Le bonheur, quoi qu'on dise,
est la grande affaire de notre vie. Une petite enquête le montrerait
aisément. Interrogeons les gens alors qu'ils courent au travail,
flânent sur les boulevards, ou prennent un verre au café, et
demandons-leur : « Que cherchez-vous dans la vie ? » Peut-être les
uns diraient-ils : « Réussir au travail, avoir une promotion » ;
d'autres répondraient : «Me marier, fonder une famille » ou «
Vivre en paix, sans conflits », « Obtenir une augmentation de
salaire, prendre des vacances au soleil, m'amuser avec mes amis ».
Poursuivons l'interrogation : « Pourquoi voulez-vous réussir,
obtenir une augmentation de salaire, fonder une famille, passer de
bonnes vacances... ? » Sans doute leur réponse serait-elle : «
Parce que alors je serai heureux. »
Être heureux, connaître le
bonheur, c'est le grand désir de chaque homme, de chaque femme.
Peut-être différons-nous quant aux moyens d'atteindre ce bonheur,
mais nous cherchons tous à être heureux. C'est là notre grande
attente.
Entraînés par la vie et
nos activités diverses, il est vrai que nous ne nous posons pas
souvent la question : « Pourquoi est-ce que je fais cela, qu'est-ce
que je cherche ? » C'est pourtant la question incontournable du sens
de la vie. Dès que nous nous posons à nous-même cette question,
nous commençons à philosopher.
Pour quoi l'être humain
est-il fait ? Pour quel bonheur ? C'est la question que posaient les
philosophes grecs, c'est la question du peuple juif, c'est la
question centrale des Béatitudes du message de Jésus, c'est la
question qui habite le cœur des hommes et des femmes de tout temps,
de toute origine, de toute race et de toute religion. C'est la
question éternelle de l'être humain.
Aristote est l'un des grands
témoins de cette recherche du bonheur. Il a réfléchi non pas en
idéologue, mais à partir des faits humains et de sa propre
expérience. C'est ainsi qu'il a été amené à proposer une morale
du bonheur, pour aider l'homme à voir clair en lui-même et à
trouver son propre accomplissement. C'était il y a 2 400 ans, mais
sa réflexion traverse les siècles et nous rejoint encore
aujourd'hui.
Aristote croit à
l'intelligence humaine. Il est convaincu que ce qui distingue l'être
humain de l'animal c'est cette capacité de réfléchir, de connaître
et d'interroger la réalité, de faire des choix, d'orienter sa vie
dans telle ou telle direction. Il n'admet pas que nous ne soyons que
des faisceaux de désirs ou d'impulsions déjà prédestinés. Il
pense que chacun est plus ou moins maître de sa vie et de son
destin.
Mais Aristote ne cherche pas
à répéter des axiomes moraux ni seulement à inciter, d'une
manière extérieure, les gens à être justes, à rechercher la
vérité et à obéir aux lois. Il veut poser les fondements d'une
science morale en réfléchissant à partir des désirs profonds de
l'être humain. Sa question fondamentale est : « Que voulons-nous
vraiment ? » et non : « Que devons-nous faire ? » Sa morale n'est
pas une morale de la loi, mais une morale qui scrute les inclinations
les plus profondes de l'homme pour les porter à leur épanouissement
le plus ultime.
La morale d'Aristote se
fonde alors non sur une idée, mais sur ce désir de plénitude
inscrit dans chaque être humain. La morale d'Aristote demande un
travail sur soi. On pourrait être déçu qu'elle ne donne pas tout
de suite les repères que nous cherchons pour agir, ou les valeurs
qu'on attendrait qu'une morale énonce. Mais Aristote nous invite à
chercher et à discerner des repères à l'intérieur de nous-même.
« Quel est ton désir le plus profond, caché peut-être derrière
des désirs plus superficiels ? » À nous de creuser.
La pensée d'Aristote n'est
pas sans lacunes [...]. On lui reproche souvent de s'accommoder fort
bien de l'esclavage et de la place subalterne de la femme.
Considérons à sa décharge que presque deux millénaires et demi
nous séparent de lui. Depuis, il y a eu la naissance du
christianisme, l'émergence des grandes villes, toutes les
découvertes scientifiques, une évolution extraordinaire dans la
façon de vivre des hommes et des femmes. Tout cela a conduit les
êtres humains à découvrir des choses nouvelles sur eux-mêmes et
sur la place de l'homme et de la femme. La femme n'est plus, comme au
temps d'Aristote, à une époque où la mortalité infantile était
grande, complètement liée à la tâche de donner naissance à des
enfants, et de veiller sur sa maisonnée. Les femmes peuvent
maintenant prendre davantage leur place dans la vie sociale, sans
pour autant négliger leur rôle de mère.
S'il y a des lacunes dans la
pensée d'Aristote, il y a également des valeurs importantes : son
souci d'être à l'écoute de la réalité humaine dans son
intégralité et de ne pas créer une morale idéologique. Sa morale
intègre les dimensions du corps et de l'affectivité, et celle du
plaisir. Elle fait une large place à l'amitié, car Aristote est
persuadé qu'on ne peut pas être heureux tout seul. « Sans amis,
personne ne choisirait de vivre ». Plus largement, le
bonheur a une dimension sociale ou citoyenne. L'homme qui veut être
pleinement humain ne peut rester étranger à la vie de la cité.
Jean Vanier
Le goût du bonheur
Entraînés
par le tourbillon de nos activités quotidiennes, nous prenons
rarement le temps de nous poser la question incontournable du sens de
la vie. Pourtant, revenu des fausses promesses du modernisme et des
idéologies du passé, l'homme du XXIe siècle continue de croire au
bonheur. Jean Vanier s'interroge sur les fondements d'une morale apte
à répondre à cette quête contemporaine. Ayant découvert, aux
côtés des personnes ayant un handicap mental, combien nos sociétés
sont divisées, il nous invite à relire d'un œil neuf les propos
visionnaires d'un grand sage de l'Antiquité. De tous les Grecs,
Aristote est sans doute celui qui a mené avec la plus grande
profondeur humaine la réflexion sur le bonheur. Plaisir, amitié,
recherche de la vérité et de l'amour sont pour lui autant
d'éléments qui y concourent. Dévoilant le lien qui unit morale,
psychologie et spiritualité, ce livre ouvre des pistes de réflexion
pour aider l'homme d'aujourd'hui à trouver un sens à sa vie,
c'est-à-dire à voir clair en lui-même et à faire le meilleur
usage de sa liberté.
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