samedi, octobre 15, 2022

Traité du rebelle ou le recours aux forêts





Ce qui d'emblée frappe à la lecture du « Traité du rebelle », petit ouvrage écrit en 1951, dense et lumineux, d'un auteur que l'on ne connaît pas encore assez, c'est son actualité. Sans doute en est-il ici comme du « Discours de la servitude volontaire », de La Boétie : il traversera les siècles avec la légèreté d'un texte sans âge, offrant ses ressources à tous les peuples écrasés par un pouvoir totalitaire, en appelant sans délais à un mouvement de résistance. Car quoi de plus banal que de constater, au fil des ans, le nombre toujours plus accablant de petits chefs, de dictateurs, et autres assemblées exécutantes plutôt qu'exécutives, dès lors qu'il n'y a plus de contre-pouvoir ? 

Résister, c'est alors le mot d'ordre le plus commun, le plus inactuel, qu'il faut sans cesse répéter, avec le courage qui chaque fois l'accompagne. [...]

Ainsi commence et finit le « Traité du rebelle » : 

Pourrons-nous délivrer l'homme de la peur ? Pourrons-nous dessiner, face aux nécessités de notre temps, un nouvel espace de liberté ? 

Le chemin pour y parvenir est sinueux, escarpé, mais il existe en chacun de nous, en chaque personne digne de ce nom, douée de courage, et que la figure du Rebelle, après celle du Travailleur, guide. Chaque époque a ses démons, chaque époque a aussi ses antidotes aux poisons qui s'insinuent dans nos esprits, que le « Traité » nous apprend à voir.

Reprenons ce chemin inauguré par Jünger : 

Le vote est-il toujours une manière d'expression libre et légale, où l'électeur, en pleine assurance de son pouvoir, peut faire valoir son opposition ? N'est-il pas bien plutôt un questionnaire guidé, l'espace d'une résistance toute surveillée, qui n'admet pas même le "non" du silence abstentionniste, ou le bulletin blanc ? 

Car au fond les décisions sont déjà prises, et tout n'est affaire que de communication. Cette forme de rébellion, pauvre dans son effet, n'est pas à la hauteur des exigences du temps, comme la demande d'une démocratie participative, en lieu et place de la désaffection logique du politique qui sévit chez les jeunes générations en particulier. Mais, le pouvoir en place s'adosse bien plutôt aux chiffres tout abstraits des sondages et des statistiques, où l'on confond, par-delà le relatif des chiffres et des questions posées habilement, la voix reconstruite d'une prétendue majorité, et celle de la vérité. Il y trouve une pseudo-légitimité où la contestation devient presque impossible : en évitant les référendums ou les votes qui pourraient aller à son encontre, le pouvoir étouffe le tumulte démocratique, voire l'invalide. A dire vrai, nos gouvernements se sont éloignés de longue date de leur "base", le peuple, avec l'opinion implicite que la minorité éclairée des dirigeants pouvait administrer une majorité confuse, inculte et naïve, puis se reconduire pour les prochains mandats.

C'est dans ce contexte que naît l'élitisme particulier de Jünger, en 1951 : 

Faire confiance à une infime frange de la population, qualifiée de Rebelle, quitte à ce qu'elle n'en représente que 1 %, était pour lui chose acquise, selon un ordre de valeurs opposé à l'ordre des chiffres, de toute façon truqués. 

Animée d'une puissante force et de courage, cette élite devait assurer le salut d'une société écrasée sous le joug des milices et des censeurs, et lutter contre la nomenklatura cooptée qui inspirait et renforçait la crainte des peuples, balancés entre les blocs Est et Ouest. Sa minorité raisonnable ouvrait à des valeurs humanistes, appelait de grands hommes et femmes qui pourraient découvrir de nouveaux champs de liberté, tandis que de l'autre côté l'on subissait les ferments de diktat, les minorités intégristes et totalitaires évacuant les urnes et exerçant des contraintes de tout ordre. On peut, curieusement, faire un parallèle politique entre d'une part la mise en place lente et assurée d'un libéralisme sauvage, et d'autre part l'augmentation constante des "forces de l'ordre", des vigiles, des caméras de surveillance, dans des lieux publiques ou privés. A croire que les réformes ne se font que sur un terrain de révolte, où l'Etat policier doit imposer des lois sans que celles-ci aient été validées par ceux qui la vivent. Mais, confiné dans la crainte du lendemain, quand ce n'est pas dans la peur exagérée de groupes en marge qui font office de boucs émissaires, l'homme d'aujourd'hui, perdu dans la jungle économique, se voit acculé à une précarité inconfortable, cynique, et embarqué sur un navire - pour reprendre l'image de Jünger - qui semble s'emballer vers la catastrophe. C'est là que se jouent les tours de force : mais cette réponse par la contrainte ne fait que maintenir et reconduire la peur, l'automatisme en jeu dans notre société, par quoi il semble que l'homme n'ait aucune prise sur les événements qui font son quotidien. Mené contre son gré, son angoisse et son ressentiment refluent dans les bas-côtés, alors que la communauté selon le pacte devait lui offrir le confort et la sécurité.

S'il prend conscience de cet état de passivité obligée, et qu'il veuille alors quitter le navire : différents discours de propagande l'incitent à ne pas s'y opposer : on lui parle de liberté, quand il s'agit d'être sans cesse mobilisé pour des combats qui ne sont pas les siens. On lui parle de confort, quand il s'agit de toujours se dépasser sans compter, de participer au mouvement continu d'une société incapable de le protéger. Il ne cherche plus qu'à s'abriter et à survivre, mais on lui offre un maigre asile consumériste où les corps sont contrôlés, les groupes surveillés. Sa grande précarité l'empêche de bien voir où il va ; embarqué, il perd la distance qu'il lui faudrait pour analyser sa situation de servitude volontaire, aveugle et impuissant face à l'autorité.

L'isolement est le revers de la solitude : imposé, il défait les liens de solidarité, empêche le regroupement des intérêts dans une communauté. Résultat d'une exclusion, d'une concurrence à l'œuvre entre les personnes mêmes, l'ordre qu'on lui propose et la place qui lui incombe ne sont en rien rassurants, puisque cette place ne lui est dédiée que s'il est compétitif et impliqué. Jugé d'après le modèle d'une nature inhabitable et sauvage, il doit à la fois être dompté, maîtrisé politiquement, et combattre pour sa propre survie d'individu isolé en matière d'économie.


Chaque époque a sa forme de liberté, en fonction de cette nécessité. Dans leur tension se fait l'histoire, nous dit Jünger. Dans ce jeu de forces contraires, quelques-uns sont capables de traverser les déserts, à la poursuite de leurs rêves, et de rompre une logique déshumanisante. Les autres cherchent leur salut mais ne trouvent que vide à combler dans le chaos des villes. Et pourtant, n'a-t-on pas ce sentiment, en notre fort intérieur, d'un destin à accomplir, autre que la poursuite sans fin des objectifs économiques ? N'est-on pas obscurément en train d'attendre quelque chose, un accomplissement ? L'Etat voudrait prendre le risque de combler les manques, les failles où s'engouffrent religions et sectes, mais il y échoue par avance, n'étant pas, ou plus, la providence, mais une société publique de surveillance.

Alors commence la quête. Avec le soutien de l'art, de la philosophie, et de la théologie, s'annonce la communauté vraie de la résistance, faite de petites actions individuelles, de discrétion, d'humilité. Contre la transparence imposée par le pouvoir, qui n'est que l'alibi d'un contrôle accru des individus, contre la rationalisation et l'encerclement de l'humain, elle a sa part cachée de ressources insoupçonnées, de culture underground, d'espérance au-delà d'elle-même en la continuation des luttes, en la prolifération de possibles inexploités, que chacun recèle en lui.

Le Recours aux forêts, c'est " 'examen de la liberté de la personne dans le monde", nous dit Jünger. L'enracinement dans l'imaginaire, dans le mythique, le symbolique est une décision que chacun peut prendre, qu'il connaît pour l'avoir toujours senti en soi, comme une partie de lui-même qu'il aurait touchée dans l'enfance, puis qu'il aurait oubliée. Cette forêt-là n'est pas l'environnement hostile qu'après Descartes nous avons dû maîtriser, contre laquelle il a fallu penser, conquérir, et désacraliser. C'est celle où nous construisions des cabanes, où nous jouions sans avoir peur du danger, à l'abri de ses cimes, nourris de ses ressources. Mais nous sommes partis en exil dans les cités urbaines. Il a fallu, seul, accomplir un travail pour se découvrir ou se retrouver, comme on part à la recherche d'un trésor perdu, que l'on avait en fait caché au fond de soi.

Que de solitude assumée peut-on voir dans les écrits de Knut Hamsun, et dans la figure du Rebelle telle que le « Traité » la dessine...C'est là le courage et la ténacité du proscrit, du « Waldgänger », coureur des bois, appelé par la forêt comme par sa terre natale, traversée de mythes. L'isolement peut être librement choisi, comme une réponse à une société invivable, perdue dans l'automatisme des tâches, des troubles, des tragédies, c'est-à-dire dans le fatalisme du malheur. Il est alors le temps de la pensée sereine, de la méditation. Il est le temps du retour à nos racines, à notre enfance bercée par le mouvement des roseaux. Du côté du Rebelle la liberté vaut la clairière, lumineuse et douce, de nos forêts rêvées et arpentées.

Mais Jünger insiste : le chemin du Rebelle est pavé de sacrifices. Originairement exclu de la communauté, il s'inscrivait dans l'autonomie du paria, dans la réclusion hors des villes et villages, où il ne s'aventurait pas, sous peine de mort. Aujourd'hui, s'il prend ses distances, il ne s'agit pas non plus de fuir, mais d'observer, sans quitter le navire, car alors le danger est grand, comme de se noyer dans la pleine mer. En accord avec lui-même, il risque l'échappée belle et le mérite du sage, amadouant ses propres craintes, mais, entre combattant et esclave, il fait son choix, sachant que toujours la peur sera là, entre le danger et le confort de la médiocrité. Le poète est ainsi un Rebelle, ouvrant de nouvelles voies, indépendant et résistant à toutes les sirènes.

Contre la société désenchantée, contre la société du spectacle, il a d'autres valeurs que le mouvement continu des actualités et nouveautés. Echappant au contrôle des comportements, le Rebelle refuse la stimulation des désirs consuméristes, et ses seules contraintes sont celles qu'il s'est choisi, avec son libre-arbitre. La forêt est son refuge, où il se réconcilie avec la nature, sans désaffecter le politique, ni la pensée. Discret, tapi dans l'à côté, son élitisme solitaire s'oppose à l'unisson des masses, des chiffres et des statistiques : c'est en quoi il gêne, mais peut aussi se fondre dans les foules anonymes du navire, pour n'être pas repéré.

La résistance ne s'effectue pas forcément à visage découvert : on la trouverait plutôt dans les maquis, les guérillas, les mouvements underground. C'est une manière de dire l'homme ou la femme, libres en nous, l'exigence d'une éthique noble, de la valeur de l'homme. C'est un choix qui s'impose entre administrer la misère ou lutter, dégrisailler la ville, la vie : car y a-t-il une neutralité possible, entre l'appel aux forces de l'ordre, qui coûte le confort contre la panique du chaos, et l'engagement personnel à trouver de nouvelles formes de liberté contre les nouvelles formes du pouvoir et de la publicité ? Et puisque l'un et l'autre choix demandent des sacrifices, autant prendre le chemin de la liberté, de la morale, du droit. Mais à chacun, seul, revient ce choix.

Car rappelons que le Rebelle de Jünger n'est qu'une figure, un idéal inatteignable, mais simplement capable de nous guider, comme nous guident les mythes ancestraux, en temps de guerre. Chacun aura-t-il ce courage de passer la limite de la forêt, et, en la traversant, de vaincre la peur de la mort, c'est-à-dire, toutes les peurs ? Il y faut des initiateurs, des éclaireurs, pour que nos pas se dirigent dans la pénombre touffue des arbres séculaires. Il y faut des poètes, des exemples concrets, des personnes exemplaires, pour nous convaincre que, oui, cela est possible, et comme nous choisissons alors de respirer l'air pur des forêts, il y faut une communauté libre et solidaire pour penser que là se trouve une réponse plausible, paisible, aux maux que nous subissons encore. Mais comme nous nous levons, chaque matin, pour assurer notre subsistance, le « Traité » nous montre qu'il est plusieurs chemins possibles, qui ne sont pas forcément contraires à notre salut, qui ne nous amènent pas nécessairement à la catastrophe, mais des chemins de traverse qui nous forgent jour après jour un destin. C'est à les choisir que la personne engage le plus grand courage ; c'est de la découverte de ses ressources, des mythes ancrés en nous, que naissent tous les Rebelles, rares hélas, qui nous ouvrent au lendemain.

Anna Sprengel, La Revue des Ressources.
http://www.larevuedesressources.org/spip.php


Traité du rebelle ou le recours aux forêts
Ernst Jünger

Henri Plard :

J'ai traduit par "Rebelle", faute d'un équivalent français tout à fait exact, le mot allemand de Waldgänger, emprunté lui-même à une coutume de l'ancienne Islande.

Le proscrit norvégien, dans le haut Moyen Age scandinave, avait "recours aux forêts" : il s'y réfugiait et y vivait librement, mais pouvait être abattu par quiconque le rencontrait. Il serait aussi facile que vain de citer les "Rebelles" qui, à diverses époques, ont élu la solitude, la misère et le danger, plutôt que de reconnaître une autorité qu'ils tenaient pour illégitime, Robin Hood et ses compagnons, le Grand Ferré, les Camisards, et bien entendu les Résistants de la dernière guerre.

Le Partisan est le Waldgänger oriental, comme le Maquisard est le Rebelle du Midi. Tous ces termes eussent fixé l'esprit du lecteur sur une réalité historique, alors que le Waldgänger de Jünger est une "figure", au sens que notre auteur donne à ce mot : intemporel, de sorte qu'il peut et doit être actualisé à tout moment de l'histoire.


vendredi, octobre 14, 2022

Quand la guerre est spirituelle certains textes peuvent nous aider



Le Nuage d'inconnaissance, ce texte "mystique anonyme du XIVe siècle se situe dans la pure lignée de la contemplation qui va de Denys l'Aréopagite à Thérèse de Lisieux en passant par la "docte ignorance" de Nicolas de Cuse et la "nuit" de Jean de la Croix".

 
Sur le Nuage d'inconnaissance

par Lilian Silburn


Le « Nuage d'inconnaissance » est d'un auteur anonyme, moine probablement qui vivait en Angleterre vers le milieu du 14e siècle.

Ce court traité est l'un des plus profonds de la mystique chrétienne et pourtant il est à peine connu en France et n'a pas la place qu'il mériterait dans la littérature religieuse.

II s'apparente étroitement par l'esprit et la méthode aux chefs-d'oeuvre de Saint Jean de la Croix qui lui sont postérieurs. Comme eux aussi il s'adresse aux contemplatifs qui cherchent à atteindre les sommets de la vie spirituelle, c'est-à-dire l'union mystique par la voie étroite du dénuement et de l'amour.

Ces contemplatifs ne sont nullement des savants ni des théologiens adonnés à la science et qui aspirent à la claire vision de Dieu puisqu'on ne peut jouir de cette vision en cette vie. Le nuage d'inconnaissance n'est qu'à l'intention des âmes humbles qui aspirent uniquement à suivre la voie de l'amour, cet élan direct du cœur vers Dieu et vers Dieu seul.

Ce nuage d'inconnaissance est un symbole particulièrement bien choisi pour exprimer l'expérience mystique dans tout son dénuement. Ce nuage qui s'interpose entre l'âme et Dieu et obscurcit la connaissance que l'âme pourrait avoir de Dieu rappelle la « divine obscurité » et la connaissance obscure par agnosie d'un saint Denys l'Areopagite et offre encore des points remarquables de similitude avec "la nuit obscure" de Saint Jean de la Croix.

Ce nuage est l'oubli de notre activité cognitive et le renoncement aux lumières surnaturelles ; car la vie spécifiquement mystique ne consiste pas pour l'auteur de ce petit livre en une claire considération de quelque objet qui se situerait au-dessous de Dieu quelque savant et favorable qu'il soit, comme la méditation sur les perfections divines, les dons de Dieu, les saints ou les béatitudes ; elle ne consiste pas non plus en un mouvement aigu de l'intelligence ni en curiosité d'esprit ou en imagination parce que « tout ce à quoi tu penses cela est au-dessus de toi pendant ce temps et entre toi et ton Dieu » (éd. Guerne, p.32). Par contre plus valable en soi et plus plaisant à Dieu est cet aveugle élan d'amour vers Dieu en lui-même et « un tel et secret empressement en ce nuage d'inconnaissance ». La raison en est que « l'amour peut en cette vie atteindre Dieu mais la science point ».

Il est donc possible selon l'auteur sans vue, ni lumière, ni connaissance, en un élan d'amour que sans cesse Dieu suscite dans notre volonté.

C'est en ceci précisément que consiste l'œuvre dont l'auteur donne une description extraordinaire car c'est la seule fois à ma connaissance qu'un mystique insiste autant sur la brièveté et l'instantanéité de l'œuvre c'est-à-dire de ce très court élan qui mène vers Dieu. Ce n'est pas une prière qui dure et s'alanguit mais un élan dont l'intensité s'accroît sans cesse parce qu'il reprend et se renouvelle. Comme le dit si bien l'auteur du nuage d'inconnaissance : « ce n'est pas un long temps que réclame cette oeuvre pour son réel achèvement. C'est en effet l'opération la plus brève de toutes celles que puisse imaginer l'homme. Jamais elle ne dure plus ni moins qu'un atome lequel atome ... est la plus petite partie du temps » et cet atome est la juste mesure de la volonté. Ce mouvement de la volonté est précisément ce que l'auteur appelle le « pieux et humble aveugle élan d'amour ». À l'aide de la grâce tous les mouvements d'une âme qui serait parfaitement pure convergeraient vers le souverainement désirable et aucun n'irait se perdre vers les créatures.

En ces conditions il nous paraît que les conseils que donne ce moine ne sont pas seulement utiles aux âmes qui ont effectivement renoncé au monde et vivent dans un cloître mais qu'ils sont aussi à la portée de tous ceux qui se sentent portés vers la vie contemplative, car s'il est indubitable que les longues oraisons sont incompatibles avec les multiples occupations de la vie journalière, ce bref élan du cœur et de la volonté qui est apte à se renouveler parce qu'il est amour peut très bien par contre accompagner une vie active dans le siècle. En effet pour que cette oeuvre s'accomplisse nous dit l'auteur « un rien de temps suffit ». « Ce n'est qu'un brusque mouvement et comme inattendu qui s'élance vivement vers Dieu, de même qu'une étincelle de charbon. Et merveilleux est-il de compter les mouvements en une heure se faire dans une âme qui a été disposée à ce travail. Et pourtant il suffit d'un seul mouvement entre tous ceux-là pour qu'elle ait soudain et complètement oublié toute choses créées. Mais sitôt après chaque mouvement, par suite de la corruption de la chair, c'est la chute dans quelque pensée ou action exécutée ou non. Mais qu'importe ? puisque aussitôt après il s'élance de nouveau aussi soudainement qu'il l'avait fait avant. d'elle » (p. 29-30).

Cet élan suffit pour unir à Dieu. Mais à certains il convient de « l'avoir comme plié et empaqueté dans un mot » afin de mieux s'y tenir et ce mot doit être bref, « Dieu », « amour » par exemple ; c'est avec ce mot qu'il nous est conseillé de frapper à coups redoublés sur le nuage d'inconnaissance et de rabattre toute manière de pensée « sous le nuage d'oubli » car à côté de ce nuage obscur qui se trouve entre l'âme et Dieu, l'auteur distingue un autre nuage qui serait cette fois-ci non plus au-dessus de l'âme mais au-dessous d'elle ; nous avons là le nuage d'oubli qui s'interpose entre elle et les créatures.

Ainsi le nuage d'inconnaissance est le symbole original dans lequel s'exprime l'expérience vécue du moine en sa double nudité : nudité intérieure totale à l'égard de la connaissance de Dieu, ce « Dieu immense et profond » de St Jean de la Croix qu'aucune vision ou révélation ne peut traduire et dénuement intégral de toute chose, oubli parfait et de soi-même et des autres.

Le travail et l'effort qui reviennent à l'âme sont en effet de fouler aux pieds le souvenir de tout ce qui n'est pas Dieu et de perdre « toute idée et tout sentiment de son être propre». (p.137).

Bien avant St Jean de la Croix, ce moine anonyme du XIV° siècle décrit encore un autre aspect de l'obscurité qui rappelle la nuit obscure du Saint. Il la nomme « l'affliction parfaite qui sert à purifier l'âme » . « Tu dois prendre en dégoût tout ce qui se fait en ton intelligence et en ta volonté, à moins qu'il n'y soit que Dieu seul. Parce que tout ce qui est autre, assurément quoi que ce soit, cela est entre toi et ton Dieu, rien d'étonnant que tu le détestes et haïsses de penser à toi-même quand il te faut toujours avoir sentiment du péché, cet horrible et puant bloc massif de tu ne sais pas quoi, lequel est entre toi et ton Dieu / cette masse pesante qui n'est point autre chose que toi-même ». (p.138).

Cette oeuvre qui paraît si ardue au début deviendra facile parce que par la suite c'est Dieu qui voudra travailler seul mais alors qu'on laisse cette oeuvre agir en nous-même et nous conduire où elle voudra sans nous y mêler par crainte de tout embrouiller. Qu'on devienne aveugle durant ce temps en rejetant tout désir de connaissance qui serait plus un obstacle qu'une aide « qu'il te suffise pour toi de te sentir mû et poussé par cette chose que tu ne sais pas quoi et dont tu ne sais rien sinon que dans ce tien mouvement tu n'as aucune pensée particulière pour aucune chose au-dessous de Dieu et que cet élan nu est directement dirigé vers Dieu ». (p.114)

Comme saint Jean de la Croix l'auteur du Nuage d'Inconnaissance dit nettement que l'oeuvre de Dieu en nous est passive et surnaturelle et que l'initiative de l'âme active et naturelle amènerait à éteindre l'esprit. Mais nous n'en saurons pas plus sur cette oeuvre divine ni sur l'illumination qui perce parfois le nuage d’inconnaissance ni sur l'embrasement d'amour qui en résulte, l'auteur ne pouvant ni ne voulant en parler car sa tâche se limite à décrire l'oeuvre propre de l'homme qui est attiré et aidé par la grâce.

La façon toute savoureuse, vivante et ingénue dont l'auteur fait part de ses conseils et de ses expériences est admirable par sa simplicité et sa nudité ; le lecteur n'y verra exposées et discutées que des choses essentielles, indispensables et suffisantes qui témoignent précisément de sa grande expérience spirituelle. C'est ce qui fait la valeur de ce court traité et en rend la lecture si attrayante.


Lire Le Nuage d'inconnaissance :




"Ce site présente des chemins mystiques que nos aînés ont tracés aux siècles passés. Il s'efforce d'éviter toute interprétation anachronique ou préjugé d'origine religieuse ou idéologique.

Il s'agit d'extraire d'un "océan des textes" les rares témoignages d'hommes et de femmes qui, parvenus au terme de leur quête, incitent à se lancer par noble ambition spirituelle sur le sentier de l'amour divin..."

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BONUS :

PDF gratuit : "Abhinavagupta, La Lumière sur les Tantras", traduit par Lilian Silburn

Lilian Silburn s’était attachée pendant des années à la traduction du Tantäloka avec le commentaire de Jayaratha. Elle avait étudié Jes douze volumes de ce vaste traité. Elle l’avait lu et discuté, au Cachemire, avec le swami Lakshman Joo, auprès duquel elle avait, au cours des ans, passé de nombreux mois. Elle s’est souvent référée, dans ses travaux, à ce texte d’Abhinavagupta, ainsi qu’au commentaire qu’en avait fait, quelque deux siècles plus tard, Jayaratha. C’était une des sources de sa pensée comme de sa recherche. Elle y trouvait analysés ou décrits des états et des expériences qu’elle connaissait.

Le Tanträloka, « La Lumière sur les Tantras », est l’oeuvre la plus étendue d’Abhinavagupta qui, comme on le sait, vécut au Cachemire vers la fin du 10e et au début du 11e siècle de notre ère. Il fut sans conteste un des plus grands esprits de l’Inde. Esthéticien, philosophe, il avait la vaste culture d’un brahmane érudit : la connaissance des "membres auxiliaires du Veda", les vedànga (grammaire, poétique, exégèse des rites, etc.), comme celle des systèmes traditionnels de pensée, les darsana. Vivant au Cachemire, où le bouddhisme du Grand Véhicule avait brillé d’un vif éclat, il connaissait également bien la pensée bouddhique, celle notamment de l’idéalisme vijnänavädin, à laquelle il se réfère souvent dans ses travaux philosophiques. Mais Abhinavagupta était sivaïte et d’une tradition tantrique non dualiste, et c’est cette forme de sivaïsme que — sans ignorer d’autres systèmes — il expose dans le vaste ouvrage qu’est le Tanträloka dont nous présentons ici les cinq premiers chapitres ou "journées" (ähnika). N'oublions pas, enfin, car c’est essentiel, qu’Abhinavagupta avait atteint les sommets de la vie mystique : sa description des voies de la libération est toujours éclairée à la lumière d’une expérience profonde, vécue.

Chapitres 1 à 5 du Tanträloka
Téléchargement gratuit ICI


jeudi, octobre 13, 2022

Voies de Libération Totale


Voies de Réalisation Principielle
Voies de Polarisation


Par Nirodha


Nous allons présenter quelques réflexions sur les différentes Voies indiquées dans notre titre pour bien faire comprendre leurs différences et pour essayer de parer – mais est-ce possible ? – à la grande confusion qui règne en nos temps de fin du Kali-Yuga.


René Guénon, dans ses ouvrages : "La crise du monde moderne", "Initiation et Réalisation", "Le Règne de la quantité", etc., a magistralement défini et la nature des Voies et les conditions à remplir pour les suivre et le texte ci-dessous présenté est en quelque sorte une synthèse des écrits de René Guénon.

Tout cheminement sur une Voie authentique d’Eveil commence par une « initiation » : « initium = commencement » … car celui qui n’a pas commencé ne pas continuer ! Cette « entrée » sur une Voie permet de développer une compréhension de plus en plus profonde vers une « synthèse » nécessaire des données métaphysiques et psychologiques transmises, en évitant toujours les dangers du syncrétisme. Car, un pied sur une Voie et un pied sur une autre Voie, c’est l’image du terme technique « bivoie » venant des chemins de fer, et c’est le déraillement assuré du train, autrement dit l’échec de l’ascèse mal conduite.

Encore une fois, et il n’est pas inutile de le rappeler, il ne faut pas confondre le Dharma atemporel avec les bouddhismes qui sont des « systèmes : -isme signifiant système » qui occultent plus ou moins le Dharma, chacun de ces « systèmes » se présentant comme seul authentique et tous se critiquent entre eux. Le Dharma n’est pas un système. Il n’est donc pas non plus une « religion » mais dès l’origine tout simplement et directement une Voie de Libération Totale « extra-religieuse », sans aucun dogme, sans aucune croyance, sans aucun préjugé. La Bodhi y est à l’œuvre et guide l’aspirant tandis que « Le Bhagavat, le Bienheureux, se sert des mots mais n’est pas pris au piège des mots ».

Toute Voie a pour caractéristiques, entre autres hypothèses, deux hypothèses de base, sans la considération desquelles la notion de Voie n’a aucun sens.

Première hypothèse : L’homme est informé par trois Ordres, que nous appellerons, l’Ordre physiologique ou phénoménal grossier, l’Ordre psychologique ou phénoménal subtil et l’Ordre métaphysique ou par-delà le phénoménal ou encore Spirituel.

Deuxième hypothèse : Cette deuxième hypothèse nécessaire est la reconnaissance de l’insatisfaction foncière, fondamentale des deux premiers Ordres, physiologique et psychologique, et la supposition ou la prescience de la satisfaction, de la béatitude apportée par la réalisation du troisième Ordre, l’Ordre métaphysique.

Nous aimerions évoquer une image qui rendra plus frappante cette hypothèse dont les termes peuvent paraître obscurs pour qui prend contact pour la première fois avec ces notions.

Nous considérons que les existences quelles qu’elle soient, humaines, infra–humaines, supra–humaines, sont comparables à des vecteurs plongés dans un bourbier nauséabond jusqu’au niveau supérieur de la lèvre inférieure. Parfois des courants d’immondices particulièrement répugnants passent devant les enlisés, parfois aussi des courants de miel et de parfums.

Certains ne trouvent pas cette situation intolérable : ils ferment les yeux, la bouche, et le nez aux passages des courants infects et les ouvrent largement aux passages des courants parfumés. Certains aiment même les immondices et s’y plongent.

Mais d’autres ont conscience du désagréable de la situation ordinaire et du pénible, de l’horrible même, des courants d’ordures. La plupart ne voient pas comment s’en sortir ; ils restent passifs, mal à l’aise, souffrants, nostalgiques, dans leur mare infâme. D’autres, émus de cette situation où les autres sont impliqués avec eux, veulent non seulement se sauver mais aussi sauver les autres ; ils s’agitent beaucoup, font de grands gestes qui soulèvent des vagues, et tout le monde en a plein la bouche.

Enfin, les derniers, sages déjà un peu, conscients de l’horreur de la situation, s’approchent doucement, tout doucement du bord du cloaque, sans faire de vagues surtout ! Arrivés près du bord, ils voient des êtres qui sont sortis du bourbier. Ils saisissent une main, ils se hissent, ils s’asseyent sur le bord ; ils peuvent alors aider les autres à se libérer à leur tour.

Ainsi en est-il du bourbier de la vie phénoménale et la bourbe représente les conditions ordinaires de cette vie : tout ce qui affecte l’Ordre physiologique, tout ce qui affecte l’Ordre psychologique par le mental agité : peurs, haines, désirs, nostalgies, insatisfactions, incompréhensions des insatisfactions pour soi-même et des autres, vue superficielle de l’impermanence, peur de la mort, et autres champs des inconnues.

Bourbe, à tout prendre pas trop nauséabonde pour les existences humaines ; à peine malodorante, dit-on, pour les existences supra–humaines (mais quel danger d’endormissement !) ; extrêmement repoussante, dit-on, pour les existences infra–humaines (et nous avons un exemple en considérant les existences animales).

Pour nous, humains, cette bourbe est parcourue par des courants affreux, infernaux, que nous appelons : guerres, révolutions, massacres, tortures, agonies, perte des êtres chers, esclavages divers …

Pour nous, humains, cette bourbe est parcourue par des courants de miel : amitié, amour, dévouement, naissance d’un enfant, beauté, musique, poésie, les arts …

Certains hommes n’éprouvent pas l’horreur de la condition humaine à cause de leur amour-de-la-vie, de leur ignorance, soit d’autres conditions, soit même d’un déconditionnement total. Ils s’ouvrent aux plaisirs et se ferment aux peines ; ils restent passivement dans cette vie, jouissant au maximum des conditions agréables (ou supposées l’être).

Ceux qui plongent sont les hommes qui se délectent des souffrances, qui éprouvent une plus grande affirmation de leur faux moi par la souffrance que par le plaisir : « Qu’ils me fassent souffrir, qu’ils me haïssent, mais que je ne leur sois pas indifférent ! ».

Ceux qui font des vagues sont les « conducteurs de peuples », les grands chefs, les réformateurs ; plongés dans l’ignorance, sans aucune Sagesse, ils veulent sauver les autres. Ils font de grands gestes, torturent leurs adversaires, les fusillent ; ils instaurent des modifications sociales, politiques, font de « justes » guerres, des milliers ou des millions de morts ou d’éclopés, des destructions sans nombre. Quand ils sont chefs « religieux », ils imposent leurs dogmes par le fer, le feu et le sang ; et voulant sauver les autres, ils multiplient leurs souffrances.

Mais voici les « un-peu-sages » qui prennent le Dharma comme appui, comme radeau, et attentifs à se perfectionner sans cesse, veillent à ce que leur ascèse ne cause aucun mal autour d’eux ; petit à petit, ils se rapprochent du bord et que voient-ils alors ? Des Sages qui, ayant quitté la vie phénoménale dans ce qu’elle a d’erroné, sont en béatitude sur l’autre rive — Pâramitâ –. Par leur grand amour agissant (karunâ), ces Bouddhas, ces Mahâsattvas, ces Bodhisattvas et ces Arhats tendent la main de l’exemple, des conseils, de la pratique. Saisir ces mains, se hisser, réaliser l’Ordre métaphysique ou mieux, l’Exsufflation, entrer dans la Grande Perfection de Connaissance transcendante ou Intuition métaphysique accomplie, après avoir arrêté les purulences, âsrava, du vouloir-éprouver stupidement, du vouloir-vivre sans aucun discernement, il n’est plus alors que d’aider ceux qui s’approchent du bord du bourbier phénoménal et qui ont la ferme intention d’en sortir.

Qu’entendons-nous par « Ordre métaphysique » ?

Il faut bien le nommer ! – Ordo (arrangement, ordre), métaphysique (au-delà, au-dessus des choses, de la nature). Il a été nommé de plusieurs noms dans la Tradition ; Principe, par exemple, d’où notre expression « Ordre Principiel » ; Tao ; Brahman, Père, peut-être « Gottheit » par Maître Eckhart.

Il contient, « impersonnellement », la manifestation et la non-manifestation de tous les phénomènes. Tai k’i, il se divise en les deux polarités, Yang et Yin, qui par leur combinaison donnent la totalité de l’indéfinité des compossibilités (les possibles parmi les possibles).

Si l’Ordre physio-psychologique se manifeste en l’individu quand l’Ordre métaphysique n’est pas réalisé, quand il est virtuel, les trois Ordres s’expriment non plus dans l’individualité mais dans la Personne, l’individu transformé au travers duquel sonne le Principe comme l’indique le terme « Per-sonne ».

Opérer cette réalisation, c’est accéder dans notre formulation à la Réalisation Principielle par un « art-de-vivre ».

Mais il y a encore un « au-delà ». C’est le « Nirvâna », Exsufflation dont l’hypostase est « nirodha » ou extinction par Intuition métaphysique parfaitement développée. Cet Etat Suprême, dont nos balbutiements ne peuvent rendre compte, encore plus informulable (si l’on peut dire !) que le Principe, nous ne l’appellerons pas. Nous avons parlé quelquefois de Réalisation Totale pour signifier cet Etat, mais « res » appelant les « choses », le mot « réalisation » ne convient pas, et le meilleur terme est Nirvâna.

Nirvâna est l’aboutissement, quitter définitivement le monde des phénomènes, même en Connaissance Principielle.

Ainsi avons-nous discerné :

1. L’individu plongé complètement dans l’illusion.

2. L’individu dans l’illusion, mais pressentant un Ordre Principiel ou un Nirvâna.

3. La Personne, c’est-à-dire l’existence ayant plus ou moins réalisé l’Ordre Principiel.

4. L’existence, en chemin vers Nirvâna, ayant réalisé au moins le premier degré d’éveil par disparition des trois premiers liens (le lecteur cherchera) qui est irréversible, le premier point de non-retour, ou a fortiori, Nirvâna.

En fonction de ce que nous venons d’établir, il faut maintenant examiner les différentes Voies offertes, suivant ses capacités, à l’individu qui a pressenti un conditionnement principiel ou un total déconditionnement de ses conditions illusoires.

A priori, il ne semble pas qu’il puisse y avoir, pour l’individu sous complète illusion, un moyen de s’éveiller de son sommeil lourd, peuplé de rêves et de cauchemars. Toutefois, la théorie des Trois Ordres veut que l’Ordre métaphysique ou la perception d’un état nirvâné soit, quoiqu’enfoui au profond de la conscience, présent dans tout homme, si bas ou si fou soit-il. Le troisième Ordre est en quelque sorte en virtualité et il suffira d’un choc, d’une rencontre, pour que l’individu cesse de fouiller horizontalement la boue des phénomènes (les porcs ou les chiens de l’évangile), pour lever, peut-on dire, la tête vers la verticalité de l’Axe métaphysique.

Une image peut rendre compte de ce que nous dirons par la suite.
On peut figurer le lieu (loka) des existences phénoménales par un plan horizontal, et le Principe par un axe vertical, perçant ce plan en un point. On voit tout de suite que cet Axe a été symbolisé dans les Voies de multiples manières : Arbre de Vie, Mont Meru, Echelle de Jacob, Perche de cent pieds, etc … Le point d’impact est le Centre du Monde.

Notons là que nous aimerions décrire cette image en termes de cosmogonie bouddhique, beaucoup plus complète, plus subtile avec ses « trois lieux : triloka » :

1. Le lieu des existences liées par le désir sensuel, kâma-loka.

2. Le lieu des existences de la forme subtile, rûpa-loka.

3. Le lieu des existences sans forme, arûpa-loka. …

Peut-être le ferons-nous ultérieurement …

Revenons donc au plan horizontal représentant le lieu des phénomènes (et par ce terme nous entendons aussi les phénomènes subtils, c’est-à-dire psychiques), percé en un point par l’Axe Principiel.

Dans ce plan, des existences « individuelles », n’ayant aucunement la perception de la virtualité métaphysique (ceux qui ne savent pas qu’ils ne savent pas), errent (samsâra) au gré des conditions, à la recherche exclusive des phénomènes, conduits par leurs six sens (le 6ième étant le mental ignorant en contact avec les 5 autres sens), et en jouissant le plus possible. Nous incluons, bien évidemment, dans cette catégorie, des « hommes de science », des « médecins … », des « savants », des « scientifiques », des « poètes », des « musiciens », etc … !!! qui n’ont qu’une activité physio-psychologique et qu’une seule motivation : la recherche des phénomènes. Ces individus, fort dangereux, artisans de la dégénérescence des conditions, artisans de la fin des temps, sont comparables à des vecteurs non « orientés » dans le plan, tournés vers n’importe quelle direction, catégorie la plus basse dans l’humaine hiérarchie.

Rappelons au passage, nous l’avons déjà dit, que lorsque le désir arrive à un point extrême nous assistons à la « dominance » qui peut aller jusqu’à la dictature, dictature des « guerriers », dominance des politiques, des religieux, des scientifiques ! Et toujours, guerres, massacres, tortures, meurtres. Le désir sensuel lui aussi peut ne pas connaître de limites : drogues, horreurs sexuelles, viols, ignominies, etc … Et c’est bien ce qui est révélé à ceux qui, dans cette humanité, peuvent le « voir » y étant confrontés …

Dans ce lieu des existences, certains individus présentent l’Ordre Principiel, parfois comme une nostalgie (ils souffrent du manque de l’état vrai). Mais, liés par les conditions phénoménales, famille, biens, situation sociale, paresse, inertie, etc., ils ne tentent pas de grimper à l’Axe. (C’est la différence entre faire du ski dans les stations bondées pendant ses vacances et être un alpiniste chevronné toute l’année !). Ils se contentent de se tourner, à certains moments, vers le pied de l’Axe et par l’intention, les prières, les rites et les sacrements, les cérémonies ils consacrent ces instants à une aspiration vers le Principe. Ils sont comparables à des vecteurs du plan horizontal qui seraient « orientés » vers le point d’impact de l’Axe, qui seraient tournés vers le « Pôle », d’où le terme que nous retrouvons : « polarisation ».

Le grand danger pour ces individus polarisés, est de croire que cette polarisation, par ses résultats, est une Réalisation ; il n’en est rien, certainement, car il faut abandonner le monde phénoménal pour monter à l’Axe. Aucune Réalisation n’est possible autrement. Après la Réalisation, il est possible de revenir au monde, mais c’est alors en « descente », comme le fait le Bodhisattva pour apprendre aux autres comment se libérer, en connaissance telle des phénomènes qu’ils ont perdu pour lui tout pouvoir d’illusion, tout attrait.

Il s’agit alors d’être dans le monde sans être du monde.

Certains, ayant perçu, si peu que ce soit, la vanité, la vacuité des phénomènes, décident d’entreprendre l’ascension de la montagne de Sagesse Principielle. Par initiation réelle, par les rites (rita = action juste), par la direction d’un instructeur, la transmission de l’influence métaphysique, mystérieuse (au sens premier du terme) opération, par l’ascèse, la méditation, la contemplation, par, en somme, les trois moyens – éthique, techniques psychosomatiques et vision profonde, pénétrante : Silâ – Samâdhi – Prajñâ, ils réalisent la vacuité, la vanité du monde phénoménal et opèrent la Réalisation Principielle. Ils connaissent alors l’Ordo rerum, l’Ordre des Choses (causa), le Jeu du Principe ; ils ont abandonné à tout jamais désir, agressivité et illusion individuels. Ils ont vu que le serpent était en réalité une corde. Ils ont laissé toute peur, toute exaltation et sont en béatitude dans la Contemplation du Principe. Ils souffrent et ils jouissent certes, mais ces souffrances et ces jouissances sont simples, unifiées, principielles, sans aucune mesure avec l’individu sous illusion qui « souffre de sa souffrance » (signification, au passage, du mot com–passion qui est une passion du latin patire = souffrir !!, ici « souffrir de la souffrance »), ou jouit de sa souffrance, ou jouit de sa jouissance ou souffre de sa jouissance. Temps et espace sont abolis, fruits de l’illusion individuelle.

Les Voies qui conduisent à cette Réalisation, nous les nommerons : Voies de Réalisation Principielle.

Enfin, certains (mais qu’ils sont rares) voient l’Ordre des Choses comme partial. Cet Ordre qui est : – vie, mort – ; – santé, maladie, – ; – bonheur, malheur – ; – joie, peine – ; – positif, négatif –, paires d’opposés en somme, est dans sa manifestation, partial. Cette manifestation « préfère » la vie à la mort, la santé à la maladie. Le Principe se veut continuer, veut croître dans sa manifestation, et assure cette continuité par les pièges des purulences et des attachements non encore tous abandonnés. Et ceux qui ont nette perception de cette partialité, qui veulent échapper complètement au désir, fut-il principiel, ceux-là tendent une extinction, une exsufflation, « Nirvâna ».

Ils voient son seulement que le serpent était en réalité une corde, mais aussi que la corde n’a aucune réalité propre, qu’elle a pour nature propre la vacuité.

La Réalisation Principielle qui s’obtenait par un « art de vivre » doit être dépassée…

L’individu est mort (au sens métaphysique c’est la mort du vieil homme) mais aussi doit mourir, aussi à tout jamais la personne, pour arriver à « anâtman » le non-moi ou sans moi, c’est-à-dire Nirvâna.

1. Voies de polarisation pour l’individu tendant vers la personne,
2. Voies de Réalisation Principielle pour la Personne,
3. Voies vers le Nirvâna.

Quelles sont ces Voies encore à disposition du chercheur ?

Il y en a bien peu, et toutes meurent en ces temps de « sénilité des civilisations », ainsi qu’il est convenu d’appeler bien abusivement les « sociétés » modernes ! …

Le Catholicisme, l’Islam exotérique sont des Voies de Polarisation.

Le Christianisme, le Tao, l’Islam ésotérique avec les Soufis sont des Voies Principielles, et aussi, par affadissement, certaines Voies bouddhiques telles que le Zen « art de vivre » …

Mais il ne faudrait pas penser que tout est aussi clair que le montre cet exposé. En effet, si les Voies sont théoriquement bien caractérisées, les états auxquels elles donnent accès ne sont pas aussi précisément définies.

Pour prendre un exemple, on peut dire que Maître Eckhart, catholique, ne s’est pas arrêté à la polarisation, mais qu’il était aussi chrétien, c’est-à-dire qu’il avait accédé à une Réalisation Principielle et, mieux encore, on peut supposer par certains de ses écrits qu’il était « nirvâné ».

On pourrait en dire autant de certains Soufis.

On peut aussi en dire autant de certains éveillé par l’Advaïta-Vedânta.

Et, en sens contraire, par dégénérescence des Voies, il est à constater que certaines Voies Principielles, comme le Tao, ont dégénéré en polarisation, voire même en basse magie ; le Bouddhisme, Voie vers le Nirvâna, a, nous l’avons dit, par le greffage du Tao, donné une Voie Principielle qui est le « Zen-art-de-vivre » qui n’est pas suffisant sauf chez un HUI–N’ENG. On peut aussi parler d’un Bouddhisme de polarisation dans l’école de la Terre Pure où est simplement recherché un état favorable, après la mort, et non le nirvâna. Il est à noter toutefois que le danger de prendre polarisation pour Réalisation ne peut exister en Bouddhisme, car le Bouddhiste (qui comprend) qui ne met pas en œuvre les moyens d’accéder à Nirvâna sait qu’il ne sera jamais nirvâné, au contraire d’un catholique qui prétend par simple polarisation à un état Trans–phénoménal, ce qui est totalement illusoire. Comment ne sait–il pas que le mot sanskrit « Paradesha » – Paradis – veut dire seulement « entrée » ? (Mot qui a donné le « parvis » de l’église). On voit là le parallélisme entre Terre Pure et Paradis, les deux n’étant qu’une entrée … entrée dont le dépassement vers le « cœur » dépendra de l’éveil de l’Intuition métaphysique.

En conclusion, voici les différentes significations du mot Nirvâna :

Nirvâna : racine. VÂ = souffler. Extinction des facteurs d’existence par extinction des racines et des purulences psychologiques exposées dans la psychologie bouddhique, l’Abhidharma. Extinction d’un feu, d’une bougie, éteindre les trois feux du désir, de l’agressivité, de l’illusion. Synonyme de Pratinisarga = abandon total. Finalité de l’ascèse dharmique. Nirvâna est aussi nommé le « sans-mort » : amrta, la fin des naissances, la fin des morts, au-delà des mots, ineffable, indicible, au-delà des idées, des phénomènes, si subtils soient-ils. « Sans-naissance, sans-devenir, sans-création, sans-conditions ». On ne peut en parler qu’en termes négatifs, bien que les termes comme « le repos », « l’île », « le refuge » soient applicables par hypostase.


mardi, octobre 11, 2022

Rompre avec l'État


Désobéissance civile

Nous sommes depuis longtemps sortis des moments fondateurs de la démocratie. Et l'histoire nous a appris que, pour l'immense majorité des formations nationales existantes, la liberté laissée à tout individu de rompre avec l'État qui le fait citoyen est un principe qui a rarement été respecté

On peut tout de même suggérer que la démocratie représentative en a retenu un petit élément : en instituant le suffrage universel et le pluralisme politique, elle fait reposer la légitimité d'un pouvoir sur l'expression d'un assentiment à la forme de gouvernement qu'une collectivité se donne (dans le cas de la formation du fédéralisme américain) ou accepte (dans le cas des populations regroupées par association ou conquête). 

Dans le système représentatif, la voix singulière du citoyen a un lieu désigné pour s'exprimer : les urnes. Et ce n'est que lorsque ce mode d'expression lui semble devenu inapproprié qu'il peut en venir à se servir d'autres moyens pour la faire entendre. Il peut alors lui arriver de retrouver les chemins de la désobéissance civile, qui ne sont pas ceux de la défiance ou du rejet du politique. Au contraire serait-on tenté de dire : la désobéissance vient rappeler l'activité politique à une exigence d'authenticité à laquelle elle a cessé de satisfaire. […]

La désobéissance n'est pas une mise en cause du contrat social, mais sa réinterprétation. C'est parce que sa société nie l'égalité des droits que prône sa propre constitution que Thoreau revendique le droit de se retirer de/dans cette société. Son installation provisoire à Walden est une protestation contre la vie que mènent les autres hommes (« a life of quiet desperation »), contre sa société telle qu'elle existe. Emerson et Thoreau refusent la société de leur temps pour les mêmes raisons que l'Amérique a voulu l'indépendance, et revendiqué les droits que sont la liberté, l'égalité, la recherche du bonheur. Ils prennent à la lettre la Déclaration d'indépendance : 

"Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer et de l'abolir, et d'établir un nouveau gouvernement."

Thoreau dans "La Désobéissance civile" déclare : « Je souhaite refuser de faire allégeance à l'État, m'en retirer de manière effective. » 

Le retrait n'est pas le retrait métaphorique de l'intellectuel qui se place au-dessus des conflits, hors de l'institution, mais le refus de l'allégeance. Si l'État refuse de dissoudre son union avec, le propriétaire d'esclaves, alors « que chaque habitant de l’État dissolve son union avec lui (l'État) ». « Je ne peux reconnaître ce gouvernement pour mien, puisque c'est aussi celui de l'esclave », dit Emerson. Si j'accepte la société, la reconnais comme mienne, je suis esclave, nous le sommes tous, même nous habitants du Nord des États-Unis. Je me demande parfois comment il se peut que nous soyons assez frivoles, si j'ose dire, pour prêter attention à cette forme grossière de servitude appelée l'esclavage nègre, tant il est de fins et rusés maîtres pour réduire en esclavage le Nord et le Sud à la fois. »

Thoreau et Emerson se révoltent contre l’État non pas pour défendre – à la manière du communautarisme - les droits de certaines catégories. Ceux qu'ils défendent, Indiens et esclaves, n'ont même pas de droits (ils n'ont pas de voix dans leur histoire, dit S. Cavell). Plutôt que de revendiquer à leur place, et de les maintenir dans le silence, ils préfèrent revendiquer les seuls droits qu'ils puissent défendre, les leurs. Leur droit d'avoir un gouvernement qui parle et agit en leur nom, qu'ils reconnaissent, à qui ils donnent leur consentement. Je dois consentir à mon gouvernement, c'est-à-dire, considérer qu'il parle en mon nom, bref, lui donner ma voix.

Albert Ogien et Sandra Laugier, "Pourquoi désobéir en démocratie ?"



Les raisons de se révolter ne manquent pas. Mais on ne se révolte pas n'importe comment : en démocratie, s'engager dans un combat contre l'injustice, l'inégalité ou la domination est un geste qui doit s'exprimer sous une forme d'action politique acceptable. 

Parmi ces formes se trouve la désobéissance civile qui consiste, pour le citoyen, à refuser. de façon non violente, collective et publique, de remplir une obligation légale ou réglementaire parce qu'il la juge indigne ou illégitime, et parce qu'il ne s'y reconnaît pas. Cette forme d'action est souvent considérée avec méfiance : pour certains, elle ne serait que la réaction sans lendemain d'une conscience froissée puisqu'elle n'est pas articulée à un projet de changement politique ; pour d'autres, à l'inverse, elle mettrait la démocratie en danger en rendant légitime un type d'action dont l'objet pourrait être d'en finir avec l'état de droit.

Ce livre original, écrit par un sociologue et une philosophe, analyse le sens politique de la désobéissance, en l'articulant à un examen approfondi des actes de désobéissance civile qui prolifèrent dans la France d'aujourd'hui - à l'école, à l'hôpital, à l'université, dans des entreprises, etc. Il montre comment ces actes s'ancrent avant tout dans un refus de la logique du résultat et de la performance qui s'impose désormais comme un mode de gouvernement. A la dépossession qui le menace - dépossession de son métier, de sa langue, de sa voix -, le citoyen ne peut alors répondre que par la désobéissance, dont le sens politique doit être pensé.


Télécharger gratuitement "La désobéissance civile" de Henry David Thoreau, livre qui influença grandement Gandhi :

lundi, octobre 10, 2022

Tout est fait pour détruire notre civilisation



Dans une interview donnée pour le média indépendant “NTD”, Jean Lasalle, ancien député et président du mouvement Résistons, a déclaré :

"Maintenant tout est fait pour saboter et détruire tous les fondements de nos civilisations. Et puis ces vaccins, moi je n’ai pas eu le Covid, j’ai eu le vaccin Johnson qui a failli me tuer, qui m’a déformé le cœur, j’ai eu 4 opérations depuis le 3 janvier de cette année." 

Selon Jean Lasalle, Emmanuel Macron et certains ministres ne se sont pas fait vacciner contre la COVID 19. "Je ne savais pas qu’Emanuel Macron n’était pas vacciné. Je ne savais pas que la plupart des membres du gouvernements ne l’étaient pas non plus."

Vidéo (45 mn) : https://ntdtv.fr/jean-lassalle-tout-est-fait-pour-detruire-notre-civilisation/



dimanche, octobre 09, 2022

Un téléfilm de 1970, "La fraternité ou la mort", dévoile le contrôle maçonnique


Le fait qu'un culte satanique, la franc-maçonnerie, contrôle la société est confirmé par le fait que cela est rarement mentionné dans les médias de masse. Et si c'est le cas, cette société secrète n'est jamais dépeinte sous son vrai jour.

Un film de 1970 fait pour la télévision, "La fraternité ou la mort" ("Brotherhood of the Bell"), est une rare exception. Il montre ce qui se passe lorsqu'un professeur d'université désobéit au serment du secret.

Patterson a l'air d'un self-made man. Mais son succès est en grande partie dû à ses 20 ans d'appartenance à la "fraternité".

L'argent qui soutenait son département universitaire est coupé et il se retrouve au chômage. La société d'ingénierie de son père est soudainement auditée et accusée de fraude. Sa femme enrage contre son stupide "honneur" et fait ses valises.

Dans une scène merveilleuse, il se rend compte que non seulement il doit son succès à ce culte, mais qu'il lui doit aussi sa femme. Son père est membre de la Confrérie. "Tu as fait partie de ma récompense", lui dit-il. "Sort d'ici".

Le film rend compte de la naïveté de Patterson. Il a été membre de cette organisation pendant 20 ans mais ne réalise apparemment pas sa véritable nature satanique ni l'étendue de son pouvoir. Il ne se rend pas compte que le président des États-Unis et toutes les autres personnes importantes sont impliqués dans cette conspiration.

Le film a été écrit par David Karp ("The Untouchables", "The Defenders") basé sur son roman et réalisé par Abraham Paul Wendkos.


Résumé du film :

Vingt-deux ans après avoir été initié dans la société secrète connue sous le nom de "fraternité du clocher", le Pr. Andrew Patterson (Glenn Ford) est convoqué pour parrainer une nouvelle recrue, Phillip E. Dunning. L'initiation a lieu dans la « chambre secrète du clocher » située dans la maison de la fraternité Beta Epsilon Lambda de l'université St-George à San Francisco. Patterson est reçu froidement par le surveillant des lieux, Weber, qui le conduit vers la bibliothèque pour retrouver son propre initiateur Chad Harmon de San Francisco, membre depuis quarante ans.

L'initiation a lieu précisément devant un clocher géant, au centre des pointes d'un compas dessiné sur le sol. Dunning jure le secret, et rejoint sa place à l'est du compas pendant que Haron se met au sud, Patterson à l'ouest, et enfin Weber au nord. Les quatre hommes récitent le sermon de loyauté secret qui se termine par le tintement de la cloche.

En quittant les lieux Chad Harmon donne à Patterson une carte de visite avec une adresse, à rejoindre avant de voler pour Los Angeles. Dans une conversation avec son nouvel initié, il insiste sur le fait qu'il fait désormais partie de l'establishement. Lorsqu'il arrive à l'adresse de la carte, Un grand homme grisonnant lui demande la carte et lui remet en échange deux enveloppes. L'une contient des instructions et l'autre le matériel pour les réaliser. On lui ordonne de n'ouvrir les enveloppes qu'une heure après.

Chad Harmon dîne dans son bureau lorsque Patterson surgit. Lorsqu'ils sont seuls, Patterson lui parle alors de sa mission : un collègue, le Dr. Constantine Horvathy, doit être empêché de prendre le poste de doyen du département de linguistique d'une faculté de l'est des USA. Le matériel est un dossier rempli de photos et CV d'hommes et de femmes originaires d'une nation communiste qui ont aidé Horvathy à passer à l'ouest. Patterson a reçu l'instruction de les envoyer à leur ambassade si Horvarthy refuse de céder. Cependant, Horvarthy est un ami proche de Patterson et de sa femme : Harmon doit calmer Patterson et lui conseille de jouer sur ses sentiments pour éviter de recourir au chantage direct.

Patterson accepte et va voir Hovarthy avant une conférence du soir. Le Dr. Horvathy refuse de céder, aussi Patterson lui montre le dossier, ce qui le terrifie et le pousse à se donner la mort. M. et Mme Vivian Patterson sont plus tard réveillés par la police qui enquête sur le suicide du docteur. Quand la police s'en va, Pattererson révèle tout à sa femme. Elle lui suggère de demander conseil à son père, Harry Masters. Ces deux derniers rencontrent un certain Thaddeus Byrnes, supposé être un agent des « Federal Security Services ». Ils se rencontrent dans un bureau puis remet le dossier à Byrnes sur son insistance.

Constatant qu'il n'y a pas de suite, Patterson retourne au bureau. Un agent l'informe, à son grand étonnement, qu'il n'existe aucun agent Byrnes ni aucune référence au dossier. Harry Masters, contacté par Shephard, nie l'existence de l'entretien et explique que Patterson a besoin d'un psychiatre.

Enfin lorsque Patterson se rend chez Harry Masters, son beau-père, il le trouve justement avec un psychiatre. Il s'en va en remarquant : « vous êtes un satané menteur, Harry ! ». Patterson découvre par la suite que le département d'économie de son université doit être fermé par le doyen, le Pr. Jerry Fielder, pour insuffisance de fonds. Il est en outre mis sur liste noire et ne peut plus travailler comme enseignant. Par la suite, sa femme Vivian le quitte et il réalise que tout ce que la vie lui a donné était en fait lié à son adhésion.

Patterson donne une conférence de presse et révèle l'existence de la fraternité et de son « contrat » sur Hovarty. Chad Hamon nie tout et la police abandonne l'enquête faute de preuve. Le père d'Andrew, Mike Patterson, reçoit un contrôle fiscal et meurt d'un accident cérébral à la suite d'une confrontation avec Harry Masters. Patterson entame alors une croisade contre la fraternité : il se présente à un talk show présenté par Bart Harris. Quand Patterson parle de complot, deux participants racontent des versions ridicules du même complot. Harris humilie Patterson, l'accusant de faire partie des illuminés connus pour voir des complots partout. Patterson agresse alors Harris et est conduit en prison.

Son salut vient d'un ami, le Pr. Fielder, qui le fait libérer. Il suggère à Patterson de trouver un autre « frère » qui pourrait l'aider. Patterson ne pense qu'à une seule personne, le novice qu'il a initié, Phillip Dunning. Il part alors à San Francisco et rencontre son novice. Sentant qu'il a échoué, il repart à l'aéroport déçu, mais dans un couloir il entend des pas derrière lui : c'est Dunning qui le rejoint pour retourner à Los Angeles et l'aider comme l'avait suggéré le Pr Fielder. (Source)

Voir le film sous-titré en français par Documents rares & inédits
 :



Tous veulent diriger les pas de tous : la vie en commun en devient intolérable





Dans tout homme sommeille un prophète, et quand il s'éveille il y a un peu plus de mal dans le monde...

La folie de prêcher est si ancrée en nous qu'elle émerge de profondeurs inconnues à l'instinct de conservation. Chacun attend son moment pour proposer quelque chose : n'importe quoi. Il a une voix : cela suffit. Nous payons cher de n'être ni sourds ni muets...

Des boueux aux snobs, tous dépensent leur générosité criminelle, tous distribuent des recettes de bonheur, tous veulent diriger les pas de tous : la vie en commun en devient intolérable, et la vie avec soi-même plus intolérable encore: lorsqu'on n'intervient point dans les affaires des autres, on est si inquiet des siennes que l'on convertit son "moi" en religion, ou, apôtre à rebours, on le nie : nous sommes victimes du jeu universel...

L'abondance des solutions aux aspects de l'existence n'a d'égale que leur futilité. L'Histoire : manufacture d'idéaux..., mythologie lunatique, frénésie des hordes et des solitaires..., refus d'envisager la réalité telle quelle, soif mortelle de fictions...

La source de nos actes réside dans une propension inconsciente à nous estimer le centre, la raison et l'aboutissement du temps. Nos réflexes et notre orgueil transforment en planète la parcelle de chair et de conscience que nous sommes. Si nous avions le juste sens de notre position dans le monde, si comparer était inséparable du vivre, la révélation de notre infime présence nous écraserait. Mais vivre, c'est s'aveugler sur ses propres dimensions... Que si tous nos actes -depuis la respiration jusqu'à la fondation des empires ou des systèmes métaphysiques - dérivent d'une illusion sur notre importance, à plus forte raison l'instinct prophétique. Qui, avec la vision exacte de sa nullité, tenterait d'être efficace et de s'ériger en sauveur ?

Nostalgie d'un monde sans "idéal", d'une agonie sans doctrine, d'une éternité sans vie... Le Paradis... Mais nous ne pourrions exister une seconde sans nous leurrer: le prophète en chacun de nous est bien le grain de folie qui nous fait prospérer dans notre vide.

L'homme idéalement lucide, donc idéalement normal, ne devrait avoir aucun recours en dehors du rien qui est en lui... Je me figure l'entendre: "Arraché au but, à tous les buts, je ne conserve de mes désirs et de mes amertumes que leurs formules. Ayant résisté à la tentation de conclure, j'ai vaincu l'esprit, comme j'ai vaincu la vie par l'horreur d'y chercher une solution. Le spectacle de l'homme, - quel vomitif ! L'amour, - une rencontre de deux salives... Tous les sentiments puisent leur absolu dans la misère des glandes. Il n'est de noblesse que dans la négation de l'existence, dans un sourire qui surplombe des paysages anéantis.

Autrefois j'avais un "moi"; je ne suis plus qu'un objet... Je me gave de toutes les drogues de la solitude ; celles du monde furent trop faibles pour me le faire oublier. Ayant tué le prophète en moi, (Comment aurais-je encore une place parmi les hommes ?)





samedi, octobre 08, 2022

Cioran et le bouddhisme



Loin d'être seulement un moraliste et un essayiste, comme on se plaît à le répéter, Cioran est bien un authentique philosophe, dont la pensée, certes contradictoire, fragmentaire et aporétique, se meut entre scepticisme et nihilisme ; n'est-ce pas d'ailleurs à bon droit que sa pensée, à la cohérence certes ô combien paradoxale et ambiguë, se laisse confronter, de par sa profondeur et sa richesse, à celle d'un Nietzsche, par exemple, quand bien même Cioran serait-il un penseur de moindre envergure ? Or, parmi les penseurs contemporains, nul davantage que Cioran n'a manifesté autant de dilection pour le bouddhisme.

Plaçant Pyrrhon et le Bouddha au-dessus de tout, Cioran confie s'être senti attiré par le bouddhisme dans la mesure où c'est une « religion athée » exempte de tout recours à la foi : « Le bouddhisme m'a pendant longtemps intéressé ; c'est que le bouddhisme vous permet d'accéder à une religion sans avoir la foi. Le bouddhisme est une religion qui ne préconise que la connaissance. On nous enseigne que nous ne sommes que des composés, que ces composés se dissolvent, qu'ils n'ont pas de réalité, on nous démontre notre non-réalité. Et ensuite, on dit : maintenant tirez les conséquences » (Cioran). Quoi qu'il en soit de la justesse de cette caractérisation du bouddhisme comme « religion athée » exempte de tout recours à la foi (caractérisation sur laquelle il y aurait beaucoup à dire, tant elle appellerait des précisions et des correctifs afin d'éviter d'éventuels contresens), le fait est que Cioran, au témoignage de ceux qui l'ont bien connu (M. Eliade, G. Matzneff), était un esprit religieux sans religion (à la différence d'un Montherlant, par exemple, qui, lui, était totalement agnostique et athée) ; Cioran, tout en étant agnostique et athée, reste passionné par les questions théologiques. Mystique sans idoles, le fils du pope de Sibiu juge le bouddhisme supérieur au christianisme : « Mon objection contre le christianisme : il n'aide que si on a la foi, alors que le bouddhisme est d'un grand secours, quelles que soient vos croyances. - Je me méfie d'une religion où l'on a des rapports si compliqués, presque mesquins, avec un dieu personnel auquel on ne peut pas croire si on n'a pas la grâce, c'est-à-dire si, lui, il ne vous l'accorde pas -, tandis, que le bouddhisme ne fait appel qu'à la réflexion, à l'effort vers la connaissance » (Cioran). « Quelle erreur que celle des deux Testaments d'avoir personnalisé la divinité ! En créant un dieu à notre image, ils l'ont rendu fragile, vulnérable, éphémère. Le bouddhisme est autrement dans le vrai » (Cioran). « Ce dieu trop personnel du christianisme ne me dit plus rien, ni non plus cette ferveur directe, lyrique et quasi érotique qui m'enchantait tant a une autre époque de ma vie. Après avoir fréquenté un certain temps le bouddhisme, il m'est impossible de revenir aux mièvreries chrétiennes » (Cioran).

Bien plus, Cioran n'ayant pas consenti à séparer sa pensée et son individualité, ses théories et son destin personnel, c'est à la lumière de la doctrine bouddhique qu'il tente de comprendre sa propre trajectoire existentielle, ressaisie dans sa « discorde intérieure ».

Étrange destin pourtant que celui de Cioran : après s'être longuement targué, d'être bouddhiste, il s'est aperçu qu'il ne pouvait triompher de son moi, au point d'avouer que son bouddhisme n'était qu'une «imposture ». C'est ainsi que celui qui « ambitionnait de devenir l'émule du Bouddha » (Cioran) devait faire l'aveu suivant : « Au fond, la seule religion qui me séduise vraiment est le bouddhisme. Mais je ne suis pas bouddhiste, je vis par contradictions, lesquelles m'empêchent d'adhérer à une doctrine quelconque [...]. L'histoire des religions, quelle erreur ! Le spectacle de la mort est plus enrichissant que l'enseignement du Bouddha ».

Fantasmant lyriquement sur l'utopique condition ataraxique mais conscient du caractère impraticable du chemin de la délivrance, il finira par se résoudre à la « sagesse de l'indélivré » (cette notion apparaît dans Le Mauvais Démiurge, mais s'affirmera surtout à partir de 1990) : devenant « ce sage qu'il ne sera jamais », n'aspirant même plus au nirvâna, Cioran devient alors ce « sage indélivré » (ainsi qu'il se nomme), qui se caractérise par le projet utopique et paradoxal d'une acceptation volontaire d'être non délivré en vue d'atteindre à une sagesse qui lui promettrait la délivrance.

Tel est le paradoxe dont il convient d'élucider les raisons, s'il est vrai que le rapport de Cioran au bouddhisme, par-delà les vicissitudes de sa trajectoire individuelle, intéresse l'aventure spirituelle de l'Occident tant il est emblématique. Prendre la mesure de ce paradoxe et en démêler les raisons reviendra à mettre au jour l'écart qui sépare le bouddhisme authentique et le « bouddhisme frénétique » de Cioran (ainsi qu'un de ses amis caractérise Le Mauvais Démiurge).

Il apparaît que deux séries de raisons se conjuguent pour rendre compte d'un pareil écart. Que cela tienne d'abord à son idiosyncrasie personnelle est patent, et l'on connaît l'ancrage physiologique de sa pensée. Mais cela tient autant également à la manière propre qu'a Cioran d'entendre le bouddhisme, manière qui n'est pas sans lui infliger certaines distorsions, voire des solécismes d'interprétation. Si les raisons qui tiennent à son idiosyncrasie personnelle sont trop évidentes et trop connues pour qu'il soit besoin d'insister longuement - « Glissez mortels ! » - (au demeurant toutes les études sur Cioran les cernent parfaitement), les distorsions subtiles auxquelles Cioran soumet le bouddhisme méritent d'être mises au jour et analysées afin de comprendre à l'aune du bouddhisme lui-même pourquoi Cioran, aspirant à la délivrance, devait inéluctablement connaître un tel échec : c'est au fil conducteur du bouddhisme lui-même qu'il convient d'apprécier le faisceau de facteurs qui a conspiré à sceller son échec.

Cioran et son intérêt de prédilection pour les philosophies orientales

Si marqué qu'il soit, l'intérêt de prédilection de Cioran pour le bouddhisme demande cependant à être apprécié dans le cadre plus large de son intérêt pour l'ensemble des religions et philosophies de l'Inde, et ce dès sa période roumaine (il a suivi les cours de Mircea Eliade à l'Université de Bucarest). Car du relevé des occurrences consacrées aux religions et philosophies de l'Inde, il appert que Cioran s'est toujours intéressé à l'ensemble des religions et philosophies de l'Inde, dont le bouddhisme, on l'oublie trop souvent, n'est jamais qu'un rameau particulier : sur les 125 occurrences environ qui se peuvent dénombrer dans son œuvre (réunie dans l'édition Quarto et dans les Cahiers, c'est là un ordre de grandeur), on ne compte pas moins d'une vingtaine consacrées aux Upanishad et au Vedânta, à la Bhagavad Gîtâ (qu'il confie avoir lue une vingtaine de fois), au Sâmkhya, à des figures de mystiques tel Râmakrishna, aux grands indianistes tels que M. Eliade (auquel il consacre un texte), H. Zimmer, etc.

« A dire vrai, j'aurais pu être heureux dans une autre civilisation, et à une autre époque, aux Indes, au temps védique, etc., etc. Chine, Japon !

Il y a en moi un fonds d'Orient que je retrouve toutes les fois que je me détourne de cet intolérable monde moderne. L'Orient, cet univers sans temps, cette province absolue, - objet de tous mes regrets » (Cioran). « Les Veda, les Upanishad, j'y reviens de temps en temps. Tous les ans, j'ai des accès d'indianité » (Cioran).

En fait, contrairement à ce que l'on croit, Cioran a hésité entre les Upanishad et le Vedânda, d'une part, et le bouddhisme, de l'autre, et même le Taoïsme : « Ma position « philosophique » se place quelque part entre le bouddhisme et le Vedânta » (Cioran). « Devant la mort il n'y a que deux formules possibles : le nihilisme et le Vedânta. je passe de l'une à l'autre sans pouvoir m'arrêter ou me fixer à aucune » (Cioran). « Le Vedânta et le bouddhisme - le Soi et la négation du soi – deux manières de s'accommoder de la mort et d'en triompher. Essence ou agrégat. Entité ou “formation” » (Cioran).

Ce qui est exact, c'est que dans sa période française Cioran devait approfondir son intérêt pour le bouddhisme et qu'il se lance dans des lectures étendues de textes bouddhiques de sorte que son niveau d'information est supérieur sur le versant bouddhiste que sur le versant upanishadique et védântique : grâce à son amitié avec M. Eliade et sa familiarité avec son œuvre, il eut accès à des traductions sérieuses, notamment de textes du Mahâyâna, à des travaux de référence en la matière (De La Vallée-Poussin, L. Silburn, Instant et Cause. Le Discontinu dans la pensée philosophique de l'Inde), alors que sa connaissance du Vedânta reste tributaire d'un auteur déjà dépassé en son temps (par exemple, il cite Shankara à partir d'Oltramare, au nom d'ailleurs mal orthographié, Histoire des idées théosophiques dans l'Inde).

Ainsi pourra-t-il noter avec pertinence :

« J'ai réfléchi au Vedânta, avec le sentiment de l'avoir compris ou plutôt senti. Il me semble que j'ai perçu pour la première fois le sens de l'Atman et du Brahman, leur communication et aussi la possibilité de leur identité. Le Vedânta est plus exaltant que le bouddhisme, mais le bouddhisme est plus direct, terre à terre, et aussi plus radical ; ensuite, avec lui, on court moins le risque de se tromper, de sacrifier à une illusion. En effet, cela ne veut rien dire de revenir du bouddhisme, puisque le postulat sur lequel il s'appuie est que tout est illusoire, donc de quoi pourrait-on revenir encore, une fois qu'on s'en tient audit postulat ? Alors que le Vedânta, s'il déclare ce monde illusoire, il ose en revanche le Brahman et l'Atman, ces deux en un, comme suprême réalité. Or tout ce qui affirme et proclame le réel, l'absolu si l'on veut, court le risque d'être infirmé ou d'inspirer des doutes. Il est facile de revenir de l'être, mais quand on bâtit, comme le Bouddha, sans se soucier de l'être ni même du non-être, on ne voit pas de quoi on serait revenu. L'être seul peut décevoir ; mais quand on le remplace par rien, ce rien, nécessairement simulacre de l'être, comment décevrait-il puisqu'on n'en attend précisément rien ? » (Cioran).

Le bouddhisme : un scepticisme radicalisé

« On me demande : Est-ce que vous avez subi l'influence de X et de Y ? - Non. Je n'ai eu que deux maîtres : le Bouddha et Pyrthon » (Cioran). Or, la principale distorsion que Cioran inflige au bouddhisme tient précisément à ce que son propre scepticisme l'incline à aborder le bouddhisme à la lumière du scepticisme antique, comme si le bouddhisme n'était en fait qu'un scepticisme radicalisé. Issu du scepticisme incandescent de sa période roumaine, le scepticisme de Cioran s'inscrit à la croisée du scepticisme de Pyrrhon et de celui de Sextus Empiricus, encore que les inflexions pyrrhoniennes y prédominent. Que la légende suivant laquelle Pyrrhon aurait accompagné son maître lors de la campagne d'Alexandre en Asie et aurait rencontré en Inde des gymnosophistes ait un fondement historique ou non, nul ne saurait nier que les démarches sceptique et bouddhique apparaissent consonantes.

Certes, il est vrai que les conclusions phénoménistes du scepticisme consonnent étrangement avec la démarche sur laquelle s'appuie la doctrine bouddhiste. De part et d'autre, on décèle une même remise en question de la prétendue connaissance objective, une même radicalité désontologisante qui aboutit à la pulvérisation de la réalité, tant il est vrai que l'attitude de remise en cause, de négation, de méfiance à l'égard des évidences sensibles est essentielle au scepticisme comme au bouddhisme en tant qu'ils mettent à distance les évidences sensibles. Or, comme dans le pyrrhonisme et le bouddhisme, le scepticisme chez Cioran est avant tout « un exercice de défascination » ; « La sagesse ? L'art de se déprendre. L'insensé s'emballe, le sage se déprend » (Cioran).

De part et d'autre, on décèle également une même remise en question de l'identité d'un sujet dont on sait à quel point l'enseignement bouddhique s'est montré soucieux de le réduire à une simple combinaison d'agrégats (skandha).

Bien plus, le bouddhisme met en œuvre une déconcertante méthode d'éveil proche de ces pratiques de « suspension du jugement » (épochè), de non-assertion (aphasia), d'attitude d'« indifférence » (adiaphoria) , par lesquelles le pyrrhonisme entendait réduire l'entendement au silence et conquérir la quiétude de l'âme : la démarche sceptique et la démarche bouddhique ont assurément en commun de viser à ce que l'esprit se délivre de ses mirages et cesse de se pétrifier, même si l'attitude bouddhique apparaît beaucoup plus radicale.

La suspension du jugement que prône le scepticisme est censée conduire à une sagesse qui se définit toujours par des négations, l'ataraxie devant suivre la suspension du jugement comme l'ombre suit le corps. De la suspension du jugement naît, en effet, une situation d'équilibre que décrit le silence d'une imagination qui ne sait plus ni affirmer ni nier touchant la nature de l'objet : « La non-assertion (aphasia) est l'état de notre âme qui nous pousse à ne rien affirmer non plus que nier ›› (Sextus Empiricus, Hypotyposes, I, 192). Le scepticisme use par ailleurs de la stratégie de l'isosthénie (étant donné que les choses sont de soi indifférentes, afin de préserver l'équilibre de l'âme, il convient de suspendre son jugement dès lors qu'il y a autant de rationes pro que de rationes contra de forces égales pouvant être opposées à toute opinion, s'agissant par exemple de l'existence ou non des dieux, de la réalité ou non du nexux causal, etc.). Enfin, le scepticisme a également recours à la dialectique négative comme chez Sextus.

De son côté, le Bouddha prône également la suspension du jugement lorsqu'il refuse de s'engager dans les sables mouvants de la métaphysique spéculative et constructive : refusant de statuer sur les questions spéculatives du type « Le monde a-t-il un commencement ou bien est-il éternel, est-il fini ou bien infini ? L'âme existe-t-elle ou non, et subsiste-elle ou non après la mort, et, dans l'affirmative, est-elle consciente ou inconsciente ? », etc. (questions spéculatives qui ne sont d'ailleurs pas sans évoquer celles de la Dialectique transcendantale selon Kant), il préfère garder le silence en présence des « quatorze questions [spéculatives] à laisser sans réponse (caturdasâvyankritavastuni) ».

Mais en comparaison avec la démarche sceptique, il est clair que la démarche bouddhique accuse une radicalité sans commune mesure avec le scepticisme grec, puisqu'elle use d'une dialectique destructrice et évacuatrice dont la méthode a systématiquement recours à cette matrice déconstructive qu'est le « tétralemme » (catushkoti). Comme le déclare le grand dialecticien bouddhique Nâgârjuna (Ier-IIe s. de notre ère) : « [L'un ne saurait affirmer que] “Chaque chose est vraie” ; “chaque chose n'est pas vraie” ; “chaque chose est à la fois vraie et non vraie” ; ou bien [l'on ne saurait affirmer] “ni que chaque chose est vraie ni que chaque chose est non vraie” : tel est l'enseignement du Bouddha » (Nâgârjuna, Mâdhyamika Kârikâ, XVIII, 8).

Pareille méthode dialectique ne peut naturellement que fasciner Cioran de par sa radicalité :

« Je me suis replongé dans la philosophie hindoue et je retombe dans cette alternance d'apaisement et de désespoir inhérent à cette philosophie. Le bouddhisme mahâyâna, dont je me sens pourtant si près, me désarçonne complètement. La dialectique de Nâgârjuna, celle de Çandrakîrti, de Çântideva - elle détruit tous les concepts, toutes les superstitions, pour que la vacuité plus que jamais raffermie en tant que seule « réalité », on s'y accroche et on y puise consolation et force pour dompter ses passions. La visée morale est évidente derrière ce déploiement d'arguments destructeurs : on anéantit tout pour trouver la paix au bout. Tant que quelque chose est, on vit dans le trouble. Anéantissons l'édifice de nos pensées et de nos « volitions » et reposons-nous sur ses décombres. Il n'y a de paix que si l'on a deviné que tout est phantasme ; dès que quelque chose existe, on entre dans le drame. Il faudrait dire des qu'on croit que quelque chose existe, - car il ne s'agit que de nos folies et de nos emballements, lesquels ne cachent rien derrière eux, puisqu'il n'y a rien qu'eux ». Ainsi la conclusion que Cioran tire de la dialectique destructrice et évacuatrice de Nâgârjuna rejoint-elle ici Pyrrhon, en tant qu'il annule la différence de l'apparence et de l'être, et postule l'existence d'une apparence pure et sans extérieur, apparence universelle et absolue, qui est le tout. Cioran confie encore: «Tout ce que je pense des choses est résumé dans cette formule d'un représentant du bouddhisme tibétain : “Le monde existe, mais il n'est pas réel ».

Toujours est-il que la mise en œuvre de la méthode dialectique mâdhyamika, de par la suspension hyperbolique qu'elle induit, débouche sur un état de réceptivité spontanée où l'on s'ouvre à la Réalité par excellence, incommensurable, indéfinissable. Ouverture au mystère de la présence qu'incarna justement le Bouddha dans un épisode que prise Cioran, l'épisode fameux du sourire silencieux du Bouddha, épisode qui se déroula au Pic des Vautours à Râjagriha et qui est rétrospectivement regardé comme ayant marqué l'acte de naissance du Mahâyâna :

« Le Bouddha, devant ses disciples, prend une fleur de lotus et sourit, Tous se demandent quelle est la signification de ce geste. Un seul en comprit le sens : il sourit lui-même » ; « Le sourire du Bouddha. Il sourit quand, à la suite d'une série de questions sur le sens dernier du désir, du dégoût, de la sérénité, on lui demande : Quel est le but, le sens dernier du nirvâna ?

Le Bouddha qualifie cette question d'excessive, d'extrême ; elle ne comporte aucune réponse. Et il sourit. On a beaucoup épilogué sur ce sourire. Pourquoi n'y pas voir une réaction normale devant une question gênante, voire indiscrète, en tout cas impossible ? C'est ce que nous faisons chaque fois que quelqu'un nous interroge sur quelque chose qui ne comporte aucune réponse. C'est notre comportement devant le pourquoi absurde des enfants ou des malappris, des indiscrets. Nous sourions, parce que la réponse n'est pas possible, ceci parce que la question est dépourvue de sens ».

Il n'en demeure pas moins que cette identification du bouddhisme au scepticisme fait problème dans la mesure où la caractérisation du bouddhisme comme « scepticisme » demeure insuffisante et ne va pas sans difficultés. En effet, la démarche bouddhique, si elle comporte un versant de nature négative lorsqu'elle prône la suspension de toute affirmation dogmatique (telle est sa récusation ontologique qu'elle s'abstient d'affirmer aussi bien l'être que le non-être), ne s'adosse pas moins également à un versant de nature positive lorsqu'elle prescrit et exige l'adhésion à une doctrine-médecine qui, elle, répond à une position bien déterminée : lorsqu'il enseigna la doctrine des Quatre Nobles Vérités et la doctrine de l'impermanence des cinq agrégats, le Bouddha a assumé une position bien déterminée et réputée vraie parce que conforme à la nature profonde des choses. Or, l'adhésion requise ici n'a rien à voir avec une quelconque « foi », car elle consiste bien plutôt en une adhésion raisonnée puisqu'elle invite à mettre réflexivement à l'épreuve la vérité même de la doctrine-médecine bouddhique et à la tester in vivo dans ses bienfaits ou méfaits éventuels.

Sans doute Cioran aime-t-il à se présenter comme un « sceptique sui generis » qui « possède encore sur [l'autre] l'avantage de pouvoir s'ouvrir à des expériences d'un ordre différent, à celles des esprits religieux surtout, qui utilisent et exploitent le doute, en font une étape, un enfer provisoire mais indispensable pour déboucher sur l'absolu et s'y ancrer » (Cioran). Mais voilà, un de ses amis clairvoyant dénonce chez lui son fâcheux « automatisme du scepticisme », lequel, fatalement, ne pouvait que faire obstacle à l'adhésion requise : Cioran n'avoue-t-il pas déceler en lui « un penchant à la négation extrêmement accusé et dont dérivent tous mes autres goûts, en premier lieu celui sur la mystique. Tout m'ennuie, sauf quand il s'agit de détruire ce monde » (Cioran). C'est peu dire que Cioran est « un écorché érigé en théoricien du détachement, un convulsionnaire qui joue au sceptique » : son scepticisme est un « scepticisme pathétique », s'il est vrai que le scepticisme est « l'élégance de l'anxiété » en même temps que « la forme la plus subtile de l'intolérance ». Comme Cioran est loin de ce parangon de détachement et de ce modèle de douceur qu'était, paraît-il, Pyrrhon !

Aussi la notion de scepticisme chez Cioran ne laisse-t-elle pas d'être ambivalente : partagé entre un désir d'échapper à ce monde dont la vision lui est trop difficile à supporter et l'incapacité à renoncer aux passions du moi, Cioran troque la sérénité pyrrhonienne et bouddhique contre le vertige moderne : pris entre deux vertiges, Cioran fait alors l'expérience paradoxale et singulière d'un « scepticisme de la chute ». Seulement, ce « scepticisme de la chute » le condamne à ne jamais connaître la suspension et le détachement nécessaires à l'ataraxie. Comment, en effet, se détacher d'une suspension et suspendre une chute ? N'est-ce pas là un programme impossible à réaliser ? À travers l'écriture, Cioran tente alors de cohabiter avec lui-même ; son œuvre est l'histoire de cette cohabitation passionnelle au fil d'un itinéraire philosophique en proie à une sagesse impraticable puisque se niant sans cesse. [...]

François Chenet, Cioran, L'Herne.



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