samedi, janvier 19, 2013

André Breton & l'intuition poétique



Dessin de Maurice Henry (1907-1984), poète et ami d'André Breton.

L'attitude du surréalisme à l'égard de la nature est commandée avant tout par la conception initiale qu'il s'est faite de l' « image » poétique. On sait qu'il y a vu le moyen d'obtenir, dans des conditions d'extrême détente bien mieux que d'extrême concentration de l'esprit, certains traits de feu reliant deux éléments de la réalité de catégories si éloignées l'une de l'autre que la raison se refuserait à les mettre en rapport et qu'il faut s'être défait momentanément de tout esprit critique pour leur permettre de se confronter. Cet extraordinaire gréement d'étincelles, dès l'instant où l'on en a surpris le mode de génération et où l'on a pris conscience de ses inépuisables ressources, mène l'esprit à se faire du monde et de lui-même une représentation moins opaque. Il vérifie alors, fragmentairement il est vrai, du moins par lui-même, que « tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas » et tout ce qui est en dedans comme ce qui est en dehors. Le monde, à partir de là, s'offre à lui comme un cryptogramme qui ne demeure indéchiffrable qu'autant que l'on n'est pas rompu à la gymnastique acrobatique permettant à volonté de passer d'un agrès à l'autre. On n'insistera jamais trop sur le fait que la métaphore, bénéficiant de toute licence dans le surréalisme, laisse loin derrière elle l'analogie (préfabriquée) qu'ont tenté de promouvoir en France Charles Fourier et son disciple Alphonse Toussenel. Bien que toutes deux tombent d'accord pour honorer le système des « correspondances », il y a de l'une à l'autre la distance qui sépare le haut vol du terre-à-terre. On comprendra qu'il ne s'agit point, dans un vain esprit de progrès technique, d'accroître la vitesse et l'aisance de déplacement mais bien, pour faire que les rapports qu'on veut établit tirent véritablement à conséquence, de se rendre maître de la seule électricité conductrice.

Sur le fond du problème, qui est des rapports de l'esprit humain avec le monde sensoriel, le surréalisme se rencontre ici avec des penseurs aussi différents que Louis-Claude de Saint-Martin et Schopenhauer en ce sens qu'il estime comme eux que nous devons « chercher à comprendre la nature d'après nous-mêmes et non pas nous-mêmes d'après la nature ». Toutefois ceci ne l'entraîne aucunement à partager l'opinion que l'homme jouit d'une supériorité absolue sur tous les autres êtres, autrement dit que le monde trouve en lui son achèvement — qui est bien le postulat le plus injustifiable et le plus insigne abus à mettre au compte de l'anthropomorphisme. Bien plutôt à cet égard sa position rejoindrait celle de Gérard de Nerval telle qu'elle s'exprime dans le fameux sonnet « Vers dorés ». Par apport aux autres êtres dont, au fur et à mesure qu'il descend l'échelle qu'il s'est construite, il est de moins en moins à même d'apprécier les vœux et les souffrances, c'est seulement en toute humilité que l'homme peut faire servir le peu qu'il sait de lui-même à la reconnaissance de ce qui l'entoure. Pour cela, le grand moyen dont il dispose est l'intuition poétique. Celle-ci, enfin débridée dans le surréalisme, se veut non seulement assimilatrice de toutes les formes connues mais hardiment créatrice de nouvelles formes — soit en posture d'embrasser toutes les structures du monde, manifesté ou non. Elle seule nous pourvoit du fil qui remet sur le chemin de la Gnose, en tant que connaissance de la Réalité suprasensible, « invisiblement visible dans un éternel mystère ».

André Breton « Manifestes du surréalisme ».




A propos de l'état humain, Breton précise : « On n'a rien dit de mieux ni de plus définitif que René Guénon, dans son ouvrage « Les États multiples de l'être » : il est absurde de croire « que l'état humain occupe un rang privilégié dans l'ensemble de l'Existence universelle, ou qu'il soit métaphysiquement distingué par rapport aux autres états, par la possession d'une prérogative quelconque. En réalité, cet état humain n'est qu'un état de manifestation comme tous les autres, et parmi une indéfinité d'autres ; il se situe, dans la hiérarchie des degrés de l'Existence, à la place qui lui est assignée par sa nature même, c'est-à-dire par le caractère limitatif des conditions qui le définissent, et cette place ne lui confère ni supériorité ni infériorité absolue. Si nous devons parfois envisager particulièrement cet état, c'est donc uniquement parce que, étant celui dans lequel nous nous trouvons en fait, il acquiert par là, pour nous, mais pour nous seulement, une importance spéciale ; ce n'est là qu'un point de vue tout relatif et contingent, celui des individus que nous sommes dans notre présent mode de manifestation ». Par nous une telle opinion n'est, d'ailleurs, nullement empruntée à Guénon, du fait qu'elle nous a toujours paru ressortir au bon sens élémentaire (quand il serait sur ce point la chose du monde la plus mal partagée). »





vendredi, janvier 18, 2013

La faim justifie-t-elle les moyens ?




Hiver 2013

De plus en plus de personnes se livrent au glanage de nourriture à la fin des marchés et dans les poubelles des magasins d'alimentation ou des restaurants. Certains ne respectent plus la loi et volent pour manger. Un gendarme témoigne :

« Ce matin j'ai pris mon service de gendarme de réserve dans une brigade du ... . Après discussion avec mes collègues il est à noter une recrudescence des vols de nourriture... Des jeunes comme des personnes âgées ! Les jeunes font parfois des vols à main armées pour quelques euros dans le but de se nourrir et les vieux embarquent du jambon dans les supermarchés. Ils ont une retraite mais les charges sont tellement lourdes qu'ils n'ont plus de quoi acheter à manger ! Ça fait mal de les voir ainsi ! » (http://www.jovanovic.com/blog.htm)

La classe dominante est insensible à l'augmentation de la pauvreté et ignore les conséquences de la cherté de la vie. Elle refuse de voir l'ampleur de la crise sociale et parfois, comme la bourgeoisie de Nogent-sur-Marne, elle applaudit quand un maire interdit le glanage. Mais des émeutes de la faim pourraient éclater en France.

Hiver 1847

« L'hiver 1846-1847 sera le plus terrible que les pauvres aient eu à subir depuis plus d'un quart de siècle. Une crise multiforme perturbe l'économie d'Occident ; la famine sévit en Irlande ; dans la France de Louis-Philippe se propage une agitation pétrie d'archaïsme. Les campagnes du Berry constituent un des épicentres du mouvement ; c'est qu'ici domine la grande propriété céréalière ; les journaliers agricoles qu'elle emploie sont touchés plus que les autres par la cherté des subsistances.

Les événements qui se déroulent dans l'Indre en janvier 1847 forment une véritable synthèse de la, pratique de l'émeute ; menaces contre les possédants, entrave à la circulation des grains, inventaires autoritaires des greniers, taxation et vente forcées : rien ne manque au catalogue des troubles frumentaires.

La résistance au libéralisme se double ici d'une hostilité à la modernité des techniques, à la mécanisation du travail agricole ; les bandes qui parcourent la campagne détruisent les machines à battre et obligent les propriétaires à embaucher les journaliers sans travail. Il ne s'agit pas, bien loin de là, de violence aveugle mais de gestes accomplis par des artisans et des « laboureurs » qui se réfèrent à une économie morale passéiste et qui ont le sentiment d'agir en toute légalité, avec la caution des autorités municipales.

Très vite, l'événement va révéler les tensions, voire les haines qui fracturent la société rurale ; hostilité à l'égard du « bourgeois » c'est-à-dire, ici, du grand propriétaire, haine à l'égard du meunier et, plus encore, de l'usurier. Incontestablement, les troubles de Buzançais constituent l'aboutissement des révoltes populaires... » (Alain Corbin)

Pendant l'hiver 1846-1847, la cherté des subsistances et le chômage saisonnier aggravent les conditions de vie déjà précaires de maintes catégories sociales. Des émeutes, réflexe à la misère, éclatent dans trente-cinq localités de l'Indre.

Mais la « Jacquerie de Buzançais » reste « l'affaire la plus considérable », tant par la violence des troubles que par la dureté de la répression dont se font l'écho des personnalités marquantes du 19ème siècle : George Sand, Victor Hugo, Karl Marx et Gustave Flaubert.

LETTRE DE GEORGE SAND À RENÉ VALLET DE VILLENEUVE

(Nohant, 5 février 1847)

Cher cousin,

je pars pour Paris dans quelques heures et ne veux pas quitter Nohant sans vous remercier et vous demander pardon des inquiétudes que vous avez eues pour moi. Nous avons été tranquilles pour nous-mêmes comme s'il ne s'était rien passé autour de nous quoique l'émeute se resserrât de tous côtés sur la Vallée Noire et eût même pénétré à une demie lieue de chez nous. Mais il ne faut pas croire tout ce qu'on dit. Je ne juge pas les émeutiers des autres localités, je ne les connais pas ; mais, je juge ceux du Berry et je vois ce qu'ils sont et ce qu'ils font.

Ce sont des gens qui ont faim et qui se fâchent contre les avares et les spéculateurs. Ils ont montré un rare discernement dans leurs vengeances, qui, pour être fort illégales n'en étaient pas moins justes. Ne plaignez pas le propriétaire de Villedieu. C'est un Monsieur Maçon ou Masson, bourgeois enrichi, ignoblement avare, et plus que cela, fripon et méprisable sous tous les rapports, les peintures de Villedieu sur lesquelles il avait spéculé et brocanté comme un juif n'étaient plus que des croûtes, et tout son luxe de mauvais goût jeté à la rivière n'inspire aucun regret. Un autre propriétaire pillé était un espèce de fou qui crachait volontiers à la figure d'un paysan et lui administrait des coups de cravache quand il avait bu. Il a eu la bravoure de se sauver quand on est venu chez lui, et il écrit maintenant des injures au préfet pour ne pas l'avoir préservé, tandis que le préfet était à huit lieues de là au milieu d'une autre échauffourée. Tous les propriétaires qui ont reçu ces révoltés avec calme, bonté et même avec une fermeté noble et polie ont été respectés corps et biens. Une vieille demoiselle seule dans son château leur a donné à souper et leur en a fait les honneurs. Ils n'ont pas seulement élevé la voix devant elle. Un propriétaire a été massacré, il est vrai, mais après avoir tué deux hommes qui ne le menaçaient pas et qu'il eût pu raisonner. En certains endroits, ces brigands ont été d'une générosité extraordinaire dans leurs procédés. Voilà ce qu'on ne dit pas et ce qu'on ne veut pas dire. On a peur, et on invoque les gendarmes, pour se dispenser d'être bon et juste. Encore une fois, je ne dis rien de vos émeutiers, je ne sais rien, mais je vous réponds que si vous étiez ici, vous dormiriez sur les deux oreilles au milieu du bruit, car on n'en veut qu'à ceux qui se conduisent mal, et spéculent effrontément sur cette affreuse misère. N'y a-t-il pas quelque chose de plus révoltant que de voir des hommes privés de tout, perdre patience et demander du pain un peu haut ? C'est de voir des hommes gorgés d'argent refuser le nécessaire à leurs semblables et se frotter les mains en se disant que l'année est excellente pour faire de bonnes affaires sur les blés ! Savez-vous que beaucoup d'industriels s'en vantent et que beaucoup font travailler au rabais, profitant de ce que le désespoir et l'indigence extrême font accepter à des malheureux 12 sous par jour ? Aussi ces Messieurs font-ils beaucoup travailler, l'occasion est si bonne, et l'année si favorable ! C'est affreux, et entre ceux qui vont comparaître aux assises et ceux qui vont les accuser, je ne sais pas trop lesquels ont mérité les galères...

George SAND






jeudi, janvier 17, 2013

Le syndrome de Noé




Un amour pathologique et destructeur : le hoarding

La Société protectrice des animaux est parfois confrontée à un type d'attitude très particulière : « celle de personnes qui n'ont pas conscience qu'elles maltraitent leurs animaux mais qui se laissent dépasser par leur amour pour eux en s'entourant d'un trop grand nombre d'entre eux, les mettant ainsi dans de mauvaises conditions qui ne répondent plus à leurs besoins. C'est le phénomène de l'animal hoarding (de l'anglais to hoard : accumuler), qui a tendance à connaître un véritable essor.

Certains se souviennent peut-être de cette femme russe, habitant en Sibérie, qui comptait dans son appartement près de 150 chats, tous ramassés dans la rue. « Catwoman » avait alors fait la une des télés du monde entier. Loin d'être un simple délire de vieille dame, l'animal hoarding est considéré aux États-Unis comme une vraie maladie mentale, classée parmi les TOC (troubles obsessionnels compulsifs). Il s'agit d'avoir en sa possession un nombre d'animaux au-delà du raisonnable, sans se rendre compte que l'on est dans l'incapacité de leur fournir le minimum d'hygiène, de nourriture et de soins, ces négligences entraînant une dégradation de l'habitat, de graves problèmes de santé pour les animaux, allant parfois jusqu'à la mort. Cela s'accompagne chez les personnes d'un déni de cette incapacité à les soigner et de problèmes relationnels ou familiaux. Ces critères ont été déterminés par Gary J. Patronek, médecin psychiatre américain qui s'est penché depuis une dizaine d'années sur le problème des hoarders.

Quoique moins étendu, le phénomène n'est cependant pas anodin en Europe. Les associations de protection animale sont de plus en plus régulièrement confrontées à des gens qui adoptent en masse et laissent leurs animaux se reproduire sans aucun contrôle. Ces gens se disent souvent éleveurs ou protecteurs souhaitant sauver tous les animaux en détresse ; ils viennent sur les forums Internet ou dans les refuges, épluchent les petites annonces pour adopter d'autres animaux ou en vendre. Nourriture non adaptée, hygiène déplorable, aucune quarantaine, contaminations et décès d'animaux en cascade... Aujourd'hui, des associations essaient de réunir des preuves contre elles, mais c'est difficile car un hoarder vit dans le déni total, persuadé qu'il aide les animaux ; de plus il a travaillé insidieusement pour se forger une image destinée à se faire respecter. Les cas les plus difficiles à résoudre restent ceux de personnes « déguisées » en sauveurs d'ani-maux légitimes, refuges ou sanctuaires puisque la distinction entre ceux qui pensaient bien faire (et se retrouvent débordés) et les vraies pathologies de personnes victimes de compulsion est ténue.

Détenir beaucoup d'animaux ne fait pas forcément de vous un hoarder tant que vous pouvez accueillir et soigner les animaux dans de bonnes conditions, nécessaires à leur santé et à leur bien-être. Mais les adoptions à outrance peuvent vite submerger les personnes les mieux intentionnées du monde. Si les animaux sont les premières victimes, les humains peuvent également être affectés : les possibilités de contagion existent bel et bien et un hoarder peut aller jusqu'à négliger sa famille pour ses animaux. Voici un exemple en septembre 2008, en banlieue parisienne où les services de fourrières sont appelés pour intervenir dans un domicile. L'alerte a été donnée par les services sociaux car les enfants de la famille n'étaient plus scolarisés depuis plusieurs jours. En pénétrant dans les lieux, ils ont été assaillis par des odeurs pestilentielles et ont trouvé trente chiens de petites tailles entassés dans le salon, probablement pas sortis depuis plusieurs mois (plusieurs années ?), les déjections jonchant le sol, des cadavres de chiens dans les coins et deux enfants de huit et dix ans, eux-mêmes couverts de déjection et dans un état sanitaire déplorable... Les enfants ont été confiés aux services sociaux et les animaux à la SPA, en vue de leur réadoption après une période d'éducation plus que nécessaire. Tel a été également le cas d'une mère et de sa fille qui se sont retrouvées avec plus de cent chiens dans leur maison. Ces personnes qui, au départ, ne possédaient que quelques femelles et mâles n'avaient pas stérilisé leurs animaux faute de moyens financiers. Ces animaux se sont reproduits et elles ont accueilli toutes les portées. En dix ans elles sont passées de moins de cinq chiens à plus de cent. La SPA avait alerté la Direction des services vétérinaires (DSV) plusieurs années auparavant lorsque la famille ne possédait que quelques dizaines d'animaux, sans résultat. En revanche, en 2008, la DSV a su faire appel à la SPA pour récupérer, en urgence bien sûr, la centaine d'animaux présents. »

Caroline Lanty


Caroline Lanty, avocate au Barreau de Paris, a été présidente nationale de la Société protectrice des animaux de 2006 à 2008. Dans son livre, « Le Scandale de l'animal business », elle souhaite sensibiliser et interpeller l'opinion publique pour dénoncer le commerce des animaux de compagnie, trop souvent relégué au rang de l'anecdote et du fait divers.

Le Scandale de l'animal business 

Le regard attendrissant des chiots et chatons parqués dans les vitrines d'animaleries cache souvent une réalité sordide. Celle d'un trafic d'animaux cruel mais très lucratif.

Ce commerce échappe à tout contrôle douanier, sanitaire ou économique et alimente une demande croissante, irresponsable, d'animaux de compagnie devenus animaux objets. Sait-on que ce trafic, de chats et de chiens principalement, est souvent organisé par des filières mafieuses d'Europe de l'Est ? Mais pas seulement... De nombreux élevages en France le pratiquent également. A-t-on idée des sommes que génère ce marché et dans quelles conditions ces animaux marchandises sont élevés, transportés et vendus ?

Face à la passivité des pouvoirs publics, la SPA a dû prendre les devants et créer une cellule de choc, la Cellule anti-trafic, destinée à lutter en France et en Europe contre les trafiquants d'animaux. Mais elle a besoin d'un soutien juridique et pénal, aujourd'hui inefficace, voire inexistant, pour convaincre gendarmes, policiers, et surtout le ministère de l'Agriculture et la Direction des services vétérinaires de la nécessité d'agir.

Ce livre fait la lumière sur des pratiques intolérables passées sous silence. II dénonce également l'ineptie des lois sur les chiens dits dangereux et montre toute l'urgence de mesures protectrices des animaux, paradoxalement menacés par l'amour que nous leur portons.

mardi, janvier 15, 2013

Nourriture terrestre



Selon le journal suisse Le matin du 27 décembre 2012 :

Des Suisses continuent de manger chiens et chats

En Suisse, précise l'article, chacun est autorisé à manger de la viande de chien ou de chat. Les associations de protection des animaux voudraient mettre fin à cette pratique. Mais la Confédération estime que cela relève du choix personnel. 


    Nos plus lointains ancêtres, les premiers hommes, lorsqu'ils se dégagèrent de leur animalité simienne, étaient-ils des carnivores ? Certains préhistoriens actuels vont jusqu'à soutenir que c'est seulement à partir du moment où ces créatures, encore ambiguës et indéfinissables, commencèrent à faire d'autres animaux leurs proies, à devenir, a-t-on écrit, des « tueurs armés », que l'on peut réellement parler d'hommes. En d'autres termes, le début de la prédation marquerait la frontière qui sépare les pongidés ou anthropoïdes, si proches physiologiquement de l'homme, des hominiens proprement dits. La chasse serait le mode d'éducation de l'espèce humaine, le facteur essentiel de transformation qui affecta ses mains, ses pieds et ses dents, et développa son cerveau ; elle serait enfin à l'origine même de sa vie sociale.

Cette vue rétrospective s'appuie évidemment sur les traces de l'existence des hommes préhistoriques qui sont parvenues jusqu'à nous : des os de bêtes et des pierres utilisés comme outils ; les pierres ont donc servi à tuer. Pourtant l'évidence peut être trompeuse, car de la vie de nos ancêtres n'a subsisté que ce qui pouvait se conserver dans le sol : les os et les pierres, mais le reste ? Or ce reste, c'est précisément tout ce qui appartenait au monde végétal, tout ce qui dans la terre ne pouvait que se décomposer.

Toute tentative de reconstitution de la vie préhistorique demeure de ce fait obligatoirement incomplète et par conséquent largement hypothétique. Quant à l'interprétation que l'on peut donner de ces restes, elle est nécessairement subjective, qu'il s'agisse du « tueur armé » ou du « bon sauvage », du naïf paradis de l'âge d'or ou de l'enfer si « réaliste » que certains nous retracent aujourd'hui avec tant de complaisance. L'on ne voit d'ailleurs que trop bien ce qui sous-tend les conclusions pessimistes de tels auteurs. Le « bon sauvage » est apparu au moment où l'on voulait croire à l'innocence originelle de l'homme, à l'époque où l'on pensait qu'il suffirait d'une révolution pour la retrouver. Les révolutions se sont succédé, et l'homme n'en est pas devenu meilleur. On s'était donc trompé et il ne reste plus qu'à prendre le contre-pied de l'ancienne théorie. De plus, reconnaître à l'homme dès son origine des connaissances dont on postule qu'elles ne purent s'acquérir que progressivement serait compromettre les notions conjointes d'évolution et de pro-grès, c'est-à-dire des dogmes devenus sacro-saints. On soutiendra donc que l'homme est parti de très bas, afin de pouvoir démontrer qu'il est parvenu très haut.

Mais ne s'agit-il pas là d'une simple vue de l'esprit ? Et celle-ci ne proviendrait-elle pas du cloisonnement qui sépare aujourd'hui des disciplines qui traitent du même sujet, bien que les aspects qu'elles en examinent soient en effet différents ? Les préhistoriens ne tiennent guère compte des recherches récentes des historiens des civilisations, dont certains vont jusqu'à remettre en cause un schéma de l'évolution historique, qui passait il y a peu de temps pour définitivement acquis, ils ignorent systématiquement les travaux des ethnologues ; et ces derniers, comme les préhistoriens, méconnaissent les études des botanistes et, en particulier, les découvertes décisives des ethnobotanistes, et ainsi de suite...

Peut-être seul empêche d'y voir clair l'écran artificiel, mais étanche, qui sépare radicalement aujourd'hui encore l'homme des animaux, comme si l'homme n'était l'un d'entre eux, comme si avec lui l'évolution — événement sans précédent — fût repartie à zéro. Tout animal a, par définition, une connaissance exacte et précise du milieu où il vit, de sa « niche écologique » ; sans quoi il ne pourrait l'utiliser, donc y survivre. Il en va encore ainsi pour nos plus proches parents, les grands singes anthropoïdes, qui sont des végétariens stricts (les gorilles, par exemple), ou ajoutent occasionnellement à leur régime habituel un apport carné (cas des chimpanzés). De récentes observations ont montré qu'en ce qui concerne l'utilisation des plantes comestibles, les anthropoïdes procédaient généralement par imitation et souvent aussi par essais et erreurs, qu'ils étaient parfaitement capables de faire dans ce domaine des découvertes, d'ailleurs transmissibles et variables suivant les groupes.

Faut-il absolument faire intervenir ici une discontinuité, alors que celle-ci semble bien être surtout un présupposé théorique ? Pourquoi n'en aurait-il pas été de même pour nos lointains prédécesseurs ? On a prétendu que le milieu où vécurent, en Afrique orientale, les premiers hominiens ne contenait pas de ressources végétales suffisantes : mais c'est là, d'une part, tenir pour certain que ce milieu était identique à ce qu'il est aujourd'hui — ce qui n'est nullement certain, plutôt même hautement improbable — et, d'autre part, juger de ces ressources en fonction des connaissances infiniment plus réduites que nous en avons, en fonction aussi de nos propres besoins d'hommes suralimentés.

Bien plus vraisemblablement doit-on admettre que la nourriture des premiers hommes était, pour l'essentiel, végétale, ne serait-ce que pour la simple raison qu'une proie animale est mobile, que sa rencontre est hasardeuse et bien plus encore sa capture, tandis que la plante est toujours là, à la disposition de qui en connaît l'usage. La nourriture carnée ne peut donc être qu'exceptionnelle, et l'homme, poussé par la nécessité quotidienne, a certainement très vite sélectionné fruits et baies sauvages, pousses et bourgeons agréables au goût, racines et tubercules comestibles.

Il l'a fait d'ailleurs aidé par l'exemple que lui fournissaient les animaux, qui savaient découvrir d'eux-mêmes dans le milieu végétal qui les entourait tout ce qu'il fallait pour satisfaire leurs besoins, grâce à un instinct qui apparaissait à l'homme comme une sorte de divination. Mais de divination à divin il n'y a pas loin et la reconnaissance de ce pouvoir n'a pas manqué d'émerveiller l'homme au point de lui faire rendre un culte à certaines espèces animales qui furent réellement ses instructrices ; culte qui, sous des formes plus élaborées, plus « mentalisées », a subsisté jusqu'au sein des grandes civilisations traditionnelles.

Jacques Brosse







lundi, janvier 14, 2013

Calibre 9, un film anti-oligarchie





Synopsis

« Dans une ville française gangrenée par la corruption, Yann Moreau est un jeune urbaniste frustré par son travail. Sa vie ne se résume qu’à peu de choses : magouiller, profiter du système et obéir à son patron, le Maire de la ville.

Mais, l’intrusion dans sa vie d’un étrange pistolet va entraîner Yann dans une terrible descente aux confins de la folie. Sarah, un Calibre 9 possédé par l’âme d’une ex-prostituée, dévoile au jeune urbaniste le revers de ses actes crapuleux. Manipulé par celle-ci, Yann se retrouve malgré lui dans la peau d’un justicier et abat froidement l’un des plus grands pontes et gangsters de la ville Frédéric Pontamousseau.

Recherché par Richard Wolfhound un vieux flic dérangé, aux méthodes peu recommandables, Yann Moreau n’aura plus aucune alternative pour sauver sa peau, il devra s’associer coûte que coûte avec Sarah, le Calibre 9. »

Site de Calibre 9




« Certaines vies valent la peine d'être supprimées. »

Vers la fin du film, quand les justiciers du peuple (l'urbaniste Yann Moreau et le policier cancéreux Richard Wolfhound) massacrent l'organisation oligarchique ainsi que le préfet corrompu qui contrôlent la cité, une voix off déclare :

« ...Personne ne t'a jamais dit quelque chose d'aussi important, d'aussi vrai, d'aussi vital :

J'ai laissé les clés du monde à ceux qui le gouvernent aujourd'hui parce qu'on a permis à cette bande de salopards de rester les maîtres du monde pour ça, pour l'argent, pour le pouvoir, pour le territoire. Il faut le reprendre ce territoire, il est à nous. Et aujourd'hui, on va le faire. On peut le faire avec ça (le pistolet animé par l'âme d'une femme)...

On remet les compteurs à zéro :
  • Les politiciens qui ne servent que leurs intérêts : peine de mort !
  • Les industriels qui pourrissent la planète : peine de mort !
  • Les chefs religieux, la grande distribution : peine de mort !
  • Les groupes pharmaceutiques : peine de mort ! »


Le taux d’hémoglobine du film dépasse largement la moyenne. Mais derrière la caricature, le réalisateur de « Calibre 9 », Jean-Christian Tassy, exprime la violence des sentiments d'une partie de la population à l'égard de l'oligarchie.




dimanche, janvier 13, 2013

Mariage gay & retour de l'Eglise





« De toutes les choses sérieuses, le mariage étant la plus bouffonne... »
Beaumarchais, « Le Mariage de Figaro ».



Le 13 janvier 2013, les opposants au mariage homosexuel (800 000 selon les organisateurs) manifestent dans trois cortèges, un quatrième est emmené par les intégristes de Civitas. Avec cette importante mobilisation, l'Eglise fait son grand retour dans le débat politique. Retour qui ne plaira pas à l'auteur de cette lettre : 

« Mon cher petit frère,

Tu ne peux savoir combien je regrette que tu aies ainsi embrassé la carrière ecclésiastique ! Combien je souffre de t'y voir persévérer, malgré mes conseils, exhortations, malgré mes insultes ! Combien je rougis de honte à la lecture de chacune de tes lettres : tu appelles sur moi la bénédiction de la Vierge, et j'enrage de te voir te vautrer dans la boue catholique, toi qui montrais tant de talents... Un jour peut-être te demandera-t-on des comptes, si j'en crois ces paraboles que tu ne comprends plus à force de les lire.

Voilà ce que je voudrais te montrer aujourd'hui : tu as des yeux et tu ne vois plus. Tu as épousé la cécité, l'impuissance et l'inutilité. Dieu se moque de toi, ne le comprends-tu donc pas ? Avec tes archevêques, tes processions, ton encens, tes paroles rituelles, tes étoles et tes burettes, ton saint-chrême et tes sermons, tu emboîtes le pas d'une cohorte de misérables, d'indécrottables imbéciles dont Dieu se rit.

Oui, j'ai bien échoué avec toi. Je te parle et tu ne m'entends plus. Quelle pitié ! Tu m'échappes et tu te perds.

Je vais te les montrer, toutes ces saintes que tu vénères, ces "bienheureuses" : la Madeleine du Caravage, l'épaule nue, la bouche entrouverte, les yeux révulsés ; celle de Simon Vouet, le sein lumineux, les lèvres en sourire ; la sainte Thérèse du Bernin, lovée dans ses plis de marbre qu'un amour ailé froisse d'une main spirituelle, les paupières mi-closes, la bouche semblant exhaler un souffle de plaisir ; la bienheureuse Ludovica Albertone, du Bernin également, étendue sur son sofa, une main sur le ventre, une autre se pétrissant le sein, et toujours cette tête rétroversée, cette bouche ouverte ; ces multiples extases de sainte Thérèse, celle de Francesco del Cairo, celle de Sébastien Ricci, qu'on dirait une apothéose... Mais tu ne les connais donc pas ? À quoi passes-tu ton temps, dans ton séminaire romain ?

Tu pourrais aussi lire. Tu ne savais pas, j'en suis sûr, que le Christ disait à sainte Marguerite : "Mon cœur est si passionné d'amour pour tous les hommes et pour toi en particulier que, ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu'il les répande en toi." Il lui disait aussi, mais tu l'as oublié : "Voilà le lit de mes chastes amours où je te ferai consommer les délices de mon amour." Comme disait Stendhal, pour qui certaine femme pieuse n'avait point de secret, "rien de plus beau qu'une femme qui prie". Mais cela fait belle lurette que tu ne regardes plus les femmes, en prières ou en extase. Tu ne vois plus leurs jambes arpenter la terre. Tu ne sais pas comme c'est beau. Et de l'orgasme, tu ne sais que les visages pâmés des mystiques. [...]

De même qu'il est absurde d'établir une différence entre l'acte sexuel à deux et l'acte sexuel solitaire, il est impossible d'établir une différence de nature entre la jouissance de la mystique et celle de la femme dans le lit de son amant. Ainsi écrit Angèle de Foligno : "En cette connaissance de la croix, il me fut donné un tel feu que, debout près de la croix, je me dépouillai de tous mes vêtements et m'offris toute à lui." Inutile de t'en dire plus...

L'extatique, comme son double noir, la possédée, est habitée par Dieu (la possédée, par le Démon). Là est le point que tu ne dois pas perdre de vue : quelqu'un est en elles. Elles ont été pénétrées. Le but est celui-ci : être prise, jamais prendre. C'est ainsi qu'il y a tant de mystiques femmes. Elles appellent la mort avec impatience, elles appellent Dieu avec le même désir furieux, comme d'autres appellent le membre de l'homme. Et tandis que lui désire pénétrer, percer, autrement dit tuer, elles veulent être pénétrées, percées, tuées. On retrouve ainsi ce mot que je te citais : perdre la tête. On perd la raison, à défaut de la vie. Les extatiques tendent les bras vers le néant, qu'elles appellent de toutes leurs forces. C'est ainsi que se réalise l'union d'amour. »

JACQUES DRILLON, Le Livre des regrets.


Des saints amoureux jusqu'à l'extase :
http://bouddhanar.blogspot.fr/2012/04/des-saints-amoureux-jusqua-lextase.html







vendredi, janvier 11, 2013

Satan parmi nous





Dans une vidéo-interview en trois parties, Gilbert Abas, ancien officier de police des Renseignements généraux, retrace toutes les affaires satano-pédocriminelles et « met en évidence l'existence d'un réseau bien organisé, protégé par un système mafieux particulièrement pourri ».

Les réseaux satano-pédocriminels par Gilbert Abas :

Gilbert Abas est l'auteur du livre « Qui veut encore tuer le Christ ? »

Satan parmi nous

De tous les personnages historiques, le Diable demeure le plus célèbre, mais il n'est personne au monde qui pourrait, à notre avis, le définir exactement. Son portrait idéal, mais combien difficile ! devrait rassembler le pied fourchu de Pan, la bouche grimaçante des gargouilles médiévales et l'œil de braise du prince des sabbats. Encore faudrait-il lui adjoindre la mandoline de Méphistophélès et les panonceaux des bandes publicitaires qui tendent à réduire sa terrible figure aux proportions d'un livreur d'anthracite ou de paquets d'ouate thermogène.

Après la Renaissance qui prétendit le connaître dans ses aspects les plus intimes, les doutes ont surgi et le Diable a disparu de la scène jusqu'au mouvement Romantique dont les aimables conteurs ont ravivé sa rougeoyante image, magnifiée par le tintamarre de Berlioz. Pourtant, ni Gounod, ni Boïto n'ont réussi à le revaloriser auprès des sceptiques et des matérialistes contemporains de Victoria et du Second Empire. Malgré Charles Baudelaire et Gustave Doré, le Malin semblait s'effacer dans l'indifférence et dans l'oubli...

Mais l'hallucination et le mystère romantiques avaient préparé — grâce à l'Allemagne surtout, chacun le sait — une rentrée assez effrayante du fantastique. Dès 1836 « Gaspard de la Nuit » était véritablement « en quête du Diable » et, après toutes les chevauchées de Franz Schubert, Richard Wagner et Hugo Wolf, il nous revint avec « La nuit sur le Mont Chauve » (1867). Le génie de Moussorgsky sut ressusciter le cortège claudicant de la sorcière Baba-Yaga ( Tableaux d'une exposition, 1874), dont le bâton diabolique dirigea l'orchestre de Paul Dukas dans l'« Apprenti sorcier », qui fut d'abord plus fêté à Berlin qu'à Paris. La présence étrange et subtile de l'Esprit inspire à Maurice Ravel ses « Sortilèges » et, justement, son « Gaspard de la Nuit ». Le Diable en chair et en os, que ce soit en littérature ou dans les arts plastiques, n'apparaissait plus, comme l'Ennemi de Dieu, le Tentateur incessant, le Séducteur...

Au reste, n'est-ce point une gageure que de vouloir discuter des rapports existant entre Satan et l'Art moderne ? Le Diable, direz-vous n'existe pas, et il n'a probablement jamais existé. Pur concept de l'imagination hallucinée de nos lointains ancêtres, son emprise a, aujourd'hui tout à fait disparu. Quel artiste oserait donc le représenter, sans risquer de tomber dans un anachronisme ridicule ? Et quelle forme conviendrait-il de lui donner, qui éviterait un recours au classique accoutrement des ailes de chiroptères. des griffes, de la longue queue poilue, voire des attributs sexuels fortement accusés ?

Pourtant, aucune époque n'a été aussi imprégnée par le Satanisme que celle où nous vivons. Rodin avait exprimé son angoisse devant la Porte de l'Enfer et prouvé que dans notre monde, l'infernal était plus en deçà, qu'au-delà. Après 1918, les éructations et les pétarades du Jazz le réaffirmèrent ironiquement, quand son exotisme vint narguer la civilisation. Puis ce furent les lugubres désolations de la guitare hawaïenne : « Le chant d'un peuple qui s'enterre lui-même ! » disait un jour Ernile Mâle, néanmoins rompu aux larmes et aux horreurs du Moyen Age finissant.

Enfin, Stravinsky, en faisant déchirer Orphée par les Ménades — sur des rythmes qui n'apportèrent, certes, aucune interprétation luciférienne nouvelle ! — présentait, sans l'avoir cherché — ce macabre organisé, caractéristique de notre « univers concentrationnaire ». Un frisson glacé pouvait parcourir les rangs des spectateurs. « Délectation froidement abstraite, obstinément anti-expressive... qui prend à mon goût le masque de la laideur... » écrivait le critique René Dumesnil : il n'était, précisément, qu'une victime mal consciente du véritable diabolisme contemporain, diffus, mais attaché à tout et à tous... Cette dénonciation des supplices de la condition humaine d'aujourd'hui, impassiblement, le russo-américain l'offrait à ses admirateurs, en retard, toutefois, de vingt ans sur le Maître et attachés à l'anecdote ! Il n'y avait évidemment là, aucune intention de musique à programme ! mais, en raison de ce que l'Univers est ce qu'il est et que Stravinsky en cristallise sans le vouloir, du fait de son génie, les contradictions irritantes et malfaisantes, son « Orphée » était infernal. (Cette « cristallisation » dont Stravinsky parle lui-même dans sa « Poétique musicale », la psychanalyse l'explique, on s'en doute... et il y faut voir une impérieuse nécessité de libération de ce qui l'obsède : on pourrait dire que Stravinsky s'essaye à chasser le Mal. le Désordre, le Diable... « Le besoin de briser conduit ce grand musicien » écrit, d'ailleurs, André Michel). Sur un plan plus banal, du reste, que d'auditeurs enthousiastes ont déclaré de lui, depuis un demi-siècle : « Il y a du diabolique dans cet homme ! » Faut-il s'étonner qu'il domine, par la musique, tout notre siècle ?

Jamais, devant la faillite d'une science plus que discutable et d'une médecine puérile, qui mènent inexorablement aux conflits armés et à la pratique d'expériences monstrueuses, les hommes n'ont eu autant recours aux guérisseurs, aux pythonisses, aux médiums et à tous les théurges qui ont succédé aux sorciers des âges révolus. Les annonces mirifiques qui remplissent nos journaux offrent une planche de salut — Satan n'est-il pas le grand Consolateur ? — à tous ceux qui luttent contre l'inexorable ennui d'une existence étriquée et banale. Les salons des cartomanciennes et des magnétiseurs ne désemplissent pas, car nous sommes revenus au temps de Nostradamus et de Ruggieri. Qui sait même si certaines officines ne sont pas la réplique des sinistres cabinets de La Voisin et de l'abbé Guibourg ? Assurément, ces grands marabouts, ces gitanes, ces prêtresses, ces professeurs, et ces devins qui prétendent lire l'avenir dans la main, les taches d'encre, les boules de cristal et les tarots, ont de quoi nous faire sourire, quand ils promettent le bonheur « à tous les Français de bonne volonté ». Leur fructueux commerce qui fait intervenir la psycho-synthèse, les mystères de la galaxie et des démonstrations spiritualistes parfaitement vides de sens n'en demeure pas moins le reflet d'une époque bien troublée.

Au sein des mystères épais qui nous entourent, l'adoration des faux dieux renaît sur les ruines d'un rationalisme mal compris et l'action du démon se manifeste sous les formes les plus décevantes. L'archange déchu a depuis longtemps compris tout le parti qu'il était susceptible de tirer de la clandestinité et de l'ignorance. Jamais il n'oublie qu'il est le Prince du Mensonge, quand il s'occupe de tests stupides, de psychanalyse et de statistiques qui ramènent l'Amour à des chiffres et le Sacré à une courbe. Il n'en continue pas moins de hanter les couvents et le maintien des exorcistes dans les diocèses prouve que l'Eglise croit encore à la possession, à l'envoûtement et au succubat. Il n'y a pas si longtemps que le Grappin se montrait au curé d'Ars et qu'il détruisait les meubles de Don Bosco, Bernadette Soubirous aussi l'a entendu et, tout comme Chamiso et Dostoïevski, Papini prétend même l'avoir rencontré. A l'en croire, le Diable est « un personnage qui sort de l'ordinaire. Il est grand et très pâle ; il est encore assez jeune, mais de cette jeunesse qui a trop vécu et qui est plus triste que la vieillesse. Son visage très blanc, étiré, n'a de remarquable que la bouche mince. fermée, serrée, et une ride unique et très profonde qui s'élève perpendiculairement entre les sourcils et va se perdre presque à la racine des cheveux. Je n'ai jamais bien su de quelle couleur peuvent être ses yeux. pour la raison que je n'ai jamais pu le regarder plus d'un instant, et je ne sais pas davantage la couleur de ses cheveux, parce qu'un grand béret de soie, qu'il n'enlève jamais, les cache complètement. Il est toujours vêtu décemment, de noir, et ses mains sont toujours impeccablement gantées » (Il Diavolo, traduction de René Patris).

Sous cet aspect glacial, irréprochable, digne des vieillards des « 120 journées », et des voluptueux de l'« Histoire d'O », le Diable cache un tortionnaire sadique et un déicide convaincu. Oubliant un peu vite les exploits de Valdès et de Torquemada, les catholiques ont vu en Hitler le « médium de Satan », qui ne pouvait se passer de l'odeur du sang et de l'encens des crématoires. Les gestes accomplis par ses agents maléfiques, les bourreaux des camps de la Mort, qui se plaisaient à mêler la musique aux cris des réprouvés, ne différaient d'ailleurs guère, de ceux des démons de Polignac et d'Angkor. Aujourd'hui, le Marxisme passe pour la synthèse de toutes les hérésies et certains le considèrent comme la nouvelle Bête de l'Apocalypse contemporaine. Mais cette interprétation nous paraît aussi simpliste que celle qui consiste à ne voir en Dulle Griet, par exemple, que la représentation de la sorcière ou de la méchanceté. En fait, le Diable qui appartient consubstantiellement au monde, demeure légion, pluralité et métamorphose. S'il a cessé d'apparaître physiquement, il continue de rôder autour de nous et les saints dont les sens sont des plus exercés ont, comme Thérèse de Jésus, des Visions « où. sans percevoir aucune forme on voit quelqu'un présent ». Il souffle sur l'univers le vent de la folie et pousse les hommes à se précipiter au pied des idoles modernes qui se font adorer au cinéma, sur les stades et dans les réunions politiques. Le monde est retombé dans un étrange polythéisme dont les dieux exigeants se nomment record, vitesse et machinisme. En imposant le culte de la vedette et de la personnalité. Satan l'orgueilleux en est à ce point arrivé à duper les hommes qu'ils ont admis de pouvoir se sacrifier pour un seul homme ! L'admiration béate des monstres Sacrés, savamment entretenue par les campagnes publicitaires, a conduit à l'abêtissement des masses et l'effort intellectuel a fini par sombrer dans la négation de tout, et dans une étonnante confusion des valeurs. Humiliées par les gestes automatiques, les masses opprimées et asservies qui, jadis se révoltaient, ne réagissent même plus. La machine sociale comme l'a dit si justement Simone Weil est devenue une « machine à briser les cœurs, à écraser les esprits, une machine à fabriquer de l'inconscience, de la sottise, de la corruption, de la veulerie et surtout du vertige ». Le grand mot est lâché : le Vertige ! car c'est bien lui qui vous prend devant les folles expériences nucléaires dont l'affreux réalisme surpasse et de loin, les bizarreries des chapiteaux de l'An Mille, et des innombrables Danses macabres. La terreur collective, l'angoisse cosmique, risquent bientôt de s'emparer des âmes et les réactions en chaîne de la fission de l'atome pourraient bien devenir les chapitres d'une fulgurante Apocalypse. Jamais la voûte céleste n'a été aussi près de tomber sur ceux qui rêvent de conquérir les espaces sidéraux. Lange des Ténèbres, nouveau théoricien de la relativité, aux bords des abîmes de notre aveuglement, continue de jouer avec la Mort, sa fidèle compagne.

Témoins de leur temps, les écrivains ne peuvent échapper à l'oppression étouffante du diabolisme. Bien mieux, ils s'y délectent ainsi que des possédés volontaires et font tomber leurs lecteurs dans un masochisme qui glorifie l'abjection, la décomposition et la pourriture. Omniprésent, Satan n'admet point les demi-mesures, et il n'hésite pas à frapper de paralysie ou de gâtisme tous ceux qui. dans le même temps, cherchent à boire dans sa coupe et dans celle des archanges. Comme autrefois, il exige que l'on soit tout pour ou tout contre lui, mais il n'en chérit pas moins les modes insidieux de la calomnie et de l'hérésie venimeuse, qui exaltent la haine, le vice et les passions infâmes. Agissant grâce à des personnes interposées, des « âmes qu'il ulcère et incite à d'inexplicables crimes », il a semble-t-il cessé désormais de demander au Tout-Puissant la permission d'agir sur ses créatures.

Toutes les formes de l'Art qui, jadis célébraient la victoire du Dieu bon paraissent périmées, et nous assistons à un véritable retournement de la philosophie manichéenne. C'est le Dieu bon — sans le savoir, ou sans le vouloir — qui doit à présent s'efforcer de prouver la réalité de son action et l'efficacité de son pouvoir. L'Art sacré, ravalé aux broderies des kermesses de Lourdes et de Beauraing, figé dans le saindoux ou la matière plastique de Saint-Sulpice. a bien de la peine à défendre la splendeur divine en un temps où l'image du Christ sert de baromètre, et où le portrait de la Vierge orne les coquetiers et les verres à dents. En revanche, l'Art diabolique qui avait perdu du terrain après Goya et le mouvement romantique, n'a cessé de progresser depuis le début du vingtième siècle. Il a rencontré de fervents adeptes parmi les surréalistes et tous ceux dont les improvisations jaillissent de l'inconscient ou d'un choc psychologique indépendant de la volonté. Utilisant les forces, les chants et les passions occultes qui dorment en lui, l'artiste, comme l'écrivait Giorgio de Chirico ressent, avec la rapidité d'un éclair, un moment, une pensée, une combinaison qu'il jette sur la toile. « Comme le tremblement de terre secoue la colonne sur sa plinthe, nous tressaillons jusqu'au fond de nos entrailles. Nous jetons alors sur les choses des regards étonnés, c'est le moment. Le Protée qui dormait en nous a ouvert les yeux. Et nous disons ce qu'il fallait dire. Ces secousses sont pour nous ce qu'étaient pour le prophète glauque les lacs et la torture ». A l'heure actuelle, le Diable a, non seulement retrouvé les figurations sous lesquelles il apparaissait au Moyen Age, mais son mythe s'est encore développé grâce à la carte postale. à la bande dessinée et à la pellicule cinématographique. Michelet, ce grand intuitif, s'est lourdement trompé, en 1862, quand il a déclaré que, devenu un bon vieux, le Diable s'était résigné à gagner sa vie dans les petits métiers du spiritisme et des tables tournantes. Il ne pouvait présager la floraison de la littérature et de la dialectique infernale de nos contemporains qui, prenant Sade et Ducasse pour modèles encensent le Mal et le crime gratuit.

Roland Villeneuve


jeudi, janvier 10, 2013

Demain, le monde ressemblera à Rio Grande City





Plantée sur la Highway 83, Rio Grande City est l'une des dernières villes du Texas avant d'arriver au Mexique. Il déplaira sûrement à l'office de tourisme de le lire, mais il n'y a aucune raison de s'arrêter ici. Rio Grande est le chef-lieu du comté de Starr, l'un des plus pauvres des États-Unis. La route principale ressemble à un long fil de béton rongé par la décrépitude depuis fort longtemps. La poussière est omniprésente. Elle semble même incrustée dans le paysage depuis et pour toujours.

Il existe deux styles de maisons à Rio Grande City. Celles à l'abandon et les autres où, réfugiés derrières les barreaux qui protègent toutes les fenêtres, les 11 923 habitants vivent dans la crainte. La peur du soleil qui écrase tout neuf mois par an. La peur des voisins, des inconnus, des autres et plus particulièrement des gangs de la mafia mexicaine qui ont transformé l'endroit en lieu de passage. Et puis, la peur des troupes du Homeland Security aussi, en charge de vérifier les visas et de déporter les immigrés clandestins. À Rio Grande City, 95,89 % de la population est d'origine mexicaine. Les sans-papiers en représentent la majorité. Certains ont même peur de leurs enfants. Nés sur le sol américain, ils sont pourvus de la nationalité qui est refusée à leurs parents. Et ainsi, d'après les services sociaux de la ville, dès l'adolescence, nombre d'entre eux terrorisent la partie « illégale » de la famille. Un chantage au coup de téléphone de dénonciation pour une seule chose : manger.

McDonald's, Dairy Queen, Burger King, Whataburger, Wendy's, Pizza Hut, Little Ceasars Pizza, Subways, Taco Bell, Taco Bueno, Taco Palenque, Mexican Buffet, Chinese Buffet... aucune enseigne ne manque à l'appel. Et toutes proposent, en lettres géantes, des promotions difficiles à ignorer quand on vit sous le seuil de la pauvreté. Ici, le Coke géant est offert pour l'achat d'un menu. Là, contre moins de 5 dollars, le client est invité à manger autant qu'il le souhaite. Ailleurs, tous les matins, le petit déjeuner est doublé gratuitement.

À Rio Grande City, paradis du HFCS et du trans fat, tout est commercialement envisageable, envisagé et mis en pratique pour ponctionner les quelques dollars versés par l'aide locale.

Cette orgie alimentaire s'accompagne d'une terrifiante réalité. À Rio Grande City, la moitié de la population adulte souffre de diabètes de type 2.

Mais le pire, c'est pour demain.

À l'école maternelle, 24 % des enfants sont déjà en surcharge pondérale ou obèses. S'ils ne sont pas dès maintenant pris en charge, rien ni personne ne parviendra à les sortir du cercle infernal. Celui qui, à l'âge adulte, devenus diabétiques et amputés, leur fera attendre la crise cardiaque... comme une libération.

Or, dans l'Amérique d'aujourd'hui, personne ou presque ne s'intéresse à Rio Grande City. Ou à La Casita, Roma, Laredo, El Cobares, ces villes du sud du Texas qui subissent le même cauchemar.

Or, à Rio Grande City, 50 % des garçons âgés de dix ans sont trop gros. Beaucoup trop gros.

Peggy Visio, une nutritionniste du Texas Health Science Center de San Antonio, tente depuis des années de faire bouger les choses. Adepte de la téléconférence, elle a réussi à trouver un don privé destiné à financer un service reliant son bureau de San Antonio à l'infirmerie de l'école de la ville. Et là, par écran interposé, elle donne des conseils de nutrition aux familles. Sachant pertinemment qu'elle ne pourra empêcher le pèlerinage quotidien au fast-food, elle tente d'orienter les ados vers les produits qui feront le moins de dégâts.

Lors d'un séjour récent à Rio Grande City, Visio et son équipe ont examiné les 2 931 enfants de la ville afin de quantifier ceux qui présentaient des risques élevés de diabète de type 2. Sur le papier, le pire de leurs scénarios prévoyait environ 600 cas. Mais à Rio Grande City, où deux cheeseburgers géants, une frite maxi et un Coca-Cola gargantuesque sont vendus à moins de 2 dollars, ils ont découvert 1 172 enfants en perdition. 1 172 futurs diabétiques.

Alors, Peggy a convaincu l'école de l'urgence. Après tout, chaque jour, les enfants y prennent leur petit déjeuner et leur déjeuner. Des collations largement arrosées des sodas en vente soit à la cafétéria, soit via les distributeurs, dans les couloirs de l'établissement.

Grâce à Visio et aux responsables de l'école, ces appareils de tentation ont été déplacés... dans la rue. Le personnel des cuisines a été formé pour offrir une nourriture moins grasse et moins sucrée. Les fruits frais ont commencé à apparaître sur les tables de la cantine et l'eau à repris une place qu'elle n'aurait jamais dû abandonner.

Mais voilà, nous étions à Rio Grande City. Et les étudiants ont expérimenté la démocratie directe. Ces citoyens en herbe, obèses ou en passe de le devenir, se sont mis en grève devant de telles décisions salutaires à leur santé. Soutenus par certains parents et professeurs, ils ont affiché leur colère à l'entrée de la cafétéria avec un mot d'ordre clair « Non au régime ! Nous voulons manger des trucs cool ! »

Rio Grande City est un laboratoire. Un douloureux voyage vers le futur aussi. Ce qui s'y passe n'est ni une exception ni une aberration, mais un amer avant-goût de l'avenir. L'obésité, le diabète, l'attitude de ces étudiants sont ni plus ni moins le résultat des trente dernières années de dérive et de matraquage alimentaire. Trois décennies où l'industrie agroalimentaire a pris le contrôle de nos assiettes, brouillant les repères, changeant la nature même de la nourriture.

Pendant des siècles, manger a été une nécessité et un moment privilégié. Une excuse pour l'échange et la communication. Et, bien souvent, un moment de plaisir. Désormais, un plat, pour s'imposer, doit être pratique, s'engloutir seul et rapidement. Et, surtout, être soutenu par une campagne publicitaire.

Demain, le monde ressemblera à Rio Grande City et à ces élèves prêts à se battre pour continuer à se goinfrer. Déjà, dans certaines écoles primaires, les enfants apprennent à compter en additionnant les M&M's. Dans d'autres, ils refusent de manger les fruits frais sous prétexte qu'il est beaucoup plus tendance d'avaler un dessert coloré.

L'industrie agroalimentaire n'est pas seulement coupable d'avoir travesti la nature de notre nourriture. D'y avoir introduit le sirop de fructose-glucose, les additifs, les conservateurs, les résidus chimiques et les acides gras trans. Non, dans cette course au profit, certaines sociétés ont tout simplement tenté de s'emparer de l'âme d'une génération.

Ces mots sont à la hauteur de ma colère. Pas uniquement celle de l'auteur, celle d'un père aussi. Qui, chaque jour, tente de contrebalancer un pouvoir qui nous dépasse. La responsabilité individuelle et celle des parents sont deux mensonges inventés par des spécialistes de la manipulation. Ou du marketing, c'est la même chose.

Les preuves ? Elles sont multiples. Petit voyage dans le temps. Dans les années 1930, Coca-Cola comparait ses atouts nutritionnels aux vertus vitaminées des fruits. Dans les années 1950, 7 Up expliquait comment, mélangé au lait du nourrisson, il favorisait la prise du biberon. À l'époque, à en croire les réclames, certains vins équivalaient même à un repas complet. Et puis, Camel était « la cigarette préférée des médecins ». Aujourd'hui les mêmes tentent de nous convaincre de l'importance de leurs contributions à notre bien-être, de leur sincérité dans la lutte contre le poids, de leur conscience humaniste ou de la non-dangerosité des OGM.

Demain, le monde ressemblera à Rio Grande City et à ses promotions permanentes sur la paire de hamburgers. Déjà, la crise d'obésité est devenue pandémie. Déjà les lagons des porcheries, le HFCS et le trans fat sont partis à la conquête de l'Europe.

L'Europe... Ou comment une idée juste, sensible, enthousiasmante et pacifiste, a perdu elle aussi son âme. L'Europe est devenue la nouvelle cour où manœuvrent les spécialistes du lobbying industriel. Où se pratique un sport dont les règles ont été inventées à Washington.

Et c'est ainsi que, le 9 novembre 2006, Markos Kyprianou, commissaire européen et membre de la Commission européenne chargé de la santé et de la protection des consommateurs, a publiquement félicité Coca-Cola et McDonald's pour leur engagement dans la lutte contre l'obésité.

Coke, McDo et les autres sont pourtant les fabricants de cigarettes d'aujourd'hui. Leur stratégie de communication est identique. La crainte majeure de ces géants de l'agroalimentaire, c'est que les gouvernements, sous la pression populaire, légifèrent. Car la contrainte leur fait peur. Aussi, pour éviter cela, ils jouent la diversion, la carte du volontarisme.

Dans le même esprit, Marlboro et Philip Morris financent aux États-Unis des campagnes publicitaires incitant les gens à ne plus fumer. Or, le budget de ces « ravalements de façade » n'atteint même pas 1 % des bénéfices engendrés par la vente de leurs produits.

McDo, Coke et les autres savent qu'ils sont les premiers responsables de la pandémie d'obésité. Alors, ils donnent le change, martèlent le message de la responsabilité individuelle et l'idée que toute nourriture a sa place dans un régime équilibré.

Lorsque je vois la campagne internationale de Coca-Cola annonçant sa décision de lutter contre l'obésité, je ne peux m'empêcher d'être cynique et de penser : c'est l'hôpital qui se moque de la charité.

L'engagement à ne pas faire de publicité à destination des moins de douze ans ? Du vent. Rien de neuf. Cela a toujours été le cas. Non pas parce que la Compagnie est « morale » mais parce qu'elle est très intelligente. Elle préfère sponsoriser l'équipe de France de football, lancer un site Internet avec NRJ, imaginer un casting inspiré de « Star Academy » dans tout le pays, pour capter l'attention de ces classes d'âges. Coca-Cola étant, en France, la marque préférée des jeunes, elle n'a pas besoin de s'adresser directement à eux puisqu'elle a réussi à devenir une figure incontournable de leur univers.

Les boissons sans sucre, les salades de McDo ? Tout cela est marginal. Le cœur d'affaire de McDonald's, ce sont les heavy users, les gros consommateurs de Big Mac et de frites. Le produit vedette de la Compagnie ? Coca-Cola Classic et son sucre.

Demain, le monde ressemblera à Rio Grande City et à son odeur permanente de friture. [...]

Avant d'être consommateur, nous sommes citoyens. Nos trois repas quotidiens sont autant d'occasions de voter. Voter pour ou contre un monde toxique. Voter en faveur d'un modèle viable pour l'environnement, notre santé, et moralement acceptable. Notre pouvoir est avant tout celui de l'achat. Plus qu'un bulletin dans une urne, la consommation d'un produit est devenue un geste politique. Le seul moment où le terme de «démocratie directe » a un sens concret.

Mais voilà, si mon pouvoir d'achat m'offre le privilège d'assurer aux miens une assiette sans danger, ce choix est réservé à une minorité. Car manger bien est désormais une source d'inégalité. Les pauvres sont aujourd'hui massivement représentés dans les rangs de plus en plus peuplés des obèses. Comme à Rio Grande City, leur pouvoir d'achat les cantonne quasi exclusivement à la nourriture industrielle. En confiant notre alimentation aux géants de l'agroalimentaire, nous leur avons laissé le droit d'installer des régimes d'apartheid nouveaux.

Et c'est pour cela que, même s'il est capital, un engagement individuel ne sera jamais suffisant. Pour éviter que demain, notre monde ressemble à Rio Grande City, il faut que la classe politique se souvienne que, parmi ses devoirs, se trouve l'obligation de protéger la société des risques pathogènes. La malbouffe tue. Il faut donc une intervention gouvernementale pour contraindre certaines compagnies à cesser de nous empoisonner.

William Reymond


mardi, janvier 08, 2013

Autiste, savant, homosexuel et chrétien


Daniel Tammet est un autiste savant aux capacités hors du commun, un génie des nombres. Il a ainsi mémorisé les 22 514 premières décimales de π, parle 10 langues et a appris l'islandais en quatre jours. Pour lui, les nombres sont des formes et des couleurs.

Beaucoup de gens sont surpris quand je leur dis que je suis chrétien. Ils imaginent que croire en Dieu ou explorer des chemins spirituels est incompatible ou très difficilement compatible avec le fait d'être autiste. Il est absolument vrai que mon Asperger rend l'empathie ou la pensée abstraite plus difficiles pour moi. Mais cela ne m'empêche pas de penser à des sujets profonds, qui concernent la vie et la mort, l'amour et les relations, par exemple. En fait, beaucoup d'autistes tirent de réels bénéfices de leurs croyances religieuses ou de la spiritualité. L'emphase religieuse du rituel, par exemple, est une aide pour les personnes atteintes de troubles du spectre autistique car la stabilité et la solidité qu'elle apporte leur sont précieuses. Dans un chapitre de son autobiographie intitulée Stairway to Heaven : Religion and Belief, Temple Grandin, une femme autiste, écrivain et professeur de zoologie, décrit sa vision de Dieu comme une force qui organise l'Univers. Ses convictions religieuses viennent de son expérience lorsqu'elle travaillait dans les abattoirs et de son sentiment qu'il doit y avoir quelque chose de sacré dans la mort.

Comme beaucoup d'autistes, mon activité religieuse est avant tout intellectuelle plutôt que sociale ou émotionnelle. Quand j'étais au collège, je n'avais aucun intérêt pour l'éducation religieuse et je ne croyais pas que la possibilité d'un Dieu ou d'une religion puisse être d'un quelconque soutien dans la vie quotidienne des gens. Parce que Dieu n'était pas quelque chose que je pouvais voir, entendre ou sentir, et parce que les arguments religieux que je lisais et que j'entendais n'avaient aucun sens pour moi. Mon revirement date de ma découverte des œuvres de G.K. Chesterton, un journaliste anglais qui écrivit beaucoup sur sa foi chrétienne au début du XXe siècle.

Chesterton était une personne remarquable. À l'école, ses professeurs disaient de lui que c'était un « rêveur » qui n'avait pas pris « le même avion que les autres ». Adolescent, il avait fondé un club de débats avec des amis où il discourait parfois pendant des heures. Avec son frère Cecil, il débattit un jour pendant dix-huit heures et trente minutes. Il pouvait citer de mémoire des chapitres entiers de Dickens, et d'autres auteurs, et se souvenait de l'intrigue de dix mille romans pour lesquels il avait fait des fiches de lecture dans une maison d'édition. Ses secrétaires rapportent qu'il leur dictait un essai pendant que, lui, était en train d'en écrire un autre sur un autre sujet. Oui, il était souvent perdu, tellement absorbé dans ses pensées qu'il devait parfois téléphoner à sa femme pour se rappeler comment rentrer chez lui. Il avait également une fascination pour les choses du quotidien, ainsi qu'il l'écrit dans une lettre à sa femme : « Je ne crois pas qu'il y ait personne qui prenne autant que moi un plaisir sincère aux choses telles qu'elles sont. L'humidité de l'eau m'excite et m'enivre. L'ardeur du feu, l'inflexibilité du fer, la saleté indicible de la boue. » Il n'est pas impossible que Chesterton ait été à la frontière du spectre autistique, à la frontière de son haut niveau. En tout cas, je me suis souvent senti proche de lui en le lisant.

Lire Chesterton adolescent m'aida à comprendre intellectuellement Dieu et le christianisme. Le concept de la Trinité, d'un Dieu qui est une relation vivante et aimante, était quelque chose que je pouvais me représenter mentalement et qui signifiait quelque chose pour moi. J'étais également fasciné par l'idée de l'Incarnation, de Dieu se révélant Lui-même dans le monde, tangible, humain, en Jésus-Christ. Pourtant ce n'est qu'a vingt-trois ans que je décidai de participer à des cours de catéchisme à l'église locale. Ces cours collectifs hebdomadaires avaient pour but de transmettre les bases du christianisme. Je n'étais pas intéressé par la prière pour me guider dans la vie, ni par les expériences des autres, je voulais des réponses à mes questions. Heureusement, par ses livres, Chesterton répondit à toutes mes questions. À Noël 2002, je devins chrétien.

Mon autisme ne me permet pas toujours de comprendre ce que les autres pensent ou ce qu'ils sentent dans certaines situations. Pour cette raison, mes valeurs morales sont plus fondées sur des idées logiques, qui font sens pour moi et auxquelles j'ai beaucoup réfléchi, que sur l'exemple des autres. Je sais qu'il me faut traiter chaque personne que je rencontre avec gentillesse et respect parce que je crois que chacun est unique et à l'image de Dieu.

Je ne me rends pas souvent dans les églises parce que je suis rapidement mal à l'aise s'il y a trop de monde. Pourtant, à l'occasion, lorsque j'y suis allé, j'ai toujours trouvé cette expérience intéressante et troublante. L'architecture est souvent complexe et belle, et j'aime vraiment ce sentiment d'espace au-dessus de moi, quand je lève les yeux au plafond. Enfant, j'adorais écouter les psaumes et les chants. La musique m'aidait de fait à faire l'expérience de sentiments décrits généralement comme religieux, telles la transcendance ou l'unité. Mon chant préféré était l'Ave Maria. Dès que je l'entendais, je me sentais complètement enveloppé par la musique.

Certaines de mes histoires préférées viennent de la Bible, comme l'histoire de David contre Goliath. Beaucoup d'entre elles utilisent un langage imagé et symbolique qui me permet de visualiser les scènes, et cela m'aide à comprendre le récit. Il y a beaucoup de très beaux passages dans la Bible, mais j'aime particulièrement l'épître aux Corinthiens : « La charité est longanime ; la charité est serviable ; elle n'est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; elle ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s'irrite pas, ne tient pas compte du mal ; elle ne se réjouit pas de l'injustice mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. [...] Maintenant donc demeurent foi, espérance, charité, ces trois choses, mais la plus grande d'entre elles, c'est la charité. »

On dit que chacun connaît un moment parfait, de temps en temps, une expérience de paix complète et de lien avec le monde, comme quand on regarde la vue depuis la tour Eiffel ou qu'on contemple une étoile en train de mourir. Je n'ai pas vécu beaucoup de moments de cet ordre, mais comme dit Neil (le compagnon de Daniel), ce n'est pas grave car ce qui est rare est encore plus particulier. Le plus récent est survenu l'été dernier à la maison - ces moments surviennent souvent quand je suis à la maison - après un repas que j'avais fait et partagé avec Neil. Nous étions assis tous les deux dans le salon, rassasiés et heureux. Soudain, je fis l'expérience de m'oublier moi-même et, pendant ce moment bref et brillant, j'eus l'impression que toute mon anxiété et mon mal-être disparaissaient. Je me tournai vers Neil pour lui demander s'il avait ressenti la même chose. Cela avait été le cas.

J'imagine ces moments comme des fragments ou des éclats éparpillés sur une vie entière. Si quelqu'un pouvait les coller bout à bout, il obtiendrait une heure parfaite, voire une journée parfaite. Et je pense que cette heure ou cette journée le rapprocherait de ce qui fait le mystère d'être un humain. Ce serait comme un aperçu du paradis.

Daniel Tammet, Je suis né un jour bleu.



Cerveau & lecture

Sleon une édtue de l'Uvinertisé de Cmabrigde, l'odrre des ltteers dnas un mot n'a pas d'ipmrotncae, la suele coshe ipmrotnate est que la pmeirère et la drenèire soient à la bnnoe pclae. Le rsete peut êrte dnas un dsérorde ttoal et vuos puoevz tujoruos lrie snas porlblème. C'est prace que le creaveu hmauin ne lit pas chuaqe ltetre elle-mmée, mias le mot cmome un tuot.   


"L'Occident moderne est la chose la plus dégoûtante de l'histoire du monde"

Une performance d'art moderne occidental : Être traîné avec une bougie dans l'anus sur un sol inondé et sale. La Russie est en train...