mercredi, juin 05, 2013

Sexualité & anticléricalisme





Vices et vicissitudes cléricales

La corruption qui gagna à certaines époques le clergé bouddhique se traduisit par un anticléricalisme assez répandu dans le peuple. Cette attitude anticléricale trouva à s'exprimer dans des satires ou recueils pornographiques comme L'océan d'iniquité des moines et des nonnes (Sengni niehai), en exergue duquel apparaît le poème suivant, intitulé « Le bonheur des moines » :

Ils extravaguent sur l'enfer, ils disent qu'il est difficile de l'éviter,
« On a beau faire des contes sur la" félicité " des moines,
Franchement, ce sont des fripons lubriques, voilà tout.
Ils endossent la robe noire, ils se rasent la tète,
Ils se donnent un extérieur imposant, c'est certain.
Mais ils sont chauves, en haut et en bas, Le caillou du bas et le caillou du haut reluisent à l'envi. Tous deux chauves, tous deux luisants —
Ma parole, tout moine a deux têtes chauves.
Ils ont l’œil brillant, comme les rats qui lorgnent le suif.
Ils se tortillent comme les sangsues acharnées à sucer le sang.
Guettant l'occasion, ils appellent une tendre vierge
Et lui révèlent la véritable forme de la Dent du Bouddha.
La Terre de Pureté s'est changée en mer de luxure,
Le froc du moine s'empêtre dans les jupes de soie.
Ils extravaguent sur l'enfer, ils disent qu'il est difficile de l'éviter,
Mais ils ne redoutent pas le grand registre du Roi Yama. »

Dans des romans qui n'ont souvent de bouddhiques que le dénouement, comme le Jin ping mei, la veine anticléricale s'avère également riche :

« Dites-vous bien, chers lecteurs, qu'en ce bas-monde, rares sont les moines éminents dont la conduite est vertueuse et qui demeurent assis en méditation sans se laisser troubler. Les anciens disaient : En un mot, "bonze", en deux, "moine bouddhiste ", en trois, "Officier de plaisirs démoniaques", en quatre, "démon affamé d'assouvissements sexuels".

Et selon Su Dongpo : " Pas prêtre, pas pervers ; pas pervers, pas prêtre; perverti passe à prêtrise, prêtrise pervertit ! " Que cette argumentation serve d'avertissement à ceux qui en sentiraient la vocation !... A habiter ces vastes demeures, dans les cellules attenantes aux temples de Bouddha, à se gaver des dons et richesses qui leur viennent de toutes parts, à manger, de plus, trois repas quotidiens sans avoir à labourer ni semer, et cela sans avoir à se soucier de rien, l'esprit ne peut que s'attacher aux désirs de la chair ».

Les nonnes n'échappent pas à la critique, comme en témoigne le portrait peu flatteur que donne notre auteur de la nonne Xue. Celle-ci, nous dit-on, avait été autrefois mariée. « Toutefois, les affaires périclitant, la jeune femme s'était vue acculée à se spécialiser du côté des moines et novices voisins. Œillades et baisers ne tardèrent pas à lui assurer la cour assidue de ces religieux qui profitaient de l'absence du mari. » Cette même nonne est également versée dans les arts occultes et fournit aux femmes filtres magiques et drogues de fertilité. L'auteur du Jin ping mei met ses lecteurs en garde contre ce genre de femmes :

« Sachez, chers lecteurs, qu'en règle générale les grandes familles ne devraient pas honorer ce genre de nonnes et d'entremetteuses. Au fond des palais et dans les vastes cours elles tiennent compagnie aux dames et, sous prétexte de les édifier par des sermons sur les paradis et les enfers, par des exposés sur les sûtras et écritures saintes, font dans le dos des uns et des autres le compte des marmites et des additions, soufflent le chaud et le froid, ne reculent devant rien de sorte que nos malheurs et calamités, nous les leur devons neuf fois sur dix ».

« Ne dit-on pas qu'il faut se méfier par-dessus tout des trois sortes de nonnes et six espèces de bonnes femmes ? Leur gîte de passage est auprès des moines... Modestement habillées, elles récitent le nom d'Amitâbha, n'ouvrent la bouche que pour parler des routes vers l'Ouest sacré. Tête enveloppée de toile, corps drapé dans robe droite, sanglée d'une cordelette jaune, elles font le porte à porte pour soutirer or et argent. Elles s'insinuent dans les cœurs. Ne vous en laissez pas accroire, ce sont méchantes nonnes : combien de réputations, par elles, minées !

« Comme le dit excellemment encore cette chanson : "La nonne au crâne rasé s'affaire à se donner aux moines nuit après nuit. Trois têtes luisantes semblent réunir le maître à son collège et disciple : mais pourquoi frotter leurs cymbales au lit ?

« Chers lecteurs, sachez qu'il faut se garder comme de la peste des gens à vêtements de bure. A visage de nonne, cœur de garce, car leurs six sens ne sont point apaisés et confuse leur conscience de la nature originelle. Elles ont perdu tout scrupule et vergogne. Bienveillance et compassion ne leur sont qu'hypocrites prétextes à concupiscence et soif du profit. Peu leur chaut de s'enfoncer dans le péché et en alourdir le cycle de la rétribution. Elles ne cherchent que le plaisir de l'instant, bernent les pauvres filles d'humble origine, égarent les femmes émotives des grandes familles, reçoivent des dons à la porte de la façade, mais derrière les coulisses pratiquent l'avortement et ménagent rendez-vous galants. En témoigne le poème :

Moines et nonnes forment une famille
Tourne la roue de la Loi sans escarbille.
Quant à ce qui sert à la reproduction.
Pourquoi couper la fleur qui tombe sans raison ? »

La méfiance du Bouddha était donc justifiée : voilà que ses disciples, malgré tous les interdits qui pesaient sur elles, sont devenues des entremetteuses, des avorteuses et des sorcières ! Il est bien évident qu'on ne saurait accorder trop de crédit à la rumeur anticléricale. Au Japon, par exemple, les nonnes ont dû bon gré mal gré observer un idéal d'ascétisme et de célibat que leurs collègues masculins avaient tendance à jeter par-dessus les moulins. Toutefois ces histoires reflètent un certain état d'esprit et donnent une bonne idée de la façon dont le bouddhisme était perçu. Sans qu'il soit possible ici de faire la part du réel et de la fiction, il peut être utile de s'arrêter un instant sur quelques-unes des motivations de la propagande qui était à l'origine de cette rumeur antibouddhique. On trouve d'abord un courant confucianiste pour qui le bouddhisme, dans son rejet des liens familiaux, était une abomination. Nombre d'histoires anticléricales qui circulaient en Chine relèvent du genre des enquêtes policières — genre popularisé en Occident par van Gulik et son juge Di — qui mettent généralement aux prises un juge confucianiste intègre et des moines dissolus.

Du côté taoïste, après les quiproquos initiaux qui jusque vers le IVe siècle firent prendre le bouddhisme pour une forme de taoïsme, les différences apparurent clairement et la rivalité passa au premier plan. Pendant plusieurs siècles, jusque sous les Yuan, les deux camps se renvoient, pour la développer ou la critiquer, la théorie dite de la « conversion des barbares » — selon laquelle le Bouddha n'était autre que Laozi, le père fondateur du taoïsme, dont on sait qu'il partit au soir de sa vie vers l'Occident. C'est alors qu'il aurait, sous une nouvelle identité, converti les barbares de l'Inde à sa doctrine rebaptisée bouddhisme pour les besoins de la cause. Au fil des controverses, l'histoire rebondit : on apprend qu'un roi barbare qui refusait de croire en Laozi a été soumis par les pouvoirs divins de ce dernier. En signe de repentir, il doit ainsi que ses sujets se raser le crâne. Laozi décrète alors que tous les barbares devront pratiquer l'ascétisme, porter la robe ocre des criminels, mutiler leur corps, et s'abstenir de toutes relations sexuelles. Sous couvert d'ascétisme, il s'agirait selon les taoïstes d'une ruse de Laozi pour interrompre la descendance des barbares et ainsi les anéantir. En somme, Laozi aurait prêché sa doctrine aux Indiens non pour les délivrer, mais pour les humilier, les affaiblir, et finalement les exterminer de la manière la plus économique. Il faudrait donc être particulièrement stupide, arguent les adversaires chinois du bouddhisme, pour adopter une telle doctrine en Chine.

Mais c'est surtout dans la littérature populaire, telle qu'elle se développa après les Song, que le bouddhisme trouva ses plus sévères détracteurs. Le thème du « monastère de la débauche » était courant dans les contes chinois. Certaines de ces histoires tiennent peut-être en partie au fait que le temple bouddhique ou taoïste, souvent construit dans un lieu boisé et retiré, était perçu non seulement comme un lieu sacré, mais aussi comme un espace situé hors des conventions sociales. La liberté relative qui y régnait le rendait propice aux rencontres et en faisait un terrain fertile pour l'imaginaire. Dans l'une de ces histoires, une jeune femme qui s'était abritée d'un orage sous le porche d'un temple est violée et séquestrée par les moines, qui seront sévèrement châtiés lorsque l'affaire est découverte. Dans son commentaire, l'auteur tire des conclusions radicales de ce fait divers : « Ce sont les offrandes faites aux moines qui sont à l'origine de la fornication et des meurtres. Le don est la racine des malheurs. » L'avertissement vaut non seulement à l'encontre des bouddhistes, mais aussi bien à l'encontre des sectes « taoïstes et chrétiennes ». Selon une opinion répandue, les moines ne sont que des preta, esprits faméliques, avides de sexe : ils rejoignent ainsi les femmes non seulement dans des étreintes furtives, mais aussi, comme figures négatives, dans l'imaginaire populaire.

Dans les « recueils d'histoires » (huaben), on trouve nombre d'histoires qui mettent en scène des moines bouddhiques, et notamment des maîtres Chan. L'une des plus connues, intitulée « Le maître Chan Wujie a des rapports illicites avec Lotus Rouge », a pour protagonistes une jeune fille, Lotus Rouge, et deux moines Chan, Wujie (« Cinq Défenses ») et Mingwu (« Claire réalisation »). Wujie était l'abbé d'un monastère de Hangzhou, et Mingwu était son principal disciple. L'histoire rapporte qu'un nouveau-né fut un jour abandonné à la porte du monastère. L'enfant, une fille, fut baptisé Lotus Rouge et confié à un moine. Le temps passa, et Lotus Rouge devint une ravissante jeune fille de seize printemps. Wujie, qui avait oublié son existence, la vit un jour par hasard et fut pris de passion pour elle. Arguant de son droit de cuissage abbatial, il ordonna au vieux moine qui l'avait élevée de lui amener l'adolescente et, la nuit venue, la déflora. La scène suscite chez le narrateur le commentaire suivant :

« Quel dommage que la douce rosée de l'éveil
Ait été entièrement versée dans la corolle de Lotus Rouge ! »

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Mingwu, plongé dans la concentration, avait vu de son « œil de sapience » que Wujie, en souillant Lotus Rouge, avait transgressé l'une des cinq Défenses majeures auxquelles il devait son nom et ruiné en un moment toute une vie d'austérité. Le lendemain, il convia Wujie à un de ces concours poétiques dont les deux amis étaient coutumiers et choisit comme thème les lotus en fleurs. Son poème se terminait par ces vers :

« En été, admirer les lotus est vraiment délicieux,
Mais le parfum des lotus rouges peut-il surpasser celui des blancs ? »

Lorsqu'il lut ces lignes, Wujie réalisa que son acte n'était pas resté secret. Prenant congé, il se rendit dans sa cellule, y composa un poème d'adieu et, s'asseyant en lotus, rendit l'âme. Mingwu, sachant que la rétribution karmique vaudrait à Wujie de renaître comme ennemi du bouddhisme, décida de le suivre par-delà la mort. Et tandis qu'il renaissait pour devenir le maître Chan Foyin Liaoyuan (1032-1098), Wujie renaquit pour devenir Su Shi, le fameux poète des Song, « dont les seuls défauts étaient de ne pas croire au bouddhisme et de détester les moines ». Heureusement, après avoir rencontré Foyin, Su Shi finit par se convertir et obtenir l'éveil. Quant à Lotus Rouge, l'objet involontaire du scandale, l'histoire ne dit pas ce qu'il advint d'elle. Seul la version tardive du Jin ping mei nous apprend que le vieux moine qui l'avait élevée la maria à un homme du commun, auprès duquel elle vécut le reste de ses jours. Toutefois, lorsqu'ils évoquent les rapports de Su Shi et de Foyin comme un exemple d'initiation Chan, Dôgen et ses disciples se gardent bien de faire allusion à cette histoire — qu'ils devaient pourtant connaître.

La critique anticléricale sévit également au Japon. Une des figures de proue de la décadence bouddhique est sans doute celle du moine Dôkyô (mort en 772), dont la tentative d'usurpation du trône ne fut déjouée que de justesse grâce à un oracle du dieu Hachiman. La carrière de ce personnage haut en couleurs, qui avait su s'assurer les faveurs de l'impératrice Kôken, n'est pas sans rappeler celle de Xue Huaiyi, le favori de l'impératrice Wu Zetian. Tous les deux sont restés célèbres dans la tradition populaire, non seulement comme exemples de moines corrompus, mais aussi comme prodiges sexuels. La réputation de Dôkyô faisait encore à l'époque Edo, près de dix siècles après sa mort, l'objet de poèmes satiriques comme le suivant :

« Jusqu'à l'arrivée de Dôkyô, c'était comme si on lavait des racines de bardane » — racines minces et allongées qu'on lave dans une bassine beaucoup trop large.

On trouve dans les documents officiels des Tokugawa, comme dans les romans de l'époque Edo, de nombreuses descriptions de la corruption du bouddhisme. Dans un ouvrage intitulé Usa mondô, Kumazawa Banzan (1619-1691) note : « Ces dernières années, depuis l'ordonnance proscrivant le christianisme, un bouddhisme sans foi a prospéré. Comme chacun, dans tout le pays, possède son propre temple de paroisse, à la différence du passé, les moines peuvent librement s'adonner aux affaires mondaines sans se soucier de la discipline ou de l'érudition... La liberté avec laquelle ils mangent de la viande et s'embarquent dans des aventures amoureuses surpasse celle des hommes du siècle. » L'anticléralisme trouve son expression littéraire la plus achevée dans les romans de Saikaku. Dans La femme du moine dans un temple mondain en particulier, l'héroïne, une courtisane, se rappelle ainsi ses débuts :

« A la longue, je convertis à cette religion [le sexe] les temples des huit sectes, et je puis dire que je n'ai jamais rencontré un seul moine qui ne fût prêt à casser son rosaire » — autrement dit, à faire une entorse à la discipline monastique.

Le titre même du roman fait allusion à la pratique — répandue quoique interdite — qui consistait pour les moines à entretenir une concubine dans leur temple. C'est à cette situation que fait allusion le poème satirique suivant :

« De son Daikoku, l'Abbé a fait un Hotei, ah quel ennui ! »

Ici, le nom du dieu Daikoku (« grande obscurité ») désigne une maîtresse que l'on cache, tandis que Hotei, le Bodhisattva à l'énorme panse, désigne une femme enceinte. Comme le souligne, non sans ironie, l'érudit japonais Tominaga Nakamoto : « Shâkya[muni] désirait simplement que les moines ne se marient pas, et dit que les moines qui n'avaient pas de femme seraient capables de respecter son intention. Cependant dans les générations ultérieures, les moines en vinrent souvent à pendre femme, de sorte que cela ne signifiait rien moins que l'extinction de la Loi. En outre, le Shûramgama-soûtra et le Soûtra des dhâranî d'Avalokiteshara... offrent l'un et l'autre des incantations qui permettent de se délivrer des effets de la passion ou des cinq légumes aphrodisiaques [poireau, oignon, ail, échalote, gingembre]. Ces moines des générations ultérieures, avec leurs femmes, ont dû faire bon usage de ces incantations ! » [Tominaga 1990, p. 138].

Les préjugés antibouddhiques (dans le cas des missionnaires chrétiens) ou anticléricaux (dans le cas des confucianistes ou de Tominaga) de ces sources sont flagrants. Il faut donc chercher dans les sources bouddhiques elles-mêmes. Déjà dans le journal de son voyage en Chine, le moine japonais Ennin (794-864) dénonçait le comportement laxiste des moines Chan qu'il avait eu l'occasion de rencontrer. On trouve chez les moines Chan eux-mêmes une critique sévère à l'égard des « mangeurs de viande » et des fornicateurs. Voici ce que dit par exemple, à l'époque Song, le maître Chan Puan Yinsu (1115-1169) :

« Et aujourd'hui... il en est qui, sans avoir l'éveil approprié, expliquent que boire du vin ou manger de la viande, et commettre l'adultère, ne constituent pas un obstacle pour la nature éveillée. »

Cette attitude avait des lettres de noblesse dans la tradition des « fous » du Chan. Mais l'heure n'est plus aux associations littéraires sur l'ivresse et la folie, facteurs de l'éveil. Les moines actuels, qui imitent le comportement des anciens, le font « sans avoir l'éveil approprié » — ils ne sont que de vulgaires laxistes, non des tricksters. Cette critique est reprise mot pour mot à l'époque Edo par le maître Chôon Dôkai (1630- 1682), un des réformateurs du Zen japonais. Son contemporain Jiun, quant à lui, écrit :

« Être un novice bouddhique signifie simplement se raser le crâne et porter la robe monacale. Certains ne reçoivent mêmes pas les Défenses, d'autres ne les reçoivent que pour les enfreindre. Ils vendent le Dharma et aiment la bonne chère, la boisson et les beaux habits. Ils considèrent la richesse matérielle comme un signe de vertu, et l'habileté en paroles comme de l'érudition. Ils n'éprouvent ni culpabilité ni honte. »

Comme on le voit, les rapports sexuels ne constituaient qu'un des aspects de la transgression, qui incluait aussi les infractions relatives à la consommation de boissons alcooliques et au végétarisme. La consommation de viande et de poisson par les moines était condamnée par les autorités civiles comme un symptôme de la corruption du clergé bouddhique. On sait par exemple que plusieurs moines furent impliqués en 1409 dans un scandale à ce propos et envoyés en exil. La consommation d'alcool de riz, sous le nom d' « eau de prajña », était également courante. En 1419, elle fut strictement interdite au Shôkokuji, l'un des cinq grands monastères Zen de Kyôto. L'année suivante, la prohibition s'étendit à tous les monastères Zen. La même année, un émissaire coréen notait que dans un des monastères qu'il avait visités moines et nonnes dormaient dans la même salle. Enfin, l'homosexualité semble avoir été relativement répandue — à tel point qu'on peut se demander si l'abandon du célibat monastique ne s'est pas imposé en partie comme une mesure visant à réduire la pédérastie et les autres formes d'amour semi-clandestines que décrit Saikaku. Le précédent le plus prestigieux est bien sûr celui de Shinran (1173-1262), qui justifia son mariage par un rêve prémonitoire dans lequel le Bodhisattva Kannon lui apparut sous les traits de sa future femme. La tradition rapporte que son successeur Rennyo avait plus de trente enfants. Cependant, le mariage demeura légalement interdit pour les moines jusqu'à l'époque Meiji — encore que ces derniers aient souvent eu des servantes ou des concubines qu'ils cachaient ou faisaient passer pour des disciples — comme l'héroïne du roman de Saikaku mentionné plus haut. A l'époque Edo, le gouvernement édicta des règlements contre un type de prostituées surnommées bikuni (« nonnes ») — et qui étaient effectivement, dans certains cas, des religieuses déchues. Avec la paix des Tokugawa et l'essor d'une société urbaine portée aux plaisirs, les abords des temples bouddhiques et des sanctuaires Shintô s'ornèrent de maisons de thé dans lesquelles la prostitution mâle et femelle florissait — en dépit des tentatives gouvernementales pour maintenir un semblant d'ordre moral confucéen.

La décadence morale n'est pas un phénomène spécifiquement monastique, mais reflète plutôt le déclin qui affecte la société des Tokugawa dans son ensemble. En enrôlant le bouddhisme dans sa lutte contre le christianisme, le gouvernement des Tokugawa avait lié le destin du bouddhisme au sien et contribué à faire de cette religion ultra-mondaine une doctrine mondaine, voire « demi mondaine ». Il ne faut pas pour autant exagérer la responsabilité des Tokugawa : la déréliction monastique ne date pas de l'époque Edo. Sans remonter de nouveau jusqu'à l'Inde bouddhique, on peut noter qu'Ikkyû, déjà, s'emportait contre les faux pratiquants du Zen qui « convoquent leurs disciples pour un" éveil mystérieux ", et pratiquent un" Zen démoniaque ", faisant des monastères des lieux de luxure ». Il faut néanmoins garder à l'esprit le contexte polémique de telles critiques qui, dans ce cas précis, visaient tout particulièrement le condisciple et rival d'Ikkyû, un maitre Zen du nom de Yôso. L'orthodoxie des uns devient souvent l'hérésie des autres. L'opposition qu'établissait Ikkyû entre son « naturalisme » authentique et celui, dépravé, de ses adversaires passa inaperçue des censeurs, qui mirent son ouvrage à l'index.

Du côté tibétain, la situation n'est semble-t-il guère meilleure. Le cas du sixième Dalaï-lama n'est pas sans rappeler celui d'Ikkyû, mais son destin fut, on le sait, tragique. Par ailleurs, on trouve chez Dugpa Kunleg de nombreuses allusions aux pratiques sexuelles avec une « femme de gnose » ou « sceau » (mûdra). La Félicité suprême est atteinte par ce moyen... Mais l'utilisation de la « machine » qu'est le corps, et particulièrement le sexe, est dangereuse. Comme le souligne Rolf Stein, Atisha et les Kadampa, auxquels Dugpa Kunleg se rattache également, avaient réagi contre les excès des sectes qui pratiquaient au XIe siècle le meurtre (« libération ») et le coït (orgie sexuelle). Néanmoins, les techniques sexuelles en tout cas (et, sur le plan symbolique, la « libération ») ont continué à être pratiquées chez les Nyingmapa. Kunleg met clairement en garde contre l'hypocrisie qui consiste à prêcher à autrui des méthodes qu'on est incapable de pratiquer soi-même :

« Sans renoncer soi-même à l'amour vulgaire
(on choisit une femme) Attrayante, belle mais d'esprit mauvais,
On jouit de la Félicité du coït avec les machines (du corps),
Ces enseignements aussi sont tromperies du Démon ».

Il ne voit là que duplicité et mensonge :

« Prêcher à autrui, comme sainte religion, la méthode de faire remonter la " goutte " [le sperme], alors qu'on tombe soi-même dans la procréation d'enfants, cette voie ou " méthode sexuelle " n'est qu'un mot qu'on porte à la bouche, cela aussi est un exemple d'antinomie. ».

Bernard Faure

lundi, juin 03, 2013

La Grande Nature Sans Action



Le monastère de Menri dans l'Himachal Pradesh (Inde).

« Chez les Bönpos, il y a cinq clans ou familles : les Dru, les Zhu, les Pa, les Me, et les Shen. Même s'ils sont tous Bönpos, chaque clan possède sa propre lignée traditionnelle et ses règles strictes. Si Shardza Tashi Gyaltsen les respecta toutes, il suivit surtout celle des Dru, parce qu'elle est détentrice de la lignée de Menri »
Tenzin Namdak


Le lama Bönpo Shardza Tashi Gyaltsen (1859-1935) disait :

« Le pratiquant de capacité supérieure n'a pas besoin de méditer ou de contempler, il a simplement besoin de prendre une décision. Par cette ferme décision, il est libéré. [...]

L'activité ne peut apporter la Bouddhéité car toutes les activités sont matérielles et donc impermanentes. La Nature et la vérité ultime sont comme le ciel ; aucune activité ne peut apporter la vacuité. Ainsi, décidez simplement d'entrer dans la « Grande Nature Sans Action ».

Au pratiquant soucieux de s'affranchir des pensées adventices, il rappelait :

« Toute la pratique a pour but de voir directement avec pleine conscience (la conscience claire). Cela parce que, lorsque les pensées s'élèvent soudainement, à l'instant même, elles se libèrent d'elles-mêmes (si vous en êtes conscient). »


mardi, mai 28, 2013

Karpâtrî, l’État dharmique & la véritable spiritualité hindoue




Svâmî Karpâtrî lutta toute sa vie pour la fermeture des abattoirs et pour défendre la vache sacrée. Il exprima cette revendication par des slogans très inattendus dans l'univers politique : « Vive le dharma » (dharma ki jaya ho!) ; « Que soit détruit l'anti-dharma ! » (adharma ka nasha ho!) ; « Bienveillance pour tout ce qui respire ! » (praniyon men sadbhavana ho !) « Sauvegardons le monde ! » (vishva ka kalyana ho !) ; « Vive notre mère la vache ! » (gomata ki jaya ho !) ; « Stop à la boucherie des vaches ! » (gohatita band ho !). 

« Il y avait en Svâmî Karpâtrî (1907-1982), écrit Svarûpânanda Sarasvatî (un ancien compagnon de lutte de Karpâtrî) une remarquable combinaison de préoccupations sociales, de sainteté, de sagacité politique et de qualités dirigeantes très difficile à rencontrer ailleurs. Même en politique, son amour des principes demeurait intact. Nous pouvons nous en faire une idée à travers les avis intrépides qu'il a exprimés en des occasions comme la partition de l'Inde, l'invasion [chinoise] de Kailâsa Mânasarovara, le Hindu Code Bill , les luttes contre l'abattage des vaches, le contrôle gouvernemental sur la dot, l'agitation pour casser le cordon sacré, etc. Il était intransigeant face à toute attaque, même la plus légère, contre la tradition et rendait coup pour coup.

À son avis, politique et dharma devaient être aussi inséparables que des époux indiens. Séparés, la politique sans dharma ou le dharma sans politique perdent toute raison d'être ; c'est pourquoi il essaya d'établir un État politique basé sur le dharma qu'il appela le Royaume de Rama. Svâmiji défendit publiquement ses idées au forum panindien constitutif de l'Assemblée du Royaume de Râma, dont le but était de promouvoir le mode de vie indien et de mettre sur pied un gouvernement qui ne fût pas en contradiction avec les Écritures. Il me nomma premier président de ce parti.

Comme la lutte pour la liberté de l'Inde avait été menée à partir de la plate-forme du parti du Congrès (parti social-démocrate), celui-ci exerçait une très forte influence sur nos concitoyens. Mais les principes du parti [de Svâmi Karpâtrî] la Râma Râjya Parisad, ne correspondaient ni à ceux du Congrès, ni à ceux des autres partis de l'époque. L'appel éclatant à un pays gouverné par le dharma lancé par la Râma Râjya Parisad était différent et plus attractif que tous les airs chantés par les autres partis politiques. 

Mais un nouveau parti, l'Union du Peuple indien (Bhâratîya Jana Sangha), apparut peu de temps après la fondation de la Râma Râjya Parisad ; bien que très différent du premier dans ses principes, il donnait extérieurement l'illusion de lui ressembler. L'objectif de ce Bhâratîya Jana Sangha - autant que de la Hindû Mahâsabhâ -, était l'établissement d'une « nation hindoue » : ils différaient de la Râma Râjya Parisad autant par leurs méthodes d'action que par leurs idées.

Svâmî Karpâtrî croyait que le bien public ne pouvait advenir qu'a travers un État « dharmique ». Il soulignait que même si [le démon-roi de Lankâ] Râvana avait été hindou et brahmane, son règne n'avait apporté rien de bon. Donc, le bien public ne pouvait être garanti par la création d'une « nation hindoue ». En conséquence, Svâmîjî combattit les arguments [ultra-nationalistes et fondamentalistes] du RSS, de la Hindû Mahâsabhâ et du Jana Sangha, et il souligna les différences entre les visées religieuses et politiques de la Râma Râjya Parisad et l'idéologie de ces autres partis.

Dans ce but, son ouvrage Le Nectar de la pensée critiqua les thèses de La Crème de la pensée de Golvalkar (le chef suprême du RSS, successeur de Savarkar, se référait positivement à l'État nazi) et de Les Six pages d'or de l'histoire indienne de Savarkar (un nationaliste révolutionnaire), il réfuta spécialement les positions du RSS dans sa brochure Le RSS et le dharma hindou.

Svâmî Karpâtrî ouvrit les portes de la Rama Râjya Parisad à tout hindou, musulman, chrétien, sikh, jaïn, parsi, bouddhiste, etc., pratiquant sa religion avec honnêteté et rectitude. Dans son ouvrage L'Assemblée du Royaume de Râma et les autres groupes, il précise ainsi les différences entre la Râmarâjya Parisad et les autres partis politiques :

"Il est évident qu'aucun parti politique de ce pays n'est cohérent envers lui-même et le public ; les buts de ces partis sont une chose, leur conduite en est une autre. C'est pourquoi stabilité et confiance politique font défaut en Inde ; le seul objectif des politiciens est d'obtenir des voix à l'aide de fausses promesses. L'objectif de la Râmarâjya Parisad, au contraire, est de sortir de cette indignité et de mettre en pratique des idées politiques saines. La Râmarâjya Parisad est aussi cohérente dans ses buts que dans ses moyens. Il n'y a chez elle aucune sorte de duperie, aucune avidité vis-à-vis de quoi que ce soit. Son seul but est d'établir une politique fondée sur le dharma qui soit sans partialité [vis-à-vis de toutes les religions]."

Le vénérable Svâmî Karpâtrî parlait quelquefois d'un Français nommé Shiva Sharan (Alain Daniélou), qui avait suivi ses idées. Il croyait que Daniélou comprenait ses intentions et avait du respect pour lui. C'est pourquoi il aurait donné sa bénédiction aux traductions de ses articles par Shiva Sharan - dont nous pensions aussi qu'il diffusait les idées de Svâmîji en Occident, ce qui était tout à fait digne d'éloge.

Nous avons donc été heureux lorsqu'un associé de Shiva Sharan, Jean-Louis Gabin, décida de publier un recueil comprenant certains essais de Svâmîji traduits par son compatriote. Mais, à l'examen, on découvrit que Shiva Sharan-Alain Daniélou avait déformé les écrits de Svâmî Karâtrî et, en plusieurs endroits, les avait falsifiés. Cela devint encore plus évident lorsqu'on confronta les traductions aux articles originaux. Aucun de nous ne s'était attendu à une chose pareille. Si Svâmîjî était toujours vivant, sa confiance en Shiva Sharan aurait sûrement été blessée. » […]

Les falsifications d'Alain Daniélou

« En réalité, dit Jean-Louis Gabin, pour l'essentiel, mais sans jamais le dire, Daniélou a refusé les clarifications de Svâmî Karpâtrî et, sans prévenir ce dernier, les a sciemment défigurées dans ses publications. L'absolutisation du linga au détriment de la yoni, l'assimilation de son culte aux cultes phalliques et à un hédonisme plus ou moins maquillé en tantrisme, la scission entre Shiva et la Déesse, l'opposition entre Shiva et Vishnou, la dévalorisation de ce dernier et de la Déesse, la caractérisation de Shiva comme d'un dieu de tamas, l'opposition des aryens « puritains » aux dravidiens extatiques, la présentation de l'hindouisme comme fondamentalement polythéiste — toutes les idées, en somme, par lesquelles les ouvrages d'Alain Daniélou ont acquis leur célébrité — sont totalement opposées aux points de vue de l'hindouisme traditionnel exposés par Svâmî Karpâtrî. »

Jean-Louis Gabin ajoute à propos de Svâmî Karpâtrî :

« Ce penseur mérite d'être découvert et traduit pour ce qu'il peut apporter, du sein de l'hindouisme orthodoxe, et en Inde même, notamment à la recherche de l'entente entre les diverses religions, dans le respect des particularités de chacune. » […]

Très éloigné du polythéisme hindou exposé par Alain Daniélou, « l'Advaita Vedânta est l'un des six « points de vue » orthodoxes de l'hindouisme, et c'est celui où se place généralement Svâmî Karpâtrî, rappelle Jean-Louis Gabin qui cite René Guénon : « Tandis que l'Être est "un", le Principe suprême [désigné comme brahman ou parabrahman] peut seulement être dit "sans dualité" (advaita), parce que, étant au-delà de toute détermination, même de l'Être qui est la première de toutes, il ne peut être caractérisé par aucune attribution positive ».

Dans Svâmî Karpâtrî, symboles du monothéisme hindou, Jean-Louis Gabin et Gianni Pellegrini ont traduit de l'hindi et du sanskrit plusieurs textes de Svâmî Karpâtrî. Dans ces textes, « ce qui ne peut manquer de frapper le lecteur occidental c'est que les correspondances entre Vishnou et la Déesse — assorties de précisions métaphysiques sur le non-manifesté, l'obscurité primordiale, l'irruption de la lumière dans la substance, de la conscience dans l'énergie — sont données comme autant d'indications du processus individuel de réalisation initiatique, qui passe par la discrimination entre la connaissance ou gnose (jñâna) et l'ignorance (avidyâ). [...]

Partant du processus de la "manifestation" du monde pour aboutir à des applications doctrinales touchant directement au domaine de la réalisation spirituelle, ces textes abordent de nombreuses questions essentielles, depuis l'explication de la nature de l'univers jusqu'au sens de la vie humaine, de l'origine du déploiement cosmique jusqu'à ses correspondances dans le cœur humain. » (Gabin)

Svâmî Karpâtrî
symboles du monothéisme hindou
le linga et la déesse


Svâmî Karpâtrî (1907-1982) rétablit dans ces pages l'évidence du monothéisme hindou. Dans deux synthèses transcendantes sur le linga, icône aniconique, symbole du Principe au-delà de la forme, il met en pièces les idées fausses de « culte du phallus », de « polythéisme hindou » et de « shivaïsme pré-aryen » diffusées par le premier vulgarisateur de ces textes, Alain Daniélou. Puis, dans un vaste panorama consacré à la Déesse - tour à tour héroïne épique, principe féminin de grâce et de beauté, mais aussi symbole du Principe suprême -, il établit des ponts entre deux voies de réalisation spirituelle, l'Advaita Vedânta et Shrîvidyâ. La traduction entièrement nouvelle, établie sur les originaux publiés pour la première fois en Occident, met en lumière l'enseignement doctrinal en acte d'un maître spirituel contemporain qui combattit aussi bien le nationalisme néo-hindou que l'ingérence de l'État séculariste dans les affaires de la religion.

Svâmî Karpâtrî, renonçant (samnyâsin) de la lignée Sarasvati, artisan d'une restauration de l'hindouisme traditionnel et auteur d'une quarantaine d'ouvrages, fut le chef spirituel d'une grande partie de l'Inde du Nord dans les années qui ont précédé et suivi l'indépendance de l'Inde.

Svâmî Shrî Svarûpânanda Sarasvati, Jagadgourou Shankarcharya de Dvârakapîtha et Jyotispîtha, est l'une des plus hautes autorités de l'hindouisme contemporain. Il fut un proche compagnon de Svâmî Karpâtrî et le premier président de son parti politique, la Râma Râjya Parisad.

Jean-Louis Gabin, docteur ès lettres, a étudié et enseigné quinze ans en Inde, il a dirigé en 2009 à Bénarès l'ëdition bilingue de The Linga and the Great Goddess de Svâmî Karpâtrî et il est l'auteur de L'Hindouisme traditionnel et l'interprétation d'Alain Daniélou (Éd. du Cerf 2010.)

Gianni Pellegrini, maître de Vedânta de l'université sanskrite de Bénarès et docteur en indologie de l'université de Venise, enseigne la philosophie indienne à l'université de Turin. Il a obtenu le prix Sarasvati de sanskrit 2010 du Conseil indien pour les relations culturelles et de l'Institut d'Asie du Sud de Heidelberg.






vendredi, mai 24, 2013

Dante's Inferno



L'intrigue d'Inferno, le nouveau roman de Dan Brown, se résume ainsi :
« Au cœur de l'Italie, Robert Langdon, professeur de symbologie à Harvard, plonge dans un monde centré sur l'un des chef d'œuvre historique et mystérieux de la littérature classique, L'Enfer de Dante. Dans ce contexte, Langdon se bat contre un adversaire redoutable et doit résoudre une énigme complexe qui le propulse dans le domaine de l'art, des passages secrets et de la science. À partir du poème épique de Dante, Langdon démarre une course pour trouver les réponses à ses questions avant que le monde n'en soit changé à jamais. »



O voi che avete gl’ intelleti sani,
Mirate la dottrina che s’asconde
Sotto il velame delli versi strani ! (Purgatorio, XXVI, 121-123)

Par ces mots, Dante indique d’une façon fort explicite qu’il y a dans son œuvre un sens caché, proprement doctrinal, dont le sens extérieur et apparent n’est qu’un voile, et qui doit être recherché par ceux qui sont capables de le pénétrer. Ailleurs, le poète va plus loin encore, puisqu’il déclare que toutes les écritures, et non pas seulement les écritures sacrées, peuvent se comprendre et doivent s’exprimer principalement suivant quatre sens : « si possono intendere e debbonsi sponere massimamente per quattro sensi ». Il est évident, d’ailleurs, que ces significations diverses ne peuvent en aucun cas se détruire ou s’opposer, mais qu’elles doivent au contraire se compléter et s’harmoniser comme les parties d’un même tout, comme les éléments constitutifs d’une synthèse unique.

Ainsi, que la Divine Comédie, dans son ensemble, puisse s’interpréter en plusieurs sens, c’est là une chose qui ne peut faire aucun doute, puisque nous avons à cet égard le témoignage même de son auteur, assurément mieux qualifié que tout autre pour nous renseigner sur ses propres intentions. La difficulté commence seulement lorsqu’il s’agit de déterminer ces différentes significations, surtout les plus élevées ou les plus profondes, et c’est là aussi que commencent tout naturellement les divergences de vues entre les commentateurs. Ceux-ci s’accordent généralement à reconnaître, sous le sens littéral du récit poétique, un sens philosophique, ou plutôt philosophico-théologique, et aussi un sens politique et social ; mais, avec le sens littéral lui-même, cela ne fait encore que trois, et Dante nous avertit d’en chercher quatre ; quel est donc le quatrième ? Pour nous, ce ne peut être qu’un sens proprement initiatique, métaphysique en son essence, et auquel se rattachent de multiples données qui, sans être toutes d’ordre purement métaphysique, présentent un caractère également ésotérique. C’est précisément en raison de ce caractère que ce sens profond a complètement échappé à la plupart des commentateurs ; et pourtant, si on l’ignore ou si on le méconnaît, les autres sens eux-mêmes ne peuvent être saisis que partiellement, parce qu’il est comme leur principe, en lequel se coordonne et s’unifie leur multiplicité.

Ceux mêmes qui ont entrevu ce côté ésotérique de l’œuvre de Dante ont commis bien des méprises quant à sa véritable nature, parce que le plus souvent, la compréhension réelle de ces choses leur faisait défaut, et parce que leur interprétation fut affectée par des préjugés qu’il leur était impossible d’écarter. par l’effet d’un «syncrétisme» superficiel, que Dante a employé indifféremment, selon les cas, un langage emprunté soit au christianisme, soit à l’antiquité gréco-romaine. […]

Voyages extra-terrestres dans différentes traditions

Une question qui semble avoir fortement préoccupé la plupart des commentateurs de Dante est celle des sources auxquelles il convient de rattacher sa conception de la descente aux Enfers, et c’est aussi un des points sur lesquels apparaît le plus nettement l’incompétence de ceux qui n’ont étudié ces questions que d’une façon toute « profane ». Il y a là, en effet, quelque chose qui ne peut se comprendre que par une certaine connaissance des phases de l’initiation réelle, et c’est ce que nous allons essayer maintenant d’expliquer.

Sans doute, si Dante prend Virgile pour guide dans les deux premières parties de son voyage, la cause principale en est bien, comme tout le monde s’accorde à le reconnaître, le souvenir du chant VI de l’Enneide ; mais il faut noter que c’est parce qu’il y a là, chez Virgile, non une simple fiction poétique, mais la preuve d’un savoir initiatique incontestable. Ce n’est pas sans raison que la pratique des sortes virgilianoe fut si répandue au moyen âge ; et, si on a voulu faire de Virgile un magicien, ce n’est là qu’une déformation populaire et exotérique d’une vérité profonde, que sentaient probablement, mieux qu’ils ne savaient l’exprimer, ceux qui rapprochaient son œuvre des Livres sacrés, ne fût-ce que pour un usage divinatoire d’un intérêt très relatif.

D’autre part, il n’est pas difficile de constater que Virgile lui-même, pour ce qui nous occupe, a eu des prédécesseurs chez les Grecs, et de rappeler à ce propos le voyage d’Ulysse au pays des Cimmériens, ainsi que de la descente d’Orphée aux Enfers ; mais la concordance que l’on remarque en tout cela ne prouve-t-elle rien de plus qu’une série d’emprunts ou d’imitations successives ? La vérité est que ce dont il s’agit a le plus étroit rapport avec les mystères de l’antiquité, et que ces divers récits poétiques ou légendaires ne sont que des traductions d’une même réalité : le rameau d’or qu’Énée, conduit par la Sibylle, va d’abord cueillir dans la forêt (cette même «selva selvaggia» où Dante situe aussi le début de son poème), c’est le rameau que portaient les initiés d’Éleusis, et que rappelle encore l’acacia de la Maçonnerie moderne, « gage de résurrection et d’immortalité ». Mais il y a mieux, et le Christianisme même nous présente aussi un pareil symbolisme : dans la liturgie catholique, c’est par la fête des Rameaux que s’ouvre la semaine sainte, qui verra la mort du Christ et sa descente aux Enfers, puis sa résurrection, qui sera bientôt suivie de son ascension glorieuse ; et c’est précisément le lundi saint que commence le récit de Dante, comme pour indiquer que c’est en allant à la recherche du rameau mystérieux qu’il s’est égaré dans la forêt obscure où il va rencontrer Virgile ; et son voyage à travers les mondes durera jusqu’au dimanche de Pâques, c’est-à-dire jusqu’au jour de la résurrection.

Mort et descente aux Enfers d’un côté, résurrection et ascension aux Cieux de l’autre, ce sont comme deux phases inverses et complémentaires, dont la première est la préparation nécessaire de la seconde, et que l’on retrouverait également sans peine dans la description du « Grand Œuvre » hermétique ; et la même chose est nettement dans toutes les doctrines traditionnelles. C’est ainsi que, dans l’Islam, nous rencontrons l’épisode du « voyage nocturne » de Mohammed, comprenant pareillement la descente aux régions infernales (isrâ), puis l’ascension dans les divers paradis ou sphères célestes (mirâj); et certaines relations de ce « voyage nocturne » présentent avec le poème de Dante des similitudes particulièrement frappantes, à tel point que quelques-uns ont voulu y voir une des sources principales de son inspiration. Don Miguel Asín Palacios a montré les multiples rapports qui existent, pour le fond et même pour la forme, entre Divine Comédie (sans parler de certains passages de la Vita Nuova et du Convito), d’une part, et d’autre part, le Kitâb el-isrâ (Livre du voyage nocturne) et les Futûhât el-Mekkiyah (Révélations de la Mecque) de Mohyiddin ibn Arabi, ouvrages antérieurs de quatre-vingts ans environ, et il conclut que ces analogies sont plus nombreuses à elles seules que toutes celles que les commentateurs sont parvenus à établir entre l’œuvre de Dante et toutes les autres littératures de tout pays. En voici quelques exemples : « Dans une adaptation de la légende musulmane, un loup et un lion barrent la route au pèlerin, comme la panthère, le lion et la louve font reculer Dante…Virgile est envoyé à Dante et Gabriel à Mohammed par le Ciel ; tous deux, durant le voyage, satisfont à la curiosité du pèlerin. L’Enfer est annoncé dans les deux légendes par des signes identiques : tumulte violent et confus, rafale de feu…L’architecture de l’Enfer dantesque est calquée sur celle de l’Enfer musulman : tous deux sont un gigantesques entonnoir formé par une série d’étages, de degrés ou de marches circulaires qui descendent graduellement jusqu’au fond de la terre ; chacun d’eux recèle une catégorie de pécheurs, dont la culpabilité et la peine s'aggravent à mesure qu’ils habitent un cercle plus enfoncé. Chaque étage se subdivise en différents autres, effectués à des catégories variées de pécheurs ; enfin, ces deux Enfers sont situés tous les deux sous la ville de Jérusalem… Afin de se purifier au sortir de l’Enfer et de pouvoir s’élever vers le Paradis, Dante se soumet à une triple ablution. Une même triple ablution purifie les âmes dans la légende musulmane : avant de pénétrer dans le Ciel, elles sont plongées successivement dans les eaux des trois rivières qui fertilisent le jardin d’Abraham…L’architecture des sphères célestes à travers lesquelles s’accomplit l’ascension est identique dans les deux légendes ; dans les neuf cieux sont disposées, suivant leurs mérites respectifs, les âmes bienheureuses qui, à la fin, se rassemblent toutes dans l’Empyrée ou dernière sphère… De même que Béatrice s’efface devant saint Bernard pour guider Dante dans les ultimes étapes, de même Gabriel abandonne Mohammed près du trône de Dieu où il sera attiré par une guirlande lumineuse… L’apothéose finale des deux ascensions est la même : les deux voyageurs, élevés jusqu’à la présence de Dieu, nous décrivent Dieu comme un foyer de lumière intense, entouré de neuf cercles concentriques formés par les files serrées d’innombrables esprits angéliques qui émettent des rayons lumineux ; une des filles circulaires les plus proches du foyer est celle des Chérubins ; chaque cercle entoure le cercle immédiatement inférieur, et tous les neuf tournent sans trêve, autour du centre divin… Les étages infernaux, les cieux astronomiques, les cercles de la rose
mystique, les chœurs angéliques qui entourent le foyer de la lumière divine, les trois cercles symbolisant la trinité de personnes, sont empruntés mot pour mot par le poète florentin à Mohyiddin ibn Arabi.»

De telles coïncidences, jusque dans des détails extrêmement précis, ne peuvent être accidentelles, et nous avons bien des raisons d’admettre que Dante s’est effectivement inspiré, pour une part assez importante, des écrits de Mohyiddin; mais comment les a-t-il connus ? On envisage comme intermédiaire possible Brunetto Latini, qui avait séjourné en Espagne, et il mourut à Damas; d’un autre côté, ses disciples étaient répandus dans tout le monde islamique, mais surtout en Syrie et en Égypte, et enfin il est peu probable que ses œuvres aient été dès lors dans le domaine public, où même certaines d’entre elles n’ont jamais été. En effet, Mohyiddin fut tout autre chose que le «poète mystique» qu’imagine M. Asín Palacios ; ce qu’il convient de dire ici c’est que, dans l’ésotérisme islamique, il est appelé Esh-Sheikh el-akbar, c’est-à-dire le plus grand des Maîtres spirituels, le Maître par excellence, que sa doctrine est d’essence purement métaphysique, et que plusieurs des principaux Ordres initiatiques de l’Islam, parmi ceux qui sont les plus élevés et les plus fermés en même temps, procèdent de lui directement. Nous avons déjà indiqués que de telles organisations furent au XIIIe siècle, c’est-à-dire à l’époque même de Mohyiddin, en relation avec les Ordres de chevalerie, et, pour nous, c’est par là que s’explique la transmission constatée; s’il en était autrement, et si Dante avait connu Mohyiddin par des voies «profanes», pourquoi ne l’aurait-il jamais nommé, aussi bien qu’il nomme les philosophes exotériques de l’Islam, Avicenne et Averroès ? De plus, il est reconnu qu’il y eut des influences islamiques aux origines du Rosicrucianisme, et c’est à cela que font allusion les voyages supposés de Christian Rosenkreutz en Orient ; mais l’origine réelle du Rosicrucianisme, nous l’avons déjà dit, ce sont précisément les Ordres de chevalerie, et ce sont eux qui formèrent, au moyen âge, le véritable lien intellectuel entre l’Orient et l’Occident.

Les critiques occidentaux modernes, qui ne regardent le «voyage nocturne» de Mohammed que comme une légende plus ou moins poétique, prétendent que cette légende n’est pas spécifiquement islamique et arabe, mais qu’elle serait originaire de la Perse, parce que le récit d’un voyage similaire se trouve dans un livre mazdéen, l’Ardâ Vîrâf Nâmeh. Certains pensent qu’il faut remonter encore plus loin, jusqu’à l’Inde, où l’on rencontre en effet, tant dans le Brâhmanisme que dans le Bouddhisme, une multitude de descriptions symboliques des divers états d’existence sous la forme d’un ensemble hiérarchiquement organisé de Cieux et d’Enfers; et quelques-uns vont même jusqu’à supposer que Dante a pu subir directement l’influence indienne. Chez ceux qui ne voient en tout cela que de la «littérature», cette façon d’envisager les choses se comprend, quoiqu’il soit assez difficile, même du simple point de vue historique, d’admettre que Dante ait pu connaître quelque chose de l’Inde autrement que par l’intermédiaire des Arabes. Mais, pour nous, ces similitudes ne montrent pas autre chose que l’unité de la doctrine qui est contenue dans toutes les traditions; il n’y a rien d’étonnant à ce que nous trouvions partout l’expression des mêmes vérités, mais précisément, pour ne pas s’en étonner, il faut d’abord savoir que ce sont des vérités, et non pas des fictions plus ou moins arbitraires. Là où il n’y a que des ressemblances d’ordre général, il n’y a pas lieu de conclure à une communication directe ; cette conclusion n’est justifiée que si les mêmes idées sont exprimées sous une forme identique, ce qui est le cas pour Mohyiddin et Dante. Il est certain que ce que nous trouvons chez Dante est en parfait accord avec les théories hindoues des mondes et des cycles cosmiques, mais sans pourtant être revêtu de la forme qui seule est proprement hindoue; et cet accord existe nécessairement chez tous ceux qui ont conscience des mêmes vérités, quelle que soit la façon dont ils en ont acquis la connaissance.

René Guénon, L'ésotérisme de Dante.

Télécharger gratuitement L'ésotérisme de Dante :

jeudi, mai 23, 2013

Le troisième sexe en Inde





National Hijra Habba

New Delhi, le 2 Juin 2012, des membres des communautés transgenres et hijra de toute l'Inde ont rencontré des représentants du gouvernement, des organismes donateurs et de la société civile.

Cette consultation nationale a permis d'examiner les efforts visant à atteindre l'égalité pour les transsexuels et les hijras et attire l'attention sur les défis importants auxquels font face ces communautés. La journée comprenait des discours, des échanges d'expériences et des  spectacles. Des discussions approfondies ont eu lieu sur des questions comme les droits sociaux, le statut juridique, la violence, le VIH / sida, les vulnérabilités économiques et la féminisation.


Tritiya Prakriti

Les gens du troisième sexe (Tritiya Prakriti) sont de deux sortes ; selon qu'ils sont d'apparence féminine ou d'aspect masculin.

Le troisième sexe est aussi appelé neutre (Napunsaka). Ceux d'apparence féminine ont des seins, etc., ceux d'aspect masculin des moustaches, des poils sur le corps, etc. Le coït buccal qu'ils pratiquent l'un et l'autre fait partie de leur nature.

Les prostitués du troisième sexe sont appelés gitons (Hijra)...

Ces lignes sont extraites du Kâma Sûtra, le célèbre livre de Vâtsyâyana consacré à l'amour, la sexualité et au plaisir.

« Le puritanisme, la religiosité et le faux mysticisme qui sévissent dans l'Inde moderne n'existent pas dans la société décrite par Vâtsyâyana et ses prédécesseurs. […]

La première formulation du Kama Shâstra, les règles de l'amour, est attribuée à Nandi, le compagnon de Shiva.

C'est au VIIIe siècle av. J.-C. que Shvetaketu, fils d'Uddalaki, entreprit de résumer l'ouvrage de Nandi. Nous en connaissons la date car Uddalaka et Shvetaketu sont les protagonistes de la Brihat Arânyaka Upanishad et de la Chhandogya Upanishad qui sont généralement datées de cette époque et qui contiennent d'importants passages liés à la science érotique.

Un lettré appelé Babhru, avec ses fils ou disciples, appelés les Bâbhravya, ont repris, cette fois par écrit, dans un important ouvrage, l’œuvre trop vaste de Shvetaketu. Ils étaient originaires du Panchâla, une région située entre le Gange et la Yamuna, au sud de l'actuelle Delhi, mais résidaient probablement dans la cité de Pataliputra, le grand centre où régnait Chandragupta qui s'opposa à l'invasion d'Alexandre au IVe siècle av. J.-C. et qui fut le siège de l'empire d'Ashoka un siècle plus tard.

C'est entre le IIIe et le Ier siècle avant notre ère que divers auteurs reprennent chacun une partie de l’œuvre des Bâbhravya dans différents traités. Ces auteurs sont appelés Chârâyana, Suvarnanâbha, Ghotakamukha, Gonardîya, Gonikâputra et surtout Dattaka qui, avec l'aide d'une célèbre courtisane de Pataliputra, composa un ouvrage sur les courtisanes que Vâtsyâyana reproduit presque intégralement.

Le texte de Suvarnanâbha doit dater du Ier siècle av. J.-C. car il cite un roi de Kuntala (au sud de Pataliputra) nommé Shatakarni Shatavâhana qui régnait à cette époque et qui tua sa femme par accident, au cours de pratiques sadiques.

Par ailleurs, Yashodhara, au début de son commentaire, attribue l'origine de la science érotique à Mallanâga "le prophète des Asura" (les anciens dieux), c'est-à-dire à des âges préhistoriques. Nandi, le compagnon de Shiva, l'aurait donc transcrit pour l'humanité actuelle. L'attribution du prénom de Mallanâga à Vâtsyâyana provient éventuellement d'une confusion entre son rôle de rédacteur du Kâma Sûtra et le créateur mythique de la science érotique. »

Alain Daniélou, Kâma Sûtra.








mercredi, mai 22, 2013

Le cannabis




« Les Bonzes, les Derviches, les Fakirs, les Kalenders, les Sannyasis, les Santons, les Aïssaouas et quantité de personnes appartenant dans l'Inde à tous les rangs de la société, se procurent à volonté des extases, des crises extatiques et mille visions en absorbant des pilules d'Esrar, dans lesquelles il n'entre guère que du haschisch... »

Ernest Bosc



« Si l'homme savait se servir des plantes, écrit Ernest Bosc dans son Traité théorique et pratique du haschisch, il n'aurait pas besoin d'avoir recours aux médecins, ni aux remèdes minéraux sauf dans des cas exceptionnels.

La plante a des vertus spéciales, elle a une vie propre, que l'homme croit connaître et qu'il ne connaît pas. Pour le vulgaire, la vie de la plante n'est qu'une vie végétale, végétative pourrions-nous dire ; pour le Penseur, la plante a aussi une vie animale, et c'est celle-ci qui lui donne sa puissance, ses qualités curatives ; car de même que l'homme, la plante a une constitution septénaire, si on l'étudie à des points de vue divers; elle comporte en effet :

1° Une matière ou substance, une eau végétative, au moyen de laquelle se meuvent sept forces en action ; ce que Paracelse a dénommé les Derses ou exhalaisons de la terre et à l'aide desquelles croit la plante ;

2° Une forme en laquelle gît le principe actif végétatif ;

3° Une âme qui comporte, l'air sensitif, c'est-à-dire qui réunit la matière et la forme ; c'est le Clissus de Paracelse, la semence corporifiée (la force vitale, Prana des Hindous) ;

4° Une matière, qui renferme les germes de reproduction ;

5° Le corps astral de la plante : le mixte organisé, le Leffas de Paracelse. Celui-ci combiné avec la force vitale de la plante constitue l'Ens primum qui possède d'après le grand Alchimiste des vertus curatives très importantes; c'est ce même Leffas, qui est le sujet de la Palingénesie, qui consiste à faire revivre le fantôme de la plante, ou bien encore à faire revivre la plante (corps et âme) ou enfin à la créer avec des matériaux empruntés au règne minéral (aux cendres de la plante);

6° La physiologie de la plante qui s'exerce depuis ses radicelles les plus tenues et qui atteint jusqu'à sa tète son sommet ;

7° Une essence universelle qui lui fournit tous ses modes de transformation : accroissement, formation, putréfaction, coagulation, etc., etc. »

La pénalisation du cannabis profite aux réseaux criminels, empêche l'utilisation à bon escient de cette plante et favorise des abus que Bosc dénonçait en 1904 en ces termes :

« Il serait bien inutile, pensons-nous, d'essayer de cacher un fait de toute évidence : c'est que notre belle civilisation est en voie de complète décadence.

Bien des actes démontrent cette vérité, mais ce qui la prouve très clairement, c'est la foule de détraqués, de névrosés, de névropathes, qui recherche des plaisirs excentriques et des jouissances anormales, presque inconnues avant le temps présent.

Aussi nos dégoûtés de la vie, nos petits crevés et leurs charmantes crevettes devaient user et abuser des substances stupéfiantes ; c'était écrit, c'était fatal.

Ils devaient goûter à la coupe dangereuse des narcotiques, à ces narcotiques au goût âcre, à la saveur vireuse, afin de passer par des états de nervosisme tout à fait inconnus, tout à fait surnaturels. hyper-physiques.

De là l'usage et bientôt l'abus de la morphine, de l'éther, de l'eau de Cologne, du chloral, de la cocaïne et autres produits analogues fort nombreux dans notre Occident. Mais il semblait que ces névrosés ne devaient point connaître le haschisch et l'opium ; c'étaient là des produits orientaux presque inconnus chez nous il y a seulement vingt-cinq ou trente ans ; et aujourd'hui le nombre de personnes qui abusent de ces substances est très considérable.

Combien de brillantes intelligences ont sombré dans des maisons d'aliénés, rien que par l'abus de ces substances stupéfiantes, qui donnent à notre cerveau surexcitation et douce ivresse, mais arrivent insensiblement à paralyser cet organe !

Et ce ne sont pas ceux qui sont aux prises avec les difficultés de la vie qui usent de ces excitateurs psychiques pour oublier leurs maux, mais bien ceux qui, nés sous une bonne étoile, ont été gâtés par quelque bonne fée et n'ont jamais rien eu à désirer. C'est pour cela que, blasés en toute chose et sur toute chose, ces assoiffés de plaisir se sont crus malheureux parce qu'ils rêvaient encore et toujours davantage. Ces insatiables de bonheur, ces repus de fortune et de biens ont, dans leur imagination déréglée, cherché de plus grandes jouissances, et ils y sont arrivés en empruntant à l'Orient ses drogues si subtiles, mais si dangereuses, drogues qui donnent à l'homme des illusions si fécondes que, dès que le névropathe a goûté à ces plaisirs factices, il ne saurait jamais plus s'en passer.

De l'usage à l'abus, il n'y a guère qu'un tout petit pas, et c'est ce pas, que nous voudrions empêcher nos contemporains de franchir, si c'est... possible.

Nous ne voulons pas pour cela nous poser en moraliste et sermonner nos lecteurs ; oh ! Nullement ! Nous estimons, en effet, qu'il est impossible d'enrayer les violentes passions humaines. Nous laissons donc à l'homme la liberté d'user des stupéfiants, mais nous lui donnerons des recettes et des conseils pratiques pour lui permettre de satisfaire sa passion favorite, sans danger pour sa santé.

C'est là rendre un mauvais service, dira quelque censeur, et le procédé, ajoutera-t-il peut-être, sent quelque peu son Tartufe de vouloir « donner de l'amour sans scandale, et du plaisir sans peur ».

Nous ne saurions trop protester contre une pareille affirmation, et nous espérons bien qu'un grand nombre de lecteurs nous saura gré de lui donner des conseils utiles pour empêcher de faire dériver un plaisir inoffensif en une passion dangereuse, malsaine et funeste.

Et puis, l'homme n'a pas été créé pour répéter à chaque instant : « Frère, il faut mourir ! » peut donc se permettre quelques plaisirs licites et parfois — un peu illicites : seulement il ne doit pas y goûter trop souvent, il ne doit pas en abuser. »

Ernest Bosc, Traité théorique et pratique du haschisch.

Un rabbin affirme que les Juifs sont des extraterrestres venus pour « conquérir » la Terre.

Le rabbin Michael Laitman est l'auteur de "Kabbalah, Science and the Meaning of Life". Le livre retrace les étapes de l'év...