Ce
phénomène, qu'en langage technique on appelle poltergeist, existe indiscutablement : des coups sont frappés, des objets se
mettent à se promener, le tout en présence des caméras de
télévision, des journalistes et des spécialistes de
parapsychologie. On a même vu un cas où une bouteille d'eau de
Javel après s'être cassée verticalement en l'air, au-dessus de la
tête d'un distingué spécialiste en parapsychologie, s'est ouverte,
s'est renversée et l'a arrosé. Ce qui fait penser qu'il y a des
expérimentateurs malicieux.
On
a constaté que le phénomène se produit le plus souvent en présence
d'un jeune garçon ou d'une jeune fille à l'âge de la puberté.
Sans qu'il y ait jamais, semble-t-il, responsabilité consciente de
la part de ce sujet.
Les
poltergeist ont fait l'objet d'un grand nombre de théories démentes,
la plus étonnante étant celle d'un psychanalyste qui prétend
qu'ils sont des fantômes, non pas d'une personnalité, mais d'un
complexe. Selon lui, un complexe peut avoir une existence tellement
forte dans la personnalité qu'il survit à la mort du corps
physique. Pauvre Freud !
L'hypothèse
d'un expérimentateur ou d'un groupe d'expérimentateurs qui
produirait ces phénomènes pour enregistrer les réactions, me
paraît considérablement plus plausible. Nous agissons nous-mêmes
ainsi dans nos études expérimentales sur les animaux.
Autant
l'existence des fantômes est discutable, autant celle des
poltergeist est bien établie. Remarquons qu'ils sont toujours
inoffensifs et n'ont absolument jamais fait de mal à personne. A une
exception près cependant, en 1966. La télévision anglaise
cherchait à transmettre des images de poltergeist dans une vieille
maison à plusieurs étages et une caméra fut brusquement poussée
par des mains invisibles — le fait fut enregistré et transmis par
une autre caméra — et précipitée trois étages plus bas. Elle
manqua de peu un des journalistes de la télévision qui aurait fort
bien pu être tué. Le cas est unique, et s'il s'agissait d'un
complexe, c'était un complexe anti-télévision fortement développé.
A
ces détails près, les poltergeist ressemblent assez à ces
expériences faites sur les animaux de laboratoire qui n'ont pas
assez d'intelligence ou d'imagination pour détecter
l'expérimentateur. C'est ce qui m'incline à les ranger dans la même
catégorie que les hommes verts. A cette différence cependant, que
s'il n'existe qu'un seul cas bien établi d'enfant vert, les
poltergeist se manifestent plus fréquemment, à tel point que l'on
peut estimer à dix mille le nombre des cas parfaitement établis.
Ils
mériteraient une étude sérieuse, faite avec des instruments de
mesure sensibles à toutes sortes de champs ou de radiations.
Peut-être arriverait-on ainsi à détecter les expérimentateurs. Et
je pense que les techniques modernes sont très largement
suffisantes, de même que la technique de Pasteur l'était pour
repérer les microbes.
Mais
je pense qu'il faudrait un chercheur possédant une mentalité assez
spéciale, juste assez paranoïaque mais pas trop. Car l'idée que
nous sommes observés par des êtres que nous ne voyons pas et que
nous sommes manipulés par des forces inconnues est une idée
typiquement paranoïaque. Poussée trop loin, elle pourrait conduire
à l'asile. Mais par contre, si on ne la possède pas, il est
impossible de faire des montages expérimentaux qui permettraient de
détecter si nous sommes observés ou manipulés. C'est un équilibre
délicat, sur le fil du rasoir.
Il
n'est évidemment pas possible de provoquer l'existence d'un tel
observateur, mais il faut remarquer que bien des scientifiques
étaient des excentriques et un jour viendra bien où un excentrique
s'obstinera à mettre en évidence l'existence des expérimentateurs.
Peut-être est-ce déjà arrivé et s'agissait-il de gens assez
prudents et assez soucieux d'éviter l'internement pour ne rien
publier. L'opinion générale changera certainement à cet égard
comme elle a changé à propos des microbes. Semmelweiss a été
persécuté, Pasteur combattu, mais les microbiologistes modernes
reçoivent le Prix Nobel. Sans doute, le premier chercheur qui
fournira les preuves visant à démontrer que nous sommes observés
se fera enfermer. Le second aura des ennuis, mais ses successeurs
créeront peut-être une science nouvelle, qui paraîtra aux
générations futures aussi naturelle que la microbiologie. [...] Il
est intéressant de se demander quelles pourraient être les
conséquences d'une découverte de ce genre. Si nous sommes observés,
il faut montrer aux observateurs que nous sommes des êtres
intelligents.
Car
il est probable qu'ils ne le savent pas et il faut bien se rendre
compte que ce n'est pas notre conduite, nos migrations pendant les
week-ends ou pendant l'été, nos guerres, nos camps de
concentration, etc., qui peuvent le leur démontrer.
Un
observateur extérieur — Même si les observateurs qui font des
expériences sur nous sont beaucoup plus intelligents que nous, il
n'en reste pas moins vrai qu'ils sont extérieurs — peut très bien
croire que nos activités sont uniquement dues à des réflexes
conditionnés multiples comme celles des abeilles des termites et des
fourmis. C'est ce que Maurois signalait déjà il y a près d'un
demi-siècle dans Fragments d'une histoire universelle. Les
remarques de Maurois restent parfaitement pertinentes en 1970. Des
observateurs et des manipulateurs même beaucoup plus intelligents
que nous risqueraient de ne rien comprendre à nos activités.
Comment
donner l'impression que nous sommes intelligents ? Les fourmis ont
des instruments et cultivent des jardins. Les abeilles connaissent la
géométrie et pourtant, à tort ou à raison, la plupart des
observateurs s'accordent sur le fait qu'elles ne sont pas
intelligentes.
Pour
des êtres qui allument et éteignent les étoiles, nos instruments
primitifs ne donnent peut-être pas l'idée d'êtres intelligents,
surtout si nous nous en servons comme à Auschwitz ou à Hiroshima.
Teilhard de Chardin envisageait des instruments capables, même à
grande distance, de déceler l'intelligence. C'est une belle idée,
mais des êtres qui n'ont pas de tels instruments à leur disposition
et qui emploient l'observation et l'expérimentation n'ont sans doute
pas eu jusqu'à présent la preuve de notre intelligence.
Note
sur l'étouffement. Denis de Rougemont a écrit que la plus
grande ruse du diable était de nous faire croire qu'il n'existait
pas. Il en va de même pour ces êtres hypothétiques que j'appelle
ici tantôt les Intelligences, tantôt les Expérimentateurs. Après
chaque expérience, ils doivent remettre le système à zéro pour
pouvoir recommencer. Il en est ainsi d'ailleurs dans toute recherche
scientifique, par exemple en physique et en chimie : il faut éliminer
l'électricité statique et la magnétisation laissées par
l'expérience précédente, laver la vaisselle utilisée pendant une
expérience chimique, etc. Les Expérimentateurs doivent donc après
chaque manipulation de notre milieu, nous donner une explication
satisfaisante pour nous faire croire qu'il ne s'est rien produit.
C'est ce que Charles Fort appelait « l'étouffement systématique ».
Jacques
Bergier