de cet ensemble ne s'accordent pas toutes également bien, qu'il n'est pas répondu à toutes les questions les plus pressantes, et que les contradictions qu'implique l'expérience quotidienne ne peuvent être qu'à grand-peine levées. Mais, telles qu'elles sont, ces idées - les idées religieuses au sens le plus large du mot - sont considérées comme le plus précieux patrimoine de la civilisation,la plus haute valeur qu'elle ait à offrir à ses participants, valeur estimée plus haut que tout l'art d'arracher ses trésors à la terre, de pourvoir à la subsistance des hommes ou de vaincre leurs maladies, etc. Les hommes pensent qu'ils ne pourraient supporter la vie s'ils n'attribuaient pas à ces idées la valeur à laquelle on prétend qu'elles ont droit. Et à présent la question se pose : que sont ces idées au jour de la psychologie, d'où dérive la haute estime où on les tient ? Nous nous hasarderons même à le demander : quelle est leur valeur réelle ?

Sigmund Freud, « L'avenir d'une illusion »

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L'avenir d'une illusion

Les religions ne sont pas, à proprement parler, des "erreurs", dans la mesure où personne n'est en mesure d'établir l'inanité de dogmes qui relèvent de la foi. Mais ce sont des "illusions" au sens strict du terme, c'est-à-dire, selon Freud, des croyances motivées par des désirs irrépressibles. Les illusions étant le propre de l'enfance, on admettra volontiers que le "stade de l'infantilisme" ne durera pas toujours. Mais l'humanité est-elle prête à sonner le glas de ses croyances ancestrales ? Serons-nous un jour capables d'assumer l'immense détresse de ceux qui ne croient plus en rien ? Pire encore : qui nous dissuadera de tuer notre prochain quand nous imaginerons pouvoir le faire en toute impunité ?



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dimanche, mai 22, 2011

Le malaise dans la civilisation



Lorsque Freud écrit Le Malaise dans la civilisation, il n'est pas le premier à s'interroger sur la valeur de la civilisation et ses conséquences sur le bonheur de l'être humain. Dès le milieu du XVIIIe siècle, ce questionnement avait déjà fait l'objet des réflexions prophétiques de Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur les sciences et les arts. Rousseau y affirmait sans masque en effet que « le progrès des sciences et des arts » n'avait « rien ajouté à notre véritable félicité ». Mettant en doute la valeur des avancées de la civilisation, il introduisait une disjonction entre progrès de la rationalité et progrès moral, cherchant à montrer que l'accumulation des connaissances et l'accroissement des possibilités techniques relevaient sans doute d'un progrès de la raison, mais ne garantissaient en rien une félicité plus grande de l'homme, ni sa moralité. Rousseau pressentait que quelque chose de « l'humain », au sens où ce mot pourrait renvoyer à des qualités morales, risquait de se perdre dans la seule quête de maîtrise de la nature, dégagée de tout souci éthique. Il doutait déjà de ce que le progrès scientifique pourrait apporter en terme d'amélioration. Il se demandait même s'il ne s'agissait pas plutôt de l'extension d'une maladie qui pousserait l'homme à s'oublier toujours plus lui-même à travers cette quête d'exercice de puissance. Si Rousseau jette un regard méfiant et inquiet sur la civilisation et son devenir, c'est peut-être qu'il aperçoit déjà que les Lumières ne seront pas suffisantes pour faire progresser l'homme si elles oublient le langage des passions et des besoins moraux.

De même, peu avant la Révolution française, Kant émet les mêmes doutes sur la dimension nécessairement enthousiasmante du progrès des sciences et des techniques propre à la civilisation moderne. Il va jusqu'à affirmer que « nous sommes civilisés au point d'en être accablés [...]. Mais quant à nous considérer comme déjà moralisés, il s'en faut encore de beaucoup ». Le savoir produit par la civilisation ne conduit pas à une amélioration des conduites humaines. Le progrès scientifique et technique ne nous rend pas meilleurs au sens moral. C'est sur un progrès politique que Kant fait reposer l'idée d'un progrès moral : pour que l'humanité se bonifie, il faudrait que les États puissent se conduire entre eux de façon morale, c'est-à-dire qu'ils puissent envisager d'établir une paix perpétuelle reposant sur un renoncement à toute volonté « d'expansion chimérique et violente ». Il faudrait que les États renoncent à faire de la guerre la continuation de la politique par d 'autres moyens et qu'ils fassent de la politique le lieu même de la réalisation des dispositions morales de l'humanité. [...]

Le Malaise dans la civilisation s'ouvre sur une question prolongeant le propos soutenu dans L'Avenir d 'une illusion au sujet de la religion. Dans ce texte de 1927, Freud avait avancé la thèse selon laquelle la religion venait résoudre une angoisse de l'être humain, en lui permettant de vivre dans l'illusion qu'un Père tout-puissant existait en vue de le protéger. La religion ne serait alors qu'une des réponses possibles à la question originelle que chacun affronte : comment se défendre contre la souffrance ? Freud, depuis cette question inaugurale naïve, va opérer un renversement de perspective, qui l'amènera à la fin du Malaise dans la civilisation à dévoiler la vraie question de l'existence humaine, qui n'est pas tant de savoir comment lutter contre la souffrance, mais comment lutter contre l'attrait pour la souffrance.

Freud situe donc son propos de départ dans le cadre d'une réflexion classique sur les possibilités de bonheur pour l'homme et les occasions de souffrance. Il procède, selon ses propres mots, à « une enquête sur le bonheur », à la façon des anciens qui cherchaient une sagesse permettant à l'être humain de mener une vie bonne, Mais si Aristote, dans l’Éthique a Nicomaque, avait pu s'interroger sur les différentes conceptions du bonheur, distinguant ainsi les diverses formes de bonheur selon les genres de vie - le bonheur à travers le plaisir, le bonheur à travers les richesses et les biens, le bonheur a travers les honneurs, tout en dévaluant ces trois formes de bonheur Freud quant à lui part de la souffrance. Avant de chercher ce qui peut rendre les hommes heureux, il s'interroge sur ce qui cause leur malheur.

La souffrance peut venir de trois sources distinctes pour l'homme : du corps, du monde extérieur et d'autrui. Tout le malheur de l'homme viendrait donc de ce qu'il a un corps l'exposant à la douleur ou à la maladie, de ce que le monde extérieur ne lui obéit pas et surtout de ce que le rapport à autrui lui impose des déconvenues permanentes. Et pourtant, l'homme ne peut se soustraire à ces trois données. Il peut simplement inventer des méthodes pour éviter cette souffrance, afin qu'elle n'envahisse pas son existence. Freud montre que si tout le monde est exposé à la souffrance, en revanche, en matière de bonheur, il n'existe « pas de conseil valable pour tout le monde ».

Quelles sont alors les finalités de la civilisation et celle-ci est-elle a même d'épargner à l'homme la souffrance qui le guette ? Freud cherche à définir la civilisation par ses traits majeurs afin d'examiner les efforts qu'elle déploie pour rendre l'existence humaine satisfaisante. La civilisation regroupe toutes les œuvres de l'homme. L'homme est d'abord homo faber, c'est-à-dire technicien de ses propres conditions de vie. Il se fabrique un monde à partir d'outils, d'habitations, puis de machines, conforme à ses besoins puis à ses désirs. La civilisation est donc en premier lieu le produit de la nécessité. C'est pour survivre, puis pour accroître son pouvoir sur la nature, que l'être humain se fait artisan, fabricant, technicien.

Mais l'homme ne se consacre pas seulement à l'utile. Il produit aussi de la beauté, de la propreté et de l'ordre. Ordre et beauté, luxe, calme et volupté, font partie des exigences de la civilisation. L'être humain ne peut vivre au sein du désordre, de la saleté et des déchets. Comme s'il avait besoin d'effacer les traces de son passage afin d'apaiser son propre regard, comme s”il avait besoin de contempler un paysage harmonieux qui n'aurait pas été touché par la présence industrieuse et intéressée de son espèce, l'être humain travaille à sculpter un paysage dont la vue soit source de plaisir. Parmi ces productions inutiles, ces productions en pure perte, Freud ajoute les réalisations spirituelles de l'homme, celles qui peuvent s'incarner dans les systèmes religieux, les théories scientifiques, les spéculations philosophiques et enfin les créations artistiques. La civilisation est donc constituée de ces créations matérielles et spirituelles, qui témoignent à la fois de la nécessité de maîtriser la nature pour mais aussi du désir de transformer le monde afin de se reconnaître en lui.

Après avoir ainsi pris en charge les deux premières causes de souffrance, a savoir le corps et le monde extérieur, la civilisation organise le rapport à autrui, là encore, dans le but de protéger l'être humain de ce qui pourrait lui nuire. Le « droit » est cet ensemble de règles sociales auxquelles chacun accepte de se soumettre afin d'échapper à la violence de l'état de nature « Le remplacement du pouvoir de l'individu par celui de la communauté constitue le pas décisif. » Le rapport à autrui ne peut être apaisé que s'il y a un renoncement de chacun a l'exercice de la puissance et un consentement corrélatif au respect du pouvoir de la communauté. C'est un pas décisif, car c'est en effet là que gît l'articulation qui introduit l'être humain à la vie en communauté.

Et du même coup, c'est aussi là que toutes les difficultés prennent leur essor. Car ce remplacement du pouvoir de l'individu par celui de la communauté exige de la part de l'individu un renoncement pulsionnel. Mais jusqu'où les revendications individuelles doivent-elles alors être sacrifiées ? Faut-il se soumettre aux revendications de la masse jusqu'à renoncer à exister en tant qu'individu singulier ? C'est là pour Freud l'un des « problèmes cruciaux » de la civilisation et la cause du malaise.

Clotilde Leguil

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Le malaise dans la civilisation

La question cruciale pour le genre humain me semble être de savoir si et dans quelle mesure l'évolution de sa civilisation parviendra à venir à bout des perturbations de la vie collective par l'agressivité des hommes et leur pulsion d'autodestruction. Sous ce rapport, peut-être que précisément l'époque actuelle mérite un intérêt particulier. Les hommes sont arrivés maintenant à un tel degré de maîtrise des forces de la nature qu'avec l'aide de celles-ci il leur est facile de s'exterminer les uns les autres jusqu'au dernier. Ils le savent, d'où une bonne part de leur inquiétude actuelle, de leur malheur, de leur angoisse. Il faut dès lors espérer que l'autre des deux "puissances célestes", l'éros éternel, fera un effort pour l'emporter dans le combat contre son non moins immortel adversaire. Mais qui peut prédire le succès et l'issue ? "



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vendredi, mai 20, 2011

Veggie Pride 2011




Marseille le 21 mai - Paris le 11 juin

Pour la reconnaissance des droits des animaux et l'abolition de toute exploitation animale.



Les Lamentations du perroquet
De l'intelligence et de la sensibilité animales

Les témoignages des gardiens de zoos ne constitueraient-ils pas une preuve aussi intéressante de l'intelligence animale que les expériences réalisées en laboratoire ? Eugène Linden a rassemblé de nombreuses histoires qui attestent des différentes formes de pensée animale. Des gardiens ont vu des singes casser une branche d'un arbre pour la placer sur le mur et se sauver ; un orang-outan s'est servi d'un pneu pour le placer sur les fils électriques qui entouraient sa cage et se faire la belle. Au zoo de Colombus, un chimpanzé qui a réussi à s'emparer du bracelet d'un visiteur s'est livré à un marchandage : il n'a rendu le bijou qu'en échange d'une récompense... Une autre fois, ayant réussi à prendre le jouet d'un enfant, il l'a cassé en deux et en a tendu une partie au gardien, espérant sans doute pouvoir ensuite négocier le reste et recevoir une double récompense...*






Si les lions pouvaient parler
Essais sur la condition animale


Certains animaux ont fait l'objet de cultes (les vaches sacrées en Inde), d'autres sont dévorés sans scrupule (les escargots ou les grenouilles) ou prohibés (le porc pour les musulmans) ; certains deviennent des animaux domestiques (chiens, chats mais aussi serpents ou iguanes), d'autres servent de main-d'œuvre (les éléphants en inde). Certains ont pensé que les animaux étaient sans esprit ni émotion (Descartes), d'autres au contraire qu'ils étaient nos égaux en intelligence et en sensibilité (Montaigne), etc.

Cet épais volume rassemble 170 textes, anciens et contemporains, d'écrivains, philosophes, éthologues, psychologues sur les diverses façons de considérer la condition animale.*



Quatrième de couverture :

La nature des relations que l'homme entretient avec l'animal obéit à une loi inexorable : nul ne saurait aborder le monde des animaux sans y projeter son propre univers mental, soucieux, par là, de marquer strictement la frontière entre humanité et animalité. Comment représenter le monde dans lequel vivent les animaux, quand il nous est très largement inconnu ? pour en rendre compte, nous l'avons cerné en multipliant les approches et en mettant à profit toutes les compétences. Le vétérinaire, le mathématicien, le neurobiologiste, le psychanalyste, l'éthologue, l'historien, l'archéologue, L'anthropologue, le philosophe et le psychiatre apportent chacun leur contribution à l'édifice. Le choix des auteurs et l'organisation des textes répondent à cette volonté d'interdisciplinarité, soit par des contributions originales qui donnent le dernier état du savoir, soit par des extraits empruntés à de multiples sources d'Aristote à Zola, de Darwin, Lévi-Strauss, de Freud à Jean-Paul II, de Genet à Yourcenar...



*) La bibliothèque des sciences humaines :


Illustration :

Un rabbin affirme que les Juifs sont des extraterrestres venus pour « conquérir » la Terre.

Le rabbin Michael Laitman est l'auteur de "Kabbalah, Science and the Meaning of Life". Le livre retrace les étapes de l'év...