jeudi, octobre 04, 2012

Travail & pensée socialiste, utopique et marxiste (3)




De la servitude moderne 5/6

Travail & pensée socialiste, utopique et marxiste
- III -

Comment d'ailleurs pouvait-il en être autrement quand le courant de pensée socialiste qui constitue la troisième source d'inspiration de l'idéologie contemporaine, alors qu'il prenait le contre-pied de la presque totalité des doctrines spirituelles, économiques et politiques traditionnelles, ne faisait au contraire que renchérir sur ce qu'elles enseignaient de l'obligation de travail, en en faisant l'unique moteur du progrès et l'outil indispensable à la construction des sociétés futures, égalitaires, utopiques ou communistes ?

Cette véritable déification laïque de l'effort laborieux, née des premiers rêves des utopistes, prit de l'importance à mesure que le socialisme, de concept philosophique, se transformait en théorie économique.

Dès le XVe siècle, Thomas More, considéré comme le premier des grands utopistes, posait déjà l'obligation de travail pour tous comme principe fondamental, et prônait l'élimination des « frelons oisifs » de la ruche active que devait devenir l'humanité pour être enfin heureuse. Veiras d'Alais, en 1677 et Morelly, en 1755, les premiers à avoir imaginé des collectivités communistes, n'hésitaient pas non plus à imiter leurs contemporains les plus attachés à la propriété privée, en faisant avec la même sévérité de l'oisiveté « la mère des vices » et « la cause des querelles et des rébellions ».

On aurait pu attendre plus d'imagination, ou moins de conformisme, des pères français du socialisme. Il n'en fut rien, et leur ingéniosité à échafauder les systèmes économiques et politiques les plus hardis et les plus utopiques, n'alla jamais jusqu'à esquisser des projets de communauté où le travail, pour une fois, cesserait d'être défini comme le seul témoignage réel de l'activité humaine. Saint-Simon voulait, par exemple, que tous les hommes se considèrent « comme des ouvriers attachés à un atelier, dont les travaux ont pour but de rapprocher l'intelligence humaine de la divine prévoyance », et Victor Considérant voyait, lui, dans le travail la raison même de l'existence, puisque, disait-il, « l'humanité a été créée pour gérer le globe terrestre ». C'est à peu près pour les mêmes raisons que Fourier faisait de son Nouveau Monde industriel un paradis (?) où « chacun serait sur pied dès quatre heures du matin, hiver comme été, pour se livrer avec ardeur aux travaux utiles ». C'était d'ailleurs là revendication bien modeste à côté de celle de l'Italien Monro qui, lui, réclamait en toute simplicité « le travail continuel ». Peut-être parce que, comme Proudhon, il y voyait « une mission perpétuelle de l'esprit » ou « une insurrection permanente » et comme telle un « facteur essentiel de liberté ».

C'est à peine si quelques-uns d'entre eux, plus semble-t-il pour favoriser le rendement que pour réellement libérer l'homme de son fardeau originel, ont parfois discrètement fait allusion à une éventuelle et souhaitable diminution des horaires, ou à l'intérêt qu'il pourrait y avoir à rendre certaines tâches plus agréables.

L'Utopie des « grands ancêtres » ne se parait pas toujours de couleurs riantes et ne ressemblait que rarement à cet Éden avec lequel elle est si souvent confondue aujourd'hui.

Il est vrai que très tôt la prise de conscience des impératifs économiques, propres à n'importe quelle société évoluée, était venue tempérer les perspectives idylliques des disciples attardés de Jean-Jacques Rousseau. Les difficultés de la Convention en matière de ravitaillement et de prix alimentaires en avaient fourni la première occasion tangible, en montrant que l'égalité entre tous ne pouvait se concilier avec une production suffisante des biens de consommation, qu'à condition de dépasser le simple plan des déclarations éloquentes ou des décrets financiers, pour imposer dans les faits l'indispensable redistribution des tâches et des richesses.

Après Robespierre, mais beaucoup moins timidement, Gracchus Babœuf s'y était essayé. A côté d'une loi agraire qui prévoyait un complet remodèlement de la propriété terrienne, son Manifeste des égaux introduisait en effet le principe du travail obligatoire et faisait de la complémentarité de ces deux mesures la clef de voûte de tout son système. La guillotine mit très vite fin à cette fugitive tentative d'économie collectiviste, mais le souvenir devait en rester longtemps vivace dans les milieux socialistes du XIXe. Il fallut pourtant attendre que Marx apportât au socialisme traditionnel la caution scientifique et philosophique de ses thèses socio-économiques et historiques, pour que fussent clairement définis les rapports capital-travail et à travers eux la place et la fonction à réserver à l'obligation de travail, dans le long processus qui devait conduire à l'instauration du communisme. Quel que soit le jugement porté par chacun de nous sur son œuvre, nul ne peut nier qu'elle représente une étape importante de l'évolution des idées et que son empreinte marque encore, qu'on le veuille ou non, beaucoup de l'idéologie contemporaine.

Des concepts aussi nouveaux pour leur époque que ceux par exemple de force de travail, d'aliénation ou de matérialisme historique, sont maintenant entrés dans le langage courant et utilisés à tout propos... et même hors de propos.

Chacun pourtant, fervent disciple ou farouche contempteur, a trop souvent tendance à ne retenir du marxisme que ce qui légitime son acceptation ou son refus des programmes politiques qui s'en réclament.

Alors que les écrits de l'auteur du Manifeste du Parti communiste furent aussi ceux d'un philosophe, d'un sociologue, d'un historien et parfois même dans un certain sens, ceux d'un moraliste, rien ne semble en être retenu, quand leur contenu n'a pas valeur immédiatement économique et politique. Et comme il est vrai qu'il existe parfois des contradictions entre les ouvrages de jeunesse et le Capital, l'exégèse qui est faite aujourd'hui de sa doctrine globale à des fin de propagande ou de dénigrement, n'en retient que ce qui paraît le plus en accord avec le résultat recherché. Cette simplification outrancière est particulièrement évidente en ce qui concerne ce que Marx est censé avoir pensé de l'obligation de travail, et ce qui est donc présenté aujourd'hui comme l'orthodoxie en la matière.

Parce que son inspirateur Hegel avait écrit avant lui que « par son activité professionnelle l'homme participe dans la durée de sa propre vie et dans celle des générations successives au progrès général » et qu' « il identifie sa vie avec sa profession », il parut normal de ne retenir de sa propre opinion philosophique que les textes où il affirmait, en particulier dans l'Idéologie allemande, que le travail assure la conservation de l'individu et la perpétuation de l'espèce », « qu'il distingue l'homme de l'animal », ou même que « l'homme est créé par le travail humain ».

Parce que la Révolution russe en 1917 fut immédiatement confrontée avec l'obligation de transformer, le plus rapidement possible, un pays arriéré et sous-développé en une nation industrielle moderne, et qu'elle ne put le faire qu'en exigeant de tous un immense et brutal effort, il fallut souligner ce qui, dans ses thèses économiques, faisait de la force de travail et donc de l'énergie humaine consacrée au travail, l'instrument indispensable à tout progrès. Enfin, parce que le succès de Staline sur Trotsky imposa avec l'idée du « socialisme dans un seul pays », la nécessité pour l'URSS de rivaliser dans la paix ou la guerre avec les pays capitalistes, il fallut, pour sauver la « patrie des travailleurs », lier la notion de communisme à celle de production intensive. C'était combattre que travailler. Le stakhanovisme devint le meilleur moyen pour le citoyen soviétique de prouver en même temps son patriotisme et sa foi politique, en faisant de son labeur un exemple pour tous les autres travailleurs du monde, et en assumant son destin d'homme communiste dans une domination toujours plus grande de la nature.

Curieuse aventure pour l'ouvrier ou le paysan russe, dont le langage faisait pourtant du mot oisif (prasdny) l'étymologie du mot fête (prasdnik).

Dans la stricte observance du modèle soviétique, ce qui était nécessité impérieuse pour les travailleurs de l'URSS se transforma tout naturellement en dogme pour les communistes étrangers, et puisque l'article 8 du Manifeste prévoyait le travail obligatoire pour tous, cette obligation parut toute naturelle, même dans les régimes capitalistes, aux différents leaders du Parti. Un tel respect de l'activité de travail, et en particulier pendant les grèves les plus dures, un tel respect de l'outil de travail par les syndicalistes marxistes, peuvent paraître paradoxaux quand les moyens de production sont encore aux mains du patronat. C'est que pour eux leur appropriation par la classe ouvrière est toujours pour un avenir très proche. Contribuer à l'enrichissement de l'appareil industriel, même s'il est encore aux mains des classes possédantes, c'est encore favoriser l'avènement de la société communiste, qui ne sera viable qu'a condition d'être économiquement puissante, qu'elle construise elle-même sa puissance ou qu'elle en hérite peu ou prou du capitalisme.

Réduit à ces seules perspectives, le marxisme, tel qu'il inspire (inspirait) la ligne politique des gouvernements et des programmes qui s'en réclament, se trouve donc en fait reconnaître à la valeur travail un sens aussi contraignant que celui que lui accordaient depuis des siècles la tradition chrétienne ou le pragmatisme libéral et bourgeois. La tentation serait même grande de penser qu'en la matière certains régimes socialistes ont parfois dépassé les excès du puritanisme protestant ou du capitalisme naissant, et que pour les imposer ils ont dû faire état à leur tour des mêmes justifications morales et des mêmes rationalisations philosophiques. N'en est-il pas ainsi, par exemple, quand la Chine, faisant de la rééducation par le travail l'unique thérapeutique de toutes les déviations politiques et de toutes les perversions individuelles, espère ainsi construire un homme nouveau ? (lignes écrites en 1977)

Jean rousselet, L'allergie au travail.


De la servitude moderne 6/6

Travail & pensée libérale (2)



De la servitude moderne 3/6

Travail & pensée libérale
- II -

En substituant à l'obéissance aux commandements divins la sujétion aux lois de la nature, les écrivains et les hommes politiques qui tentèrent avec plus ou moins de succès de libérer leur pensée de toute influence religieuse, ne firent en effet que rendre l'obligation du travail encore plus pressante. Sur ce point précis la contribution des plus rationalistes ou des plus révolutionnaires d'entre eux à l'élaboration de l'idéologie actuelle semble même s'être limitée à apporter la caution de la science ou de l'égalitarisme aux plus sévères conceptions puritaines.

Dans un premier temps, l'ambition des esprits éclairés fut de proposer pour les sociétés humaines un modèle d'explication et d'organisation, aussi rigoureux que celui auquel obéissaient les lois physiques et astronomiques, qui venaient d'être découvertes. Cela pour maintenir l'ordre et favoriser le progrès beaucoup plus que pour satisfaire une simple curiosité. La raison n'y pouvait seule suffire. Il était nécessaire, pour qu'il y ait avancement des sciences et des techniques, de s'aider d'une force, d'une énergie toujours plus grandes. Le travail humain était seul à même de la fournir à profusion. Il fallait donc, pour qu'il y eût développement harmonieux et continu, que rien ne fût remis en question des règles qui avaient jusque-là présidé aux partages des responsabilités et des tâches entre les diverses classes sociales. C'est parce que beaucoup de progrès avaient été réalisés dans un passé récent grâce à une certaine conception du travail, qu'il devenait possible d'en attendre d'autres encore plus grands pour l'avenir. Il eût paru d'ailleurs d'autant plus déraisonnable d'y changer quoi que ce fût que ceux-là même qui se faisaient les théoriciens des sociétés mieux équilibrées à construire, appartenaient en majorité aux couches de la population qui tiraient justement leur originalité et leur nouveau pouvoir, du sens récemment donné à l'activité laborieuse et à la profession par les doctrines religieuses du moment. La bourgeoisie naissante qui voyait dans le progrès des idées un moyen de substituer aux privilèges du sang ceux de l'intelligence, voyait en effet aussi dans le progrès des techniques l'occasion de substituer à l'autorité déclinante de la noblesse celle de la fortune. Son libéralisme soucieux surtout de liberté d'entreprise et de liberté d'échanges, donc de profit et déjà de productivité, ne pouvait espérer s'imposer qu'à condition de transformer en impératif naturel, en loi économique. ce qui jusque-là n'était qu'obligation spirituelle un peu trop sujette à interprétations contradictoires. C'était se mettre à la mode du jour que d'attendre de la science la légitimation d'un statut de plus en plus privilégié, et c'était en même temps protéger ses intérêts que de se débarrasser par la même occasion de tous les dangereux aspects égalitaristes du message chrétien.

Ainsi, pour Montesquieu, « c'était tout un que le devoir soit fixé aux hommes par la Nature ou par Dieu » et quand Adam Smith faisait du travail, « la source de tout progrès ». Locke en faisait aussi tout naturellement « la source de toute propriété ». Est-ce vraiment caricaturer la pensée libérale que la résumer par la mise bout à bout de ces trois citations des auteurs qui en assument classiquement la paternité, puisque des encyclopédistes aux défenseurs modernes de l'économie libérale, tous les libéraux se sont toujours plus ou moins référés dans leurs écrits ou leurs politiques à ces trois axiomes ?

L'influence de la raison n'était cependant pas telle qu'elle puisse se substituer aux principes religieux du passé, pour inspirer toutes les conduites et toutes les mentalités. Les beaux esprits s'y soumettaient d'autant plus volontiers que son respect ne changeait pas grand-chose à leur existence de tous les jours. Il était au contraire à craindre que les individus les moins évolués intellectuellement y restassent d'autant plus insensibles que ses édits se traduisaient en général pour eux par un surcroît de labeur que ne venait plus compenser la perspective de récompenses spirituelles. La stricte observance des lois de la nature ne pouvait en effet rivaliser en matière de promesses post mortem avec celle des lois divines. Faute de pouvoir continuer à sacraliser le travail, en en faisant un passeport pour les béatitudes du paradis terrestre, force fut donc, pour retrouver le concours des habituelles références spirituelles, de stigmatiser l'oisiveté au nom de l'harmonie universelle ou de la dignité humaine. Les auteurs classiques ne s'en étaient déjà pas privés — de Racine affirmant dans Athalie « qu'au travail le peuple est condamné », à Boileau évoquant « le pénible fardeau de l'oisiveté ». Ceux de la fin du XVIIIe siècle furent obligés de renchérir sur ces jugements plus ou moins suspects de jansénisme, au nom des nouvelles idées philosophiques. De Rétif de La Bretonne critiquant « l'oisiveté infâme » à Voltaire plaignant dans Candide, « l'homme accablé du poids de son loisir », tous s'attachèrent ainsi à redonner une nouvelle valeur éthique à l'obligation de travailler sous prétexte de condamner une oisiveté contraire aux lois de la nature.

Cette substitution plus ou moins sincère d'un interdit naturel à un impératif métaphysique perdit d'ailleurs peu à peu de son sens, à mesure que l'idéologie bourgeoise retournait aux sources religieuses dont l'avaient un moment éloignée le scepticisme des encyclopédistes et l'athéisme de la Terreur. Si Saint-Just se contentait d'exiger de la Convention que « tous les individus soient obligés d'exercer une profession utile à la liberté », Napoléon dès 1807 n'hésitait plus à écrire « plus mes peuples travailleront, moins il y aura de vices. Je serais disposé à ordonner que le dimanche, passée l'heure des offices, les boutiques fussent ouvertes et les ouvriers rendus à leur travail ».

« L'oisiveté mère de tous les vices » devait venir compléter et aussi rendre possible le « enrichissez-vous » de la monarchie de Louis-Philippe, avant de légitimer les excès de la révolution industrielle.

C'était sous le prétexte de les empêcher de succomber aux tentations de la paresse que les enfants furent alors contraints de travailler dès l'âge de 6 ans, comme c'était sous prétexte de les protéger de la débauche, que les femmes furent entraînées à partager le même sort, les mêmes horaires et les mêmes conditions de travail, dans les ateliers de textile ou sur le carreau des mines. Il n'est qu'à relire le compte rendu des débats de la Chambre, lorsqu'en 1867 Jules Simon s'éleva à peu près seul contre l'exploitation éhontée du travail des enfants, pour mesurer à quel point les mentalités de l'époque étaient imprégnées de cet état d'esprit. Il est vrai que les orateurs qui s'en faisaient l'écho appartenaient tous aux groupes sociaux privilégiés dont la fortune, qui grandissait avec la mise en chantier des chemins de fer et des grandes entreprises modernes, exigeait la mise au travail d'une main-d'œuvre toujours plus abondante.

Puisque seule une vie d'effort et de fatigue paraissait digne d'être proposée à la jeunesse, Jules Ferry, quelques années plus tard, à l'aube de la IIIe République, tirait ainsi la vraie morale de la politique du moment, et de celle apparemment généreuse de ses projets d'éducation, lorsque inaugurant en 1884 le Collège professionnel de Vierzon, il concluait son discours par cette déclaration sans détour : « L'école nationale dans une démocratie de travailleurs comme la nôtre doit être l’École du Travail. »

Rien ne devait plus beaucoup changer au fil des ans de ces mentalités soi-disant modernes, nées avec l'ère industrielle. Les guerres, les révolutions, le progrès des techniques et des connaissances qui bouleversaient tout des mœurs, ne firent au contraire que les renforcer, comme si nos sociétés, en rendant l'obligation de travail plus pesante et son image plus contraignante, cherchaient à se rassurer sur leur équilibre et leur avenir. C'était évidemment l'intérêt des classes dominantes qui, par des approches diverses, y trouvaient la légitimation commune de leurs pouvoirs spirituels, économiques et politiques, respectifs. Dans ce domaine, en effet, rien ne séparait le puritanisme de la haute banque protestante et le conservatisme catholique de la grande bourgeoisie et du clergé, de l'idéologie hébraïque de certains milieux d'affaires, du néo-christianisme du Sillon, du rationalisme du corps enseignant ou même du rituel des francs-maçons qui se voulaient les héritiers spirituels des ouvriers du Temple de Salomon ou des compagnons du Moyen Age.

La plupart des familles croyaient réussir l'éducation de leurs enfants en se contentant de leur inculquer le respect aveugle du labeur quotidien et la crainte superstitieuse de l'oisiveté, tandis que notre système officiel d'enseignement était à ce point confondu avec une simple préparation au métier, que la fin de toute scolarité obligatoire devait être sanctionnée par un examen d'orientation professionnelle. Cela n'était pas propre à la

France, et sous des vocables différents, « l'efficience britannique », « l'esprit d'entreprise de la libre Amérique », ou « l'expansionnisme industriel allemand », reflétaient le même respect outrancier du travail et de la compétition économique.

Jean Rousselet, L'allergie au travail.

Travail & pensée chrétienne (1)



De la servitude moderne 1/6

Le travail

Pourquoi travailler ? Pour obéir aux lois de la politique, de la religion et de la morale ? Pour dominer la nature, préparer son salut en « se faire en faisant » ? Pourquoi pas, simplement, travailler pour vivre ?

Travail & pensée chrétienne
- I -

L'évolution de l'enseignement de l’Église est à cet égard pleine d'intérêt, car elle traduit bien le long glissement qui a peu à peu transformé le sens initialement spirituel reconnu au travail en une perspective de plus en plus économique, liée aux transformations socioculturelles des sociétés.

Trois aspects peuvent très schématiquement en être soulignés, qui ont successivement prévalu, sans jamais pourtant se substituer complètement l'un à l'autre. Encore aujourd'hui, beaucoup de l'ambiguïté des pensées catholiques ou protestantes en la matière s'explique par les manières différentes que certains ont d'en apprécier l'importance respective.

Le premier, celui du christianisme primitif, peut être résumé par la déclaration sans ambages de Paul de Tarse « que celui qui ne travaille pas, ne mange pas ». Elle s'inscrivait dans le droit fil de l'Ancien Testament, qui avait fait du travail imposé à l'homme la sanction d'une malédiction divine et la condition indispensable au rachat du péché originel.

« C'est avec effort que tu tireras nourriture de la terre. » « C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras ton pain » (Genèse, ch. III). Ces commandements avaient été peu à peu négligés par le Deutéronome et les derniers prophètes.

Les rappeler avec force, c'était mettre le droit de son côté dans la lutte à mener contre l'égoïsme économique des pharisiens et la protection abusive qu'accordait au négoce et à l'usure le Grand Sanhédrin.

Mais c'était aussi et surtout pour les compagnons de Jésus et ceux auxquels ils s'adressaient, s'affirmer. Il ne faut pas oublier en effet que les premiers chrétiens se recrutèrent d'abord parmi les artisans et les compagnons qualifiés, c'est-à-dire parmi les habitants des bourgades et des villes qui, ayant déjà l'expérience et le respect du travail libre et créateur, souffraient de n'occuper pourtant dans la hiérarchie sociale qu'une place très inférieure à celle des exploitants agricoles et des commerçants.

Le succès rapide du christianisme, sur tout le pourtour de la Méditerranée, s'explique ainsi par l'accroissement dans les villes qui s'y développaient, d'une population nouvelle de travailleurs impatients de se voir reconnaître le statut que lui refusaient les structures et les coutumes des anciennes sociétés gréco-romaines. Valoriser le travail, c'était pour elle concilier ses aspirations religieuses et sa recherche de dignité. C'était se voir attribuer un rôle social au moins égal à celui des autres classes, puisque la notion d'effort et de souffrance l'emportait sur celle de profession et prestige.

Pour la première fois aussi, les femmes, dans cette perspective, se retrouvaient les égales des hommes, puisque leurs humbles tâches domestiques devenaient aussi respectables que celles de leurs époux. De là probablement la part si grande qu'elles prirent à la propagation de cette nouvelle foi.

Mais il n'est pas interdit de penser qu'en réactualisant le vieux message biblique, le visionnaire du Chemin de Damas qui n'était pas, lui, un travailleur manuel, cherchait peut-être en même temps à compenser, par un rappel de l'égalité des devoirs, les effets économiques que risquait d'avoir l'accession des esclaves à l'égalité des droits. S'il devenait juste de reconnaître avec le Christ la même qualité à tous les hommes, et cela quels que fussent leur naissance ou leur état, il paraissait déjà dangereux que ceux qui avaient jusque-là le monopole des tâches ingrates puissent pour autant se croire autorisés à les abandonner.

Le nouveau sens accordé à l'effort laborieux ne pouvait que les aider à le supporter avec plus de patience.

D'abord facteur d'égalité et de dignité, le travail devenait ainsi instrument de rédemption, et donc de consolation, à mesure que la dimension égalitariste des paroles de Jésus était oubliée et qu'il était fait une différence toujours plus grande entre l'égalité de nature et l'égalité sociale, entre l'égalité spirituelle des âmes et l'égalité temporelle des corps souffrants.

Cette opposition ne devait pas cesser de s'aggraver, mais elle prit toute son importance avec l'édification des sociétés féodales et l'apparition en leur sein du premier système moderne de classes.

A partir de ce moment, l’Église officielle parut plus soucieuse de légitimer cette structuration, et avec elle les divers statuts et attentes y afférant, que de s'en tenir à l'esprit du message évangélique. Cette rupture avec la pensée chrétienne primitive est intervenue d'autant plus aisément que la tradition orale s'estompait et que la décision d'imposer le latin comme langue rituelle interdisait au plus grand nombre de prendre exactement conscience de la dénaturation des textes invoqués pour la justifier. En fait, chacun d'ailleurs était prêt à accepter une définition chrétienne du travail qui ne fût plus aussi univoque que celle de la Bible. A une époque où les seules références morales étaient religieuses, chaque groupe social attendait en effet de la religion commune qu'elle définisse ou reflète ses motivations propres, mais surtout qu'elle les singularise.

Dans cette habituelle relation dialectique, l'inégalité sociale devenait à la fois cause et effet, à mesure que pour certains le travail cessait d'être une fin pour devenir moyen. Comme l'a souligné Max Weber dans sa sociologie des religions, les différentes classes sociales n'attendent jamais en effet la même chose de la religion. Les classes privilégiées lui demandent de légitimer leur rang, leur statut et leur manière de vivre. Les classes défavorisées y cherchent le salut, c'est-à-dire la promesse d'une compensation future à leur sort misérable dans une « hiérarchie de rang et de mérite, différente de celle qui règne en ce monde ». L'homme heureux, riche ou puissant veut « avoir le droit à son bonheur, c'est-à-dire avoir conscience de l'avoir mérité ». L'homme malheureux, pauvre et faible ne peut supporter son malheur que « s'il sait être un jour délivré de sa souffrance ».

Ce souci de confort moral explique pourquoi la noblesse et le clergé, dès qu'ils virent confirmé par l'usage le rang que leur avaient conquis initialement l'épée ou l'exégèse des textes sacrés, ne purent sous peine de se désavouer eux-mêmes — eux qui ne travaillaient plus — continuer à accorder à la valeur travail sa primauté ancienne. Il leur fallut à la fois ne pas cesser d'en imposer le respect aux autres, pour que subsistassent économiquement les sociétés qu'ils dominaient et en même temps survaloriser les activités où ils étaient les mieux à même de prouver leur propre mérite. A une époque marquée par la violence et par un presque total désintérêt pour les problèmes intellectuels, la défense de l'Ordre et de la Foi en constituait le meilleur cadre. Aux vertus des humbles recommencèrent à s'opposer celles des puissants. L'honneur et la charité l'emportèrent peu à peu sur la soumission et le travail, puisque celui qui protégeait ne pouvait que dominer celui qui était protégé.

A ceux qui n'avaient plus ni dignité ni liberté restait la perspective des consolations célestes. Plus ils travaillaient et souffraient, et plus ils se promettaient pour l'Au-delà un sort enviable.

Mais déjà l'enseignement des cisterciens et des bénédictins d'une part, et d'autre part l'idéologie naissante des corporations, commençaient à donner un nouveau sens à cette souffrance en la transformant en ascèse et en motif de fierté.

Le même souci de rationalisation morale qui obligeait leurs seigneurs ou leurs prêtres à prouver leur supériorité dans les croisades, la chevalerie ou la diversité des rites liturgiques, amena en effet les artisans et les commerçants à refuser leur infériorité de fait, en acceptant et même en recherchant ce qui leur était imposé, et ainsi à transformer les contraintes en vocations.

C'est encore Max Weber qui, dans l’Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, a montré comment une certaine conception chrétienne du travail, conçue d'abord comme un retour à la pensée primitive, a pu se pervertir peu à peu jusqu'à légitimer après le principe de domination celui de profit.

Au début de son activité de réformateur, Luther avait simplement voulu prendre le contre-pied de ce qui, dans la doctrine catholique de son temps et en particulier dans le thomisme, lui paraissait contraire au dogme ; saint Thomas pour maintenir la valeur morale de la contemplation, et pour justifier les statuts des moines, avait cru pouvoir affirmer que l'obligation de travailler énoncée par saint Paul s'adressait à l'espèce humaine tout entière et non à chaque individu en particulier. Pour Luther au contraire, « l'unique moyen de vivre d'une manière agréable à Dieu n'était pas de dépasser la morale de la vie séculière par l'ascèse monastique, mais exclusivement d'accomplir dans le monde les devoirs correspondant à la place que l'existence a assignée à l'individu dans la société, devoirs qui deviennent ainsi sa vocation (Beruf) ».

A nouveau chacun devait travailler, mais cette fois c'était l'exercice même de la profession à laquelle on avait été appelé qui devenait important, et non plus l'activité de travail en soi. La nuance peut paraître minime, c'est elle pourtant qui explique que peu à peu la pensée protestante, puis la pensée chrétienne presque tout entière, se soient mises à cautionner l'exploitation du travail du plus grand nombre par une minorité qui apprenait à substituer au pouvoir de la violence ou des idées celui de l'argent. Puisque réussir dans sa profession devenait un devoir, et même une nouvelle forme de prière, force était à partir de ce moment, pour les Puritains, d'accumuler les preuves concrètes de cette réussite.

Pour ceux qui n'avaient que leurs bras pour témoigner par leur labeur de leur foi, c'était réussir dans un métier ingrat qu'y travailler de toutes ses forces et en accepter avec joie les peines et les souffrances.

Pour ceux dont le métier était au contraire de créer, de diriger ou de vendre, c'était réussir qu'élargir ses entreprises, mener avec autorité ses subordonnés, accumuler le profit, et finalement faire travailler son capital à l'augmentation de sa propre fortune, et donc à l'augmentation de son potentiel d'activité.

A ceux qu'une telle inégalité aurait pu choquer, il était rappelé d'une part que cette notion de vocation impliquait l'acceptation aveugle de sa destinée professionnelle, et que d'autre part le respect de la notion d'altruisme impliquait que toute accumulation de richesses au profit immédiat d'un seul individu se justifiait comme devant profiter tôt ou tard à tous.

C'était, par exemple, faire œuvre de charité que de créer des entreprises et donc des emplois, d'économiser sur les salaires distribués pour protéger ces mêmes emplois, d'embaucher à vil prix des femmes et des enfants pour les protéger de l'oisiveté, etc. Est-il interdit de penser que cette idéologie imprègne encore aujourd'hui bien des mentalités qui seraient fort surprises de s'en voir démontrer les sophismes ?

Rares d'ailleurs ont été les voix chrétiennes qui, avant Lamennais, se sont élevées au cours des siècles pour rappeler la vérité, en ce domaine, des messages évangéliques. Comment d'ailleurs auraient-elles pu le faire avec une réelle chance d'être écoutées, quand les systèmes de pensée qui se sont successivement posés en antagonistes du christianisme ont toujours adhéré spontanément ou non à des thèses qui, elles aussi, faisaient du travail une obligation liée à l'essence même de la nature humaine ?

Jean Rousselet, L'allergie au travail.

De la servitude moderne 2/6


Travail & pensée libérale (2)

Travail & pensée socialiste, utopique et marxiste (3)

mercredi, octobre 03, 2012

La biographie non autorisée du Dalaï-lama




Sous le gouvernement des lamas, le Tibet c'était « Dallas, sexe, neiges éternelles, argent et pouvoir ».

En 2003, le livre de Gilles Van Grasdorff Le Dalaï-lama, la biographie non autorisée est publié chez Plon. Un lecteur de Bouddhanar a retrouvé l'interview de Gilles Van Grasdorff dans le n° 44 de la revue Bouddhisme actualités.

Dix ans d'enquêtes

« Ces années de rencontres avec le Dalaï-lama, dit Gilles Van Grasdorff, sa famille, ses amis, ses détracteurs, de plus en plus nombreux au sein de son peuple, toutes ces années de collaboration avec son médecin, Tenzin Chœdrak, ont été des moments intenses, uniques à vivre. Tous m'ont donné la possibilité de vivre une formidable expérience spirituelle et humaine. »

L'entourage du Dalaï-lama

« Trop de gens autour de Sa Sainteté tirent les ficelles. Il serait naïf d'imaginer que la société tibétaine ait pu échapper aux fléaux qui ont frappé nos civilisations. Ainsi, quelques familles continuent à se partager le pouvoir. C'était déjà le cas au Tibet, ayant l'invasion chinoise de 1949. Cela n'a pas changé. Ces familles participent au gouvernement de l'exil, ont parfois un ou deux ministres en place, se partagent les fonctions dans les principales institutions, multiplient les réincarnations en leur sein. Pour l'argent, simplement. Parmi eux, il y a des incapables que l'on déplace au gré des occasions ou des élections. Mais un incapable reste un incapable, qu'il soit ministre ou représentant de Sa Sainteté dans un Bureau du Tibet, en Occident ou en Asie. Dans le Tibet du XXe siècle, on complote, on empoisonne, on assassine, on corrompt, on trahit... »

La corruption

« La corruption a été le quotidien des régences au Tibet. L'interrègne de Reting Rinpotché et de Tagdra Rinpotché n'y a pas échappé. Les deux régents se sont comportés comme des voyous. C'est « Dallas, sexe, neiges éternelles, argent, pouvoir ». La famille du Dalaï-lama a été victime des perfidies de ces régents : son père a été assassiné pour avoir soutenu Reting Rinpotché et pour bien d'autres choses encore ; et le doute a été colporté par Tagdra Rinpotché sur le statut même de Tenzin Gyatso. Ici, les choses ont finalement bien tourné pour l'actuel Dalaï-lama : le régent avait imaginé l'élimination de tous les frères de Sa Sainteté, pour mieux pouvoir se débarrasser du Dalaï-lama ensuite, et, écarter amala, sa maman, une femme extraordinaire de bonté et d'honnêteté. »

Le rôle de la CIA et les services secrets chinois

« Et celui des services secrets indiens, aussi, précise Gilles Van Grasdorff. Je raconte, par exemple, une attaque par un groupe de résistants tibétains commandés par un mercenaire. Alors qu'ils s'apprêtaient à brûler les véhicules chinois, ils ont découvert des sacs de courrier et un dossier, qui furent expédiés à Langley, le siège de la CIA. Étudiés par leurs spécialistes de la langue chinoise, les documents s'avéraient d'une extrême importance. Mais, à l'époque, à Washington, des gens proches de la présidence n'y ont pas vraiment cru. Il leur a fallu du temps pour comprendre ! Je tiens à une précision : la CIA a dupé la résistance tibétaine. Quant aux services secrets chinois, ils recrutaient à l'époque des indiens pro-maoïstes. Autant dire qu'il leur a été facile d'infiltrer Dharamsala, dès 1960, dès l'installation du Datai-Lama. Quant à Gyalo Thondoup, le frère du Dalaï-lama, il entretenait des relations assez régulières avec les services secrets indiens. »

Le Dalaï-lama était-il informé de ce qui se tramait ?

« Pour certaines choses, oui. Ne l'oublions pas, il était le chef du gouvernement du Tibet en exil. Quant à la CIA, on la retrouverait dans l'évasion de Sa Sainteté Urgyen Trinley Dordjé. Rappelons-le, le XVIIe Karmapa a fui Tsourphou, son monastère, le 28 décembre 1999, au nez des Chinois. Une fois la chaîne himalayenne traversée, on est dans le Mustang, là où la résistance tibétaine avait ses bases arrières et son commandement. Toutes les enquêtes le prouvent, des Occidentaux traînaient dans les parages, prêts à voler au secours des fuyards, si les choses tournaient mal. C'est à l'orée d'un petit village de montagne, que le XVIIe Karmapa, Urgyen Trinley Dordjé, a grimpé à bord d'un hélicoptère loué à une société népalo-américaine. Le Karmapa a ensuite été « réceptionné » par un Américain. Nous étions en Inde. L'homme l'a conduit à une voiture. En route pour Dharamsala, où Sa Sainteté est arrivée le 5 janvier 1999. »

Les exactions des Gardes Rouges TIBETAINS

« Au cours de mes recherches, des Tibétains m'ont parlé du rôle ambigu de leurs compatriotes au moment de la Révolution culturelle chinoise de 1966. J'ai fouillé, interrogé, lu des documents, essayé de comprendre les non-dits, les silences coupables. En 2002, un article paru dans le Courrier international, écrit par un philosophe chinois, communiste, a attiré mon attention. Lors de mon dernier voyage en Inde, j'ai poussé mon enquête. Et, j'ai trouvé des réponses, lourdes de sens, non pas à Dharamsala, mais ailleurs. Oui, des Tibétains, enrôlés dans les Gardes Rouges, ont participé aux exactions commises sur le Toit du Monde. Oui, des Tibétains ont commis des crimes, détruit des monastères, torturé des moines et des nonnes. Ces gardes rouges tibétains étaient jeunes. Ils avaient seize, dix-sept ans, vingt ans pour quelques-uns. Enlevés à leurs familles au début des années 50, ils avaient été - s'ils survivaient - éduqués en Chine communiste. Lorsque la Révolution culturelle a éclaté, ces jeunes ont été renvoyés dans leur pays. C'était une aubaine pour Mao ! »

La situation actuelle des dignitaires du bouddhisme tibétain

« Le XXIe siècle ne semble guère varier du précédent. Les hommes restent les hommes. Ainsi, que ne ferait-on pas pour une coiffe noire, celle des Karmapas, actuellement à Roumtek ? Côté pile, Shamar Rinpotché a été accusé d'avoir voulu s'emparer des biens du XVIe Karmapa. Le procès qui lui a été fait, n'a abouti à rien. On dit aussi que Sa Sainteté à la coiffe rouge a échappé à un attentat. Côté face, Tai Sitou Rinpotché, l'autre régent de la lignée Kagyupa, est accusé de fricoter avec la Chine communiste. »

Où est la vérité ?

« Il ne m'appartient pas de prendre position pour ou contre Urgyen Trinley Dordjé, pour ou contre Trinley Thayé Dordjé, les deux XVIIe Karmapas. Je les connais tous les deux, je les apprécie tous les deux. Mais, en écrivant cette biographie, je me dois de témoigner. Et je m'interroge sur la tentative d'assassinat du XVIe Kannapa. Est-ce bien le gouvernement tibétain qui a recruté le tueur à gages pour assassiner Sa Sainteté Rangjoung Rigpé Dordjé ? »

Des révélations concernant le Xe Panchen-lama Choekyi Gyaltsen

« En fait, il y avait un autre candidat. Un jour, on m'a remis un document chinois. Il datait de 1938, et relatait l'histoire de cet enfant. La traduction a été réalisée par des amis chinois. Il s'agit de magouilles, de manipulations, de pressions autour des réincarnations. Ce n'était pas la première fois, ce ne sera certainement pas la dernière. Mais nous aurions très bien pu nous retrouver à l'époque avec deux Xe Panchen-lama, l'un proche de Lhassa, l'autre proche de Nankin et du Guomindang.

Concernant Guendune Choekvi Nyima, le XIe Panchen-lama, enlevé par les Chinois en 1995, aussitôt sa désignation par le Dalaï-lama et remplacé par Norbou, un garçon du même âge, né dans le même village que Guendune, dont les parents sont membres du Parti communiste local, je pense que le Dalaï-lama a commis une erreur grave en désignant cet enfant, sans l'avoir « mis à l'abri » auparavant. Dans la lignée Gelougpa, le rôle du Panchen-lama est essentiel à la mort du Dalaï-lama, il doit désigner le XVe Dalaï-lama, Nous nous retrouverons probablement avec un Dalaï-lama chinois et un Dalaï-lama « libre », du côté de Dharamsala ou ailleurs. A vous avouer le fonds de ma pensée, je prévois des années encore très noires pour le peuple tibétain. »

Site de la revue Bouddhisme actualités :


Le Dalaï-lama, la biographie non autorisée

La personnalité charismatique du dalaï-lama, ses actions en faveur de la paix qui lui ont valu le prix Nobel en 1989, son influence morale dans le monde en font un personnage de tout premier plan. Mais paradoxalement, le chef politique du Tibet est entouré de nombreux mystères.

Qui est-il exactement ? Quelle part a pris sa famille dans son accession au pouvoir ? Sa mère est toujours un symbole respecté des Tibétains. Mais son père ? Est-il décédé de mort naturelle ou a-t-il été assassiné ? Quel rôle ont joué les services secrets chinois et la CIA au pays des neiges ? Quels furent leurs agissements, leurs mensonges, leurs ambiguïtés ? Le gouvernement en exil à Dharamsala n'a jamais été reconnu par les autres nations. Pourquoi ? Et que deviendra le Tibet après la disparition de son leader ?

Ce livre, nourri d'informations inédites et d'entretiens avec plusieurs personnalités, notamment le dalaï-lama lui-même, invite à s'interroger sur l'avenir d'une nation et d'une civilisation menacées de disparition. 




Né en 1948 à Saint-Amand l’Escaut, près d’Anvers, Gilles Van Grasdorff débute comme reporter en Afghanistan, au Honduras, au Tchad, aux portes de la guerre. En 1993, de sa rencontre avec le XIVe Dalaï-lama naît un livre d'entretiens, Terre des dieux, malheurs des hommes. Avec Jetsun Pema, sœur du Dalaï-lama, il écrit Tibet, mon histoire, préfacé par Elie Wiesel, livre traduit en onze langues. Depuis, ont paru notamment L’Histoire secrète des dalaï-lamas (Flammarion, 2009) et Alexandra David-Néel, (Pygmalion, 2011). 

mardi, octobre 02, 2012

La crise du capitalisme





Il est indiscutable que le capitalisme est une forme économique d'esclavagisme et il y a des considérations utiles à tirer d'une comparaison entre l'esclavage et le capitalisme ; et j'espère vous le montrer. Précisons tout de suite que cette comparaison n'a de sens que d'un point de vue économique, puisque le capitalisme est un système économique, et que l'esclavage lui-même a connu des justifications économiques. La comparaison ne portera donc pas sur les droits qui sont reconnus à l'esclave ou à l'ouvrier : ces droits sont, dans un cas comme dans l'autre, extrêmement variables, selon les époques et les cultures.

Qu'est-ce que l'esclavage ? C'est la possession d'un homme à qui on est sensé donner nourriture, logis, bien de nécessité et quelques autres en fonction des services rendus et des relations que le maître entretient avec son esclave. Dans l'antiquité, certains s'occupaient même de la formation technique, voire intellectuelle, de leurs esclaves : c'est ainsi que l'esclave Épithète fut formé à la philosophie.

Qu'est-ce que posséder des moyens de productions ? C'est acheter les conditions de travail d'un homme, afin de tirer ensuite profit de son travail.

Dans un cas, on achète un homme et on tire profit de son travail.

Dans l'autre cas, on achète les conditions de possibilité du travail, et donc, dans des conditions ordinaires, de la survie d'un homme, et on tire profit de son travail.

Le but est donc le même : tirer profit du travail d'autrui (ce qui est le propre du capitalisme, puisque son but est d’accroître le capital en faisant les bons investissements).

Le moyen diffère. Mais nous devons souligner qu'il diffère surtout pour ce qui concerne des conditions extérieures au capitalisme et au domaine économique proprement dit. Heureusement, l'employeur n'a pas le droit de châtier corporellement son employé, par exemple, mais cet interdit ne relève pas de la définition même du capitalisme, qui n'a pas toujours eu ces scrupules. Et l'honnêteté oblige à dire que les droits reconnus aux travailleurs ne sont pas assurés par l'idéologie capitaliste, mais par la vigilance de l’État ou par les luttes et la surveillance syndicales.

Aussi bien pourrions-nous imaginer un pays où l'esclavage serait toujours permis, mais où cette pratique aurait été finalement plus "humanisée", par l'imposition de certaines règles de conduites : le maître ne doit pas tuer son esclave, il ne doit même pas le blesser physiquement, ni lui interdire de se marier, etc.. Mais tout le travail de l'esclave restera possession du maître, qui, en retour, lui donnera de quoi vivre.

L'esclave vit ainsi directement sous la dépendance de son maître. L'employé ne vit pas directement sous la dépendance du capitaliste ; il a d'abord l'impression de vivre par son travail. Mais il faut avouer que la différence paraît moins nette. Car, à cause de la relation de dépendance qui existe malgré tout entre le capitaliste et l'employé, c'est au premier qu'apparient d'abord toute la richesse produite. Et ce n'est qu'en un second temps qu'il donne une part de cette richesse à son employé. Et l'on sait que ces dernières décennies la part de richesse reversée au travail n'a cessé de diminuer - ce qui est tout à fait dans la logique du capitalisme.

Nous nous demandons franchement quelle différence fondamentale existe alors entre les deux systèmes du point de vue économique. Dans les deux cas, la somme de travail et surtout la somme de richesse produite est la propriété du maître ou du capitaliste. Et celui-ci en redistribue une part à son esclave ou à son employé.

On me dira : mais tout de même, l'employé peut partir de son entreprise s'il n'est pas content ! L'esclave, lui, ne le peut pas. Certes, mais cette objection prend appui sur une considération qui sort du domaine économique : il ne peut donc servir pour montrer que d'un point de vue économique il y a une différence. En outre, il faut observer que le capitalisme tend naturellement à empêcher la contestation des employés : en favorisant les grands regroupements, il conduit à niveler les conditions de travail, et même à les détériorer si cela permet des profits supplémentaires. Et il ne trouve pas intérêt à investir dans les zones où les exigences sociales sont jugées excessives, et préférera donc s'installer là où les employés seront plus « concurrentiels », c'est-à-dire là où le profit sera meilleur. Dans un environnement de libre échange, les emplois ne pourront donc pas être viables si les employés ne se plient pas à la nécessité d'offrir du profit.

L'employé peut donc certes partir de son entreprise, mais que trouvera-t-il ailleurs ? Rien de mieux, voire pire : le chômage. Il y a donc bien une sorte de chantage, qui n'est plus strictement « travaille pour moi ou meurs », mais qui s'en rapproche étrangement.

Il me semble ainsi que, du point de vue économique, le système capitaliste n'est rien d'autre qu'un système d'esclavage décentré et donc déguisé. Au lieu d'annoncer clairement que l'on possède un homme, on s'arrange pour qu'un homme soit obligé de venir nous offrir son travail. De la sorte, il y a pour lui, en fait, du point de vue économique, les mêmes contraintes et les mêmes résultats.

Sans doute ce rapprochement paraîtra excessif, même après ces explications. Mais je voulais démontré que, pour ce qui concerne la logique économique de fond, il est évident que le capitalisme était idéologiquement parent de l'esclavagisme.

Il est toujours un peu surprenant de constater comment les capitalistes, pour défendre leur position, renvoient leurs adversaires aux crimes du communisme, comme si être anticapitaliste impliquait forcément de revenir à de tels modèles. Il sera tout de même bon, alors, de leur rappeler qu'autrefois le capitalisme a bel et bien été esclavagiste, au sens le plus fort et le plus douloureux du terme. Pourquoi donc n'en ont-ils pas déduit qu'il fallait l'abandonner ?

Chacun sait ou devrait savoir que l'écart au chapitre de la répartition de la richesse dans le monde se creuse de plus en plus. Ce que l'on sait moins cependant, c'est que cet écart se creuse à un rythme effréné au point de noter une accélération quasi exponentielle au cours des dernières années seulement.

Non seulement les nations et corporations les plus riches accroissent-elles sans cesse leur niveau de richesses, mais il en est de même des individus comme tels, en particulier ceux qui, depuis les dix dernières années, détiennent la plus grande part des capitaux sur la planète, dont les Bill Gates et Warren Buffet pour n'en nommer que deux, et non les moindres, sans compter les têtes couronnées, les émirs, les magnats et barons de la finance, toutes espèces confondues, y compris ceux reliés au monde interlope, et tous les autres.

A ce jour les 3 personnes les plus fortunées au monde possèdent une valeur nette supérieure au total du produit international brut (PIB) des 50 nations les plus pauvres, ne s'agissant pas d'une mince affaire si l'on considère que ces dernières représentent pas moins de 25% de l'ensemble de tous les pays.

On rapporte par ailleurs qu'en 1995 le cinquième de la population vivant dans les pays les plus riches avait des revenus de plus de 80 fois supérieurs à ceux du cinquième de la population vivant dans les pays les plus pauvres, écart qui s'est creusé depuis en faveur des plus nantis. [...]

Il appert également que le 1/3 des habitants de la planète souffrent de problèmes reliés de près ou de loin à l'anémie découlant notamment de la malnutrition et de la sous-alimentation chronique et que plus de 38 millions de personnes meurent de faim annuellement, sans compter une recrudescence sans précédent, ces dernières années, des maladies contagieuses dans les pays en voie de développement alors qu'on est censé disposer de tous les médicaments nécessaires pour les enrayer ; encore faut-il être en mesure de se les procurer !

Bien sûr, ces chiffres ne tiennent pas compte de toutes les carences, autres que celles dues au manque essentiel de nutrition, dont souffrent la grande majorité des habitants de la planète et principalement ceux vivant dans les pays en voie de développement, comme celles en matière d'hygiène, de soins de santé et de services sociaux, de même que celles au chapitre de l'éducation et de l'instruction.

Dire que moins de 5% de la richesse se trouvant actuellement entre les mains des individus les plus fortunés de la planète, soit moins de 20 milliards de dollars canadiens, suffirait à assurer les besoins essentiels aux plus démunis, l'équivalent en fait ce que les américains et les européens réunis consomment annuellement en eaux parfumées de toutes sortes.

Dans les fait, nous disposons de toutes les ressources nécessaires pour nourrir tous les habitants de la planète sauf que pour différentes raisons, et pas toujours pour celles qui sont mises de l'avant dans les médias, ces ressources et la richesse qui la sous-tend sont mal réparties.

Nous sommes rarement informés, pour ne pas dire jamais, des vraies raisons pour lesquelles il en est ainsi et notamment du pourquoi du problème de la faim à une si grande échelle. Certaines personnes ayant autorité en la matière comme le prix Nobel d'économie, le professeur Amartya Sen, le sociologue René Dumont et le professeur Michel Chossudovsky, ont déjà fait part de leurs vues assez particulières sur le sujet mais celles-ci ne reçoivent aucun d'écho, surtout pas dans les médias dont on peut penser, du seul fait de leur appartenance, pour la plupart, à des groupes et syndicats financiers à la fois très puissants et très influents, qu'ils n'ont pas nécessairement intérêt à ce que trop de gens soient valablement informés. Le plus souvent, tout ce dont on nous informera sur le sujet, c'est qu'un cataclysme naturel quelconque, comme une inondation ou une sécheresse par exemple, serait à l'origine du phénomène, rien de plus.

Combien savent par exemple qu'au fil du temps la faim est devenue une arme politique de plus en plus utilisée, et surtout de plus en plus sophistiquée, et que mises à part les famines provoquées par les catastrophes naturelles celles-ci ne sont jamais gratuites ?

Pour paraphraser les coauteurs de Géopolitique de la faim, ce ne sont plus les peuples ennemis et ceux à conquérir que l'on affame, mais bien les propres populations de ces nations dont les dirigeants peu scrupuleux veulent tirer profit de la manne provenant de tous ces conflits, ethniques et autres, de plus en plus nombreux, qui sont mis en évidence par les couvertures médiatiques et qui entraînent le déchaînement de la compassion internationale, source quasi intarissable d'argent, de nourriture et de tribunes publiques pour exposer leurs revendications.

A titre d'exemple, des pays comme la Somalie, le Soudan, le Liberia, la Corée du Nord, la Birmanie, l'Afghanistan et le Sierra Leone sont menés par des dictateurs et chefs de guerre qui tiennent lieu d'hommes d'état, lesquels, dans le but bien arrêté d'atteindre coûte que coûte leurs objectifs politiques, prennent littéralement en otage leur propre population et n'hésitent pas à prendre tous les moyens à leur disposition pour mener celle-ci au doigt et à l'œil, bien souvent avec l'aide et le concours des plus hautes autorités et instances et de puissants syndicats financiers.

Il ne faut pas oublier par ailleurs les cas du Pérou et du Brésil, et puis celui du Rwanda où encore dernièrement des commandes étaient données pour l'achat de milliers de machettes, de houes et de pieux destinés à mieux pouvoir mâter la population récalcitrante.

Le cas plus récent du Sierra Leone ne peut par ailleurs être passé sous silence lorsque l'on voit jusqu'à quel point les dirigeants du parti au pouvoir et le seul, incidemment, à être officiellement autorisé, le Rebel United Front, sont prêts à aller pour mener à bien leur campagne de terreur contre les populations locales, allant même pour ce faire jusqu'à amputer à la machette les mains des paysans pour s'assurer qu'ils ne pourront plus jamais cultiver, les premiers effets visés par la mesure étant le rapatriement des terres entre les mains d'un nombre limité de personnes et une flambée du prix de base des denrées céréalières au niveau international, s'assurant ainsi de prix d'exportation plus avantageux. [...]

Déréglementation des marchés, décomposition des économies locales, contrôle de la masse monétaire et dévaluation éhontée des monnaies des pays en difficulté, concentration des terres entre les mains de groupes restreints, détournements de fonds, manipulations des données et chiffres officiels, libéralisation truquée des systèmes bancaire et monétaire, mainmise sur le bien public, malversations et magouilles de toutes sortes, établissement et maintien en place par tous les moyens de gouvernements fantoches et même fantômes, dont les dictatures réelles et les démocraties autoritaires, de manière à pouvoir surveiller de près ses intérêts, contrôle du peuple par la base, à commencer par le ventre, en les coupant d'abord de leurs terres et en leur enlevant tout pouvoir d'achat, interventions souvent subtiles pour instaurer un climat de méfiance à l'intérieur du pays visé et pour fomenter les guerres internes, toutes espèces confondues, instillation subtile de tous les ingrédients nécessaires pour s'assurer du contrôle sur les prix et les mouvements des matières premières du pays visé, allant même pour ce faire jusqu'à s'assurer que toutes les conditions soient réunies pour qu'il y ait famine lorsque jugé nécessaire, autant de facettes dont usent les Grands de ce monde et leurs alliés en l'occurrence pour s'assurer du plein contrôle des richesses d'un pays donné, le plus souvent avec la bénédiction de leurs collaborateurs d'appoint qu'ils manipulent comme de vulgaires marionnettes, dont le Fonds monétaire international et la Banque mondiale qui invoqueront pour leur part de faux prétextes pour soutenir leur intervention, comme le fait qu'ils sont là précisément dans le but d'aider les pays en difficulté à s'acquitter de leurs dettes envers les grandes puissances, sans oublier l'intervention en coulisses des services secrets et autres organisations dites d'intelligence également à la solde des puissants de ce monde.

Pour le moment, rien, absolument rien ne semble pouvoir arrêter cette marche incessante et sans merci vers une totale concentration du pouvoir et de la richesse. De quoi rester sur sa faim !

La désillusion est grande pour n'importe quel citoyen lorsqu'il prend conscience qu'il n'y a pas d'égalité des chances. Elle est encore plus grande quand il constate qu'il n'a jamais vraiment vécu en démocratie. De l'illusion à la désillusion il n'y a qu'un pas !

Le rêve d’une démocratie parfaite où il ferait bon vivre heureux et épanoui dans la société est certainement une image qui parcourt l’esprit de tous ceux épris de justice. Or aujourd’hui la démocratie est bien souvent vécue comme une désillusion. À chaque élection, les masses médias nous rabâchent que ce qui risque d’être le facteur déterminant serait le taux d’abstention. Lequel pourrait certainement être bien moins important si le vote blanc n’était pas relégué au rang d’un vote nul. Car celui-ci est porteur de beaucoup de sens politique dans les choix des candidats offert à la mandature par les partis politiques. Cependant l’abstention ne veut pas dire désintéressement de nos concitoyens de la chose politique mais est plutôt le signe pour Pierre Rosanvallon d’un « désenchantement démocratique » qui « dérive d’un idéal de fusion entre gouvernés et gouvernants ». De surcroît, les projets des deux partis majoritaires, censés motiver l’acte de votation et nous représenter, convainquent de moins en moins. Les autres partis hormis certains extrêmes sont souvent porteurs de renouveau démocratique, mais ne possèdent pas les clés d’entrées aux masses médias, dont les portes sont verrouillées par l’univers de l’argent, les instituts de sondage, les outils médiatiques financés par l’armement et l’industrie plus généralement.

En Europe, ces désillusions ont leur fondement dans les années Mitterrand. Élu grâce à une vision socialiste de la société, ces années ont permis à ses gouvernements d’installer paradoxalement la philosophie néolibérale qui n’est autre qu’antisociale et antisolidaire, donc en totale opposition aux aspirations d’une majorité qui l’a porté au pouvoir. Ce néolibéralisme, à la recherche de toujours moins d’État, de déréglementation et toujours plus de contrôle des populations (fichier policier, fichage ADN, mise en garde à vue abusive (devenu anticonstitutionnelle en Juillet 2010), plan vigipirate), c’est vu renforcé par les années Chirac et atteint aujourd’hui une apothéose grâce à la crise financières de 2008 et à des dirigeants politiques qui renouent avec des valeurs et des actes qui ont par le passé soit failli nous faire basculer dans un gouvernement totalitaire (exemple de la période en amont de la Grande Guerre et au cours des années 30) soit nous y ont conduit sous le gouvernement de Vichy, au cours de la période d’occupation de la Seconde Guerre Mondiale. Cette attitude décomplexée vis à vis de ces années noires pour notre histoire contemporaine relève d’individus trop jeunes pour avoir vécu la honte que cela a représenté à l’issue de cette guerre.

Aujourd’hui la relative désaffection des urnes est certainement plus due à une conséquence de la perte de confiance envers ce système représentatif qui n’est plus suffisant du point de vue organisationnel et à la perte de légitimité de nos représentants élus qui font souvent défaut dans leur impartialité, leur réflexivité sur l’état et le devenir de la société et leur manque de proximité avec le citoyen.

Il en résulte certes un sentiment de confiscation du pouvoir au peuple au profit de celui de groupes de pression (lobbies) qui au mieux orientent les décisions politiques et les lois, au pire détournent les richesses produites par les biens communs au profit de l’enrichissement de particuliers, de groupes d’individus, d’entités économiques dont leurs activités ne seraient plus régulées par le pouvoir politique mais par une « main invisible» du marché.

Ainsi, comme le souligne Pierre Rosanvallon, cette relative désaffection n’est pas synonyme de dépolitisation et de passivité de notre société qui fait preuve au contraire de réactivité, d’inventivité et de propositions dans un mouvement général de contre-démocratie disséminé dans la société. Un accroissement du pouvoir social en gestation, actuellement incanalisable, faussement interprété par les instituts de sondages qui s’affichent comme un outil scientifique pour faire croire à la pertinence de leurs analyses.

La sortie de ce marasme ambiant et l’avenir de la contre-démocratie passerait d’après Yves Sintomer, par l’élévation du niveau de notre démocratie par plus de pouvoir au peuple qui permettrait plus de participation aux décisions, aux contrôles et la validation des choix de nos représentants élus et institutions administratives.

Des tentatives sont actuellement expérimentées par des équipes politiques locales autour des budgets participatifs, les comités de quartiers, les comités de quartier, sans pour autant donner les moyens aux citoyens de réellement participer, contrôler, valider les projets.

Cependant pour le développement et la réussite de ceux-ci, je pense que les mouvements associatifs, les personnes riches de propositions, doivent apprendre à adopter les techniques de la communication douce. Il est certainement plus primordial d’engager des évolutions avec les politiques et les responsables de l’administration pour créer des univers de confiance plutôt que d’imaginer une quelconque révolution qui comme le mot l’indique conduit à des situations où on finit par se retrouver au point de départ. S’engager à adopter une stratégie de communication douce permettra à mon sens d’engager cette évolution collective grâce à notre évolution individuelle. La démarche d’individuation que nous observons aujourd’hui par la montée en puissance de l’individualisme, entraîne certes la volonté de défendre son point de vue, ses envies etc. mais oblige en contre partie à apprendre à écouter l’Autre. Cela nécessite donc beaucoup de remises en question de notre manière d’Être en groupe. Sans cela, sans une démarche de coconstruction des projets communautaires avec pour objectif la recherche du consensus il serait difficile d’entrevoir une quelconque élévation de nos démocraties, quand bien même les outils fussent-il mis à notre disposition.

La société est particulièrement injuste, c’est le moins que l’on puisse dire. Et bien peu de gens se soucient d'y remédier trop absorbés par les profits mirobolants qu’engrangent les marchés financiers.

Contrairement à une légende savamment entretenue pour justifier les multiples plans d'austérité, le capitalisme n'est pas en train de s'assainir. La bourgeoisie veut nous faire croire qu'il faut aujourd'hui payer pour les folies de ces dernières années afin de repartir sur des bases assainies. Rien n'est plus faux, l'endettement est encore le seul moyen dont dispose le capitalisme pour repousser les échéances de l'explosion de ses propres contradictions... et il ne s'en prive pas, contraint qu'il est de poursuivre sa fuite en avant. En effet, la croissance de l'endettement est là pour pallier à une demande devenue historiquement insuffisante depuis la première guerre mondiale. La conquête entière de la planète au tournant de ce siècle représente le moment à partir duquel le système capitaliste est en permanence confronté à une insuffisance de débouchés solvables pour assurer son « bon » fonctionnement. Régulièrement confronté à l'incapacité d'écouler sa production, le capitalisme s'autodétruit dans des conflits généralisés. Ainsi, le capitalisme survit dans une spirale infernale et grandissante de crises (1912-1914 ; 1929-1939 ; 1968-aujourd'hui), guerres (1914-1918 ; 1939-1945) et reconstructions (1920-1928 ; 1946-1968). Aujourd'hui, la baisse du taux de profit et la concurrence effrénée que se livrent les principales puissances économiques poussent à une productivité accrue qui ne fait qu'accroître la masse de produits à réaliser sur le marché. Cependant, ces derniers ne peuvent être considérés comme marchandises représentant une certaine valeur que s'il y a eu vente. Or, le capitalisme ne crée pas ses propres débouchés spontanément, il ne suffit pas de produire pour pouvoir vendre. Tant que les produits ne sont pas vendus, le travail reste incorporé à ces derniers ; ce n'est que lorsque la production a socialement été reconnue utile par la vente que les produits peuvent être considérés comme des marchandises et que le travail qu'ils incorporent se transforme en valeur.

L'endettement n'est donc pas un choix, une politique économique que les dirigeants de ce monde pourraient suivre ou non. C'est une contrainte, une nécessité inscrite dans le fonctionnement et les contradictions même du système capitaliste. Voilà pourquoi l'endettement de tous les agents économiques n'a fait que se développer au cours du temps et particulièrement ces dernières années. Voilà pourquoi aussi la pauvreté ne cesse de s’accroître et pas seulement dans les pays pauvres mais chez nous également.

Les idéologues du capital ne voient la crise au niveau de la spéculation que pour mieux la cacher au niveau réel. Ils croient et font croire que les difficultés au niveau de la production (chômage, surproduction, endettement, etc.) sont le produit des excès spéculatifs alors qu'en dernière instance, s'il y a « folie spéculative », « déstabilisation financière », c'est parce qu'il y avait déjà des difficultés réelles. La « folie » que les différents « observateurs critiques » constatent au niveau financier mondial n'est pas le produit de quelques dérapages de spéculateurs avides de profits immédiats. Cette folie n'est que la manifestation d'une réalité beaucoup plus profonde et tragique : la décadence
avancée, la décomposition du mode de production capitaliste, incapable de dépasser ses contradictions fondamentales et empoisonné par l'utilisation de plus en plus massive de manipulations de ses propres lois depuis bientôt près de trois décennies.

Le capitalisme n'est plus un système conquérant, s'étendant inexorablement, pénétrant tous les secteurs des sociétés et toutes les régions de la planète. Le capitalisme a perdu la légitimité qu'il avait pu acquérir en apparaissant comme un facteur de progrès universel. Aujourd'hui, son triomphe apparent, repose sur un déni de progrès pour l'ensemble de l'humanité. Le système capitaliste est de plus en plus brutalement confronté à ses propres contradictions insurmontables.

Nolan Romy

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