lundi, janvier 28, 2013

Le mariage




Le mariage pour tous marque une étape importante dans l'avènement de la société contre-traditionnelle.



Le mariage comme « Mystère » dans le monde de la tradition

On a généralement reconnu, surtout après la parution de l'ouvrage fondamental de Fustel de Coulanges, que la famille antique, plus qu'une association naturelle, fut une institution à base religieuse. Mais cela vaut aussi, plus généralement, pour ce que fut la famille dans toute grande culture des origines, ou culture du monde de la tradition. Ce caractère sacral ne pouvait pas ne pas investir, dans une certaine mesure, les relations intimes entre les sexes et le régime conjugal de la sexualité.

Il faut tout d'abord relever que, dans le mariage antique, le facteur individualiste était ordinairement très réduit, n'apparaissait pas comme le facteur déterminant. Souvent, on ne tenait compte qu'accessoirement de l'inclination et de l'affection ; c'était la lignée qui importait le plus. Dès le début, la dignitas matrimoni se rattacha, à Rome, à l'idée de la descendance nobiliaire. C'est pourquoi l'on distinguait — non seulement à Rome, mais en Grèce et dans d'autres civilisations traditionnelles — entre la femme à choisir dans ce but pour la dignitas matrimoni — et d'autres femmes, dont l'homme pouvait en même temps, et éventuellement, user en vue de la pure expérience érotique (d'où l'institution du concubinage, légalement admis à côté du régime familial, comme son complément). Il y a plus : au sujet de l'épouse, on faisait souvent une distinction entre son usage purement érotique et un usage spécifique ordonné à la volonté consciente d'engendrer. Et lorsqu'on s'approchait de l'épouse dans cette seconde intention, on suivait fréquemment un rituel spécial, comportant des cérémonies de lustration et de propitiation, ainsi que des détails particuliers du régime même de l'union sexuelle. Parfois, on faisait précéder celle-ci d'une période d'abstinence (dans l'ancienne Chine, il s'agissait d'un régime de l'étreinte où la semence masculine était retenue) ; un rituel magique envisage même d'exorciser le démon de la lascivité, qui exerce avant tout son pouvoir sur la femme ; dans certains cas, on priait et l'on invoquait les dieux, on choisissait une date propice, puis on s'isolait. On constate l'existence d'une science relative aux circonstances en mesure de rendre plus probable la naissance d'un enfant de tel sexe, plutôt que de tel autre.

Il est en outre important de souligner que, dès les sociétés totémiques elles-mêmes, la conception de la procréation ne se ramenait pas à celle, naturaliste, de la continuation biologique de l'espèce ; en engendrant, on entendait, pour l'essentiel, conserver et transmettre la force mystique du sang propre, de la gens, et surtout celle de l'ancêtre primordial, force immanente en tant que genius de la lignée et concrétisée, dans l'Antiquité gréco-romaine, par le feu sacré domestique toujours allumé. Et de même que c'était la participation aux rites d'une famille qui créait éventuellement de nouvelles parentés, donc qui intégrait un étranger dans cette famille, de même certaines données indicatives permettent de penser que, dans l'Antiquité traditionnelle, la femme, avant d'être épousée par son mari, l'était par cette force mystique de la lignée. Il est significatif qu'a Rome le thalamus, le lit conjugal, était appelé lectus genialis, lit du genius. Un témoignage résiduel plus précis concerne une coutume nuptiale romaine : avant de s'unir à son mari, la femme devait s'unir au dieu Matitus, au Tutinus priapique qui, fondamentalement, ne faisait qu'un avec le genius domesticus, ou lar familiaris ; entrée dans la demeure de l'époux, la jeune femme, la nova nupta, devait, avant d'accéder au lit nuptial, s'asseoir sur la statue ithyphallique de ce dieu, comme s'il revenait à ce dernier de la déflorer le premier. On pourrait indiquer l'existence de rites analogues dans d'autres cultures, et possédant la même signification. Le but véritable du mariage n'était pas une progéniture quelconque, mais en premier lieu le « fils du devoir », expression qui qualifiait en Inde le premier né mâle, avec le vœu qu'il fût un « héros ». La formule finale de la cérémonie nuptiale, shraddâ, était : vîram me datta pitarah (« O pères, faites que j'aie pour fils un héros ! »).

Dans la famille sacralisée, la polarité des sexes est associée à un régime de complémentarité. D'où le rôle que joua la femme dans le culte domestique indo-européen, en relation avec le feu, dont elle était la gardienne naturelle, ayant elle-même, en principe, la nature de Vesta, « flamme vive » ou feu-vie. La femme était en quelque sorte le vivant soutien de cette influence suprasensible, servant de contrepartie au pur principe viril du pater familias. C'est pourquoi il incombait surtout à la femme de veiller à ce que la flamme ne s'éteignît point et restât pure ; elle en invoquait la force sacrée, jetant dans le feu les sacrifices . A Rome, un régime de complémentarité analogue était en vigueur pour le sacerdoce lui-même. Lorsque venait à décéder l'épouse du Flamen — la flaminica dialis —, le prêtre devait abandonner son office, comme si son pouvoir, à cause de l'absence de son complément vivifiant, était diminué ou paralysé. On peut recueillir des témoignages allant dans le même sens auprès d'autres traditions, la tradition brahmanique par exemple, dans laquelle d'autres contenus sont pourtant déjà mis en relief. La femme unie à l'homme par le sacrement — samskâra — se présente comme la « déesse de la maison » — grhadevatâ — et fut originellement associée à son mari dans le culte et les rites. La femme est vue soit comme le foyer — kunda —, soit comme la flamme du sacrifice. Il est conseillé de méditer sur la femme conçue comme un feu — yoshamagnin dhyâyîta. Ici, on entrevoit déjà le plan opératif, et non plus seulement rituel, puisque dans ce cadre l'union entre homme et femme était conçue comme un grand rite — vajñia —, un équivalent du sacrifice du feu, homa. Un texte dit que « celui qui connaît la femme sous la forme du feu, atteint la libération ». Et le Çathapatha-brahmâna fait dire à la femme : « Si tu uses de moi durant le sacrifice, quelle que soit la bénédiction que tu invoqueras, à travers moi tu l'obtiendras ». Les fruits d'une des formes du sacrifice du soma (vajapeya) sont comparés à ceux produits par l'union avec une femme lorsqu'on accomplit celle-ci en connaissant les correspondances et les contenus cosmiques de la femme et de son corps. La matrice, centre de la femme, est désignée comme le feu sacrificiel. Dans un autre texte traditionnel, on fait correspondre toutes les phases de l'étreinte à celles d'une action liturgique, et il est indiqué que celle-ci peut être faite en même temps que l'étreinte.

En règle générale, le mariage pouvait déjà présenter sous cette forme les caractères d'un « Mystère », dans un régime de ritualisation. En Grèce la déesse, en tant que déesse du mariage, portait le nom d'Aphrodite Teleia, cet attribut dérivant de telos, terme également utilisé pour désigner l'initiation. La reprise consciente des correspondances cosmiques du masculin et du féminin — le Ciel et la Terre — est clairement attestée dans un célèbre rituel indo-européen : « Qu'il [l'époux] s'approche d'elle, en prononçant la formule : "Je suis Lui, tu es Elle ; tu es Elle, je suis Lui. Je suis le chant, tu es la strophe... Je suis le Ciel, tu es la Terre. Viens, embrasse-moi, mêlons notre semence, pour la naissance d'un mâle, pour l'opulence de notre maison". Puis, faisant en sorte que la femme écarte les jambes, qu'il dise : "Ô vous, Ciel et Terre, mêlez-vous !" La pénétrant, sa bouche unie à sa bouche, la caressant trois fois de haut en bas, qu'il dise : "...Comme la Terre accueille en son sein le Feu, comme le Ciel renferme en son sein Indra, comme les points cardinaux portent le vent, ainsi je dépose en toi le germe de X. (nom de l'enfant)" » . La virilité est donc rattachée au Ciel, la féminité à la Terre. De façon analogue, en Grèce, selon Pindare, comme pour se référer au fondement de leur nature la plus profonde, les hommes, durant l'amour, invoquaient Helios, le Soleil, et les femmes Séléné, la Lune . Il faut aussi relever que dans presque tous les dialectes indiens d'origine sanscrite, les femmes sont appelées prakritî, terme qui désigne métaphysiquement la « nature », ainsi que la femelle-force du dieu impassible, du purusha. Ce contexte de sacralisation du mariage devait peu à peu s'estomper, mais il en subsistait récemment encore des traces positives, qui ne s'expliquent que par lui. Il ne devait se conserver, avec de précises homologations divines et cosmiques, que dans le domaine cultuel au sens strict, en rapport avec les variantes du hieros garnos, de la hiérogamie ou théogamie rituelle. Mais, au sujet de l'Antiquité, on n'a pas eu tort d'affirmer qu'un peuple où les pratiques matrimoniales étaient ritualisées et toujours conformes aux lois éternelles, constituait une grande chaîne magique reliant la sphère matérielle aux sphères supérieures. Novalis a raison de considérer le mariage, tel que nous le connaissons aujourd'hui, comme un « mystère profané » ; au fil des temps, il est effectivement devenu la seule alternative sociologiquement offerte à ceux qui ont horreur de la solitude. Et l'exactitude des paroles suivantes n'est pas entachée par le fait que leur auteur, Louis-Claude de Saint-Martin, n'en a certainement pas réalisé la portée et n'a pas eu une vision de la situation où elles sont vraies : « Oh ! si le genre humain savoit ce que c'est que le mariage, il en auroit à la fois un désir extrême et une frayeur épouvantable ; car il est possible aux hommes de se rediviniser par là, ou de finir par se perdre tout à fait ».

La conception générique d'une sacralité de l'acte procréateur a toutefois subsisté dans le cadre des religions créationnistes, puisque cet acte est considéré comme un reflet, un prolongement ou une reproduction de l'acte créateur divin. Pour l'Iran mazdéen, on peut rappeler un ancien rituel nuptial où l'idée d'un certain nombre de faveurs divines est même associée à l'intensité maximale de l'étreinte. En ce qui concerne l'aire islamique, il existe un rituel qui rappelle en partie le rituel indo-européen cité plus haut et qui nous montre combien l'idée de la sexualité comme quelque chose de peccamineux et d'obscène — tout rapport entre celle-ci et la divinité apparaissant blasphématoire — était étrangère à ces traditions. Selon ce rituel, au moment de pénétrer la femme, l'époux dira : « Au nom d'Allah, le Clément, le Miséricordieux, Bismallah al-rahman al-rahim ». Puis l'homme et la femme diront ensemble : « Au nom de Dieu », et, enfin, seul l'homme ajoutera, au moment de la jouissance de la femme et juste avant d'éjaculer, le reste de la formule, à savoir les mots « le Clément, le Miséricordieux ». Dans la même perspective, Ibn Arabi, un maître du soufisme, va jusqu'à parler d'une contemplation de Dieu dans la femme, à travers une ritualisation de l'union sexuelle conforme à des contenus métaphysiques et théologiques. Il écrit dans son traité Fuçuç al-Hikam : « ...la contemplation de Dieu dans les femmes est la plus intense et la plus parfaite ; et l'union la plus intense [dans l'ordre sensible, qui sert de support à cette contemplation] est l'acte conjugal... Or, le Prophète aima les femmes précisément en raison de leur rang ontologique, parce qu'elles étaient comme le réceptacle passif de son acte, et qu'elles se situent par rapport à lui comme la Nature universelle (at-tabî'ah) par rapport à Dieu. C'est bien dans la Nature universelle que Dieu fait éclore les formes du monde, par projection de Sa volonté et par le Commandement [ou l'Acte : al-amr] divin, lequel se manifeste comme acte sexuel dans le monde des formes constituées par les éléments, comme volonté spirituelle [al-himmah — ce que nous avons appelé ailleurs la virilité transcendante] dans le monde des esprits de lumière et comme conclusion logique dans l'ordre discursif [on pourrait renvoyer à ce sujet à la rigueur logique comme expression typique du principe masculin — ». Ibn Arabi dit que celui qui aime les femmes de cette façon, donc en réalisant ces significations alors même qu'il s'unit à une femme, « les aime par amour divin ». En revanche, pour celui qui n'obéit qu'à la seule attraction sexuelle, « l'acte sexuel sera... une forme sans esprit ; bien entendu, l'esprit reste toujours immanent à la forme comme telle, seulement, il demeure imperceptible à celui qui s'approche de son épouse — ou d'une femme quelconque — pour la seule volupté, sans connaître l'objet véritable de son désir... "Les gens savent bien que je suis amoureux. Mais ils ne savent pas de qui..." Ceci s'applique bien à celui qui aime pour la seule volupté, c'est-à-dire qui aime le support de la volupté, la femme, mais reste inconscient du sens spirituel de ce dont il s'agit. S'il le connaissait, il saurait en vertu de quoi il jouit, et qui jouit [réellement] de cette volupté ; dès lors, il serait [spirituellement] parfait ». Il faut voir dans cette théologie soufie de l'amour l'élargissement et l'élévation à une conscience plus précise de l'univers rituel où l'homme de la civilisation islamique a plus ou moins distinctement compris et vécu les rapports conjugaux en général, à partir de la sanctification que la Loi coranique confère à l'acte sexuel, et ce dans un contexte aussi bien polygamique que monogamique. C'est de là que dérive aussi le sens particulier que peut avoir la procréation, entendue comme le fait d'administrer le prolongement, existant dans l'homme, du pouvoir créateur divin.

Le judaïsme lui-même ignora la condamnation ascétique du sexe : le mariage n'y fut pas conçu comme une concession à la loi de la chair, plus forte que l'esprit, mais comme l'un des mystères le plus sacrés. Pour la Kabbale hébraïque, tout véritable mariage est en effet une reproduction symbolique de l'union de Dieu avec la shekinah.

La doctrine chinoise des unions royales, enfin, mérite un aperçu. Outre celle qui est son épouse dans un sens éminent, le roi possède cent-vingt femmes. L'union avec chacune d'elles a une signification rituelle et obéit à un symbolisme précis. Les femmes royales sont divisées en quatre groupes, diversifiés tant par le nombre que par la valeur, en sens inverse : le groupe le plus nombreux est celui composé par les femmes jugées les moins nobles. Les femmes ne peuvent s'approcher du roi que pendant certaines nuits, à distance décroissante de celle de la pleine lune, en partant du groupe le plus nombreux et le plus extérieur, dont les femmes sont appelées durant les nuits presque noires, sans lune, pour arriver au dernier groupe, composé de trois femmes seulement, qui ont pour elles les deux nuits précédant la nuit sacrée de la pleine lune. Durant celle-ci, où, macrocosmiquement parlant, la lune nue dans toute sa lumière se trouve face au soleil, seule la reine reste face au roi, à l'Homme Unique, et ne fait qu'un avec lui. C'est l'idée d'une union qui, absolue lorsqu'elle se produit au centre, se répète sous une forme atténuée dans les degrés où le multiple l'emporte de plus en plus, où la dignité de féconder, en tant que force de l'Un, la matière, s'amenuise : comme autant de reflets de plus en plus conditionnés de ce qui est en acte dans la hiérogamie du couple royal, à travers un système de participation qui répète un modèle cosmique.

Julius Evola, « Métaphysique du sexe ».





dimanche, janvier 27, 2013

La véritable méditation selon Guendune Rinpoché



L'acteur James Coburn utilise une pseudo-méditation pour relaxer Animal, le batteur fou du Muppet Show. Le but de la véritable méditation est plus ambitieux.


Certaines personnes identifient la méditation à un état dans lequel l'esprit serait complètement « ailleurs » : le corps est maintenu rigide comme un morceau de bois, et l'esprit est figé dans une recherche d'ouverture et de clarté. Cette attitude, créée et maintenue artificiellement par la volonté et la tension, est erronée. D'autres personnes se concentrent sur la vacuité, essayant de « faire le vide », de produire une dimension spéciale de « vide » dans laquelle rien n'apparaît jamais, une sphère bienheureuse où l'on serait protégé de « tout » dans le « rien ». Bien entendu, ce vide n'a rien à voir avec la vacuité authentique, il n'est qu'une fabrication mentale. Certains méditants cherchent à calmer l'esprit en le faisant sombrer, en le tirant vers le bas. Ils tentent de faire disparaître l'agitation en confinant l'esprit, comme dans une boîte. Les énergies se resserrent alors au niveau du cœur, donnant l'impression que le calme est obtenu. Cependant, aucune luminosité ne se révèle, mais au contraire l'esprit est sombre et lourd et s'enfonce dans la torpeur et l'inconscience. Si l'on persiste dans cette voie, un véritable malaise s'installe, qui conduit à une irritation de plus en plus intense. Finalement, le refoulement est tellement intense qu'il explose en colère.

Toutes ces erreurs proviennent de la volonté d'enfermer l'esprit dans des représentations conceptuelles, de le réduire à l'une ou l'autre idée qui contrarie sa liberté et son espace naturel. Cela est la cause de toutes les perturbations et de toutes les souffrances rencontrées dans la méditation. Il est important que chaque méditant découvre et reconnaisse dans quel type d'erreur il tombe. En effet, ce n'est qu'une fois que nous avons vu clairement quelle erreur nous commettons, que nous pouvons nous en défaire. [...]

Pour pouvoir véritablement méditer, nous devons nous défaire de l'espoir que notre esprit puisse rester stable longtemps, et de la crainte qu'il devienne agité et envahi par les pensées. Acceptons le fait que, quel que soit l'état de l'esprit, c'est toujours l'esprit. Quand il est calme, c'est l'esprit. Quand il est agité et produit des pensées, c'est encore l'esprit. Et ce qui est conscient de ces différents états, c'est toujours l'esprit. Il n'y a donc aucun sens à établir une séparation artificielle entre l'esprit et les pensées, ou de préférer le calme au mouvement, car les deux sont également l'esprit. Il est vain de préférer l'un au détriment de l'autre. Alors, laissons simplement l'esprit reposer dans sa luminosité, sa radiance naturelle, sans interférer le moins du monde sur le mouvement des pensées. Reconnaissons que l'esprit est dépourvu d'apparition et de cessation : il est non né, sans commencement et sans fin, spontanéité pure. De ce fait, il est absurde de souhaiter ne connaître qu'une seule forme d'esprit, l'esprit calme, et de redouter de rencontrer l'esprit actif. Abandonnons l'espoir ou la crainte, et laissons l'esprit être ce qu'il est, tel qu'il est, naturellement libre, sans nous attacher à l'un ou l'autre de ses moments.

Il ne faut pas penser que méditer signifie essayer d'être meilleurs que nous ne le sommes actuellement, parce que nous ne faisons alors que nous laisser aller à l'espoir, et cette attente est vaine. Nous devons prendre conscience que la véritable nature de l'esprit est la nature de bouddha, et qu'il n'y a rien à chercher puisque cette dimension éveillée demeure déjà en nous. Pour cette raison, Tilopa, le grand maître indien, disait qu'il fallait être fou et ignorant pour chercher la bouddhéité à l'extérieur de soi. Certains développent beaucoup d'efforts pour chercher cette bouddhéité, et ils ne font que se fatiguer sans aucun résultat. Il faut reconnaître que la nature de bouddha est en nous, et qu'elle n'est pas quelque chose de différent de nous-mêmes, qui doit être produit ou créé. Il faut simplement la laisser se révéler. Cela ne s'accomplit que lorsque nous nous sommes défaits de toute forme d'attachement. Si nous laissons l'esprit se détendre, sans poursuivre aucune pensée ni aucun but, la véritable dimension de notre esprit, la nature de bouddha, se manifeste d'elle-même.

Lorsque nous commençons à méditer, nous avons souvent l'impression qu'il y a davantage de pensées et d'agitation mentale que lorsque nous ne méditions pas. Cette impression, commune à tous les pratiquants, est fausse. Du fait de la méditation, une plus grande conscience de l'état de l'esprit se développe. Notre esprit devenant plus clair, nous percevons à présent le mouvement des pensées qui nous échappait jusque-là. Dans l'état ordinaire, lorsqu'il ne médite pas, l'esprit est comme assoupi. Il n'est pas du tout conscient du flot incessant des pensées qui le traverse. Pour cette raison, la découverte de l'importance du flot mental dans la méditation n'est pas une faute en soi. C'est au contraire un progrès dû au développement de la méditation. Quelles que soient les pensées qui s'élèvent, regardons directement l'essence de chacune d'elles. Quand nous percevons leur essence, nous voyons l'essence de l'esprit, sa réalité, le dharmata , la dimension ultime, le dharmakaya. À chaque fois qu'une pensée survient, entraînons-nous à en reconnaître l'essence. Nous serons alors à même de découvrir le jeu incessant de l'esprit dharmakaya. Toutes les pensées qui vont et viennent ne sont plus réelles, mais sont le jeu de la créativité naturelle de l'esprit, l'expression spontanée de la réalité.

Lama Guendune, « Mahamoudra ».



Mahamoudra

Réservé traditionnellement à de rares disciples, traitant de la nature de l'esprit, de sa vacuité originelle qui n'est autre que le Bouddha lui-même, Mahamoudra ou « le Grand sceau » représente les enseignements ultimes du bouddhisme tibétain.

Nul mieux que Guendune Rinpoché, l'un des plus grands yogin et lamas tibétains de l'ancienne génération, n'était habilité à le communiquer à l'Occident. Ayant vécu en solitaire dans les grottes himalayennes pendant une vingtaine d'années, il avait la charge des retraites spirituelles, de la formation des lamas occidentaux et des sessions du Centre Dhagpo Kagyu Ling où venaient l'entendre ses disciples du monde entier.

Mahamoudra est exposé ici avec une simplicité et une profondeur incomparables. Un livre précieux qui montre comment ces enseignements peuvent s'intégrer au travaif de la conscience. Un traité qui aborde la méditation, les émotions, l'activité du mental avec une lumineuse inspiration.


samedi, janvier 26, 2013

La mort de Guendune Rinpoché




Cette vidéo présente le monastère Dhagpo Kundreul Ling, fondé par Guendune Rinpoché, où séjourna Marc Bosche. Elle tente de réveiller la générosité de donateurs de plus en plus rares.

"Que signifie réellement « méditer » ? Méditer, ce n'est pas créer un état spécial, se mettre en transe ou dans tout autre état artificiel. Ce n'est pas davantage rechercher des sensations, avoir des visions ou voir des formes ou des couleurs particulières. Méditer, c'est devenir conscient que, depuis des temps sans origine, notre esprit est prisonnier de l'attachement à ses perceptions, ce qui engendre frustration et souffrance en imposant à l'esprit des limites artificielles. Par la méditation nous apprenons à dégager l'esprit de ces limitations."

Lama Guendune Rinpoché (1918-1997)


LA MORT SANS EFFETS SPECIAUX DU MAITRE

Pour avoir rencontré nombre de maîtres asiatiques célèbres et leurs disciples, je n’ai pas trouvé, en dix-huit ans d’exploration, de « bouddha parfaitement illuminé ». Mais j’ai connu des personnes profondes, mystérieuses et dignes, comme ce lama aujourd’hui défunt. Un prêtre catholique qui l’avait connu me dit un jour en parlant de lui que c’était un « homme mirobolant »...

Pour avoir rencontré le « Très Précieux » (Guendune Rinpoché), trois jours avant sa mort, face à face, tous deux seuls quelques instants dans la pièce où il recevait ses visiteurs, j’ai mieux perçu le sens ambigu de ce mot : « mirobolant ». Le vieux lama, âgé de quatre-vingts ans, arrivait à la mort, seul et humain, peut-être au fond comme les autres.

Il fallut me rendre à cette évidence : ce moine sympathique et remarquable était fort semblable, dans son frémissement de désarroi, à ses frères humains lorsqu’il atteignait progressivement le moment de la mort...

J’ai alors rétrospectivement mieux compris qu’il avait aimé sa vie, ses biscuits Delacre « cigarettes russes », sa soupe d’os à la moelle que mitonnait son cuisinier personnel, et les dattes fourrées élégamment offertes par une disciple. Pourquoi pas : il aimait la vie...

Lorsque je le vis ce mardi, juste après sa première attaque, hélas décisive, je compris qu’il laissait son existence, après avoir été jusqu’au bout et sans rendre les armes à la mort. Il ne partait pas volontiers...

Je songe parfois qu’il me montra plus précisément la réalité de cette nature humaine, si fragile et si contradictoire. Mais, en revanche, il dissipa, par son exemple, la théorie « mirobolante » de la « bouddhéité ».

Si la bouddhéité est un concept pour l’exégèse et la catéchèse, un tel concept ne peut vraiment être un homme. Le détachement, le renoncement ? Pas tout à fait, me montra le « Très Précieux » en ces derniers instants : Plutôt la vie, aller jusqu’au bout, mais y aller... dignement. Il avait encore, à trois jours de sa mort, son attention profonde et bienveillante pour ses visiteurs. Il me montra son souci de répondre ainsi à leurs attentes, alors qu’il faisait déjà face à l’imminence de son départ.

Délicat, aimable et élégant, jusqu’au bout : le bilan de cette rencontre de neuf années avec ce Tibétain vénérable est donc bon, car j’ai abandonné, grâce à lui, le bouddha mythique des livres d’images.

Grâce à lui j’ai pu revenir vers la vie réelle avec appréciation. A l’issue de ce travail de recherche anthropologique, je n’ai pas eu de regret à troquer la robe rouge du moine novice pour un tee-shirt et un jean.

Il n’y eut pas la moindre pluie de fleurs, ni d’arcs-en-ciel, le jour de la crémation publique du vieux lama, sept semaines après le trépas, mais un temps très gris qui s’éclaircit vaguement. Le maître disparut sans corps d’arc-en-ciel, comme pour tout le monde, selon le principe de réalité et non celui de plaisir. Cependant, de son vivant, les disciples en retraite dans sa proximité, furent assez nombreux à évoquer des expériences spirituelles étonnantes, dignes des meilleurs « effets spéciaux ». D’autres soulignèrent que son influence avait eu un pouvoir transformateur sur leur vie, la rendant plus conforme à leurs aspirations et peut-être à leur nature.

Les « bouddhas vivants » sont rarement impassibles. Le surhomme doré, éthéré, souriant en permanence, assis sans fin à savourer la sagesse totale du cosmos est une statue ou une image, au mieux une vision...

Sans conflits, ni souffrances ? Cela existe sans doute dans les désirs des disciples, et aujourd’hui dans ces quelques grands films hollywoodiens où le maïs soufflé et l’esquimau géant sont incontournables pour accompagner le suspense des spectateurs. Alors le bouddha nimbé de surnaturels halos dorés vaincra-t-il l’armée des démons au pied de l’arbre de l’illumination ? Comme chacun le sait, la réalité quotidienne d’un humain est faite de toutes sortes de détails réalistes qui rendent quelque peu impraticable un tel « idéal » translucide et évanescent, en permanence... L’homme avec son corps, ses désirs, ses relations affectives, ses préférences est un défi à la sagesse, plus qu’une illustration de celle-ci.

Marc Bosche, « Le lama & l'anthropologue ».

Télécharger gratuitement « Le lama & l'anthropologue » :




vendredi, janvier 25, 2013

Du bouddhisme au néo bouddhisme





Quand le bouddha ne sourit plus, ou plus guère... C’est parfois l’impression qu’ont désormais les Occidentaux qui visitent certains « centres du Dharma » où s’affichent volontiers des images grimaçantes de « protecteurs courroucés », ou qui dans d’autres écoles encore, rencontrent des sympathisants au discours simplifié et formaté, comme sous influence d’une « langue de bois dharma » conditionnante.

Les années 80 encore expérimentales, où l’on picorait d’une école de méditation à l’autre, où l’on découvrait les maîtres asiatiques et où l’on s’amusait vraiment en vivant l’aventure spirituelle sont bien loin. C’était l’âge d’or du bouddhisme en Europe, ses années glorieuses, où l’on se prenait déjà à rêver de nirvana, voire à imaginer que son enfant serait la réincarnation d’un célèbre lama tibétain défunt, comme dans le scénario du film de Bertolucci « Little Buddha ». La déception, on le devine, a fait partie du chemin…

Mais les maîtres de sagesse âgés, expérimentés, car ayant été confrontés aux éléments naturels, à la pauvreté endémique, voire à l’épreuve de l’exil ont disparu. Cette génération solide et à l’esprit forgé à l’école de la vie, comptait encore de vrais ermites, des méditants raisonnablement détachés de l’argent et des biens matériels. Mais ces derniers se sont éteints, parfois récemment. Pour le seul bouddhisme de tradition tibétaine : Kalou Rinpoché, Pawo Rinpoché, Dilgo Khyentse rinpoché, Kempo Toubten, lama Guendune et Bokar Rinpoché pour ne citer que quelques exemples non exhaustifs sur le territoire français. [...]

La relève est-elle vraiment assurée ? Chacun répondra à sa manière, sans doute. Les nouveaux maîtres nous ressemblent beaucoup, et parfois jusqu’à la caricature... Avec lunettes de soleil, voyages en classe affaire, séjours dans les hôtels cinq étoiles et carte American Express Gold… Certains ne peuvent plus nous faire croire désormais qu’ils sont des ermites illuminés sortant de leur grotte. D’autres sont devenus des experts du marketing spirituel et de sa jet-set internationale. D’autres encore s’affichent sur leur blog au guidon d’une Harley Davidson, comme ce moine, supérieur d’une congrégation religieuse européenne.

Les communautés changent rapidement pour fédérer les disciples. En l’absence d’exemples rassurants, de vrais guides de vie, d’exemplarité vivante et quotidienne, certains des sympathisants les mieux informés désertent aujourd’hui leurs enceintes devenues vides de l’ancienne sagesse. Beaucoup des anciens, les plus expérimentés, l’ont déjà fait, discrètement et sans commentaires. Dans cette désaffection, la tentation pour des communautés est devenue très forte de restructurer le bouddhisme comme une idéologie, comme une rhétorique, afin de rencontrer le marché émergent des adeptes des nouveaux mouvements religieux, c'est-à-dire un public moins informé, plus crédule et en recherche d’une autorité plus que d’une découverte personnelle. Les écoles de ce « néo bouddhisme » pêchent aujourd’hui les adeptes sur le même marché que les sectes, celui de la soumission à l’autorité.

Définition

Le néo bouddhisme peut se définir ainsi : il est de moins en moins cette sapience ressourcée au cœur de l’individu qu’aspire à être le bouddhisme. Mais il est de plus en plus pratiqué comme une discipline de groupe, un conditionnement collectif, afin de proposer aux nouveaux adeptes, à défaut de spiritualité paisible, individualisée et unique, des effets spéciaux et la suggestion que permettent les synergies collectives au cours de rituels répétitifs ou d’intenses réunions de fidèles.

Bien entendu on ne connaît pas précisément l’efficience, ni les rouages subtils de ces effets de groupe. En revanche on peut supposer que s’ils sont spécifiques, ils ont aussi sans doute des points communs avec les effets constatés dans d’autres groupes, profanes cette fois, que ce soit au théâtre, dans les meetings politiques, les stades, les concerts… pour ne donner que quelques exemples qui nous sont familiers en Occident. Bref, le néo bouddhisme sait utiliser la psychologie des groupes, et a réussi l’exploit de faire de la sagesse à peine austère qu’est le bouddhisme des spectacles vivants, des « shows spirituels », afin d’attirer et de séduire.

Notre hypothèse est que le néo bouddhisme est en réalité une industrie, une industrie du virtuel pourrait-on écrire. Elle serait régie par des lois économiques plutôt que morales ou spirituelles. Elle mettrait en œuvre une technologie de l’assujettissement des personnes au travers d’un système de moyens subtils, issus d’une antique expérience religieuse bouddhiste mais aussi tantrique. Cette sujétion passerait par des effets spéciaux agréables. Elle rendrait les adeptes dépendants de sensations psychosomatiques souveraines, obtenues par d’intenses répétitions rituelles, mais aussi au contact de ces groupes, de leurs figures d’autorité et de leurs mises en scène spirituelles.

Le bouddhisme n’a pas toujours été un spectacle

Evoquons en quelques mots un exemple parmi ces anciennes expériences religieuses sur lesquelles se basent diverses formes de néo bouddhisme : le bouddhisme de tradition himalayenne, un tantrisme bouddhique.

Par le passé, certains parmi les yogis les plus expérimentés pouvaient harnacher le pouvoir des techniques de subjugation et de séduction du tantrisme bouddhique. Parce qu’ils avaient éprouvé les limites de la vie, en frôlant parfois la mort, parce qu’ils connaissaient les conditions d’ascèse prolongée, et qu’ils avaient reçu dans une continuité culturelle au Tibet une éducation austère et de qualité, certains de ces hommes étaient capables de maintenir les méthodes et les systèmes du tantrisme dans une éthique et une compréhension correctes.

Plusieurs de ces lamas, souvent choisis par leur propre maître, eurent la possibilité de venir en Occident depuis l’exil, après l’occupation chinoise de la région autonome du Tibet. Ce sont ces ambassadeurs, choisis souvent pour leurs qualités et non par leur naissance, qui ont fondé le tantrisme bouddhique en Europe. Et c’est l’exceptionnel rayonnement de leur exemple qui a attiré les premiers disciples européens et dissipé les doutes.

Mais le temps a passé, trois décennies environ, ces maîtres sont morts depuis. Il n’existe plus aujourd’hui les mêmes conditions éducatives ou environnementales pour l’éducation de tels enseignants capables de contenir les excès de pouvoir et de fascination auxquels peut encourager un système cultuel basé sur la libération des forces pulsionnelles d’Eros et de Thanatos.

Ayant vécu dans des cavernes d’altitude, dans le froid, le vent, mais aussi dans la chaleur, la faim et la soif, plusieurs de ces yogis étaient en quelque sorte allés au-delà de la fascination et des limitations des pulsions de vie et de mort. Ils avaient littéralement usé toute ambition personnelle sur le roc. Leur initiation n’était pas de celles qu’on obtient seulement dans un temple en étant touché par les mains d’un instructeur ou par l’un de ses objets rituels. Leur « initiation » à la vie était terriblement réelle, car elle avait été à certains moments de leur existence la rencontre prolongée avec la conscience, l’amour, le mystère, la transcendance et la mort dans une totale solitude.

Dans ce sens le Tibet était un sanctuaire où ces expériences avaient pu être maintenues, transmises et pratiquées de génération en génération. Mais aujourd’hui, comme nous l’avons écrit plus haut, ces maîtres, du moins en Occident, on disparu. Ces environnements propices à la transmission ne sont plus là. Ces grandes familles spirituelles et leur savoir faire éducatif se sont dispersées, leurs lignages se sont fractionnés, parfois au sein de querelles intestines schismatiques. En l’absence des derniers maîtres du tantrisme bouddhique, ce qui pouvait être au Tibet une voie d’expérimentation, voire de sagesse, risque en Occident de connaître des dérives, dans le vide d’autorité morale qu’a laissé leur disparition…

Du bouddhisme au néo bouddhisme

Quelles déviances risquent alors de se produire dans le cadre cultuel de certaines traditions néo bouddhiques ?

Voici une image très imparfaite pour introduire notre propos : on peut utiliser la connaissance de la physique nucléaire pour produire de l’électricité dans une centrale, ou pour produire avec le matériau radioactif une bombe atomique. Certaines installations d’enrichissement, certaines connaissances et certains laboratoires peuvent être nécessaires aux deux démarches sans qu’on puisse décider s’ils serviront ensuite à une centrale productrice d’énergie ou à une redoutable arme de destruction massive.

Ainsi certains yogis de l’ancienne génération du tantrisme bouddhique ont-ils laissé en Occident des éléments culturels et cultuels profonds qu’ils avaient utilisés pour faire le bien autour d’eux. Conscients de la puissance de leurs méthodes, ils n’en avaient pas fait usage pour s’enrichir ou pour dominer. Mais ce qu’ils ont laissé aux disciples, un peu comme une installation d’enrichissement d’uranium, peut servir aussi dans d’autres directions. Et c’est seulement le niveau d’éthique et d’éducation de ceux qui en ont reçu la transmission qui fera la différence.

Mais quel est donc cet héritage profond du bouddhisme himalayen, qui tel un Janus à deux visages, peut être bienfaisant ou nocif, selon l’éthique de ceux qui le pratiquent ? C’est en un mot l’émotion spirituelle. Les techniques du tantrisme bouddhique explorent la libération de l’émotion dans sa nature profonde à l’aide de techniques de visualisations, mais aussi de récitation et de contemplation. Mais si l’émotion spirituelle peut ainsi être libérée et devenir une expérience de sagesse, les mêmes outils de visualisations peuvent aussi l’utiliser pour tenter de rendre efficientes ses émotions ou de manipuler celles des autres.

Par exemple se visualiser comme un protecteur courroucé du panthéon tantrique donne une sorte d’impression d’imperturbabilité. Le lama peut s’en servir face à un disciple agité pour ne pas se laisser entraîner par les émotions conflictuelles de ce dernier et pour ainsi mieux l’accompagner sans se laisser envahir par les perturbations qui agitent l’esprit du disciple. C’est un usage acceptable. Mais la même visualisation de soi comme un protecteur courroucé peut être utilisé de manières très différentes : en imposer aux autres, tenter de les dominer, voire imaginer lacérer l’autre à coups de hachoir, puisque cette visualisation comporte le maniement d’un tel attribut !

On le voit les pires visualisations sont possibles, et nul doute que depuis des siècles tout ou presque a déjà été essayé... Et seule l’éthique, l’éducation et l’expérience de celui qui pratique ces méthodes feront la différence. Mais ceci n’est qu’un modeste exemple destiné à suggérer que, vidée de son éthique, de son expérience et de son éducation, la pratique du tantrisme bouddhique sans ses meilleurs yogis peut être le support de nombreux dérapages néo bouddhistes. En voici quelques-uns :

La clef du néo bouddhisme est de susciter une émotion spirituelle, une sensation très recherchée par les Occidentaux en mal de spiritualité. Les nouveaux adeptes prennent ce transport agréable pour une sorte de preuve de l’efficacité spirituelle de cette voie. L’émotion spirituelle peut être ainsi produite par le groupe mais elle ne cesse pas pour autant lorsque le disciple rentre chez lui. Là, lorsque la personne est loin du temple, la répétition de prières et de formules convenues prend le relais de la présence physique communautaire et de ses figures d’autorité. L’adhésion des disciples est intensifiée à dessein en faisant de sa dévotion au(x) gourou(s) de l’institution une des bases de son nouveau lien social. C'est-à-dire qu’il est offert au disciple de se dédier à tout instant, mentalement, émotionnellement et activement au maître et à ses assesseurs, en affirmant que ce sacrifice (appelé « offrande corps, parole, esprit » dans certaines écoles) est indispensable à l’apprentissage de la pratique du bouddhisme.

La perte de l’ancien lien social de maître à disciple

Quand les figures dévotionnelles étaient d’humbles moines à la vie simple et à l’éthique austère, ce don de soi pouvait sans doute être envisagé comme un engagement profond de leurs quelques disciples. Mais aujourd’hui avec des « maîtres » qui sont devenus pour certains, en quelque sorte, des businessmen du Dharma, menant la vie internationale des hommes d’affaires ou des politiques - carte gold, classe affaire et suites dans des hôtels cinq étoiles - ce sacrifice du corps, de la parole et de l’esprit de leurs très nombreux disciples dispersés dans le monde entier a perdu son sens ancien. Mais de plus il peut être risqué et décevant pour ces derniers. La tentation de fédérer les milliers d’adeptes en exigeant d’eux ce don de soi total est devenu irrésistible pour des gourous qui veulent aller vite, convertir, augmenter leur part du marché spirituel, voire se mesurer parfois avec une branche concurrente de leur propre lignage schismatique.

Car c’est la notion même de « relation de maître à disciple » qui s’est ainsi dévoyée : les nouveaux disciples ne voient leur maître que rarement, une fois par an peut-être, parfois moins encore, au gré de ses villégiatures par avion, ne le connaissent pas intimement, doivent jouer des coudes parmi des centaines d’autres disciples pour lui dire quelques mots… Sur les plateaux du Tibet, jusqu’au dix-neuvième siècle, le maître vivait le plus souvent dans la proximité de ses disciples, parfois juste quelques personnes plus jeunes, des familiers en somme, qui à son contact pouvaient apprendre, deviner, comprendre et établir une relation humaine avec lui sur la durée. Et il fallait compter alors en années, voire en décennies, pour envisager cette rencontre progressive avec l’instructeur.

Ainsi le néo bouddhisme a gardé les apparences anciennes du bouddhisme, mais la substance de l’apprentissage a été dévoyée pour se conformer à l’ère globale de la consommation de masse de loisirs spirituels.

Pour faire taire les critiques à cet égard, l’esprit d’analyse et le doute, portés tant sur soi-même que sur les cadres de l’organisation, sont découragés explicitement. Le disciple doit renoncer à évaluer l’outillage comportemental qu’il est invité à adopter, ainsi que le comportement éthique des dirigeants de l’institution, pour être un bon adepte. Il ne lui est ainsi plus laissé aucune chance de déjouer l’efficacité du système cultuel en entonnoir mis en place au niveau tant collectif qu’individuel.

Pour ceux des disciples qui adoptent intimement cet arsenal comportemental, c’est souvent le début d’une nouvelle addiction subtile, un nouvel habitus dont ils auront plus de mal à se passer que de la cigarette, du tétra-hydro-cannabinol, des médicaments psychotropes ou de l’alcool.

(Note : On note d’ailleurs dans cette nouvelle génération d’adeptes que certains consomment aussi du cannabis, cumulant ces deux addictions, en complète contradiction avec l’enseignement bouddhiste. Ainsi la toxicodépendance se cumule parfois avec la dépendance à tel ou tel culte néo bouddhiste. Quant à l’alcool il est souvent utilisé pour accrocher les fidèles aux rituels collectifs d’offrande, les « tsok », où il est parfois distribué en abondance...)

Mais revenons à cette néo culture de l’émotion spirituelle. La création et l’entretien de leur nouvelle dépendance s’accomplissent et se prolongent alors pour les adeptes par des programmes préétablis de conditionnement et de renforcement, par le rabâchage de mantras ou de formules dévotionnelles, par l’intensité de visualisations, ou par des séries interminables de préliminaires comportant par exemple plusieurs centaines de milliers de répétitions et visualisations synchronisées.

Bref, un effacement de la volonté individuelle et une clôture rapide de l’inconscient sont proposés comme la voie. Ces outils comportementaux peuvent en effet être aussi conditionnants que pacificateurs, selon le contexte et les conditions dans lesquels ils sont mis en œuvre.

Pris dans toutes ses nouvelles obligations rituelles, dévotionnelles, cultuelles, il ne reste désormais plus beaucoup de temps au disciple pour méditer, pour établir des relations saines avec ses semblables, pour se consacrer aux autres dans sa vie quotidienne, ni encore moins pour établir la tranquillité intérieure naturelle. Bref, au nom du bouddhisme, au nom de sa liberté naturelle de l’esprit, le néo bouddhisme a substitué une emprise

Et l’ironie est que ce nouveau joug organisationnel et cultuel est volontaire. Il est donc d’autant plus difficile à ôter que l’adepte est invité ainsi à devenir le geôlier, tant de ses condisciples que de lui-même.

Promiscuité et clôture de l’inconscient

Le bouddhisme est au départ un chemin individuel d’émancipation et d’autonomie, c’est du moins de cette manière que son initiateur le bouddha Sakyamuni l’a vécu et proposé. Les moines de son temps chérissaient ce qu’ils appelaient « l’idéale solitude » pour pratiquer la méditation. Les lieux qui étaient utilisés étaient généralement des espaces libres, voire des lieux déserts, que ce soit au pied d’un arbre, sur une meule de foin ou de paille, dans une anfractuosité du rocher ou dans la forêt primaire… Faire du bouddhisme une sorte de conditionnement intensif par la répétition rituelle, ou le baser sur les effets d’une uniformisation collective et sur la prégnance du groupe, c’est exactement inverser le sens de sa pratique.

« Ermitage collectif » : un oxymore aujourd’hui

Ainsi dans cet ermitage payant récemment construit près d’un monastère à l’intention des salariés et des personnes issues de la société civile, on a resserré les chambres les unes contre les autres, disposé deux lits par chambre, et l’isolation acoustique a été négligée. Résultat : on a affaire davantage à une sorte de colonie de vacances ou d’internat qu’à un vrai ermitage permettant l’expérience autonome de la spiritualité.

Mais en serrant les adeptes les uns contre les autres, une communauté néo bouddhiste atteint plusieurs objectifs. Elle prétend « faire travailler les personnes sur leurs ego » grâce à la friction que cette promiscuité engendre. Mais en réalité elle conditionne plus efficacement, elle essaye d’estomper les caractéristiques distinctives des énergies individuelles. Elle ôte l’espace et la
distance qui permettraient à chacun de disposer de tout son libre arbitre. Elle contrôle mieux ses ouailles et elle les transforme rapidement à son image et à sa ressemblance.

Marc Bosche

Télécharger gratuitement le livre de Marc Bosche « Néo Boudhisme. Quand le Bouddha ne sourit plus. Perversion du lien & crispations communautaires » :

jeudi, janvier 24, 2013

Comment devenir riche et sexy




Pour plaire aux femmes et s'enrichir facilement, il faut avoir le culot du démarcheur à domicile ou du bonimenteur de foires et être intarissable sur la vie éternelle, les pouvoirs merveilleux, les délices de la nouvelle ère et ne pas oublier de parler de sexe et d'argent.

Neale Donald Walsch, auteur de « Conversations avec Dieu », est rapidement devenu multimillionnaire en faisant dire au Créateur tout ce que les gens aiment entendre en matière de spiritualité.

Question de Neale Donald Walsch à Dieu :

La réincarnation existe-t-elle ? Combien de vies antérieures est-ce que j'ai eues ? De quoi étaient-elles faites ? La « dette karmique » est-elle une réalité ?

Réponse de Dieu :

Il est difficile de croire qu'il reste un doute à ce propos. Je trouve cela difficile à imaginer. Il y a eu tant de rapports, provenant de sources tout à fait fiables, d'expériences de vies passées. Certaines de ces personnes ont rapporté des descriptions fortement détaillées d'événements et des données complètement vérifiables qui éliminent toute possibilité de falsification ou de tentative de tromper les chercheurs et les proches.

Tu as eu 647 vies passées, puisque tu insistes sur l'exactitude. C'est ta 648e. Tu as tout été au cours de ces vies : un roi, une reine, un serf, un guerrier, un pacifiste, un héros, un lâche, un tueur, un sauveur, un sage, un fou. Tu as tout été ! Non, il n'y a pas de dette karmique, pas au sens où tu l'entends dans cette question. Une dette est quelque chose qui doit ou devrait être remboursée. Tu n'as aucune obligation. Mais il y a des choses que tu veux faire, choisir de ressentir. Et certains de ces choix dépendent de (leur désir a été créé par) ce que tu as ressenti auparavant.

C'est ce qu'on peut exprimer de plus juste, en paroles, sur cette chose que vous appelez karma.

Si le karma est le désir inné d'être meilleur, d'être plus grand, d'évoluer et de grandir, de considérer les événements et expériences du passé comme une mesure de cela, alors, oui, le karma existe.

Mais il n'exige rien. Rien n'est jamais requis. Tu es et as toujours été un être de libre choix.

Neale Donald Walsch :

Je me sens parfois très clairvoyant. Est-ce qu'on peut être clairvoyant ? Est-ce que je le suis ? Les gens qui prétendent être clairvoyants ont-ils fait un « pacte avec le diable » ?

Dieu :

Oui, on peut être clairvoyant. Tu l'es. Tout le monde l'est. Il n'y a pas une personne qui n'ait ce que vous appelez la capacité de clairvoyance ; il n'y a que des gens qui ne s'en servent pas.

Utiliser la capacité de clairvoyance ce n'est rien d'autre qu'utiliser ton sixième sens.

De toute évidence, ce n'est pas un « pacte avec le diable » sinon Je ne vous aurais pas donné ce sens. Et, bien sûr, il n'y a pas de diable avec qui faire un pacte.

Un jour, peut-être dans le Livre deux, Je t'expliquerai exactement comment fonctionnent l'énergie et la capacité de clairvoyance.

Neale Donald Walsch :

Il va y avoir un Livre deux ?

Dieu :

Oui. Mais terminons d'abord celui-ci. [...]

Neale Donald Walsch :

Le sexe est-il une bonne chose ? Allons, quelle est la vérité qui se cache derrière cette expérience humaine ? Le sexe est-il purement destiné à la procréation, comme le disent certaines religions ? Est-ce qu'on atteint la sainteté véritable et l'illumination par le reniement ou la transmutation de l'énergie sexuelle ? Est-il correct de faire l'amour sans amour ? La seule sensation physique est-elle une raison suffisante ?

Dieu :

Bien sûr, le sexe est « une bonne chose ». Encore là, si Je n'avais pas voulu que vous jouiez certains jeux, Je ne vous aurais pas donné les jouets. Donnez-vous à vos enfants des choses avec lesquelles vous ne voulez pas les voir jouer ? Jouez avec le sexe. Jouez avec ! C'est un plaisir merveilleux. Eh, c'est à peu près le plus grand plaisir que vous puissiez avoir avec votre corps, si vous parlez d'expériences strictement physiques.

Mais, pour l'amour du ciel, ne détruisez pas l'innocence et le plaisir sexuels, la pureté du plaisir, la joie, par un mauvais usage du sexe. Ne l'utilisez pas pour le pouvoir ou dans un but caché, pour une gratification de l'ego ou pour la domination, pour aucun autre but que la joie la plus pure et l'extase la plus élevée, dans le don et le partage — c'est-à-dire l'amour et l'amour recréé — qui sont la vie nouvelle ! N'ai-Je pas choisi une délicieuse façon de prendre de l'expansion ?

Pour ce qui est du reniement, J'en ai déjà parlé. Rien de sacré n'a jamais été atteint par le reniement. Mais les désirs changent à mesure qu'on saisit des réalités encore plus grandes. Par conséquent, il n'est pas rare que les gens désirent tout simplement moins, ou ne désirent pas du tout, d'activité sexuelle — ou même, toute activité corporelle. Pour certains, les activités de l'âme deviennent prépondérantes — et de loin les plus agréables.

Chacun ses goûts, sans jugement : voilà le slogan.

Voici la réponse à la fin de ta question : tu n'as besoin d'aucune raison pour quoi que ce soit. Sois tout simplement la cause. [Jeu de mots intraduisible: « Just be cause » = « Parce que... » (N.d.T.)]
Sois la cause de ton expérience...

Le premier tome du livre de Neale Donald Walsch, 




mercredi, janvier 23, 2013

Aristote, reviens, ils sont devenus fous !




Le bonheur, quoi qu'on dise, est la grande affaire de notre vie. Une petite enquête le montrerait aisément. Interrogeons les gens alors qu'ils courent au travail, flânent sur les boulevards, ou prennent un verre au café, et demandons-leur : « Que cherchez-vous dans la vie ? » Peut-être les uns diraient-ils : « Réussir au travail, avoir une promotion » ; d'autres répondraient : «Me marier, fonder une famille » ou « Vivre en paix, sans conflits », « Obtenir une augmentation de salaire, prendre des vacances au soleil, m'amuser avec mes amis ». Poursuivons l'interrogation : « Pourquoi voulez-vous réussir, obtenir une augmentation de salaire, fonder une famille, passer de bonnes vacances... ? » Sans doute leur réponse serait-elle : « Parce que alors je serai heureux. »

Être heureux, connaître le bonheur, c'est le grand désir de chaque homme, de chaque femme. Peut-être différons-nous quant aux moyens d'atteindre ce bonheur, mais nous cherchons tous à être heureux. C'est là notre grande attente.

Entraînés par la vie et nos activités diverses, il est vrai que nous ne nous posons pas souvent la question : « Pourquoi est-ce que je fais cela, qu'est-ce que je cherche ? » C'est pourtant la question incontournable du sens de la vie. Dès que nous nous posons à nous-même cette question, nous commençons à philosopher.

Pour quoi l'être humain est-il fait ? Pour quel bonheur ? C'est la question que posaient les philosophes grecs, c'est la question du peuple juif, c'est la question centrale des Béatitudes du message de Jésus, c'est la question qui habite le cœur des hommes et des femmes de tout temps, de toute origine, de toute race et de toute religion. C'est la question éternelle de l'être humain.

Aristote est l'un des grands témoins de cette recherche du bonheur. Il a réfléchi non pas en idéologue, mais à partir des faits humains et de sa propre expérience. C'est ainsi qu'il a été amené à proposer une morale du bonheur, pour aider l'homme à voir clair en lui-même et à trouver son propre accomplissement. C'était il y a 2 400 ans, mais sa réflexion traverse les siècles et nous rejoint encore aujourd'hui.

Aristote croit à l'intelligence humaine. Il est convaincu que ce qui distingue l'être humain de l'animal c'est cette capacité de réfléchir, de connaître et d'interroger la réalité, de faire des choix, d'orienter sa vie dans telle ou telle direction. Il n'admet pas que nous ne soyons que des faisceaux de désirs ou d'impulsions déjà prédestinés. Il pense que chacun est plus ou moins maître de sa vie et de son destin.

Mais Aristote ne cherche pas à répéter des axiomes moraux ni seulement à inciter, d'une manière extérieure, les gens à être justes, à rechercher la vérité et à obéir aux lois. Il veut poser les fondements d'une science morale en réfléchissant à partir des désirs profonds de l'être humain. Sa question fondamentale est : « Que voulons-nous vraiment ? » et non : « Que devons-nous faire ? » Sa morale n'est pas une morale de la loi, mais une morale qui scrute les inclinations les plus profondes de l'homme pour les porter à leur épanouissement le plus ultime.

La morale d'Aristote se fonde alors non sur une idée, mais sur ce désir de plénitude inscrit dans chaque être humain. La morale d'Aristote demande un travail sur soi. On pourrait être déçu qu'elle ne donne pas tout de suite les repères que nous cherchons pour agir, ou les valeurs qu'on attendrait qu'une morale énonce. Mais Aristote nous invite à chercher et à discerner des repères à l'intérieur de nous-même. « Quel est ton désir le plus profond, caché peut-être derrière des désirs plus superficiels ? » À nous de creuser.

La pensée d'Aristote n'est pas sans lacunes [...]. On lui reproche souvent de s'accommoder fort bien de l'esclavage et de la place subalterne de la femme. Considérons à sa décharge que presque deux millénaires et demi nous séparent de lui. Depuis, il y a eu la naissance du christianisme, l'émergence des grandes villes, toutes les découvertes scientifiques, une évolution extraordinaire dans la façon de vivre des hommes et des femmes. Tout cela a conduit les êtres humains à découvrir des choses nouvelles sur eux-mêmes et sur la place de l'homme et de la femme. La femme n'est plus, comme au temps d'Aristote, à une époque où la mortalité infantile était grande, complètement liée à la tâche de donner naissance à des enfants, et de veiller sur sa maisonnée. Les femmes peuvent maintenant prendre davantage leur place dans la vie sociale, sans pour autant négliger leur rôle de mère.

S'il y a des lacunes dans la pensée d'Aristote, il y a également des valeurs importantes : son souci d'être à l'écoute de la réalité humaine dans son intégralité et de ne pas créer une morale idéologique. Sa morale intègre les dimensions du corps et de l'affectivité, et celle du plaisir. Elle fait une large place à l'amitié, car Aristote est persuadé qu'on ne peut pas être heureux tout seul. « Sans amis, personne ne choisirait de vivre ». Plus largement, le bonheur a une dimension sociale ou citoyenne. L'homme qui veut être pleinement humain ne peut rester étranger à la vie de la cité.

Jean Vanier


Le goût du bonheur

Entraînés par le tourbillon de nos activités quotidiennes, nous prenons rarement le temps de nous poser la question incontournable du sens de la vie. Pourtant, revenu des fausses promesses du modernisme et des idéologies du passé, l'homme du XXIe siècle continue de croire au bonheur. Jean Vanier s'interroge sur les fondements d'une morale apte à répondre à cette quête contemporaine. Ayant découvert, aux côtés des personnes ayant un handicap mental, combien nos sociétés sont divisées, il nous invite à relire d'un œil neuf les propos visionnaires d'un grand sage de l'Antiquité. De tous les Grecs, Aristote est sans doute celui qui a mené avec la plus grande profondeur humaine la réflexion sur le bonheur. Plaisir, amitié, recherche de la vérité et de l'amour sont pour lui autant d'éléments qui y concourent. Dévoilant le lien qui unit morale, psychologie et spiritualité, ce livre ouvre des pistes de réflexion pour aider l'homme d'aujourd'hui à trouver un sens à sa vie, c'est-à-dire à voir clair en lui-même et à faire le meilleur usage de sa liberté.


Cliquer sur la vignette pour feuilleter le livre.

Télécharger gratuitement « Politique » d'Aristote :




mardi, janvier 22, 2013

Le premier abattoir exclusivement rituel d'Europe





Le premier abattoir exclusivement rituel d'Europe sera construit dans le Limousin, à Guéret (23), avec des financements publics.

En Creuse, le collectif  N.A.R.G. dénonce les manœuvres d'une clique politico-affairiste qui sait parfaitement emberlificoter les citoyens pour faire du profit. Car la viande halal/casher représente un marché important pour le puissant lobby qui est parvenu à faire disparaître l'étourdissement préalable des animaux destinés à l'alimentation des musulmans et des juifs. Or rien, dans les textes sacrés, ne s'oppose à l'insensibilisation des animaux au moment de leur mise à mort. Les autorités françaises ont choisi le camp des intégristes bornés et cruels qui sont insensibles à la souffrance animale. L'agonie des animaux égorgés dure entre 10 et 14 minutes.

Un ministre français s'était même ouvertement opposé aux parlementaires européens qui souhaitaient instaurer un étiquetage visant à informer le consommateur sur les conditions d'abattage. Il déclara aux autorités juives : « Vous pouvez compter sur ma mobilisation et celle des députés français au Parlement européen pour que le projet n'aboutisse pas » (Brice Hortefeux). Un tel zèle est inacceptable de la part d'un ministre de la République laïque. 


Collectif  N.A.R.G.

lundi, janvier 21, 2013

Identité et chamanisme des Sioux




Danièle Vazeilles, professeur d'ethnologie à l'université Paul Valéry-Montpellier III, a séjourné à plusieurs reprises dans des réserves sioux.

Quelle identité ?

« Il ressortait de mon travail, explique Danièle Vazeilles, que les Sioux, entre 1969 et 1973, ont vécu une période critique de leur vie. En effet, les deux premières années de mon séjour chez eux, je constatai qu'ils faisaient montre d'une attitude très négative envers eux-mêmes. Cette auto-dépréciation de leur identité ethnique et culturelle était due à la manière dont ils ont été perçus et traités par la société euro-américaine globale et par certains métis ayant des postes d'autorité dans les gouvernements tribaux. Les Euro-Américains leur ont toujours imposé une identité caractérisée par des attributs négatifs : « sauvages sanguinaires, arriérés, sales, paresseux, sans religion, superstitieux, quasi analphabètes, etc. ».

Cette intériorisation négative de soi-même et de son groupe a engendré une culture de refoulement caractéristique des réserves nord-américaines et d'une volonté d'en échapper en abandonnant tout pour changer, non de classe sociale, mais plutôt de « race sociale », d'où révoltes et rébellions armées, résistance passive, mouvements messianiques. Ces mouvements de révolte et de contestation du passé ont souvent conduit les Indiens à l'échec. Mais ces différentes formes de résistance ont néanmoins entretenu une mémoire collective tribale et pan-indienne. C'est cette mémoire collective traditionaliste qui a contribué à la continuation des valeurs indiennes, au maintien, d'une part d'une conscience ethnique, tribale et culturelle, et d'autre part à la formation d'une conscience pan-indienne.

Mais, répétons-le, et les Indiens eux-mêmes en sont conscients, les sociétés indiennes nord-américaines sont toujours très menacées. Elles peuvent espérer se défendre grâce à des rencontres et à des échanges à l'échelon continental et international au nom d'une solidarité pan-indigène. Les sociétés amérindiennes revendiquent leur spécificité ethnique, tribale ou culturelle. Le père du tribalisme amérindien est sans aucun doute l'écrivain et polémiste sioux Vine Deloria, Jr., auteur de « Custer Died for Your Sins : an Indian Manifesto et de God Is Red ». Si les anthropologues ont toujours quelques hésitations avant d'utiliser le terme « tribu », il n'en est pas de même dans l'optique populaire nord-américaine et en particulier indienne. Vine Deloria croit que si la société américaine globale « peut s'en sortir », ce sera en écoutant les « peuples tribaux » (tribal people). Selon lui, et les Indiens en général partagent cette opinion, une société tribale est une entité chaleureuse et humaine, qui contraste vivement avec les froides bureaucraties commerciales que sont les sociétés occidentales. Pour la conscience populaire amérindienne, une tribu est une population unie qui « parle le même langage », au sens le plus large du terme, qui fait remonter sa généalogie à des ancêtres communs, qui partage la même économie fondée sur l'entraide, et surtout qui participe à la même religion, celle des Ancêtres.

Cette prise de conscience de leur indianité tribale et pan-indienne est une expression politique, mais surtout un processus social dynamique qu'il appartient aux Indiens de définir Les divers mouvements indiens ne s'y sont pas trompés. Ils visent tous à revaloriser leurs cultures dépréciées pendant si longtemps ; ils cherchent aussi à relancer la pratique des langues amérindiennes. En ce qui concerne les Sioux, ce dernier effort n'a eu à notre avis que relativement peu de succès et peu de résultats pratiques dans les réserves et les quartiers sioux des villes du Dakota du Sud. Le lakota est un langage très différent de la langue anglaise, tant du point de vue de la syntaxe que de la prononciation. Et les jeunes Sioux, trop préoccupés de leur bien-être immédiat et de leur appartenance pan-indienne, refusent de faire les efforts continus nécessaires pour acquérir la pratique quotidienne de la langue parlée de leurs ancêtres. Et pourtant, d'après les Sioux âgés, la langue sioux encore parlée actuellement s'est simplifiée et est devenue nettement moins gutturale.

Le deuxième point important de ces revendications actuelles est la préservation des terres des réserves et éventuellement la récupération d'une partie des terres perdues. Les associations indiennes s'efforcent donc de persuader le gouvernement fédéral de maintenir le système des réserves, et de continuer à fournir des aides financières et techniques pour permettre éventuellement d'arriver à un réel état d'autonomie interne dans les réserves. Or, malheureusement, il est bien évident que le gouvernement américain actuel pencherait pour l'optique inverse. [...]

Les Indiens de l'Amérique du Nord, et tout particulièrement les Sioux, sont conscients que, pour préserver leur identité, il leur faut être très vigilants. Ils ne veulent plus accepter les schémas proposés par les gouvernements fédéraux successifs, schémas constamment fondés sur une politique d'assimilation qu'ils rejettent. Par ailleurs, au niveau idéologique pan-indien, de nombreux Indiens se sont rendu compte, depuis qu'ils font partie des instances internationales, qu'il leur faut aussi se méfier des schémas proposés par les appareils de gauche souvent inadaptés parce que trop pragmatiques. C'est aussi un des constats établis par les chercheurs du « Centre interdisciplinaire d'études latino-américaines » de Toulouse dans leur ouvrage collectif, « Indianité, ethnocide, indigénisme en Amérique latine » (C.N.R.S.).

Pour préserver leur identité culturelle et tribale, les Sioux ont opté pour l'utilisation, en les réinterprétant quelque peu, de certaines formes d'organisation traditionnelle et surtout des croyances religieuses de type chamanique [...].

Chamanisme

Si nous définissons comme visionnaire quiconque a eu des visions à l'état de veille ou en rêve, on peut dire que les Sioux ont été un peuple de visionnaires acharnés, à tel point qu'il est difficile de repérer ceux dont les fonctions et les pouvoirs peuvent être qualifiés de chamaniques.

En effet, jusqu'au 19ème siècle, vers l'âge de dix ans, les garçons devaient participer à leur première quête des visions en jeûnant et en priant. De leur côté, les filles pouvaient entrer en contact avec le surnaturel pendant leur période de retraite solitaire (isnati) au moment de leurs menstruations. Par la suite, tous les individus sioux avaient la possibilité de solliciter directement les Esprits, au cours de rituels précis, quêtes des visions (hanbleceya), loge à transpirer (inipi), Danse du Soleil, pour résoudre leurs problèmes personnels et familiaux.

Ainsi […], selon les Esprits contactés et les pouvoirs par eux octroyés, s'opérait une hiérarchisation des visionnaires. Certains Sioux devenaient des ihanblapi, des rêveurs : ils rencontraient dans leur sommeil ou pendant un rêve éveillé des animaux wakan (wanbli oyate « la nation aigle », mato oyate « la nation ours », etc.) qui leur communiquaient des messages surnaturels. Grâce à ces alliés surnaturels (le loup, le coyote, le bison, le cerf à queue noire, le wapiti, etc.), les rêveurs acquéraient des talents particuliers qui leur permettaient d'accomplir des prouesses à la guerre, à la chasse, mais aussi en tant que danseur, musicien, et chanteur. De leur côté, les femmes lakota pouvaient devenir des spécialistes des broderies en piquants de porc-épic, des spécialistes du tannage et de la préparation des peaux. Certaines des rêveuses fabriquaient des charmes de protection pour la guerre destinés aux hommes ; certaines devenaient, grâce à leur vision, les détentrices de la fécondité et de la bonne moralité des tiyospahe (communautés) sioux.

Le contenu des messages surnaturels et les talents ainsi acquis augmentaient le prestige des rêveurs et leur donnaient la possibilité d'entrer dans les associations de rêveurs, telle hehaka ihanblapi kin, les rêveurs du wapiti, et dans les sociétés guerrières et policières qui regroupaient surtout les rêveurs du loup, du coyote et du chien. On peut dire que l'animal vu en rêve correspond en fait à l'Esprit de l'espèce.

Quant aux quelques Indiens qui échouaient dans leurs tentatives pour entrer en contact avec les Esprits, ils risquaient ainsi d'être voués au manque de pouvoir et donc de succès. En fait, il existait une solution, ceux qui avaient une nombreuse parentèle pouvaient acheter, grâce à la contribution financière de leurs parents, une partie du contenu du sac-médecine (wopiye) d'un visionnaire puissant.

Actuellement, les sociétés guerrières et les associations de rêveurs n'existent plus. Toutefois, des efforts sont entrepris depuis peu par quelques jeunes Sioux traditionalistes pour recréer certaines sociétés masculines, en grande partie à partir de documents ethnographiques, ce que les Sioux concernés ne veulent pas avouer pour le moment.

Par ailleurs, nous avons recueilli des témoignages montrant que des Sioux rencontrent toujours Deer Woman, sous la forme d'une très belle femme, très bien habillée, qui, nous l'avons montré, n'est autre qu'un des avatars d'Anog Ite, Femme au Double Visage, un des personnages centraux des mythes lakota. Si les femmes sioux choisissent les objets féminins que leur présente l'Esprit, elles deviendront des spécialistes en travaux féminins. Mais si elles décident d'imiter l'aspect femme fatale de Deer Woman, ces femmes deviendront des « femmes de mauvaise vie ». Par contre, si un jeune homme rencontre cette entité ambiguë, il peut tomber malade, voire en mourir, ou alors devenir un winkte, un homme-femme, un berdache selon la terminologie des spécialistes des Amérindiens.

Les Esprits pouvaient d'eux-mêmes décider d'entrer en contact avec des hommes et femmes lakota sans que ceux-ci aient cherché volontairement cette rencontre. Le plus souvent, il semble que les individus sioux ainsi contactés devenaient des voyants-guérisseurs, des wicasa wakan, des saints hommes. »

Danièle Vazeilles


de Danièle Vazeilles

Les symboles ethniques sont un lien puissant pour mieux rattacher une culture à son passé, mais aussi pour mieux se reconnaître dans les sociétés pluriethniques et multiculturelles que sont devenues les sociétés contemporaines.

Les Sioux sont un peuple de visionnaires acharnés : simples rêveurs, medecine-man, clowns-contraires, guerriers rêveurs du loup, chef de guerre, etc... On ne peut comprendre la situation contemporaine sans étudier le passé. Les sources écrites américaines sont analysées ici avec rigueur et souci méthodologique. Le travail de terrain et les témoignages recueillis par l'auteur montrent que pour les Lakotas contemporains, les rêves et les visions font encore partie de la vie quotidienne car ils sont porteurs de pouvoir ; les pensées sont formulées en des termes qui font intervenir les forces de la nature.

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