mardi, janvier 03, 2012

Prédateurs invisibles





Le sociologue Antonin veut comprendre une terrifiante énigme qui semble habiter le cœur d'un vaste monastère lamaïste. La mort frappe des personnes jeunes qui sont en relation avec ces ermitages tantriques.

J'allai dans ma chambre, afin d'envoyer à Tchang (Ismaël) la synthèse de mes observations, avec l'aide de mon fidèle ordinateur Powerbook dont la forme évoque un grimoire.

Cependant, une étrange sensation se produisit peu à peu dans ma poitrine, alors que je dactylographiais sur mon écran les impressions de cette journée. Une sorte d'oppression commençait à envahir le thorax, comme si j'étais en proie à une sorte de « stress » excessif. De plus quelques visages étranges de couleur noire apparurent, évanescents comme des hallucinations, lorsque je fermai les yeux. J'envoyai l'ensemble des informations, avec également mes questions à Ismaël concernant cette fugitive perception onirique, et cette sensation de poitrine serrée, si inhabituelle pour moi... [...]

(La réponse d'Ismaël Tchang)

Cher Antonin,

Merci de tes pages. Je réponds ce soir à ta question concernant ces effets indirects de ta curiosité. Il s'agit probablement de l'activation du système de protection subtil de l'institution dont tu as, sans t'en apercevoir, pénétré le champ, et outrepassé les lignes de force implicites, aujourd'hui. Ce « système » est indéfinissable. Il est nulle part et peut agir partout... Mais on le représente simplement ici sous la forme d'un « imagiShark » noir et grimaçant, agitant de la main droite un couperet et, de la gauche, un bol plein de sang. Il est montré trépignant un corps humain ou deux, de son pied aux longs ongles acérés.

Il servirait, outre à soulager les disciples de leurs peurs et de leurs conflits intérieurs, à asseoir l'autorité et les priorités qui président aux destinées du culte. Quelque chose attaque les opposants potentiels à ce dernier, en infligeant toutes sortes de sensations désagréables. Cela décourage ainsi des initiatives humaines, même valables, au moment où elles vont dans un sens qui est défavorable au système tantrique. La manière dont cela se passe est bien sûr impossible à comprendre.

Le bouddhisme et le Tibet constituent des couvertures idéales, puisqu'ils sont des symboles de non-violence. Il se peut très bien qu'en filigrane du monastère il n'y ait plus aujourd'hui de ce véritable bouddhisme ancien, sinon les peintures, les conversations et le vocabulaire de la méditation... Il m'a semblé, en effet, que les émotions hostiles et la volonté obtuse de certains disciples y sont transformées. Alors sont-elles simultanément utilisées comme « matériau » d'intimidation et de domination, en étant projetées sur d'autres à l'extérieur par un réseau invisible, complexe et incompréhensible ? Ces phénomènes peuvent même circuler, apparaître, disparaître, se jouant de l'espace. Rien de très engageant, n'est-ce pas !

Heureusement l'être humain est protégé, et le mystère de la vie nous entoure. Il y a des défenses qui peuvent nous préserver des imagiShark prédateurs, lorsque c'est nous qu'ils « attaquent ». Les psychologues appelleraient cela de la psycho-neuro-immunité (Résistance à la maladie due à des facteurs d'ordre psychologique). On devrait même parler de « socio-neuro-immunité » dans le cas où des groupes de personnes sont concernés. L'expérience en retraite me suggère que le système des « imagiShark » est assez coriace ! Il faut donc doter notre propre protection d'une résistance supplémentaire... Pour cela la méthode est aussi simple que le problème est... complexe ! Te souviens-tu de la manière effroyable, mais terriblement efficace, qu'utilisèrent les Communistes chinois sur le Toit du Monde ?

Dans les années 50, ils dominèrent sans difficulté les régions du Tibet où le lamaïsme était pourtant très puissant. Cette occupation utilisa les armes à feu et les camions de troupes, la torture et les massacres d'innocents, mais surtout et progressivement la stratégie du grand nombre. Les lamaseries étaient censées protéger le Toit du Monde des envahisseurs potentiels, avec les rituels des imagiShark. Les Chinois ont limité cette religion qui leur était hostile, en détruisant ses temples. Ils ont dilué cette culture puissante, par la foule des colons de Chine. Ayant dépassé la masse critique, l'effet de nombre a été efficace. C'était la manière aussi de neutraliser les magies de certains des cultes rendus aux imagiShark. Des disciples, acculés au désastre de leur tradition, se sont évidemment déchaînés contre le terrible envahisseur, en mettant leur courroux et leur religion au service de leur liberté humaine...

Les « imagiShark » sont des reflets, semble-t-il, d'une communauté et des personnes qui y vivent. Les effets désagréables que tu ressens puisent probablement à la passion religieuse des disciples, et surtout à l'esprit de corps qui les réunit. En somme, le nombre des fidèles est un facteur de l'efficacité de ces « effets spéciaux ». Il suffit de mobiliser, si l'on est victime, un nombre d'individus supérieur à celui qui est impliqué pour les produire. Il y a en tout cent eurolamas. Tu ajouteras les cent huit retraitants actuels. Tu additionneras à ce chiffre celui des cinq cents disciples fervents à l'extérieur. Ils vénèrent ces mêmes effigies terribles, et participent donc à ce système... Il faudra t'assurer d'un nombre plus grand d'amis et de relations ! [...]

Marc Bosche, Nirvana, le réveil des oiseaux.

L'auteur précise que son livre est un thrilleur initiatique, un récit qui fait frissonner (en anglais : « to thrill ») et révèle aussi une vérité cachée.

Les « imagiShark » sont les redoutables gardiens invisibles du lamaïsme, les dharmapalas qui auraient la mission de neutraliser, voire tuer, les ennemis des lamas.

Témoignage d'Arnagala :

"A la retraite d'Orléans, Namkhai Norbu nous parla longuement des "Gardiens". Ce sont des Bouddhas censés protéger les pratiquants. Mais s'adresser à eux est, pour diverses raisons, réputé être une tache dangereuse. Les pratiques qui leur sont consacrées sont donc longues et complexes. Après plusieurs années de réflexion sur la question, j'en vins à la conclusion que ces choses-là n'étaient pas pour moi. Certes, je sens la force des rituels, et j'apprécie de m'y plonger, mais cela reste une mise en scène symbolique, plus encore en ce qui concerne les Gardiens, les esprits et les rituels "violents" ou magiques en général. Surtout, cela me touche infiniment moins que les textes Dzogchen. Je décidais donc de ne garder qu'eux et, par respect pour Namkhai Norbu, qui nous demandais de croire que ces gardiens n'étaient pas QUE des personnifications mais aussi des personnes bien réelles, je cessais d'aller à ses retraites. "



lundi, janvier 02, 2012

Techniques du bonheur





Les chômeurs auront du travail, la dette de la France sera honorée, les populations retrouveront la foi dans le capitalisme et le docteur Roger Halfon deviendra le pape du Sohaming, la religion du bonheur.

L'éditeur de l’Évangile du bonheur (Le Sohaming, éditions Ambre, écrit par Saint Roger en personne), explique que Sa Sainteté Halfon, « a toujours considéré comme essentiel le fait de rechercher les causes de notre mal-être, afin de nous permettre de nous libérer de nos chaînes de souffrance, chaînes liées au fonctionnement de notre corps, de notre mental et de notre énergie basique nommée généralement l'âme. Il se trouve que les techniques qui s'occupent de l'esprit paraissent négliger le corps, et celles qui s'en préoccupent oublient l'esprit. Faire une synthèse de ces différents éléments a conduit ainsi le docteur Halfon au Sohaming en référence au son tibétain So-ham qui désigne le lien existant entre toute forme de vie et l'infini ».

Les propagateurs de la foi So-ham, les apôtres du bonheur, maudissent l'agnosticisme de « malheur » et ses lugubres oiseaux qui prennent leurs plumes pour contredire Roger Halfon : « So-ham vient du sanskrit (सो ऽह), donc de l'Inde pas du Tibet, et signifie littéralement « Lui je suis », expression qui identifie l’âme du pratiquant (Âtman) au Brahman. »

En revanche, les heureux bénis, ceux qui ont la foi béatifique, trouveront dans la Bible de Sa Sainteté Roger Halfon le secret du bonheur d'avoir :

Exercices de l'avoir par Roger Halfon

EXERCICE N° 1

But de l'exercice : Savoir que l'on peut avoir.

Déroulement de l'exercice :

Première étape

Regardez à l'endroit où vous vous trouvez un objet que vous pourriez posséder.

Deuxième étape

Prononcez à voix haute en désignant l'objet la phrase suivante : « Je peux avoir cet objet » (nommer alors à voix haute l'objet). Recommencez 10 fois cet exercice.

EXERCICE N° 2

But de l'exercice : Renforcez la qualité à avoir par le contact.

Déroulement de l'exercice.

Première étape. Allez toucher dans l'endroit où vous vous trouvez un objet que vous pouvez avoir.

Deuxième étape :

Comme précédemment, dites à voix haute, en touchant cet objet : « Je peux l'avoir », nommez à voix haute l'objet. Cet exercice est à pratiquer 10 fois.

Source, Le Sohaming, exercices pratiques pour la santé, le bien-être et le bonheur, pages 110 et 111.


N'est-il pas merveilleux de savoir que l'on peut avoir un objet que l'on possède déjà ?





So-ham, mantra « tibétain » pour gens heureux



La photo de la vidéo est une représentation du mantra AUM ou OM (de l'hindouisme.


Le Sohaming
Exercices pratiques pour la santé, le bien-être et le bonheur




Dessin : 
Imbécile heureux.

dimanche, janvier 01, 2012

Notre avenir




Tant que l'on n'a pas bien compris la liaison de toutes choses et l'enchaînement des causes et des effets, on est accablé par l'avenir. Un rêve ou la parole d'un sorcier tuent nos espérances ; le présage est dans toutes les avenues. Idée théologique. Chacun connaît la fable de ce poète à qui il avait été prédit qu'il mourrait de la chute d'une maison ; il se mit à la belle étoile ; mais les dieux n'en voulurent point démordre, et un aigle laissa tomber une tortue sur sa tête chauve, la prenant pour une pierre. On conte aussi l'histoire d'un fils de roi qui, selon l'oracle, devait périr par un lion ; on le garda au logis avec les femmes ; mais il se fâcha contre une tapisserie qui représentait un lion, s'écorcha le poing sur un mauvais clou, et mourut de gangrène.

L'idée qui sort de ces contes, c'est la prédestination que des théologiens mirent plus tard en doctrine ; et cela s'exprime ainsi : la destinée de chacun est fixée quoi qu'il fasse. Ce qui n'est point scientifique du tout ; car ce fatalisme revient à dire : « Quelles que soient les causes, le même effet en résultera.» Or, nous savons que si la cause est autre, l'effet sera autre. Et nous détruisons ce fantôme d'un avenir inévitable par le raisonnement suivant ; supposons que je connaisse que je serai écrasé par tel mur tel jour à telle heure ; cette connaissance fera justement manquer la prédiction. C'est ainsi que nous vivons ; à chaque instant nous échappons à un malheur parce que nous le prévoyons ; ainsi ce que nous prévoyons, et très raisonnablement, n'arrive pas. Cette automobile m'écrasera si je reste au milieu de la route ; mais je n'y reste pas.

D'où vient alors cette croyance à la destinée ? De deux sources principalement. D'abord la peur nous jette souvent dans le malheur que nous attendons. Si l'on m'a prédit que je serai écrasé par une automobile, et si l'idée m'en vient au mauvais moment, c'est assez pour que je n'agisse pas comme il faudrait ; car l'idée qui m'est utile à ce moment-là, c'est l'idée que je vais me sauver, d'où l'action suit immédiatement ; au contraire, l'idée que j'y vais rester me paralyse par le même mécanisme. C'est une espèce de vertige qui a fait la fortune des sorciers.

Il faut dire aussi que nos passions et nos vices ont bien cette puissance d'aller au même but par tous chemins. On peut prédire à un joueur qu'il jouera, à un avare qu'il entassera, à un ambitieux qu'il briguera. Même sans sorcier nous nous jetons une espèce de sort à nous-mêmes, disant : « Je suis ainsi ; je n'y peux rien. » C'est encore un vertige, et qui fait aussi réussir les prédictions. Si l'on connaissait bien le changement continuel autour de nous, la variété et la floraison continuelle des petites causes, ce serait assez pour ne pas se faire un destin. Lisez Gil Blas ; c'est un livre sans gravité, où l'on apprend qu'il ne faut compter ni sur la bonne fortune ni sur la mauvaise, mais jeter du lest et se laisser porter au vent. Nos fautes périssent avant nous ; ne les gardons point en momies.

Émile Chartier, dit Alain, Propos sur le bonheur.


Avenir & « Mo » tibétain

Très éloigné des sages propos d'Alain ou de la véritable philosophie bouddhiste, le lamaïsme accorde une grande importance à la connaissance de l'avenir. La pratique de la divination est donc très répandue parmi les lamas. L'un d'eux, un lama-yogi du nom de Choekyi Wangpo, doit sa prospérité aux sectateurs du Vajrayana qui, contrairement à ce que l'on clame partout, ne trouvent pas la sérénité dans la méditation. Ils ont besoin de consulter des lamas devins pour apaiser leurs angoisses.

La Buddha Connection soutien les charlatans du Bouddha en répandant cette sorte de « bonne nouvelle » :

Le Mo est la version tibétaine de la divination. Le système du Mo est tout à fait unique et remonte au 7ème siècle. Aujourd’hui, il est seulement pratiqué par le célèbre maître de « Chöd » et guérisseur, le Vénérable Kalsang Rinpotché qui a en hérité de son père, le dernier « Chatral Pema Gyurme » et qui l’a lui-même transmise à ses fils, le Vénérable Karma Rinpotché et le Yogi Choeki Wangpo Kalsang.

Yogi Wangpo Kalsang dirige la puissante cérémonie "Chöd Tshog Richen Trenwa" pour une thérapie de groupe. La cérémonie Chöd étend la thérapie aux problèmes émanant de problèmes soit temporaires, soit résultant de la dette karmique. Chöd, signifiant « coupure », est une pratique bouddhiste tantrique qui vise à couper les liens avec l’ego. Dans le bouddhisme tantrique tibétain le Chöd est enseigné aux débutants pour l'accumulation de mérites. Il y a d’autres bienfaits qui peuvent être tirés de la pratique Chöd. Elle pourrait notamment aider l'enlèvement total d'obstacles subconscients dont la prise de conscience est une chose difficile

INITIATION DE CHOD : 25€, Journée complète : 45€

RITUEL DE LIBERATION CHÖD TSHOG RINCHEN TRENWA : Prix pour la journée : 45 €

PUJA DU FEU (POUR ACCROITRE LA FORCE DE VIE) : 25€


Divinations et entretiens personnels possibles tous les jours sur rendez-vous : Suggestion de don : 50 €
Pour obtenir une divination ou un entretien, appelez B... au 01.45...


D'après l'affiche du film La Coupe (Phörpa titre original tibétain , The Cup titre anglais) est un film australo-indien de Khyentse Norbu.



Dessin :
http://www.laliberte.ch/dessins

samedi, décembre 31, 2011

Trois philosophes





A l'attention des amateurs de livres de philosophie, Amazon communique régulièrement la liste des meilleures ventes.

Le livre de Michel Onfray, "L'ordre libertaire : La vie philosophique d'Albert Camus", figure en bonne place.

L'ordre libertaire
La vie philosophique d'Albert Camus

Albert Camus écrivait en 1953 dans ses Carnets : « Je demande une seule chose, et je la demande humblement, bien que je sache qu’elle est exorbitante : être lu avec attention. » Pour lui rendre justice, croiser sa pensée et son existence, saluer une vie philosophique exemplaire, j’ai souhaité écrire ce livre après l’avoir lu avec attention.» (M. Onfray)

Pour mettre fin à une légende fabriquée de toutes pièces par Sartre et les siens, celle d’un Camus « philosophe pour classes terminales », d’un homme de gauche tiède, d’un penseur des petits Blancs pendant la guerre d’Algérie, Michel Onfray nous invite à la rencontre d’une œuvre et d’un destin exceptionnels.

Né à Alger, Albert Camus a appris la philosophie en même temps qu’il découvrait un monde auquel il est resté fidèle toute sa vie, celui des pauvres, des humiliés, des victimes. Celui de son père, ouvrier agricole mort à la guerre, celui de sa mère, femme de ménage morte aux mots mais modèle de vertu méditerranéenne : droiture, courage, sens de l’honneur, modestie, dignité.

La vie philosophique d’Albert Camus, qui fut hédoniste, libertaire, anarchiste, anticolonialiste et viscéralement hostile à tous les totalitarismes, illustre de bout en bout cette morale solaire.


Ensuite, il y a le livre d'Alain Badiou "La République de Platon" :

La République de Platon

« Cela a duré six ans. 

Pourquoi ce travail presque maniaque à partir de Platon ? C’est que c’est de lui que nous avons prioritairement besoin aujourd’hui : il a donné l’envoi à la conviction que nous gouverner dans le monde suppose qu’un accès à l’absolu nous soit ouvert. 

Je me suis donc tourné vers La République, œuvre centrale du Maître consacrée au problème de la justice, pour en faire briller la puissance 
contemporaine. Je suis parti du texte grec sur lequel je travaillais déjà avec ardeur il y a cinquante-quatre ans. 

J’ai commencé par tenter de le comprendre, totalement, dans sa langue. Je me suis acharné, je n’ai rien laissé passer ; c’était un face-à-face entre le texte et moi. Ensuite, j’ai écrit ce que délivrait en moi de pensées et de phrases la compréhension acquise du morceau de texte grec dont j’estimais être venu à bout. Peu à peu, des procédures plus générales sont apparues : complète liberté des références ; modernisation scientifique ; modernisation des images ; survol de l’Histoire ; tenue constante d’un vrai dialogue, fortement théâtralisé. Évidemment, ma propre pensée et plus généralement le contexte philosophique contemporain se sont infiltrés dans le traitement du texte de Platon, et sans doute d’autant plus quand je n’en étais pas conscient. 

Le résultat, bien qu’il ne soit jamais un oubli du texte original, pas même de ses détails, n’est cependant presque jamais une “traduction” au sens usuel. Platon est omniprésent, sans que peut-être une seule de ses phrases soit exactement restituée. J’espère être ainsi parvenu à combiner la proximité constante avec le texte original et un éloignement radical, mais auquel le texte, tel qu’il peut fonctionner aujourd’hui, confère généreusement sa légitimité. 

C’est cela, après tout, l’éternité d’un texte. »

Alain Badiou


Jean-Paul Sartre est toujours apprécié des lecteurs :


L'existentialisme est un humanisme

Avec son Être et le néant, Jean-Paul Sartre ne se doutait sans doute pas du raz de marée qu il allait générer : la philosophie devient soudainement très populaire à Paris et tout le monde ne parle plus que d'existentialisme. Les critiques fusent contre son livre, de la part des communistes lui reprochant de ne pas être assez matérialiste et des Chrétiens de trop s'y adonner. 

Un peu déboussolé, Sartre décide de tenir une conférence pour remettre les choses au point. Il a surtout peur de voir les communistes le repousser, lui qui a, pendant la guerre, été interné dans un stalag où il découvrit la solidarité : soudain, le philosophe misanthrope se découvrit humaniste et désireux de se rapprocher des communistes. 

Dans L'existentialisme est un humanisme, on assiste donc à la greffe de l'existentialisme, philosophie solitaire de l'engagement de l'homme avec l'humanisme, un humanisme kantien à dominante universelle. Pour Sartre, Dieu n'existe pas, l'homme arrive sur Terre vide de toute dimension quelconque. Il doit donc s' inventer et exister. Seul l'engagement lui donne la possibilité de prendre conscience de lui ; mais les autres sont indispensables à cela car leur regard le crée : nous dépendons de la vision que les autres ont de nous : sans elle, nous nous ignorons. Il faut donc s'engager et peser chacune de nos actions en les interrogeant d'un point de vue universel : que penserions-nous de quelqu’un agissant comme nous ? 

La philosophie existentialiste tient du courage et du dévoilement de l'être. Il s'agit de se réaliser chaque jour comme si hier ne comptait pas. La psychanalyse n'a aucune place dans la réflexion de Sartre : l'homme a une totale liberté d'être, de s'élever ou de chuter et qu'importe son milieu ou ses origines. 



Cette conférence est admirable car Sartre se fait pédagogue (elle fut prononcée devant un public entré librement et donc pas nécessairement au fait des questions philosophiques) : il évoque des réflexions passionnantes avec une facilité déconcertante. Néanmoins, on pourra reprocher, du fait de la brièveté de son propos, des développements trop rapides sur des points importants comme celui concernant la solidarité entre les Hommes dont le lien avec l' existentialisme paraît discutable. De plus, la philosophie existentialiste est fondamentalement athée et anti-déterministe, ce qui prête tout de même à discussion : si l'on n'admet pas ces présupposés (à savoir que Dieu n'existe pas et que l'Homme a tout potentiel pour s'inventer librement), il sera difficile pour le lecteur d'adhérer aux développements de Sartre.




vendredi, décembre 30, 2011

2012, le temps de l'aventure



Calendrier maya ou pas, durant l'année 2012 il y aura des changements. La crise économique donnera-t-elle un nouvel allant à la "dictature rampante" ou, d'après le politiquement  correct, au déficit démocratique du Conseil de l'Union européenne ? Cette institution bureaucratique et technocratique, qui gouverne l'Europe sans réelle légitimité démocratique, se transformera-t-elle en véritable dictature en 2012 ? Quoi qu'il en soit, il est encore temps de vivre autrement, de partir à l'aventure...

L'aventure ! ce qui va arriver, c'est-à-dire, nous l'espérons bien, ce qui va troubler notre situation, déranger notre quiétude. Mot explosif, chargé de toute une dynamite d'imprévu, d'insolite, d'inquiétant, voire d'un périlleux qui fait agréablement frissonner. Mais aussi, certitude d'une nouveauté et peut-être d'un renouveau. Le hasard, surtout dangereux, remettant en cause notre état présent, transforme notre destin, nous offre l'occasion de faire notre mue. A nous de la saisir.

Aussi l'aventure, bien que riche en fatigues, en souffrances, en risques, est toujours tentante. Ceci pour deux raisons :

1. Elle nous divertit, en faisant craquer le cercle de nos habitudes. Après l'aventure, nous avons des chances de vivre dans des conditions tout autres que précédemment. Pendant l'aventure, nous sommes affranchis de nos soucis routiniers, nous vivons à un rythme exaltant; l'ennui, le chagrin, la peur du lendemain s'estompent. Nous avons, en vivant l'aventure, un sentiment de libération : du fait que nos habitudes, notre mode de vie sont bouleversés, nous sentons se relâcher nos liens avec le passé et les contraintes sociales, légales. Nous devenons disponibles, prêts à une existence vierge, — impression enivrante qui nous donne l'illusion que nous ne pesons plus sur terre de notre poids d'homme. Mirage, sans doute, dans la plupart des cas. Seules les grandes aventures, celles qui mettent la vie en jeu, guerre, complot, révolution libèrent intégralement ceux qui les vivent. Dans Prélude à Verdun, Jules Romains analyse la mentalité des combattants, voués à une mort presque certaine. S'ils acceptent, constate-t-il, un destin cruel, immérité, c'est par orgueil, certes, afin de ne pas se diminuer aux yeux des autres; surtout, ils ont l'impression réconfortante, tonique, de rompre avec l'être qu'ils furent, d'échapper au réseau d'obligations que la famille, la morale, la loi, les convenances, les sentiments ont tissé autour d'eux.

2. Confrontés à un état de choses inattendu, nous sommes obligés de faire un effort sur nous-mêmes, pour nous adapter à des circonstances inconnues. Si banale soit-elle — simple incident de voyage — l'aventure nous contraint à nous dépasser, en montrant présence d'esprit, souplesse, parfois courage et endurance. Bref ce qu'il y a de meilleur en nous est sollicité, mis à profit. Une fois le cap franchi, nous risquons d'être meilleurs : peut-être avons-nous été débarrassés de préventions, de craintes futiles. Nos vertus, mises à l'épreuve, se seront épanouies. Les caprices du sort ont pu nous ménager de bénéfiques contacts. En un mot l'aventure est enrichissante. Nous faisons peau neuve et notre nouvelle enveloppe est de matière plus rare. […]

L'amour de l'aventure a des interférences avec le sens exotique, le désir d'évasion, le goût des voyages, le sentiment héroïque, et c'est normal. Au départ de l'aventure, quelle qu'elle soit, il y a toujours un besoin de changement. «Le pirate, écrit Gilbert Lapouge, est un homme qui n'est pas content. L'espace que lui allouent la société ou les dieux lui paraît étroit, nauséabond, inconfortable. Il s'en accommode quelques brèves années et puis il dit « pouce », il refuse de jouer le jeu. Il fait son baluchon... » Tous les aventuriers ne sont pas des pirates, mais ils veulent changer d'horizon. Le mouvement leur est imposé : déplacement corporel en général; quelquefois divagation de l'esprit, errance dans le monde du rêve ou des chimères. Certes les sages résistent à cette quadruple tentation ils s'accommodent de leur sort, ils démystifient l'héroïsme, ils vivent en plein accord avec eux-mêmes, ils restent en place. Diogène dans son tonneau, Montaigne en sa librairie, Pascal dans sa chambre, La Fontaine dans ses parcs... L'immobilité, c'est le remède efficace contre le désir de tenter l'aventure, d'aller « ailleurs », afin de connaître une existence plus comblée, de cueillir l'immortalité de la gloire. Certes, tous ceux qui ne sont pas des sages, et qui s'agitent, ne sont pas des aventuriers. Il s'en faut de beaucoup. La plupart restent cramponnés à leur bureau, à leur pré, à leur usine, à leur école, se contentant de grommeler et de rêver à l'aventure. Seule une mobilisation générale ou un cataclysme, leur forçant la main, les pousse à partir. L'aventurier authentique, non mobilisé, est un homme qui se meut librement : on ne court pas l'aventure sur place. Un environnement habituel, une façon de vivre monotone, des visages trop connus érodent les passions primaires, seul levain de l'esprit d'aventure.

Roger Mathé, L'aventure d'Hérodote à Malraux.




jeudi, décembre 29, 2011

Rififi confraternel



Qui a dit ?

« Voici le fondement de la critique irréligieuse : L'homme fait la religion, la religion ne fait pas l'homme. A la vérité, la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi de l'homme qui ne s'est pas encore conquis ou bien s'est déjà reperdu. Mais l'homme n'est pas un être abstrait, retranché du monde. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'État, la société. Cet État, cette société produisent la religion — une conscience renversée du monde — parce qu'ils constituent un monde absurde. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d'honneur [en fr.] spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. Elle est la réalisation fantastique de la nature humaine, parce que la nature humaine n'a pas de réalité véritable. Lutter contre la religion c'est, par conséquent, lutter indirectement contre le monde dont la religion est l'arôme spirituel.

La misère religieuse est à la fois l'expression de la misère réelle et la protestation contre cette misère. La religion est le soupir de la créature accablée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit d'une existence sans esprit. Elle est l'opium du peuple.

L'abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est une exigence de son bonheur réel. Exiger que le peuple renonce à ses illusions sur sa condition, c'est exiger qu'il abandonne une condition qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc virtuellement la critique de la vallée de larmes dont la religion est l'auréole.

La critique a effeuillé les fleurs imaginaires qui ornent nos chaînes non pas pour que l'homme porte ses chaînes prosaïques et désolantes, mais pour qu'il secoue ses chaînes et cueille la fleur vivante. La critique de la religion désabuse l'homme afin qu'il pense, agisse, crée sa réalité comme un homme désabusé, parvenu à la raison, afin qu'il se meuve autour de son véritable soleil, c'est-à-dire autour de lui-même. La religion n'est que le soleil illusoire qui se meut autour de l'homme, aussi longtemps que celui-ci ne se meut pas autour de lui-même.

C'est donc la mission de l'histoire, une fois que l'au-delà de la vérité s'est évanoui, d'établir la vérité de l'ici-bas. La première tâche de la philosophie, qui est au service de l'histoire, consiste — une fois démasquée l'apparence sacrée de l'autoaliénation humaine — à démasquer cette autoaliénation sous ses apparences profanes. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique. »

L'auteur de ces lignes est Karl Marx (1844).

Le balai de la Nativité

Le spectacle des religieux chrétiens orthodoxes se battant à coups de balai dans la basilique de la Nativité à Bethléem ne dément pas Marx et démontre que la religion n'apporte pas grand chose à l'humanité.


Du rififi chez les bouddhistes

Les pratiques religieuses, comme l'hésychasme des chrétiens orthodoxes ou la méditation des bouddhistes, ne rendent pas l'homme meilleur. Des clercs, grands méditants ou adeptes de la prétendue tranquillité de l'âme (hêsychia), deviennent très agressifs quand leurs intérêts financiers sont menacés. Le contrôle d'un centre religieux rentable suscite toujours d'obscures cabales qui dégénèrent fréquemment en rixes.

Après la mort de Ranjung Rigpe Dorje, le XVIe Karmapa, la bêtise religieuse se transforma en haine quand la secte Kagyu du lamaïsme se retrouva avec deux jeunes prétendants au trône des Karmapas. Les régents des candidats, Situ Rinpoché et Shamar Rinpoché, sont nommés Sébu et Balibar par Marc Bosche qui, dans son livre « Nirvana », narre une des plus grotesques batailles de moines bouddhistes  :

« La foule avait pris fait et cause selon ses affinités avec la faction qu'elle soutenait : Sébu ou Balibar. Un pugilat se déroulait désormais au pied du trône, dans les parfums délicats d'encens qui flottaient. Le soleil jouait sur ces volutes qui s'élevaient, paisibles, comme au premier matin du monde.

Les moines de l'opération « liberté diamantine » faisaient usage de leurs longues cannes de buis, virevoltant comme des tigres. Semblant s'élever dans les airs, ils bondissaient d'une impulsion sur les estrades, s'en servant comme de marchepieds, d'où ils pouvaient rosser les autres d'importance.

Une ZIL 117 assemblée dans l'ex. Union Soviétique attendait heureusement Karmatchup, moteur ralenti. On y mit le chérubin, tout tremblant. Un déluge de piments, de tomates trop mûres et d’œufs crus commença de pleuvoir sur la longue décapotable noire qui ressembla bientôt à une pizza trop grillée. À l'intérieur, le jeune garçon pleurait. L'antédiluvienne Zavod Imeni Lenina ([Rus], Usine Automobile Lénine) s'échappa dans le crissement strident de ses pneus à flancs blancs.

Mais le groupe de Balibar, en tenues cérémonielles, devait battre en retraite au Karmatchup Intercultural Religious Institute, son dernier bastion. Les moulinets de badine des jeunes moines de Sébu les poursuivaient. Dans cette danse, les robes rouges et les châles safran volaient gracieusement, comme des drapeaux à prière que le vent du mont Kailash déploie au printemps...

Pourchassés, les fidèles de Balibar parvinrent in extremis au bâtiment du KIR!. Là, ils entreprirent d'en clore les issues, et d'y poster des sentinelles. Ils célébrèrent un rituel de « protection maximale », avec la visualisation la plus redoutée : celle de la licence totale. En ces instants, les adeptes retranchés prirent la permission de faire usage de toutes les images à leur convenance pour tenter d'atteindre leurs ennemis, les moines de Sébu. Certains imaginèrent donc qu'ils utilisaient des armes à feu, et qu'ils déchiquetaient leurs agresseurs. D'autres visualisaient un déluge de flammes, des explosions de bombes dévastatrices, ou encore des armées de terribles monstres à leur service. La créativité de la colère était mise au service de l'idéal d'une sérénité universelle : le nirvana.

Les tambours battaient au KIRI. Leur martèlement se mêlait au gémissement des trompes d'os — fémurs humains évidés. Les moines de Sébu ne semblaient pas affectés par ces agressions imperceptibles qui étaient en ces instants projetées vers eux. Leur groupe s'était réparti en deux unités d'assaut. Une puissante horde avait entrepris de défoncer la grande porte d'entrée du KIRI. L'autre bataillon escaladait à mains nues le bâtiment, afin de tenter l'incursion par les vasistas.

Le vantail s'effondra dans un fracas de tonnerre. Les moines soldats, comme un seul homme, s'engouffrèrent dans le sanctuaire si convoité, éclairé de manière miraculeuse par les lampes à beurre des autels, leurs châles flottant dans l'ombre sacrée, comme une traînée de pourpre. Ils durent faire face à des dévots combatifs, car débordants d'une indignation qui multipliait leur force. Simultanément, la troupe surgissait à l'improviste par les fenêtres, ses moines atterrissant souplement sur les tables d'autels où attendaient les offrandes de victuailles. Se saisissant des cheese-cakes frais ([angl.], gâteau au fromage blanc), les attaquants lançaient ces projectiles improvisés sur les adeptes survoltés de Balibar. Ces malheureux, tartés au fromage blanc, étaient ensuite copieusement aspergés de brandy rituel, avant de recevoir la brossée. La mine enfarinée, leurs robes trempées d'alcool, ils se battaient comme des chiffonniers, avec l'énergie que donne le désespoir. Ils ne cédaient que centimètre après centimètre les travées où souriaient imperceptiblement, et d'un air entendu, les bouddhas dorés des vitrines. Ils défendaient donc leur terrain pied à pied, et prenaient courageusement ces grands coups de verges sans se plaindre... »

Marc Bosche, Nirvana.



mercredi, décembre 28, 2011

Les contes pour enfants malpolis





J'ai trouvé, au cours de mon enquête (Les gros mots des enfants), une remarquable pérennité des thèmes, des variantes, et même du vocabulaire employés. Concrètement, je connaissais la majorité des mots, histoires ou comptines proposés par les enfants d'aujourd'hui. Cela semble largement confirmé par les références historiques proposées dans le livre de Gaignebet (Le Folklore obscène des enfants) Celui-ci s'appuie en particulier sur un ouvrage de Van Gennep, qui prend sa documentation à partir de 1937, ainsi que sur une enquête de Baucomont, datée de 1931. Il va même chercher des textes beaucoup plus avant dans l'histoire, jusqu'au XVIe siècle et en deçà. Or on s'aperçoit, à travers les sources les plus anciennes, que les thèmes du folklore enfantin demeurent étonnamment stables : le pet, le loup, la merde. En fin de compte, ce n'est d'ailleurs pas si étonnant que ça, si on considère la place de la fantasmatique anale dans la structuration de la personnalité.

A coup sûr, les parents et grands-parents d'aujourd'hui ont chanté les mêmes choses que leurs rejetons, et s'ils l'ont oublié c'est parce qu'ils ne veulent pas s'en souvenir, pour des raisons évidentes de dénégation pédagogique.

On perçoit cependant quelques légers glissements que je voudrais souligner, pour proposer quelques hypothèses explicatives. Ne m'appuyant pas sur une étude approfondie de textes, je formule seulement mes cogitations, et je prie qu'on ne s'offusque pas si elles se révèlent simplettes aux yeux des spécialistes.
Il y avait jadis une participation beaucoup plus grande des enfants à la vie de la communauté adulte, comme on le voit particulièrement à l'occasion des grandes festivités, dont les origines païennes sont d'ailleurs assez claires (carnaval, fête de la Saint-Jean, etc.). Le jeu de « pet en gueulle », par exemple, que Gaignebet repère dans Rabelais (Gargantua, chap. XXII) ne produisait ni censure ni dénégation de la part des adultes, comme le prouve une abondante iconographie. Les enfants jouaient à péter, et les adultes aussi !

La prééminence du rôle du loup, qui semble nettement décroître dans le folklore actuel, tient sans doute à l'évolution des conditions culturelles. Non pas tant à la disparition réelle des loups dans nos régions, alors qu'il était dangereusement présent dans les campagnes jusqu'au siècle dernier, qu'à la disparition des contes le mettant en scène.

Ou, plus exactement, ce qui a disparu récemment, c'est la fonction des grands-pères raconteurs d'histoires à toute la maisonnée, remplacés par la toute-puissance abêtissante de la télévision. Il y a des histoires de loup dans mes souvenirs d'enfance ; je n'en ai pas trouvé chez les enfants d'aujourd'hui.

Contrairement à l'opinion courante actuelle, les contes « pour enfants » ne s'adressaient nullement à ceux-ci de manière spécifique, mais bien à l'ensemble de la communauté familiale, parents et autres adultes compris. La fantasmatique à l'œuvre n'était donc absolument pas cloisonnée, et les mêmes sujets faisaient rire petits et grands. On en voit une illustration dans le film italien L'Arbre aux sabots, où la vie paysanne réunit à la veillée toutes les familles du village, qui écoutent avec délices des contes effrayants.

N'oublions pas non plus que le travail de Perrault, qui a consisté à mettre par écrit toute une littérature populaire orale, n'est pas adressé aux enfants en tant que tels. Le Petit Chaperon rouge est explicitement destiné, par l'auteur, aux jeunes filles en âge de se marier, pour qu'elles ne se laissent pas séduire par n'importe quel rôdeur. Nous en sommes loin, dans les versions modernes ! Cela pour dire que les interprétations actuelles, y compris celle de Bettelheim qui prétend parler en psychanalyste (Psychanalyse des contes de fée), sont radicalement fausses. Appuyées sur la notion historiquement aberrante d'un message moral adressé aux enfants, elles oublient dans le même mouvement le contexte imaginaire sur lequel s'appuyaient les contes, et qui concernait les vieux comme les jeunes.

Prenons l'histoire des Trois Petits Cochons. Bettelheim prétend que la leçon en est la prééminence du principe de réalité sur le principe de plaisir : le petit cochon qui construit sa maison en pierre, au prix d'un dur travail, résistera au loup. Alors que les deux autres, qui ont bâti la leur à la hâte et sans réfléchir, en s'amusant, sont mangés. Conclusion : faut être sérieux dans la vie, et ne pas penser qu'à rigoler. Manque de chance, c'est archifaux... tout simplement parce que l'histoire originelle est complètement différente. Si Bettelheim y avait regardé de plus près, il se serait aperçu que le principe de plaisir et le principe de réalité n'ont rien à voir dans l'affaire. Tout tourne autour du pet : fantasme d'absorption/défécation, extrêmement répandu dans la tradition orale, et où le loup tient une place de premier choix, comme avaleur universel, et péteur-chieur. On retrouve d'ailleurs de nombreux exemples, chez Gaignebet, de loup qui pète et qui chie.

Pour revenir aux Trois Petits Cochons, dans les versions anciennes, le loup PETE sur les maisons, et il les détruit toutes les trois. Ensuite, il rend les petits cochons, également EN PETANT. C'est donc sur un contresens énorme que se fonde « l'interprétation » de Bettelheim. En réalité, ce conte comme beaucoup d'autres ne met pas l'accent sur l'opposition plaisir/réalité, mais bien sur une AUTRE REALITE DU PLAISIR, à dimension fortement marquée socio-historiquement : le plaisir de bouffer, et le plaisir de péter, signe qu'on a bien bouffé.

Voilà pourquoi on trouve souvent, dans les histoires, une polarité de la tête et du cul ; cela ne tient pas seulement à une similitude de forme.
Patrick Boumard



Les gros mots des enfants

Les gros mots : interdit d'en prononcer dans la famille ; interdit aussi dans la salle de classe. Les petits enfants ne disent-ils pas de gros mots ? Les adultes, parents et pédagogues, répondront sans doute qu'ils n'utilisent pas «ces mots-là». Et pourtant, si l'on se donne la peine de les écouter, on entend tout autre chose : les enfants, même les tout-petits, adorent dire des gros mots.

Après avoir laissé parler des mômes de 3 à 8 ans, Patrick Boumard montre que l'usage des gros mots est général, utile et même nécessaire : tous les enfants en disent, ils structurent leur personnalité en jouant — verbalement — avec la merde ; ils répondent par ce moyen collectif aux commandements et contraintes des adultes. Ce livre plein de trouvailles linguistiques est, de plus, fort drôle. Il «pète» de santé enfantine. Et le mortel sérieux des adultes et des pédagogues en prend un sacré coup. Tous les parents, tous les « profs », tous les «instits », tous ceux qui aiment les enfants et qui ne sont pas confits d'hypocrisie auront à cœur de le lire.








« Ah, ce qu'on s'marre merde de Dieu de caca boudin »

Chacun rêve plus ou moins, dans un coin de sa tête, de pouvoir faire un petit retour en enfance. J'ai vaguement l'impression d'y être plus ou moins parvenu, en suivant les sentiers rieurs qui font la trame de ce livre.

Oh ! bien sûr, quand on parle de l'enfance, on fait généralement allusion à l'innocence, à la pureté, au doux confort du cocon maternel. Le contraire des vicissitudes du réel.

Ce n'est pas du tout en ce sens que je parle de retour en arrière. J'y ai plutôt retrouvé le foisonnement, la gaieté, l'éclatement même des enfants qui se défendent remarquablement contre la grande machine à normaliser qu'on nomme éducation.

Ils font comme ils peuvent, et souvent s'en sortent mal, car l'agression est féroce et permanente ; mais du moins ils se démènent comme de beaux diables. Et je les ai admirés.

Le plaisir de jouer avec les mots, le difficile travail de la transgression, le sens de l'humour sans méchanceté, la jubilation de rouler les adultes qui n'y comprennent rien et sont toujours à côté de la plaque, c'est tout cela que les enfants m'ont donné à apercevoir. Le formidable déferlement de rires qu'occasionnent les jeux avec la merde m'a semblé infiniment riche et plein de vie.

En face de cette exubérance, j'ai trouvé bien pâles et misérables les histoires salaces des adultes. Les blagues de régiment, les obscénités tristes des cartes postales cochonnes, les plaisanteries vaseuses des phallocrates minables qui dévisagent les filles, affalés autour de leur pastis, tout ça m'a paru assez méprisable. Les obscénités des adultes sont presque toujours les projections pathologiques d'une sexualité agressive et humiliante. Et ce sont les mêmes qui sont les pères, éducateurs des mômes qu'ils s'efforcent autant qu'ils peuvent d'écrabouiller, par des insultes ou par des claques, de façon à se persuader qu'au moins dans leur famille ils sont les chefs !

Vraiment, les gros mots des petits sont bien plus rigolos, et leurs histoires plus amusantes.

Devant l'élaboration de la fantasmatique du caca boudin, indispensable à la structuration de la personnalité, on ne répond que par la répression. Dérisoire ! Mais les mioches sont plus malins : le trésor collectif de l'enfance s'accumule, hors de la vue des adultes. Toujours le même, dans tous les lieux, dans toutes les couches sociales, à travers les générations. Une sorte de mot de passe propre à la classe d'âge des petits. C'est tout cela que les adultes ont fait semblant d'oublier, et que j'ai retrouvé en écoutant les enfants — les délices des chansons, les clins d’œil des comptines. Tout y était, une génération plus tard.

Seule manquait la dimension de création : c'est sans doute trop loin, et, de toute façon, les inventions sont immédiatement réinjectées dans le groupe, devenant propriété collective. A voir les enfants poètes, j'ai ressenti comme un manque ce qui est irrémédiablement perdu : cette capacité de transformation ludique de la réalité. Je sais bien, il n'y a pas que les gros mots qui soient source d'inspiration ! Mais le pied de nez aux adultes est tellement sympathique...

Restons-en là, dans ce rêve du temps retrouvé, celui des poètes du caca boudin.

J'espère vaguement que les parents, à la lecture de ces pages édifiantes, laisseront un peu leurs enfants jouer avec les mots, comprendront qu'il leur est important de se raconter entre eux leurs blagues et leurs chansons, recevront les insultes de leur progéniture comme le signe d'une révolte, bien souvent légitime. Et peut-être même qu'ils auront envie de vivre, en participant à leurs plaisanteries, une complicité radicalement antipédagogique. En tout cas, moi, je me suis bien marré, merde de Dieu de caca boudin !  


Patrick Boumard, docteur en Sciences de l'Éducation.





mardi, décembre 27, 2011

L'enfer religieux de Claire Vajou




La spiritualité orthodoxe et sa tradition contemplative remontant aux premiers siècles de l'Orient chrétien ont fasciné Claire Vajou. Elle n'a pas douté des experts de la galéjade religieuse qui clament à tous vents :
« Succédant à la grande période christologique des Conciles œcuméniques, inspirée par l'Esprit lui-même, après la douloureuse séparation dont l'ecclésiologie latine était la cause, s'ouvre une période pneumatologique. Cette participation mystique à l'Esprit, cette mystique pneumatique commencera avant même le schisme avec Syméon le Nouveau Théologien, puis Grégoire Palamas. Au XIVe siècle, un laïc, Nicolas Cabasilas, est l'apôtre de la vie en Christ ressuscité. Se succèderont les mystiques byzantins de la Philocalie, tel Nicodème l'Hagiorite, puis les mystiques russes avec Séraphin de Sarov, les startsi, en passant par l'Athos, avec Sylvain ; enfin en Grèce les gérontes continuent à répandre autour d'eux la bienfaisante Lumière de l'Esprit. » (Renneteau & Marcadet)
« Plus c'est gros, plus ça passe », disait Joseph Goebbels, le ministre de la propagande du Reich hitlérien. Quand l'Allemagne s'enfonçait dans les ténèbres du nazisme, les flambeaux des interminables cérémonies de Nuremberg diffusaient la lugubre lumière de l'Esprit de la Race. De même, les longues cérémonies orthodoxes, les rites de la Révélation et de l'illumination sainte, illusionnent les naïfs participants. On ne se méfient jamais assez des rites. Au début de sa rencontre avec la spiritualité orthodoxe, Claire Vajou ne voyait que l'expression d'un inoffensif folklore religieux :
« La cérémonie, écrit-elle, comme toutes les cérémonies orthodoxes, fut interminable. Prêtres, diacres et enfants de chœur en chasubles dorées allaient et venaient sur l’herbe verte, brandissant cierges et encensoirs. On se serait cru dans une version d’opérette de « l’Agneau mystique » de Van Eyck. Tout cela ne faisait pas très sérieux, c’était à la fois grandiloquent et folklorique. »
Normalienne, Claire Vajou a appris à raisonner, mais cela ne la protégera pas. Elle sera irrésistiblement attirée par les lueurs de la mystérieuse christologie orthodoxe. Et, comme un papillon de nuit, elle s'y brûlera les ailes. Elle tombera dans une sorte d'esclavage volontaire, enchaînée par les illusions que l'on a fait germer dans son esprit. Durant quinze années, enfermée dans un monastère d'une île grecque, elle sera soumise à la tyrannie du religieux.
« Après quinze années d'endoctrinement, il m'est très difficile de penser par moi-même et mes références ne sont plus les vôtres. Si vous me croisiez dans la rue, vous ne m'adresseriez même pas la parole, vous me prendriez pour une fanatique islamique. De fait, je suis vêtue comme elles, tout de noir avec une robe rasant le sol ; mon voile cache le front jusqu'aux sourcils, ainsi que les joues et le menton, ne laissant paraître du visage qu'un triangle étroit : les yeux, le nez, la bouche. En Grèce, je passe inaperçue puisque depuis le v siècle, toutes les moniales orthodoxes sont vêtues ainsi. Pourquoi une fille apparemment cultivée, pas plus idiote qu'une autre, douée d'initiative et de raison, a-t-elle été pendant quinze ans incapable de s'échapper ? Cela doit vous paraître invraisemblable. Le drame est que je ne le sais pas moi-même. »
Claire Vajou






Normalienne, agrégée de lettres classiques, Claire Vajou est traductrice de russe, de grec et d'anglais. Convertie à l'orthodoxie, elle a passé quinze ans, prisonnière volontaire, dans un monastère sur une île grecque. Avant de s'en enfuir.


Le récit de Claire Vajou sur France Culture :
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4075921
L'animateur de For intérieur, Olivier Germain-Thomas, est un propagandiste du grand système spiritualiste, toutes obédiences confondues, qui participe à l'aliénation de l'humanité. Durant l'interview, il s'efforce de ménager l'institution religieuse et feint d'ignorer que Claire Vajou s’en prend également aux couvents catholiques dont le climat névrotique serait aussi l’effet d’une sécheresse spirituelle. 




Ils veulent nos âmes

  Henry Makow : "Ils veulent nos âmes. Les mondialistes veulent nous faire subir à tous ce que les Israéliens font aux Palestiniens. Et...