mercredi, septembre 14, 2011

Progrès


Les artistes naguère n'aimaient pas ce qu'on appelait le Progrès. Ils n'en voyaient pas dans les œuvres beaucoup plus que les philosophes dans les mœurs. Ils condamnaient les actes barbares du savoir, les brutales opérations de l'ingénieur sur les paysages, la tyrannie des mécaniques, la simplification des types humains qui compense la complication des organismes collectifs. Vers 1840, on s'indignait déjà des premiers effets d'une transformation à peine ébauchée. Les Romantiques, tout contemporains qu'ils étaient des Ampère et des Faraday, ignoraient aisément les sciences, ou les dédaignaient ; ou n'en retenaient que ce qui s'y trouve de fantastique. Leurs esprits se cherchaient un asile dans un Moyen Age qu’ils se forgeaient ; fuyaient le chimiste dans l'alchimiste. Ils ne se plaisaient que dans la Légende ou dans l'Histoire - c'est-à-dire aux antipodes de la Physique. Ils se sauvaient de l'existence organisée dans la passion et les émotions, dont ils instituèrent une culture (et même une comédie).

Voici cependant une contradiction assez remarquable dans la conduite intellectuelle d'un grand homme de cette époque. Le même Edgar Poe, qui fut l'un des premiers à dénoncer la nouvelle barbarie et la superstition du moderne, est aussi le premier écrivain qui ait songé à introduire dans la production littéraire, dans l'art de former des fictions, et jusque dans la poésie, le même esprit d'analyse et de construction calculée dont il déplorait, d'autre part, les entreprises et les forfaits.

En somme, à l'idole du Progrès répondit l'idole de la malédiction du Progrès ; ce qui fit deux lieux communs.

Quant à nous, nous ne savons que penser des changements prodigieux qui se déclarent autour de nous, et même en nous. Pouvoirs nouveaux, gênes nouvelles, le monde n'a jamais moins su où il allait.

Comme je songeais à cette antipathie des artistes à l'égard du progrès, il me vint à l'esprit quelques idées accessoires qui valent ce qu'elles valent, et que je donne pour aussi vaines que l'on voudra.

Dans la première moitié du XIXe siècle, l'artiste découvre et définit son contraire - le bourgeois. Le bourgeois est la figure symétrique du romantique. On lui impose d'ailleurs des propriétés contradictoires, car on le fait à la fois esclave de la routine et sectateur absurde du progrès. Le bourgeois aime le solide et croit au perfectionnement. Il incarne le sens commun, attachement à la réalité la plus sensible - mais il a foi dans je ne sais quelle amélioration croissante et presque fatale des conditions de la vie. L'artiste se réserve le domaine du « Rêve ».

Or la suite du temps - ou si l'on veut, le démon des combinaisons inattendues (celui qui tire et déduit de ce qui est les conséquences les plus surprenantes dont il compose ce qui sera) - s’est diverti à former une confusion tout admirable de deux notions exactement opposées. Il arriva que le merveilleux et le positif ont contracté une étonnante alliance, et que ces deux anciens ennemis se sont conjurés pour engager nos existences dans une carrière de transformations et de surprises indéfinies. On peut dire que les hommes s'accoutument à considérer toute connaissance comme transitive, tout état de leur industrie et de leurs relations comme provisoire. Ceci est neuf. Le statut de la vie générale doit de plus en plus tenir compte de l'inattendu. Le réel n'est plus terminé nettement. Le lieu, le temps, la matière admettent des libertés dont on n'avait naguère aucun pressentiment. La rigueur engendre des rêves. Les rêves prennent corps. Le sens commun, cent fois confondu, bafoué par (d'heureuses expériences, n'est plus invoqué que par l'ignorance. La valeur de l'évidence moyenne est tombée à rien. Le fait d’être communément reçus, qui donnait autrefois une force invincible aux jugements et aux opinions, les déprécié aujourd’hui. Ce qui fut cru par tous, toujours et partout, ne paraît plus peser grand-chose. A l'espèce de certitude émanait de la concordance des avis ou des témoignages d'un grand nombre de personnes, s'oppose l'objectivité des enregistrements contrôlés et interprétés par un petit nombre de spécialistes. Peut-être, le prix qui s'attachait au consentement général (sur lequel consentement reposent nos mœurs et nos lois civiles) n'était-il que l'effet du plaisir que la plupart éprouvent à se trouver d'accord entre eux et semblables à leurs semblables.

Enfin presque tous les songes qu'avait fait l'humanité, et qui figurent dans nos fables de divers ordres - le vol, la plongée, l'apparition des choses absentes, la parole fixée, transportée, détachée de son époque et de sa source -, et maintes étrangetés qui n’avaient même été rêvées - sont à présent sortis de l'impossible et de l'esprit. Le fabuleux est dans le commerce. La fabrication de machines à merveilles fait vivre des milliers d'individus. Mais l'artiste n'a pris nulle part à cette production de prodiges. Elle procède de la science et des capitaux. Le bourgeois a placé ses fonds dans les phantasmes et spécule sur la ruine du sens commun.

Paul Valéry, « Regards sur le monde actuel ».


Regards sur le monde actuel

« Le temps du monde fini commence. » Un grand poète jette un regard lucide sur le monde contemporain. Son analyse, d'une rigueur exemplaire, examine la situation de notre civilisation menacée, étudie notre histoire et juge notre politique. Ce livre prophétique reste d'une actualité brûlante.




« Ce petit recueil se dédie de préférence aux personnes qui n’ont point de système et sont absentes des partis ; qui par là sont libres encore de douter de ce qui est douteux et de ne point rejeter ce qui ne l'est pas. »
Paul Valéry

Télécharger gratuitement « Regards sur le monde actuel » :



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lundi, septembre 12, 2011

Le 11 septembre & le Nouvel Ordre Mondial





La version officielle des attentats du 11 septembre ne convainc pas 58 % des personnes, mais les thèses conspirationnistes sont aussi difficiles à admettre.

Après l'incendie du Reichstag (nuit du 27 au 28 février 1933), les nazis arrêtent la plupart des dirigeants du parti communiste, et Hitler fait prendre le décret d'urgence « pour la Protection du peuple et de l'État » qui lui attribue des pouvoirs de police exceptionnels. Puis, six ans plus tard éclate la seconde guerre mondiale.

A l'instar d'Hitler, des comploteurs étasuniens (Bush et ses comparses) auraient imaginé ces attentats diaboliques pour réduire les libertés (Patriot Act), et imposer une dictature mondiale, affirment des auteurs spécialistes du complot. Toutefois, le Patriot Act n'est pas le décret nazi « pour la Protection du peuple et de l'État ». Et, heureusement, dix ans après les attentats du 11 septembre 2001, le scénario qui annonçait l'avènement d'une dictature mondiale, imposant à tous une puce sous-cutanée, ne s'est pas réalisé. Au contraire, la mondialisation est remise en question, les nationalismes se réveillent un peu partout, et l'Europe risque tout bonnement d'éclater. En France, des socialistes n'hésitent pas à parler de dé-mondialisation. La Chine, qui détient un quart de la dette des USA, l'Iran, la Russie, le Venezuela... ne redoutent pas le Directoire secret et criminel qui aurait pris le contrôle des USA. En réalité, ce pays est en déclin depuis les attentats du 11 septembre 2001.

La crise économique conduira plus sûrement à une gouvernance mondiale que les attentats du 11 septembre. Selon René Guénon, probablement à cause du marasme financier international, une inquiétante oligarchie prendra le pouvoir et, dans un premier temps, séduira les populations en restaurant (d'une façon illusoire) des valeurs sociales et spirituelles ; « la monnaie elle-même, ou ce qui en tiendra lieu, aura de nouveau un caractère qualitatif... », écrit-il.

Les spéculations sur le Nouvel Ordre Mondial totalitaire et génocidaire (Projet Camelot : élimination d'un grande partie de la population mondiale) des conspirationnistes imaginatifs ne font qu'effrayer. Or la peur d'un N.O.M. croque-mitaine favorisera l'avènement d'une gouvernance mondiale qui prétendra restaurer la justice sociale, la prospérité, des valeurs morales et spirituelles...


dimanche, septembre 11, 2011

Campus Spécial « Crise de Civilisation »





Au cours de ce Campus Spécial « Crise de Civilisation », nous en arrivâmes à parler de Julius Evola, intellectuel de droite, raciste, et auteur d'un ouvrage sur le sujet qui nous préoccupait : Révolte contre le monde moderne que l'auteur a défini lui-même « comme le texte fondamental de la Weltanschauung d'un fascisme purifié ».

Julius Evola, ancienne éminence grise de Mussolini, ancien chargé de cours aux universités de Milan et de Florence, n'est pas un psychologue. C'est un métaphysicien qui a publié plusieurs ouvrages, dont un, très étonnant, sur la Métaphysique du sexe.

Dans cet essai, qui se situe aux antipodes de la pensée de Wilhelm Reich, on peut lire, au début : « La propagande pandémique de l'intérêt pour le sexe et la femme marque chaque ère crépusculaire, et à l'époque moderne, ce phénomène est donc parmi les nombreux qui nous disent que cette époque représente précisément la phase la plus poussée, terminale, d'un processus de régression. » Réflexion qui rejoint très exactement lai tradition hindoue selon laquelle Kâli, la Noire, déesse de la destruction, du désir et du sexe, domine de son influence le dernier des quatre âges, le Kâli Yuga, l'âge obscur, qui correspond en Occident au signe du Verseau.

Pour situer Julius Evola, dont l'influence sur certains étudiants de droite (surtout italiens, américains et allemands) persiste, on peut également ajouter qu'il diffère de René Guénon, lorsque celui-ci écrit : « Dans l'Antiquité et surtout au Moyen Age, la disposition naturelle à l'action existant chez; les Occidentaux ne les empêchait pourtant pas de reconnaître la supériorité de la contemplation, c'est-à-dire de l'intelligence pure ; pourquoi en est-il autrement à l'époque moderne ? »

Or, Julius Evola est un traditionaliste mais c'est aussi un guerrier, un homme d'action, plus engagé à mon sens que René Guénon, reprit Raymond de Becker. Pour lui, l'action peut s'intégrer d'une manière autonome à la vie spirituelle. Et l'information d'Evola sur la chute du niveau intérieur de l'homme est beaucoup plus riche, plus actualisée aussi que celle de Guénon.

En ce sens, est-il moins mystique que l'auteur de La Crise du monde moderne ?

Non, il l'est également. Mais dans cette métaphysique de l'Histoire, Evola apparaît extrêmement dur dans sa pensée ; il ne fait aucune concession sentimentale, n'accepte aucun verbiage conventionnel sur l'altruisme et le bien de l'humanité. C'est une condamnation totale qui rejoint, d'ailleurs, sur plus d'un point, et c'est assez curieux, celle de Herbert Marcuse, homme de gauche et apôtre de la Fraternité !

Ce genre d'interpénétration des idées n'est pas unique, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Récemment, en relisant Marcuse, j'ai retrouvé un passage sur le fait que de donner un pouvoir aux machines – au lieu de les utiliser pour faire le bonheur humain – correspondait à une aliénation de l'homme ; eh bien, j'ai retrouvé un texte identique chez Gandhi.

Mais revenons à Julius Evola. Il y a chez ce métaphysicien fasciste une perspective absolument extraordinaire. Il cherche véritablement à insérer toute l'histoire de toutes les civilisations depuis leur origine dans la conception traditionaliste. Pour Evola, nous suivons un mécanisme d'involution et non d'évolution : au point de vue spirituel, l'histoire subit un mécanisme de dégradation et non de progrès...

Cette conception que Guénon avait déjà exposée et qui se trouve également être, on l'a vu, celle des Hindous : a savoir qu'il y a des âges qui se succèdent, âge de décadence, âge des conflits qui atteint son maximum à la veille d'une explosion cosmique.

« La doctrine hindoue enseigne que la durée d'un cycle humain auquel elle donne le nom de Manvantara se divise en quatre âges qui marquent autant de phases d'un obscurcissement graduel de la spiritualité primordiale : ce sont ces mêmes périodes que l'Antiquité désignait comme les âges d'or, d'argent, d'airain et de fer. Nous sommes présentement dans le quatrième âge de fer, le kâli-yuga ou « âge sombre », peut-on lire au début de La Crise du monde moderne.

Et bien entendu, pour Evola, les États-Unis, l'U.R.S.S., nos sociétés démocratiques symbolisent tous trois - exactement comme pour Marcuse - cet « âge sombre », cette domination de la désolation. Le Pr MacKenzie Brown, spécialiste d'histoire des religions à l'université de Californie commente ainsi cet aspect pessimiste de la tradition orientale : « Sauf exceptions, la tradition hindoue ressemble plus ou moins au luthéranisme. On y trouve cette tentative d'élever les individus. Mais on n'attend rien, à même de sauver toutes choses, avant la fin du cycle, parce que le monde dans son cycle va inévitablement vers son déclin. »

Dans une perspective complètement différente, Evola est donc, tout comme Marcuse, d'un pessimisme total. Lui non plus ne donne pas de solution.

Il dit : « La seule chose, c'est que des hommes qui refusent ce monde peuvent tenter de vivre entre eux d'une certaine manière, à l'écart. »

- Ou bien, reprit de Becker, Evola préconise une sorte de solution du pire, et l'on voit. très bien auprès de quelle sorte de tempérament, auprès de quels gens, cela peut avoir du succès.

Il dit, en substance : « Une société avancée, qu'est-ce que c'est ? Pas seulement une société qui devance les autres dans le progrès. C'est aussi celle qui est la plus avancée, comme un cadavre est avancé, comme une viande est avancée, n'est-ce pas ?

«  Alors, puisque le cadavre de la civilisation animée, rongé par les vers, bouge déjà, eh bien ! il faut le faire courir de plus en plus vite, jusqu'à ce qu'il se désagrège complètement. Et, à partir de ce moment-là, il y aura de nouvelles choses possibles. »

C'est donc une sorte de politique du pire.

Il y a donc là une pensée peut-être d'une très grande rigueur, d'une information extrêmement riche mais qui, en tout cas pour les pauvres humains que nous sommes, se révèle complètement désespérée et complètement désespérante, conclut R. de Becker en soupirant...

Résumons-nous : chez Marcuse, homme de gauche (inspiré par Freud et Karl Marx), et chez Julius Evola, homme de droite, inspiré par la tradition, il y a refus commun de ce monde moderne. Marcuse veut détruire cette civilisation aliénante par un retour en arrière. Evola veut précipiter sa mort par une poussée trop brusque vers l'avant.

Mais on peut se demander :

« Existe-t-il un dénominateur commun sur le plan positif et sur le plan de l'espoir ? »

Je pense que oui.

Nous voyons - même chez ceux qui sont attachés aux formes les plus actuelles de la civilisation, et aux nécessités parfois contraignantes ou répressives de certaines formes de la civilisation - nous voyons chez tous une tentative de réhabiliter ce que Jung appelle L'HOMME ARCHAIQUE, c'est-à-dire que nous avons tous conscience, en quelque sorte, d'avoir été trop loin dans une certaine voie. C'est en ce sens que René Guénon affirme : « Certains entrevoient plus ou moins vaguement, plus ou moins confusément, que la civilisation occidentale, au lieu d'aller toujours en continuant à se développer dans le même sens (progrès), pourrait bien arriver un jour à un point d'arrêt, ou même sombrer entièrement dans quelque cataclysme. »

Je ne dis pas qu'il faut revenir en arrière, je dis qu'il faut, au moins, de temps à autre, ouvrir la porte et accueillir de nouveau cet HOMME ARCHAIQUE en nous, cet homme instinctuel qui n'est pas nécessairement un animal perdu.

Un être, peut-être, plus agréable à vivre et, par certains côtés, plus fascinant que l'homme dit civilisé. Je fais allusion, naturellement, au phénomène hippie tel qu'il fut, au début en Californie, et tel que je l'ai décrit dans Je veux regarder Dieu en face.

Je crois qu'il existe une autre intuition éternelle.

Tous les gens qui étaient attachés à. la civilisation romaine et qui pouvaient en admirer les réalisations remarquables sentaient pourtant que quelque chose ne tournait plus rond dans cette civilisation.

Et tout le monde cherchait la solution. Tout le monde pressentait quelque chose d'autre. Des tentatives se sont faites dans divers domaines.

Parmi ces tentatives, beaucoup ont échoué.

Et puis, pour nous Occidentaux, il y a eu le christianisme qui a marqué cette ère-ci.

Eh bien ! je crois que, maintenant, ce que tout le monde est en train de sentir, c'est que cette ère qui a commencé. il y a deux mille cinq cents ans, est en train de finir. Personne ne peut dire et savoirs ce qu'il y aura au-delà.

Mais je crois que l'on sait profondément qu'il va y avoir autre chose. Et que ce n'est pas seulement un simple cas de révolution socio-politique ou un problème de révolution psychologique.

C'est vraiment la crise, de tout un « développement culturel », commencé il y a vingt-cinq siècles (1) et qui est en train de s'achever pour donner naissance, ou laisser place, à une civilisation universelle dont nous ne connaissons pas encore les données.

Demain, il y aura autre chose.

Michel Lancelot, Campus, 1971.


(1) En citant ce chiffre de 2500 ans, je me réfère approximativement à l'apparition des premières religions qui tentèrent de mettre l'individu en contact direct avec l'ultime réalité spirituelle et qui s'adressaient à toute l'humanité.
D'autres comme C. W. Ceram dans son Gods, Graves and Scholar (Des dieux, des tombes et des savants) écrivent que « nous, les hommes du XXe, nous sommes au terme d'une ère de l'humanité qui s'est étendue sur cinq mille ans. Comme l'homme préhistorique, nous ouvrons les yeux sur un monde complètement neuf ».



Campus



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samedi, septembre 10, 2011

11 septembre 2001 : Vol 77





« Vol 77 », le documentaire de Christophe Weber, démonte la théorie de Thierry Meyssan qui soutient que l'attentat contre le Pentagone du 11 septembre 2001 a été réalisé avec un missile.

Christophe Weber a rencontré les familles des victimes du vol 77. Les propos de Devora PontellDebra Burlingame, Marc FlaggKristian Kincaid et les autres témoins de la tragédie nous incitent à examiner avec méfiance certaines thèses conspirationnistes 
qui peuvent rapporter beaucoup d'argent. Profitant d'une émission d'Ardisson, Thierry Meyssan est devenu célèbre et son livre, « L'Effroyable imposture », a été vendu à plus de 250 000 exemplaires.

Le vol 77 d'American Airlines a décollé à 8 h 20 de Washington, ce mardi-là. Cinq heures plus tard, il devait atterrir à Los Angeles, mais, à 8 h 53, cinq hommes prennent le contrôle de l'appareil. Dans le film, la cabine de l'avion est soigneusement reconstituée en dessins et en images de synthèse. Les passagers dont l'histoire va être racontée ont leurs numéros de siège. Les terroristes aussi (12A, 12B, 5E, 5F et 1B). Marc Flagg imagine que son père, "un gros nounours", pilote à la retraite, "a dû essayer de rassurer tout le monde".

Reparti vers Washington, l'avion s'écrase à 9 h 37 sur le ministère américain de la défense. Le crash est encore une simulation, un dessin animé. Mais les images montrant des murs éventrés, une épaisse fumée, le ballet des ambulances sont bien réelles, de même que l'émotion des enquêteurs, de pourtant solides agents spéciaux du FBI. L'une se rappelle une casquette d'officier d'un blanc immaculé au milieu des gravats, l'autre un escarpin rouge. Ils ont passé cinq semaines à ramasser des restes humains, mais aussi les dossiers confidentiels du Pentagone. John Milton Wesley se souvient avoir parcouru le registre de 1 300 pages où ont été répertoriés les objets des victimes. Lui a récupéré la monture des lunettes de sa fiancée.

Etait-ce le manque d'images "live", le fait que l'attentat ait touché un lieu secret-défense ? Quelques mois après, les "théories du complot" circulent sur Internet. Un Français, Thierry Meyssan, en fait un best-seller. On le revoit sur des images d'archives expliquer que "toutes les hypothèses nous amènent à penser que les terroristes étaient américains".

Dans son livre, il s'interroge à propos du vol 77 : "Ses passagers sont-ils morts ? Si oui, qui les a tués ? Sinon, où sont-ils ?" Il aurait dû, d'abord, aller voir Kristian Kincaid, qui lui aurait montré le rapport d'autopsie de sa soeur Karen : "560 g d'os, un bout d'oreille, 30 g de coude droit..." Il aurait dû voir sa douleur.

Source : http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/09/08/vol-77-double-peine_1569418_3232.html#xtor=AL-32280397


Le documentaire « Vol 77 » sera rediffusé sur France 3 le 20 septembre 2011 à 03h30. 


L'Effroyable imposteur,
quelques vérités sur Thierry Meyssan

Thierry Meyssan devient célèbre en affirmant qu'aucun avion ne s'était écrasé sur le Pentagone, le 11 septembre 2001. Son livre, L'Effroyable Imposture, se vend par centaines de milliers d'exemplaires, et est traduit en plus de vingt langues. Un inconnu devient célèbre. Mais quel est son parcours ? Sait-on qu'il a été l'icône du mouvement chrétien charismatique ? Puis leader du mouvement gay ? Puis fondateur du Réseau Voltaire, militant pour la laïcité, le féminisme, et la liberté d'expression ? Puis le héraut des anti-Américains, décelant des complots partout, à l'Opus Dei, chez les francs-maçons, au sein de la CIA, à Tel Aviv ? Fiammetta Venner, au travers de ce portrait politique sans complaisance, cherche à comprendre notre époque : le goût des complots ; la recherche des causes cachées ; le jeu avec les images ; les préjugés ; la télévision ; le pouvoir. Un essai-choc.

Biographie de l'auteur :

Essayiste, Fiammetta Venner dirige la revue ProChoix et collabore à Charlie Hebdo. Elle a notamment écrit, avec Caroline Fourest, Tirs croisés, La laïcité à l'épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman (Calmann-Lévy, 2003).



jeudi, septembre 08, 2011

La spiritualité orientale ne rend pas l'homme meilleur





« Quelle ordure, ce saint ! Sur cette terrasse, je rencontre le plus beau ramassis de sages hindous. Saintes ordures. Égoïstes, tricheurs, intolérants et délateurs. Bravo! Cela donne envie de rejoindre la confrérie. Apprendre le yoga, la méditation, les textes sacrés, chanter le nom de Râm, savoir dominer sa faim, ses sentiments, se débarrasser de ses ambitions et de ses désirs, atteindre le nirvana. »
Marc Boulet


Etre mendiant en Inde, c'est être plus pauvre qu'ailleurs. Mais être pauvre et intouchable, c'est subir à la fois la misère et le mépris.

Pour connaître ce qu'on vit et ressent quand on est considéré comme la lie de la terre, le jounaliste Marc Boulet a appris l'hindi, s'est foncé la peau, les cheveux, et s'est mêlé au flot de ceux qui mangent à même un bout de papier et couchent à même la rue.

Le mendiant Ram Mundâ, alias le journaliste Marc Boulet, arrive à Ayodhyâ, ville sainte de l'hindouisme aux nombreux temples dédiés à Râm, le héros du Râmâyana :

Je grille biri sur biri, puis je me souviens que mon dernier repas date d'hier matin à Godhauliâ. La faim me tiraille l'estomac. Je décide de chercher un temple qui serve de la nourriture gratuite. Je prends la ruelle qui part de la mosquée et descend vers le centre ville en longeant de magnifiques palais baroques.

Râm m'a entendu. Cent mètres plus bas, sur la droite, une cinquantaine de personnes aux habits déchirés sont assises sur une plates-forme. Elle borde un temple de Râm dont la façade en pierre blanche est sculptée de fioritures bleues. Une vilaine tôle ondulée couvre cette terrasse. Elle mesure vingt mètres sur trois et se trouve surélevée d'un mètre par rapport à la ruelle. Je devine que les gens y attendent un déjeuner car la moitié exhibent une gamelle en alu. Un nabot propret, en pantalon noir et chemise verte à carreaux, les serre en ligne, le dos au temple ou à la route. Il a l'allure d'un chef. Je me déchausse comme tout le monde, je monte sur la terrasse et lui demande, direct :

« Vous offrez à manger aux pauvres, ici ? »

Il ne répond pas à ma question, il dit avec un geste :

« Va t'asseoir là-bas ! »

- J'y vais. Mais là-bas toutes les places sont prises. Sauf une. Un espace d'un mètre existe entre deux types au bord de la ruelle. Les hommes sont assis de ce côté et les femmes en face contre le temple. Les hommes sont de vieux sâdhu, des sages hindous en robe safran délavée et trouée, ou bien des jeunes de vingt à trente ans en haillons. Les femmes sont toutes assez âgées, entre quarante et soixante ans, et elles arborent des visages sereins de grand-mères. Elles sont drapées dans des tissus en coton élimé mais elles sont propres et ne paraissent être ni des clochardes ni des mendiantes. Elles ressemblent plutôt à des nonnes, à des ascètes féminins qui ont renoncé comme leurs collègues masculins a la vie dans la société pour libérer leur âme du cycle des réincarnations en se consacrant à Dieu. Je me baisse pour m'accroupir sur l'espace libre. Aussitôt, cinq ou six sâdhu me chantent en chœur de dégager car cette place est réservée. Je réponds :

« Le responsable du temple m'a dit de m'installer ici.
- Non. Va ailleurs.
- Où je peux m'asseoir ?
- Sais pas », dit le sâdhu à côté de l'espace libre.

Deux grand-mères volent a mon aide et le critiquent :

« Laisse-le s'asseoir. Il a le droit de manger (Puis vers moi :) Pose ton sac dans ce coin et assieds-toi ! » .

J'obéis et le sâdhu à ma gauche bougonne entre ses dents. Heureusement que les vieilles ont cloué le bec à tous ces sâdhu qui portent pourtant la robe safran, signe de la sagesse. Sinon, je disais au revoir à mon déjeuner. Je suis déçu. Je retrouve chez eux le même égoïsme que chez les mendiants de Bénarès. J'imaginais ces sages détachés des réalités mesquines et illusoires du monde, sans désirs ni ambitions, forts de caractère, des gourous généreux. Eh bien, ils cherchent querelle dans les soupes populaires.

Au fait, est-ce vraiment une cantine ici ?

A ma droite, un garçon de quinze à vingt ans a une peau noire anthracite et des cheveux ébouriffés, plantés comme du chiendent. Il porte un pagne crème sale et une chemise en lambeaux. C'est sans doute un vagabond mais ces mains sont inhabituelles pour cette profession qui n'exige pas un travail manuel intense. Il a de grosses pattes calleuses munies de doigts boudinés. Son visage est rond comme celui d'un bébé joufflu et je le trouve bien plus sympathique que le vieux sage bougon à ma gauche. Je ne sens aucun fumet de bouffe et je préfère me renseigner auprès de ce jeune sur ce que nous attendons. Je dis :

« On va nous servir à manger ? »

Il hoche la tête à l'indienne, de droite à gauche, en signe d'affirmation.

« Et à quelle heure ? »

Il agite alors sa main gauche de haut en bas pour me faire signe d'attendre.

« Et tous les jours ils servent de la nourriture ? Matin et soir ? » 

De nouveau, il me répond de patienter avec un geste. Bizarre ?

Pourquoi ce mutisme ? Mon inquiétude l'agace-t-elle ? Suis-je trop curieux ? Je ne comprends rien au monde d'Ayodhyâ. Je me sens déplacé dans ce bled et sur cette terrasse. Mais j'ai faim et je décide d'attendre ici.

Un géant de vingt-cinq ans, à la peau claire, nous distribue des bons jaunes. Ce type porte un kurtâ* et un dhoti* blancs, en voile de coton immaculé, et un cordon sacré transparaît sur sa poitrine. Ce doit être un brahmane, un prêtre de ce temple de Râm. Il a une figure en lame de couteau à bouffer des bananes avec la peau, comme s'il avait avalé un truc qui reste coincé dans son long gosier et lui paralyse la bouche. Je lis mon carton jaune ; la somme de deux roupies et le nom de l'association de ce temple de Râm y sont écrits. Je n'y comprends rien mais tout le monde affiche un sourire et glisse son carton dans une poche. Mon jeune voisin me fait signe de ranger le mien et il me montre deux doigts. Deux roupies ? On va me donner deux roupies ou il faut que je paie deux roupies pour manger ici ? Deux roupies, c'est peu en fait et les deux solutions sont possibles. Mon jeune voisin ne dit rien, il brandit juste son index et son majeur et je fais un signe de tête interrogateur aux grand-mères en face de moi. Elles disent :

« Range ton ticket. C'est deux roupies !»

D’accord. Mais à donner ou à recevoir ? Puis-je le demander ?

Je range mon papier jaune dans la poche de ma chemise. Encore un mystère. Ça me tracasse, j'aime bien tout comprendre. Je réfléchis.

S'il fallait payer deux roupies, le tarif d'un repas – même médiocre - dans une gargote, les gens ne se disputeraient pas pour prendre place sur la terrasse. Car d'autres sâdhu, d'autres grand-mères continuent d'arriver et ils se font immanquablement jeter par l'assemblée présente. Complet ! Alors ils vont se plaindre au géant qui distribue les cartons, celui-ci nous engueule et nous ordonne de nous serrer davantage. Les sâdhu et les grand-mères obéissent en grognant et le nouveau venu s'accroupit sans oublier de réclamer son carton jaune.

Tout le monde semble au parfum et je ne peux demander une explication. Si jamais je dois toucher deux roupies, ça semblerait étrange de penser à payer. une nourriture gratuite. Je me tais.

Dix minutes passent. Voilà une réunion d'ascètes et de clochards sur cette terrasse, et rien ne les distingue dans le comportement. Nous nous regardons les uns les autres. Nous nous épions sans sourire, nous ne parlons pas non plus. Sale ambiance.

Un gringalet assez pâle d'une cinquantaine d'années sort du temple. Ce doit être un prêtre lui aussi car il porte un cordon sacré et distribue au sâdhu qui est à ma gauche et à deux autres des cymbales. Il nous lance :

« Allez-y, chantez Sitâ Râm. Et tapez dans les mains. »

Pourquoi pas ? Sitâ est l'épouse de Râm et ce couple se voue un amour total et symbolise une humanité idéale de justice, de fidélité et de sérénité. Les vieux sages qui possèdent les cymbales lancent le rythme et commencent à chanter: Nous les imitons. Et je chante et je tape dans mes mains.

« Sitâ Râm !
   Sitâ Râm !
   Sitâ Râm !
   Vive Sitâ Râm ! »

Puis ça reprend au début: « Sitâ Râm! Sitâ Râm... » Ce n’est pas sorcier et, entre chaque vers, il suffit de suivre la cadence des cymbales en tapant dans les mains. Parfait. J'y mets toute mon énergie, je joue le jeu.

De nouveaux venus essaient de s'asseoir parmi nous, mais ils doivent réclamer l'aide d'un prêtre pour obtenir une place, et nous chantons, tapons, chantons. C'est presque amusant. Au début du moins. Nous chantons ainsi cinq minutes, un quart d'heure, une demi-heure. Nous n'interrompons notre litanie que pour chasser les intrus qui tentent de nous rejoindre ou lorsque des singes se coursent sur la tôle au-dessus de nous dans un bruit infernal qui rappelle le roulement du métro parisien. Nous dressons la tête, amusés.

Toujours pas de nourriture. Rien. Et j'ai dû répéter mille fois la formule « Sitâ Râm ». J'en ai marre et je ne suis pas le seul. La moitié de mes frères et sœurs ont cessé de chanter et de frapper dans leurs mains. Je n'ose pas, car à ma gauche, le sadhû qui donne la cadence avec ses cymbales ne faiblit pas. Je savais qu'il était méchant et égoïste en refusant de me laisser une place et je découvre que c'est le plus fêlé de la bande. Et il chante : « Sitâ Râm! Sitâ Râm ! » Et je l'imite. Heureusement, des effluves de riz bouilli s'échappent par les fenêtres du temple et me redonnent espoir qu'un repas sera bientôt servi. Je me demande si ce sera du khichari ou du riz avec de la purée de lentilles ou bien un curry de légumes. Tout me plaît. Mais un troisième prêtre, la trentaine, petit et moustachu à la Hitler, vient me déranger dans mes songes.Il réclame le carton jaune de mon jeune voisin, puis le mien, et il s'en va.

Sur le coup, je ne réalise pas, puis en observant la mine déconfite de mon voisin, je pige que dépourvus du carton jaune, nous allons connaître un problème. Lequel ? Il me montre encore son index et son majeur sans ouvrir la bouche, et en face une grand-mère me lance, navrée : « Deux roupies ! »

Qu'est-ce que ça signifie ? Deux roupies pour qui ? Pour quoi ? Et puis qu'est-ce qui rapproche mon jeune voisin et moi-même et justifie notre traitement particulier ? Suis-je aussi sale et mal vêtu que lui ? Qui suis-je ? Il se remet à taper dans ses mains, il bouge les lèvres sans émettre de sons.

Courage. Et je recommence à chanter, surtout que le sage à ma gauche me décoche des œillades courroucées parce que je me taisais. Des grand-mères me font également signe de taper plus fort dans mes mains. J'en ai marre. Marre. J'arrête pas de frapper main contre main et j'ai intérêt à ne pas mollir car les prêtres circulent sur la terrasse et ils s'assurent que nous chantons et tapons dans nos mains. Avec conviction. Et peut-être que nous chantons juste...

Les prêtres se planquent aussi dans la porte du temple pour nous observer mais ils ne réussissent pas à surprendre les trois sâdhu en bout de terrasse qui chantent devant eux et font salon dès qu'ils ont le dos tourné. Des tricheurs, trop malins. Le bout de la terrasse n'est pas visible depuis l'encoignure de la porte.

Les prêtres chopent juste les sâdhu et les grand-mères qui s'effondrent de fatigue. Une bonne dizaine. Ils tombent d'un seul coup le menton sur la poitrine. Et dodo.

Nous devons seriner « Sitâ Râm» depuis une heure à présent. Soit deux mille fois environ. Le prêtre géant, celui qui a distribué les cartons avec sa tête à bouffer la peau des bananes, est le plus doué pour surprendre les tire-au-flanc, et des sages lui montrent aussi leurs frères qui somnolent. Il vient de repérer la vielle assoupie en face de moi. Il s'approche, il fronce les sourcils, il s'incline vers elle, puis il crie :

« OH ! OH ! »

La grand-mère sursaute. J 'espère qu'elle n'est pas cardiaque.

« Tu dormais ?
- Non ! Non !
- Debout ! Va-t’en! »

Elle lui touche les pieds pour implorer son pardon.

« Tu dois chanter, t'as compris ?
- Oui. Oui. D'accord. Écoutez ! »

Et elle chante, et le géant se tire.

Cinq minutes plus tard, sa tête retombe. Redodo.

Le géant a beau chaque fois la réveiller et elle peut bien lui masser les pieds, la fatigue la terrasse peu après. Je me dis qu'elle pourrait même lui sucer ses orteils purs de brahmane. ça ne changerait rien, car ce ne sont tout de même pas des amphétamines en barre. J'imagine aussi que, si Râm existe, ça doit lui fendre le cœur de voir un géant martyriser une grand-mère.

Je racontais il y a un instant que les prêtres vérifient si nous chantons avec conviction. C'est vrai. A cinq ou six mètres sur ma gauche, le prêtre au look hitlérien hurle en ce moment à un vieux sage :

« Tu chantes pas assez fort. Debout ! Va-t'en ! »

Le sage lui palpe aussitôt les pieds et il chante à pleins poumons et il tape dans ses mains comme si c'étaient des battoirs. Cette terrasse, est-ce la cantine d'un camp de rééducation ou celle d'une école maternelle ? Salauds de brahmanes. Fascistes. Inquisiteurs. J'ai l'impression qu'ils nous obligent à louer Sitâ Râm pour payer le repas qu'ils nous offrent. Dégueulasse. Et a quoi cela sert-il de prier mécaniquement sans désir ? Peut-être que cela rend fou et stimule la foi. Salauds de prêtres ! Leur don de nourriture n'est pas désintéressé. Belle charité hindoue !

J'ai la voix cassée et mal à la paume des mains. J'ai également les avant-bras en compote à force de les agiter devant moi. Une heure, c'est très long. C'est soixante minutes, c'est trois mille six cents secondes. A raison d'un battement de mains toutes les secondes et demie, faites le calcul ! Tapez ainsi dans vos mains pendant une heure en répétantn: « Sitâ Râm! Sitâ... Vive Sitâ Râm ! »

Cela me rend marteau. J'ai envie de me lever et de crier que Sitâ et Râm n'existent pas, que notre souffrance ne sert à rien et que ces prêtres nous torturent. Tout le monde en a marre et des sâdhu épuisés ont posé leurs avant-bras sur les genoux et ils ne frappent plus dans leurs mains. Ils se les apposent, mollement, telle une caresse. J'essaie moi aussi et ça va mieux. J'ai vraiment mal aux mains et aux bras. Mais la faim me tiraille, je ne veux pas partir.

Un grand sâdhu d'une quarantaine d'années avec une longue barbe et des cheveux noirs qui lui tombent dans le dos, le genre baba-cool comme on dit en Occident, est assis sur le seuil du temple et il me regarde sans arrêt. Je n'aime pas ça. Le voilà qui me montre du doigt au vieux prêtre et celui-ci rapplique. Il me dit :

« T'as un ticket ?
- Un prêtre me l'a ramassé.
- Quoi ? T'as pas de ticket. Alors, debout. Dégage! »

C'est trop injuste. J'ai tapé dans mes mains, j'ai chanté plus d'une heure sans défaillir et il veut me virer. Je me suis juste absenté un instant pour boire un coup à la fontaine près du temple. Mais je ne suis pas le seul. La moitié de la chorale qui possède des gamelles s'est rendue là-bas pour les remplir d'eau en prévision du repas.

« Y a un autre prêtre qui a ramassé mon ticket, je répète.

Pas de baratin. T'as pas de ticket. Va-t’en! »


J'ai envie de pleurer. J'ai faim et j'ai chanté pour rien. Il hurle :
 « Debout ! »


Je joins les mains pour le supplier et je lui effleure ses pieds calleux de vieux brahmane. Cela me dégoûte mais je n'ai pas le choix.


« Je vous en prie. J'avais un ticket. Mais on me l'a ramassé et j’sais pas pourquoi. Épargnez-moi ! »

Pas un sâdhu ne me soutient. Je cherche leur aide du regard mais ils chantent imperturbables. « Vive Sitâ Râm! » Râm, le dieu qui fait triompher la lumière sur les ténèbres. Deux grand-mères interpellent le prêtre et confirment que je possédais un ticket, un de ses collègues l'a récupéré. Cela le satisfait et il repart.

Je respire, puis je regarde le sage hippie qui m'a dénoncé. Lui aussi m'observe, détendu, sans éprouver de honte. Je n'ai pas l'impression qu'il regrette son attitude. Quelle ordure, ce saint ! Sur cette terrasse, je rencontre le plus beau ramassis de sages hindous. Saintes ordures. Égoïstes, tricheurs, intolérants et délateurs. Bravo! Cela donne envie de rejoindre la confrérie. Apprendre le yoga, la méditation, les textes sacrés, chanter le nom de Râm, savoir dominer sa faim, ses sentiments, se débarrasser de ses ambitions et de ses désirs, atteindre le nirvana.

Ouais. Ouais. Ouais!

Je vois le résultat ce matin et je hais davantage les culs bénits et les apôtres, les saints et les curés, tous les types en soutane, blanche, noire, safran, marron...

Nous tapons toujours dans les mains et nous rabâchons : « Sitâ Râm... Vive Sitâ Râm ! » Encore une demi-heure, alors tel le Christ s’approchant pour partager ses poissons et ses pains, le géant bouffeur de peaux de banane sort sur la terrasse avec une pile de feuilles-assiettes. Vision divine. Elle signifie que notre déjeuner est imminent et, dans un ultime effort, nous chantons à pleins poumons. Le bonheur. Un double soulagement. La nourriture sera servie et nous n'avons plus besoin de répéter « Sitâ Râm ».

Le prêtre nous distribue une feuille à chacun. Il ne s'incline pas comme les employés du temple du Bâbâ Khichari de Godhauliâ. Il jette la feuille de la hauteur de sa poitrine et elle tombe par terre ou sur votre tête. Et il traite de même les hommes et les femmes, les vieux et les jeunes, les sales et les propres. Pas de discrimination, nous sommes tous aussi intouchables pour lui, ce pur brahmane, employé d'un temple situé à une enjambée du lieu de naissance du dieu Râm.

Je suis étonné qu'il ne touche pas les sâdhu. Ces saints ont théoriquement perdu l'impureté de leur caste d'origine. Peut-être est-ce différent à Ayodhyâ pour le sâdhu moyen ?

Nous aplatissons nos feuilles devant nos pieds et des convives les lavent avec l’eau de leur gamelle. Certains tirent de leurs poches des piments ou un radis blanc pour agrémenter leur déjeuner.

Le vieux prêtre surgit avec un seau en fer-blanc et il y pioche le riz fumant avec une grande casserole. Il en sert une à chacun de nous. Environ trois livres de riz blanc pâteux. C'est copieux. Quand le seau est vide, il va le remplir dans le temple puis il continue le service. Ainsi de suite. Rien de spécial. Sauf que notre ration, il nous la déverse a un demi-mètre au-dessus de notre feuille. Pour ne pas nous approcher, éviter tout contact, ou juste ne pas se courber, se fatiguer. Peut-être les deux. De toute façon, son attitude témoigne du peu d'estime qu’il nous accorde. Il se contente de viser, de décharger sa casserole au-dessus du centre des feuilles, mais trois livres de riz en chute libre, ça s'écrase à l'arrivée, schplaf ! et ça éclabousse le sol à côté et les pieds. Après, il faut ramasser, s'essuyer.

Moi, j'ai de la chance. Le prêtre a bien calculé sa trajectoire et seule une vingtaine de grains de riz se sont collés sur mes pieds. Ce n’est pas grand-chose. Pourtant, j’ai du mal à supporter ce traitement. C'est très humiliant d'être nourri comme les paysans remplissent les auges de leurs bêtes. Que faire ? J'ai faim et j'écrase.

Personne ne mange et je brasse mon riz brûlant entre mes doigts. Je brise les conglomérats, j’aère ma ration, je la moule en petit volcan avec une cuvette au sommet. Comme les autres convives, et je comprends pourquoi. Le prêtre géant arrive avec un seau de purée de lentilles et il nous en verse trois louches chacun dans ce cratère. Toujours selon la même technique, sans se baisser.

Cette purée ressemble plutôt à un brouet. Elle est liquide mais elle sent bon et je suis content d'en avoir Je la mélange bien au riz en partant du centre du cratère pour qu'elle ne s'écoule pas sur le sol, je pétris, je rends le tout homogène. Je soupire d'aise. Le vieux prêtre nous distribue alors une cuillère de curry de potiron, puis le géant jette à chacun une demi-cuillère de beurre clarifié.

Ce beurre, cela m’étonnerait qu'il nous l'offre pour rendre notre plat succulent comme on met du beurre dans les pâtes en France. Je me dis que ce géant ne se préoccupe pas de la réputation gastronomique de sa cantine. Ce temple n'est pas une soupe populaire cinq étoiles du goût mais de la foi. Le soupçon de beurre clarifié est symbolique. C'est pour purifier notre repas. Selon l'idéologie hindoue, cette substance possède une vertu purificatrice, tout comme les quatre autres produits traditionnels de la vache (lait, yaourt, urine et bouse). Des hindous pieux absorbent d'ailleurs un cocktail lustral composé avec ces cinq éléments. Quelle bêtise ! On me considère comme intouchable et la merde bovine est consommable !

Personne n’a encore commencé à manger, mais nous sommes tous servis. Nous implorons Râm comme les bigots chrétiens le font avec Jésus avant de déjeuner, puis nous attaquons...

Marc Boulet, « Dans la peau d'un intouchable ».


* Habits traditionnels hindous. Le kurtâ, je le rappelle, est une tunique ample, sans manches et sans col, et le dhoti une culotte constituée d'un drap savamment passé entre les jambes. Le dhoti est plus habillé que le lungi, ce pagne que je porte comme la majorité des Indiens pauvres

Dans la peau d'un intouchable


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mercredi, septembre 07, 2011

Vers la félicité universelle





Maximilien de Robespierre n'est pas simplement, ni même foncièrement, un utopiste. Son œuvre intellectuelle, quelques brochures, mais surtout un millier de discours prononcés devant les assemblées ou aux jacobins, n'est pas non plus assimilable au « genre utopique ». Et pourtant, la vision des choses de ce rousseauiste fervent, sa conception de l'histoire, de l'homme et de la politique, des fins qu'il leur assigne, ce va-et-vient constant entre l'idéal et une réalité qu'il faut refaire à son image, tout ceci renvoie irrésistiblement à l'utopie.

« Nous voulons fonder Salente », écrit-il à Linder. Salente ? Moins la cité idéale du Télémaque de Fénelon, que le règne sans partage d'une vertu rigoureuse qui, selon Robespierre se confond avec la démocratie, et se traduira par l'instauration de la « félicité universelle ». Robespierre ou l'utopie au pouvoir : au cœur même de sa pensée, il y a en effet cette volonté d'une subordination totale de la politique aux « principes ». « Robespierre, observera Hegel, posa le principe de vertu comme l'objet suprême, et l'on peut dire que cet homme prit la vertu au sérieux » (cité par G. Labica).

L'histoire humaine dans son ensemble, observe-t-il, manifeste l'affrontement sans merci du Bien et du Mal, de la vertu et du vice : « Ils font les destins de la terre, ce sont deux génies opposés qui se la disputent » (Robespierre). Dans l'ordre politique, ce conflit recoupe exactement le combat entre le peuple, incarnant le bien (« en général il n'y a rien d'aussi juste ni d'aussi bon que le peuple », Robespierre), et ses ennemis, rois, aristocrates, etc., qui sont l'immoralité même. Jusqu'à maintenant, c'est le mal qui l'a emporté : « Les siècles et la terre sont le partage du crime et de la tyrannie ; la liberté et la vertu se sont à peine reposées un instant sur quelque point du globe » (Robespierre). Et l'on retrouve ici la dynamique de l'utopie, avec la description de l'« avant » catastrophique qui précède l'entrée dans l’Âge d'or. En l'espèce, la Révolution va jouer le rôle de pivot, permettre le passage du mal ancien au bien à venir : et c'est d’ailleurs du fait de son rôle historique qu'il importe à tout prix, fût-ce par la Terreur, de la défendre contre ses ennemis, et de l'aider à accoucher des « temps nouveaux ».

« C'est la terreur du crime qui fait la sécurité de l'innocence » (Robespierre) avant d'assurer le triomphe de la vertu et du bonheur. Tel est en effet, au terme du « passage » révolutionnaire, l'aboutissement que prophétise Robespierre, et vers lequel tend l'histoire : un état qui sera « le chef-d'œuvre de la vertu et de la raison humaine », et dont il décrit les merveilles dans son Discours sur les principes de morale politique, scandé sous la forme d'objectifs à moyen terme : « Nous voulons »... Des objectifs auxquels correspondent des moyens, et tout d'abord, l'instauration d'une démocratie véritable dont l'effort principal consistera, à « rendre meilleurs » les individus, à replonger « les vices dans le néant », et ainsi, à restaurer entre des êtres « régénérés » la bienheureuse unité perdue des origines.
Frédérique Rouvillois


Discours sur les principes de morale politique


Il est temps de marquer nettement le but de la révolution, et le terme où nous voulons arriver ; il est temps de nous rendre compte à nous-mêmes, et des obstacles qui nous en éloignent encore, et des moyens que nous devons adopter pour l'atteindre ; idée simple et importante, qui semble n'avoir jamais été aperçue. Eh ! comment un gouvernement lâche et corrompu aurait-il osé la réaliser ? Un roi, un sénat orgueilleux, un César, un Cromwell doivent avant tout couvrir leurs projets d'un voile religieux, transiger avec tous les vices, caresser tous les partis, écraser celui des gens de biens, opprimer ou tromper le peuple, pour arriver au but de leur perfide ambition. Si nous n'avions pas eu une plus grande tâche à remplir, s'il ne s'agissait ici que des intérêts d'une faction ou d'une aristocratie nouvelle, nous aurions pu croire, comme certains écrivains plus ignorants encore
que pervers, que le plan de la révolution française était écrit en toutes lettres dans les livres de Tacite et de Machiavel, et chercher les devoirs des représentants du peuple dans l'histoire d'Auguste, de Tibère ou de Vespasien ou même dans celle de certains législateurs français ; car, à quelques nuances près de perfidie ou de cruauté, tous les tyrans se ressemblent.

Pour nous, nous venons aujourd'hui mettre l'univers dans la confidence de vos secrets politiques, afin que tous les amis de la patrie puissent se rallier à la voix de la raison et de l'intérêt public ; afin que la nation française et ses représentants soient respectés dans tous les pays de l'univers où la connaissance de leurs véritables principes pourra parvenir ; afin que les intrigants qui cherchent toujours à remplacer d'autres intrigants soient jugés sur des règles sûres et faciles.

Il faut prendre de loin ses précautions pour remettre les destinées de la liberté dans les mains de la vérité qui est éternelle, plus que dans celles des hommes qui passent, de manière que si le gouvernement oublie les intérêts du peuple, ou qu'il retombe entre les mains des hommes corrompus, selon le cours naturel des choses, la lumière des principes reconnus éclaire ses trahisons, et que toute faction nouvelle trouve la mort dans la seule pensée du crime.

Heureux le peuple qui peut arriver à ce point ! car, quelques nouveaux outrages qu'on lui prépare, quelles ressources ne présente pas un ordre de choses où la raison publique est la garantie de la liberté !

Quel est le but où nous tendons ? la jouissance paisible de la liberté et de l'égalité; le règne de cette justice éternelle dont les lois ont été gravées, non sur le marbre et sur la pierre, mais dans les cœurs de tous les hommes, même dans celui de l'esclave qui les oublie, et du tyran qui les nie.

Nous voulons un ordre de choses où toutes les passions basses et cruelles soient enchaînées, toutes les passions bienfaisantes et généreuses éveillées par les lois ; où l'ambition soit le désir de mériter la gloire et de servir la patrie ; où les distinctions ne naissent que de l'égalité même ; où le citoyen soit soumis au magistrat, le magistrat au peuple, et le peuple à la justice ; où la patrie assure le bien-être de chaque individu pour qu'il jouisse avec orgueil de la prospérité et de la gloire de la patrie ; où toutes les âmes s'agrandissent par la communication continuelle des sentiments républicains, et par le besoin de mériter l'estime d'un grand peuple ; où les arts soient des décorations de la liberté qui les ennoblit, le commerce la source de la richesse publique et non seulement de l'opulence monstrueuse de quelques maisons.

Nous voulons substituer dans notre pays la morale à l'égoïsme, la probité à l'honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l'empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l'insolence, la grandeur d'âme à la vanité, l'amour de la gloire à l'amour de l'argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l'intrigue, le génie au bel esprit, la vérité à l'éclat, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l'homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c'est-à-dire toutes les vertus et tous les miracles de la république, à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie.

Nous voulons, en un mot, remplir les vœux de la nature, accomplir les destins de l'humanité, tenir les promesses de la philosophie, absoudre la providence du long règne du crime et de la tyrannie. Que la France, jadis illustre parmi les pays esclaves, éclipsant la gloire de tous les peuples libres qui ont existé, devienne le modèle des nations, l'effroi des oppresseurs, la consolation des opprimés, l'ornement de l'univers, et qu'en scellant notre ouvrage de notre sang, nous puissions voir au moins briller l'aurore de la félicité universelle... Voilà notre ambition, voilà notre but.

Quelle nature de gouvernement peut réaliser ces prodiges ? Le seul gouvernement démocratique ou républicain : ces deux mots sont synonymes, malgré les abus du langage vulgaire ; car l'aristocratie n'est pas plus la république que la monarchie. La démocratie n'est pas un état où le peuple, continuellement assemblé, règle par lui-même toutes les affaires publiques, encore moins celui où cent mille fractions du peuple, par des mesures isolées, précipitées et contradictoires, décideraient du sort de la société entière : un tel gouvernement n'a jamais existé, et il ne pourrait exister que pour ramener le peuple au despotisme.

La démocratie est un état où le peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu'il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu’il ne peut faire lui-même.

C'est donc dans les principes du gouvernement démocratique que vous devez chercher les règles de votre conduite politique.

Robespierre


Robespierre ou les dangers de la vertu



Dessin :

Fuir l’aliénation collective consiste à se connaître soi-même

Les véritables maîtres du monde sont des prédateurs et des illusionnistes Carlos Castaneda nommait ces prédateurs les "Flyers".  L...