mardi, décembre 20, 2011

D'Icarie à Marinaleda





Marinaleda

L'utopie égalitaire est une réalité en Espagne.

Dans la péninsule ibérique, il y a un lieu où le montant du loyer d'une maison est de 15 euros/mois. Le salaire de l'ouvrier (ou du cadre) est de 47 euros/jour pour six heures et demie de travail. Les frais de garderie s'élève à 12 euros/mois par enfant, cantine comprise. La démocratie participative, la vraie, y règne.

Mais qui parle de Marinaleda, ce village Andalou en autogestion depuis 1978 ? Surtout pas les 73 intellectuels qui ont contribué au Dictionnaire des Utopies, Larousse 2007. En « oubliant » l'histoire de Marinaleda, ces cerveaux, pleins de science sans conscience, servent les intérêts des maîtres du monde. Ces nouveaux chiens de garde n'ont d'autre but que de justifier et de perpétuer les valeurs morales et socio-économiques de l'oligarchie. (« En 1932, écrit Serge Halimi, pour dénoncer le philosophe qui aimerait dissimuler sous un amas de grands concepts sa participation à l'actualité impure de son temps, Paul Nizan écrivit un petit essai, Les Chiens de garde. »)


Marinaleda, une utopie vers la paix :
http://www.marinaleda.com/

Icarie

« Né à Dijon, Étienne Cabet (1788-1856) est un actif militant du parti républicain sous la monarchie de Juillet. Condamné à l'exil en 1834, il séjourne à Londres jusqu'en 1839. Au début de l'année 1840, de retour à Paris, il publie un ouvrage où il expose la possibilité pour une grande nation de procéder au partage égalitaire des richesses, de s'organiser en communauté des biens. Sous le titre de Voyage et aventures de lord William Carisdall en Icarie, il expose sa doctrine dans une fiction romanesque. Pour proposer à l'opinion publique la discussion de ses théories communistes, pour être lu et compris, surtout par les femmes, précise-t-il, il fait le choix de présenter un texte où l'irréalité, l'imaginaire sont pleinement assumés. Non seulement il ne réfute pas l'utopisme, mais il le revendique. Il soutient que sa propre conversion au communisme est survenue en lisant Thomas More, comme une illumination. Jusqu'à la caricature, il donne à son Icarie toutes les apparences d'un incroyable pays de cocagne, d'un paradis terrestre pour les ouvriers. La filiation revendiquée avec la tradition humaniste de l'utopie, le recours au procédé rhétorique de la fiction pour convaincre au-delà d'une élite déjà instruite le distinguent des réformateurs sociaux de son temps : des saint-simoniens, des fouriéristes, des néobabouvistes qui, opérant sur des bases savantes, « scientifiques », s'exposent à n'être pas compris par la plupart de leurs contemporains.

L'EFFICIENCE DE L'UTOPIE ICARIENNE EN FRANCE JUSQU'EN 1848.

Légaliste et pacifiste rigoureux, Cabet ne croit possible l'établissement de la communauté que par la conquête de l'opinion publique. A paris, Lyon, Toulouse, Nantes ou ailleurs, quand elle commence à être connue et discutée, surtout dans les milieux ouvriers, Icarie ne semble à personne un rêve suspendu au-dessus de nulle part, une réécriture anachronique de la Nouvelle Atlantide, de la Cité du Soleil ou de la Basiliade, un exercice de pure littérature. Le Voyage en Icarie, malgré les apparences que lui donne Cabet, n'est pas un ouvrage destiné à distraire, à détourner de l'action politique. Il a été écrit, il est publié pour convaincre les ouvriers qu'ils ont à s'engager dans les affaires de la cité, à conquérir la participation égale de tous les citoyens aux décisions politiques. Ne sont pas seulement données à voir et à envier, dans le roman, les douces conditions matérielles d'existence en Icarie, mais ce qui leur permet d'exister dans la communauté rêvée : l'adoption, après une révolution, d'une démocratie presque absolue. Ce qui est montré dans le Voyage en Icarie est le fonctionnement sur un vaste territoire, « grand comme la France », de mille assemblées populaires, une dans chaque commune, auxquelles participent tous les citoyens. Une représentation nationale en est issue, elle a un pouvoir illimité pour légiférer. Sont éradiquées, en Icarie, l'inégalité des richesses, la mise en concurrence des individus, la foi en l'égoïsme, parce qu'aucune catégorie de citoyens ne peut se prévaloir d'une prérogative quelconque, parce que tous sont égaux là où est décidé ce qui doit être fait dans l'intérêt général.

À partir du mois de mars 1841, Cabet commence la publication d'un journal : le Populaire de 1841. Autour du financement et de la diffusion de cet organe des doctrines communautaires, il parvient à organiser un réseau de disciples très dévoués. Dès 1846, ils sont présents dans tous les départements français. Beaucoup sont des ouvriers. Des femmes, nombreuses, s'engagent avec enthousiasme. Avant 1848, la plupart des communistes français sont icariens. Les prosélytes de la communauté icarienne se regroupent autour des « correspondants » désignés par Cabet. Ces correspondants organisent la mise en discussion des systèmes socialistes, les signatures d'adresses et de pétitions, d'incessantes collectes de fonds, parfois des actes de solidarité entre travailleurs ; surtout, ils veillent au respect des principes icariens : la réprobation des sociétés secrètes, le refus absolu de participer aux actes de violence.

Malgré le fort ascendant de Cabet sur ses disciples, malgré aussi le caractère familial de leurs activités militantes, leur communisme effraie de larges fractions de l'opinion publique. Dès 1841, la peur qu'inspire le communisme est instrumentalisée par les autorités pour tenter de discréditer les idées républicaines : la subversion communiste qui menace serait la conséquence inévitable des idées de 1793. Par crainte de concourir à la publicité de ces accusations, comme à celle des idées de Cabet, les réformistes se taisent. À partir de la fin de 1846, les milieux conservateurs développent, intensifient leur propagande anticommuniste partout sur le territoire français.

L'UTOPIQUE RÉALISATION D'ICARIE EN AMÉRIQUE APRÈS 1848.

Face à cette haine farouche contre ses doctrines, face au silence des réformistes dont il espérait le soutien, acculé dans une position sectaire qu'il n'a pas choisie, Cabet appelle les Icariens à émigrer en masse vers les États-Unis. Le 9 mai 1847, il leur écrit : « Persécutés comme Jésus et ses disciples par de nouveaux Pharisiens, retirons-nous comme eux dans le désert, dans une terre vierge, pure de toute souillure, qui nous offrira tous les trésors de sa fécondité. » C'est un appel à fuir la vieille Europe pour aller fonder Icarie là où le communisme ne fait encore peur à personne. Le mouvement icarien, désormais, se prépare à réaliser la communauté en Amérique. Le 3 février 1848, une première avant-garde quitte la France. Sa mission est de fonder une patrie pour les Icariens quelque part dans le nord du Texas. Rapidement, l'expédition tourne au désastre. Mal outillés, mal préparés, accablés par les fièvres, ces premiers pionniers doivent se replier, épuisés, vers la Nouvelle-Orléans. Entre octobre et décembre, des centaines de migrants, avec leurs familles, embarquent au Havre et à Bordeaux pour les rejoindre. Ils ont donné à la communauté tout ce qu'ils possédaient et croient partir pour Icarie déjà fondée. Quand ils arrivent à la Nouvelle-Orléans, la réalité est décevante. Certains demandent la liquidation de la communauté. En janvier 1849, Cabet rejoint ses disciples divisés. Avec ceux qui ne veulent pas renoncer, il fonde, deux mois plus tard, la communauté de Nauvoo dans l'Illinois : c'est une installation provisoire, une étape pour préparer l'implantation dans le désert, plus loin, plus tard. Ils sont alors 280, ils ont 60 000 francs en caisse, ils sauvent leur rêve, en partie du moins. Dès l'automne, de nouveaux départs sont organisés en Europe. Des renforts arrivent encore les années suivantes. En tout, ils sont près de 5000, Français, Espagnols, Allemands, à entreprendre le voyage en Icarie par groupes successifs, pendant une dizaine d'années.

À Nauvoo, pourtant, malgré le courage qu'elle peut inspirer, la foi s'épuise, la colonie végète : aux souffrances matérielles (incendies, inondations, sécheresse, le choléra surtout), à la pénurie chronique et grave de capitaux, s'ajoutent, plus pénibles, d'incessantes dissensions. Dès 1849, plus nettement à partir de 1853, un véritable parti d'opposition se forme contre Cabet. L'adhésion au communisme icarien est fondée sur une antipathie aiguë pour toute prétention à la confiscation du pouvoir : l'essai de vie en communauté des Icariens bute sur cette question. L'autorité morale que le fondateur d'Icarie prétend exercer sur les colons est tatillonne, tyrannique, insupportable. Il est vaincu par ses adversaires en mai 1856 : l'assemblée générale, institution souveraine dans la colonie, vote sa destitution de la présidence d'Icarie et sa mise en accusation pour détournement de fonds. Il doit quitter la communauté avec ses derniers partisans en août. En novembre, il quitte la ville de Nauvoo pour Saint-Louis où il meurt presque aussitôt. Ses amis de la minorité fondent une nouvelle communauté à Cheltenham, non loin de là ; elle est dissoute en 1864. En 1860, les membres de la majorité s'installent à Corning dans l'Iowa. Après une longue série de nouvelles vicissitudes, d'autres divisions encore, leur communauté, aussi résolument icarienne que celle de Cheltenham, est finalement dissoute en 1898. En France, à cette date, le nom de Cabet est oublié depuis longtemps. »

François Foum, Dictionnaire des utopies.



Les Chiens de garde




Photo :

lundi, décembre 19, 2011

La secte de Monsieur Freud





Dans son livre Crépuscule d'une idole, sous-titré L'affabulation freudienne, Michel Onfray s'en prend à une religion qui semble avoir encore de beaux jours devant elle. Cette religion, c'est la psychanalyse.

Le livre fut accueilli par « la haine d'un petit milieu et l'emballement du public » (Michel Onfray). Dans Apostille au Crépuscule, Michel Onfray écrit :

"Le problème est moins cette réception pathologique de mon livre que l'incapacité de mes détracteurs d'apporter un seul argument valable contre mon travail car, dans le flot d'articles, de commentaires ou de sites surgis à cette occasion, et il y en eut pléthore, on chercherait en vain une invalidation de telle ou telle thèse de mon livre. Par exemple :

1. Freud menteur.

2. Freud affabulateur, inventeur de « mythes scientifiques » et de « roman historique ».

3. Freud destructeur des traces de ses forfaits.

4. Freud cocaïnomane dépressif, errant doctrinalement et cliniquement pendant plus d'une décennie.

5. Freud à l'origine de la mort de son ami Fleischl-Marxow à cause d'erreurs répétées de prescriptions médicales.

6. Freud destructeur du visage d'Emma Eckstein avec l'aide de son ami Fliess.

7. Freud obsédé par l'onanisme.

8. Freud obnubilé par l'accouplement avec sa mère.

9. Freud extrapolant sa pathologie œdipienne à la planète entière.

10. Freud perpétuellement travaillé par le tropisme incestueux.

11. Freud couchant avec sa belle-sœur après avoir fait un point de doctrine de son renoncement à toute sexualité sous prétexte d'une sublimation dans la création de la psychanalyse.

12. Freud sacrifiant à l'occultisme et au spiritisme.

13. Freud pratiquant des rites de conjuration contre le mauvais sort.

14. Freud croyant à la télépathie.

15. Freud féru de numérologie.

16. Freud inventant des cas n'ayant jamais existé.

17. Freud romançant certains cas pour en faire des histoires convaincantes.

18. Freud mentant sur sa clinique.

19. Freud affirmant avoir guéri des patients qui ne l'ont jamais été.

20. Freud prenant 415 euros 2010 pour une séance et prescrivant une rencontre par jour.

21. Freud amassant une fortune en liquide échappant au fisc.

22. Freud théorisant l'« attention flottante », justifiant ainsi que le psychanalyste puisse dormir pendant les séances sans que l'analyse s'en trouve pour autant troublée.

23. Freud dormant pendant des séances, notamment avec Helen Deutsch.

24. Freud confiant à Ferenczi : « les patients, c'est de la racaille ».

25. Freud écrivant que sa psychanalyse soigne tout, et prescrivant tout de même en 1910 (!) l'intromission de sondes urétrales dans le pénis d'un homme afin de le guérir (!) de son goût pour la masturbation.

26. Freud écrivant à Binswanger que la psychanalyse est « un blanchiment de nègres », autrement dit, que son chamanisme ne fonctionne pas.

27. Freud ontologiquement homophobe.

28. Freud misogyne théorisant l'infériorité physiologique, donc ontologique, des femmes.

29. Freud très médiocre hypnotiseur.

30. Freud pratiquant la balnéothérapie ou l'électrothérapie.

31. Freud rédigeant une dédicace extrêmement élogieuse à Mussolini en 1933 en préface à Pourquoi la guerre ? (un livre qui développe des thèses en phase avec la doctrine du dictateur italien...).

32. Freud soutenant le régime austro-fasciste du chancelier Dollfuss en 1934.

33. Freud travaillant avec des émissaires de l'Institut Göring, dont Felix Boehm, pour assurer la pérennité de la psychanalyse dans le régime national-socialiste.

34. Freud manigançant l'exclusion du psychanalyste Wilhelm Reich, avec les mêmes émissaires de l'Institut Göring, pour cause de communisme.

35. Freud écrivant en pleine furie nazie que Moïse n'était pas juif et que les Juifs étaient des Égyptiens.

36. Freud avouant peu de temps avant la fin de sa vie qu'on «n'en finit jamais avec une revendication pulsionnelle », autrement dit: qu'on ne guérit jamais.

Ce Freud-là, donc, tous ceux qui m'ont traîné dans la boue en multipliant les attaques ad hominem n'en disent rien. Et pour cause, car le réquisitoire accablant brièvement résumé ci-dessus en trente-six thèses fait dans mon livre l'objet de longues argumentations étayées par des références et des citations dûment répertoriées.

La haine de mes contradicteurs dit assez combien j'ai mis dans le mille... Et, dans cette aventure, la plupart des analystes de Paris qui ont rempli les pages « opinions» des journaux (pendant qu'on refusait explicitement les articles positifs sur mon travail dans ces mêmes supports...) se sont fait un devoir de donner raison à Karl Kraus, l'auteur de cet aphorisme célèbre : «La psychanalyse est cette maladie dont elle prétend être le remède. » Combien, en effet, la haine de ceux-là prouve que la psychanalyse ne soigne pas les pathologies les plus lourdes ! Le petit gratin analytique parisien a prouvé de façon ridicule et pitoyable que Freud avait raison : la psychanalyse est bien un blanchiment de nègres — autrement dit une entreprise inefficace... Sinon : pourquoi tant de haine ?"


Michel Onfray, Apostille au Crépuscule.


Crépuscule d'une idole
L'affabulation freudienne






Dessins :

dimanche, décembre 18, 2011

Pauvreté du peuple & médiocrité du prince





Un jour Maître Tchouang revêtit sa longue robe toute rapiécée, chaussa ses sandales dont la semelle avait été rapetassée avec de la ficelle et s'en fut trouver le prince de Wei. Celui-ci s'exclama en le voyant :

Mon Dieu ! dans quelle détresse je vous vois !

Dans la pauvreté, Sire, non la détresse. Quand un gentil-homme ne peut faire valoir sa vertu, il connaît la détresse ; mais lorsque ses vêtements sont rapiécés et ses souliers percés, il connaît la pauvreté, non nécessairement la détresse. Vous n'avez jamais vu le singe arboricole ? Sitôt qu'il a trouvé un chêne ou un camphrier sur lequel grimper, il bondit de branche en branche et évolue avec une telle aisance dans ses hautes frondaisons que même l'archer le plus habile ne peut l'ajuster. Mais s'il doit se mouvoir sur des arbustes épineux ou des jujubiers, il avance précautionneusement, tournant la tête de tous côtés et tremblant de tout son corps. Non que ses membres aient perdu leur souplesse, mais le milieu défavorable ne lui permet pas de déployer son agilité. Lorsqu'un sage vit sous le règne d'un prince aveugle entouré de ministres débauchés, il ne peut échapper à la détresse.

Jean Levi, Les Œuvres de Maître Tchouang.



Les Œuvres de Maître Tchouang, ce texte datant du quatrième siècle avant notre ère contient tout l'esprit du Tao.

Traductions du Tchouang-tseu

Avant la parution de la traduction de Jean Levi, Jean François Billeter a fait ce commentaire :

La seule traduction que je puisse recommander est celle de Burton Watson, The Complete Work of Chuang Tzu, New York, Columbia University Press, 1968. Watson reprend l'interprétation traditionnelle du texte, mais il est un traducteur expérimenté, qui s'exprime avec un bonheur constant. Il est bien informé des difficultés du texte et en informe discrètement le lecteur. Notes succinctes, index. La traduction de A.C. Graham, Chuang-tzû, The Seven Inner Chapters, Londres, Allen & Unwin, 1981, est beaucoup moins convaincante et n'est pas complète, mais elle mérite d'être consultée parce que Graham a tenté de regrouper les textes du Tchouang-tseu selon leurs diverses provenances et analyse les caractéristiques de chaque groupe. Ses vues sont contestables sur certains points, mais présentent de l'intérêt. Il existe d'autres traductions en anglais, plus anciennes ; voir la notice de H. Roth mentionnée ci-dessus et l'appendice bibliographique qui figure dans V. Mair (éd.), Experimental Essays on Chuang-tzu (1983). Je ne connais pas la traduction plus récente de Victor Mair, Wandering on the Way — Early Taoist Tales, New York, Bantam Books, 1994.

Il n'existe pas de traduction satisfaisante en français. Celle du père Léon Wieger, incluse dans ses Pères du système taoïste (1913), rééditée depuis 1950 par Cathasia, Paris, est définitivement dépassée. Celle de Liou Kia-hway, L'Œuvre complète de Tchouang-tseu, a paru chez Gallimard en 1969 dans la collection "Connaissance de l'Orient" ; elle a été rééditée en format de poche et reprise en 1980 dans Philosophes taoïstes, dans la "Bibliothèque de la Pléiade". Elle est insuffisante sur le plan de l'expression comme sur celui de la compréhension du texte. Celle de Jean-Jacques Lafitte, Tchouang-Tseu, Le rêve du papillon, Albin Michel, 1994, aurait dû apporter un progrès, mais ne l'a pas fait ; pas plus que celle, partielle, de Jean-Claude Pastor, Zhuangzi, Les chapitres intérieurs, Cerf, 1990.

En allemand, la traduction (incomplète) de Richard Wilhelm, Dschuang Dsi, Das wahre Buch vom südlichen Blütenland (1912), rééditée par Diederichs à Munich depuis 1969, est aussi dépassée que celle du père Wieger. Récemment, la traduction anglaise de Victor Mair a été retraduite en allemand Zhuangzi, Francfort, Krüger, 1998. Un choix de chapitres (1 à 7 et 17, 18, 19) a paru en format de poche : Zhuangzi, Stuttgart, Reclam, 2003. Kristofer Schipper a publié une traduction néerlandaise des chapitres intérieurs : Zhuang Zi, De innerlijke geschriften, Amsterdam, Meulenhoff, 1997. Pour autant que je puisse en juger, elle ne renouvelle pas la lecture du Tchouang-tseu. Je ne connais pas la traduction polonaise de Janusz Chmielewski et al., Czuang-tzy, Varsovie, Panstvoe wydawnictwo naukowe, 1953 ; il paraît qu'elle est d'une grande qualité et annotée de façon détaillée.

On me demande parfois si j'ai l'intention de publier une traduction complète du Tchouang-tseu. Peut-être y parviendrai-je un jour, quand j'aurai compris tout ce qu'il y a dans cet ouvrage. En attendant, j'espère publier des traductions annotées et commentées de certains chapitres, en premier lieu du chapitre II.

Études sur Tchouang-tseu

« L'action doit avoir un but précis, sinon elle se divise, elle se brouille, elle tourne mal et cause à la fin des dégâts irréparables. Les sages d'autrefois gardaient en eux le ressort de l'action, ils ne le laissaient pas à d'autres. Tant que tu n'es pas sûr de le détenir, ne te mêles pas de mettre fin aux méfaits d'un tyran ! »

Tchouang-tseu





La version du père Wieger :

Habillé d'une robe en grosse toile rapiécée, ses souliers attachés aux pieds avec des ficelles, Tchoang-tzeu rencontra le roitelet de Wei.

Dans quelle détresse je vous vois, maître, dit le roi.

Pardon, roi, dit Tchouang-tzeu ; pauvreté, pas détresse. Le lettré qui possède la science du Principe et de son action, n'est jamais dans la détresse. Il peut éprouver la pauvreté, s'il est né dans des temps malheureux... Tel un singe, dans un bois de beaux arbres aux branches longues et lisses, s'ébat avec une agilité telle, que ni I ni P'eng-mong (archers célèbres) ne pourraient le viser. Mais quand il lui faut grimper à des arbres rabougris et épineux, combien son allure est moins alerte ! C'est pourtant le même animal ; mêmes os, mêmes tendons. Oui, mais les circonstances devenues défavorables, l'empêchent de faire un libre usage de ses moyens... Ainsi le Sage né sous un prince stupide qu'entourent des ministres incapables, aura à souffrir. Ce fut le cas de Pi-kan, à qui le tyran Tcheou-sinn fit arracher le cœur.

Léon Wieger, Les Pères du système taoïste (1913). Le livre est téléchargeable gratuitement à cette adresse :


Dessin :
Grâce au gouvernement d'un triste sire, un pauvre chômeur peut devenir auto-entrepreneur... pauvre.

samedi, décembre 17, 2011

Lenoir & le daïmon







Philosophe et directeur du Monde des religion, Frédéric Lenoir écrit :

« Depuis plus de vingt-cinq ans, le Bouddha, Socrate et Jésus sont mes maîtres de vie. J'ai appris à les fréquenter, à me frotter à leur pensée, à méditer leurs actes, leurs différences et leurs convergences. Ces dernières m'apparaissent finalement plus importantes. Car, malgré la distance géographique, temporelle et culturelle qui les sépare, leurs vies et leurs enseignements se recoupent sur des points essentiels. Ce témoignage et ce message, qui m'aident à vivre depuis tant d'années, j'ai eu envie de les faire partager. Je suis convaincu qu'ils répondent aux questions et aux besoins les plus profonds de la crise planétaire que nous traversons.

Car la vraie question qui se pose à nous est la suivante : l'être humain peut-il être heureux et vivre en harmonie avec autrui dans une civilisation entièrement construite autour d'un idéal de l'«avoir» ? Non, répondent avec force le Bouddha, Socrate et Jésus. L'argent et l'acquisition de biens matériels ne sont que des moyens, certes précieux, mais jamais une fin en soi. Le désir de possession est, par nature, insatiable. Et il engendre frustration et violence. L'être humain est ainsi fait qu'il désire sans cesse posséder ce qu'il n'a pas, quitte à le prendre par la force chez son voisin. Or, une fois ses besoins matériels essentiels assurés — se nourrir, avoir un toit et de quoi vivre décemment —, l'homme a besoin d'entrer dans une autre logique que celle de l'« avoir» pour être satisfait et devenir pleinement humain : celle de l'«être». »

Mais « être » n'est pas toujours simple quand il existe un pluriel assez singulier, comme le rappelle Frédéric Lenoir en évoquant le daïmon qui « hantait » et conseillait Socrate :

« Socrate a-t-il connu son aîné Anaxagore ? Né à Clazomènes, celui-ci a la réputation d'avoir introduit la philosophie à Athènes. Une légende voudrait que Socrate ait dans un premier temps compté parmi les disciples d'Anaxagore, tenant de la théorie du Nous, intelligence physique, quasi mécanique, ordonnatrice de l'univers. Cette théorie lui vaudra d'ailleurs d'être condamné à mort pour athéisme : Anaxagore fuira alors Athènes pour finir ses jours à Milet, berceau des philosophes. Il est fort probable que les deux hommes se soient croisés dans les cercles de penseurs athéniens qu'ils fréquentaient l'un et l'autre. Le Phédon de Platon et les Nuées d'Aristophane laissent supposer que, dans un premier temps, Socrate s'est intéressé aux spéculations de la physique, qui constituaient l'essentiel de la réflexion de ces philosophes que l'on appelle aujourd'hui « présocratiques ». Néanmoins, Socrate ne tarde pas à chercher ailleurs une explication aux questions qu'il se pose : « La réputation que j'ai acquise vient d'une certaine sagesse qui est en moi. Quelle est cette sagesse ? C'est peut-être une sagesse purement humaine », lui fait dire Platon dans son Apologie (20d), laissant entendre que la démarche réflexive a toujours fait partie de sa quête. D'ailleurs, parmi ses premiers compagnons, certains se vivent déjà comme ses disciples, alors même qu'il n'a pas encore entamé sa carrière de philosophe errant — carrière que l'on pourrait comparer à celle des prédicateurs sillonnant au même moment les contrées éloignées de l'Indus et de la Mésopotamie.

Sa carrière commence véritablement avec un étrange épisode qui se situe vers 420 avant notre ère, rapporté notamment par Platon dans son Apologie. Socrate a alors environ cinquante ans. Chéréphon, l'un de ses amis d'enfance, se rend à Delphes pour consulter l'oracle de la pythie, le plus célèbre de toute la Grèce, qui lui affirme : « De tous les hommes Socrate est le plus sage (sophos).» Dubitatif, Socrate se rend auprès de l'homme qui passe pour le plus grand sage d'Athènes, un politicien dont il ne révèle pas le nom. Il en revient bouleversé « Je raisonnai ainsi en moi-même : je suis plus sage que cet homme. Il peut bien se faire que ni lui ni moi ne sachions rien de fort merveilleux; mais il y a cette différence que lui, il croit savoir, quoiqu'il ne sache rien. Et que moi, si je ne sais rien, je ne crois pas non plus savoir. » Il s'adresse ensuite aux poètes, aux artistes, à tout ce que la cité compte de personnalités réputées. Il en arrive à cette conclusion : il n'existe pas d'homme sage. À partir de ce moment, Socrate voit dans l'oracle de la pythie le signe d'une mission divine, un encouragement à enseigner. Et il fait désormais sienne la devise inscrite au fronton du temple d'Apollon: « Connais-toi toi-même ».

À plusieurs reprises, Socrate insiste sur l'existence en lui d'une « voix » intérieure, un daïmon, littéralement son « démon », un génie familier qu'il considère comme une émanation de la divinité. Celui-ci l'accompagne depuis que l'oracle de Delphes l'a désigné, l'arrêtant quand il faut ou le stimulant quand il est sur le point de manquer à sa mission, se substituant aux oracles pour lui faire parvenir le message des dieux. C'est cette voix qui l'aide à croiser le chemin de Phèdre pour se lancer avec lui dans un long dialogue sur l'amour. Socrate le reconnaît avec une simplicité déconcertante : « Lorsque j'étais, bon ami, sur le point de repasser la rivière, j'ai senti ce signal divin et familier qui m'arrête toujours au moment où je vais accomplir une action. J'ai cru entendre ici même une voix qui me défendait de partir avant de m'être astreint à une expiation, comme si j'avais commis quelque faute à l'égard de la divinité », rapporte-t-il à son compagnon (Phèdre, 242). Ses disciples ne savent trop qu'en penser : « Il disait avoir en lui un génie qui lui indiquait ce qu'il devait faire et ce qu'il devait éviter », commente sobrement Xénophon (Mémorables, 4, 8). Ils restent cependant stupéfaits face au très étrange état dans lequel Socrate peut tomber à l'improviste, état de catalepsie qui le maintient complètement immobile, sans même battre des paupières. Cela pouvait durer quelques minutes ou plusieurs heures, et il était alors complètement étranger à tout ce qui pouvait se produire autour de lui. Était-il abîmé dans une sorte de méditation ? En connexion avec son daïmon, avec lequel il entretenait une relation privilégiée ? Nul ne s'est hasardé à interpréter ces états extatiques. Platon en a fait une description factuelle dans Le Banquet : «Un matin, on l'aperçut debout, méditant sur quelque chose. Ne trouvant pas ce qu'il cherchait, il ne s'en alla pas, mais continua de réfléchir dans la même posture. Il était déjà midi. Nos gens l'observaient et se disaient avec étonnement que Socrate était là, rêvant depuis le matin. Vers le soir, les soldats apportèrent leurs lits de camp à l'endroit où il se trouvait, afin de coucher au frais (on était alors en été) et d'observer s'il passerait la nuit dans la même attitude. En effet, il continua à se tenir debout jusqu'au lever du soleil. Alors, après avoir fait sa prière au soleil, il se retira » (220 c-d).

La relation de Socrate avec son daïmon est évidemment bien embarrassante pour certains historiens de la philosophie qui font de lui le père du rationalisme occidental. On tente alors de réduire le fameux daïmon à la voix de la conscience, et on parle des extases de Socrate comme de crises d'épilepsie. Ainsi qu'on vient de le voir, ce n'est pas ce que disent les biographes de Socrate, visiblement eux-mêmes troublés par cet étrange phénomène que l'on retrouve pourtant de manière courante chez les chamanes des traditions premières, ou chez les mystiques de toutes les religions quand ils se sentent soudain possédés par la divinité et entrent, de ce fait, dans des états extatiques. Quoi qu'il en soit, que l'on croie ou non aux esprits et aux forces surnaturelles, il est évident que
Socrate s'est présenté et a été perçu par ses disciples à la fois comme un philosophe qui s'appuie sur la raison et comme un mystique qui se sent connecté à une force supérieure. » (Fréderic Lenoir, Socrate, Jésus, Bouddha, trois maîtres de vie.)

Fréderic Lenoir aurait-il été inspiré par un démon lamaïste – au demeurant fort nombreux – en terminant son livre Socrate, Jésus, Bouddha par l'apologie, une quasi canonisation, du dalaï-lama ?


Socrate, Jésus, Bouddha
Trois maîtres de vie

La crise que nous vivons n'est pas simplement économique et financière, mais aussi philosophique et spirituelle. Elle renvoie à des interrogations universelles : Qu'est ce qui rend l'être humain heureux ? Qu'est-ce qui peut être considéré comme un progrès véritable ? Quelles sont les conditions d'une vie sociale harmonieuse ? Contre une vision purement matérialiste de l'homme et du monde, Socrate, Jésus et Bouddha sont trois maîtres de vie. Une vie qu'ils n'enferment jamais dans une conception close et dogmatique. Leur parole a traversé les siècles sans prendre une ride, et par-delà leurs divergences, ils s'accordent sur l'essentiel : l'existence humaine est précieuse et chacun, d'où qu'il vienne, est appelé à chercher la vérité, à se connaître dans sa profondeur, à devenir libre, à vivre en paix avec lui-même et avec les autres. Un message humaniste et spirituel, qui répond sans détour à la question essentielle : pourquoi je vis ?

vendredi, décembre 16, 2011

Le livre caché





Un lecteur du blog m'a fait parvenir un petit livre intitulé Démasqué. L'auteur, Jan Van Rijckenborgh, est le fondateur de la Rose-Croix d'Or. Curieusement, sur le site de cette organisation, qui pourtant diffuse les nombreux textes de Rijckenborgh (certains sont téléchargeables gratuitement), on ne trouve aucune trace de Démasqué.

Démasqué, livre écrit par un spécialiste de l'ésotérisme, est une véritable bombe. En effet, Rijckenborgh écrit :

« Tous les groupements religieux, idéalistes et occultes, dans la sphère matérielle, offre automatiquement ou par contrainte, à leur homologue dans la sphère réflective (l'au-delà,
NDLR), la force lumière qu'ils libèrent par leurs activités. Tous les humains du champ de vie matériel maintiennent ainsi un gigantesque groupe de parasites dans la sphère réflective. »

En d'autres termes, les affidés de presque toutes les organisations, spirituelles et autres, seraient manipulés et exploités par des hiérarchies perverses situées dans d'autres dimensions. « En fait, écrit Ibn al-'Arabi, il existe d'innombrables mondes dans l'Invisible, et certains d'entre eux sont bien plus dangereux que la pire des jungles du monde visible. »

Le Très précieux Gourou de l'occultisme lamaïste, le magicien immortel Padmasambhava, séjournerait dans une de ces dimensions, une « terre pure » nommée Zangdok Pelri.

« L’occultiste aspire littéralement à prolonger l’état de sa vie mortelle en forçant les processus naturels. Il soumet à un entraînement sa personnalité entière, la partie subtile comme la partie plus grossière, l’ensemble étant ainsi l’objet d’un processus de cristallisation contraire à la loi de la nature.


C’est de cette manière, brièvement esquissée et sur laquelle nous ne désirons pas nous étendre davantage, qu’une partie de l’humanité a créé dans le pays de l’au-delà, une vie contre nature et illégale. Cette vie incomplète, contraire à l’ordre naturel voulu par les puissances créatrices divines, s’efforce par tous les moyens de se maintenir consciemment dans l’au-delà, comme on s’efforce de se maintenir dans la sphère matérielle. Ces entités s’imaginent être vivantes, être arrivées au but de la vie, elles se prennent pour des habitants des cieux : en réalité, elles sont des anomalies dans la nature. C’est pourquoi, elles constituent un danger mortel pour l’humanité vivant de ce côté-ci du voile car, pour prolonger et assurer définitivement, par n’importe quel moyen, leur existence dans l’au-delà, elles sont obligées de s’alimenter constamment avec une énergie lumineuse – l’éther lumière. C’est en cela que dépend la sécurité de leur existence. Elles doivent se nourrir en énergie lumineuse.

Cet « éther de lumière », elles ne le possèdent plus, ou très fragmentairement seulement. Et, parce que leur personnalité n’existe plus que partiellement, elles ne peuvent plus extraire elles-mêmes la lumière des courants de l’atmosphère intercosmique.

Voilà pourquoi, c’est de nous, êtres humains, qui vivons encore dans la sphère matérielle, qu’elles doivent obtenir ces forces éthériques.

Vous comprendrez ainsi ce qu’est une fraternité de l’au-delà. C’est un égrégore d’entités qui se maintiennent abusivement dans l’au-delà. Elles sont extrêmement néfastes pour l’humanité, parce que la prolongation de leur existence est obtenue au prix d’une violation des lois de la nature et par des pratiques qui en sont la conséquence.

Ce qu’est la grande hiérarchie des égrégores de l’invisible, vous le comprenez aussi. C’est un rassemblement – une sorte de syndicat du pillage énergétique – fondé sur un besoin commun d’autoconservation. Ces divers groupements font preuve le plus souvent les uns vis-à-vis des autres d’une inimitié totale ou d’un exclusivisme complet ; mais quand la nécessité les traque, ils se rapprochent par communautés d’intérêts.

Actuellement, menacés de ne plus pouvoir se maintenir en vie dans la sphère de l’au-delà en raison du manque toujours croissant d’éther-lumière, les fraternités occultes de l’invisible sont occupées à préparer une grande opération politique connue en Occident sous le nom d’Antéchrist ou d’Antichrist, opération qui a été prophétisée dans le Livre de l’Apocalypse mais dont très peu ont compris le sens réel dans le monde chrétien.

Ils tenteront d’organiser une parodie du retour du Christ, pour amener l’humanité à augmenter la production d’éther-lumière au profit de la multitude de ces parasites. [...]

Il est navrant de constater que très peu de personnes parmi celles qui prétendent être éveillées à la réalité politique mondiale sont informées de ce plan. Les informations que nous diffusons sur ce problème qui est d’une gravité immense pour notre avenir ne sont pas toujours bien comprises. Sans doute, est-ce un sujet trop brûlant, qui dérange notre tranquillité car il remet en cause nos croyances religieuses et notre espérance en l’avènement d’un âge d’or. Nous attendons un salut d’en-haut, et on se dit que n’importe quel sauveur serait le bienvenu s’il pouvait stopper le cours de l’effondrement mondial, et remettre la civilisation sur un nouveau rail. C’est pourquoi, de manière inconsciente, nous appelons l’Antéchrist par notre désir de sécurité. »

Cet extrait d'un article de la revue Undercover résume parfaitement et très clairement le chapitre L'ombre des choses à venir du livre introuvable de Rijckenborgh.


Le fascisme théocratique mondial selon Jan Van Rijckenborgh :
http://bouddhanar.blogspot.com/2011/12/le-fascisme-theocratique-mondial.html


jeudi, décembre 15, 2011

Convulsionnaires parisiens





Le diacre Pâris est dans la contrebasse


En 1729, sur la tombe du diacre Pâris, au cimetière de Saint-Médard, se déroulèrent des scènes de convulsions hystériques. On put voir cette chose stupéfiante : une convulsionnaire se coucher sur un brasier ardent et y demeurer plus d'une demi-heure sans que les flammes brûlent le moins du monde son corps. ni même le drap qui l'enveloppait.

Cependant, la police s'en mêla, dispersa les excités, et un humoriste décréta :

De par le roi, défense à Dieu
De faire miracle en ce lieu.

Qu'étaient ces convulsions, sinon une forme violente de la danse ? La danse qui conduit à l'extase, à l'insensibilité, au délire, est de tous les temps et de tous les lieux.

J'y songeais à la suite d'une rencontre avec ce contrebassiste mystique – d'autres diront satanique – qui dirige un cercle privé de convulsionnaires modernes.

Jusqu'à deux heures du matin, il joue dans un dancing de la rive gauche, puis il rejoint le groupe de ses adeptes en un lieu tenu secret. Il accepta pourtant de m'y conduire et me fixa rendez-vous dans le banal établissement où il travaille.

Mon attention, parmi la foule qui s'y pressait, ne tarda pas à se concentrer sur lui. Cet homme ne jouait pas, il vivait sa musique. Ses gestes étaient la projection d'une âme brûlante. Il pouvait avoir la quarantaine, montrait un visage ravagé, inquiet, avec des yeux fébriles sous des arcades sourcilières touffues. Ses rares cheveux semblaient se dresser sous l'effet d'une émotion intérieure. Il appartenait à la catégorie des êtres possédés par un démon qu'ils ont choisi.

La grandeur et le danger de l'art se manifestaient ainsi de façon tangible. Je ne voyais, je n'entendais plus que lui et je ne saurai jamais si en réalité il surpassait les autres musiciens de l'orchestre ou si c'était mon attention qui l'isolait. Je compris en tout cas que c'est de la parfaite communion de l'exécutant avec l'auditeur que naît, certains soirs, cet enthousiasme dionysiaque qui rassemble pour un instant les maillons d'une chaîne perdue.

Je le happai à la sortie ; nous prîmes ensemble la soupe à l'oignon. Il ne paraissait pas ennuyé de mes questions, mais plus généralement ennuyé de toute chose.

C'en est au point, me confia-t-il, que plus rien ne peut me tenir éveillé sinon la musique et son corollaire la danse. Par la puissance de mon instrument, qui tour à tour rythme, module et bourdonne, je force les gens à sortir d'eux-mêmes, à perdre tout contrôle, à se montrer dans leur primitive vérité... Vous ne pouvez imaginer le plaisir que j'en éprouve !

Le spectacle de la jeunesse qui se trémousse vous paraît-il tellement excitant ?

En aucune façon.

Alors, je ne comprends plus.

Notre cercle n'admet que des membres âgés de plus de quarante ans.

Ah bah !

Les jeunes, en se livrant à la danse, ne font qu'évacuer un trop-plein de vie, une force à l'état brut ; ils n'ont le sens ni du sacré, ni du pervers. Mais que les plus vieux en arrivent à se débrider, voilà qui est instructif ! J'offre ainsi à quelques-uns l'occasion de se libérer et d'atteindre des sommets où mystique et sensualité se rejoignent. Il ne s'agit pas de faire sortir les démons de nous-mêmes, mais de nous rendre conscients de leur présence, de nous familiariser avec eux. Le rythme est le procédé magique qui conduit à l'état de transe où le contact s'établit. Le dernier mot de la philosophie n'est pas « Connais-toi toi-même », mais « Connais ceux qui t'habitent »... Mais suivez-moi si vous voulez avoir la démonstration vivante de ce que je viens d'avancer.

Nous sortîmes. C'était l'heure suspecte qui donne tout son sens à ce quartier de ruelles sans âge. Un peuple d'ombres allait et venait et j'éprouvais comme un malaise à me mêler à ces créatures de la nuit, surgies d'un monde souterrain, proies à la recherche d'autres proies.

Au fond d'une impasse, mon guide me poussa à l'intérieur d'un étroit corridor. Une minuterie s'alluma, laissant voir des murs qui suintaient d'une humidité brune. Nous descendîmes des marches.

Ne vous méprenez pas, dit-il, nous n'allons pas dans un de ces cabarets de fantaisie avec squelettes et cercueils où l'on boit dans des crânes...

Il ouvrit une porte capitonnée et me fit pénétrer dans une salle basse : bruit infernal, fumée épaississant un air rare, lumières tamisées. Sur un mur nu, un christ janséniste au torse étique tendait vers le ciel ses bras désespérés.

Trois musiciens jouaient qui méritent une courte description : le premier, un pianiste en smoking mauve, s'était coiffé d'un bicorne d'académicien et agitait des doigts couverts de bagues étincelantes. Le deuxième, un trompettiste, avait revêtu une soutane et portait une barrette très en arrière sur la tête. Quant au troisième, à la batterie, c'était un Noir déguisé en pierrot.

Je m'assis dans un coin et observai l'assistance. Il y avait là des groupes qui semblaient échappés d'un hospice. Des vieillards à barbe blanche badinaient avec de grosses dames aux cheveux oxygénés. Un patriarche déplumé et tremblotant sablait le champagne en compagnie d'une petite vieille filiforme, au visage parcheminé et au sourire édenté. Sur la piste, les danseurs se livraient à des contorsions grotesques tandis que des matrones riaient à gorge déployée en battant des mains.

Lorsque le contrebassiste s'empara de son instrument et se lança dans une improvisation, le spectacle prit une allure acrobatique. La frénésie gronda et j'assistai, suffoqué, à un déchaînement renouvelé des convulsionnaires d'autrefois.

Les bras et les jambes se disloquaient, les visages ruisselaient, les perruques s'envolaient, les ventres se tortillaient et s'entrechoquaient. Une harpie, l'écume aux lèvres, se dépoitrailla en poussant des hurlements de bête qu'on égorge.

Ce fut comme un signal. La plupart des femmes suivirent l'exemple, exhibant de hideux appas, des outres vides qu'elles faisaient balloter en cadence. Des hommes entrèrent en transe, tournant comme des toupies ou, étendus sur le dos, agitant les membres en l'air comme de gros scarabées. D'autres se mirent à marcher à quatre pattes. Certains corps formaient de monstrueux angles droits puis ondulaient comme des serpents.

Une mégère en mini-jupe s'approcha soudain de moi et voulut à toute force m'entraîner sur la piste. Il me fallut user des poings et des pieds pour m'en débarrasser. Furibonde, elle tenta de m'assommer à l'aide d'une bouteille de whisky et je ne dus mon salut qu'à un brusque saut de côté. Elle alla s'en prendre ensuite à un gamin de soixante ans qu'elle baisa ignoblement sur la bouche.

Combien de temps dura ce carnaval de cauchemar ?... J'avais perdu toute notion d'heure, subjugué par une sorte de terreur sacrée, devenant fou moi-même au milieu de la démence collective. Enfin, l'un des danseurs s'abattit pour ne plus se relever. Un deuxième subit le même sort, puis un troisième. Les femmes, plus résistantes, tombèrent les dernières dans un bruit sourd.

L'orchestre alors se tut et le contrebassiste contempla le champ de carnage d'un air triomphant. On aurait pu croire que le plancher était jonché de cadavres.

Après un moment de silence et d'immobilité, les musiciens entamèrent un hymne lent et toute l'assistance se mit à genoux devant le crucifix en chantant d'une même voix éraillée. Plusieurs eurent une crise de larmes, puis l'apaisement naquit, de la musique ou bien des courbatures.

Profitant de l'émotion générale, je me sauvai.

Dehors, c'était l'aube. Les camions remontaient le boulevard Sébastopol et les arroseuses municipales tentaient de vaincre l'ordure.

Guy de Wargny, La France des sorciers.


La France des sorciers

Au fond des campagnes, comme au centre des villes, ils organisent des conciliations, tiennent des assemblées, pratiquent des rites étranges, saugrenus ou lubriques.

Guy de Wargny nous conte les étapes d'un petit tour de France de la magie contemporaine.






Dessin :

lundi, décembre 12, 2011

Le N.O.M. & le Tibet





Jan Leene, alias Jan van Rijckenborgh (1896-1968), était un rosicrucien hollandais. En 1945, avec Catharose de Petri, nom d'écrivain de Henriette Stok-Huizer (1902-1990), il fonde le Lectorium Rosicrucianum, également connu sous le nom de Rose-Croix d'Or. Le Lectorium Rosicrucianum est une organisation initiatique d'inspiration gnostique et chrétienne.

Dans un e-mail adressé à Bouddhanar, un membre de Rose-Croix d'Or écrit : « En France, l'école a rencontré un écho favorable auprès des bouddhistes tibétains, bien plus qu'auprès des religions européennes. » Il précise aussi : « La Rose-Croix d'Or utilise, lors de certains rituels, la Voix du silence, un texte mystique tibétain transcrit du livre des préceptes d'or par Mme Blavatsky. »

L'e-mail de l'initié indique clairement que la Rose-croix d'Or a renié les mises en garde contre le Tibet du fondateur de l'école initiatique. En effet, immédiatement après l'invasion du Tibet, au début des années 1950, au moment où l'Occident s'apitoie sur le sort des lamas, Rijckenborgh prend sa plume pour dénoncer les dangers du bouddhisme tibétain.

D'un point de vue spiritualiste, le texte de Rijckenborgh, intitulé Lumière sur le Tibet, est un réquisitoire implacable contre le lamaïsme accusé d’œuvrer à l'instauration « d'une puissance mondiale immense, d'un caractère fort particulier ». L'auteur précise : « Rome a fait ce qu'il fallait pour empêcher l'Occident de connaître le vrai visage du Tibet, de sorte que le monde occidental ignore le caractère profond du Toit du Monde ». Grâce au journaliste d'investigation Bruno Fouchereau, nous savons que depuis 1945, les États-Unis ont resserré leur emprise sur l’Église catholique. Et, pour boucler la boucle, rappelons que des prélats tibétains, le Dalaï-lama à leur tête, ont empoché des millions dollars pour leur collaboration avec la CIA.

Mais l'intention de Rijckenborgh n'est pas de dénoncer la politique étasunienne ou le rôle du Vatican. Son propos vise à révéler un plan démoniaque de domination du monde qui est à l’œuvre depuis les lamaseries. Il est persuadé que les rituels tibétains catalysent des forces occultes afin d'égarer l'humanité.

Lumière sur le Tibet est un texte écrit par un iconoclaste qui n'hésite pas à démolir le mythe du Tibet, pays sacré de prétendus maîtres bienveillants et protecteurs de l'humanité des fables théosophistes. Jan van Rijckenborgh n'est pas un provocateur en mal de publicité. Il est crédité d'une étonnante faculté de clairvoyance, l'éclairage qu'il apporte sur le Tibet semble sincère. Toutefois, Rijckenborgh a recours à une phraséologie ésotérique qui déconcertera les personnes qui ne se sont pas familiarisées avec ce genre d'écrits. En réalité, Lumière sur le Tibet ne s'adresse pas à un large public, c'est un document interne, dactylographié et ronéocopié (le Ronéo est l'ancêtre de la photocopieuse).

Une autre révélation de Jan van Rijckenborgh surprendra les lecteurs qui ne peuvent imaginer que de véritables sages « se sont regroupés quelque part en Chine, (pays des ennemis du lamaïsme féodal). Ils se sont échappés de leur patrie d'origine, les Indes, à cause des terribles persécutions auxquelles les bouddhistes étaient exposés. Ils étaient obligés de fuir, précise Rijckenborgh, car ils s'étaient engagés à : ne pas se venger, ne pas se laisser entraîner en quelque conflit que ce fût, continuer leur action tant que leur œuvre ne serait pas achevée ».

Ce groupe, qui n'approuve pas les sinistres desseins des lamas, a été localisé dans le kham, la partie orientale du Tibet. Le Kham est situé dans le Sichuan qui fut dévasté par un terrible séisme le 12 mai 2008. 

Dans Lumière sur le Tibet, Rijckenborgh évoque la possibilité d'une auto-libération et son fils, qui n'est plus rose-croix, récuse formellement la démarche qui consiste à s'en remettre à un maître ou à une école pour parvenir à l'éveil. Or, depuis 1968, date du décès de Rijckenborgh, la Rose-Croix d'Or (Lectorium Rosicrucianum) s'est éloignée de cet idéal. Elle est en effet classée comme secte : http://www.prevensectes.com/rco1.htm


Lumière sur le Tibet est un texte gnostique profondément mystique. Il prouve que la critique du lamaïsme ne provient pas toujours du milieu matérialiste ou prochinois. Il contient plusieurs chapitres :


I) LUMIERE SUR LE TIBET

II) LA MAINMISE MAGIQUE DU TIBET SUR L' HUMANITE

III) LA METHODE LAMAÏSTIQUE DE DOMINATION DU MONDE

IV) LA METHODE LAMAÏSTIQUE DE DOMINATION DU MONDE (suite)

V) CONCLUSIONS ET REFLEXIONS




Lire Lumière sur le Tibet :




Un rabbin affirme que les Juifs sont des extraterrestres venus pour « conquérir » la Terre.

Le rabbin Michael Laitman est l'auteur de "Kabbalah, Science and the Meaning of Life". Le livre retrace les étapes de l'év...